Le samedi 22 mars aura lieu, à Paris et dans d’autres villes françaises, une grande manifestation contre la montée du « fascisme ». Cet événement, organisé par la gauche et l’extrême-gauche, est en réalité un festival de sexisme, de racisme et de déni de démocratie. Ses organisateurs veulent protester contre l’interdiction du port du voile dans le sport. Or, le voile est un instrument d’oppression des femmes. Ils veulent mobiliser les « quartiers populaires ». Or, il s’agit des quartiers où résident une majorité de personnes issues de l’immigration, l’immigré étant le nouveau héros mis en avant par la gauche, à la place du prolétaire blanc. Les organisateurs sont ceux qui prétendent avoir gagné les dernières élections législatives. Or, il n’en est rien.
Ces mêmes « antifascistes » sont ceux qui promeuvent une forme d’antisémitisme sous couvert d’anti-sionisme. En réalité, la société israélienne est très ouverte et diversifiée. Ce qui peut étonner le visiteur occidental, au premier abord, c’est combien différentes communautés – druzes, chrétiens maronites, bédouins… – sont solidaires du pays qu’elles habitent et de l’Etat qui les protège. Et combien elles sont prêtes à se battre pour défendre cet Etat et la liberté qu’il leur garantit. Nos sociétés occidentales sont certes diversifiées, mais pouvons-nous dire qu’elles se caractérisent par une pareille solidarité?
Dans son brillant essai, Philippe Raynaud démontre comment Victor Hugo a tiré des bords politiques pour se placer, comme en littérature, toujours à l’avant-garde, faisant rimer libéralisme et romantisme.
Il n’était pas indifférent à Victor Hugo d’être moderne, au mépris de principes politiques. D’abord le jeune homme est royaliste, poète ultra. Songez à ses Odes de 1822 où il chante la Contre-Révolution, grandeurs et misères. Plus tôt encore, et pour un temps, le royalisme hugolien fut voltairien – il le devait, sans doute, à sa mère, Sophie Trébuchet –, avant de devenir ensemble catholique et romantique. Dans la préface de la première édition des Odes, le poète écrit que « l’histoire des hommes ne présente de poésie que jugée du haut des idées monarchiques et des croyances religieuses ». C’est le moment des querelles entre « classiques » et « romantiques », qui fragmentent les royalistes. Pour Hugo, cependant, la mythologie antique est morte et n’inspirera plus les poètes modernes. Ceux de la tradition sont dépassés, obsolètes. Si bien qu’en 1824, dans la préface aux Nouvelles Odes, c’est sur les écrivains du Grand Siècle qu’il fait porter la responsabilité des événements des Lumières et, partant, de la Révolution. Au cœur même de sa période royaliste, nous explique le philosophe des idées politiques Philippe Raynaud, « Hugo donne comme tâche à la Restauration – littéraire et politique – de réconcilier la religion, la liberté et la poésie moderne pour faire naître une société nouvelle qui n’est pas celle de l’Ancien Régime. » Qu’est-ce que la liberté politique ? Le libéralisme. Et la liberté de l’art ? Le romantisme.
Hugo ou la « gnose progressiste »
Le remarquable essai de Philippe Raynaud vise les contingences de l’esprit français, de l’imaginaire national, et l’influence du monument Hugo. En somme, « aucun poète, aucun écrivain n’a autant contribué à faire la France ». Bon, le royalisme de l’auteur des Odes, on l’a compris, était superficiel. Au moment de la bataille d’Hernani, la voie du poète est tracée : il affirme « l’unité indissoluble entre le mouvement romantique et la cause du progrès politique ». L’avant-garde littéraire et l’avant-garde politique vont marcher d’un seul pas, la modernité est à ce prix ! Nommé pair de France en 1845, Hugo est alors à l’aile gauche de l’orléanisme : cap sur l’héritage de la Révolution. En 1848, devenu l’incarnation du grand écrivain national, il parvient à concilier ses inclinations progressistes et sa proximité avec Louis-Philippe : tour de force. Après le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, le 2 décembre 1851, l’auteur de La Légende des siècles choisit l’exil : son autorité morale et républicaine est incontestable. Sa philosophie politique est définitive : « libérale, démocratique, humanitaire et sociale ».
Doit-on à Hugo l’optimisme béat d’une religion humanitaire ? C’est ce qu’a longtemps pensé la droite. D’un autre bord, l’humanisme hugolien « a fini par l’emporter sur la logique du marxisme » : les communistes, sans doute, n’avaient pas remarqué que le poète fustigeait l’athéisme militant comme « le socialisme de caserne ». Quoi qu’il en soit, la « gnose progressiste » du Père Hugo infusa considérablement. C’est tout l’intérêt de ce livre de nous le montrer.
Philippe Raynaud, Victor Hugo : la révolution romantique de la liberté, Gallimard, 2024.
La presse de gauche s’est réjouie ces derniers jours de la censure du livre Face à l’obscurantisme woke. C’est inquiétant, mais il reste une raison d’espérer, observe notre chroniqueur.
Patrick Boucheron, Grand Inquisiteur au Collège de France, a encore frappé. Son pouvoir de nuisance n’est pas une vue de l’esprit, comme ont pu s’en apercevoir les auteurs de l’ouvrage collectif Face à l’obscurantisme woke. Après que cet apparatchik universitaire a craché sa bile en vilipendant « les entrepreneurs d’approximations et d’inexactitudes qui disent que ce qui nous menace aujourd’hui, c’est l’islamo-gauchisme et le wokisme », et en désignant les Presses Universitaires de France, où cet essai devait paraître, à la vindicte médiatique, Paul Garapon, le directeur de cette maison d’éditions, a lâchement décidé de suspendre la publication dudit essai. Bras droit de la censure, le journal Libération annonçait la nouvelle avant même que les auteurs ne soient mis au courant : « Les PUF suspendent la parution d’un livre anti-woke aux obsessions trumpistes. » Curieusement, Simon Blin, journaliste à Libé, ne voit aucun paradoxe dans le fait de défendre en même temps la liberté académique aux États-Unis et la censure d’un essai écrit par des universitaires en France. Il n’a pas pu lire cet essai qui n’a pas été imprimé, mais… il a vu « sa quatrième de couverture inquiétante tout en rouge et noir sur Internet ». De plus, il a appris que « la chercheuse proche de l’extrême droite Florence Bergeaud-Blacker (sic) » a contribué à cet ouvrage dont la thèse, « à l’origine très contestable (resic) », s’avère finalement « éloignée de la réalité (et sic de der) ». Par conséquent, cela va de soi, en tout cas pour Libé, « il semblait pour le moins malencontreux de maintenir la publication de Face à l’obscurantisme woke. » Même son de cloche au Nouvel Obs : « À deux doigts de se trumpiser en publiant un pamphlet anti-woke, les éditions PUF rétropédalent », titre l’hebdomadaire qui confirme par ailleurs l’influence pernicieuse de Patrick Boucheron dans cette affaire. Bref, tout ce petit monde de gauche se réjouit de la censure d’un livre que personne n’a lu mais dont la possible parution a provoqué l’ire d’un professeur au Collège de France connu surtout pour ses méthodes de barbouze.
La démographe Michèle Tribalat a expliqué récemment dans ces colonnes pour quelle raison sa contribution à Face à l’obscurantisme woke a été écartée par les co-directeurs de l’ouvrage, Pierre Vermeren, Xavier-Laurent Salvador et Emmanuelle Hénin. Ces derniers n’ont pas eu le choix. Il y a quelques semaines, la direction des PUF leur aurait expressément demandé, par crainte de représailles, de supprimer l’article dans lequel elle démontre l’imposture scientifique de François Héran, professeur au Collège de France et démographe attitré de la gauche immigrationniste. Quelques semaines plus tard, sous l’impulsion de Patrick Boucheron cette fois, les PUF ont donc carrément annulé la parution de l’ouvrage en question. Le Collège de France est devenu un repaire de maîtres censeurs et de commissaires politiques. Quant à la direction des PUF, la probité et le courage ne semblent pas être ses qualités premières. Il aura suffi de quelques cris de fausse indignation, d’une mascarade de « résistance au trumpisme ambiant », d’une pantalonnade hystérique, pour qu’elle se couche, apeurée, aux guêtres de vieilles rosses qui se soucient surtout de défendre leurs privilèges et de consolider leurs positions au sein du mandarinat universitaire, du milieu éditorial ou d’établissements institutionnels (en plus d’avoir leurs ronds de serviette dans les médias publics, Patrick Boucheron dirige la collection “Univers historique” des éditions du Seuil et François Héran préside le conseil d’orientation du Musée de l’histoire de l’immigration).
Apathie intellectuelle, duplicité dogmatique des journalistes, militantisme des universitaires de gauche, abdication, lâcheté ou complicité intéressée de professeurs et d’institutions ayant oublié leur vocation première, à savoir la libre propagation des idées et des opinions, telles sont les tares qui nécrosent les lieux de savoir et d’information dans notre pays. Au contraire de ce que voudrait nous faire croire M. Glucksmann, la France, qui a su la statufier, ne porte pas la liberté dans son cœur – et l’interdiction d’un livre par une grande maison d’éditions sous la pression d’idéologues universitaires n’est que la partie visible d’une restriction de la liberté qui s’étend jour après jour dans ce pays concepteur de lois au service d’une censure institutionnelle. La liberté d’expression est régulièrement bafouée. Cela est vérifiable un peu partout, mais surtout dans les médias publics qui ne cachent plus leur intransigeance et leur absence de pluralisme. L’emblématique radio France Inter ne s’embarrasse pas de subtilités – le pouvoir n’a même plus besoin de donner ses ordres, comme au temps de l’ORTF, certain qu’il est d’avoir dans la place des journalistes à sa botte, imprégnés des mêmes idéologies européo-mondialistes, immigrationnistes et diversitaires, et aussi déconnectés que lui du peuple français. Quant à la presse mainstream, elle est majoritairement écrite par des journalistes sortant des mêmes moules gauchisants, des mêmes écoles de journalisme noyautées par les mêmes idéologies. Globalement, nos médias divulguent les mêmes informations, orientées dans le même sens, au service des mêmes élites vivant entre elles. L’émergence de médias dissidents – ne représentant pas le dixième de l’offre médiatique mais connaissant un succès grandissant – exaspère un milieu médiatico-politique persistant à se tenir à distance d’une réalité qui contredit systématiquement ses dogmes. Les quelques modestes brèches ouvertes dans la citadelle de la pensée unique affolent et terrifient des journalistes décidés à défendre bec et ongles leur pré carré – et de fait, ce sont eux qui font encore la loi en distribuant les bons et les mauvais points, en prononçant les anathèmes, en dressant la liste des hommes et des livres à mettre à l’index et en infligeant au public un flot ininterrompu d’informations politiquement orientées, bidouillées, voire carrément mensongères, comme on peut le constater actuellement sur des sujets abordant l’immigration (La Gaité Lyrique) ou le racisme anti-Blanc (Crépol).
La France, où la gauche et l’extrême gauche continuent de régner dans les universités et dans les médias, sera vraisemblablement le dernier bastion du wokisme. Les agissements actuels d’universitaires indéboulonnables, ceux des étudiants abrutis par la religion woke (Braunstein) et promis à un bel avenir parasitaire au sein de l’université, des médias ou du monde dit de la culture, préludent le prolongement d’une longue période d’assèchement intellectuel et d’intolérance idéologique. MM. Boucheron et Héran, mélange grossier et caricatural de rigidité robespierriste et de hargne hébertiste, sont considérés par la gauche intellectuelle comme des héros révolutionnaires. Comme leurs illustres prédécesseurs, ces agitateurs de salon disent agir au nom de la raison, de la science et de la liberté. Ils ne ménagent pourtant pas leurs efforts pour les fouler aux pieds. Ils ne sont pas les seuls. Tout ce qui constitue et forme les élites de notre pays – écoles, universités, médias, institutions publiques, juridiques ou politiques – est majoritairement entre les mains d’une gauche progressiste et intransigeante, fanatiquement woke, aux antipodes de la rationalité, de la science, de la liberté et de valeurs morales qu’elle ne cesse de louer mais qu’en réalité elle méprise.
Démocratie, liberté d’expression, pluralité des opinions, autant de syntagmes qui sonnent creux. les Français qui font l’effort d’écouter, ne serait-ce que de temps à autre, la radio et la télévision publiques, ou qui lisent, même occasionnellement, la presse mainstream, ne peuvent que constater un état de fait évident : ces médias sont au service d’un système politique dirigé par une oligarchie européo-mondialiste, post-nationale et post-démocratique. Il est normal que MM. Boucheron et Héran aient table ouverte dans ces antres de l’information formatée et officielle. Le système établi ne saurait se passer de ces argousins universitaires toujours disponibles pour les basses-œuvres politiques. Réjouissons-nous toutefois du dénouement de cette écœurante affaire de censure: sur CNews, dans l’émission Face à Bock-Côté, après avoir appelé de ses vœux une réaction de ses collègues universitaires et des étudiants face à l’obscurantisme, aux fausses sciences et à la censure qui se propagent dans les universités, Emmanuelle Hénin, co-directrice de Face à l’obscurantisme woke, a annoncé que l’essai tant redouté par Boucheron et sa clique allait paraître au mois de mai dans une autre maison d’éditions que les PUF qui se sont couvertes de honte en se soumettant aux diktats des matons de la pensée. L’effet Streisand jouant à plein, Face à l’obscurantisme woke va vraisemblablement être un succès de librairie. Merci qui ? Merci Patrick Boucheron…
Le spectacle « Four New Works » de la Lucinda Childs Dance Company mêle minimalisme et abstraction à travers quatre chorégraphies, sur des musiques de Bach ou Philip Glass. Dernières vendredi et samedi, au Théâtre de Chaillot.
La danseuse américaine Lucinda Childs. Photo: Cameron Wittig
La danseuse et chorégraphe Lucinda Childs remonte sur la scène de Chaillot avec sa troupe, la Lucinda Childs Dance Company, pour un spectacle en quatre parties, quatre oeuvres dont certaines ont été créées il y a plusieurs décennies.
C’est un plongeon dans l’histoire de la post modern dance qu’offre la chorégraphe américaine Lucinda Childs. Avec Géranium 64, une pièce qu’elle créa en 1965 (elle avait alors 25 ans) au Judson Dance Theater, nid mythique de la modernité new-yorkaise. Elle qui portait alors des paniers à salade ou des bigoudis démesurés sur la tête durant ses performances, revient aujourd’hui à une production de sa folle jeunesse.
Verklärte Nacht
Sur un grand panneau blanc ennuagé de formes indistinctes où se dessinent très vaguement des silhouettes de brutes yankees pratiquant le football américain, Lucinda Childs apparaît sur la scène côté jardin dans une combinaison verdâtre de travailleur. On entend, mais comme emportés par le vent, de brefs fragments de Verklärte Nacht (La Nuit transfigurée) d’Arnold Schönberg, bientôt supplantés par les beuglements d’un commentateur sportif.
Rattachée par la main à une sangle grâce à laquelle elle se maintient inclinée, la chorégraphe-interprète s’extirpe lentement de la coulisse en mettant un temps infini à parvenir en milieu de plateau. Tout comme lorsqu’elle traversait la scène dans Einstein on the Beach de Bob Wilson, en suspendant indéfiniment le temps.
Silhouette impeccable
60 ans plus tard, la silhouette toujours impeccable de celle qui fut une sublime danseuse force l’admiration. Même si ses cheveux blanchis la rendent un peu transparente. Hélas, cette performance, alors iconoclaste sans doute, a bien vieilli. Elle s’étire pour s’achever sur une résolution décevante qui ne légitime pas le temps passé à l’attendre. Les applaudissements très tièdes du public trahissent la déception de revoir l’une des plus magnifiques figures de la danse dans une pièce apparaissant aujourd’hui si chétive.
Actus, chorégraphie accompagnée par le duo de pianistes Norie Takahashi et Björn Lehmann, s’aligne sur la cantate BWV 106 de Jean-Sébastien Bach. S’aligne, car les deux interprètes suivent deux trajectoires linéaires avec une gestuelle aussi sobre que belle. Actus pourrait être une étude académique conçue par un maître de ballet, très formelle et forcément ennuyeuse. Mais la magie de l’écriture de Lucinda Childs, les imperceptibles variations qu’elle lui imprime en font une chorégraphie d’une beauté parfaite, d’un élégantissime dépouillement. On craint presque que des préjugés favorables nés des chefs d’œuvre de Lucinda Childs, comme Dance qui a pris place parmi les œuvres les plus emblématiques du XXe siècle, que des préjugés favorables faussent le jugement. Mais non ! Dans sa noble simplicité, dans son élégance absolue, Actus est réellement un petit joyau.
Pour les yeux, si cruelles
Les tenues des interprètes sont dessinées par le clothing maker Nile Baker. Et sauf dans Actus où les robes blanches des danseuses sont parfaites, elles sont d’une laideur insigne. On admire cette propension chez ces créateurs américains à se vautrer dans les teintes fadasses, dans les formes improbables et vieillies. Comme si la beauté était un péché. Comme si les chorégraphes de leur côté tenaient à prouver que leurs réalisations sont assez solides pour surmonter cette épreuve, pour les yeux si cruelle.
Distant Figure, le dernier des quatre ouvrages de la chorégraphe présenté après le sextuor pour danseurs Timeline, est du pur Lucinda Childs. Rien de neuf assurément, mais toujours cette élégance épurée qui est la marque de l’Américaine, à laquelle toutefois manque une scène infiniment plus vaste que celle de la Salle Gémier. Afin que la danse respire largement.
Cette sobriété gestuelle, toutefois si complexe à exécuter, est ici cravachée par une pièce pour piano très tonique de Phil Glass, courant comme un ruisseau, exécutée par Anton Batagov. Les notes en staccato perlent comme autant de gouttes d’eau glacée sur lesquelles les danseurs tournoient jusqu’à l’ivresse ou fuient sur des trajectoires propres à chacun d’entre eux. Rien de neuf, mais une qualité d’écriture incorruptible, un style immortalisé par Dance. La chorégraphie de Lucinda Childs y est également transportée par la partition de Phil Glass, laquelle, en retour est immortalisée par une chorégraphie qui la magnifiera éternellement.
Lucinda Childs Dance Company. Four New Works.
Jusqu’au 22 mars. Théâtre national de Chaillot. 45 €.
Les Français jalousent la réussite des uns, convoitent la fortune des autres et dénoncent les petits privilèges qui leur échappent. Ces envieux n’attribuent pas le succès au mérite mais à la chance, voire à l’injustice du système social. Ce qui légitime la haine des riches.
Pourquoi cette animosité envers les riches?
Les Français ont-ils une mauvaise opinion des riches ? Une succession régulière de sondages et d’interventions d’experts dans les médias vont dans ce sens. Et dans l’opinion publique française cette hostilité envers les plus aisés s’accompagne d’une réticence à l’égard de l’économie de marché. Une comparaison est souvent faite avec les « Anglo-Saxons » qui, en adorateurs de Mammon, prôneraient un libéralisme « sauvage » et feraient passer les profits avant les principes moraux. Pour expliquer la pudeur des Français à l’égard de la richesse, on cite l’influence catholique dont la France – aujourd’hui pays laïque – serait encore imprégnée. L’explication est étayée par quelque citation de saint Thomas d’Aquin contre la pratique de l’usure ou une référence à L’Éthique protestante et l’Esprit du capitalisme de Max Weber. Mais cette œuvre a fait l’objet des critiques, entre autres, de Fernand Braudel. Car le capitalisme a commencé en Italie, pays catholique, et dès avant la Réforme. Et si la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, protestants, ont lancé une nouvelle phase de capitalisme commercial, la France catholique n’a pas tardé à les imiter. Mais avant d’aborder d’éventuelles explications, il faut poser deux questions. D’abord, la France est-elle plus « antiriche » en moyenne que d’autres pays ? Après tout, un certain ressentiment contre plus fortuné que soi existe partout. Ensuite, l’animosité des Français par rapport aux riches est-elle inspirée par la haute moralité ou par une basse émotion, à savoir l’envie ? Car selon la définition de d’Alembert : « On est jaloux de ce qu’on possède et envieux de ce que possèdent les autres. »
Or, les travaux du chercheur indépendant allemand Rainer Zitelmann confirment que, plus que d’autres peuples, les Français conspuent le capitalisme et envient les riches. Zitelmann fonde ses analyses sur 48 sondages internationaux qu’il a commandés entre 2018 et 2023. Une première étude portant sur les attitudes envers le capitalisme dans 34 pays, place la France en sixième position du palmarès de l’esprit anticapitaliste. Le pays le plus procapitaliste est la Pologne, malgré le rôle important qu’y joue le catholicisme. Une autre étude, de 2024, se focalise sur les perceptions populaires des riches dans 13 pays : France, Allemagne, Italie, Espagne, Suède, Pologne, Grande-Bretagne, Chine, Japon, Corée du Sud, Vietnam, Chili et les États-Unis. À partir de questionnaires détaillés et d’une définition précise de « riche », Zitelmann crée pour chaque pays un « coefficient de traits de personnalité des riches ». En termes de vices et de vertus, les fortunés sont perçus le plus positivement en Pologne et au Vietnam, le moins en Espagne. La France et le Royaume-Uni ont le même score et sont légèrement favorables aux riches. Mais c’est quand Zitelmann crée un « coefficient d’envie sociale » que la France se détache du lot. Elle arrive largement en tête des pays où l’on envie la réussite des autres, devant l’Allemagne et la Chine. Les pays les moins envieux sont la Pologne – encore ! – et le Japon. Quand Zitelmann combine les deux coefficients pour créer un indice général, ce sont encore les Français qui portent les riches le moins dans leur cœur.
À qui la faute ?
Comment expliquer que les Français soient les champions de l’envie ? On pourrait accuser les inégalités, mais ces dernières ne sont pas très marquées en France, dont le coefficient de Gini, qui les mesure, est légèrement en dessous de la moyenne de l’UE. C’est que l’envie n’est pas nécessairement corrélée aux disparités économiques. Un homme peut bien envier un voisin qui ne jouit que de quelques privilèges modestes. L’important, c’est que ces privilèges semblent immérités. Car l’envie est une affaire de comparaison et de mérite. Dans son Discours célèbre surl’inégalité, Rousseau explique la naissance de l’envie – et de la honte – par la vie en société qui fait ressortir les différences de talents entre les individus. La honte empêche les envieux, dont le ressentiment couve secrètement dans leur cœur, de révéler publiquement ce qu’ils ressentent, car ce serait admettre leur infériorité. L’envieux justifie l’hostilité qu’il ressent à l’égard de ceux qui ont réussi en attribuant leur succès à la chance, à l’injustice du système social ou à la tricherie. Comme le dit un personnage de Corneille, « jamais un envieux ne pardonne au mérite ». Or, le libéralisme implique la concurrence, et la concurrence implique des gagnants et des perdants, donc des comparaisons. Si les vraies raisons de la réussite des entrepreneurs et des cadres d’entreprise échappent à beaucoup de Français, c’est parce que le secteur public est si vaste en France, qu’il fausse totalement la donne. Il représente 21 % des travailleurs actifs, contre 11 % en Allemagne ou 15 % aux États-Unis. Les fonctionnaires ne connaissent donc pas bien le secteur privé, se méfient de son succès et veulent en être protégés.
C’est ici que les rôles de la Révolution et du marxisme dans l’histoire de France sont pertinents. La première montre comment une nouvelle classe dirigeante peut exploiter la haine des riches pour asseoir son pouvoir politique, exemple suivi par tous les autres révolutionnaires. En 1917, Lénine décrivait les riches comme faisant partie de « la vermine » dont il fallait « purger » la Russie. L’envie constitue un levier puissant, car en la réveillant on peut désigner des boucs émissaires. La gauche française n’hésite pas à y avoir recours, de François Hollande qui déclare « je n’aime pas les riches » à Marine Tondelier qui exige « une France sans milliardaires », qualifiés de « vampires ». L’envie est plus souvent une force de destruction qu’une source de motivation positive. Dans son étude de 1966 sur L’Envie, le sociologue Helmut Schoeck fait remarquer que, devant les biens acquis par l’Autre, l’envieux « est presque plus désireux de les détruire que de les acquérir ». La redistribution des richesses que la gauche veut amplifier est autant une façon de punir les riches que de compenser les pauvres. L’envieux préfère même saboter le système économique que relever le défi de la concurrence loyale avec l’autre. Si nous voulons être moins pauvres, arrêtons d’en vouloir à ceux qui ont mieux réussi que nous.
Chaque mois, le vice-président de l’Institut des libertés décode l’actualité économique. Et le compte n’y est pas.
L’euro n’a pas du tout été une réussite pour la France, malgré tout ce que Jean-Claude Trichet, l’ex-président de la Banque centrale européenne (2003-2011) nous a raconté à longueur d’interviews. Il suffit pour s’en convaincre de regarder le cas de la Suède. En 1993, ce pays a refusé par référendum d’adopter la monnaie unique européenne. Bien lui a pris. Avant cette date, les productions industrielles française et suédoise suivaient une courbe parallèle. Depuis, notre pays a connu une vague ininterrompue de délocalisations, tandis que la Suède est restée une nation manufacturière et a diminué de 50 % son endettement public, avec des comptes courants excédentaires et un budget en équilibre.
La verrerie d’Arc a englouti 250 millions d’euros d’argent public depuis dix ans. En décembre 2014, Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, annonçait un accord pour sauver 90 % des 10 520 emplois de l’entreprise. Tout le monde savait qu’il était suicidaire de maintenir de tels effectifs et qu’il valait mieux investir dans de nouveaux fours afin de fabriquer des produits à plus forte valeur ajoutée. Dix ans après, les pouvoirs publics tirent les conséquences de cette décision stupide. Ils viennent d’abandonner 20 % de la créance d’État sur la verrerie et de consentir un nouveau prêt de 30 millions d’euros par l’intermédiaire du Fonds de développement économique et social. Une réindustrialisation de la France qui fonctionne sur ce modèle ne risque pas d’aller très loin…
La société Ynsect a levé, depuis sa création en 2011, plus de 500 millions d’euros pour fabriquer des protéines grâce à des élevages de molitors, ces petits coléoptères communément appelés « vers de farine ». Emmanuel Macron a souvent cité en exemple cette entreprise, basée à Évry, pour vanter notre « souveraineté protéique ». Sans surprise, l’idée de nourrir les humains avec des insectes n’a pas rencontré le succès escompté. La société vient d’être placée en redressement judiciaire.
L’outil de déclaration fiscale « Gérer mes biens immobiliers » (GMBI), mis au point par le ministère des Finances, s’avère être un échec à plus d’un milliard d’euros. Depuis son lancement en 2023, 24 millions de propriétaires fonciers français ont été appelés à remplir leur formulaire GMBI en ligne. Malheureusement, le logiciel n’était pas au point. Il a fallu recourir massivement à des prestataires externes pour réparer les nombreux bugs. Montant de la facture : 56,4 millions d’euros. Mais ce n’est pas tout. Les erreurs de calcul et les retards causés par ce fiasco technique ont obligé l’État à procéder à des dégrèvements et des remboursements d’un montant de 1,3 milliard d’euros. Un grand bravo aux responsables de ce projet !
Taxer les propriétaires de résidence principale sur la base d’un loyer fictif, voilà l’une des nombreuses idées de génie avancées par le président de la commission des finances à l’Assemblée nationale, Éric Cocquerel. « Le fait d’être logé gratuitement par soi-même », constitue « un loyer imputé », ose-t-il affirmer. Autre proposition absurde du député insoumis : augmenter l’IS (impôt sur les sociétés) de quatre points. Ce qui serait une catastrophe. D’abord parce que, même s’il a été baissé de 33 % à 25 %, notre taux actuel d’IS reste supérieur à la moyenne européenne (22 %). Ensuite parce qu’une surtaxe n’est jamais exceptionnelle en France. Par exemple, la CEHR (contribution exceptionnelle sur les hauts revenus), qui devait être appliquée au cours de la seule année fiscale 2011, est toujours en vigueur aujourd’hui. Et la CRDS (contribution pour le remboursement de la dette sociale), censée disparaître en 2024, vient d’être prolongée jusqu’en 2033.
Au catalogue des mesures dévastatrices dont rêve la gauche, n’oublions pas non plus la hausse de trois points sur la flat tax. En d’autres termes : faire passer de 30 % à 33 % le taux de prélèvement forfaitaire sur les revenus du capital. Une ineptie ! Pour mémoire, la flat tax a été instaurée il y a sept ans pour contrer les effets très négatifs de la fiscalité du capital précédemment en vigueur sous François Hollande. La taxation « au barème » telle que le président socialiste l’avait promue, avait provoqué une chute des dividendes en France et donc des recettes fiscales. Les actionnaires faisaient le gros dos en attendant des jours meilleurs. Quelle ne fut pas la surprise des observateurs lorsqu’ils virent, à partir de 2017, la flat tax rapporter deux fois plus que le système antérieur ! À noter que la plupart des soi-disant experts qui interviennent sur ce sujet ne savent pas qu’il existe déjà une « surtaxe sur la flat tax ». Le taux est majoré de trois points pour ceux qui déclarent plus de 250 000 euros de revenus annuels, et de quatre points pour plus de 500 000 euros. La fameuse contribution exceptionnelle sur les hauts revenus.
L’impayable « Insoumise » se livre à un exercice d’équilibriste douteux dans Libération ce matin, et démontre une nouvelle fois que son parti pratique une géométrie variable des indignations. Petite plongée au cœur d’un argumentaire qui défie toute logique !
Mathilde Panot, cheffe des députés insoumis à l’Assemblée nationale, a livré ses vérités au quotidien Libération avant la marche contre les idées d’extrême droite prévue ce samedi 22 mars[1]. Cet entretien lunaire laisse à se demander s’il relève davantage d’un étalage de mauvaise foi que d’une interview politique. Ainsi, Mathilde Panot s’attache-t-elle à « balayer les accusations d’antisémitisme » en rejetant la faute sur l’extrême droite, coupable de tous les maux, et sur tous ces observateurs politiques à la mémoire vacillante.
On passe à autre chose
S’il y a bien une chose que Madame Panot a comprise, c’est que la meilleure défense reste l’attaque. La polémique sur les affiches ignobles de LFI, qui reprenaient les codes antisémites des années 1930 pour caricaturer Cyril Hanouna ? Elle serait, selon elle, uniquement due au fait que « les médias ont relayé la propagande d’extrême droite ». Il fallait oser. D’ailleurs, à l’en croire, cette affiche ne serait que le fruit du hasard, car générée par une intelligence artificielle. La prochaine fois, on fera donc plus attention… au cas où l’IA serait elle aussi d’extrême droite.
Mais qu’on se rassure, Mathilde Panot dénonce toute forme de « chasse à l’homme ». Ce serait donc encore cette fourbe d’IA qui aurait choisi de coller les portraits de Cyril Hanouna ou Pascal Praud sur ces affiches ? « On passe à autre chose », intime-t-elle délicatement mais fermement. Ne la contrarions pas.
Un racisme peut en cacher un autre
Pour la députée du Val-de-Marne, la droite nationale « reste intrinsèquement antisémite et raciste », et le Rassemblement national cache « une dimension raciste intrinsèque » – les électeurs du RN d’origine étrangère apprécieront. Et si LFI se voit depuis quelques mois affublé d’une étiquette de parti antisémite, ce serait là encore à cause du RN, rien à voir avec le conflit israélo-palestinien.
L’absence de LFI à la marche contre l’antisémitisme ? Le parti ne souhaitait pas s’afficher aux côtés de personnalités « peu recommandables », dans une « manifestation qui appelait à combattre un racisme en diffusant un autre racisme ». Que ceux qui trouvent cet argument logique lèvent la main ! La journaliste à qui incombait la pénible tâche de retranscrire ces propos semble ne pas l’avoir fait, puisqu’elle a préféré relever la contradiction avec la participation de LFI à la marche contre l’islamophobie. Traduction : mieux vaut marcher aux côtés de manifestants qui soutiennent désormais les terroristes du Hamas qu’aux côtés de Jordan Bardella ou Marion Maréchal, qui luttent contre l’antisémitisme.
Mais qu’on se rassure encore : LFI est, selon Mathilde Panot, vent debout contre l’antisémitisme. « À quel moment n’a-t-on pas dénoncé un acte antisémite ? », s’insurge-t-elle. Les déclarations de sa collègue Danièle Obono, qui avait qualifié le Hamas de « mouvement de résistance », ou les propos de Thomas Portes affirmant que « les sportifs israéliens ne sont pas les bienvenus aux Jeux Olympiques de Paris », auraient-ils été oubliés ? Si certains qualifient LFI de parti antisémite, ce n’est donc, selon Panot, pas à cause des déclarations de ses membres, mais parce que l’extrême droite aurait besoin d’un bouc émissaire antisémite.
À la question de savoir si, comme Jean-Luc Mélenchon, elle considère l’antisémitisme comme « résiduel », Mathilde Panot prend le taureau par les cornes… et répond à côté : « Les femmes voilées sont attaquées matin, midi et soir à la télévision », et « le racisme pourrit la vie de ce pays ». Pas de réponse, donc. Les Juifs qui craignent LFI et votent pour le RN « se trompent », affirme-t-elle, ajoutant que si le RN progresse dans les sondages, c’est uniquement parce que « les bistrots dans les zones rurales ferment ».
Mathilde Panot envisage enfin un avenir radieux pour son parti, en s’appuyant sur ses sondages personnels au doigt mouillé : « Je ne crois pas » qu’il y ait beaucoup de sympathisants du RN parmi les abstentionnistes, déclare-t-elle. Elle s’appuie également sur des affirmations hasardeuses remettant en cause les fondements mêmes de la géométrie la plus élémentaire : « On est les seuls à avoir des programmes carrés. » Faisant le « pari de l’intelligence humaine », elle conclut que LFI est le seul parti à participer à toutes les mobilisations… sauf lorsqu’il s’agit de marcher contre l’antisémitisme, mais cela, je me répète. Vivement demain !
Il semble que le conclave sur la réforme des retraites ne va pas durer… Cette discussion, initiée par François Bayrou, avec pour volonté de discuter sans « tabou » de tous les sujets, n’a pas eu beaucoup d’effets, sinon le retrait progressif de la plupart des syndicats qui participaient aux discussions. Le récent refus du Premier ministre de revenir à un âge légal de départ à la retraite de 62 ans est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, provoquant l’indignation et la colère chez les négociateurs. Un conclave pour rien ? Et si c’était le but…
« Non ! » au retour à un âge de départ à la retraite à 62 ans. Entendre François Bayrou, père spirituel du « en même temps » et incarnation ultime de l’immobilisme politique, prononcer ce simple mot défiait tous les pronostics… De mémoire d’homme (et de femme), qui donc a souvenir d’avoir assisté à une prise de position aussi franche de la part de notre actuel Premier ministre – ou à une prise de position tout court ? Ce vocable choc a d’ailleurs été repris par tous les quotidiens de notre pays tout en se voyant auréolé de jolis guillemets, une rareté pour un seul mot, a fortiori composé d’une malheureuse syllabe. Cela cache forcément quelque chose : ce conclave ne serait-il pas, par le plus grand des hasards, une vaste fumisterie ?
Marylise Léon en a gros sur la patate
Que les âmes sensibles se rassurent, cette épreuve de force a été immédiatement suivie d’un exercice de rétropédalage plutôt maladroit en provenance de Matignon. Selon l’entourage du Premier ministre, il ne s’agirait que de son point de vue, le donner soulignant simplement « l’importance qu’il y a à faire vivre la démocratie sociale »… Ainsi, tout resterait possible, car ce sont bien les organisations syndicales et patronales qui gardent la main, toujours selon l’entourage du Premier ministre. Ce désormais fameux « Non ! » a suscité de toutes parts des commentaires très virulents. Certains y ont même vu la fin du conclave. Les oppositions et les syndicats se sont relayés pour évoquer tantôt un « scandale », tantôt des « propos incompréhensibles » voire même une preuve que l’on « ne peut pas faire confiance à François Bayrou » (Denis Gravouil, CGT). Jean-Luc Mélenchon, avec l’élégance qu’on lui connait bien, a quant à lui parlé d’un « foutage de gueule ».
Soyons sérieux : qui avait imaginé un seul instant qu’un retour sur l’âge de départ à la retraite avait la moindre chance d’aboutir ? Absolument personne, sauf la CGT qui a finalement claqué la porte. Sophie Binet, secrétaire générale du syndicat, est même allée jusqu’à accuser François Bayrou d’avoir « trahi sa parole » mais aussi « des millions de salariés », couplant cette terrible accusation d’une menace aussi glaçante qu’inattendue : une mobilisation. Heureusement, il y a une « adulte dans la pièce » en la personne de Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT, selon… Léon Marylise. Mais, qu’on se le tienne pour dit, elle en a « assez » ! Le ton est tout de suite plus sérieux : « Il faut un peu siffler la fin de la récréation » car « on ne fait pas des canons avec des salariés qui sont en souffrance ». La tension monte, puis, le couperet tombe enfin : « On ferme le conclave retraite tel qu’il existe, et on en ouvre un autre ». Le coup est rude.
Des motivations fumeuses
La France, dotée d’un budget qui ne rassure personne, se paie en plus le luxe d’être à la traine sur l’âge de départ à la retraite alors que les autres pays européens procèdent tous à une hausse de celui-ci. L’Allemagne, l’Espagne et les Pays-Bas ont fixé l’âge de départ à 67 ans. L’Italie envisagerait même de faire travailler ses fonctionnaires jusqu’à 70 ans. Imaginez la réaction de nos travailleurs de la Fonction publique… Vite, changeons de sujet ! Mais alors, pourquoi convoquer un conclave alors que tout le monde sait qu’il ne débouchera sur aucune décision majeure ? Pour gagner du temps, pardi ! Car, outre le fait d’avoir tordu le bras du président de la République pour obtenir le poste de Premier ministre au détriment de Sébastien Lecornu (est-on certain que nous ayons gagné au change ?) et d’avoir endormi tout le monde en débitant des discours lénifiants sur Henri IV, le seul fait d’arme de François Bayrou à Matignon à ce jour est d’avoir survécu à la motion de censure déposée à la suite du 49.3 utilisé pour faire passer le budget 2025.
Ce conclave faisait-il partie d’un deal pour amadouer les troupes socialistes d’Olivier Faure ? Si c’est le cas, comment imaginer que ces dernières aient pu être suffisamment naïves pour imaginer obtenir gain de cause sur un point aussi bloquant que l’âge de départ ? Si la motivation du Premier ministre est clairement de s’accrocher à son poste comme une moule à son rocher, quelle peut bien diable être celle des socialistes à participer à ce conclave ? Outre le goût pour les discussions stériles et interminables cher à tout social-démocrate qui se respecte, on peut se demander si la participation à ce conclave fictif n’est pas pour eux l’occasion de se démarquer d’un Nouveau Front populaire aux fondations friables. En effet, beaucoup d’électeurs du centre gauche sont complètement perdus au sein de cette coalition aussi absurde qu’opportuniste. Cela n’a pas échappé aux têtes pensantes socialistes qui espèrent se faire bien voir de ces électeurs en vue de municipales qui approchent à grands pas. Les candidats de la gauche molle espèrent peut-être ainsi profiter de ce conclave pour briller et démontrer à cet électorat qu’ils entendent bien gérer leurs villes d’une main de fer dans un gant de velours, comme d’habitude en somme. Des villes qui deviendraient ou resteraient alors des paradis pour les bobos adeptes de chevauchées à dos de trottinettes électriques, de bières sans gluten et de discussions à rallonge sur un monde sans frontières, bien sûr.
Ces derniers temps, certains accusent l’État de droit d’être un « État de gauche ». Une poignée de haut magistrats – et leurs idées progressistes – empêcheraient les exécutifs successifs d’exercer pleinement leur pouvoir… Face à ces critiques qui se multiplient, malheureusement, l’État de droit donne souvent la désagréable impression de se refermer sur lui-même en gémissant dans la presse de gauche, observe Philippe Bilger.
Dans Le Monde, le professeur de droit constitutionnel Dominique Rousseau affirme qu’il y a « un moment historique où il y a une tension entre deux formes d’État : l’État de droit, où être élu par le peuple ne suffit pas, et l’État brutal… » Il me semble qu’à cette alternative, non pour la détruire mais pour en dénoncer le caractère abrupt et sommaire, on pourrait ajouter : l’état de la France.
Le Monde a réuni quelques personnalités de haut niveau juridique, aussi bien de la Cour de cassation que du Conseil d’État et de la Cour européenne des droits de l’homme, dont André Potocki juge français, l’un de ses membres de 2011 à 2020.
L’initiative est excellente, mais il est difficile d’oublier qu’ils se sont assignés, grâce à (ou à cause de) leurs fonctions un ordre de mission : défendre l’intangibilité de l’État de droit contre certaines attaques politiques qualifiées un peu rapidement, pour les discréditer, de populistes.
Avec cette obligation impérieuse qu’ils se sont prescrite et que Le Monde est ravi de la voir respectée à la lettre, il n’est pas offensant de prendre acte de la formulation de concepts relevant de l’apologie traditionnelle de l’État de droit, dès lors qu’on exclut toute adaptation ou actualisation. Rien ne vient, sur un mode original, surprendre ou convaincre au-delà des nobles poncifs énoncés.
On étiquette à droite voire à l’extrême droite les sceptiques à l’égard de l’État de droit tel qu’il devrait demeurer sans la moindre modification, sacré en quelque sorte. Gérald Darmanin et Bruno Retailleau sont particulièrement visés. La gauche est effectivement d’autant moins sur cette ligne que les faiblesses régaliennes la préoccupent peu.
Face à cette dénonciation de l’esprit partisan qui rendrait suspecte la moindre critique, est-il permis de s’interroger aussi sur l’idéologie et la conception du droit de l’ensemble de ces juges des hautes juridictions précitées ? Qui peut douter du fait que dans leurs tréfonds intellectuels et leur vision de la société ils n’ont pas intériorisé des éléments qui précèdent le droit qu’ils déclarent pourtant vouloir appliquer en toute objectivité. Je ne suis pas persuadé, pour n’évoquer que lui, que Christophe Chantepy, président de la section du contentieux du conseil d’État, soit délesté de sa sensibilité de gauche quand il s’efforce de n’être irrigué que par l’abstraction du droit administratif…
Je pourrais généraliser cette perception en considérant que le droit pur n’existe pas. Les hommages conventionnels rendus à un État de droit nécessairement fixe, dépendent d’abord des pratiques inspirées par l’humus des citoyens que ces juristes sont en amont.
Aussi, lorsqu’ils viennent, unanimes, s’étonner du fait que beaucoup, citoyens, juristes avertis parfois, analystes, intellectuels plus ou moins engagés osent s’en prendre à certaines de leurs décisions, contester tel ou tel de leurs arrêts, ils devraient plutôt prendre acte de cette hostilité souvent argumentée, se pencher sur leur manière d’appréhender le droit au sein d’une société évolutive, confrontée partout à des défis, des dangers, des désordres chaque jour plus imprévisibles. Et se remettre en question.
Il ne paraît pas iconoclaste d’aspirer à un État de droit qui, tout en conservant son socle fondamental composé de principes sans lesquels la sauvagerie remplacerait notre civilisation (par exemple, être jugé deux fois pour la même infraction ou être condamné alors qu’on est irresponsable pénalement), saurait prendre la mesure des métamorphoses qui pour le meilleur ou pour le pire imposent sinon un autre droit du moins une approche moins théorique.
Pourquoi ne pas accepter cette évidence que le droit devient une richesse morte s’il n’intègre pas l’utilité sociale, les impératifs du bon sens et, plus globalement, ce qu’il doit y avoir d’intelligemment politique dans toute décision judiciaire quand elle a pour mission de clôturer un débat d’importance ?
Je ne doute pas que certains seront totalement accordés à ce que ces juristes de la Cour de cassation, du conseil d’État et de la CEDH énoncent pour défendre leur conception de l’État de droit qui est d’ailleurs si peu discutée que ce sont les politiques, pourtant dans leur rôle, qui se voient critiqués quand ils émettent des réserves !
Tout ce qu’on est en droit d’exiger est qu’on veuille bien admettre qu’entre l’État de droit et l’État brutal, il y a l’impératif de se soucier de l’état de la France. Cette prise en compte serait sans rapport avec une quelconque brutalité et déconnectée heureusement de l’orthodoxie inaltérable, parfois impuissante, quelquefois provocatrice, d’un État de droit enfermé sur lui-même.
On n’a pas besoin d’hypertrophier les mérites de l’État de droit comme le font ces juristes professionnels, pour être plausible dans l’affirmation d’une volonté tenant ensemble un État de droit pour aujourd’hui et l’état de la France d’aujourd’hui.
Les vedettes du cinéma Jean Dujardin, Gilles Lellouche, Pio Marmaï et Jean-Paul Rouve se sont soumis aux questions de l’inquisitrice MeToo cette semaine, à l’Assemblée nationale.
Au nombre des nostalgies de la gauche française actuelle il y a indéniablement l’Inquisition. L’Inquisition avec ses méthodes, sa pompe, ses œuvres. En l’occurrence, l’affaire a pour cadre « la commission d’enquête parlementaire relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité ».
Qui de mieux pour présider une telle commission que Mme Sandrine Rousseau, grande prêtresse de la croisade MeToo, pourfendeuse ardente de la masculinité et du patriarcat réunis ? Elle a trouvé là un rôle à sa mesure. Juchée à la tribune en dominatrice toisant son monde, elle rayonne, darde ses questions comme on darde les flèches destinées à l’hérétique. On l’imaginerait assez aisément chaussée de cuissarde de cuir noir, sanglée dans un bustier du même métal, avec, posés à portée d’une main un exemplaire très fatigué à force d’usage du Wokisme pour les Nuls, et de l’autre main le fouet de la repentance.
Dominique Besnehard se lève et se casse
Donc, il s’agit de traquer dans l’univers des activités chic et choc évoquées ci-dessus les signes, les traces de manifestations telles que plaisanteries salaces, œillades malsaines, main au popotin, etc. Bien sûr, ces élans hors consentement sont inadmissibles, réprimandables, voire condamnables. Cependant, il y a la loi et les tribunaux – les vrais – pour ce faire. Fallait-il impérativement aller jusqu’à instituer une commission d’enquête parlementaire ? Etait-ce une impérieuse demande de l’électeur au moment où, lors des législatives, il glissait son bulletin dans l’urne ? Poser la question en ces termes dispense évidemment de formuler la réponse.
Toujours est-il que cette commission a lieu et que – on pardonnera cette facilité – Madame la présidente semble y prendre son pied. Me permettrai-je une suggestion : afin de perpétuer son bonheur, ne pourrait-elle enchaîner avec une commission du même tonneau, dédiée cette fois à son petit monde à elle, à la vie parlementaire, une commission explorant et exhumant les pratiques ayant cours dans ce domaine à l’Assemblée, au Sénat dont il ne semble pas que l’allusion graveleuse et le geste leste en aient été totalement expurgés. Du moins si l’on s’en remet aux rumeurs de couloir de ces estimables institutions.
Cela dit, le casting du petit tribunal de Dame Sandrine a de quoi affrioler les gazettes. Noms connus, vedettes populaires, stars adulées. Or, parfois, cela ne tourne pas aussi bien que la présidente l’espère. Ainsi la révolte, récemment, d’un homme du sérail de grande réputation, Dominique Besnehard qui, réalisant en cours d’audience qu’il se trouvait là non pas seulement pour apporter des éléments de connaissance, mais bel et bien pour passer en jugement, s’est cabré, offusqué : « Si c’est pour me juger, je me taille ! »
Le festival de cucks
Cependant, d’autres personnalités du milieu ont bien voulu se soumettre, acceptant comparaître de leur plein gré devant le tribunal de Dame Sandrine. Un peu comme on va à Canossa, voyez-vous. Le tribut de la bonne conscience.
Jean Dujardin – qui en la circonstance aurait peut-être dû se souvenir que c’est dans un rôle muet qu’il fut à son meilleur – Gilles Lellouche, Pio Marmaï et Jean-Paul Rouve sont de la distribution. Là, on masque l’effet inquisition en qualifiant l’audition de « table ronde ». Tenue à huis clos, en outre. Cela dit, ils n’ont pas vu ni entendu grand-chose, les quatre comparaissants. « Des plaisanteries qui ont été mal comprises », des comportements un peu « lourds ». Bref, des scories relevant « de vieux réflexes d’un autre monde ». Le monde d’avant Dame Sandrine, on l’aura compris. Il n’est pas exclu qu’eux-mêmes, dans un temps plus ou moins reculé, aient pu avoir eu à essuyer quelques désagréments dans ce registre. Mais désormais on veille au grain. Jean Dujardin, par exemple, n’omet pas de poser au metteur en scène avec qui il s’apprête à tourner la question qui tue : « Est-ce que t’es un connard ? » Apparemment, aucun n’a répondu par l’affirmative, ce que l’enquête parlementaire n’aurait pas manqué, naturellement, de nous révéler.
Néanmoins, on retiendra que les quatre mousquetaires MeToo compatibles ont pris soin de livrer quelques recommandations : que les règles selon le catéchisme de Dame Sandrine soient lues « à haute voix » (sic) en début de tournage ; que les référents VHSS (violences et harcèlement sexistes et sexuels) chargés du flicage en ces matières sur les plateaux et lieux de tournage soient indépendants de la production ; qu’un meilleur encadrement des fêtes de tournage soit prévu. Et – mesure cette fois de vrai bon sens – que les scènes de sexe soient très précisément décrites, scénarisées, fixées avant leur exécution afin d’éviter tout dérapage, toute mauvaise surprise. Cela est bel et bon. Pour autant était-il absolument indispensable d’en passer par l’Assemblée nationale pour cela ? On en doute. Mais jusqu’où n’irions-nous pas pour que Dame Sandrine, se sentant enfin utile, rayonne de bonheur ?
Le samedi 22 mars aura lieu, à Paris et dans d’autres villes françaises, une grande manifestation contre la montée du « fascisme ». Cet événement, organisé par la gauche et l’extrême-gauche, est en réalité un festival de sexisme, de racisme et de déni de démocratie. Ses organisateurs veulent protester contre l’interdiction du port du voile dans le sport. Or, le voile est un instrument d’oppression des femmes. Ils veulent mobiliser les « quartiers populaires ». Or, il s’agit des quartiers où résident une majorité de personnes issues de l’immigration, l’immigré étant le nouveau héros mis en avant par la gauche, à la place du prolétaire blanc. Les organisateurs sont ceux qui prétendent avoir gagné les dernières élections législatives. Or, il n’en est rien.
Ces mêmes « antifascistes » sont ceux qui promeuvent une forme d’antisémitisme sous couvert d’anti-sionisme. En réalité, la société israélienne est très ouverte et diversifiée. Ce qui peut étonner le visiteur occidental, au premier abord, c’est combien différentes communautés – druzes, chrétiens maronites, bédouins… – sont solidaires du pays qu’elles habitent et de l’Etat qui les protège. Et combien elles sont prêtes à se battre pour défendre cet Etat et la liberté qu’il leur garantit. Nos sociétés occidentales sont certes diversifiées, mais pouvons-nous dire qu’elles se caractérisent par une pareille solidarité?
Dans son brillant essai, Philippe Raynaud démontre comment Victor Hugo a tiré des bords politiques pour se placer, comme en littérature, toujours à l’avant-garde, faisant rimer libéralisme et romantisme.
Il n’était pas indifférent à Victor Hugo d’être moderne, au mépris de principes politiques. D’abord le jeune homme est royaliste, poète ultra. Songez à ses Odes de 1822 où il chante la Contre-Révolution, grandeurs et misères. Plus tôt encore, et pour un temps, le royalisme hugolien fut voltairien – il le devait, sans doute, à sa mère, Sophie Trébuchet –, avant de devenir ensemble catholique et romantique. Dans la préface de la première édition des Odes, le poète écrit que « l’histoire des hommes ne présente de poésie que jugée du haut des idées monarchiques et des croyances religieuses ». C’est le moment des querelles entre « classiques » et « romantiques », qui fragmentent les royalistes. Pour Hugo, cependant, la mythologie antique est morte et n’inspirera plus les poètes modernes. Ceux de la tradition sont dépassés, obsolètes. Si bien qu’en 1824, dans la préface aux Nouvelles Odes, c’est sur les écrivains du Grand Siècle qu’il fait porter la responsabilité des événements des Lumières et, partant, de la Révolution. Au cœur même de sa période royaliste, nous explique le philosophe des idées politiques Philippe Raynaud, « Hugo donne comme tâche à la Restauration – littéraire et politique – de réconcilier la religion, la liberté et la poésie moderne pour faire naître une société nouvelle qui n’est pas celle de l’Ancien Régime. » Qu’est-ce que la liberté politique ? Le libéralisme. Et la liberté de l’art ? Le romantisme.
Hugo ou la « gnose progressiste »
Le remarquable essai de Philippe Raynaud vise les contingences de l’esprit français, de l’imaginaire national, et l’influence du monument Hugo. En somme, « aucun poète, aucun écrivain n’a autant contribué à faire la France ». Bon, le royalisme de l’auteur des Odes, on l’a compris, était superficiel. Au moment de la bataille d’Hernani, la voie du poète est tracée : il affirme « l’unité indissoluble entre le mouvement romantique et la cause du progrès politique ». L’avant-garde littéraire et l’avant-garde politique vont marcher d’un seul pas, la modernité est à ce prix ! Nommé pair de France en 1845, Hugo est alors à l’aile gauche de l’orléanisme : cap sur l’héritage de la Révolution. En 1848, devenu l’incarnation du grand écrivain national, il parvient à concilier ses inclinations progressistes et sa proximité avec Louis-Philippe : tour de force. Après le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, le 2 décembre 1851, l’auteur de La Légende des siècles choisit l’exil : son autorité morale et républicaine est incontestable. Sa philosophie politique est définitive : « libérale, démocratique, humanitaire et sociale ».
Doit-on à Hugo l’optimisme béat d’une religion humanitaire ? C’est ce qu’a longtemps pensé la droite. D’un autre bord, l’humanisme hugolien « a fini par l’emporter sur la logique du marxisme » : les communistes, sans doute, n’avaient pas remarqué que le poète fustigeait l’athéisme militant comme « le socialisme de caserne ». Quoi qu’il en soit, la « gnose progressiste » du Père Hugo infusa considérablement. C’est tout l’intérêt de ce livre de nous le montrer.
Philippe Raynaud, Victor Hugo : la révolution romantique de la liberté, Gallimard, 2024.
La presse de gauche s’est réjouie ces derniers jours de la censure du livre Face à l’obscurantisme woke. C’est inquiétant, mais il reste une raison d’espérer, observe notre chroniqueur.
Patrick Boucheron, Grand Inquisiteur au Collège de France, a encore frappé. Son pouvoir de nuisance n’est pas une vue de l’esprit, comme ont pu s’en apercevoir les auteurs de l’ouvrage collectif Face à l’obscurantisme woke. Après que cet apparatchik universitaire a craché sa bile en vilipendant « les entrepreneurs d’approximations et d’inexactitudes qui disent que ce qui nous menace aujourd’hui, c’est l’islamo-gauchisme et le wokisme », et en désignant les Presses Universitaires de France, où cet essai devait paraître, à la vindicte médiatique, Paul Garapon, le directeur de cette maison d’éditions, a lâchement décidé de suspendre la publication dudit essai. Bras droit de la censure, le journal Libération annonçait la nouvelle avant même que les auteurs ne soient mis au courant : « Les PUF suspendent la parution d’un livre anti-woke aux obsessions trumpistes. » Curieusement, Simon Blin, journaliste à Libé, ne voit aucun paradoxe dans le fait de défendre en même temps la liberté académique aux États-Unis et la censure d’un essai écrit par des universitaires en France. Il n’a pas pu lire cet essai qui n’a pas été imprimé, mais… il a vu « sa quatrième de couverture inquiétante tout en rouge et noir sur Internet ». De plus, il a appris que « la chercheuse proche de l’extrême droite Florence Bergeaud-Blacker (sic) » a contribué à cet ouvrage dont la thèse, « à l’origine très contestable (resic) », s’avère finalement « éloignée de la réalité (et sic de der) ». Par conséquent, cela va de soi, en tout cas pour Libé, « il semblait pour le moins malencontreux de maintenir la publication de Face à l’obscurantisme woke. » Même son de cloche au Nouvel Obs : « À deux doigts de se trumpiser en publiant un pamphlet anti-woke, les éditions PUF rétropédalent », titre l’hebdomadaire qui confirme par ailleurs l’influence pernicieuse de Patrick Boucheron dans cette affaire. Bref, tout ce petit monde de gauche se réjouit de la censure d’un livre que personne n’a lu mais dont la possible parution a provoqué l’ire d’un professeur au Collège de France connu surtout pour ses méthodes de barbouze.
La démographe Michèle Tribalat a expliqué récemment dans ces colonnes pour quelle raison sa contribution à Face à l’obscurantisme woke a été écartée par les co-directeurs de l’ouvrage, Pierre Vermeren, Xavier-Laurent Salvador et Emmanuelle Hénin. Ces derniers n’ont pas eu le choix. Il y a quelques semaines, la direction des PUF leur aurait expressément demandé, par crainte de représailles, de supprimer l’article dans lequel elle démontre l’imposture scientifique de François Héran, professeur au Collège de France et démographe attitré de la gauche immigrationniste. Quelques semaines plus tard, sous l’impulsion de Patrick Boucheron cette fois, les PUF ont donc carrément annulé la parution de l’ouvrage en question. Le Collège de France est devenu un repaire de maîtres censeurs et de commissaires politiques. Quant à la direction des PUF, la probité et le courage ne semblent pas être ses qualités premières. Il aura suffi de quelques cris de fausse indignation, d’une mascarade de « résistance au trumpisme ambiant », d’une pantalonnade hystérique, pour qu’elle se couche, apeurée, aux guêtres de vieilles rosses qui se soucient surtout de défendre leurs privilèges et de consolider leurs positions au sein du mandarinat universitaire, du milieu éditorial ou d’établissements institutionnels (en plus d’avoir leurs ronds de serviette dans les médias publics, Patrick Boucheron dirige la collection “Univers historique” des éditions du Seuil et François Héran préside le conseil d’orientation du Musée de l’histoire de l’immigration).
Apathie intellectuelle, duplicité dogmatique des journalistes, militantisme des universitaires de gauche, abdication, lâcheté ou complicité intéressée de professeurs et d’institutions ayant oublié leur vocation première, à savoir la libre propagation des idées et des opinions, telles sont les tares qui nécrosent les lieux de savoir et d’information dans notre pays. Au contraire de ce que voudrait nous faire croire M. Glucksmann, la France, qui a su la statufier, ne porte pas la liberté dans son cœur – et l’interdiction d’un livre par une grande maison d’éditions sous la pression d’idéologues universitaires n’est que la partie visible d’une restriction de la liberté qui s’étend jour après jour dans ce pays concepteur de lois au service d’une censure institutionnelle. La liberté d’expression est régulièrement bafouée. Cela est vérifiable un peu partout, mais surtout dans les médias publics qui ne cachent plus leur intransigeance et leur absence de pluralisme. L’emblématique radio France Inter ne s’embarrasse pas de subtilités – le pouvoir n’a même plus besoin de donner ses ordres, comme au temps de l’ORTF, certain qu’il est d’avoir dans la place des journalistes à sa botte, imprégnés des mêmes idéologies européo-mondialistes, immigrationnistes et diversitaires, et aussi déconnectés que lui du peuple français. Quant à la presse mainstream, elle est majoritairement écrite par des journalistes sortant des mêmes moules gauchisants, des mêmes écoles de journalisme noyautées par les mêmes idéologies. Globalement, nos médias divulguent les mêmes informations, orientées dans le même sens, au service des mêmes élites vivant entre elles. L’émergence de médias dissidents – ne représentant pas le dixième de l’offre médiatique mais connaissant un succès grandissant – exaspère un milieu médiatico-politique persistant à se tenir à distance d’une réalité qui contredit systématiquement ses dogmes. Les quelques modestes brèches ouvertes dans la citadelle de la pensée unique affolent et terrifient des journalistes décidés à défendre bec et ongles leur pré carré – et de fait, ce sont eux qui font encore la loi en distribuant les bons et les mauvais points, en prononçant les anathèmes, en dressant la liste des hommes et des livres à mettre à l’index et en infligeant au public un flot ininterrompu d’informations politiquement orientées, bidouillées, voire carrément mensongères, comme on peut le constater actuellement sur des sujets abordant l’immigration (La Gaité Lyrique) ou le racisme anti-Blanc (Crépol).
La France, où la gauche et l’extrême gauche continuent de régner dans les universités et dans les médias, sera vraisemblablement le dernier bastion du wokisme. Les agissements actuels d’universitaires indéboulonnables, ceux des étudiants abrutis par la religion woke (Braunstein) et promis à un bel avenir parasitaire au sein de l’université, des médias ou du monde dit de la culture, préludent le prolongement d’une longue période d’assèchement intellectuel et d’intolérance idéologique. MM. Boucheron et Héran, mélange grossier et caricatural de rigidité robespierriste et de hargne hébertiste, sont considérés par la gauche intellectuelle comme des héros révolutionnaires. Comme leurs illustres prédécesseurs, ces agitateurs de salon disent agir au nom de la raison, de la science et de la liberté. Ils ne ménagent pourtant pas leurs efforts pour les fouler aux pieds. Ils ne sont pas les seuls. Tout ce qui constitue et forme les élites de notre pays – écoles, universités, médias, institutions publiques, juridiques ou politiques – est majoritairement entre les mains d’une gauche progressiste et intransigeante, fanatiquement woke, aux antipodes de la rationalité, de la science, de la liberté et de valeurs morales qu’elle ne cesse de louer mais qu’en réalité elle méprise.
Démocratie, liberté d’expression, pluralité des opinions, autant de syntagmes qui sonnent creux. les Français qui font l’effort d’écouter, ne serait-ce que de temps à autre, la radio et la télévision publiques, ou qui lisent, même occasionnellement, la presse mainstream, ne peuvent que constater un état de fait évident : ces médias sont au service d’un système politique dirigé par une oligarchie européo-mondialiste, post-nationale et post-démocratique. Il est normal que MM. Boucheron et Héran aient table ouverte dans ces antres de l’information formatée et officielle. Le système établi ne saurait se passer de ces argousins universitaires toujours disponibles pour les basses-œuvres politiques. Réjouissons-nous toutefois du dénouement de cette écœurante affaire de censure: sur CNews, dans l’émission Face à Bock-Côté, après avoir appelé de ses vœux une réaction de ses collègues universitaires et des étudiants face à l’obscurantisme, aux fausses sciences et à la censure qui se propagent dans les universités, Emmanuelle Hénin, co-directrice de Face à l’obscurantisme woke, a annoncé que l’essai tant redouté par Boucheron et sa clique allait paraître au mois de mai dans une autre maison d’éditions que les PUF qui se sont couvertes de honte en se soumettant aux diktats des matons de la pensée. L’effet Streisand jouant à plein, Face à l’obscurantisme woke va vraisemblablement être un succès de librairie. Merci qui ? Merci Patrick Boucheron…
Le spectacle « Four New Works » de la Lucinda Childs Dance Company mêle minimalisme et abstraction à travers quatre chorégraphies, sur des musiques de Bach ou Philip Glass. Dernières vendredi et samedi, au Théâtre de Chaillot.
La danseuse américaine Lucinda Childs. Photo: Cameron Wittig
La danseuse et chorégraphe Lucinda Childs remonte sur la scène de Chaillot avec sa troupe, la Lucinda Childs Dance Company, pour un spectacle en quatre parties, quatre oeuvres dont certaines ont été créées il y a plusieurs décennies.
C’est un plongeon dans l’histoire de la post modern dance qu’offre la chorégraphe américaine Lucinda Childs. Avec Géranium 64, une pièce qu’elle créa en 1965 (elle avait alors 25 ans) au Judson Dance Theater, nid mythique de la modernité new-yorkaise. Elle qui portait alors des paniers à salade ou des bigoudis démesurés sur la tête durant ses performances, revient aujourd’hui à une production de sa folle jeunesse.
Verklärte Nacht
Sur un grand panneau blanc ennuagé de formes indistinctes où se dessinent très vaguement des silhouettes de brutes yankees pratiquant le football américain, Lucinda Childs apparaît sur la scène côté jardin dans une combinaison verdâtre de travailleur. On entend, mais comme emportés par le vent, de brefs fragments de Verklärte Nacht (La Nuit transfigurée) d’Arnold Schönberg, bientôt supplantés par les beuglements d’un commentateur sportif.
Rattachée par la main à une sangle grâce à laquelle elle se maintient inclinée, la chorégraphe-interprète s’extirpe lentement de la coulisse en mettant un temps infini à parvenir en milieu de plateau. Tout comme lorsqu’elle traversait la scène dans Einstein on the Beach de Bob Wilson, en suspendant indéfiniment le temps.
Silhouette impeccable
60 ans plus tard, la silhouette toujours impeccable de celle qui fut une sublime danseuse force l’admiration. Même si ses cheveux blanchis la rendent un peu transparente. Hélas, cette performance, alors iconoclaste sans doute, a bien vieilli. Elle s’étire pour s’achever sur une résolution décevante qui ne légitime pas le temps passé à l’attendre. Les applaudissements très tièdes du public trahissent la déception de revoir l’une des plus magnifiques figures de la danse dans une pièce apparaissant aujourd’hui si chétive.
Actus, chorégraphie accompagnée par le duo de pianistes Norie Takahashi et Björn Lehmann, s’aligne sur la cantate BWV 106 de Jean-Sébastien Bach. S’aligne, car les deux interprètes suivent deux trajectoires linéaires avec une gestuelle aussi sobre que belle. Actus pourrait être une étude académique conçue par un maître de ballet, très formelle et forcément ennuyeuse. Mais la magie de l’écriture de Lucinda Childs, les imperceptibles variations qu’elle lui imprime en font une chorégraphie d’une beauté parfaite, d’un élégantissime dépouillement. On craint presque que des préjugés favorables nés des chefs d’œuvre de Lucinda Childs, comme Dance qui a pris place parmi les œuvres les plus emblématiques du XXe siècle, que des préjugés favorables faussent le jugement. Mais non ! Dans sa noble simplicité, dans son élégance absolue, Actus est réellement un petit joyau.
Pour les yeux, si cruelles
Les tenues des interprètes sont dessinées par le clothing maker Nile Baker. Et sauf dans Actus où les robes blanches des danseuses sont parfaites, elles sont d’une laideur insigne. On admire cette propension chez ces créateurs américains à se vautrer dans les teintes fadasses, dans les formes improbables et vieillies. Comme si la beauté était un péché. Comme si les chorégraphes de leur côté tenaient à prouver que leurs réalisations sont assez solides pour surmonter cette épreuve, pour les yeux si cruelle.
Distant Figure, le dernier des quatre ouvrages de la chorégraphe présenté après le sextuor pour danseurs Timeline, est du pur Lucinda Childs. Rien de neuf assurément, mais toujours cette élégance épurée qui est la marque de l’Américaine, à laquelle toutefois manque une scène infiniment plus vaste que celle de la Salle Gémier. Afin que la danse respire largement.
Cette sobriété gestuelle, toutefois si complexe à exécuter, est ici cravachée par une pièce pour piano très tonique de Phil Glass, courant comme un ruisseau, exécutée par Anton Batagov. Les notes en staccato perlent comme autant de gouttes d’eau glacée sur lesquelles les danseurs tournoient jusqu’à l’ivresse ou fuient sur des trajectoires propres à chacun d’entre eux. Rien de neuf, mais une qualité d’écriture incorruptible, un style immortalisé par Dance. La chorégraphie de Lucinda Childs y est également transportée par la partition de Phil Glass, laquelle, en retour est immortalisée par une chorégraphie qui la magnifiera éternellement.
Lucinda Childs Dance Company. Four New Works.
Jusqu’au 22 mars. Théâtre national de Chaillot. 45 €.
Les Français jalousent la réussite des uns, convoitent la fortune des autres et dénoncent les petits privilèges qui leur échappent. Ces envieux n’attribuent pas le succès au mérite mais à la chance, voire à l’injustice du système social. Ce qui légitime la haine des riches.
Pourquoi cette animosité envers les riches?
Les Français ont-ils une mauvaise opinion des riches ? Une succession régulière de sondages et d’interventions d’experts dans les médias vont dans ce sens. Et dans l’opinion publique française cette hostilité envers les plus aisés s’accompagne d’une réticence à l’égard de l’économie de marché. Une comparaison est souvent faite avec les « Anglo-Saxons » qui, en adorateurs de Mammon, prôneraient un libéralisme « sauvage » et feraient passer les profits avant les principes moraux. Pour expliquer la pudeur des Français à l’égard de la richesse, on cite l’influence catholique dont la France – aujourd’hui pays laïque – serait encore imprégnée. L’explication est étayée par quelque citation de saint Thomas d’Aquin contre la pratique de l’usure ou une référence à L’Éthique protestante et l’Esprit du capitalisme de Max Weber. Mais cette œuvre a fait l’objet des critiques, entre autres, de Fernand Braudel. Car le capitalisme a commencé en Italie, pays catholique, et dès avant la Réforme. Et si la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, protestants, ont lancé une nouvelle phase de capitalisme commercial, la France catholique n’a pas tardé à les imiter. Mais avant d’aborder d’éventuelles explications, il faut poser deux questions. D’abord, la France est-elle plus « antiriche » en moyenne que d’autres pays ? Après tout, un certain ressentiment contre plus fortuné que soi existe partout. Ensuite, l’animosité des Français par rapport aux riches est-elle inspirée par la haute moralité ou par une basse émotion, à savoir l’envie ? Car selon la définition de d’Alembert : « On est jaloux de ce qu’on possède et envieux de ce que possèdent les autres. »
Or, les travaux du chercheur indépendant allemand Rainer Zitelmann confirment que, plus que d’autres peuples, les Français conspuent le capitalisme et envient les riches. Zitelmann fonde ses analyses sur 48 sondages internationaux qu’il a commandés entre 2018 et 2023. Une première étude portant sur les attitudes envers le capitalisme dans 34 pays, place la France en sixième position du palmarès de l’esprit anticapitaliste. Le pays le plus procapitaliste est la Pologne, malgré le rôle important qu’y joue le catholicisme. Une autre étude, de 2024, se focalise sur les perceptions populaires des riches dans 13 pays : France, Allemagne, Italie, Espagne, Suède, Pologne, Grande-Bretagne, Chine, Japon, Corée du Sud, Vietnam, Chili et les États-Unis. À partir de questionnaires détaillés et d’une définition précise de « riche », Zitelmann crée pour chaque pays un « coefficient de traits de personnalité des riches ». En termes de vices et de vertus, les fortunés sont perçus le plus positivement en Pologne et au Vietnam, le moins en Espagne. La France et le Royaume-Uni ont le même score et sont légèrement favorables aux riches. Mais c’est quand Zitelmann crée un « coefficient d’envie sociale » que la France se détache du lot. Elle arrive largement en tête des pays où l’on envie la réussite des autres, devant l’Allemagne et la Chine. Les pays les moins envieux sont la Pologne – encore ! – et le Japon. Quand Zitelmann combine les deux coefficients pour créer un indice général, ce sont encore les Français qui portent les riches le moins dans leur cœur.
À qui la faute ?
Comment expliquer que les Français soient les champions de l’envie ? On pourrait accuser les inégalités, mais ces dernières ne sont pas très marquées en France, dont le coefficient de Gini, qui les mesure, est légèrement en dessous de la moyenne de l’UE. C’est que l’envie n’est pas nécessairement corrélée aux disparités économiques. Un homme peut bien envier un voisin qui ne jouit que de quelques privilèges modestes. L’important, c’est que ces privilèges semblent immérités. Car l’envie est une affaire de comparaison et de mérite. Dans son Discours célèbre surl’inégalité, Rousseau explique la naissance de l’envie – et de la honte – par la vie en société qui fait ressortir les différences de talents entre les individus. La honte empêche les envieux, dont le ressentiment couve secrètement dans leur cœur, de révéler publiquement ce qu’ils ressentent, car ce serait admettre leur infériorité. L’envieux justifie l’hostilité qu’il ressent à l’égard de ceux qui ont réussi en attribuant leur succès à la chance, à l’injustice du système social ou à la tricherie. Comme le dit un personnage de Corneille, « jamais un envieux ne pardonne au mérite ». Or, le libéralisme implique la concurrence, et la concurrence implique des gagnants et des perdants, donc des comparaisons. Si les vraies raisons de la réussite des entrepreneurs et des cadres d’entreprise échappent à beaucoup de Français, c’est parce que le secteur public est si vaste en France, qu’il fausse totalement la donne. Il représente 21 % des travailleurs actifs, contre 11 % en Allemagne ou 15 % aux États-Unis. Les fonctionnaires ne connaissent donc pas bien le secteur privé, se méfient de son succès et veulent en être protégés.
C’est ici que les rôles de la Révolution et du marxisme dans l’histoire de France sont pertinents. La première montre comment une nouvelle classe dirigeante peut exploiter la haine des riches pour asseoir son pouvoir politique, exemple suivi par tous les autres révolutionnaires. En 1917, Lénine décrivait les riches comme faisant partie de « la vermine » dont il fallait « purger » la Russie. L’envie constitue un levier puissant, car en la réveillant on peut désigner des boucs émissaires. La gauche française n’hésite pas à y avoir recours, de François Hollande qui déclare « je n’aime pas les riches » à Marine Tondelier qui exige « une France sans milliardaires », qualifiés de « vampires ». L’envie est plus souvent une force de destruction qu’une source de motivation positive. Dans son étude de 1966 sur L’Envie, le sociologue Helmut Schoeck fait remarquer que, devant les biens acquis par l’Autre, l’envieux « est presque plus désireux de les détruire que de les acquérir ». La redistribution des richesses que la gauche veut amplifier est autant une façon de punir les riches que de compenser les pauvres. L’envieux préfère même saboter le système économique que relever le défi de la concurrence loyale avec l’autre. Si nous voulons être moins pauvres, arrêtons d’en vouloir à ceux qui ont mieux réussi que nous.
Chaque mois, le vice-président de l’Institut des libertés décode l’actualité économique. Et le compte n’y est pas.
L’euro n’a pas du tout été une réussite pour la France, malgré tout ce que Jean-Claude Trichet, l’ex-président de la Banque centrale européenne (2003-2011) nous a raconté à longueur d’interviews. Il suffit pour s’en convaincre de regarder le cas de la Suède. En 1993, ce pays a refusé par référendum d’adopter la monnaie unique européenne. Bien lui a pris. Avant cette date, les productions industrielles française et suédoise suivaient une courbe parallèle. Depuis, notre pays a connu une vague ininterrompue de délocalisations, tandis que la Suède est restée une nation manufacturière et a diminué de 50 % son endettement public, avec des comptes courants excédentaires et un budget en équilibre.
La verrerie d’Arc a englouti 250 millions d’euros d’argent public depuis dix ans. En décembre 2014, Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, annonçait un accord pour sauver 90 % des 10 520 emplois de l’entreprise. Tout le monde savait qu’il était suicidaire de maintenir de tels effectifs et qu’il valait mieux investir dans de nouveaux fours afin de fabriquer des produits à plus forte valeur ajoutée. Dix ans après, les pouvoirs publics tirent les conséquences de cette décision stupide. Ils viennent d’abandonner 20 % de la créance d’État sur la verrerie et de consentir un nouveau prêt de 30 millions d’euros par l’intermédiaire du Fonds de développement économique et social. Une réindustrialisation de la France qui fonctionne sur ce modèle ne risque pas d’aller très loin…
La société Ynsect a levé, depuis sa création en 2011, plus de 500 millions d’euros pour fabriquer des protéines grâce à des élevages de molitors, ces petits coléoptères communément appelés « vers de farine ». Emmanuel Macron a souvent cité en exemple cette entreprise, basée à Évry, pour vanter notre « souveraineté protéique ». Sans surprise, l’idée de nourrir les humains avec des insectes n’a pas rencontré le succès escompté. La société vient d’être placée en redressement judiciaire.
L’outil de déclaration fiscale « Gérer mes biens immobiliers » (GMBI), mis au point par le ministère des Finances, s’avère être un échec à plus d’un milliard d’euros. Depuis son lancement en 2023, 24 millions de propriétaires fonciers français ont été appelés à remplir leur formulaire GMBI en ligne. Malheureusement, le logiciel n’était pas au point. Il a fallu recourir massivement à des prestataires externes pour réparer les nombreux bugs. Montant de la facture : 56,4 millions d’euros. Mais ce n’est pas tout. Les erreurs de calcul et les retards causés par ce fiasco technique ont obligé l’État à procéder à des dégrèvements et des remboursements d’un montant de 1,3 milliard d’euros. Un grand bravo aux responsables de ce projet !
Taxer les propriétaires de résidence principale sur la base d’un loyer fictif, voilà l’une des nombreuses idées de génie avancées par le président de la commission des finances à l’Assemblée nationale, Éric Cocquerel. « Le fait d’être logé gratuitement par soi-même », constitue « un loyer imputé », ose-t-il affirmer. Autre proposition absurde du député insoumis : augmenter l’IS (impôt sur les sociétés) de quatre points. Ce qui serait une catastrophe. D’abord parce que, même s’il a été baissé de 33 % à 25 %, notre taux actuel d’IS reste supérieur à la moyenne européenne (22 %). Ensuite parce qu’une surtaxe n’est jamais exceptionnelle en France. Par exemple, la CEHR (contribution exceptionnelle sur les hauts revenus), qui devait être appliquée au cours de la seule année fiscale 2011, est toujours en vigueur aujourd’hui. Et la CRDS (contribution pour le remboursement de la dette sociale), censée disparaître en 2024, vient d’être prolongée jusqu’en 2033.
Au catalogue des mesures dévastatrices dont rêve la gauche, n’oublions pas non plus la hausse de trois points sur la flat tax. En d’autres termes : faire passer de 30 % à 33 % le taux de prélèvement forfaitaire sur les revenus du capital. Une ineptie ! Pour mémoire, la flat tax a été instaurée il y a sept ans pour contrer les effets très négatifs de la fiscalité du capital précédemment en vigueur sous François Hollande. La taxation « au barème » telle que le président socialiste l’avait promue, avait provoqué une chute des dividendes en France et donc des recettes fiscales. Les actionnaires faisaient le gros dos en attendant des jours meilleurs. Quelle ne fut pas la surprise des observateurs lorsqu’ils virent, à partir de 2017, la flat tax rapporter deux fois plus que le système antérieur ! À noter que la plupart des soi-disant experts qui interviennent sur ce sujet ne savent pas qu’il existe déjà une « surtaxe sur la flat tax ». Le taux est majoré de trois points pour ceux qui déclarent plus de 250 000 euros de revenus annuels, et de quatre points pour plus de 500 000 euros. La fameuse contribution exceptionnelle sur les hauts revenus.
L’impayable « Insoumise » se livre à un exercice d’équilibriste douteux dans Libération ce matin, et démontre une nouvelle fois que son parti pratique une géométrie variable des indignations. Petite plongée au cœur d’un argumentaire qui défie toute logique !
Mathilde Panot, cheffe des députés insoumis à l’Assemblée nationale, a livré ses vérités au quotidien Libération avant la marche contre les idées d’extrême droite prévue ce samedi 22 mars[1]. Cet entretien lunaire laisse à se demander s’il relève davantage d’un étalage de mauvaise foi que d’une interview politique. Ainsi, Mathilde Panot s’attache-t-elle à « balayer les accusations d’antisémitisme » en rejetant la faute sur l’extrême droite, coupable de tous les maux, et sur tous ces observateurs politiques à la mémoire vacillante.
On passe à autre chose
S’il y a bien une chose que Madame Panot a comprise, c’est que la meilleure défense reste l’attaque. La polémique sur les affiches ignobles de LFI, qui reprenaient les codes antisémites des années 1930 pour caricaturer Cyril Hanouna ? Elle serait, selon elle, uniquement due au fait que « les médias ont relayé la propagande d’extrême droite ». Il fallait oser. D’ailleurs, à l’en croire, cette affiche ne serait que le fruit du hasard, car générée par une intelligence artificielle. La prochaine fois, on fera donc plus attention… au cas où l’IA serait elle aussi d’extrême droite.
Mais qu’on se rassure, Mathilde Panot dénonce toute forme de « chasse à l’homme ». Ce serait donc encore cette fourbe d’IA qui aurait choisi de coller les portraits de Cyril Hanouna ou Pascal Praud sur ces affiches ? « On passe à autre chose », intime-t-elle délicatement mais fermement. Ne la contrarions pas.
Un racisme peut en cacher un autre
Pour la députée du Val-de-Marne, la droite nationale « reste intrinsèquement antisémite et raciste », et le Rassemblement national cache « une dimension raciste intrinsèque » – les électeurs du RN d’origine étrangère apprécieront. Et si LFI se voit depuis quelques mois affublé d’une étiquette de parti antisémite, ce serait là encore à cause du RN, rien à voir avec le conflit israélo-palestinien.
L’absence de LFI à la marche contre l’antisémitisme ? Le parti ne souhaitait pas s’afficher aux côtés de personnalités « peu recommandables », dans une « manifestation qui appelait à combattre un racisme en diffusant un autre racisme ». Que ceux qui trouvent cet argument logique lèvent la main ! La journaliste à qui incombait la pénible tâche de retranscrire ces propos semble ne pas l’avoir fait, puisqu’elle a préféré relever la contradiction avec la participation de LFI à la marche contre l’islamophobie. Traduction : mieux vaut marcher aux côtés de manifestants qui soutiennent désormais les terroristes du Hamas qu’aux côtés de Jordan Bardella ou Marion Maréchal, qui luttent contre l’antisémitisme.
Mais qu’on se rassure encore : LFI est, selon Mathilde Panot, vent debout contre l’antisémitisme. « À quel moment n’a-t-on pas dénoncé un acte antisémite ? », s’insurge-t-elle. Les déclarations de sa collègue Danièle Obono, qui avait qualifié le Hamas de « mouvement de résistance », ou les propos de Thomas Portes affirmant que « les sportifs israéliens ne sont pas les bienvenus aux Jeux Olympiques de Paris », auraient-ils été oubliés ? Si certains qualifient LFI de parti antisémite, ce n’est donc, selon Panot, pas à cause des déclarations de ses membres, mais parce que l’extrême droite aurait besoin d’un bouc émissaire antisémite.
À la question de savoir si, comme Jean-Luc Mélenchon, elle considère l’antisémitisme comme « résiduel », Mathilde Panot prend le taureau par les cornes… et répond à côté : « Les femmes voilées sont attaquées matin, midi et soir à la télévision », et « le racisme pourrit la vie de ce pays ». Pas de réponse, donc. Les Juifs qui craignent LFI et votent pour le RN « se trompent », affirme-t-elle, ajoutant que si le RN progresse dans les sondages, c’est uniquement parce que « les bistrots dans les zones rurales ferment ».
Mathilde Panot envisage enfin un avenir radieux pour son parti, en s’appuyant sur ses sondages personnels au doigt mouillé : « Je ne crois pas » qu’il y ait beaucoup de sympathisants du RN parmi les abstentionnistes, déclare-t-elle. Elle s’appuie également sur des affirmations hasardeuses remettant en cause les fondements mêmes de la géométrie la plus élémentaire : « On est les seuls à avoir des programmes carrés. » Faisant le « pari de l’intelligence humaine », elle conclut que LFI est le seul parti à participer à toutes les mobilisations… sauf lorsqu’il s’agit de marcher contre l’antisémitisme, mais cela, je me répète. Vivement demain !
Il semble que le conclave sur la réforme des retraites ne va pas durer… Cette discussion, initiée par François Bayrou, avec pour volonté de discuter sans « tabou » de tous les sujets, n’a pas eu beaucoup d’effets, sinon le retrait progressif de la plupart des syndicats qui participaient aux discussions. Le récent refus du Premier ministre de revenir à un âge légal de départ à la retraite de 62 ans est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, provoquant l’indignation et la colère chez les négociateurs. Un conclave pour rien ? Et si c’était le but…
« Non ! » au retour à un âge de départ à la retraite à 62 ans. Entendre François Bayrou, père spirituel du « en même temps » et incarnation ultime de l’immobilisme politique, prononcer ce simple mot défiait tous les pronostics… De mémoire d’homme (et de femme), qui donc a souvenir d’avoir assisté à une prise de position aussi franche de la part de notre actuel Premier ministre – ou à une prise de position tout court ? Ce vocable choc a d’ailleurs été repris par tous les quotidiens de notre pays tout en se voyant auréolé de jolis guillemets, une rareté pour un seul mot, a fortiori composé d’une malheureuse syllabe. Cela cache forcément quelque chose : ce conclave ne serait-il pas, par le plus grand des hasards, une vaste fumisterie ?
Marylise Léon en a gros sur la patate
Que les âmes sensibles se rassurent, cette épreuve de force a été immédiatement suivie d’un exercice de rétropédalage plutôt maladroit en provenance de Matignon. Selon l’entourage du Premier ministre, il ne s’agirait que de son point de vue, le donner soulignant simplement « l’importance qu’il y a à faire vivre la démocratie sociale »… Ainsi, tout resterait possible, car ce sont bien les organisations syndicales et patronales qui gardent la main, toujours selon l’entourage du Premier ministre. Ce désormais fameux « Non ! » a suscité de toutes parts des commentaires très virulents. Certains y ont même vu la fin du conclave. Les oppositions et les syndicats se sont relayés pour évoquer tantôt un « scandale », tantôt des « propos incompréhensibles » voire même une preuve que l’on « ne peut pas faire confiance à François Bayrou » (Denis Gravouil, CGT). Jean-Luc Mélenchon, avec l’élégance qu’on lui connait bien, a quant à lui parlé d’un « foutage de gueule ».
Soyons sérieux : qui avait imaginé un seul instant qu’un retour sur l’âge de départ à la retraite avait la moindre chance d’aboutir ? Absolument personne, sauf la CGT qui a finalement claqué la porte. Sophie Binet, secrétaire générale du syndicat, est même allée jusqu’à accuser François Bayrou d’avoir « trahi sa parole » mais aussi « des millions de salariés », couplant cette terrible accusation d’une menace aussi glaçante qu’inattendue : une mobilisation. Heureusement, il y a une « adulte dans la pièce » en la personne de Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT, selon… Léon Marylise. Mais, qu’on se le tienne pour dit, elle en a « assez » ! Le ton est tout de suite plus sérieux : « Il faut un peu siffler la fin de la récréation » car « on ne fait pas des canons avec des salariés qui sont en souffrance ». La tension monte, puis, le couperet tombe enfin : « On ferme le conclave retraite tel qu’il existe, et on en ouvre un autre ». Le coup est rude.
Des motivations fumeuses
La France, dotée d’un budget qui ne rassure personne, se paie en plus le luxe d’être à la traine sur l’âge de départ à la retraite alors que les autres pays européens procèdent tous à une hausse de celui-ci. L’Allemagne, l’Espagne et les Pays-Bas ont fixé l’âge de départ à 67 ans. L’Italie envisagerait même de faire travailler ses fonctionnaires jusqu’à 70 ans. Imaginez la réaction de nos travailleurs de la Fonction publique… Vite, changeons de sujet ! Mais alors, pourquoi convoquer un conclave alors que tout le monde sait qu’il ne débouchera sur aucune décision majeure ? Pour gagner du temps, pardi ! Car, outre le fait d’avoir tordu le bras du président de la République pour obtenir le poste de Premier ministre au détriment de Sébastien Lecornu (est-on certain que nous ayons gagné au change ?) et d’avoir endormi tout le monde en débitant des discours lénifiants sur Henri IV, le seul fait d’arme de François Bayrou à Matignon à ce jour est d’avoir survécu à la motion de censure déposée à la suite du 49.3 utilisé pour faire passer le budget 2025.
Ce conclave faisait-il partie d’un deal pour amadouer les troupes socialistes d’Olivier Faure ? Si c’est le cas, comment imaginer que ces dernières aient pu être suffisamment naïves pour imaginer obtenir gain de cause sur un point aussi bloquant que l’âge de départ ? Si la motivation du Premier ministre est clairement de s’accrocher à son poste comme une moule à son rocher, quelle peut bien diable être celle des socialistes à participer à ce conclave ? Outre le goût pour les discussions stériles et interminables cher à tout social-démocrate qui se respecte, on peut se demander si la participation à ce conclave fictif n’est pas pour eux l’occasion de se démarquer d’un Nouveau Front populaire aux fondations friables. En effet, beaucoup d’électeurs du centre gauche sont complètement perdus au sein de cette coalition aussi absurde qu’opportuniste. Cela n’a pas échappé aux têtes pensantes socialistes qui espèrent se faire bien voir de ces électeurs en vue de municipales qui approchent à grands pas. Les candidats de la gauche molle espèrent peut-être ainsi profiter de ce conclave pour briller et démontrer à cet électorat qu’ils entendent bien gérer leurs villes d’une main de fer dans un gant de velours, comme d’habitude en somme. Des villes qui deviendraient ou resteraient alors des paradis pour les bobos adeptes de chevauchées à dos de trottinettes électriques, de bières sans gluten et de discussions à rallonge sur un monde sans frontières, bien sûr.
Ces derniers temps, certains accusent l’État de droit d’être un « État de gauche ». Une poignée de haut magistrats – et leurs idées progressistes – empêcheraient les exécutifs successifs d’exercer pleinement leur pouvoir… Face à ces critiques qui se multiplient, malheureusement, l’État de droit donne souvent la désagréable impression de se refermer sur lui-même en gémissant dans la presse de gauche, observe Philippe Bilger.
Dans Le Monde, le professeur de droit constitutionnel Dominique Rousseau affirme qu’il y a « un moment historique où il y a une tension entre deux formes d’État : l’État de droit, où être élu par le peuple ne suffit pas, et l’État brutal… » Il me semble qu’à cette alternative, non pour la détruire mais pour en dénoncer le caractère abrupt et sommaire, on pourrait ajouter : l’état de la France.
Le Monde a réuni quelques personnalités de haut niveau juridique, aussi bien de la Cour de cassation que du Conseil d’État et de la Cour européenne des droits de l’homme, dont André Potocki juge français, l’un de ses membres de 2011 à 2020.
L’initiative est excellente, mais il est difficile d’oublier qu’ils se sont assignés, grâce à (ou à cause de) leurs fonctions un ordre de mission : défendre l’intangibilité de l’État de droit contre certaines attaques politiques qualifiées un peu rapidement, pour les discréditer, de populistes.
Avec cette obligation impérieuse qu’ils se sont prescrite et que Le Monde est ravi de la voir respectée à la lettre, il n’est pas offensant de prendre acte de la formulation de concepts relevant de l’apologie traditionnelle de l’État de droit, dès lors qu’on exclut toute adaptation ou actualisation. Rien ne vient, sur un mode original, surprendre ou convaincre au-delà des nobles poncifs énoncés.
On étiquette à droite voire à l’extrême droite les sceptiques à l’égard de l’État de droit tel qu’il devrait demeurer sans la moindre modification, sacré en quelque sorte. Gérald Darmanin et Bruno Retailleau sont particulièrement visés. La gauche est effectivement d’autant moins sur cette ligne que les faiblesses régaliennes la préoccupent peu.
Face à cette dénonciation de l’esprit partisan qui rendrait suspecte la moindre critique, est-il permis de s’interroger aussi sur l’idéologie et la conception du droit de l’ensemble de ces juges des hautes juridictions précitées ? Qui peut douter du fait que dans leurs tréfonds intellectuels et leur vision de la société ils n’ont pas intériorisé des éléments qui précèdent le droit qu’ils déclarent pourtant vouloir appliquer en toute objectivité. Je ne suis pas persuadé, pour n’évoquer que lui, que Christophe Chantepy, président de la section du contentieux du conseil d’État, soit délesté de sa sensibilité de gauche quand il s’efforce de n’être irrigué que par l’abstraction du droit administratif…
Je pourrais généraliser cette perception en considérant que le droit pur n’existe pas. Les hommages conventionnels rendus à un État de droit nécessairement fixe, dépendent d’abord des pratiques inspirées par l’humus des citoyens que ces juristes sont en amont.
Aussi, lorsqu’ils viennent, unanimes, s’étonner du fait que beaucoup, citoyens, juristes avertis parfois, analystes, intellectuels plus ou moins engagés osent s’en prendre à certaines de leurs décisions, contester tel ou tel de leurs arrêts, ils devraient plutôt prendre acte de cette hostilité souvent argumentée, se pencher sur leur manière d’appréhender le droit au sein d’une société évolutive, confrontée partout à des défis, des dangers, des désordres chaque jour plus imprévisibles. Et se remettre en question.
Il ne paraît pas iconoclaste d’aspirer à un État de droit qui, tout en conservant son socle fondamental composé de principes sans lesquels la sauvagerie remplacerait notre civilisation (par exemple, être jugé deux fois pour la même infraction ou être condamné alors qu’on est irresponsable pénalement), saurait prendre la mesure des métamorphoses qui pour le meilleur ou pour le pire imposent sinon un autre droit du moins une approche moins théorique.
Pourquoi ne pas accepter cette évidence que le droit devient une richesse morte s’il n’intègre pas l’utilité sociale, les impératifs du bon sens et, plus globalement, ce qu’il doit y avoir d’intelligemment politique dans toute décision judiciaire quand elle a pour mission de clôturer un débat d’importance ?
Je ne doute pas que certains seront totalement accordés à ce que ces juristes de la Cour de cassation, du conseil d’État et de la CEDH énoncent pour défendre leur conception de l’État de droit qui est d’ailleurs si peu discutée que ce sont les politiques, pourtant dans leur rôle, qui se voient critiqués quand ils émettent des réserves !
Tout ce qu’on est en droit d’exiger est qu’on veuille bien admettre qu’entre l’État de droit et l’État brutal, il y a l’impératif de se soucier de l’état de la France. Cette prise en compte serait sans rapport avec une quelconque brutalité et déconnectée heureusement de l’orthodoxie inaltérable, parfois impuissante, quelquefois provocatrice, d’un État de droit enfermé sur lui-même.
On n’a pas besoin d’hypertrophier les mérites de l’État de droit comme le font ces juristes professionnels, pour être plausible dans l’affirmation d’une volonté tenant ensemble un État de droit pour aujourd’hui et l’état de la France d’aujourd’hui.
Les vedettes du cinéma Jean Dujardin, Gilles Lellouche, Pio Marmaï et Jean-Paul Rouve se sont soumis aux questions de l’inquisitrice MeToo cette semaine, à l’Assemblée nationale.
Au nombre des nostalgies de la gauche française actuelle il y a indéniablement l’Inquisition. L’Inquisition avec ses méthodes, sa pompe, ses œuvres. En l’occurrence, l’affaire a pour cadre « la commission d’enquête parlementaire relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l’audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité ».
Qui de mieux pour présider une telle commission que Mme Sandrine Rousseau, grande prêtresse de la croisade MeToo, pourfendeuse ardente de la masculinité et du patriarcat réunis ? Elle a trouvé là un rôle à sa mesure. Juchée à la tribune en dominatrice toisant son monde, elle rayonne, darde ses questions comme on darde les flèches destinées à l’hérétique. On l’imaginerait assez aisément chaussée de cuissarde de cuir noir, sanglée dans un bustier du même métal, avec, posés à portée d’une main un exemplaire très fatigué à force d’usage du Wokisme pour les Nuls, et de l’autre main le fouet de la repentance.
Dominique Besnehard se lève et se casse
Donc, il s’agit de traquer dans l’univers des activités chic et choc évoquées ci-dessus les signes, les traces de manifestations telles que plaisanteries salaces, œillades malsaines, main au popotin, etc. Bien sûr, ces élans hors consentement sont inadmissibles, réprimandables, voire condamnables. Cependant, il y a la loi et les tribunaux – les vrais – pour ce faire. Fallait-il impérativement aller jusqu’à instituer une commission d’enquête parlementaire ? Etait-ce une impérieuse demande de l’électeur au moment où, lors des législatives, il glissait son bulletin dans l’urne ? Poser la question en ces termes dispense évidemment de formuler la réponse.
Toujours est-il que cette commission a lieu et que – on pardonnera cette facilité – Madame la présidente semble y prendre son pied. Me permettrai-je une suggestion : afin de perpétuer son bonheur, ne pourrait-elle enchaîner avec une commission du même tonneau, dédiée cette fois à son petit monde à elle, à la vie parlementaire, une commission explorant et exhumant les pratiques ayant cours dans ce domaine à l’Assemblée, au Sénat dont il ne semble pas que l’allusion graveleuse et le geste leste en aient été totalement expurgés. Du moins si l’on s’en remet aux rumeurs de couloir de ces estimables institutions.
Cela dit, le casting du petit tribunal de Dame Sandrine a de quoi affrioler les gazettes. Noms connus, vedettes populaires, stars adulées. Or, parfois, cela ne tourne pas aussi bien que la présidente l’espère. Ainsi la révolte, récemment, d’un homme du sérail de grande réputation, Dominique Besnehard qui, réalisant en cours d’audience qu’il se trouvait là non pas seulement pour apporter des éléments de connaissance, mais bel et bien pour passer en jugement, s’est cabré, offusqué : « Si c’est pour me juger, je me taille ! »
Le festival de cucks
Cependant, d’autres personnalités du milieu ont bien voulu se soumettre, acceptant comparaître de leur plein gré devant le tribunal de Dame Sandrine. Un peu comme on va à Canossa, voyez-vous. Le tribut de la bonne conscience.
Jean Dujardin – qui en la circonstance aurait peut-être dû se souvenir que c’est dans un rôle muet qu’il fut à son meilleur – Gilles Lellouche, Pio Marmaï et Jean-Paul Rouve sont de la distribution. Là, on masque l’effet inquisition en qualifiant l’audition de « table ronde ». Tenue à huis clos, en outre. Cela dit, ils n’ont pas vu ni entendu grand-chose, les quatre comparaissants. « Des plaisanteries qui ont été mal comprises », des comportements un peu « lourds ». Bref, des scories relevant « de vieux réflexes d’un autre monde ». Le monde d’avant Dame Sandrine, on l’aura compris. Il n’est pas exclu qu’eux-mêmes, dans un temps plus ou moins reculé, aient pu avoir eu à essuyer quelques désagréments dans ce registre. Mais désormais on veille au grain. Jean Dujardin, par exemple, n’omet pas de poser au metteur en scène avec qui il s’apprête à tourner la question qui tue : « Est-ce que t’es un connard ? » Apparemment, aucun n’a répondu par l’affirmative, ce que l’enquête parlementaire n’aurait pas manqué, naturellement, de nous révéler.
Néanmoins, on retiendra que les quatre mousquetaires MeToo compatibles ont pris soin de livrer quelques recommandations : que les règles selon le catéchisme de Dame Sandrine soient lues « à haute voix » (sic) en début de tournage ; que les référents VHSS (violences et harcèlement sexistes et sexuels) chargés du flicage en ces matières sur les plateaux et lieux de tournage soient indépendants de la production ; qu’un meilleur encadrement des fêtes de tournage soit prévu. Et – mesure cette fois de vrai bon sens – que les scènes de sexe soient très précisément décrites, scénarisées, fixées avant leur exécution afin d’éviter tout dérapage, toute mauvaise surprise. Cela est bel et bon. Pour autant était-il absolument indispensable d’en passer par l’Assemblée nationale pour cela ? On en doute. Mais jusqu’où n’irions-nous pas pour que Dame Sandrine, se sentant enfin utile, rayonne de bonheur ?