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France télévisions s’interroge: un historien peut-il débattre avec Zemmour?

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« Les chercheurs ont-il vocation à intervenir dans les médias ? » se demande (sérieusement ?) le site de France TV Info. Alors que les « partis-pris » d’Eric Zemmour gagnent du terrain dans l’opinion, à force de sectarisme, les journalistes du service public ont des nœuds dans le cerveau…


Sur le site de France TV info, quatre intellectuels ont décidé de prendre leurs distances avec le pugilat médiatique. Bruno Cautrès, Pierre Lefébure, Julien Longhi et Claire Sécail se questionnent en synode sur le rôle que doivent tenir les chercheurs dans nos médias. Une entreprise curieuse… eux l’ont apparemment estimée salutaire !

« Certains chercheurs vont jusqu’à débattre avec Eric Zemmour de nos jours… Où va-t-on, mes bons amis ? »

Anne-Claire Ruel, conseillère en stratégie d’opinion et prof de fac, était d’humeur un peu chafouine après un éprouvant visionnage. De quoi parle-t-on ? Du débat contradictoire de BFMTV entre un polémiste trop orienté idéologiquement à son goût (Eric Zemmour) et un historien du CNRS fort respectable (Patrick Weil), où il faut bien reconnaître que le second n’a pas été le plus brillant orateur. A sa décharge, au programme étaient abordés tous les thèmes sulfureux adorés par Zemmour (collaboration en 1940, invasion de hordes arabes dans l’hexagone, multiplication des librairies halal etc.). Un petit festival :

Anne-Claire Ruel décroche son téléphone pour interroger ses plus éminents confrères sur le sujet et organiser une réflexion entre ecclésiastiques éclairés. Voir débattre à la télévision un éminent historien accrédité avec un polémiste populaire n’est-il pas un mélange des genres des plus vulgaires ? « Certains chercheurs vont jusqu’à débattre avec Eric Zemmour de nos jours… Où va-t-on, mes bons amis ? » s’emporte-t-elle outrée au téléphone.

Les réflexions de haute tenue qui vont suivre sont regroupées dans le long et soporifique billet de blog hébergé par France Télévisions (la redevance télé est décidément judicieusement dépensée).

A part leur rejet sous-jacent permanent des théories du journaliste du Figaro Magazine, pas évident en vérité de voir où veulent en venir nos régisseurs du débat d’idées ! Sous le prétexte d’expliquer combien il est difficile pour un chercheur de s’adapter aux contraintes des affreux médias modernes où ils sont appelés à témoigner, une glose sans fin se développe. Voici la substantifique moelle qu’on peut tirer des questionnements de nos éminents savants « progressistes ».

Zemmour n’est même pas chercheur au CNRS !

Les médias n’offrent pas le support idéal pour exposer tout le savoir scientifique. Les chaînes info en continu sont apparemment un fléau où les journalistes travaillent dans l’urgence. Les émissions racoleuses concoctées par ces derniers ne permettent que trop rarement au chercheur d’y développer toute l’étendue de son sidéral savoir universitaire. Scoop !
Les médiatiques mettent sur un plan d’égalité les différents intervenants. Un petit scandale ! Si le vote de chaque citoyen a la même valeur, dans le domaine des opinions, faudrait pas pousser ! Demandons à BFMTV de mettre en gros et en bien gras les titres des scientifiques intervenants sur les plateaux. Ils y sont visiblement très attachés . Sinon, la parole d’un vulgaire « polémiste » est autant considérée que celle d’un « vrai » chercheur. Comment le citoyen peut-il ne pas voter comme un sagouin ensuite ?
La télévision ne permet pas de « notes de bas de pages », de « bibliographie », « d’équations ou de modèles ». C’est vraiment ballot, car les scientifiques excellent dans ces domaines.

Certains journalistes mal intentionnés retranscrivent de travers les citations les plus brillantes de nos savants. Ceci dans le but fallacieux de « conforter ou illustrer un aspect de l’angle développé dans [leur] article ». Salauds !
Pour en revenir à Belzébuth (Gargamel / Zemmour NDLR), qui parvient de son côté à se jouer de tous ces pièges, son « régime de parole » est celui du « domaine de l’opinion masquée derrière une pseudo-scientificité ». Alors que, bien sûr, le régime de parole de Weil « c’est la vérité du savoir et des connaissances scientifiques ».

Déplorant que Weil n’ait pas eu droit à sa propre émission (Gargamel est parfois invité seul ce privilégié !), le conclave de conclure : « Il y a donc une double responsabilité : celle des historiens scientifiques de s’exprimer dans les médias et celles des médias de leur fournir les conditions les plus favorables puisque, par ailleurs, leur fonctionnement ordinaire fournit à Zemmour des formats d’expression dans lesquels il est à l’aise. »

Certains idéologues sont plus égaux que d’autres

Tout le champ lexical pédant des sciences sociales et de la linguistique a beau être convoqué, la glose de nos archidiacres ci-dessus résumée peine à accoucher d’autre chose que d’une souris pour défendre la cause du malheureux Patrick Weil.

D’une part, Zemmour, en vérité toujours présenté avec beaucoup de pincettes par les journalistes qui l’invitent, accepte humblement de se voir qualifier d’ « essayiste » voire de « polémiste » (ce qui peut être un rien condescendant). D’autre part, il n’a jamais réclamé le titre d’historien.

Quelque idéologie qui puisse s’en dégager, quiconque a lu un de ses bouquins ne peut qu’en relever la qualité. Et dans la République des Lettres, 400 000 exemplaires du Suicide français vendus valent fort heureusement bien des titres académiques pompeux, n’en déplaise à certains ! Sur BFMTV deux idéologies se sont opposées (ouverture et fermeture). Nos quatre experts font semblant de ne pas voir l’essentiel : sur la bataille des idées, le camp progressiste a du plomb dans l’aile. Des deux idéologies et analyses de l’immigration ou de l’islam en France, la première étant tellement hégémonique dans leurs cercles, nos archidiacres ne distinguent plus qu’autre chose puisse seulement exister ! Zemmour peut continuer de ricaner dans sa barbe et s’en aller plus loin manger deux ou trois autres Schtroumpfs ! Nos quatre experts, eux, peuvent crier : « Raphaël Glucksmann, vite ! »


Au secours, les années 30 reviennent… dans la bouche de Macron


Dans un entretien au quotidien Ouest France, le président de la République a comparé l’époque actuelle avec la montée du péril fasciste des années 1930. On ne saurait dire ce qui de la naïveté (pour rester respectueux) ou de la grossière manipulation l’emporte. Question subsidiaire : qui peut encore être dupe de ce procédé, sinon quelques malheureux castors égarés en plein champ ?


 

« Je suis frappé par la ressemblance entre le moment que nous vivons et celui de l’entre-deux-guerres » a donc déclaré Emmanuel Macron. Et le voilà amalgamer dans un même fourre-tout anachronique la désormais célèbre « lèpre nationaliste » et le spectre fictionnel d’une perte de « souveraineté » de l’Europe. Jusqu’ici, on ignorait que cette souveraineté eût jamais existé et encore moins qu’elle avait été désintégrée dans les années 30.

L’imposture du front républicain

Fustigeant le « repli nationaliste » (ne jamais, au Dictionnaire des idées reçues, oublier d’accoler les deux termes), le chef de l’Etat ne manque pas d’évoquer les fameuses peurs qui agiteraient les nations, dans un propos qui serait pour le coup lui-même effrayant et vaguement apocalyptique s’il n’était pas drôle, et qui permet de se demander qui des peuples européens ou de certaines de leurs élites déconnectées se plaisent à agiter les peurs. Une technique usée jusqu’à la corde qui a permis aux actuelles élites de se maintenir au pouvoir  grâce au « barrage » dit « républicain »

On ne pensait pas que quiconque d’un peu réfléchi oserait encore pratiquer la fameuse comparaison entre tel ou tel climat socio-politique et les années 30, leurs heures sombres et autres effrayants bruits de bottes tant cette figure rhétorique de l’antifascisme post-moderne est éculée..

Or, le problème avec les analogies historiques qui font bondir à juste titre n’importe quel historien scrupuleux, c’est que, comme l’indiquait Paul Valéry « L’histoire justifie ce que l’on veut. Elle n’enseigne rigoureusement rien, car elle contient tout et donne des exemples de tout ». Outre les approximations contenues dans le propos du président, le piège analogique se referme sur son émetteur, puisque, si l’on commence à entrer dans le détail desdites années 1930, la comparaison tant exploitée pourrait bien se retourner dans le sens contraire de celui souhaité.

On peut faire dire n’importe quoi au passé

Si l’on considère par exemple le fait majeur de la sinistre période, à savoir la persécution antisémite, et qu’on la reporte à l’époque actuelle, on pourrait alors se demander ce qui est véritablement mis en place pour lutter contre les promoteurs contemporains, principalement islamistes, de cet antisémitisme. Où est, par exemple, le fameux discours sur la laïcité, républicain et ferme, tant attendu depuis des mois ? S’est-il perdu dans les brumes accommodantes du dialogue qu’en d’autres époques on qualifiait de collaboration?

On le voit, chacun peut faire dire ce qu’il veut à n’importe quoi au grand jeu de la manipulation des interprétations.  Pareillement, le peuple supposé nationaliste et replié sur lui-même avait voté en 1936 en faveur du Front Populaire, dont de nombreuses conquêtes en matière de droit social et de droit du travail sont des obstacles clairs face au néo-libéralisme actuellement au pouvoir et  à la conduite des affaires européennes. La haute finance, les grands entrepreneurs ne se sont pas distingués par leur esprit de résistance, c’est le moins qu’on puisse dire, quand le peuple fumant des cibiches et roulant probablement déjà à l’essence polluante permettait, lui, l’accession au pouvoir d’un Juif en la personne de Léon Blum, alors même que beaucoup d’élites n’hésitaient pas à scander « plutôt Hitler que le Front populaire ». Pour être juste, ajoutons que c’est la chambre du Front populaire qui votera les pleins pouvoirs à Pétain en 1940. Une énième preuve que l’histoire est complexe.

D’une Allemagne l’autre

D’autres pourraient se demander où est le Churchill contemporain, celui qui avait compris que sans résistance on n’évitait ni le déshonneur ni la guerre, face à la déferlante totalitaire et obscurantiste qui recouvre de son voile noir des pans croissants de la planète. Par quelles actions les élites européennes luttent-elles contre cette blitzkrieg contemporaine ? Comment par ailleurs comparer une époque où l’Allemagne avait été diminuée et humiliée avec une période où au contraire elle est en situation hégémonique au point d’étouffer ses partenaires européens ?

Enfin, si Emmanuel Macron est fasciné par les ressemblances hypothétiques avec les années 1930, d’autres pourraient vouloir pareillement, au gré de leurs convictions idéologiques personnelles et de leurs petites lubies subjectives, vouloir comparer la période actuelle avec celle de la chute de l’Empire romain, ou encore avec les invasions barbares, la Grande Inquisition, ou l’entrisme guerrier d’Al-Andalus

Passéistes vs progressistes, la grande mystification

On le voit, toutes ces comparaisons ne sont pas raison, ou alors il faudrait les accepter toutes au même niveau de légitimité, ce qui bien sûr est inenvisageable puisque le but ici est de livrer une vision binaire et manichéenne de la situation actuelle afin de criminaliser toute critique de l’Union européenne et de l’ouverture des frontières qui la caractérise.

Par-delà la grossière manipulation visant à faire passer les résistants d’aujourd’hui pour de dangereux passéistes et les accommodants d’aujourd’hui pour d’éminents progressistes, il est enfin une curieuse et naïve croyance qui voudrait que l’on tire de quelconques leçons de l’Histoire. Outre que c’est un sujet régulièrement traité depuis des décennies dans les dissertations du bac, on rappellera donc, avec Louis-Ferdinand Céline, que « l’histoire ne repasse pas les plats ».


Macron : miracle ou mirage ?

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Non, l’école française n’est pas la pire du monde


QI, handicap culturel, fossé social : l’institution scolaire ne peut corriger toutes les inégalités de départ. Pourtant, certains lui demandent l’impossible. Mise au point.


On connaît la chanson : les inégalités scolaires s’accroissent ; l’école française accroît les inégalités scolaires, étant plus inégale que les autres. De ces trois constats, souvent éplorés, parfois révoltés, seul le premier est à peu près vérifié. Quels que soient l’âge et la matière – mathématiques ou maîtrise de l’écrit -, les écarts entre les meilleurs et les plus faibles se creusent sans que les meilleurs progressent pour autant ; cela dépend et c’est aussi bien l’amélioration de l’efficacité du système (en permettant à tous de donner le meilleur d’eux-mêmes les élèves favorisés apprennent plus) que sa détérioration (en étant moins performante l’école va laisser plus de poids aux transmissions familiales) ou qu’un effet de composition (l’évolution des flux migratoires notamment) qui pourraient en être la cause.

L’école face aux inégalités de QI

En revanche, alors que la scolarité s’accompagne d’un accroissement des écarts, il est aberrant d’en imputer la responsabilité au système éducatif. Prétend-on vraiment que s’il n’y avait pas de scolarisation les écarts diminueraient ? Le QI et les résultats scolaires sont pour une large part génétiques et héréditaires (entre 30 % et 70 % selon les sources) et le capital socio-culturel se transmet aussi bien que le capital économique. Ces deux puissants facteurs continuent de produire leurs effets tout au long d’une scolarité qui ne peut que partiellement les compenser.

L’objectif d’une disparition de ces inégalités est donc une chimère. Elle est de surcroît une chimère pernicieuse pour deux raisons : d’une part, parce qu’en insinuant qu’il serait possible de les annihiler, on véhicule aussi l’idée que le système est biaisé en faveur des possédants, ce qui nourrit les ressentiments qu’on constate tous les jours . D’autre part, parce qu’inférer de la seule constatation des inégalités d’arrivée la preuve d’une discrimination c’est inciter à des politiques alternatives non seulement coûteuses mais inefficaces voire néfastes : Les méthodes idéovisuelles d’apprentissage de la lecture, les expérimentations et les innovations incontrôlées ont souvent pour premières victimes les enfants des milieux défavorisés.

Mais dès lors qu’il subsistera toujours des écarts, quels objectifs fixer et comment paramétrer les efforts de promotion des élèves défavorisés ? Les comparaisons internationales peuvent fournir des éléments de parangonnage. Encore faut-il ne pas leur faire dire n’importe quoi…Et les discours tenus autour des évaluations PISA sont à cet égard inquiétants : la France depuis au moins les trois dernières livraisons serait le pays des inégalités. Il est très curieux que l’Allemagne qui scolarise les enfants tardivement et met en œuvre des filières précoces d’orientation en ressorte plus égalitaire avec il est vrai un profil migratoire différent.

Ce que dit l’OCDE

Quand on y va voir d’un peu plus près, c’est une autre histoire. A l’appui de cette condamnation sans équivoque, on nous sert, en effet, la plus défavorable des corrélations et indicateurs calculés. Cette corrélation emblématique fait bon marché du caractère multifactoriel des apprentissages et attribue aux seules différences de statut économique, social et culturel (SESC) la production des inégalités en ignorant notamment les facteurs ethniques.

Or la France se caractérise à la fois par l’importance de ses flux migratoires et par leurs origines : les immigrés d’Afrique ont des résultats scolaires inférieurs aux autres immigrés et à la population majoritaire après prise en compte du statut socio-économique.

On confond donc potentiellement effet de rendement de l’école et effet de composition de ses publics. Et lorsque l’OCDE intègre l’ensemble des facteurs explicatifs et les met en relation avec les inégalités de résultats, le poids du SESC n’est pas très différent en France de la moyenne et significativement plus faible…qu’en Finlande qui nous était encore il y a peu donnée en exemple pour la pertinence de ses méthodes pédagogiques. Il est extrêmement troublant que ces données ne soient pas publiées mais seulement accessibles.

Pour ce qui concerne les immigrés, les données OCDE montrent une autre réalité : si les immigrés de première génération ont des performances inférieures en France, cet écart s’y réduit beaucoup plus fortement qu’ailleurs pour ceux de seconde génération, si bien qu’il n’est pas exclu que l’école républicaine parvienne tout de même à certains résultats !

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Racistes, vénaux, sexistes? Les sites de rencontre sur la sellette…

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Il est aujourd’hui de bon ton de critiquer les sites ou applications de rencontre : prétextes à se faire offrir un dîner, à choisir des partenaires sexuels trop ou pas assez exotiques, Tinder et ses concurrents auraient tous les vices. Attention, la police des braguettes patrouille…


Si vous croyez que les sites de rencontres ne servent qu’à trouver l’amour ou à se faire culbuter, détrompez-vous. Sarah, une étudiante britannique, a avoué au site féminin australien Whimn profiter de l’application Tinder pour se nourrir à l’œil. Rouée, la célibataire dîne mais ne couche pas ! L’idée lui est venue après avoir accepté un rendez-vous avec un homme au physique décevant. « Dan avait l’air d’avoir dix ans de plus que sur ses photos et il était plus petit que moi », se justifie la jeune fille. Buvant pour oublier, Sarah a accepté de se faire payer l’addition. Depuis, elle s’est sustenté à l’œil une bonne quarantaine de fois en deux ans : « Je ne ressens pas une once de culpabilité je ne fais rien d’illégal, et si un jour je rencontre l’amour sur Tinder, je partagerai l’addition. » Comme quoi, la galanterie a survécu… chez ses chevaliers servants.

Cherche asiatique soumise

Profondément inégalitaires, le plus souvent au détriment des hommes, les sites de rencontres sont une terre de mission prisée des croisés antiracistes. D’après un article de Slate, la discrimination y serait monnaie courante sous des formes classiques « Pas de femmes noires ni de mères célibataires » et plus inattendues : « la fétichisation des personnes racisées ». Les amateurs de femmes asiatiques réputées soumises ou d’hommes africains connus pour la « taille de leur âme » se le tiendront pour dit. La police des braguettes veille…

L’antiracisme se mord la queue

Jusque dans les colonnes du Monde, où la chroniqueuse Maïa Mazaurette s’est fendue d’un long article pour nous expliquer que les Blancs n’ont qu’une idée en tête : épingler une orientale lascive ou un étalon noir à leur tableau de chasse. Si la xénophilie est aussi blâmable que la xénophobie, on finira tous le doigt sur la couture du pantalon…

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Ruby Namdar, un grand écrivain israélien est né


Avec son premier roman La Maison de ruines, Ruby Namdar met en scène un juif new-yorkais en proie à la crise du milieu de vie. Rendant hommage à Roth, Bellow et Singer, son auteur imprégné de mystique juive et soufie nous entraîne sur les territoires perdus du sacré. 


Ruby Namdar a la main lente. Son brillant premier roman, récompensé en Israël par le prestigieux Sapir Prize, l’équivalent de notre Goncourt, coule paresseusement comme l’Hudson River, que le héros principal, Andrew Cohen, contemple chaque jour depuis sa fenêtre. L’action de La Maison de ruines se déroule à New-York, à quelques mois de l’apocalypse du 9 septembre 2011. Cohen a tout en commun, dirait-on, avec les personnages qui peuplent les romans de Philippe Roth ou de Saul Bellow : la sophistication d’un intellectuel juif chargé de cours de culture comparée à l’université de New York, la vanité, les snobismes gastronomiques, une vie familiale éclatée par un divorce et toute la confiance en soi nécessaire à un homme aux alentours du demi-siècle pour entamer une relation sentimentale avec une femme qui pourrait être sa fille.

« J’aime la friction entre ce que notre cerveau contrôle et le subconscient d’où nous n’avons pas réussi à chasser le mot péché »

Mais Andrew Cohen n’est ni Zuckerman ni Herzog, pas plus que Namdar n’est Roth ou Bellow. Certes, les obsessions du romancier israélien, installé à New-York depuis bientôt vingt ans, se rapprochent de celles de tous les grands écrivains juifs de la côte Est. Ainsi dans La Maison de ruines, il s’empare de la question de l’acculturation des intellectuels juifs coupés de leurs racines spirituelles, de leur rapport à la tradition, à la religion, du poids de l’Histoire et de l’héritage, et, enfin, de la psychologie masculine avec sa hantise de l’impuissance et du vieillissement. Seulement, la finale dégringolade d’Andrew Cohen relève moins de la « mid-life crisis » ou même de la crise existentielle, que d’une détresse métaphysique, sinon mystique. Et c’est là que Namdar rejoint Singer, non mécontent qu’on lui impute cette filiation. « Mon livre rend à sa façon hommage à Roth, Bellow, Oznik, Malamoud… Mais Singer restera mon maître incontestable, avec sa manière spécifique de glisser le surnaturel dans la vie quotidienne de ses personnages, son recours aux métaphores bibliques, son humour et son goût pour le grotesque », confie-t-il.

Jovial, enthousiaste, chaleureux, Ruby Namdar possède en outre ce talent délicieux de vous entraîner vers les territoires perdus de la grande littérature où, jadis, on cultivait les passions ontologiques en rapport avec ce quelque chose que l’on appelle l’ « essence de l’être », tout comme avec les questionnements sur le Bien et le Mal, la morale, ses fléchissements. Il lui suffit d’une impulsion, d’un signe de votre sensibilité au sujet. Quand vous lui faites une remarque à propos du mot « péché », qu’il avait employé dans son texte publié par The New York Times, il saisit la balle au vol. « Dire ‘péché’ est devenu subversif, provocateur, inconvenable, je le sais… Or, j’aime la friction entre ce que notre cerveau contrôle et le subconscient d’où nous n’avons pas réussi à chasser le mot ‘péché’, où il a sa place. Nous vivons une époque qui n’aime même plus le mot ‘âme’. Pourtant je le préfère mille fois à tous ces ‘psyché’, ‘ego’, ‘souffle vital’. Et je préfère le mot ‘religion’ au mot ‘spiritualité’, susceptible d’évacuer le moindre conflit en nous, d’apaiser le moindre inconfort. » L’homme a grandi à Jérusalem, au sein d’une famille juive originaire d’Iran. Ceci explique probablement sa distance, gentiment moqueuse, face à l’aspiration laïque qui habite la littérature israélienne contemporaine. « Mon travail n’est pas représentatif de la scène littéraire en Israël. Il y a une certaine proximité avec Amos Oz, rien de plus. Les écrivains vivent à Tel-Aviv, le Babel séculier, profane, amusant aussi, mais éloigné de mes préoccupations », tranche-t-il, avant de sauter à pieds joints dans une savoureuse digression sur les poètes soufis, qu’en son temps il a traduit du persan vers l’hébreu. Qu’est-ce qu’un péché, donc, à notre époque, dans notre monde ? La question semble avoir heurté Ruby Namdar, qui délaisse soudain la petite cuillère dans une tasse à café désormais vide : « Allons ! Qu’on le veuille ou pas, nous sommes des créatures morales et savons, au fond, reconnaître un péché. Les fondamentalismes, quels qu’ils soient – islamistes, chrétiens, juifs –, se nourrissent précisément de cet effacement de toute référence religieuse de notre âme collective. »

« Nous ne croyons plus que nous sommes sacrés ! »

Impossible d’y échapper, bien que nous soyons sensibilisés au fait qu’il est malpoli de juger notre prochain. Reste que si Andrew Cohen est en proie à des visions dantesques de sa ville en ruines et voit sa vie en miettes, à croire qu’elle n’a jamais été rien d’autre que du pain rassis, c’est qu’il a péché. Cohen avait péché. Et son péché n’est autre que l’orgueil que nous tous, modernes et affranchis des culpabilités néfastes à notre développement personnel, cultivons à l’envi.

Nous nous suffisons. Tant qu’un minuscule accident de parcours ne nous contraint pas à examiner les abysses de notre propre existence. Dans le cas du professeur Cohen, il s’agit d’une promotion qui lui file sous le nez au dernier moment, de surcroît au profit d’une ancienne étudiante ou, peut-être, de l’essoufflement de sa liaison avec la jeune Ann Lee, voire des deux. L’immense mérite de Ruby Namdar, c’est de dépasser l’individuel pour atteindre l’universel – définition même de la littérature. Ce qui est arrivé à Cohen, peut arriver à n’importe lequel d’entre nous, peu importe la tradition ou la religion dont il est issu. Où, alors, chercher secours ? Chez un psy, vu que l’édifice religieux que l’on honore de notre présence à l’occasion des grandes fêtes ne paraît pas trop sérieux, à l’instar de la synagogue dans laquelle Cohen faisait de rares apparitions : « Anshei Shalom, la synagogue qu’il fréquentait, était particulièrement progressiste, pour ne pas dire avant-gardiste. À l’exception de quelques versets choisis pour leur valeur poétique par les rédacteurs du New Holiday Prayer Book, presque tout le service se déroulait en anglais. […] En recherche constante d’adaptation, Anshei Shalom incarnait à la perfection le désir d’égalité, le multiculturalisme, l’humanisme et la politique de gauche libérale qui flottaient dans l’air du temps. » En 1964, lors d’un concert à Montréal, Leonard Cohen a poussé un cri d’illuminé : « Il y a une terrible vérité qu’aucun écrivain juif d’aujourd’hui n’a envie d’examiner. Cette vérité est que nous ne croyons plus que nous sommes sacrés ! » Ruby Namdar relève le défi consistant à prouver que nous nous trompons. Avec succès.

Ruby Namdar, La Maison de ruines, Belfond, 2018, 23 euros.

Bolsonaro, dernier « facho » avant la fin du monde?

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Fait n°1

Selon le WWF, entre 1970 et 2014, les populations de vertébrés sauvages ont chuté de 60 % au niveau mondial. La dégringolade est encore plus marquée dans les zones tropicales.

Fait n°2

L’élection de Jair Bolsonaro achève, si besoin était, de prouver à quel point la démocratie représentative à l’époque du capitalisme assisté par les réseaux sociaux et les fake news est le régime qui évite aux lobbys patronaux ultralibéraux accompagnés par des militaires d’avoir recours aux blindés, comme au Chili en 1973, pour mener leur politique. La démocratie version années 2010, ce sont  les pigeons qui votent pour l’ouverture de la chasse.

Fait n°3 :

Que les Brésiliens jouent à la roulette russe avec leurs libertés, c’est leur droit. Après tout, se laisser convaincre par plus riche que soi que Bolsonaro apportera la sécurité, ça ne concerne que celui qui le fait. Tout le monde peut choisir de débrancher son cerveau et de perdre sa conscience de classe. On remarquera cependant que le Nordeste et l’Etat de Bahia, plein de vrais pauvres, très pauvres, ont, eux au moins,  compris qu’ils allaient prendre cher.

A lire aussi: Bolsonaro, ce président que les médias adorent nazifier

Ils ont voté Haddad à 70% et plus. Ils ont même compris que le Parti des travailleurs (PT), si l’on oublie le storytelling des réseaux sociaux ultraréacs, des milieux patronaux court-termistes et autres néoconservateurs, des paranoïaques du métissage, très présents chez nous aussi,  que le PT, donc, les a sortis de la misère. Et, pour ce faire, dans un pays avec des dizaines de partis à l’Assemblée nationale, a dû arroser des micro-alliés pour parvenir à mener à bien leurs projets éducatifs et sociaux.

Le PT a corrompu, beaucoup plus qu’il n’a été corrompu, et pour la bonne cause. On ne peut pas en dire autant de Temer qui a pustché parlementairement Dilma, la « durona », torturée en son temps par les grandes admirations de Bolsonaro

Fait n°4

Il est à mettre en rapport avec le fait n°1 : Bolsonaro veut fondre le ministère de l’Agriculture et de l’Environnement : bref, il veut laisser ses copains de l’agrobizenesse en finir avec l’Amazonie, le poumon vert de l’humanité que Lula et Dilma avaient réussi à préserver, ou tout au moins s’étaient efforcés d’y limiter la casse écologique.

Si je relie le fait n°4 au fait n°1, c’est là le vrai drame, à portée universelle, de l’élection de l’aphasique galonné. On sait tous (tout en ne voulant pas le savoir, dans une démarche typique du déni de ceux atteints d’une maladie incurable) que l’effondrement est imminent. Tous, à part une ultraminorité climatosceptique de ravis de la crèche marchande qui « n’y croient pas », soit parce qu’ils sont vieux, sans enfants et n’en ont plus rien à faire du monde après eux, soit parce qu’ils sont complotistes et qu’ils confondent le GIEC et les Illuminati.

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Le drame de l’élection de Bolsonaro, ce n’est même pas qu’il soit facho, c’est qu’il va accélérer encore, en détruisant l’Amazonie, notre arrivée dans l’apocalypse. A ce titre, il est bien de notre temps, celui de la déraison définitive. Ce que remarquait déjà Guy Debord, le Vieux de la Montagne, dans ses Commentaires de 1988: « La pollution des océans et la destruction des forêts équatoriales menacent le renouvellement de l’oxygène de la Terre (…) Le spectacle conclut seulement que c’est sans importance. Il ne veut discuter que sur les dates et les doses. Et en ceci seulement, il parvient à rassurer ; ce qu’un esprit pré-spectaculaire aurait tenu pour impossible. (…) Il est assurément dommage que la société humaine rencontre de si brûlants problèmes au moment où il est devenu matériellement impossible de faire entendre la moindre objection au discours marchand. »

Trois mesures pour mettre fin à l’immigration illégale

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Une tribune du think tank, Le Millénaire, qui travaille à la refondation du projet politique des Républicains.


L’immigration est un sujet trop essentiel pour ne pas le traiter de manière factuelle, sans hystérie et sans caricature. Le dernier remaniement, avec l’abaissement protocolaire du ministre de l’Intérieur de la 2ème à la 11ème place, démontre pourtant qu’il ne s’agit pas d’une priorité pour Emmanuel Macron, alors même que les questions d’immigration et de sécurité sont redevenues dans les derniers sondages les premières préoccupations des Français.

La France et, plus largement, l’Union européenne (UE) sont mises à l’épreuve d’une pression migratoire sans précédent. L’UE chiffre le nombre de migrants arrivés entre 2015 et 2017 sur son territoire, et qui ne peuvent prétendre à l’asile, à 1,5 million. En France, le nombre de demandeurs d’asile a augmenté de 17% pour la seule année 2017, dépassant ainsi la barre des 100 000. En parallèle, la primo-délivrance des titres de séjour bondit de 13,7 % en 2017, avec 262 000 titres de séjour délivrés, ce qui peut s’expliquer notamment par une forte augmentation des premiers titres de réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire (35 825 titres, +56,5% par rapport à 2016). A l’inverse, le nombre d’étrangers reconduits est de 26 000 pour 2017, et le nombre de mesures d’éloignement exécutées était de 18% en 2016. 75 587 étrangers sont donc restés sur notre territoire malgré la mesure d’éloignement prononcée à leur encontre.

A cet égard, force est de constater que les dispositions de la loi asile et immigration votée en août sont totalement insuffisantes. Les ténors de La République en marche ont beau claironner leur « fermeté », nous nous demandons où elle se trouve au milieu de dispositions favorables aux migrants (notamment l’augmentation de la durée de titre de séjour des bénéficiaires de la protection subsidiaire), de mesures proprement hallucinantes (comme l’octroi automatique de l’asile aux frères et sœurs des mineurs réfugiés) et de mesures essentiellement techniques et procédurales (la réduction du délai de traitement de l’asile). Quant à l’augmentation de la durée de séjour en Centre de rétention administrative, l’extension des pouvoirs d’investigation ou le raccourcissement des délais de dépôt des demandes… ce ne sont, très honnêtement, que des rustines sur une jambe de bois. En effet, ces dispositions n’interviennent qu’a posteriori, une fois que le migrant illégal est déjà sur notre territoire. Or, tant qu’il sera possible d’y pénétrer illégalement, et de commencer à s’y installer, l’immigration illégale ne fera que croître, et les morts en mer sur le chemin de l’UE également.

Pour faire face à un enjeu migratoire d’une ampleur sans précédent, ne sont donc à la hauteur ni les ajustements paramétriques et normatifs votés par la majorité, ni l’immigration zéro dont rêve le Front national. En effet, le zéro immigration (y compris qualifiée) nous serait extrêmement dommageable économiquement, et romprait avec notre ADN de pays accueillant envers les étrangers partageant nos valeurs républicaines.

Au contraire, nous estimons nécessaire rien de moins qu’une révolution copernicienne en matière migratoire, traduite dans les faits par une action ferme et résolue aux niveaux nationaux et européens.

La priorité absolue doit être la lutte sans merci contre l’immigration illégale. Il est urgent de rétablir le délit de séjour irrégulier en France, supprimé sans explication par le quinquennat précédent. De même, le respect de nos lois est un principe non négociable : le placement en centre de rétention administrative des étrangers en situation irrégulière, puis leur expulsion, doit redevenir la règle et non l’exception. Malgré ce que nous dit le gouvernement, ce n’est pas du tout sa priorité, et cela le sera encore moins avec M. Castaner à l’Intérieur : l’allongement de la durée maximale de rétention et l’augmentation du taux d’occupation (qui avoisine les 100%) n’ont pas été pris en compte dans le budget 2018. Le budget des Centres de rétention administrative est de 45,8 millions d’euros pour 2018 alors que le budget exécuté en 2016 était de 61,3 millions d’euros pour le placement en rétention de 44 086 personnes. Comment veut-on exécuter cette politique si l’on n’y alloue même pas les moyens budgétaires nécessaires ?

Cependant, la simple application des lois existantes est loin de suffire. Nous devons changer de paradigme. Au lieu de continuer à favoriser l’immigration illégale (en n’expulsant pas les clandestins et en continuant d’offrir des services comme l’Aide médicale d’Etat) au détriment de l’immigration légale (qui nécessite de faire des queues scandaleuses dans nos préfectures pour l’obtention de titres de séjour légal), nous devons faire l’inverse. Trois mesures s’imposent.

Premièrement, les demandeurs d’asile provenant de pays dits « sûrs », comme l’Albanie, ne doivent plus pouvoir déposer leur demande d’asile dans notre pays, mais dans leur pays, au consulat français le plus proche de chez eux. De la même manière, nous devons installer des centres offshore de traitement des demandes d’asile, non seulement dans les camps de réfugiés du Haut Commissariat aux Réfugiés de l’ONU, mais aussi et surtout dans les pays d’origine et de transit, de telle sorte que les migrants, d’où qu’ils viennent, n’aient pas besoin de poser le pied sur le territoire européen pour y déposer leur demande d’asile : il ne doit plus y avoir d’excuse à l’entrée de manière illégale sur notre territoire. Les migrants entrant illégalement dans l’UE par bateau ou voie terrestre pourront alors être interceptés et transférés vers ces centres offshore.

Deuxièmement, nous devons nous doter d’un système de gestion de l’immigration légale à la fois simple, efficace, et surtout fiable, à l’instar de l’ensemble des pays développés ayant une politique migratoire où la loi est appliquée. En effet, nous devons bien mieux distinguer entre immigration légale et illégale. Pour cela, il est impératif de créer enfin un véritable statut de résident, avec des cartes de résident à la durée de validité égale à la durée du contrat de travail (ou des études) de l’étranger. De même, il convient de créer un statut de résident permanent, qui pourra être octroyé aux étrangers les plus qualifiés (ex : expatriés de multinationales, scientifiques ou artistes reconnus), qui dispensera l’étranger de devoir renouveler sans cesse son titre de séjour et lui évitera la tentation de demander la nationalité pour de simples questions de droit au séjour. Ce système, amplement prouvé dans des pays comme le Canada ou le Japon, permettra de désengorger les préfectures de manière drastique et permettra à ces dernières de se focaliser sur la répression de l’immigration illégale.

Enfin, nous devons pouvoir éloigner l’intégralité des étrangers en situation irrégulière. En effet, tous les efforts investis dans les politiques des visas, des frontières et de l’asile sont réduits à néant si les déboutés et les migrants ayant  pénétré illégalement sur notre territoire ne sont qu’une petite minorité à être éloignés. Il n’y a pas de gestion possible de l’immigration sans politique de retour efficace pour les illégaux. Le problème est bien connu : les pays d’origine de l’immigration ne délivrent pas suffisamment de laissez-passer consulaires, documents aujourd’hui indispensables à l’éloignement. Face à ce problème ancien, la vieille solution du conditionnement de l’aide au développement de la France à cette délivrance de documents ne sera jamais qu’une solution partielle et peu applicable. Nous devons donc aussi signer des accords avec des pays tiers afin que tous les clandestins ressortissants de pays récalcitrants à leur retour puissent être acheminés vers des centres de rétention construits dans le pays tiers, sur le modèle de l’Australie avec le camp de rétention à Nauru. C’est une solution gagnant-gagnant pour la France (le migrant illégal est expulsé) et pour le pays tiers (le centre de rétention fournit de l’emploi et est assorti d’aides financières), et qui permet de court-circuiter l’assentiment du pays dont l’étranger est ressortissant. De plus, l’éloignement se fait vers un endroit où le migrant sera en parfaite sûreté, nous protégeant ainsi des décisions idéologiques de la CEDH. Cette politique étant fortement dissuasive (comme démontré par l’Australie, première à avoir appliqué cette politique, où le nombre de traversées illégales, et donc le nombre de morts en mer, ont largement baissé), l’effort budgétaire (certes conséquent) ne sera que temporaire, car une fois le système en place, plus personne ne cherchera à venir illégalement sur notre territoire.

Ces trois mesures mettront un terme définitif à l’immigration illégale tout en permettant toujours un accueil des véritables réfugiés (et ce dans de bien meilleures conditions qu’aujourd’hui), et faciliteront grandement la vie des étrangers résidant légalement en France, leur permettant ainsi de mieux s’intégrer.

Oui, l’islam a joué un rôle dans la guerre d’Algérie

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Les historiens, algériens ou non, ne se bousculent pas pour aborder le sujet. La guerre d’Algérie a pourtant bien eu une dimension religieuse.


Il avait fallu que l’Algérie mit fin au monopartisme, avec la nouvelle Constitution de 1989, pour que l’islamisme devienne visible. Très vite agressivement totalitaire, il préféra la plonger dans une effroyable guerre civile qui fit plus de 200 000 morts selon le président de la République lui-même. En Algérie et plus encore ailleurs, beaucoup s’étonnèrent : mais d’où sortaient donc ces centaines de milliers de barbus en gandoura blanche bien décidés à imposer leur nouvel ordre, d’abord aux femmes et aux intellectuels, et ensuite au reste, par la carotte, le bâton et enfin par la kalachnikov ?!

Pas l’islamisme, l’islam

Les premières réponses furent du registre de la paresse de la pensée. C’était la faute, bien sûr, de l’Iran qui voulait exporter sa révolution khomeyniste. C’était la faute des « Afghans » (plus de 3000 jeunes algériens ayant combattu les Soviétiques dans les années 80 venaient d’en revenir…) ; la faute enfin des Frères musulmans qu’on appelait familièrement « les frérots » : en arabisant totalement son système d’éducation, l’Algérie avait dû importer des milliers d’enseignants, pourchassés dans leurs pays par les nasséristes et les baathistes pour leur activisme islamiste (Egyptiens, Irakiens, Syriens, etc.). Comme il est fréquent dans le monde arabo-musulman, la faute c’est toujours celle des autres. Le mal vient toujours d’ailleurs.

Depuis, des chercheurs algériens ont certes rectifié cette idée en évoquant l’origine religieuse de la violence durant la guerre d’Algérie. Mais ils n’en ont jamais fait l’objet d’une étude spécifique. Ni Mohamed Harbi, pourtant le plus contestataire des historiens algériens de cette période, ni les autres grands historiens français spécialistes de cette période, Guy Pervillé et Gilbert Meynier. Personne n’avait osé mettre les pieds dans le plat, tant la question est tabou, et démontrer que déjà la guerre d’Algérie (1954-1962) avait eu une « dimension » religieuse.

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Ce mérite revient à Roger Vétillard, fortement encouragé d’ailleurs par Gilbert Meynier dans cette délicate entreprise. Peut-être parce que cet ancien médecin spécialiste qui a attendu la retraite pour se lancer dans l’étude de la guerre d’Algérie a su profiter de cette liberté de n’être pas historien de profession. Ce qui en retour lui faisait obligation de redoubler de scrupules quant aux sources et à leur traitement. Fort de son savoir médical, il va, tel le sémiologue, aller du symptôme (discours, prises de positions, programmes, etc.) vers la matrice, celle dont il ne faudrait pas montrer le sein, l’islam. Pas l’islamisme, non, simplement l’islam, qui imprègne conscience et inconscient, paroles, gestes et actes. Or  la société algérienne, profondément islamisée depuis 16 siècles est naturellement sculptée par les concepts-clés de la doctrine, et notamment par celui qui règle le rapport à l’autre, le djihad. Il reviendra aux dirigeants nationalistes de l’ALN-FLN, y compris ceux connus pour être des « laïcs », de puiser sans vergogne dans ce fonds sans fond, que ce soit par volonté de manipuler facilement les collectifs ou par opportunisme politique.

L’ennemi est « l’infidèle », la guerre est un « djihad »

Ne dit-on pas « moudjahid », alors que le mot arabe pour « combattant » existe ? « Fidaï » (« fidayine » au pluriel), qui évoque le « sacrifice », pour désigner le terroriste (celui qui en tuant y compris des civils est chargé de provoquer de la terreur) et « chahid » (au pluriel « chouhada ») pour le combattant tué, mais dont la signification littérale est « martyr » (de la religion)…

Des preuves, Roger Vétillard va en convoquer 45. Pas une de moins ! « Précises et vérifiables », comme insiste l’auteur. La déclaration d’indépendance du 1er Novembre 1954 a pour but un Etat souverain, mais « dans le cadre des principes islamiques ». On se jure fidélité sur le Coran. On coupe le nez des déviants pris en flagrant délit. L’homosexuel est puni de la peine de mort, quel que soit son grade (le chef militaire Bachir Chihani en fera l’expérience). L’égorgement n’est pas un acte sauvage pour le combattant, puisque sanctifié par l’islam[tooltips content= »« Je suis venu à vous par l’égorgement, a dit Allah » (Abu Ya’La, hadith n° 7285) »]1[/tooltips]. L’ennemi est « l’infidèle », la guerre est un « djihad ». On la mène au cri d’ « Allahou akbar » (Allah est le plus grand). Et ceux qui la font sont des « frères » (« khawa », c’est-à-dire des frères… musulmans). Dans les zones qu’il contrôle, le FLN remplace la juridiction française laïque par la charia.

« L’islam a été le ciment qui nous permit de sceller notre union »

Un des grands dirigeants de la lutte armée, et particulièrement du massacre du 20 août 1955 dans l’est-algérien, Lakhdar Ben Tobbal, avoue dans ses mémoires avoir fait la guerre aux non-musulmans : « Bons ou mauvais, je ne faisais pas de différence ». Un autre dirigeant, Si Abdallah, témoigne : « Nous n’arrivions pas dans une mechta en soldats révolutionnaires mais en combattants de la foi et il est certain que l’islam a été le ciment qui nous permit de sceller notre union… » Même un des dirigeants souvent présenté comme le Saint Just laïque de la révolution et qui sera assassiné par les siens, le Kabyle Abane Ramdane, ne dérogera jamais à l’idéologie dominante qui se veut « arabo-musulmane », et à ce titre signera un texte contre « les berbéristes », destiné à la Fédération de France du FLN. Quant à l’autre chef kabyle, le Colonel Amirouche, très peu savent qu’il adhéra à l’Association des Oulémas (d’où sortiront plus tard les cadres de l’islamisme), qu’il défendit la langue arabe contre le berbère, qu’il s’opposa radicalement aux « berbéristes » (nationalistes qui ne voulaient pas d’une Algérie fondée sur des critères ethniques ou religieux) et qu’il imposa les prières quotidiennes à ses subordonnés dans les maquis.

Aussi, le résultat d’une telle orientation pouvait-il être autre que celui qui s’imposa au moment de l’indépendance et que révéla clairement le président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), Ben Khedda, trente ans plus tard dans ses mémoires : « En refusant notamment la nationalité algérienne automatique pour un million d’Européens, nous avions prévenu le danger d’une Algérie bicéphale »[tooltips content= »La fin de la guerre d’Algérie, Casbah Ed. 1998″]2[/tooltips] ? Les accords d’Evian du 18 mars 1962 (qui ne furent jamais ratifiés par l’organe suprême du congrès de Tripoli) se refusaient à considérer les non-musulmans comme des Algériens. Diktat imposé par le FLN à la France, en échange de l’autorisation à exploiter le pétrole durant 10 ans. Les non-musulmans ne pouvaient devenir Algériens qu’en en faisant la demande, souvent refusée à des militants de la cause indépendantiste.

L’effacement des non-musulmans

Dans le très officiel Mémorial des Martyrs d’Alger, aucun nom de combattants non-musulmans ne figure. Bien plus, à Ténès on débaptisera la rue Ghenassia en rue de Palestine : cet infirmier juif avait pourtant préféré mourir que fuir l’encerclement de l’armée française, afin de rester près de ses blessés. En 1962, le million de chrétiens et de juifs n’eut d’autre choix que de quitter précipitamment ce qu’ils considéraient comme leur pays. Et pour ceux qui, malgré tout, continuaient à espérer pouvoir rester, on commandita l’assassinat du musicien juif Raymond Leyris, le 22 Juin 1961, puis une année plus tard le massacre de centaines de non-musulmans à Oran, le 5 Juillet 1962, méfait à ce jour non-revendiqué par ses auteurs, et à propos duquel aucun historien algérien n’a encore osé entreprendre une recherche, comme on peut s’en douter.

Des preuves de « la dimension religieuse de la guerre d’Algérie », on pourrait encore en trouver de très nombreuses. Ce qui ne manque pas d’étonner, c’est plutôt le refus des élites algériennes comme européennes d’admettre l’évidence. Et si cela pouvait se comprendre durant la guerre d’indépendance, de leur point de vue (ne pas affaiblir « la révolution »), que dire aujourd’hui, 56 ans plus tard ? Ne serait-ce pas parce que cette stratégie de l’aveuglement rend encore quelques services aux élites dhimmisées en cette époque où les violences de l’islamisme, confinées jusque-là aux pays musulmans, sont en train, depuis plus de deux décennies, de s’exporter, notamment en Europe ?

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Le livre de Roger Vétillard, qu’aurait aussi bien pu écrire La Palice, est donc une nouvelle invitation à ôter ses œillères et à nommer les choses telles qu’elles sont et non telles qu’on souhaiterait les voir. La lecture d’un monde en plein remodelage y gagnerait en lucidité.

Je lui ferai néanmoins une objection : pourquoi avoir repris la thèse de Mohammed Harbi qui attribue aux « ruraux » la responsabilité de l’imprégnation de la religiosité dans le combat libérateur ? Thèse doublement contredite par le fait que l’Association des Oulémas, d’où émergèrent de nombreux dirigeants, fut toujours dirigée par des citadins, à commencer par Ben Badis, et surtout par le fait que la société algérienne profonde, paysanne, resta fidèle à l’islam confrérique[tooltips content= »L’anthropologue algérienne Fanny Colonna, disparue en 2014, a consacré l’essentiel de son travail à ce sujet, notamment dans Versets de l’invincibilité, 1995, Presses de Sciences Po. »]3[/tooltips], et ce malgré la stigmatisation et les attaques des nationalistes et de l’Association des Oulémas avant l’indépendance, et des islamistes du FIS-GIA dans les années 90, pour tenter de s’imposer comme unique représentant dans le champ du religieux. Sans succès jusqu’à aujourd’hui. Et à tel point que Bouteflika, changeant le fusil d’épaule, fut contraint de s’en faire des alliés…

La France, victime de la décadence médiatique

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Une tribune de Sophie de Menthon.


Tous coupables de cette décadence médiatique que nous encourageons en mordant à l’hameçon ? A moins que ce ne soit le modèle économique de la presse à bout de souffle ? Ou encore la faute d’une paresse intellectuelle entretenue ? Mais la réalité est bien là, nous ingurgitons en boucle une bouillie médiatique indigente qui nous conditionne. Un embrigadement volontaire qui nous soumet à une sorte d’influence sans issue, le syndrome de Stockholm !

Quand le scoop tue l’info

Trop nombreuses, les chaînes d’info en continu sont astreintes à une compétition permanente au mépris absolu de la qualité et de l’objectivité qui nécessitent un peu de temps et d’investigation. Presse écrite ou audiovisuel, on n’a plus les moyens de mener des enquêtes sérieuses. Quant à la radio, les jeunes de moins de 25 ans ne l’écoutent pas. Nos parents attendaient les « nouvelles », on nous a conditionné à attendre les scoops.

Nous ne choisissons plus nos vecteurs d’information, nous zappons inlassablement. Saluons toutefois les bonnes émissions… Mais comment supportons-nous de regarder indéfiniment ces malheureux reporters postés, qui attendent inlassablement un micro à la main qu’il se passe quelque chose quelque part, meublant de propos insipides mais haletants de longues heures creuses. L’envoyé spécial qui nous annonce qu’il n’a rien à dire mais qu’il va le dire. Le micro qui se tend aux victimes des inondations en leur demandant (sic) « …et vous espérez que les pluies vont être moins abondantes ? » Ou encore guettant l’annonce du nouveau gouvernement qui ne vient pas, et qui enfin arrive… par dépêche AFP ! Ce qui nous a offert récemment le spectacle hilarant du messager posté devant Matignon ou l’Elysée, micro au poing, consultant son portable pour y trouver la composition du gouvernement.

La télé vit avec l’espoir de la « breaking news » qui permet de stopper n’importe quelle émission pour faire semblant d’être les premiers informés et donner le sentiment que c’est important et que tout s’arrête : suspense ! Pour que le téléspectateur ne s’ennuie pas pendant les informations ou les débats (ce qu’on peut comprendre), on lui met en sous-titre d’autres infos qui n’ont rien à voir avec le sujet traité, évitant ainsi réflexion et concentration ; en même temps, il peut vérifier sur les réseaux sociaux s’il n’y a pas une « fake news » qui traîne.

La recherche du feuilleton

Les sujets qui font la « une » avec matraquage systématique ont heureusement une durée de vie assez limitée, comme par exemple la sortie du CD posthume de Johnny Hallyday faisant l’objet d’émissions d’autant plus spéciales que personne n’avait pu écouter encore les chansons. Mais on nous expliquait comment le secret avait été bien gardé avec les mêmes précautions que s’il s’agissait d’un engin nucléaire, reportage prolongé tard dans la nuit jusqu’à 1h du matin pour guetter les fans qui seraient les premiers dans les points de vente ouverts à minuit… et toujours le même reporter micro au point dans une rue déserte auquel on demande : « Est ce que la foule se presse déjà devant la boutique ? »

Les engouements médiatiques auxquels il est impossible d’échapper sont créés de toute pièce par le phénomène de répétition et la psalmodiation crescendo qu’il faut alimenter sans cesse par un nouveau détail essentiel.

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Le feuilleton est un objectif rêvé, comme celui concernant Benalla auquel on finit par s’attacher, chouette un rebondissement : le certificat des victimes tabassées serait un faux de l’aveu du médecin qui l’a produit. Après la sortie du disque de Johnny Hallyday on devrait repartir sur l’héritage, les droits et le procès entre les enfants et la veuve. Mélenchon vient de nous offrir un entracte avec la rixe de sa perquisition, sa liaison supposée, et, oh ! bonheur, il en a rajouté en insultant l’accent… d’une journaliste ! Comme c’est la presse qui porte plainte on en a pour un bout de temps, sans compter l’ineffable proposition de loi factice sur la stigmatisation des accents : la « glottophobie » dont on ignorait tous l’existence. En plus, voila qui pourrait relancer l’affaire Zemmour ?

Tout cela est bien rodé : scoop, internet, presse, commentateurs télé, gros-titre, presse people, reprise de la presse people, hurlements de l’opposition et on recommence.

Les médias sont l’actualité

Les hallalis sont monnaie courante, s’acharnant sur l’ennemi public numéro 1 de l’instant qu’on abandonne à terre quasi mort ; si on l’a calomnié (la « fake news » n’est pas autre chose que la calomnie) deux ou trois lignes et quelques brèves feront l’affaire pour ajuster le tir ou démentir. De toute façon, il ne sera jamais blanchi…

Ce qui est grave, c’est la manipulation des esprits et l’impossibilité de s’exprimer avec nuance et de remettre les choses à leur juste place, l’indignation fait vendre et nous achetons. Le nombre croissant de mots interdits, les soupçons permanents de stigmatisation, de racisme, d’intolérance, etc. font partie du prêt-à-penser généralisé et fournissent les occasions de s’indigner. Seuls les medias seraient politiquement corrects !

Nos sondages eux-mêmes finissent par être le reflet de ce dont on nous gave. Les medias ont décidé d’avoir pitié des retraités ? Pourquoi pas, mais alors impossible d’expliquer quoi que ce soit, l’émotionnel prime et défile sur les ondes des victimes qui nous font part de leurs déboires et de l’amputation de leur maigre revenu.

La vraie question qui se pose est aujourd’hui de savoir si ces medias que nous suivons en schizophrènes, malgré la désapprobation générale qui se manifeste à leur encontre, vont finir par faire échouer la réforme de la France ? La descente aux enfers du président de la République est-elle réellement le résultat de sa politique ou de ce que les medias ont décidé d’en retenir ?

Les politiques puisent dans ce déferlement de scandales de quoi étoffer leur position d’opposants impuissants. Ils n’en sortent pas grandis et les Français ne sont pas dupes. Toutefois, à force de se contenter de l’écume des choses et de trucider nos rois en les choisissant comme boucs-émissaires, nous courons au naufrage politique intellectuel et social du pays.

Jeunesse de droite: le grand replacement


L’hégémonie de la gauche dans la jeunesse française est révolue. La droite intellectuelle ne rase plus les murs et conquiert même les plateaux télévisés. Mais cette embellie doit davantage à la crise de notre société multiculturelle qu’au travail idéologique mené par quelques jeunes plumes au conservatisme parfois trop dogmatique.


Jadis, le monde était simple : les jeunes votaient à gauche, militaient à gauche, pensaient à gauche. Moralement discrédité à la Libération, le camp conservateur pliait l’échine devant une gauche qui s’arrogeait le monopole du cœur et de la vérité. Sartre pouvait exciter la haine de classe en accusant à tort un notaire de meurtre, Mitterrand dépasser l’entendement en promettant de sortir du capitalisme en cent jours, SOS Racisme fasciser quiconque questionnait la société multiculturelle, les jeunes générations acquiesçaient.

Or, voilà qu’après une longue éclipse, quelques francs-tireurs conservateurs creusent le sillon tracé par leurs aînés et franchissent les portes des médias. Zemmour et Buisson ayant ouvert la voie, Mathieu Bock-Côté, Eugénie Bastié (Le Figaro, Limite), François-Xavier Bellamy courent les plateaux télévisés, des revues comme Éléments sortent de la marginalité, des instituts de formation catholiques, identitaires libéraux ou un peu de tout cela à la fois émergent. Le tout est encouragé par la nouvelle mission métapolitique – gagner la bataille des idées – que s’assigne la jeune garde conservatrice, dont la coqueluche se nomme Marion Maréchal, et la base hésite entre un vote LR ou FN.

Quand la droite bat le pavé…

Aussi fluctuants soient ses contours, reste un mouvement de fond, que le brillant trentenaire Alexandre de Vitry pointe dans son pamphlet Sous les pavés, la droite : la jeune droite conservatrice ne craint plus de s’affirmer comme telle, de se doter d’une idéologie et de repenser son rapport au libéralisme. Ce n’est pas la première fois qu’émerge une jeunesse de droite revendiquant haut et fort cette étiquette. Le 30 mai 1968, les jeunesses gaullistes étaient sorties du bois pour soutenir le Général contre la « chienlit » des lanceurs de pavé. Tout en s’inscrivant dans cette lignée, les jeunes sarkozystes du début des années 2000 assumaient un rapport décomplexé à l’argent et à la réussite sociale qui les distinguait des caciques chiraquiens. Quelques années plus tard, poussée par l’offensive sociétale du quinquennat Hollande, une génération de jeunes catholiques conservateurs se soulève contre le mariage pour tous. Cette dernière vague investit le domaine des idées et porte un projet politique de transformation de la société.

Pour Alexandre de Vitry, c’est là que le bât blesse : la droite trahit sa nature pragmatique à force de battre le pavé et de forger une idéologie cohérente, sûre d’elle-même et dominatrice. Cette quête du Grand Soir conservateur ignore toute la complexité du réel, les invariants de la nature humaine et les pesanteurs du monde. Ici, entre en jeu la littérature, laquelle rappelle à l’homme son devoir d’humilité. En prétendant faire table rase du réel qui lui déplaît (liberté sexuelle, homoparentalité, droit à l’avortement…), une certaine droite suridéologisée rejoint les errements démiurgiques d’une gauche que l’idée de rupture obsède depuis la Révolution française. De sorte qu’un 10 mai 1981 conservateur pourrait bien être suivi de lendemains qui déchantent rappelant le tournant de la rigueur de 1983.

Conservateurs de souches

Parlons franc. Si sa défense paradoxale du droit à la contradiction et sa critique du pavlovisme antilibéral font l’effet d’un grand bol d’air, le réquisitoire ad hominem que dresse Vitry frôle parfois l’antifascisme policier, dont une certaine gauche est si friande. Mais à tout péché miséricorde. Grâces lui soient rendues, ainsi qu’à Eugénie Bastié, pour avoir engagé un dialogue fécond dans nos colonnes.

Cette jeunesse intellectuelle hostile aux mots d’ordre de 68 n’a pas surgi tout armée du crâne de Jupiter. Dans l’opinion, une vague générationnelle s’y reconnaît. « La jeunesse est à l’image de la société française : très divisée et diverse. 25 % des jeunes ont voté Mélenchon, mais toute une frange qui vit de plain-pied dans la société multiculturelle est en attente de valeurs d’ordre », indique le politologue et directeur d’études de l’IFOP Jérôme Fourquet. De l’avis quasi général, à droite, l’insécurité culturelle engendrée par une immigration massive inassimilée explique à la fois l’importance du vote FN et le repli identitaire de nombreux catholiques, de plus en plus opposés au pape François. N’en déplaise aux antiracistes professionnels, beaucoup des jeunes adversaires du multiculturalisme partisans d’une immigration limitée, sinon de la remigration, ont des origines exotiques. Français de plusieurs souches, ils désarçonnent le camp d’en face, à l’image de l’avocat libertaire Nicolas Gardères : « Le véritable renouveau de la droite n’est pas dans les idées, il est dans l’incarnation. Son discours est de plus en plus porté dans le champ politico-médiatique par les femmes comme les porte-parole de la Manif pour tous, des homosexuels (Philippot) et des hommes appartenant à des minorités religieuses (Zemmour). »

A lire aussi: « Le conservatisme semble sorti de l’ombre »

Vu de gauche, l’itinéraire d’un Édouard Chanot, journaliste-chroniqueur sur la chaîne russe Radio Sputnik, paraît incompréhensible, tant il défie les a priori. Ce trentenaire franco-philippin met à l’actif de la droite culturelle deux grandes victoires sémantiques, remportées notamment sur le front de la lutte contrer l’islamisme : « La désignation de l’ennemi et la reconnaissance de facto du “grand remplacement”. » L’expression forgée par Renaud Camus fait florès dans les médias, même pour la dénoncer, quoique Chanot préfère parler de « grande balkanisation », persuadé que notre société se communautarise à mesure que les flux migratoires progressent. La reconnaissance de cet état de fait n’est sans doute pas entièrement imputable aux intellectuels qui confirment ce diagnostic aisément observable au quotidien. « Ce ne sont pas les idées qui dominent le monde, mais les circonstances », glisse l’ancien étudiant d’Assas, successivement militant UNI, auditeur de l’Institut de formation politique (IFP), membre des cercles conservateurs américains, puis élève de l’Institut Iliade, fondé après le suicide de l’essayiste néo-païen Dominique Venner, figure de la droite radicale identitaire. Un cursus honorum qui résume les tours et détours de sa quête de sens. « Mes amitiés avec cette mouvance étonnent toujours, mais j’ai beaucoup lu le philosophe Léo Strauss qui prône le retour aux Anciens », explique Chanot. Et sur le marché de l’identité, l’Institut Iliade « pour la longue mémoire européenne » offre une formation clé en main autour de la tradition, des mythes hors d’âge et autres expressions d’une identité charnelle résolument völkisch.

« Le discours de la gauche se heurte aujourd’hui à la réalité »

À la confluence de la mouvance identitaire, de l’antilibéralisme et du conservatisme, François Bousquet, 50 ans, rédacteur en chef d’Éléments et gérant de La Nouvelle Librairie, se réjouit de voir la tectonique des plaques intellectuelles bouger. « Difficile de nier qu’il y a un renouveau intellectuel du conservatisme qui profite plus à la droite qu’à la gauche, autrement affectée par la crise de l’idéologie du progrès », diagnostique-t-il. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un œil sur les couvertures d’Éléments, publication de la Nouvelle Droite devenue un magazine qui a pignon sur rue : les intellectuels de gauche, Onfray, Gauchet, Julliard, Guilluy, s’y bousculent presque ! Sur fond d’antilibéralisme, le magazine aux éditos signés Alain de Benoist redistribue les cartes du jeu idéologique. Pour la philosophe analyste du discours politique et des idéologies Nathalie Krikorian, « on assiste aujourd’hui à une forme de décomposition des idéologies, en particulier à gauche. La seule chose qui a permis à la gauche française de survivre, dans son aberration révolutionnariste et égalitariste, c’est son discours immigrationniste et différentialiste des années 1980. Mais il se heurte aujourd’hui à la réalité. » Les idées circulent tant et si bien d’un bout à l’autre du champ intellectuel que le droit à la différence, popularisé par la Nouvelle Droite, a été repris par l’antiracisme mitterrandien. C’est au nom de ce même droit que François Bousquet revendique aujourd’hui un éloge de la frontière contre « la montée de l’indifférenciation, de sociétés indifférenciées suite à un lissage universel ».

Pour autant, cette jeune garde conservatrice est loin d’occuper tout l’espace à droite où cette vague antilibérale suscite quelques étranglements. Avec Alexandre de Vitry, de jeunes libéraux moquent la Sainte Trinité de l’antiprogressisme, formée par Michéa, Guilluy et Orwell. Au côté de Benjamin Demeslay, le rédacteur en chef de L’Incorrect, Gabriel Robin, 33 ans, prépare pour début 2019 la sortie du Non du peuple, un essai explicitement dirigé contre le conservatisme antilibéral. Robin dénonce le nouveau prêt-à-penser des légions de la Manif pour tous, dont le gros livre rouge est La Cause du peuple, de Patrick Buisson : « Dans l’imaginaire de la droite française des années 2000 et 2010, la France périphérique tient la place du tiers-monde pour la gauche post-68. Pour Buisson, la Manif pour tous sera pour la “France de Johnny” ce que les bolcheviks furent aux damnés de la Terre, une élite régénérée portant sur ses épaules un peuple méprisé. » La droite quart-mondiste existe, tout le monde l’a rencontrée en librairie. Pour Robin, Buisson fantasme avec style et brio un peuple paré de toutes les vertus conservatrices. Tout comme, sur le flanc gauche, Michéa associe un peu trop mécaniquement aux gens ordinaires la common decency orwellienne. Faut-il avoir oublié Céline pour croire que la pauvreté rend vertueux…

Cherchez le peuple

Paradoxalement, la jeune droite libérale cède à la vieille tentation maurrassienne de calquer ses schémas idéologiques sur les attentes du « pays réel ». Ainsi, toutes les études d’opinion confirment une montée des valeurs consuméristes et individualistes dans la jeunesse française, d’ailleurs majoritairement partisane du mariage et de l’adoption homosexuels, aux antipodes de la Manif pour tous. Quant à la France périphérique, si bien décrite par le géographe Christophe Guilluy, ses habitants rêvent moins d’une nouvelle chouannerie que d’un libéralisme tempéré par des frontières. « Le Français moyen assimile le libéralisme au fait de payer moins d’impôts, de travailler plus pour gagner plus, ou d’entreprendre sans être trop entravé. C’est d’ailleurs une des raisons du succès de Nicolas Sarkozy en 2007 », analyse Gabriel Robin. Cela ne signifie pas, tant s’en faut, que le peuple des campagnes et des pavillons ne s’intéresse qu’à l’argent. Nombre de Français périphériques céderaient volontiers aux sirènes d’un « populisme patrimonial » (Dominique Reynié) à même de préserver leur mode de vie, s’il existait.

Le décalage entre la France concrète et la vision qu’en ont certains intellectuels conservateurs s’explique peut-être aussi par un biais sociologique. Dans ce qui reste de France catholique bourgeoise, des soixante-huitards au carré, enfants gâtés de la démocratie et de la révolution sexuelle, exercent un droit d’inventaire légitime, mais parfois inconséquent, sur notre société libérale. Ainsi, « aucune doctrine n’est moins comprise que le libéralisme, en France », regrette le philosophe Raphaël Enthoven : « Ce n’est pas la liberté du renard dans le poulailler. Rien n’est pire, aux yeux d’un libéral, qu’un individualisme échevelé, qui se satisfait de la guerre de chacun contre chacun. Un libéralisme bien compris suppose l’égalité des chances (sans laquelle la concurrence est faussée) et le respect de la loi (qui est la même pour tous) », poursuit ce républicain de gauche. Là se trouve l’une des clés de la convergence entre antilibéraux des deux rives qui s’exprime dans les colonnes d’Éléments ou de Limite. En faisant indistinctement feu sur le libéralisme, l’individualisme et le multiculturalisme, ces théoriciens ressuscitent des formes sophistiquées de communautarisme, fût-il socialiste ou chrétien. « Les uns veulent remettre le maître d’école au centre du village, les autres le curé », en sourit Gabriel Robin.

C’est dans ce tourbillon idéologique qu’Emmanuel Macron a bâti sa victoire à la dernière présidentielle. Renvoyant dans les cordes droite et gauche, Jupiter a coiffé sur le poteau tous ceux qui pensaient l’enjeu identitaire incontournable. Les intellectuels conservateurs sont donc encore loin de réunir derrière eux un bloc majoritaire. C’est à partir de ce constat que Marion Maréchal a créé l’Institut de sciences sociales, économiques et politiques pour former les cadres conservateurs de demain. À l’université, l’hégémonie de la gauche, moribonde ou contestée ailleurs, est toujours écrasante. Le sorbonnard et professeur certifié Lucien Rabouille, 24 ans, constate : « En termes de masse critique, on est écrasé. Il y a des phalanges de sociologues et d’historiens Insoumis », du Collège de France à la plus modeste fac de province. Un peu comme Alexandre de Vitry, il estime que la droite intellectuelle fait fausse route en se piquant d’idéologie : « Il faudrait laisser la prétention de l’objectivité à la gauche. On n’est pas armés pour se battre sur ce terrain. » Certes, mais pourquoi renoncer au combat politique alors que tant de défis se posent à la société ? Dans son dialogue avec Vitry, Eugénie Bastié entend tenir les deux bouts de la chaîne. Littéraires et politiques pourraient s’accorder sur la reconnaissance d’ « une forme d’incomplétude, de modestie face à l’histoire, de refus de l’utopie » qui ne dispense pas la droite d’avoir des idées politiques. Aux nouveaux hussards de relever le gant !

France télévisions s’interroge: un historien peut-il débattre avec Zemmour?

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eric zemmour patrick weil
Eric Zemmour. Sipa. Numéro de reportage : 00715073_000036.

« Les chercheurs ont-il vocation à intervenir dans les médias ? » se demande (sérieusement ?) le site de France TV Info. Alors que les « partis-pris » d’Eric Zemmour gagnent du terrain dans l’opinion, à force de sectarisme, les journalistes du service public ont des nœuds dans le cerveau…


Sur le site de France TV info, quatre intellectuels ont décidé de prendre leurs distances avec le pugilat médiatique. Bruno Cautrès, Pierre Lefébure, Julien Longhi et Claire Sécail se questionnent en synode sur le rôle que doivent tenir les chercheurs dans nos médias. Une entreprise curieuse… eux l’ont apparemment estimée salutaire !

« Certains chercheurs vont jusqu’à débattre avec Eric Zemmour de nos jours… Où va-t-on, mes bons amis ? »

Anne-Claire Ruel, conseillère en stratégie d’opinion et prof de fac, était d’humeur un peu chafouine après un éprouvant visionnage. De quoi parle-t-on ? Du débat contradictoire de BFMTV entre un polémiste trop orienté idéologiquement à son goût (Eric Zemmour) et un historien du CNRS fort respectable (Patrick Weil), où il faut bien reconnaître que le second n’a pas été le plus brillant orateur. A sa décharge, au programme étaient abordés tous les thèmes sulfureux adorés par Zemmour (collaboration en 1940, invasion de hordes arabes dans l’hexagone, multiplication des librairies halal etc.). Un petit festival :

Anne-Claire Ruel décroche son téléphone pour interroger ses plus éminents confrères sur le sujet et organiser une réflexion entre ecclésiastiques éclairés. Voir débattre à la télévision un éminent historien accrédité avec un polémiste populaire n’est-il pas un mélange des genres des plus vulgaires ? « Certains chercheurs vont jusqu’à débattre avec Eric Zemmour de nos jours… Où va-t-on, mes bons amis ? » s’emporte-t-elle outrée au téléphone.

Les réflexions de haute tenue qui vont suivre sont regroupées dans le long et soporifique billet de blog hébergé par France Télévisions (la redevance télé est décidément judicieusement dépensée).

A part leur rejet sous-jacent permanent des théories du journaliste du Figaro Magazine, pas évident en vérité de voir où veulent en venir nos régisseurs du débat d’idées ! Sous le prétexte d’expliquer combien il est difficile pour un chercheur de s’adapter aux contraintes des affreux médias modernes où ils sont appelés à témoigner, une glose sans fin se développe. Voici la substantifique moelle qu’on peut tirer des questionnements de nos éminents savants « progressistes ».

Zemmour n’est même pas chercheur au CNRS !

Les médias n’offrent pas le support idéal pour exposer tout le savoir scientifique. Les chaînes info en continu sont apparemment un fléau où les journalistes travaillent dans l’urgence. Les émissions racoleuses concoctées par ces derniers ne permettent que trop rarement au chercheur d’y développer toute l’étendue de son sidéral savoir universitaire. Scoop !
Les médiatiques mettent sur un plan d’égalité les différents intervenants. Un petit scandale ! Si le vote de chaque citoyen a la même valeur, dans le domaine des opinions, faudrait pas pousser ! Demandons à BFMTV de mettre en gros et en bien gras les titres des scientifiques intervenants sur les plateaux. Ils y sont visiblement très attachés . Sinon, la parole d’un vulgaire « polémiste » est autant considérée que celle d’un « vrai » chercheur. Comment le citoyen peut-il ne pas voter comme un sagouin ensuite ?
La télévision ne permet pas de « notes de bas de pages », de « bibliographie », « d’équations ou de modèles ». C’est vraiment ballot, car les scientifiques excellent dans ces domaines.

Certains journalistes mal intentionnés retranscrivent de travers les citations les plus brillantes de nos savants. Ceci dans le but fallacieux de « conforter ou illustrer un aspect de l’angle développé dans [leur] article ». Salauds !
Pour en revenir à Belzébuth (Gargamel / Zemmour NDLR), qui parvient de son côté à se jouer de tous ces pièges, son « régime de parole » est celui du « domaine de l’opinion masquée derrière une pseudo-scientificité ». Alors que, bien sûr, le régime de parole de Weil « c’est la vérité du savoir et des connaissances scientifiques ».

Déplorant que Weil n’ait pas eu droit à sa propre émission (Gargamel est parfois invité seul ce privilégié !), le conclave de conclure : « Il y a donc une double responsabilité : celle des historiens scientifiques de s’exprimer dans les médias et celles des médias de leur fournir les conditions les plus favorables puisque, par ailleurs, leur fonctionnement ordinaire fournit à Zemmour des formats d’expression dans lesquels il est à l’aise. »

Certains idéologues sont plus égaux que d’autres

Tout le champ lexical pédant des sciences sociales et de la linguistique a beau être convoqué, la glose de nos archidiacres ci-dessus résumée peine à accoucher d’autre chose que d’une souris pour défendre la cause du malheureux Patrick Weil.

D’une part, Zemmour, en vérité toujours présenté avec beaucoup de pincettes par les journalistes qui l’invitent, accepte humblement de se voir qualifier d’ « essayiste » voire de « polémiste » (ce qui peut être un rien condescendant). D’autre part, il n’a jamais réclamé le titre d’historien.

Quelque idéologie qui puisse s’en dégager, quiconque a lu un de ses bouquins ne peut qu’en relever la qualité. Et dans la République des Lettres, 400 000 exemplaires du Suicide français vendus valent fort heureusement bien des titres académiques pompeux, n’en déplaise à certains ! Sur BFMTV deux idéologies se sont opposées (ouverture et fermeture). Nos quatre experts font semblant de ne pas voir l’essentiel : sur la bataille des idées, le camp progressiste a du plomb dans l’aile. Des deux idéologies et analyses de l’immigration ou de l’islam en France, la première étant tellement hégémonique dans leurs cercles, nos archidiacres ne distinguent plus qu’autre chose puisse seulement exister ! Zemmour peut continuer de ricaner dans sa barbe et s’en aller plus loin manger deux ou trois autres Schtroumpfs ! Nos quatre experts, eux, peuvent crier : « Raphaël Glucksmann, vite ! »


Au secours, les années 30 reviennent… dans la bouche de Macron

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Emmanuel Macron, Honfleur, novembre 2018. Sipa. Numéro de reportage : 00882623_000008.

Dans un entretien au quotidien Ouest France, le président de la République a comparé l’époque actuelle avec la montée du péril fasciste des années 1930. On ne saurait dire ce qui de la naïveté (pour rester respectueux) ou de la grossière manipulation l’emporte. Question subsidiaire : qui peut encore être dupe de ce procédé, sinon quelques malheureux castors égarés en plein champ ?


 

« Je suis frappé par la ressemblance entre le moment que nous vivons et celui de l’entre-deux-guerres » a donc déclaré Emmanuel Macron. Et le voilà amalgamer dans un même fourre-tout anachronique la désormais célèbre « lèpre nationaliste » et le spectre fictionnel d’une perte de « souveraineté » de l’Europe. Jusqu’ici, on ignorait que cette souveraineté eût jamais existé et encore moins qu’elle avait été désintégrée dans les années 30.

L’imposture du front républicain

Fustigeant le « repli nationaliste » (ne jamais, au Dictionnaire des idées reçues, oublier d’accoler les deux termes), le chef de l’Etat ne manque pas d’évoquer les fameuses peurs qui agiteraient les nations, dans un propos qui serait pour le coup lui-même effrayant et vaguement apocalyptique s’il n’était pas drôle, et qui permet de se demander qui des peuples européens ou de certaines de leurs élites déconnectées se plaisent à agiter les peurs. Une technique usée jusqu’à la corde qui a permis aux actuelles élites de se maintenir au pouvoir  grâce au « barrage » dit « républicain »

On ne pensait pas que quiconque d’un peu réfléchi oserait encore pratiquer la fameuse comparaison entre tel ou tel climat socio-politique et les années 30, leurs heures sombres et autres effrayants bruits de bottes tant cette figure rhétorique de l’antifascisme post-moderne est éculée..

Or, le problème avec les analogies historiques qui font bondir à juste titre n’importe quel historien scrupuleux, c’est que, comme l’indiquait Paul Valéry « L’histoire justifie ce que l’on veut. Elle n’enseigne rigoureusement rien, car elle contient tout et donne des exemples de tout ». Outre les approximations contenues dans le propos du président, le piège analogique se referme sur son émetteur, puisque, si l’on commence à entrer dans le détail desdites années 1930, la comparaison tant exploitée pourrait bien se retourner dans le sens contraire de celui souhaité.

On peut faire dire n’importe quoi au passé

Si l’on considère par exemple le fait majeur de la sinistre période, à savoir la persécution antisémite, et qu’on la reporte à l’époque actuelle, on pourrait alors se demander ce qui est véritablement mis en place pour lutter contre les promoteurs contemporains, principalement islamistes, de cet antisémitisme. Où est, par exemple, le fameux discours sur la laïcité, républicain et ferme, tant attendu depuis des mois ? S’est-il perdu dans les brumes accommodantes du dialogue qu’en d’autres époques on qualifiait de collaboration?

On le voit, chacun peut faire dire ce qu’il veut à n’importe quoi au grand jeu de la manipulation des interprétations.  Pareillement, le peuple supposé nationaliste et replié sur lui-même avait voté en 1936 en faveur du Front Populaire, dont de nombreuses conquêtes en matière de droit social et de droit du travail sont des obstacles clairs face au néo-libéralisme actuellement au pouvoir et  à la conduite des affaires européennes. La haute finance, les grands entrepreneurs ne se sont pas distingués par leur esprit de résistance, c’est le moins qu’on puisse dire, quand le peuple fumant des cibiches et roulant probablement déjà à l’essence polluante permettait, lui, l’accession au pouvoir d’un Juif en la personne de Léon Blum, alors même que beaucoup d’élites n’hésitaient pas à scander « plutôt Hitler que le Front populaire ». Pour être juste, ajoutons que c’est la chambre du Front populaire qui votera les pleins pouvoirs à Pétain en 1940. Une énième preuve que l’histoire est complexe.

D’une Allemagne l’autre

D’autres pourraient se demander où est le Churchill contemporain, celui qui avait compris que sans résistance on n’évitait ni le déshonneur ni la guerre, face à la déferlante totalitaire et obscurantiste qui recouvre de son voile noir des pans croissants de la planète. Par quelles actions les élites européennes luttent-elles contre cette blitzkrieg contemporaine ? Comment par ailleurs comparer une époque où l’Allemagne avait été diminuée et humiliée avec une période où au contraire elle est en situation hégémonique au point d’étouffer ses partenaires européens ?

Enfin, si Emmanuel Macron est fasciné par les ressemblances hypothétiques avec les années 1930, d’autres pourraient vouloir pareillement, au gré de leurs convictions idéologiques personnelles et de leurs petites lubies subjectives, vouloir comparer la période actuelle avec celle de la chute de l’Empire romain, ou encore avec les invasions barbares, la Grande Inquisition, ou l’entrisme guerrier d’Al-Andalus

Passéistes vs progressistes, la grande mystification

On le voit, toutes ces comparaisons ne sont pas raison, ou alors il faudrait les accepter toutes au même niveau de légitimité, ce qui bien sûr est inenvisageable puisque le but ici est de livrer une vision binaire et manichéenne de la situation actuelle afin de criminaliser toute critique de l’Union européenne et de l’ouverture des frontières qui la caractérise.

Par-delà la grossière manipulation visant à faire passer les résistants d’aujourd’hui pour de dangereux passéistes et les accommodants d’aujourd’hui pour d’éminents progressistes, il est enfin une curieuse et naïve croyance qui voudrait que l’on tire de quelconques leçons de l’Histoire. Outre que c’est un sujet régulièrement traité depuis des décennies dans les dissertations du bac, on rappellera donc, avec Louis-Ferdinand Céline, que « l’histoire ne repasse pas les plats ».


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Non, l’école française n’est pas la pire du monde

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Jean-Michel Blanquer visite l'école de Vernon. 2018. Sipa. Numéro de reportage : 00875284_000045

QI, handicap culturel, fossé social : l’institution scolaire ne peut corriger toutes les inégalités de départ. Pourtant, certains lui demandent l’impossible. Mise au point.


On connaît la chanson : les inégalités scolaires s’accroissent ; l’école française accroît les inégalités scolaires, étant plus inégale que les autres. De ces trois constats, souvent éplorés, parfois révoltés, seul le premier est à peu près vérifié. Quels que soient l’âge et la matière – mathématiques ou maîtrise de l’écrit -, les écarts entre les meilleurs et les plus faibles se creusent sans que les meilleurs progressent pour autant ; cela dépend et c’est aussi bien l’amélioration de l’efficacité du système (en permettant à tous de donner le meilleur d’eux-mêmes les élèves favorisés apprennent plus) que sa détérioration (en étant moins performante l’école va laisser plus de poids aux transmissions familiales) ou qu’un effet de composition (l’évolution des flux migratoires notamment) qui pourraient en être la cause.

L’école face aux inégalités de QI

En revanche, alors que la scolarité s’accompagne d’un accroissement des écarts, il est aberrant d’en imputer la responsabilité au système éducatif. Prétend-on vraiment que s’il n’y avait pas de scolarisation les écarts diminueraient ? Le QI et les résultats scolaires sont pour une large part génétiques et héréditaires (entre 30 % et 70 % selon les sources) et le capital socio-culturel se transmet aussi bien que le capital économique. Ces deux puissants facteurs continuent de produire leurs effets tout au long d’une scolarité qui ne peut que partiellement les compenser.

L’objectif d’une disparition de ces inégalités est donc une chimère. Elle est de surcroît une chimère pernicieuse pour deux raisons : d’une part, parce qu’en insinuant qu’il serait possible de les annihiler, on véhicule aussi l’idée que le système est biaisé en faveur des possédants, ce qui nourrit les ressentiments qu’on constate tous les jours . D’autre part, parce qu’inférer de la seule constatation des inégalités d’arrivée la preuve d’une discrimination c’est inciter à des politiques alternatives non seulement coûteuses mais inefficaces voire néfastes : Les méthodes idéovisuelles d’apprentissage de la lecture, les expérimentations et les innovations incontrôlées ont souvent pour premières victimes les enfants des milieux défavorisés.

Mais dès lors qu’il subsistera toujours des écarts, quels objectifs fixer et comment paramétrer les efforts de promotion des élèves défavorisés ? Les comparaisons internationales peuvent fournir des éléments de parangonnage. Encore faut-il ne pas leur faire dire n’importe quoi…Et les discours tenus autour des évaluations PISA sont à cet égard inquiétants : la France depuis au moins les trois dernières livraisons serait le pays des inégalités. Il est très curieux que l’Allemagne qui scolarise les enfants tardivement et met en œuvre des filières précoces d’orientation en ressorte plus égalitaire avec il est vrai un profil migratoire différent.

Ce que dit l’OCDE

Quand on y va voir d’un peu plus près, c’est une autre histoire. A l’appui de cette condamnation sans équivoque, on nous sert, en effet, la plus défavorable des corrélations et indicateurs calculés. Cette corrélation emblématique fait bon marché du caractère multifactoriel des apprentissages et attribue aux seules différences de statut économique, social et culturel (SESC) la production des inégalités en ignorant notamment les facteurs ethniques.

Or la France se caractérise à la fois par l’importance de ses flux migratoires et par leurs origines : les immigrés d’Afrique ont des résultats scolaires inférieurs aux autres immigrés et à la population majoritaire après prise en compte du statut socio-économique.

On confond donc potentiellement effet de rendement de l’école et effet de composition de ses publics. Et lorsque l’OCDE intègre l’ensemble des facteurs explicatifs et les met en relation avec les inégalités de résultats, le poids du SESC n’est pas très différent en France de la moyenne et significativement plus faible…qu’en Finlande qui nous était encore il y a peu donnée en exemple pour la pertinence de ses méthodes pédagogiques. Il est extrêmement troublant que ces données ne soient pas publiées mais seulement accessibles.

Pour ce qui concerne les immigrés, les données OCDE montrent une autre réalité : si les immigrés de première génération ont des performances inférieures en France, cet écart s’y réduit beaucoup plus fortement qu’ailleurs pour ceux de seconde génération, si bien qu’il n’est pas exclu que l’école républicaine parvienne tout de même à certains résultats !

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Racistes, vénaux, sexistes? Les sites de rencontre sur la sellette…

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tinder racisme slate feminisme
Sipa. Numéro de reportage : SIPAUSA31449810_000002.

Il est aujourd’hui de bon ton de critiquer les sites ou applications de rencontre : prétextes à se faire offrir un dîner, à choisir des partenaires sexuels trop ou pas assez exotiques, Tinder et ses concurrents auraient tous les vices. Attention, la police des braguettes patrouille…


Si vous croyez que les sites de rencontres ne servent qu’à trouver l’amour ou à se faire culbuter, détrompez-vous. Sarah, une étudiante britannique, a avoué au site féminin australien Whimn profiter de l’application Tinder pour se nourrir à l’œil. Rouée, la célibataire dîne mais ne couche pas ! L’idée lui est venue après avoir accepté un rendez-vous avec un homme au physique décevant. « Dan avait l’air d’avoir dix ans de plus que sur ses photos et il était plus petit que moi », se justifie la jeune fille. Buvant pour oublier, Sarah a accepté de se faire payer l’addition. Depuis, elle s’est sustenté à l’œil une bonne quarantaine de fois en deux ans : « Je ne ressens pas une once de culpabilité je ne fais rien d’illégal, et si un jour je rencontre l’amour sur Tinder, je partagerai l’addition. » Comme quoi, la galanterie a survécu… chez ses chevaliers servants.

Cherche asiatique soumise

Profondément inégalitaires, le plus souvent au détriment des hommes, les sites de rencontres sont une terre de mission prisée des croisés antiracistes. D’après un article de Slate, la discrimination y serait monnaie courante sous des formes classiques « Pas de femmes noires ni de mères célibataires » et plus inattendues : « la fétichisation des personnes racisées ». Les amateurs de femmes asiatiques réputées soumises ou d’hommes africains connus pour la « taille de leur âme » se le tiendront pour dit. La police des braguettes veille…

L’antiracisme se mord la queue

Jusque dans les colonnes du Monde, où la chroniqueuse Maïa Mazaurette s’est fendue d’un long article pour nous expliquer que les Blancs n’ont qu’une idée en tête : épingler une orientale lascive ou un étalon noir à leur tableau de chasse. Si la xénophilie est aussi blâmable que la xénophobie, on finira tous le doigt sur la couture du pantalon…

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Ruby Namdar, un grand écrivain israélien est né

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Ruby Namdar ©Philippe Matsas/Opale

Avec son premier roman La Maison de ruines, Ruby Namdar met en scène un juif new-yorkais en proie à la crise du milieu de vie. Rendant hommage à Roth, Bellow et Singer, son auteur imprégné de mystique juive et soufie nous entraîne sur les territoires perdus du sacré. 


Ruby Namdar a la main lente. Son brillant premier roman, récompensé en Israël par le prestigieux Sapir Prize, l’équivalent de notre Goncourt, coule paresseusement comme l’Hudson River, que le héros principal, Andrew Cohen, contemple chaque jour depuis sa fenêtre. L’action de La Maison de ruines se déroule à New-York, à quelques mois de l’apocalypse du 9 septembre 2011. Cohen a tout en commun, dirait-on, avec les personnages qui peuplent les romans de Philippe Roth ou de Saul Bellow : la sophistication d’un intellectuel juif chargé de cours de culture comparée à l’université de New York, la vanité, les snobismes gastronomiques, une vie familiale éclatée par un divorce et toute la confiance en soi nécessaire à un homme aux alentours du demi-siècle pour entamer une relation sentimentale avec une femme qui pourrait être sa fille.

« J’aime la friction entre ce que notre cerveau contrôle et le subconscient d’où nous n’avons pas réussi à chasser le mot péché »

Mais Andrew Cohen n’est ni Zuckerman ni Herzog, pas plus que Namdar n’est Roth ou Bellow. Certes, les obsessions du romancier israélien, installé à New-York depuis bientôt vingt ans, se rapprochent de celles de tous les grands écrivains juifs de la côte Est. Ainsi dans La Maison de ruines, il s’empare de la question de l’acculturation des intellectuels juifs coupés de leurs racines spirituelles, de leur rapport à la tradition, à la religion, du poids de l’Histoire et de l’héritage, et, enfin, de la psychologie masculine avec sa hantise de l’impuissance et du vieillissement. Seulement, la finale dégringolade d’Andrew Cohen relève moins de la « mid-life crisis » ou même de la crise existentielle, que d’une détresse métaphysique, sinon mystique. Et c’est là que Namdar rejoint Singer, non mécontent qu’on lui impute cette filiation. « Mon livre rend à sa façon hommage à Roth, Bellow, Oznik, Malamoud… Mais Singer restera mon maître incontestable, avec sa manière spécifique de glisser le surnaturel dans la vie quotidienne de ses personnages, son recours aux métaphores bibliques, son humour et son goût pour le grotesque », confie-t-il.

Jovial, enthousiaste, chaleureux, Ruby Namdar possède en outre ce talent délicieux de vous entraîner vers les territoires perdus de la grande littérature où, jadis, on cultivait les passions ontologiques en rapport avec ce quelque chose que l’on appelle l’ « essence de l’être », tout comme avec les questionnements sur le Bien et le Mal, la morale, ses fléchissements. Il lui suffit d’une impulsion, d’un signe de votre sensibilité au sujet. Quand vous lui faites une remarque à propos du mot « péché », qu’il avait employé dans son texte publié par The New York Times, il saisit la balle au vol. « Dire ‘péché’ est devenu subversif, provocateur, inconvenable, je le sais… Or, j’aime la friction entre ce que notre cerveau contrôle et le subconscient d’où nous n’avons pas réussi à chasser le mot ‘péché’, où il a sa place. Nous vivons une époque qui n’aime même plus le mot ‘âme’. Pourtant je le préfère mille fois à tous ces ‘psyché’, ‘ego’, ‘souffle vital’. Et je préfère le mot ‘religion’ au mot ‘spiritualité’, susceptible d’évacuer le moindre conflit en nous, d’apaiser le moindre inconfort. » L’homme a grandi à Jérusalem, au sein d’une famille juive originaire d’Iran. Ceci explique probablement sa distance, gentiment moqueuse, face à l’aspiration laïque qui habite la littérature israélienne contemporaine. « Mon travail n’est pas représentatif de la scène littéraire en Israël. Il y a une certaine proximité avec Amos Oz, rien de plus. Les écrivains vivent à Tel-Aviv, le Babel séculier, profane, amusant aussi, mais éloigné de mes préoccupations », tranche-t-il, avant de sauter à pieds joints dans une savoureuse digression sur les poètes soufis, qu’en son temps il a traduit du persan vers l’hébreu. Qu’est-ce qu’un péché, donc, à notre époque, dans notre monde ? La question semble avoir heurté Ruby Namdar, qui délaisse soudain la petite cuillère dans une tasse à café désormais vide : « Allons ! Qu’on le veuille ou pas, nous sommes des créatures morales et savons, au fond, reconnaître un péché. Les fondamentalismes, quels qu’ils soient – islamistes, chrétiens, juifs –, se nourrissent précisément de cet effacement de toute référence religieuse de notre âme collective. »

« Nous ne croyons plus que nous sommes sacrés ! »

Impossible d’y échapper, bien que nous soyons sensibilisés au fait qu’il est malpoli de juger notre prochain. Reste que si Andrew Cohen est en proie à des visions dantesques de sa ville en ruines et voit sa vie en miettes, à croire qu’elle n’a jamais été rien d’autre que du pain rassis, c’est qu’il a péché. Cohen avait péché. Et son péché n’est autre que l’orgueil que nous tous, modernes et affranchis des culpabilités néfastes à notre développement personnel, cultivons à l’envi.

Nous nous suffisons. Tant qu’un minuscule accident de parcours ne nous contraint pas à examiner les abysses de notre propre existence. Dans le cas du professeur Cohen, il s’agit d’une promotion qui lui file sous le nez au dernier moment, de surcroît au profit d’une ancienne étudiante ou, peut-être, de l’essoufflement de sa liaison avec la jeune Ann Lee, voire des deux. L’immense mérite de Ruby Namdar, c’est de dépasser l’individuel pour atteindre l’universel – définition même de la littérature. Ce qui est arrivé à Cohen, peut arriver à n’importe lequel d’entre nous, peu importe la tradition ou la religion dont il est issu. Où, alors, chercher secours ? Chez un psy, vu que l’édifice religieux que l’on honore de notre présence à l’occasion des grandes fêtes ne paraît pas trop sérieux, à l’instar de la synagogue dans laquelle Cohen faisait de rares apparitions : « Anshei Shalom, la synagogue qu’il fréquentait, était particulièrement progressiste, pour ne pas dire avant-gardiste. À l’exception de quelques versets choisis pour leur valeur poétique par les rédacteurs du New Holiday Prayer Book, presque tout le service se déroulait en anglais. […] En recherche constante d’adaptation, Anshei Shalom incarnait à la perfection le désir d’égalité, le multiculturalisme, l’humanisme et la politique de gauche libérale qui flottaient dans l’air du temps. » En 1964, lors d’un concert à Montréal, Leonard Cohen a poussé un cri d’illuminé : « Il y a une terrible vérité qu’aucun écrivain juif d’aujourd’hui n’a envie d’examiner. Cette vérité est que nous ne croyons plus que nous sommes sacrés ! » Ruby Namdar relève le défi consistant à prouver que nous nous trompons. Avec succès.

Ruby Namdar, La Maison de ruines, Belfond, 2018, 23 euros.

Bolsonaro, dernier « facho » avant la fin du monde?

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Jair Bolsonaro en conférence de presse, 25 octobre 2018. SIPA. 00881721_000003

Fait n°1

Selon le WWF, entre 1970 et 2014, les populations de vertébrés sauvages ont chuté de 60 % au niveau mondial. La dégringolade est encore plus marquée dans les zones tropicales.

Fait n°2

L’élection de Jair Bolsonaro achève, si besoin était, de prouver à quel point la démocratie représentative à l’époque du capitalisme assisté par les réseaux sociaux et les fake news est le régime qui évite aux lobbys patronaux ultralibéraux accompagnés par des militaires d’avoir recours aux blindés, comme au Chili en 1973, pour mener leur politique. La démocratie version années 2010, ce sont  les pigeons qui votent pour l’ouverture de la chasse.

Fait n°3 :

Que les Brésiliens jouent à la roulette russe avec leurs libertés, c’est leur droit. Après tout, se laisser convaincre par plus riche que soi que Bolsonaro apportera la sécurité, ça ne concerne que celui qui le fait. Tout le monde peut choisir de débrancher son cerveau et de perdre sa conscience de classe. On remarquera cependant que le Nordeste et l’Etat de Bahia, plein de vrais pauvres, très pauvres, ont, eux au moins,  compris qu’ils allaient prendre cher.

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Ils ont voté Haddad à 70% et plus. Ils ont même compris que le Parti des travailleurs (PT), si l’on oublie le storytelling des réseaux sociaux ultraréacs, des milieux patronaux court-termistes et autres néoconservateurs, des paranoïaques du métissage, très présents chez nous aussi,  que le PT, donc, les a sortis de la misère. Et, pour ce faire, dans un pays avec des dizaines de partis à l’Assemblée nationale, a dû arroser des micro-alliés pour parvenir à mener à bien leurs projets éducatifs et sociaux.

Le PT a corrompu, beaucoup plus qu’il n’a été corrompu, et pour la bonne cause. On ne peut pas en dire autant de Temer qui a pustché parlementairement Dilma, la « durona », torturée en son temps par les grandes admirations de Bolsonaro

Fait n°4

Il est à mettre en rapport avec le fait n°1 : Bolsonaro veut fondre le ministère de l’Agriculture et de l’Environnement : bref, il veut laisser ses copains de l’agrobizenesse en finir avec l’Amazonie, le poumon vert de l’humanité que Lula et Dilma avaient réussi à préserver, ou tout au moins s’étaient efforcés d’y limiter la casse écologique.

Si je relie le fait n°4 au fait n°1, c’est là le vrai drame, à portée universelle, de l’élection de l’aphasique galonné. On sait tous (tout en ne voulant pas le savoir, dans une démarche typique du déni de ceux atteints d’une maladie incurable) que l’effondrement est imminent. Tous, à part une ultraminorité climatosceptique de ravis de la crèche marchande qui « n’y croient pas », soit parce qu’ils sont vieux, sans enfants et n’en ont plus rien à faire du monde après eux, soit parce qu’ils sont complotistes et qu’ils confondent le GIEC et les Illuminati.

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Le drame de l’élection de Bolsonaro, ce n’est même pas qu’il soit facho, c’est qu’il va accélérer encore, en détruisant l’Amazonie, notre arrivée dans l’apocalypse. A ce titre, il est bien de notre temps, celui de la déraison définitive. Ce que remarquait déjà Guy Debord, le Vieux de la Montagne, dans ses Commentaires de 1988: « La pollution des océans et la destruction des forêts équatoriales menacent le renouvellement de l’oxygène de la Terre (…) Le spectacle conclut seulement que c’est sans importance. Il ne veut discuter que sur les dates et les doses. Et en ceci seulement, il parvient à rassurer ; ce qu’un esprit pré-spectaculaire aurait tenu pour impossible. (…) Il est assurément dommage que la société humaine rencontre de si brûlants problèmes au moment où il est devenu matériellement impossible de faire entendre la moindre objection au discours marchand. »

Trois mesures pour mettre fin à l’immigration illégale

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Des hommes sont contrôlés à la frontière franco-italienne, octobre 2018. SIPA. AP22261755_000002

Une tribune du think tank, Le Millénaire, qui travaille à la refondation du projet politique des Républicains.


L’immigration est un sujet trop essentiel pour ne pas le traiter de manière factuelle, sans hystérie et sans caricature. Le dernier remaniement, avec l’abaissement protocolaire du ministre de l’Intérieur de la 2ème à la 11ème place, démontre pourtant qu’il ne s’agit pas d’une priorité pour Emmanuel Macron, alors même que les questions d’immigration et de sécurité sont redevenues dans les derniers sondages les premières préoccupations des Français.

La France et, plus largement, l’Union européenne (UE) sont mises à l’épreuve d’une pression migratoire sans précédent. L’UE chiffre le nombre de migrants arrivés entre 2015 et 2017 sur son territoire, et qui ne peuvent prétendre à l’asile, à 1,5 million. En France, le nombre de demandeurs d’asile a augmenté de 17% pour la seule année 2017, dépassant ainsi la barre des 100 000. En parallèle, la primo-délivrance des titres de séjour bondit de 13,7 % en 2017, avec 262 000 titres de séjour délivrés, ce qui peut s’expliquer notamment par une forte augmentation des premiers titres de réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire (35 825 titres, +56,5% par rapport à 2016). A l’inverse, le nombre d’étrangers reconduits est de 26 000 pour 2017, et le nombre de mesures d’éloignement exécutées était de 18% en 2016. 75 587 étrangers sont donc restés sur notre territoire malgré la mesure d’éloignement prononcée à leur encontre.

A cet égard, force est de constater que les dispositions de la loi asile et immigration votée en août sont totalement insuffisantes. Les ténors de La République en marche ont beau claironner leur « fermeté », nous nous demandons où elle se trouve au milieu de dispositions favorables aux migrants (notamment l’augmentation de la durée de titre de séjour des bénéficiaires de la protection subsidiaire), de mesures proprement hallucinantes (comme l’octroi automatique de l’asile aux frères et sœurs des mineurs réfugiés) et de mesures essentiellement techniques et procédurales (la réduction du délai de traitement de l’asile). Quant à l’augmentation de la durée de séjour en Centre de rétention administrative, l’extension des pouvoirs d’investigation ou le raccourcissement des délais de dépôt des demandes… ce ne sont, très honnêtement, que des rustines sur une jambe de bois. En effet, ces dispositions n’interviennent qu’a posteriori, une fois que le migrant illégal est déjà sur notre territoire. Or, tant qu’il sera possible d’y pénétrer illégalement, et de commencer à s’y installer, l’immigration illégale ne fera que croître, et les morts en mer sur le chemin de l’UE également.

Pour faire face à un enjeu migratoire d’une ampleur sans précédent, ne sont donc à la hauteur ni les ajustements paramétriques et normatifs votés par la majorité, ni l’immigration zéro dont rêve le Front national. En effet, le zéro immigration (y compris qualifiée) nous serait extrêmement dommageable économiquement, et romprait avec notre ADN de pays accueillant envers les étrangers partageant nos valeurs républicaines.

Au contraire, nous estimons nécessaire rien de moins qu’une révolution copernicienne en matière migratoire, traduite dans les faits par une action ferme et résolue aux niveaux nationaux et européens.

La priorité absolue doit être la lutte sans merci contre l’immigration illégale. Il est urgent de rétablir le délit de séjour irrégulier en France, supprimé sans explication par le quinquennat précédent. De même, le respect de nos lois est un principe non négociable : le placement en centre de rétention administrative des étrangers en situation irrégulière, puis leur expulsion, doit redevenir la règle et non l’exception. Malgré ce que nous dit le gouvernement, ce n’est pas du tout sa priorité, et cela le sera encore moins avec M. Castaner à l’Intérieur : l’allongement de la durée maximale de rétention et l’augmentation du taux d’occupation (qui avoisine les 100%) n’ont pas été pris en compte dans le budget 2018. Le budget des Centres de rétention administrative est de 45,8 millions d’euros pour 2018 alors que le budget exécuté en 2016 était de 61,3 millions d’euros pour le placement en rétention de 44 086 personnes. Comment veut-on exécuter cette politique si l’on n’y alloue même pas les moyens budgétaires nécessaires ?

Cependant, la simple application des lois existantes est loin de suffire. Nous devons changer de paradigme. Au lieu de continuer à favoriser l’immigration illégale (en n’expulsant pas les clandestins et en continuant d’offrir des services comme l’Aide médicale d’Etat) au détriment de l’immigration légale (qui nécessite de faire des queues scandaleuses dans nos préfectures pour l’obtention de titres de séjour légal), nous devons faire l’inverse. Trois mesures s’imposent.

Premièrement, les demandeurs d’asile provenant de pays dits « sûrs », comme l’Albanie, ne doivent plus pouvoir déposer leur demande d’asile dans notre pays, mais dans leur pays, au consulat français le plus proche de chez eux. De la même manière, nous devons installer des centres offshore de traitement des demandes d’asile, non seulement dans les camps de réfugiés du Haut Commissariat aux Réfugiés de l’ONU, mais aussi et surtout dans les pays d’origine et de transit, de telle sorte que les migrants, d’où qu’ils viennent, n’aient pas besoin de poser le pied sur le territoire européen pour y déposer leur demande d’asile : il ne doit plus y avoir d’excuse à l’entrée de manière illégale sur notre territoire. Les migrants entrant illégalement dans l’UE par bateau ou voie terrestre pourront alors être interceptés et transférés vers ces centres offshore.

Deuxièmement, nous devons nous doter d’un système de gestion de l’immigration légale à la fois simple, efficace, et surtout fiable, à l’instar de l’ensemble des pays développés ayant une politique migratoire où la loi est appliquée. En effet, nous devons bien mieux distinguer entre immigration légale et illégale. Pour cela, il est impératif de créer enfin un véritable statut de résident, avec des cartes de résident à la durée de validité égale à la durée du contrat de travail (ou des études) de l’étranger. De même, il convient de créer un statut de résident permanent, qui pourra être octroyé aux étrangers les plus qualifiés (ex : expatriés de multinationales, scientifiques ou artistes reconnus), qui dispensera l’étranger de devoir renouveler sans cesse son titre de séjour et lui évitera la tentation de demander la nationalité pour de simples questions de droit au séjour. Ce système, amplement prouvé dans des pays comme le Canada ou le Japon, permettra de désengorger les préfectures de manière drastique et permettra à ces dernières de se focaliser sur la répression de l’immigration illégale.

Enfin, nous devons pouvoir éloigner l’intégralité des étrangers en situation irrégulière. En effet, tous les efforts investis dans les politiques des visas, des frontières et de l’asile sont réduits à néant si les déboutés et les migrants ayant  pénétré illégalement sur notre territoire ne sont qu’une petite minorité à être éloignés. Il n’y a pas de gestion possible de l’immigration sans politique de retour efficace pour les illégaux. Le problème est bien connu : les pays d’origine de l’immigration ne délivrent pas suffisamment de laissez-passer consulaires, documents aujourd’hui indispensables à l’éloignement. Face à ce problème ancien, la vieille solution du conditionnement de l’aide au développement de la France à cette délivrance de documents ne sera jamais qu’une solution partielle et peu applicable. Nous devons donc aussi signer des accords avec des pays tiers afin que tous les clandestins ressortissants de pays récalcitrants à leur retour puissent être acheminés vers des centres de rétention construits dans le pays tiers, sur le modèle de l’Australie avec le camp de rétention à Nauru. C’est une solution gagnant-gagnant pour la France (le migrant illégal est expulsé) et pour le pays tiers (le centre de rétention fournit de l’emploi et est assorti d’aides financières), et qui permet de court-circuiter l’assentiment du pays dont l’étranger est ressortissant. De plus, l’éloignement se fait vers un endroit où le migrant sera en parfaite sûreté, nous protégeant ainsi des décisions idéologiques de la CEDH. Cette politique étant fortement dissuasive (comme démontré par l’Australie, première à avoir appliqué cette politique, où le nombre de traversées illégales, et donc le nombre de morts en mer, ont largement baissé), l’effort budgétaire (certes conséquent) ne sera que temporaire, car une fois le système en place, plus personne ne cherchera à venir illégalement sur notre territoire.

Ces trois mesures mettront un terme définitif à l’immigration illégale tout en permettant toujours un accueil des véritables réfugiés (et ce dans de bien meilleures conditions qu’aujourd’hui), et faciliteront grandement la vie des étrangers résidant légalement en France, leur permettant ainsi de mieux s’intégrer.

Oui, l’islam a joué un rôle dans la guerre d’Algérie

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Manifestations du 1er novembre 1961 dans les rues d'Alger. SIPA. 00418369_000007

Les historiens, algériens ou non, ne se bousculent pas pour aborder le sujet. La guerre d’Algérie a pourtant bien eu une dimension religieuse.


Il avait fallu que l’Algérie mit fin au monopartisme, avec la nouvelle Constitution de 1989, pour que l’islamisme devienne visible. Très vite agressivement totalitaire, il préféra la plonger dans une effroyable guerre civile qui fit plus de 200 000 morts selon le président de la République lui-même. En Algérie et plus encore ailleurs, beaucoup s’étonnèrent : mais d’où sortaient donc ces centaines de milliers de barbus en gandoura blanche bien décidés à imposer leur nouvel ordre, d’abord aux femmes et aux intellectuels, et ensuite au reste, par la carotte, le bâton et enfin par la kalachnikov ?!

Pas l’islamisme, l’islam

Les premières réponses furent du registre de la paresse de la pensée. C’était la faute, bien sûr, de l’Iran qui voulait exporter sa révolution khomeyniste. C’était la faute des « Afghans » (plus de 3000 jeunes algériens ayant combattu les Soviétiques dans les années 80 venaient d’en revenir…) ; la faute enfin des Frères musulmans qu’on appelait familièrement « les frérots » : en arabisant totalement son système d’éducation, l’Algérie avait dû importer des milliers d’enseignants, pourchassés dans leurs pays par les nasséristes et les baathistes pour leur activisme islamiste (Egyptiens, Irakiens, Syriens, etc.). Comme il est fréquent dans le monde arabo-musulman, la faute c’est toujours celle des autres. Le mal vient toujours d’ailleurs.

Depuis, des chercheurs algériens ont certes rectifié cette idée en évoquant l’origine religieuse de la violence durant la guerre d’Algérie. Mais ils n’en ont jamais fait l’objet d’une étude spécifique. Ni Mohamed Harbi, pourtant le plus contestataire des historiens algériens de cette période, ni les autres grands historiens français spécialistes de cette période, Guy Pervillé et Gilbert Meynier. Personne n’avait osé mettre les pieds dans le plat, tant la question est tabou, et démontrer que déjà la guerre d’Algérie (1954-1962) avait eu une « dimension » religieuse.

A lire aussi: La guerre d’indépendance a rendu impossible la rupture entre la France et l’Algérie

Ce mérite revient à Roger Vétillard, fortement encouragé d’ailleurs par Gilbert Meynier dans cette délicate entreprise. Peut-être parce que cet ancien médecin spécialiste qui a attendu la retraite pour se lancer dans l’étude de la guerre d’Algérie a su profiter de cette liberté de n’être pas historien de profession. Ce qui en retour lui faisait obligation de redoubler de scrupules quant aux sources et à leur traitement. Fort de son savoir médical, il va, tel le sémiologue, aller du symptôme (discours, prises de positions, programmes, etc.) vers la matrice, celle dont il ne faudrait pas montrer le sein, l’islam. Pas l’islamisme, non, simplement l’islam, qui imprègne conscience et inconscient, paroles, gestes et actes. Or  la société algérienne, profondément islamisée depuis 16 siècles est naturellement sculptée par les concepts-clés de la doctrine, et notamment par celui qui règle le rapport à l’autre, le djihad. Il reviendra aux dirigeants nationalistes de l’ALN-FLN, y compris ceux connus pour être des « laïcs », de puiser sans vergogne dans ce fonds sans fond, que ce soit par volonté de manipuler facilement les collectifs ou par opportunisme politique.

L’ennemi est « l’infidèle », la guerre est un « djihad »

Ne dit-on pas « moudjahid », alors que le mot arabe pour « combattant » existe ? « Fidaï » (« fidayine » au pluriel), qui évoque le « sacrifice », pour désigner le terroriste (celui qui en tuant y compris des civils est chargé de provoquer de la terreur) et « chahid » (au pluriel « chouhada ») pour le combattant tué, mais dont la signification littérale est « martyr » (de la religion)…

Des preuves, Roger Vétillard va en convoquer 45. Pas une de moins ! « Précises et vérifiables », comme insiste l’auteur. La déclaration d’indépendance du 1er Novembre 1954 a pour but un Etat souverain, mais « dans le cadre des principes islamiques ». On se jure fidélité sur le Coran. On coupe le nez des déviants pris en flagrant délit. L’homosexuel est puni de la peine de mort, quel que soit son grade (le chef militaire Bachir Chihani en fera l’expérience). L’égorgement n’est pas un acte sauvage pour le combattant, puisque sanctifié par l’islam[tooltips content= »« Je suis venu à vous par l’égorgement, a dit Allah » (Abu Ya’La, hadith n° 7285) »]1[/tooltips]. L’ennemi est « l’infidèle », la guerre est un « djihad ». On la mène au cri d’ « Allahou akbar » (Allah est le plus grand). Et ceux qui la font sont des « frères » (« khawa », c’est-à-dire des frères… musulmans). Dans les zones qu’il contrôle, le FLN remplace la juridiction française laïque par la charia.

« L’islam a été le ciment qui nous permit de sceller notre union »

Un des grands dirigeants de la lutte armée, et particulièrement du massacre du 20 août 1955 dans l’est-algérien, Lakhdar Ben Tobbal, avoue dans ses mémoires avoir fait la guerre aux non-musulmans : « Bons ou mauvais, je ne faisais pas de différence ». Un autre dirigeant, Si Abdallah, témoigne : « Nous n’arrivions pas dans une mechta en soldats révolutionnaires mais en combattants de la foi et il est certain que l’islam a été le ciment qui nous permit de sceller notre union… » Même un des dirigeants souvent présenté comme le Saint Just laïque de la révolution et qui sera assassiné par les siens, le Kabyle Abane Ramdane, ne dérogera jamais à l’idéologie dominante qui se veut « arabo-musulmane », et à ce titre signera un texte contre « les berbéristes », destiné à la Fédération de France du FLN. Quant à l’autre chef kabyle, le Colonel Amirouche, très peu savent qu’il adhéra à l’Association des Oulémas (d’où sortiront plus tard les cadres de l’islamisme), qu’il défendit la langue arabe contre le berbère, qu’il s’opposa radicalement aux « berbéristes » (nationalistes qui ne voulaient pas d’une Algérie fondée sur des critères ethniques ou religieux) et qu’il imposa les prières quotidiennes à ses subordonnés dans les maquis.

Aussi, le résultat d’une telle orientation pouvait-il être autre que celui qui s’imposa au moment de l’indépendance et que révéla clairement le président du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), Ben Khedda, trente ans plus tard dans ses mémoires : « En refusant notamment la nationalité algérienne automatique pour un million d’Européens, nous avions prévenu le danger d’une Algérie bicéphale »[tooltips content= »La fin de la guerre d’Algérie, Casbah Ed. 1998″]2[/tooltips] ? Les accords d’Evian du 18 mars 1962 (qui ne furent jamais ratifiés par l’organe suprême du congrès de Tripoli) se refusaient à considérer les non-musulmans comme des Algériens. Diktat imposé par le FLN à la France, en échange de l’autorisation à exploiter le pétrole durant 10 ans. Les non-musulmans ne pouvaient devenir Algériens qu’en en faisant la demande, souvent refusée à des militants de la cause indépendantiste.

L’effacement des non-musulmans

Dans le très officiel Mémorial des Martyrs d’Alger, aucun nom de combattants non-musulmans ne figure. Bien plus, à Ténès on débaptisera la rue Ghenassia en rue de Palestine : cet infirmier juif avait pourtant préféré mourir que fuir l’encerclement de l’armée française, afin de rester près de ses blessés. En 1962, le million de chrétiens et de juifs n’eut d’autre choix que de quitter précipitamment ce qu’ils considéraient comme leur pays. Et pour ceux qui, malgré tout, continuaient à espérer pouvoir rester, on commandita l’assassinat du musicien juif Raymond Leyris, le 22 Juin 1961, puis une année plus tard le massacre de centaines de non-musulmans à Oran, le 5 Juillet 1962, méfait à ce jour non-revendiqué par ses auteurs, et à propos duquel aucun historien algérien n’a encore osé entreprendre une recherche, comme on peut s’en douter.

Des preuves de « la dimension religieuse de la guerre d’Algérie », on pourrait encore en trouver de très nombreuses. Ce qui ne manque pas d’étonner, c’est plutôt le refus des élites algériennes comme européennes d’admettre l’évidence. Et si cela pouvait se comprendre durant la guerre d’indépendance, de leur point de vue (ne pas affaiblir « la révolution »), que dire aujourd’hui, 56 ans plus tard ? Ne serait-ce pas parce que cette stratégie de l’aveuglement rend encore quelques services aux élites dhimmisées en cette époque où les violences de l’islamisme, confinées jusque-là aux pays musulmans, sont en train, depuis plus de deux décennies, de s’exporter, notamment en Europe ?

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Le livre de Roger Vétillard, qu’aurait aussi bien pu écrire La Palice, est donc une nouvelle invitation à ôter ses œillères et à nommer les choses telles qu’elles sont et non telles qu’on souhaiterait les voir. La lecture d’un monde en plein remodelage y gagnerait en lucidité.

Je lui ferai néanmoins une objection : pourquoi avoir repris la thèse de Mohammed Harbi qui attribue aux « ruraux » la responsabilité de l’imprégnation de la religiosité dans le combat libérateur ? Thèse doublement contredite par le fait que l’Association des Oulémas, d’où émergèrent de nombreux dirigeants, fut toujours dirigée par des citadins, à commencer par Ben Badis, et surtout par le fait que la société algérienne profonde, paysanne, resta fidèle à l’islam confrérique[tooltips content= »L’anthropologue algérienne Fanny Colonna, disparue en 2014, a consacré l’essentiel de son travail à ce sujet, notamment dans Versets de l’invincibilité, 1995, Presses de Sciences Po. »]3[/tooltips], et ce malgré la stigmatisation et les attaques des nationalistes et de l’Association des Oulémas avant l’indépendance, et des islamistes du FIS-GIA dans les années 90, pour tenter de s’imposer comme unique représentant dans le champ du religieux. Sans succès jusqu’à aujourd’hui. Et à tel point que Bouteflika, changeant le fusil d’épaule, fut contraint de s’en faire des alliés…

La France, victime de la décadence médiatique

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Sophie de Menthon. SIPA. 00812836_000005

Une tribune de Sophie de Menthon.


Tous coupables de cette décadence médiatique que nous encourageons en mordant à l’hameçon ? A moins que ce ne soit le modèle économique de la presse à bout de souffle ? Ou encore la faute d’une paresse intellectuelle entretenue ? Mais la réalité est bien là, nous ingurgitons en boucle une bouillie médiatique indigente qui nous conditionne. Un embrigadement volontaire qui nous soumet à une sorte d’influence sans issue, le syndrome de Stockholm !

Quand le scoop tue l’info

Trop nombreuses, les chaînes d’info en continu sont astreintes à une compétition permanente au mépris absolu de la qualité et de l’objectivité qui nécessitent un peu de temps et d’investigation. Presse écrite ou audiovisuel, on n’a plus les moyens de mener des enquêtes sérieuses. Quant à la radio, les jeunes de moins de 25 ans ne l’écoutent pas. Nos parents attendaient les « nouvelles », on nous a conditionné à attendre les scoops.

Nous ne choisissons plus nos vecteurs d’information, nous zappons inlassablement. Saluons toutefois les bonnes émissions… Mais comment supportons-nous de regarder indéfiniment ces malheureux reporters postés, qui attendent inlassablement un micro à la main qu’il se passe quelque chose quelque part, meublant de propos insipides mais haletants de longues heures creuses. L’envoyé spécial qui nous annonce qu’il n’a rien à dire mais qu’il va le dire. Le micro qui se tend aux victimes des inondations en leur demandant (sic) « …et vous espérez que les pluies vont être moins abondantes ? » Ou encore guettant l’annonce du nouveau gouvernement qui ne vient pas, et qui enfin arrive… par dépêche AFP ! Ce qui nous a offert récemment le spectacle hilarant du messager posté devant Matignon ou l’Elysée, micro au poing, consultant son portable pour y trouver la composition du gouvernement.

La télé vit avec l’espoir de la « breaking news » qui permet de stopper n’importe quelle émission pour faire semblant d’être les premiers informés et donner le sentiment que c’est important et que tout s’arrête : suspense ! Pour que le téléspectateur ne s’ennuie pas pendant les informations ou les débats (ce qu’on peut comprendre), on lui met en sous-titre d’autres infos qui n’ont rien à voir avec le sujet traité, évitant ainsi réflexion et concentration ; en même temps, il peut vérifier sur les réseaux sociaux s’il n’y a pas une « fake news » qui traîne.

La recherche du feuilleton

Les sujets qui font la « une » avec matraquage systématique ont heureusement une durée de vie assez limitée, comme par exemple la sortie du CD posthume de Johnny Hallyday faisant l’objet d’émissions d’autant plus spéciales que personne n’avait pu écouter encore les chansons. Mais on nous expliquait comment le secret avait été bien gardé avec les mêmes précautions que s’il s’agissait d’un engin nucléaire, reportage prolongé tard dans la nuit jusqu’à 1h du matin pour guetter les fans qui seraient les premiers dans les points de vente ouverts à minuit… et toujours le même reporter micro au point dans une rue déserte auquel on demande : « Est ce que la foule se presse déjà devant la boutique ? »

Les engouements médiatiques auxquels il est impossible d’échapper sont créés de toute pièce par le phénomène de répétition et la psalmodiation crescendo qu’il faut alimenter sans cesse par un nouveau détail essentiel.

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Le feuilleton est un objectif rêvé, comme celui concernant Benalla auquel on finit par s’attacher, chouette un rebondissement : le certificat des victimes tabassées serait un faux de l’aveu du médecin qui l’a produit. Après la sortie du disque de Johnny Hallyday on devrait repartir sur l’héritage, les droits et le procès entre les enfants et la veuve. Mélenchon vient de nous offrir un entracte avec la rixe de sa perquisition, sa liaison supposée, et, oh ! bonheur, il en a rajouté en insultant l’accent… d’une journaliste ! Comme c’est la presse qui porte plainte on en a pour un bout de temps, sans compter l’ineffable proposition de loi factice sur la stigmatisation des accents : la « glottophobie » dont on ignorait tous l’existence. En plus, voila qui pourrait relancer l’affaire Zemmour ?

Tout cela est bien rodé : scoop, internet, presse, commentateurs télé, gros-titre, presse people, reprise de la presse people, hurlements de l’opposition et on recommence.

Les médias sont l’actualité

Les hallalis sont monnaie courante, s’acharnant sur l’ennemi public numéro 1 de l’instant qu’on abandonne à terre quasi mort ; si on l’a calomnié (la « fake news » n’est pas autre chose que la calomnie) deux ou trois lignes et quelques brèves feront l’affaire pour ajuster le tir ou démentir. De toute façon, il ne sera jamais blanchi…

Ce qui est grave, c’est la manipulation des esprits et l’impossibilité de s’exprimer avec nuance et de remettre les choses à leur juste place, l’indignation fait vendre et nous achetons. Le nombre croissant de mots interdits, les soupçons permanents de stigmatisation, de racisme, d’intolérance, etc. font partie du prêt-à-penser généralisé et fournissent les occasions de s’indigner. Seuls les medias seraient politiquement corrects !

Nos sondages eux-mêmes finissent par être le reflet de ce dont on nous gave. Les medias ont décidé d’avoir pitié des retraités ? Pourquoi pas, mais alors impossible d’expliquer quoi que ce soit, l’émotionnel prime et défile sur les ondes des victimes qui nous font part de leurs déboires et de l’amputation de leur maigre revenu.

La vraie question qui se pose est aujourd’hui de savoir si ces medias que nous suivons en schizophrènes, malgré la désapprobation générale qui se manifeste à leur encontre, vont finir par faire échouer la réforme de la France ? La descente aux enfers du président de la République est-elle réellement le résultat de sa politique ou de ce que les medias ont décidé d’en retenir ?

Les politiques puisent dans ce déferlement de scandales de quoi étoffer leur position d’opposants impuissants. Ils n’en sortent pas grandis et les Français ne sont pas dupes. Toutefois, à force de se contenter de l’écume des choses et de trucider nos rois en les choisissant comme boucs-émissaires, nous courons au naufrage politique intellectuel et social du pays.

Jeunesse de droite: le grand replacement

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La Manif pour tous, Paris, 26 mai 2013 / Antoine Antoniol

L’hégémonie de la gauche dans la jeunesse française est révolue. La droite intellectuelle ne rase plus les murs et conquiert même les plateaux télévisés. Mais cette embellie doit davantage à la crise de notre société multiculturelle qu’au travail idéologique mené par quelques jeunes plumes au conservatisme parfois trop dogmatique.


Jadis, le monde était simple : les jeunes votaient à gauche, militaient à gauche, pensaient à gauche. Moralement discrédité à la Libération, le camp conservateur pliait l’échine devant une gauche qui s’arrogeait le monopole du cœur et de la vérité. Sartre pouvait exciter la haine de classe en accusant à tort un notaire de meurtre, Mitterrand dépasser l’entendement en promettant de sortir du capitalisme en cent jours, SOS Racisme fasciser quiconque questionnait la société multiculturelle, les jeunes générations acquiesçaient.

Or, voilà qu’après une longue éclipse, quelques francs-tireurs conservateurs creusent le sillon tracé par leurs aînés et franchissent les portes des médias. Zemmour et Buisson ayant ouvert la voie, Mathieu Bock-Côté, Eugénie Bastié (Le Figaro, Limite), François-Xavier Bellamy courent les plateaux télévisés, des revues comme Éléments sortent de la marginalité, des instituts de formation catholiques, identitaires libéraux ou un peu de tout cela à la fois émergent. Le tout est encouragé par la nouvelle mission métapolitique – gagner la bataille des idées – que s’assigne la jeune garde conservatrice, dont la coqueluche se nomme Marion Maréchal, et la base hésite entre un vote LR ou FN.

Quand la droite bat le pavé…

Aussi fluctuants soient ses contours, reste un mouvement de fond, que le brillant trentenaire Alexandre de Vitry pointe dans son pamphlet Sous les pavés, la droite : la jeune droite conservatrice ne craint plus de s’affirmer comme telle, de se doter d’une idéologie et de repenser son rapport au libéralisme. Ce n’est pas la première fois qu’émerge une jeunesse de droite revendiquant haut et fort cette étiquette. Le 30 mai 1968, les jeunesses gaullistes étaient sorties du bois pour soutenir le Général contre la « chienlit » des lanceurs de pavé. Tout en s’inscrivant dans cette lignée, les jeunes sarkozystes du début des années 2000 assumaient un rapport décomplexé à l’argent et à la réussite sociale qui les distinguait des caciques chiraquiens. Quelques années plus tard, poussée par l’offensive sociétale du quinquennat Hollande, une génération de jeunes catholiques conservateurs se soulève contre le mariage pour tous. Cette dernière vague investit le domaine des idées et porte un projet politique de transformation de la société.

Pour Alexandre de Vitry, c’est là que le bât blesse : la droite trahit sa nature pragmatique à force de battre le pavé et de forger une idéologie cohérente, sûre d’elle-même et dominatrice. Cette quête du Grand Soir conservateur ignore toute la complexité du réel, les invariants de la nature humaine et les pesanteurs du monde. Ici, entre en jeu la littérature, laquelle rappelle à l’homme son devoir d’humilité. En prétendant faire table rase du réel qui lui déplaît (liberté sexuelle, homoparentalité, droit à l’avortement…), une certaine droite suridéologisée rejoint les errements démiurgiques d’une gauche que l’idée de rupture obsède depuis la Révolution française. De sorte qu’un 10 mai 1981 conservateur pourrait bien être suivi de lendemains qui déchantent rappelant le tournant de la rigueur de 1983.

Conservateurs de souches

Parlons franc. Si sa défense paradoxale du droit à la contradiction et sa critique du pavlovisme antilibéral font l’effet d’un grand bol d’air, le réquisitoire ad hominem que dresse Vitry frôle parfois l’antifascisme policier, dont une certaine gauche est si friande. Mais à tout péché miséricorde. Grâces lui soient rendues, ainsi qu’à Eugénie Bastié, pour avoir engagé un dialogue fécond dans nos colonnes.

Cette jeunesse intellectuelle hostile aux mots d’ordre de 68 n’a pas surgi tout armée du crâne de Jupiter. Dans l’opinion, une vague générationnelle s’y reconnaît. « La jeunesse est à l’image de la société française : très divisée et diverse. 25 % des jeunes ont voté Mélenchon, mais toute une frange qui vit de plain-pied dans la société multiculturelle est en attente de valeurs d’ordre », indique le politologue et directeur d’études de l’IFOP Jérôme Fourquet. De l’avis quasi général, à droite, l’insécurité culturelle engendrée par une immigration massive inassimilée explique à la fois l’importance du vote FN et le repli identitaire de nombreux catholiques, de plus en plus opposés au pape François. N’en déplaise aux antiracistes professionnels, beaucoup des jeunes adversaires du multiculturalisme partisans d’une immigration limitée, sinon de la remigration, ont des origines exotiques. Français de plusieurs souches, ils désarçonnent le camp d’en face, à l’image de l’avocat libertaire Nicolas Gardères : « Le véritable renouveau de la droite n’est pas dans les idées, il est dans l’incarnation. Son discours est de plus en plus porté dans le champ politico-médiatique par les femmes comme les porte-parole de la Manif pour tous, des homosexuels (Philippot) et des hommes appartenant à des minorités religieuses (Zemmour). »

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Vu de gauche, l’itinéraire d’un Édouard Chanot, journaliste-chroniqueur sur la chaîne russe Radio Sputnik, paraît incompréhensible, tant il défie les a priori. Ce trentenaire franco-philippin met à l’actif de la droite culturelle deux grandes victoires sémantiques, remportées notamment sur le front de la lutte contrer l’islamisme : « La désignation de l’ennemi et la reconnaissance de facto du “grand remplacement”. » L’expression forgée par Renaud Camus fait florès dans les médias, même pour la dénoncer, quoique Chanot préfère parler de « grande balkanisation », persuadé que notre société se communautarise à mesure que les flux migratoires progressent. La reconnaissance de cet état de fait n’est sans doute pas entièrement imputable aux intellectuels qui confirment ce diagnostic aisément observable au quotidien. « Ce ne sont pas les idées qui dominent le monde, mais les circonstances », glisse l’ancien étudiant d’Assas, successivement militant UNI, auditeur de l’Institut de formation politique (IFP), membre des cercles conservateurs américains, puis élève de l’Institut Iliade, fondé après le suicide de l’essayiste néo-païen Dominique Venner, figure de la droite radicale identitaire. Un cursus honorum qui résume les tours et détours de sa quête de sens. « Mes amitiés avec cette mouvance étonnent toujours, mais j’ai beaucoup lu le philosophe Léo Strauss qui prône le retour aux Anciens », explique Chanot. Et sur le marché de l’identité, l’Institut Iliade « pour la longue mémoire européenne » offre une formation clé en main autour de la tradition, des mythes hors d’âge et autres expressions d’une identité charnelle résolument völkisch.

« Le discours de la gauche se heurte aujourd’hui à la réalité »

À la confluence de la mouvance identitaire, de l’antilibéralisme et du conservatisme, François Bousquet, 50 ans, rédacteur en chef d’Éléments et gérant de La Nouvelle Librairie, se réjouit de voir la tectonique des plaques intellectuelles bouger. « Difficile de nier qu’il y a un renouveau intellectuel du conservatisme qui profite plus à la droite qu’à la gauche, autrement affectée par la crise de l’idéologie du progrès », diagnostique-t-il. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un œil sur les couvertures d’Éléments, publication de la Nouvelle Droite devenue un magazine qui a pignon sur rue : les intellectuels de gauche, Onfray, Gauchet, Julliard, Guilluy, s’y bousculent presque ! Sur fond d’antilibéralisme, le magazine aux éditos signés Alain de Benoist redistribue les cartes du jeu idéologique. Pour la philosophe analyste du discours politique et des idéologies Nathalie Krikorian, « on assiste aujourd’hui à une forme de décomposition des idéologies, en particulier à gauche. La seule chose qui a permis à la gauche française de survivre, dans son aberration révolutionnariste et égalitariste, c’est son discours immigrationniste et différentialiste des années 1980. Mais il se heurte aujourd’hui à la réalité. » Les idées circulent tant et si bien d’un bout à l’autre du champ intellectuel que le droit à la différence, popularisé par la Nouvelle Droite, a été repris par l’antiracisme mitterrandien. C’est au nom de ce même droit que François Bousquet revendique aujourd’hui un éloge de la frontière contre « la montée de l’indifférenciation, de sociétés indifférenciées suite à un lissage universel ».

Pour autant, cette jeune garde conservatrice est loin d’occuper tout l’espace à droite où cette vague antilibérale suscite quelques étranglements. Avec Alexandre de Vitry, de jeunes libéraux moquent la Sainte Trinité de l’antiprogressisme, formée par Michéa, Guilluy et Orwell. Au côté de Benjamin Demeslay, le rédacteur en chef de L’Incorrect, Gabriel Robin, 33 ans, prépare pour début 2019 la sortie du Non du peuple, un essai explicitement dirigé contre le conservatisme antilibéral. Robin dénonce le nouveau prêt-à-penser des légions de la Manif pour tous, dont le gros livre rouge est La Cause du peuple, de Patrick Buisson : « Dans l’imaginaire de la droite française des années 2000 et 2010, la France périphérique tient la place du tiers-monde pour la gauche post-68. Pour Buisson, la Manif pour tous sera pour la “France de Johnny” ce que les bolcheviks furent aux damnés de la Terre, une élite régénérée portant sur ses épaules un peuple méprisé. » La droite quart-mondiste existe, tout le monde l’a rencontrée en librairie. Pour Robin, Buisson fantasme avec style et brio un peuple paré de toutes les vertus conservatrices. Tout comme, sur le flanc gauche, Michéa associe un peu trop mécaniquement aux gens ordinaires la common decency orwellienne. Faut-il avoir oublié Céline pour croire que la pauvreté rend vertueux…

Cherchez le peuple

Paradoxalement, la jeune droite libérale cède à la vieille tentation maurrassienne de calquer ses schémas idéologiques sur les attentes du « pays réel ». Ainsi, toutes les études d’opinion confirment une montée des valeurs consuméristes et individualistes dans la jeunesse française, d’ailleurs majoritairement partisane du mariage et de l’adoption homosexuels, aux antipodes de la Manif pour tous. Quant à la France périphérique, si bien décrite par le géographe Christophe Guilluy, ses habitants rêvent moins d’une nouvelle chouannerie que d’un libéralisme tempéré par des frontières. « Le Français moyen assimile le libéralisme au fait de payer moins d’impôts, de travailler plus pour gagner plus, ou d’entreprendre sans être trop entravé. C’est d’ailleurs une des raisons du succès de Nicolas Sarkozy en 2007 », analyse Gabriel Robin. Cela ne signifie pas, tant s’en faut, que le peuple des campagnes et des pavillons ne s’intéresse qu’à l’argent. Nombre de Français périphériques céderaient volontiers aux sirènes d’un « populisme patrimonial » (Dominique Reynié) à même de préserver leur mode de vie, s’il existait.

Le décalage entre la France concrète et la vision qu’en ont certains intellectuels conservateurs s’explique peut-être aussi par un biais sociologique. Dans ce qui reste de France catholique bourgeoise, des soixante-huitards au carré, enfants gâtés de la démocratie et de la révolution sexuelle, exercent un droit d’inventaire légitime, mais parfois inconséquent, sur notre société libérale. Ainsi, « aucune doctrine n’est moins comprise que le libéralisme, en France », regrette le philosophe Raphaël Enthoven : « Ce n’est pas la liberté du renard dans le poulailler. Rien n’est pire, aux yeux d’un libéral, qu’un individualisme échevelé, qui se satisfait de la guerre de chacun contre chacun. Un libéralisme bien compris suppose l’égalité des chances (sans laquelle la concurrence est faussée) et le respect de la loi (qui est la même pour tous) », poursuit ce républicain de gauche. Là se trouve l’une des clés de la convergence entre antilibéraux des deux rives qui s’exprime dans les colonnes d’Éléments ou de Limite. En faisant indistinctement feu sur le libéralisme, l’individualisme et le multiculturalisme, ces théoriciens ressuscitent des formes sophistiquées de communautarisme, fût-il socialiste ou chrétien. « Les uns veulent remettre le maître d’école au centre du village, les autres le curé », en sourit Gabriel Robin.

C’est dans ce tourbillon idéologique qu’Emmanuel Macron a bâti sa victoire à la dernière présidentielle. Renvoyant dans les cordes droite et gauche, Jupiter a coiffé sur le poteau tous ceux qui pensaient l’enjeu identitaire incontournable. Les intellectuels conservateurs sont donc encore loin de réunir derrière eux un bloc majoritaire. C’est à partir de ce constat que Marion Maréchal a créé l’Institut de sciences sociales, économiques et politiques pour former les cadres conservateurs de demain. À l’université, l’hégémonie de la gauche, moribonde ou contestée ailleurs, est toujours écrasante. Le sorbonnard et professeur certifié Lucien Rabouille, 24 ans, constate : « En termes de masse critique, on est écrasé. Il y a des phalanges de sociologues et d’historiens Insoumis », du Collège de France à la plus modeste fac de province. Un peu comme Alexandre de Vitry, il estime que la droite intellectuelle fait fausse route en se piquant d’idéologie : « Il faudrait laisser la prétention de l’objectivité à la gauche. On n’est pas armés pour se battre sur ce terrain. » Certes, mais pourquoi renoncer au combat politique alors que tant de défis se posent à la société ? Dans son dialogue avec Vitry, Eugénie Bastié entend tenir les deux bouts de la chaîne. Littéraires et politiques pourraient s’accorder sur la reconnaissance d’ « une forme d’incomplétude, de modestie face à l’histoire, de refus de l’utopie » qui ne dispense pas la droite d’avoir des idées politiques. Aux nouveaux hussards de relever le gant !