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Causons ! Le podcast de Causeur

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Avec Ivan Rioufol et Jeremy Stubbs.


Ivan Rioufol porte un regard critique sur l’ouverture de Cannes, le grand oral télévisé du Président de la République, l’audition du Premier ministre devant la commission d’enquête de l’Assemblée sur les violences à l’école, et les élections à la présidence des Républicains.

Le festival de Cannes est définitivement réduit au statut de symbole caricatural de la pensée mondaine, conformiste et progressiste. En revanche, le débat télévisé entre Emmanuel Macron et ses différents interlocuteurs, notamment Agnès Verdier-Molinié et surtout Robert Ménard, a eu le mérite de révéler la fragilité du chef de l’Etat, poussé dans ses retranchements sur une série de questions dont l’immigration. La prolixité de cet exercice contraste avec la concision de la conférence de presse du nouveau Pape, Léon XIV, qui n’a duré que 11 minutes.

L’interrogation de François Bayrou par le co-rapporteur de la commission parlementaire, le député LFI Paul Vannier, a rappelé l’époque des tribunaux révolutionnaires. Les élus d’extrême-gauche se posent en nouveaux coupeurs de tête en cherchant, non la vérité, mais la démission du chef du gouvernement.

La rivalité qui oppose Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez montre deux intelligences qui ont toutes les deux les capacités nécessaires pour présider le parti des Républicains. Des deux, Retailleau a peut-être l’avantage en termes de courage politique. Le grand bémol, c’est que les deux candidats continuent de refuser l’idée d’une grande alliance des partis de droite qui représente le seul moyen de battre la gauche et le centre en 2027.

Les migrants, la fête au village et le parc d’attractions

Offrir un séjour pour éviter des débordements lors d’une prochaine fête de village aux Pays-Bas: c’est la drôle idée du Centraal Orgaan opvang asielzoekers (Accueil des Demandeurs d’Asile) qui a ulcéré une ministre. Récit.


Et si, en France, on offrait aux « jeunes des quartiers » un séjour dans un parc d’attractions1 pour les éloigner de fêtes de village ou fêtes foraines où ils pourraient semer la pagaille? Élucubrations, caricature malveillante de bonnes intentions ? En fait, cela se rapproche d’un projet de l’instance néerlandaise chargée de l’Accueil de Demandeurs d’Asile, le COA.
Dès qu’elle en a eu vent, cependant, la ministre de l’Asile et des Migrations, Mme Marjolein Faber, a opposé son véto, fustigeant « un voyage d’agrément aux frais des contribuables ».

Prime pour mauvaise conduite

Car le voyage offert par le COA était destiné aux migrants mineurs d’un centre d’accueil situé dans le village Sint Anne dans la province de Frise où, en mai 2024, trois jeunes autochtones furent blessés de coups de couteau lors de la fête annuelle. Des habitants du centre figurent comme suspects. Pas étonnant, donc, que les villageois préfèrent célébrer la prochaine fête, qui commence le 16 mai, entre eux.
Le COA, une fois n’est pas coutume, était de leur côté. Mais sa solution revenait, selon la ministre Faber, à une « prime pour mauvaise conduite à de potentiels fauteurs de troubles ».
Car le parc d’attraction en question, situé à Efteling, dans la province de Brabant, se situe à 240 kilomètres au sud du camp pour jeunes migrants. Des familles néerlandaises peu fortunées doivent se saigner à quatre veines pour s’y offrir une journée.
Comme de coutume, la presse néerlandaise dite de qualité a vilipendé la ministre pour sa mesquinerie et cette fâcheuse tendance à considérer tout demandeur d’asile comme un criminel en puissance. « Un voyage en car, d’accord, mais pour les expulser » a-t-elle répondu, pour chambrer ses critiques. La ministre est membre du Parti pour la Liberté de M. Geert Wilders, pilier principal de la coalition gouvernementale. Dans les journaux, il n’est pas rare de la voir caricaturée en garde-chiourme, sanglée dans un uniforme style nazi.
Le COA a finalement annulé le projet controversé, mais a promis d’organiser d’autres activités pour les quelque quarante jeunes, sur 400 résidents, du centre de Sint Anne, village de quelque 4500 habitants. Des campagnes de financement collectif par des citoyens outrés par la ministre ont recueilli plus de 250000 euros pour les jeunes, de quoi les choyer sur la Côte d’Azur durant les trois jours de fête dans leur village en Frise.

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Drague lourde

Les grands médias néerlandais ont évidemment sacrifié leur devoir d’informer sur l’autel de l’indignation morale. La presse régionale avait, elle, fait son boulot en rappelant que certains jeunes étrangers s’étaient récemment distingués par leur drague lourde de jeunes filles, par des vols, cambriolages et actes d’agression contre les contrôleurs de bus. Un site d’information avait décrit leur centre d’accueil comme une caverne d’Ali Baba, où les fruits des larcins étaient mis en vente sur internet2.
Rien de tout cela n’a évidemment percé la bulle de suffisance des grands médias, décrivant parfois à tort les demandeurs d’asile adolescents comme des enfants, sous-entendus innocents et souffrant de la cruauté de la ministre. Un chroniqueur de l’audiovisuel public les plaignait, « condamnés qu’ils sont à vivre dans un trou comme Sint Anne3 ». Les violences pendant la fête foraine de 2024 n’auraient été qu’une « rixe » entre de jeunes locaux, les identités des suspects passées sous silence.
Ce qui rappelle le drame de Crépol dans la Drôme, où, en novembre 2023, le jeune Thomas Perotto fut mortellement poignardé. L’utilisation du mot rixe faisait alors débat, car impliquant que les torts étaient partagés entre villageois et jeunes issus de l’immigration algérienne venus importuner le « bal d’hiver ». Toujours est-il que le sang versé, à Crépol comme à Sint Anne, a été celui de jeunes Blancs, non pas celle de leurs agresseurs présumés.
Pas étonnant qu’aux Pays-Bas, de plus en plus de villages résistent, parfois violemment et avec succès, aux projets d’y installer des centres de migrants, lesquels y sont aussi peu appréciés que des usines de traitement de déchets nucléaires. Et à chaque fois, le soutien au parti de Mme Faber y monte en flèche.


  1. https://www.efteling.com/fr ↩︎
  2. http://franekeractueel.nl/ ↩︎
  3. https://www.youtube.com/watch?v=echSO3uReFI ↩︎

Le mur des comptes

Chaque mois, le vice-président de l’Institut des libertés décode l’actualité économique. Et le compte n’y est pas.


La fiche de paie française est la plus lourdement ponctionnée d’Europe. Pour distribuer 100 euros de salaire brut, une entreprise doit débourser 142 euros, dont il ne reste en fin de compte que 77 euros dans la poche de son employé ! C’est la raison pour laquelle Éric Ciotti propose la suppression totale de la CSG et de la CRDS sur les revenus du travail. La mesure aurait pour effet de libérer 10 % de pouvoir d’achat chez les salariés. Concrètement, selon le patron des députés UDR, cela représente un 13e mois sans coûter un centime de plus à l’employeur. Une bonne idée.

Jusqu’où les taxes et les charges sociales peuvent-elles grever un salaire français ? Sur les plus hauts revenus du travail, l’ensemble des prélèvements peut grimper jusqu’à 65 % de la somme décaissée par l’employeur. Un record d’Europe là encore. Il faut dire que bon nombre de postes sociaux sont déplafonnés, par exemple l’Assurance maladie (13 %). En Allemagne, celle-ci est limitée à 4 500 euros par contribuable… Ce système a pour conséquence de réduire l’attractivité de notre pays aux yeux des investisseurs, notamment dans les domaines des technologies, où les meilleurs collaborateurs ont, à juste titre, des prétentions salariales élevées. Comme d’habitude, pour compenser, en partie du moins, les conséquences néfastes de ses décisions idéologiques, le législateur a inventé une usine à gaz : le régime des « impatriés », bénéficiant aux salariés de haut niveau venant de l’étranger. Ce n’est pas avec de tels dispositifs qu’on pourra « réindustrialiser la France ».

Edouard Philippe © D.R.

Le plan d’investissement dans les compétences (PIC) est un nouveau fiasco à 15 milliards d’euros pour le gouvernement. Lancé par Édouard Philippe en 2018 – et stoppé six ans après faute de résultats – il devait édifier « une société de compétences ». Les sommes abyssales englouties sont telles que même la Cour des comptes a fini par pointer des impacts « insuffisants et fragmentés » et un « espoir irréaliste ».

Un agriculteur français gagne en moyenne 5 000 euros par an et par hectare s’il loue ses terres à un fournisseur d’énergie désirant exploiter un dispositif photovoltaïque ou un système aérogénérateur. C’est beaucoup plus qu’en louant son champ à un autre agriculteur. Le Parlement vient de doubler la production électrique autorisée par ferme. Ça tombe bien, cela permettra d’importer un peu plus de panneaux solaires et d’éoliennes chinoises, et donc de creuser encore plus le déficit du commerce extérieur !

Illustration diagnostic de performance energetique (DPE) sur un bien immobilier © MOURAD ALLILI/SIPA

En vigueur depuis le 1er janvier, l’interdiction des logements classés G (les plus énergivores, car souvent mal isolés) a retiré 567 000 logements du marché locatif officiel. Une telle prohibition ne peut que développer le marché noir, comme on le constate à chaque fois que des textes stupides sont adoptés. Elle empêche aussi de nombreux étudiants de trouver une chambre à louer en ville.

L’Algérie coûte plus de 9 milliards d’euros par an aux contribuables français. Telle est l’estimation de l’eurodéputée Sarah Knafo (Reconquête). Parmi les principales dépenses qu’elle a recensées : les aides sociales versées aux Algériens vivant en France (1,6 milliard), les logements sociaux occupés dans notre pays par des Algériens (1,5 milliard), les fraudes aux pensions de retraite (880 millions), les impayés aux hôpitaux publics (100 millions).

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La Commission de Bruxelles a subventionné à hauteur de 10 millions d’euros un programme de recherche sur le Coran pour « explorer son influence sur la culture et la religion en Europe au cours du dernier millénaire ». Tout cela ne poserait pas de problème si les premiers intéressés n’étaient les Frères musulmans, qui souhaitent imposer leur révisionnisme historique et transformer le Vieux Continent en nation islamique. Il est peu probable que les peuples des États membres de l’Union aient adhéré au projet européen pour arriver à ce type de projets suicidaires.

Pas facile de vendre une SCPI (sociétés civiles de placement immobilier) de nos jours.  Un certain nombre d’entre elles (d’une valorisation cumulée de 2,4 milliards d’euros) se trouvent actuellement sur le marché sans trouver preneur. Un comble pour un placement présenté par ses promoteurs comme « liquide » ! Les SCPI étaient censées protéger les épargnants, car elles ne risquaient pas, disait-on, les déconvenues de la Bourse ! La réalité est tout à fait différente puisque depuis janvier 2023, on déplore de fortes chutes de valeurs : Soprorente (Fiducial Gérance) -31,6 % ; Accimmo Pierre (BNP Paribas REIM) -31,2 % ; Laffitte Pierre (AEW Patrimoine) -20,7 % ; Fructipierre (AEW Patrimoine) -19,2 %.

François Ecalle © REVELLI-BEAUMONT NICOLO/SIPA

Mécomptes publics. C’est le titre du dernier livre de François Ecalle[1], ancien conseiller maître à la Cour des comptes. En revenant de façon très pédagogique sur quarante ans de dysfonctionnements et de tentatives avortées de réformes, l’auteur explique comment notre pays a sombré dans l’apocalypse budgétaire. Le lobby anti-austéritaire peut toutefois dormir tranquille : les sondages montrent que seul un tiers des Français savent que l’endettement de la France a dépassé les 100 % du PIB. Dans le même ordre d’idée, le lobby antinucléaire peut aussi dormir tranquille : plus de 50 % de nos compatriotes pensent que la fumée blanche qui sort des centrales nucléaires est du gaz à effet de serre.

Mécomptes publics: Réflexions sur les politiques publiques

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[1] Mécomptes publics : conception et contrôle des politiques économiques depuis 1980, Odile Jacob, 2025.

Alain Finkielkraut: «La justice s’assigne une mission civilisatrice»

Alors que Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy sont visés par des condamnations judiciaires retentissantes, Alain Finkielkraut dénonce une dérive du pouvoir judiciaire, devenu selon lui un acteur politique à part entière. Sans soutenir le RN, il fustige une justice animée par des passions idéologiques, au détriment de l’État de droit


Causeur. Marine Le Pen a été condamnée en première instance à une peine d’inéligibilité assortie d’une exécution provisoire. Pour vous, la justice est sortie de ses gonds. Pour les bons esprits, cela signifie simplement que la loi est la même pour tous. Que leur répondez-vous ?

Alain Finkielkraut. Pour lever toute ambiguïté, une précision s’impose : je n’ai jamais voté pour le Rassemblement national et je n’ai pas l’intention de le faire dans l’avenir. Non que je veuille dresser autour de ce parti un cordon sanitaire. À la différence des antifascistes qui ont absolument besoin de cet ennemi pour vivre, j’ai pris acte de sa rupture avec le pétainisme des origines et je m’en réjouis. Je constate également que le « front républicain » mis en place aux dernières élections législatives a fait entrer à l’Assemblée nationale des antisémites forcenés et obsessionnels. Avec les députés de La France insoumise, la haine des juifs est, pour la première fois depuis la guerre, présente au cœur de la vie politique française. Tel est le résultat paradoxal et pathétique du grand rassemblement contre la peste brune. Le haro sur les vieux démons a profité aux fougueux démons de la Jeune Garde. Il faut mettre sa montre à l’heure si l’on ne veut pas rater son rendez-vous avec l’histoire. Plus encore que le courage, c’est la ponctualité qui fait la valeur de l’engagement.

Alors que reprochez-vous au Rassemblement national ?

Le RN doit être combattu pour ce qu’il dit aujourd’hui : son programme économique aberrant, son tropisme poutinien. Nos souverainistes n’ont rien de plus pressé que de sacrifier la souveraineté ukrainienne à la voracité du Kremlin. Les mêmes qui refusent de voir les nations disparaître dans la bureaucratie européenne se pâment devant l’Empire russe en voie de reconstitution. Bref, ce n’est pas le sympathisant en moi qui s’insurge contre la condamnation de Marine Le Pen, c’est le citoyen. Quatre ans de prison et une inéligibilité avec exécution immédiate pour avoir fait travailler des assistants au service du parti et non au Parlement européen est une peine exorbitante. Il ne s’agit pas, en l’occurrence, d’appliquer la loi, mais de barrer la route de l’Élysée à une candidate jugée dangereuse, comme cela avait été déjà le cas pour François Fillon en 2017. Et déchoir sans attendre Marine Le Pen de son mandat de conseillère départementale du Pas-de-Calais, c’est vider la procédure d’appel de toute substance, et donc bafouer l’État de droit. Selon que vous serez de gauche ou de droite, les jugements de la magistrature vous rendront blanc ou noir.

Non seulement la favorite du premier tour pourrait être interdite d’élection, mais un ancien président pourrait être emprisonné. Peut-on dire que la Justice s’oppose à la volonté populaire ? Et est-ce lié à l’hubris des juges ou à des lois mal faites ?

Sans preuves, mais à partir d’un « faisceau d’indices », le Parquet national financier a requis contre Nicolas Sarkozy sept ans de prison dans l’affaire libyenne. Les procureurs ont dénoncé la cupidité effrénée de l’ancien président et demandé qu’il soit privé de son autorité parentale ! Ce ne sont pas des réquisitoires sévères, mais des réquisitoires haineux proférés la bave aux lèvres. Faut-il être de droite, faut-il être sarkozyste, pour s’en inquiéter et pour s’indigner aussi de sa condamnation à trois ans de prison dont un an ferme sous forme de bracelet électronique en réponse à un acte de corruption qui n’a pas été commis ? Non. Il faut simplement avoir gardé en soi un peu de décence commune. Nicolas Sarkozy n’en finit pas de payer pour avoir osé critiquer la magistrature et envisager une réforme de l’instruction.

« Le système a sorti la bombe nucléaire », a déclaré Marine Le Pen. Le mot « système » (ensemble de pratiques organisées en fonction d’un but, nous dit Le Robert) est-il pertinent ?

Je ne sais pas très bien ce qu’est le « système ». Je retiens plutôt la grande leçon de Montesquieu : « Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » Aujourd’hui rien n’arrête le pouvoir judiciaire. Rompant avec l’esprit du libéralisme, il enfreint les règles et piétine les principes afin d’assouvir ses pulsions justicières. Tous les moyens lui semblent bons pour écarter les responsables politiques considérés comme déviants et pour punir ceux qui ont osé contester ses pratiques. Et gare aux mauvais esprits qui y trouvent à redire ! Ils fragilisent l’État de droit, ils s’attaquent à l’indépendance de la Justice, ils rêvent d’instaurer une démocratie illibérale…

À lire aussi, Alain Finkielkraut : «On n’a pas le droit de s’installer dans la tragédie»

Il existe en France, comme dans toute société, une pensée dominante qui inspire l’élite dans bon nombre de ses décisions. Vous avez enseigné à Polytechnique. Avez-vous perçu un conformisme idéologique dans cette école où étudie la crème de la crème ? Comment cela s’exprimait-il ?

À l’époque où j’enseignais à l’école Polytechnique, l’idéologie woke n’avait pas encore fait son apparition. Mes cours et mes séminaires se déroulaient dans le calme. Le climat a sans doute changé : bien que professeur émérite, je n’ai jamais été invité par mon successeur ou par le directeur de l’école à faire une conférence. Je suis d’ailleurs persona non grata sur tous les campus, à part peut-être l’Institut catholique de la rue de Vaugirard. Mais n’ayons pas d’inquiétude : comme le dit France Universités, l’instance représentative des universités françaises, le wokisme et l’islamo-gauchisme sont des « fantasmes » véhiculés par l’extrême droite.

Éric Zemmour au Centre universitaire méditerranéen (CUM) de Nice, 21 novembre 2018 © SYSPEO/SIPA

Éric Zemmour vient d’être condamné sur la base de la loi Gayssot que vous approuvez. Est-ce aux juges d’écrire l’histoire ?

J’approuve la loi Gayssot car, comme l’a dit Patrick Moynihan, « tout le monde a le droit d’avoir ses propres opinions, pas ses propres faits », et parce qu’affirmer calmement que « les juifs ne sont pas morts à Auschwitz ou à Treblinka » est bien plus atroce que de crier « Mort aux juifs ! ». Mais le cas d’Éric Zemmour ne relève pas de la loi Gayssot. En soutenant que Pétain a sauvé des juifs, il ne rectifie pas l’histoire, il ne conteste pas les faits, il n’est nullement négationniste. Voici ce qu’écrit Renaud Meltz dans sa biographie sans complaisance de Pierre Laval : « Dès leur arrivée, les chefs de la gestapo ont été alertés par Abetz que Laval ne se plierait pas à toutes les exigences antisémites. Indifférent à la question raciale, il distinguait les juifs étrangers de ses compatriotes. Il entendait défendre ceux-ci quitte à sacrifier ceux-là. » Meltz ajoute que « lors de la grande rafle du Vel’ d’Hiv’, les chefs de la gestapo sont entrés dans la logique nationalitaire de Laval (sauver les Français) et obtenu en retour le concours de la police française ». Ce que je ne pardonne pas à Éric Zemmour, c’est d’avoir mis ce pacte diabolique au crédit du régime de Vichy. Comme l’écrit Maurice Garçon, qui n’était pas précisément philosémite : « Laval et Pétain livrent des trains entiers de malheureux cueillis en Zone libre. Ceux-là sont surtout des juifs étrangers. Nous livrons nos hôtes. » Ce manquement aux lois sacrées de l’hospitalité est une tache supplémentaire sur l’État français. Je condamne donc fermement les propos d’Éric Zemmour, mais il ne revient pas aux tribunaux de trancher cette querelle.

Marine Le Pen fait partie de ceux qui ont le plus tempêté depuis vingt ans contre la corruption au sommet du pouvoir et prôné des mesures sévères pour la combattre. Les politiques se sont-ils piégés avec la « moralisation » de la vie politique ?

Marine Le Pen militait avec ardeur pour la moralisation de la vie publique. Avec un zèle infatigable, elle réclamait des sentences exemplaires et notamment que Jérôme Cahuzac soit inéligible à vie. Comme un boomerang, cette hargne lui revient maintenant en pleine figure. De manière plus générale, les responsables politiques se sont eux-mêmes lié les mains et privés progressivement de leur pouvoir d’agir pour complaire au pouvoir judiciaire allié au pouvoir médiatique.

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La gauche manifeste pour défendre l’État de droit. Est-il en danger ?

L’État de droit est en danger quand les responsables du Rassemblement national se voient accusés de n’avoir pas donné aux faits qui leur étaient reprochés une interprétation conforme à celle du tribunal. Ils auraient dû plaider coupable, avouer leur forfait, et prononcer des paroles de contrition pour espérer l’indulgence des juges. On hésite devant un tel discours entre deux adjectifs : orwellien et kafkaïen.

L’une des mesures phares du RN est de changer la loi, voire la Constitution, afin de mettre en place un principe de préférence nationale en matière de prestations sociales. Ce projet heurte-t-il l’idée que vous vous faites des droits en France ? Où l’équilibre se trouve-t-il entre ce que la collectivité doit à l’Homme et ce qu’elle doit au Citoyen ?

Je ne sais pas si la préférence nationale doit être inscrite dans la Constitution. Ce que je sais en revanche, c’est que sans une telle préférence la nation cesse d’exister. « Comment les hommes l’aimeraient si leur patrie n’est rien de plus pour eux que pour les étrangers, et qu’elle ne leur accorde que ce qu’elle ne peut refuser à personne », écrivait très justement Jean-Jacques Rousseau. Au nom de l’idée d’humanité universelle que les nazis voulaient éradiquer, on estime aujourd’hui que « le peuple se gouvernant lui-même, loin de donner force et vie à la justice politique comme on l’avait pensé jusque-là, concrétise au contraire une injustice primordiale, celle qui consiste à se séparer et à se préférer » (Pierre Manent). Mettre fin à cette injustice et frapper ses partisans du sceau de l’infamie : telle est la mission civilisatrice que s’assigne le pouvoir judiciaire. Telle est l’urgence à laquelle il répond. Tel est le sens de son combat et la justification de son corporatisme.

Notre-Dame du silence

Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. « J’aime qu’on me contredise ! » pourrait être sa devise


Alain Esquerre, lanceur d’alerte et victime qui a permis de déchirer le très long silence sur l’« affaire Bétharram », a un espoir : « Parvenir à susciter une réflexion sur le sens du déni collectif dont a souffert la société béarnaise, particulièrement ses enfants. » Et ailleurs, dans le pays, combien d’autres Bétharram ? Pas uniquement dans le privé, mais là où des enfants du hasard et de nulle part ont été « accueillis », puis dévorés. De quoi ce silence est-il le nom ? Que dit-il exactement de la façon « dont nous nous traitons les uns les autres ». Beth arram, en Béarn, signifie « beau rameau ». C’est ce rameau qu’Alain Esquerre et plus de 200 victimes, dont la moitié pour des violences et des crimes sexuels, tendent à notre humanité douloureuse. Le silence s’est transformé en un cri que personne aujourd’hui ne peut ignorer.

Hélène Perlant, fille aînée de François Bayrou, ancienne élève de l’établissement, dit « ça ne parle pas » et, avec pudeur et courage, elle explique le mécanisme de cet enfermement bien au-delà des murs de l’institution catholique béarnaise. Nationalement et localement, oubliant les victimes dont ils n’ont pas parlé, des « responsables » politiques n’ont eu qu’un objectif : atteindre et faire chuter François Bayrou. Silencieux avant sa nomination à Matignon, ils sont allés chercher une éphémère lumière médiatique de la pire des manières.

À la fin de son ouvrage, Le Silence de Bétharram (Michel Lafon), Alain Esquerre publie le poème d’une personne qui, elle, a voulu rester dans l’anonymat.

« Les enfants de Bétharram
Ont des soleils en pointillé,
Des rires volés aux jours de larmes
Et des printemps à réparer »

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La glace d’un très long hiver sur la plus grande affaire pédocriminelle des cinquante dernières années vient de fondre grâce à un homme qui a parlé, puis mis en ligne un groupe Facebook dédié aux victimes. Sans l’aide d’un avocat, sans réseaux, il a simplement tendu un rameau numérique avec l’espérance de mains qui viendraient le saisir. 

Pour réparer des printemps, il s’agit de comprendre le processus du déni collectif. « Comment pouvons-nous faire mieux ? » interroge Esquerre. La société y est-elle prête ? Récemment, dans une rue paloise, une dame très distinguée m’a abordé avec un seul message concernant Bétharram : « Mais pourquoi remuer aujourd’hui toute cette merde, c’est du passé. » La vulgarité de son propos n’était pas raccord avec sa tenue vestimentaire. Avec une grave erreur d’analyse. Il ne s’agit pas d’un passé mais de notre avenir. 

« Les enfants de Bétharram
Ont grandi sous des mains trop lourdes,
Des cauchemars dessous les draps
Et des ombres sur les épaules »

Bétharram était un véritable système que ce livre décortique. Dans les ténèbres surgissent aussi quelques lumières comme ce Jean-Rémy, victime lui aussi, qui devient « élève-surveillant », en charge du dortoir Sain-Augustin, celui des CM2. Il a protégé « ses petiots » du père Carricart. En février 2000, Carricart, ancien directeur de Bétharram, se suicide. Son corps est repêché à Rome dans les eaux du Tibre. Une expertise judiciaire est par la suite ordonnée pour s’assurer qu’il n’y a pas eu de substitution de cadavre. Après le rapport du légiste, qui confirme l’identité, il n’y a plus eu de poursuites judiciaires contre un Bétharramite. Il a fallu attendre… 2024. Un quart de siècle après, les eaux du Gave dans les vallées pyrénéennes commencent enfin à s’éclaircir.

Le silence de Bétharram - L'enquête choc du lanceur d'alerte et ancien élève

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Majorque avec Sand et Chopin

Un hiver à Majorque, de George Sand (1804-1879), vient d’être réédité en Poche. Récit de voyage, journal, non pas intime mais personnel, c’est un magnifique texte littéraire qu’il nous est ainsi donné de pouvoir relire.


George Sand est partie, en hiver 1838, avec ses enfants et Chopin, pour Majorque, dans la Chartreuse de Valldemosa, située en pleine montagne. La traversée en bateau a été rude à cause des cochons bruyants et malodorants entreposés dans la soute. Mais enfin, tout le monde est arrivé à bon port. Le piano, le pianino, un Pleyel, « arraché aux mains des douaniers » arrivera plus tard. Le contact avec l’île est rude : les indigènes ne font pas bon accueil au couple. Lequel n’inspire rien qui vaille : un pianiste égrotant, peut-être contagieux, une femme artiste, à la vie libre. Ajoutez l’obstacle de la langue que Sand ne parle pas bien, la vie matérielle est loin d’être idyllique. Néanmoins les jours s’écoulent, riches d’imprévus, de beautés de toutes sortes, de créations. Sand fait tourner la maison, joue la garde-malade, se promène, écrit. Chopin compose ses Préludes. 

Illusions perdues

Le livre est intéressant, d’abord, par sa « philosophie ». Fille de la Révolution, amie de Gustave Roux, Sand aime « le peuple ». Mais sur cette entité mythique, elle projette une image d’elle-même et de la Révolution. Alors, forcément déçue par la réalité, en butte à l’animosité des habitants, Sand perd ses illusions. Adoptant souvent des préjugés qu’on qualifierait aujourd’hui de racistes, elle a tendance à ne voir dans Majorque que l’antichambre de l’Afrique. Au peuple majorquin, elle reproche sa superstition et son caractère arriéré. Ce qui n’empêche pas des considérations fort belles sur l’histoire (ancienne et riche) de l’île et la géographie, les rapports entre politique et l’économique. Elle-même n’est-elle pas fascinée par l’existence de ces moines dont elle imagine « le bruit des sandales et le murmure de la prière sous les voûtes des chapelles »? Elle s’intéresse, également, à la langue majorquine dont elle donne des indications précises. Preuve, s’il en est, qu’aucune pensée libre n’échappe à des contradictions. En tout cas, le caractère polémique du livre ne passera pas inaperçu aux yeux des contemporains.

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Mais le livre n’est pas idéologique. George Sand est toujours imaginative et concrète. Pour cette île plongée dans une situation économique déplorable, elle rêve de la libre entreprise et de la petite propriété privée. Pour cela, elle imagine, au chapitre IV, un dialogue sur l’Inquisition, entre deux personnages, l’un à la fleur de l’âge, l’autre usé par l’âge. Incarnation, encore : les habitants sont rendus comme des caricatures à la Daumier ou à la Goya. Incarnation, toujours, avec le jeu des registres littéraires quand le réalisme se mêle à l’humour et au fantastique.

Une aventure esthétique

Valdemosa : une ruine dans la montagne, le tout dans une île, la mer de toute part. Une solitude monastique mâtinée de Rousseau. Le climat est âpre, méditerranéen, traversé d’orages : le contraire du Berry. C’est donc à une aventure esthétique sans pareille que George est confrontée. Comment rendre, par des mots, la beauté de cette île ? La réponse est donnée par l’écrivain elle-même : par un ailleurs qu’est la peinture. Non pas en décrivant le paysage avec des mots dont « elle sent le néant » mais le tableau que ferait le paysage et l’impression que le paysage produit. Car l’art apprend à voir la nature au second degré. On retrouve le romantisme de Delacroix, auquel elle écrit, qui annonce Van Gogh. Sand cite aussi « le sévère » Corot, Huet, Dupré. Le style est sans pareil par les couleurs, la précision, la musicalité, la richesse extraordinaire des mots. Les pages sur les oliviers et les orages sont célèbres.

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Dans ce paysage tourmenté et dans cette solitude, Sand fait enfin l’expérience du silence propice à la création. Silence quand elle écrit seule, la nuit ; musique où elle baigne. Silence et musique : les deux sous-tendent le texte. Mais Chopin, direz-vous ? C’est le grand absent du texte. Si l’auteur emploie un je masculin pour écrire, ce n’est pas pour faire des confidences. Et Chopin ne tenait pas non plus à être nommé. C’est dans Histoire de ma vie, et dans la Correspondance de Sand que nous savons que Majorque fut pour Chopin une période intense de création dont les Préludes.

Baudelaire n’aimait pas George Sand. « La femme Sand », disait-il. Ironie des allergies personnelles. Qui, mieux que l’auteur des Maîtres sonneurs incarna, en effet, les richesses des « correspondances » entre littérature, peinture et musique ? Elle qui évoque, ici, les danses et les chants majorquins aux accents arabes et le bruit, parfois, dans la nuit, des castagnettes.

Un hiver à Majorque

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Macron sur TF1, prisonnier de lui-même

Les oppositions politiques et les commentateurs dans la presse ont dénoncé le caractère « hors sol » et l’impuissance d’Emmanuel Macron, après son intervention télévisée.


« Rester libre » : les premiers mots d’Emmanuel Macron, mardi soir sur TF1. En réalité, le président s’est montré prisonnier de lui-même, c’est-à-dire de son narcissisme, de ses certitudes, de ses évitements. En plus de trois heures d’autosatisfactions, rien de concret n’est ressorti d’un amas de mots désincarnés.

Montesquieu avait prévenu (Lettres persanes, LXVI) : « Quand un homme n’a rien à dire de nouveau, que ne se tait-il ». Ne reste, de cet énième et vain exercice promotionnel, que le portrait appuyé du bonimenteur, créature désuète d’un monde politique qui ne touche plus terre.

Mâle blanc fragile

Plus que d’habitude, se sont dévoilées les faiblesses d’un homme fragile, ébranlé par les assauts réalistes de Robert Ménard et Agnès Verdier-Molinié. Le savoir-faire de Macron dans la défausse et l’illusion explique en partie le doute qui a pu naitre, chez d’autres affabulateurs, dans la manière oblique qu’il a eu à cacher un banal mouchoir trainant sur une table, pris du coup pour un sachet de drogue par des esprits perméables aux rumeurs. La scène, filmée le 10 mai dans un train conduisant Macron de Pologne en Ukraine avec ses homologues allemand et britannique, a souligné le comportement alambiqué du joueur de bonneteau révélant une dextérité dans la manipulation, l’escamotage, la dissimulation. L’Élysée, en se fendant le 11 mai d’un communiqué pour dénoncer, autour du banal papier pris sottement pour de la cocaïne, une « désinformation propagée par les ennemis de la France », a aussi mis en relief la paranoïa complotiste d’un président énamouré de lui-même, incapable de concevoir qu’il ne puisse être simplement admiré. La prestation de mardi soir a montré un homme perdu.

A lire aussi, Céline Pina: Emmanuel Macron, le droit à mourir d’ennui

Monde verbeux qui s’effondre

Parler pour ne rien dire : c’est ce que retiendra notamment l’histoire, pour caractériser la faillite des « élites » d’un monde verbeux qui s’effondre. Depuis cinquante ans, elles n’ont cherché qu’à satisfaire la pensée mondaine, son confort intellectuel, ses récitations hypocrites sur des lois « d’humanité et de fraternité » (Macron, hier soir, parlant de l’euthanasie et du suicide assisté) qui ont créé la société des désastres.

Épuisement

Lundi, le pape Léon XIV a, pour sa part, tenu une conférence de presse qui n’a pas excédé dix minutes. Avec des paroles choisies et pesées, il a eu le temps d’inciter les médias à promouvoir la quête de vérité, de dénoncer les atteintes à la liberté d’expression, de s’alarmer du sort des journalistes emprisonnés, etc. C’est cette sobre efficacité qui est désormais attendue, chez ceux qui ont des messages à faire passer.

Au lieu de quoi, le président a épuisé son auditoire en refusant de considérer l’immigration légale (500000 entrées par an) comme un problème, en promettant vaguement des référendums sur des sujets flous, en semblant découvrir des mesures de bon sens avancées par Ménard, maire de Béziers. Il a également qualifié de « honte » l’attitude d’Israël dans sa guerre face au Hamas islamiste à Gaza, en oubliant que qualifier l’attitude de l’Algérie, qui détient Boualem Sansal, face à la France.

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Bordeaux: une digue a cédé

Lors de la première journée du procès pour le meurtre de Lionel, 16 ans, une violente bagarre a éclaté lundi 12 mai au soir dans le palais de justice de Bordeaux, impliquant une vingtaine d’individus. L’affrontement a provoqué un véritable chaos dans la salle d’audience et les couloirs, blessant plusieurs personnes, dont des policiers et un accusé. Le procès se poursuit « sous surveillance renforcée ».


La première journée du procès d’assises des huit hommes accusés dans la fusillade mortelle de 2021 à Bordeaux s’est ouverte lundi 12 mai. En fin de journée une violente bagarre a éclaté dans l’enceinte même de la cour d’assises de la Gironde lors de ce procès de jeunes hommes jugés pour la mort de Lionel, 16 ans, mortellement blessé lors d’une fusillade, sur fond de rivalités entre quartiers bordelais (où les narcotrafiquants sévissent de plus en plus).

Incidents graves

Il y avait eu des attaques de commissariats, de casernes de pompiers, plus récemment de prisons. On sait qu’il y a une centaine de magistrats protégés. Mais, à part quelques algarades (verbales) dans des tribunaux, jamais notre pays n’avait connu un tel fait. L’envahissement d’un tribunal. Pas n’importe lequel : une Cour d’Assises. C’est-à-dire l’enceinte où l’on juge les crimes !

« À l’issue de la première journée d’audience, des incidents graves ont eu lieu dans la salle d’audience et la salle des pas perdus de la cour d’appel, entraînant en particulier des blessures sur les fonctionnaires de police intervenus pour ramener l’ordre», écrit la cour d’appel dans un communiqué (Le Figaro, 13 mai). Ce qu’il y a aussi de choquant c’est qu’aucune interpellation n’ait eu lieu lors des faits. Lorsque l’on a l’habitude d’assister à des procès d’assises, on se rend compte qu’il y a assez peu de policiers présents. Celle de Bordeaux ne fait pas exception. Là encore le manque criant de moyens explique cela. Suite à ces faits, le parquet a ouvert une enquête pour «violences en réunion» et pour déterminer les circonstances précises de la rixe.

Ce qui s’est passé démontre qu’un certain nombre d’individus n’ont aucun complexe et surtout aucune crainte de venir régler leurs comptes dans un tribunal. «L’atmosphère était étonnamment calme toute la journée. Puis en fin d’audience, on a vu arriver au compte-goutte une vingtaine de jeunes habillés de noir, avec des gabarits de Malabar, qui se sont assis sur un banc au fond de la salle», décrit Me Yann Herrera, qui défend les proches de Lionel Sess. Même si l’entrée est publique dans une cour d’assises (sauf certaines affaires sensibles, par ex pour les mineurs), comment se fait-il que les quelques agents qui étaient là n’aient pas vu le genre d’individus qui rentraient et ne les aient pas dissuadés ? Ils ont bien vu à qui ils avaient à faire. On nous dira que c’eut été un délit de faciès. Eh bien, et au risque de choquer les âmes sensibles, peu importe. Il y a faciès et faciès. On n’a évidemment pas le droit d’interdire l’entrée sur la couleur de peau. Mais on peut, on doit même, interdire l’accès d’un tribunal à des racailles (celles de Bordeaux en avaient le déguisement traditionnel).

Une horde de voyous

Continuons la description de la scène barbare qui s’est déroulée lundi. Alors que la salle se vide, «des dizaines de personnes ont commencé à se battre, dont certaines portaient des gants coqués, dans un sas entre la salle d’audience et la salle des pas perdus, puis dans la salle d’audience elle-même», détaille l’avocat. «Une horde d’une vingtaine de personnes se sont notamment ruées sur mon client, qui a été blessé à l’épaule», décrit à son tour un des avocats des accusés qui comparaissaient libres, Me Grégoire Mouly (Le Figaro ibid). Une scène totalement inédite dans les tribunaux de France et de Navarre ! Les images de la scène, que l’on trouve sur le net, sont proprement hallucinantes. Et totalement inadmissibles.

La cour d’appel de Bordeaux a indiqué que l’audience prévue jusqu’au 23 mai «se poursuivra jusqu’à son terme sous surveillance renforcée». Il faut donc un tel évènement pour que la sécurité d’une cour d’assises soit « renforcée » ? Cela ne devrait-il pas être la règle et le service allégé l’exception ? Notamment sur ce genre de procès.

Lors de la rixe mortelle dans le quartier de Bordeaux, en 2021, un des assaillants avait lancé au gang ennemi : « Vous voulez la guerre ? Vous l’aurez ». Tout est dans cette phrase ô combien révélatrice. Entre ces gangs, il s’agit d’une guerre commerciale totale notamment à cause des territoires. Et sur fond, bien sûr, de narcotrafic. Et c’est au nom de cette activité mortifère, qui fait vivre et prospérer des centaines de milliers de personnes en France (essentiellement, car il y a des consommateurs….) qu’une « guerre » est menée. Et s’il le faut dans un tribunal.

Vers un narco-Etat ?

En novembre 2023, le Sénat a mis en place une commission d’enquête chargée d’évaluer l’impact du narcotrafic en France et de proposer des mesures pour y remédier. Elle a rendu son rapport en mai 2024. Celui-ci a dressé le portrait d’une France submergée par les drogues et identifie les failles qui nuisent aux réponses de l’État. Il s’avère que sur la base de ce rapport (près de 150 personnes ont été auditionnées),  on constate que les chiffres demeurent malheureusement incertains. Ce que l’on sait, c’est que le narcotrafic représente au moins trois milliards d’euros de revenus – les estimations vont jusqu’à six milliards, ce qui atteste une grande marge d’incertitude. Lors de son audition par la commission d’enquête, le ministre de l’Économie et des Finances de l’époque, Bruno Le Maire, avait de son côté chiffré à 3,5 milliards d’euros le bénéfice annuel du narcotrafic en France. Environ 200 000 personnes vivent de ce trafic en France. Et ce chiffre augmente tous les jours. C’est en tout cas le principal marché criminel et le plus rentable. Chaque jour en France se produisent des actes violents voire mortels liés au narcotrafic. Il parait de plus en plus évident que « les trafiquants sont des barbares dont les méthodes sont celles de la traite des êtres humains. Pour garder le contrôle du réseau, ils torturent, ils assassinent »[1].

Il est essentiel de rappeler ici que suite à la demande d’Eurostat, l’institut statistique de la Commission européenne, l’Insee a intégré l’argent de la drogue dans le calcul du PIB. Alors que ce choix peut interpeler car il « valide » en quelque sorte cet argent, deux collègues ont expliqué que « cela permet de mettre des chiffres, fondés sur un modèle de calcul, derrière une réalité qui se dérobe à l’observation et donc difficile à évaluer. C’est aussi un moyen pour les autorités qui luttent contre le trafic de drogues et le blanchiment de mieux appréhender la question du trafic et de son financement[2] ».

Alors oui, une digue a cédé. Quand on s’en est pris à des enseignants, à des commissariats, à des pompiers, à des prisons, à des hôpitaux, et maintenant à des tribunaux, on est face à un État en voie de déliquescence. Ses principaux piliers vacillent. Nulle part en France on est « safe », pour reprendre le mot de Gérald Darmanin. C’est grave. Et lorsque son collègue Bruno Retailleau parle, lui, de « mexicanisation » dans certains quartiers, il décrit une réalité incontestable que les habitants endurent tous les jours. Cette insécurité a gagné un tribunal. Espérons qu’elle ne se rééditera pas de sitôt. Nous aimerions en être sûrs…

Demandez-vous quel serait l’état d’une maison où les jeunes gens mépriseraient les vieillards ; l’état des écoles, si les disciples ne respectaient pas les maîtres ; comment des malades pourraient recouvrer la santé, s’ils n’obéissaient pas aux médecins ; quelle sécurité pourraient avoir ceux qui naviguent, si les matelots n’écoutaient pas les pilotes. La nature a établi deux lois nécessaires au salut des hommes : les uns doivent commander, les autres obéir. Sans ces lois, il n’est rien qui puisse durer même un instant (Jules César).


[1] https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert, 13/10/2024

[2] https://www.ihemi.fr/actualites/largent-de-la-drogue-integre-au-calcul-du-pib-3-questions-nacer-lalam-et-david-weinberger

Bruno Retailleau : le jour J pour le futur de la droite…

On dit d’eux qu’ils s’affrontent alors qu’ils ont le même programme… Dans la lutte fratricide qui oppose Bruno Retailleau à Laurent Wauquiez chez LR, notre chroniqueur prend parti pour le premier. Il nous explique pourquoi. Le scrutin décisif aura lieu ce weekend. Une fois cette campagne interne terminée, les deux rivaux sauront-ils s’entendre ? Analyse.


On a tellement insisté sur la similitude des projets et la superficialité des différences entre Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez qu’on a oublié l’enjeu capital de l’élection des 17 et 18 mai. Comme souvent, c’est Albert Zennou qui dans sa chronique du Figaro a le mieux perçu l’importance de cet affrontement maintenant si proche, en soulignant que « derrière la bataille Retailleau-Wauquiez, c’est l’avenir de la droite qui se joue 1».

Bruno Retailleau perçu comme plus vindicatif dans la « bataille culturelle »

Je n’aurais pas l’impudence de dénier à Laurent Wauquiez un très brillant parcours intellectuel et universitaire avec la réserve toutefois, qui n’est pas ironique, que créditer un candidat d’un tel passé est souvent implicitement le faire passer pour quelqu’un qu’on pourra admirer mais sans l’envie de voter en sa faveur.

Il serait absurde de ma part d’amplifier ce qui sépare les deux jouteurs sur le fond, leur programme reprenant peu ou prou les fondamentaux d’une droite qui serait enfin consciente de son identité et donc de son influence démocratique. Toutefois, en détruisant l’hégémonie culturelle de la gauche, Bruno Retailleau est beaucoup plus attentif que Laurent Wauquiez à redonner à la droite une place décisive sur le plan des valeurs, des idées et de la vision de la société. Une victoire seulement électorale ne serait pas une conquête des esprits (voir mon entretien avec Bruno Retailleau du 18 juin 2020).

À lire aussi : Retailleau vs Wauquiez : de quel homme fort la droite a-t-elle besoin ?

À ce sujet, il ne faut pas prendre au sérieux la faribole à laquelle Laurent Wauquiez semble tenir et qui imputerait à Bruno Retailleau le dessein de vouloir pactiser avec Édouard Philippe et de noyer la droite dans le macronisme. Alors que Bruno Retailleau sait aussi bien que son adversaire tout ce qui, sous Édouard Philippe Premier ministre et à cause de lui, a obéré le premier mandat présidentiel. Il est aux antipodes du juppéisme mou persistant de ce dernier.

Il ne serait pas honnête, par ailleurs, de ressasser qu’à plusieurs reprises Laurent Wauquiez a abandonné son parti au prétexte qu’il devait se préserver pour l’élection présidentielle de 2027, quand tout démontre qu’elle va être plus que jamais disputée pour la désignation du candidat de la droite.

Refus d’entrer au gouvernement : Laurent Wauquiez perçu comme trop prudent

Il faut écouter et lire Bruno Retailleau. Il a cet énorme avantage, dans un monde politique trop souvent insincère par tactique, de n’avoir jamais varié dans ses convictions – du sénateur au ministre – et d’avoir donné de la droite au gouvernement une image très positive. Quel crédit, sur ce plan, pourrait-on accorder au futur président de LR s’il avait décidé, face à une situation nationale et internationale dangereuse, de jouer au Ponce Pilate et de ne pas apporter son concours à un Premier ministre et à une équipe qui tentent d’améliorer ce qui va mal ?

C’est parce que Bruno Retailleau n’a pas chipoté, contrairement à Laurent Wauquiez qui aurait désiré être installé de manière confortable dans le fauteuil ministériel qu’il aurait choisi en excluant tous ses rivaux potentiels, qu’il convient de lui faire confiance : sa politique de présence a permis l’affirmation de la présence d’une politique – de droite. Avec les succès et les avancées que sa fonction pouvait faire advenir.

À lire aussi : Bruno Retailleau à l’heure des premiers doutes

Lorsque M. Retailleau énonce : « Ma droite, ce sera la droite qui va défendre les honnêtes gens. Ce n’est pas la droite d’une tambouille des appareils politiques », il vise juste en pourfendant les combines et les reniements d’hier et en mettant en lumière une conception de l’Etat de droit au service du peuple. Et non plus seulement pour des transgresseurs dont les garanties qui leur sont octroyées rendent inefficace le combat contre eux.

Ce ne sont pas les variations qu’on s’est plu à publier sur les caractères et les goûts culturels de l’un ou de l’autre qui devront faire pencher la balance en faveur de Bruno Retailleau. C’est en raison de la profondeur d’une personnalité, de ce qu’elle est et de la démonstration constante de ce qu’elle était, est et sera, qu’on doit trancher le plus clairement possible afin d’offrir à cet homme de réflexion et d’action une victoire incontestable qui enlèverait à Laurent Wauquiez l’envie perverse de chicaner.

Connaître Bruno Retailleau, c’est aussi tenir pour rien le grief qui lui est fait de ne pas pouvoir consacrer demain toute son énergie à cette double tâche capitale : faire avancer et protéger la France comme ministre, et en même temps refonder le parti de la base au sommet, idées et responsables compris. Non seulement le ministre de l’Intérieur assumera cette mission avec sa formidable puissance de travail et de réactivité mais il est évident, si les Républicains prennent acte du fait que la droite est redevenue une espérance grâce à lui, que le ministre sera un appoint considérable pour le président du parti ; ce dernier fera bénéficier le ministre d’une force et d’une légitimité incomparables.

Une fois qu’on a admis le caractère très riche du vivier de la droite républicaine, la conscience qu’ont certaines de ses personnalités les plus emblématiques (je songe à David Lisnard et François-Xavier Bellamy) que M. Retailleau est la chance et l’incarnation d’une droite enfin de retour, il ne faudra pas manquer d’être présent au jour J. 2027 ne sera rien si les 17 et 18 mai, Bruno Retailleau ne devient pas tout.

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  1. https://www.lefigaro.fr/vox/societe/albert-zennou-derriere-la-bataille-retailleau-wauquiez-c-est-l-avenir-de-la-droite-qui-se-joue-20250509 ↩︎

Patrimoine: Dati devrait prendre des cours chez les Anglais

Rachida Dati ne se contente pas de rêver, la nuit, d’une « BBC à la française » en mariant France Télévisions et Radio France. Elle ambitionne aussi de créer un « National Trust » à la française, une grande institution citoyenne dédiée à la préservation de notre patrimoine. Mais que cache ce projet ? Le National Trust, organisation privée emblématique outre-Manche, parvient à conjuguer protection du patrimoine et rentabilité. La France peut-elle vraiment s’en inspirer ?


La ministre de la Culture, Rachida Dati, a confié début janvier à la présidente du Centre des Monuments Nationaux, Marie Lavandier, une mission sur la faisabilité d’un “National Trust” à la française. Un rapport est attendu pour la fin du mois de mai, qui devrait inclure des propositions pour transposer en France cette institution d’outre-Manche, de son nom complet le “National Trust for Places of Historic Interests or Natural Beauty”. Cette demande s’inscrit évidemment dans une réflexion globale sur l’efficacité des politiques culturelles et le financement de l’entretien du patrimoine en ces temps de disette financière – du moins pour ce qui est des finances publiques.

Facteurs typiquement britanniques

Car le revenu du National Trust, lequel atteint pour l’année 2023-24 la somme de 724 millions de Livres Sterling, provient a plus de 80% non seulement de la vente des billets et abonnements à l’année, mais également de l’exploitation commerciale des sites dont il a la charge (lesquels incluent très souvent un café-restaurant, une boutique de souvenirs voire un espace dédié à la vente de plantes, graines et outils de jardinage) – le reste provenant du mécénat (privé ou d’institutions telles que la Loterie Nationale) et même d’investissements dans des secteurs assez éloignés de la culture: ainsi la filiale National Trust Renewables Energy vend au réseau national britannique l’électricité générée par les panneaux solaires et éoliennes implantées sur certains des sites dont il a la charge.

À première vue, un “National Trust à la française” s’inscrirait dans les pas d’organismes existants comme la Société des Amis du Louvre ou les Vieilles Maisons Françaises. Sauf que le succès du plus que centenaire National Trust repose en grande partie sur des facteurs typiquement britanniques : un amour des paysages et des vieilles pierres, une préférence pour l’initiative privée plutôt que l’action publique et une ferveur religieuse qui s’incarne dans des projets visant à “faire le bien”.

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Pour bien comprendre l’organisation de la protection du patrimoine en Grande-Bretagne, il faut garder à l’esprit que celle-ci n’est ni centralisée ni uniforme: outre la Couronne, qui possède un certain nombre de bâtiments ouverts au public (les plus célèbres étant bien sûr Buckingham Palace et le château de Windsor), une autre institution s’occupe des monuments les plus emblématiques (par exemple le site de Stonehenge, ou encore les châteaux de Douvres dans le Kent et de Tintagel en Cornouailles): l’English Heritage. L’English Heritage (qui se décline en Scottish Heritage en Écosse) fut créé en 1983 par la fusion de plusieurs agences responsables de la gestion du patrimoine. Tout comme le National Trust, l’English Heritage a le statut de “charity”, un terme difficilement traduisible en français: à mi-chemin entre une société commerciale et une association loi 1901, les charities dont les boutiques de livres et de vêtements d’occasion bordent les rues commerçantes de la moindre petite ville britannique, ont un fonctionnement qui se rapproche des entreprises privées (un conseil d’administration, des rapports annuels) mais ils ne sont pas censés faire de profits: les bénéfices qu’ils réalisent au travers de leurs activités commerciales doivent être intégralement utilisés pour financer leurs frais de fonctionnement et les objectifs charitables, au sens large, qu’ils se sont fixées. Il existe ainsi des dizaines de charities dont les activités vont de l’aide au développement au financement de la recherche contre le cancer en passant par l’amélioration des conditions de vie des vétérans de l’armée britannique ou la protection de l’enfance.

Plus de 1200 sites !

Le budget annuel de l’English Heritage est bien mince en comparaison de celui du National Trust – autour de 155 millions de Livres – et la liste d’environ quatre-cents monuments sous sa responsabilité n’est pas appelée à s’étoffer. Tout le contraire du National Trust, qui ajoute régulièrement des noms a son portfolio de plus de mille deux cents sites : outre près de cinq-cents châteaux, demeures historiques, églises, chapelles et monastères, le National Trust gère quarante-sept monuments industriels (usines désaffectées, anciens sites d’extraction charbonnière…), onze phares et même trente-neuf pubs, ou, encore plus étonnant, cinquante-six villages entiers!

Qu’une institution issue d’une initiative privée en soit venue à gérer très exactement 1442 kilomètres de côtes et 259985 hectares de terrain peut sembler étrange à des Français habitués à considérer la protection du patrimoine comme une mission régalienne et la culture comme un domaine devant échapper à toute marchandisation.

Le National Trust fut créé en 1895 par trois “éminents victoriens” pour pasticher le biographe Lytton Strachey qui moqua dans son ouvrage éponyme les mœurs de la seconde moitié du 19ème siècle : la philanthrope Octavia Hill, l’homme de loi Robert Hunter et Hardwicke Drummond Barnsley, un prêtre anglican. Mme Hill s’illustra tout d’abord dans des campagnes pour améliorer les conditions de vie dans les quartiers pauvres et surpeuplés créés par la Révolution industrielle, avant de défendre l’importance des espaces verts pour les habitants des villes. C’est en bataillant – avec succès – contre l’urbanisation du quartier londonien d’Hampstead Heath (qui encore aujourd’hui a conservé une atmosphère de village) qu’elle fit la connaissance de M. Hunter. Le fait que le troisième personnage à l’origine du projet de National Trust est un prêtre n’est guère étonnant : aussi bien Hill que Hunter étaient de fervents anglicans, dans une période notamment caractérisée par une intense activité religieuse aussi bien à l’intérieur de l’église anglicane qu’au sein des différents groupes religieux protestants (méthodistes, baptistes ou presbytériens). Sauf que cette ferveur religieuse s’exerça moins dans la défense d’une liturgie particulière ou dans des pèlerinages, que dans un zèle missionnaire d’une part (à mesure que l’Empire britannique s’agrandissait) et la mise sur pied d’œuvres charitables d’autre part – l’une des plus célèbres étant l’Armée du Salut, fondée en 1865 par un pasteur méthodiste.

Vie vertueuse

Cette volonté de “faire le bien” vint se greffer à une idéalisation de la vie rurale et des paysages campagnards : le jardin anglais, lequel donne l’illusion d’un paysage naturel alors qu’il s’agit en réalité d’une version idyllique de la nature, est concomitant à la fois du remembrement (enclosures) qui modifia en profondeur la campagne britannique (voir ici La création du paysage anglais de William Hoskins) et des premières usines, voraces en eau et en charbon. Rien n’illustre mieux l’opposition dans l’imaginaire anglais entre une vie à la campagne, jugée comme pure et innocente, et la vie corrompue et malsaine dans les villes industrielles noires de suie (que peindra bien plus tard le peintre mancunien William Lowry), que le poème Jerusalem de William Blake (dont les vers mis en musique sont devenus l’hymne non-officiel de l’Angleterre): “Mon esprit ne cessera de lutter / Et mon épée ne dormira pas dans ma main/ Jusqu’à ce que nous ayons construit Jérusalem/ Dans la verte terre d’Angleterre” – le terme “sombres moulins sataniques” utilisé dans la strophe précédente faisant référence aux filatures de coton du Lancashire (Cotton mills en anglais).

Ces œuvres charitables ne sont donc souvent pas d’origine publique ou résultant d’une volonté gouvernementale, mais bien des initiatives purement privées : ainsi le quartier de Bournville à Birmingham fut construit par les frères Cadbury pour loger les ouvriers de leur manufacture de chocolat. En bons Quakers, ils y interdirent la vente et la consommation d’alcool. De même, Octavia Hill aura toujours des préventions contre les projets de logements menés par les autorités locales, préférant des projets financés par des fonds privés et donnant la part belle à un certain paternalisme : le but affiché était non seulement d’améliorer les conditions de logement des familles nécessiteuses, mais encore de les pousser à une vie saine, sobre et vertueuse – des valeurs souvent qualifiées de « victoriennes » dont Margaret Thatcher se fera le chantre dans les années 1980. Plus récemment, le projet de “big society” porté par le Parti conservateur au temps de David Cameron, reposait sur l’idée que des initiatives privées, d’ancrage local et reposant en partie sur du bénévolat suppléeraient de façon efficace à certains services publics défaillants.

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La dernière pierre dans la construction du National Trust tel qu’on le connait aujourd’hui fut apportée par deux lois de 1937 et 1939 visant à faciliter le transfert de propriété entre les particuliers et le National Trust, sous la formé de legs (défiscalisés) ou de schémas bien plus sophistiqués, permettant aux occupants de rester dans la propriété et d’en partager les frais d’entretien du moment que la majeure partie de celle-ci était accessible à la visite : il n’est donc pas rare aujourd’hui qu’au détour d’une visite, un livre ouvert oublié sur un sofa ou des oreillers affaissés témoignent que le visiteur ne déambule pas dans un musée mais bien une demeure habitée – comme si vous risquiez de tomber sur Lady Grantham au coin d’un couloir. Dans un contexte de baisse des prix agricoles durant la Grande Dépression, donc des revenus des grands propriétaires terriens, puis de droits de succession particulièrement élevés après la Seconde Guerre Mondiale, ces dispositions permirent de sauver de la démolition – dépeinte par Evelyn Waugh dans la troisième partie de son roman Brideshead Revisited – et d’ouvrir au public un grand nombre de châteaux et maisons de campagne. La première demeure passant ainsi sous la responsabilité du National Trust fut le manoir de Wightwick dans les Midlands, suivie notamment en 1944 de l’abbaye de Lacock dans le Wiltshire – dont l’une des fenêtres apparait sur le premier « calotype » réalisé en 1835 par le pionnier de la photographie William Fox Talbot.

Il sera donc difficile de répliquer le National Trust dans un contexte français, marqué par une très forte prééminence de l’action publique et une méfiance envers les initiatives et financements privés. Il n’y a qu’à voir les réactions suscitées par ce qui s’en rapproche le plus en France à savoir le Puy du Fou… Mais au-delà des polémiques sur le contenu du spectacle, la réussite indéniable de l’entreprise vendéenne repose sur des facteurs similaires à ceux ayant fait le succès du National Trust : recettes commerciales, prise en compte des attentes du public, forte participation de bénévoles. D’ailleurs, le National Trust lui-même n’a pas échappé aux récentes controverses sur le décolonialisme : en 2021, le Trust commanda un rapport sur le sujet à un groupe d’universitaires. Le résultat fut si extrême que même des personnalités marquées à gauche telles que Simon Jenkins appelèrent à la modération. Quelques cartels furent réécrits et une ou deux statues furent déplacées, un certain nombre d’adhésions ne furent pas renouvelées, mais de façon générale les accusations de réactionnaires ou de « wokisme » tombèrent plutôt à plat. Preuve si besoin est que les Britanniques sont trop attachés à leur patrimoine pour le laisser s’abimer dans une guerre culturelle.

Causons ! Le podcast de Causeur

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Ivan Rioufol commente le duel auquel se livreront Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez ce week-end pour la présidence des Républicains © Hannah Assouline - Jacques Witt/SIPA - ISA HARSIN/SIPA

Avec Ivan Rioufol et Jeremy Stubbs.


Ivan Rioufol porte un regard critique sur l’ouverture de Cannes, le grand oral télévisé du Président de la République, l’audition du Premier ministre devant la commission d’enquête de l’Assemblée sur les violences à l’école, et les élections à la présidence des Républicains.

Le festival de Cannes est définitivement réduit au statut de symbole caricatural de la pensée mondaine, conformiste et progressiste. En revanche, le débat télévisé entre Emmanuel Macron et ses différents interlocuteurs, notamment Agnès Verdier-Molinié et surtout Robert Ménard, a eu le mérite de révéler la fragilité du chef de l’Etat, poussé dans ses retranchements sur une série de questions dont l’immigration. La prolixité de cet exercice contraste avec la concision de la conférence de presse du nouveau Pape, Léon XIV, qui n’a duré que 11 minutes.

L’interrogation de François Bayrou par le co-rapporteur de la commission parlementaire, le député LFI Paul Vannier, a rappelé l’époque des tribunaux révolutionnaires. Les élus d’extrême-gauche se posent en nouveaux coupeurs de tête en cherchant, non la vérité, mais la démission du chef du gouvernement.

La rivalité qui oppose Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez montre deux intelligences qui ont toutes les deux les capacités nécessaires pour présider le parti des Républicains. Des deux, Retailleau a peut-être l’avantage en termes de courage politique. Le grand bémol, c’est que les deux candidats continuent de refuser l’idée d’une grande alliance des partis de droite qui représente le seul moyen de battre la gauche et le centre en 2027.

Les migrants, la fête au village et le parc d’attractions

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Le parc d'attractions Efteling, aux Pays Bas. DR.

Offrir un séjour pour éviter des débordements lors d’une prochaine fête de village aux Pays-Bas: c’est la drôle idée du Centraal Orgaan opvang asielzoekers (Accueil des Demandeurs d’Asile) qui a ulcéré une ministre. Récit.


Et si, en France, on offrait aux « jeunes des quartiers » un séjour dans un parc d’attractions1 pour les éloigner de fêtes de village ou fêtes foraines où ils pourraient semer la pagaille? Élucubrations, caricature malveillante de bonnes intentions ? En fait, cela se rapproche d’un projet de l’instance néerlandaise chargée de l’Accueil de Demandeurs d’Asile, le COA.
Dès qu’elle en a eu vent, cependant, la ministre de l’Asile et des Migrations, Mme Marjolein Faber, a opposé son véto, fustigeant « un voyage d’agrément aux frais des contribuables ».

Prime pour mauvaise conduite

Car le voyage offert par le COA était destiné aux migrants mineurs d’un centre d’accueil situé dans le village Sint Anne dans la province de Frise où, en mai 2024, trois jeunes autochtones furent blessés de coups de couteau lors de la fête annuelle. Des habitants du centre figurent comme suspects. Pas étonnant, donc, que les villageois préfèrent célébrer la prochaine fête, qui commence le 16 mai, entre eux.
Le COA, une fois n’est pas coutume, était de leur côté. Mais sa solution revenait, selon la ministre Faber, à une « prime pour mauvaise conduite à de potentiels fauteurs de troubles ».
Car le parc d’attraction en question, situé à Efteling, dans la province de Brabant, se situe à 240 kilomètres au sud du camp pour jeunes migrants. Des familles néerlandaises peu fortunées doivent se saigner à quatre veines pour s’y offrir une journée.
Comme de coutume, la presse néerlandaise dite de qualité a vilipendé la ministre pour sa mesquinerie et cette fâcheuse tendance à considérer tout demandeur d’asile comme un criminel en puissance. « Un voyage en car, d’accord, mais pour les expulser » a-t-elle répondu, pour chambrer ses critiques. La ministre est membre du Parti pour la Liberté de M. Geert Wilders, pilier principal de la coalition gouvernementale. Dans les journaux, il n’est pas rare de la voir caricaturée en garde-chiourme, sanglée dans un uniforme style nazi.
Le COA a finalement annulé le projet controversé, mais a promis d’organiser d’autres activités pour les quelque quarante jeunes, sur 400 résidents, du centre de Sint Anne, village de quelque 4500 habitants. Des campagnes de financement collectif par des citoyens outrés par la ministre ont recueilli plus de 250000 euros pour les jeunes, de quoi les choyer sur la Côte d’Azur durant les trois jours de fête dans leur village en Frise.

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Drague lourde

Les grands médias néerlandais ont évidemment sacrifié leur devoir d’informer sur l’autel de l’indignation morale. La presse régionale avait, elle, fait son boulot en rappelant que certains jeunes étrangers s’étaient récemment distingués par leur drague lourde de jeunes filles, par des vols, cambriolages et actes d’agression contre les contrôleurs de bus. Un site d’information avait décrit leur centre d’accueil comme une caverne d’Ali Baba, où les fruits des larcins étaient mis en vente sur internet2.
Rien de tout cela n’a évidemment percé la bulle de suffisance des grands médias, décrivant parfois à tort les demandeurs d’asile adolescents comme des enfants, sous-entendus innocents et souffrant de la cruauté de la ministre. Un chroniqueur de l’audiovisuel public les plaignait, « condamnés qu’ils sont à vivre dans un trou comme Sint Anne3 ». Les violences pendant la fête foraine de 2024 n’auraient été qu’une « rixe » entre de jeunes locaux, les identités des suspects passées sous silence.
Ce qui rappelle le drame de Crépol dans la Drôme, où, en novembre 2023, le jeune Thomas Perotto fut mortellement poignardé. L’utilisation du mot rixe faisait alors débat, car impliquant que les torts étaient partagés entre villageois et jeunes issus de l’immigration algérienne venus importuner le « bal d’hiver ». Toujours est-il que le sang versé, à Crépol comme à Sint Anne, a été celui de jeunes Blancs, non pas celle de leurs agresseurs présumés.
Pas étonnant qu’aux Pays-Bas, de plus en plus de villages résistent, parfois violemment et avec succès, aux projets d’y installer des centres de migrants, lesquels y sont aussi peu appréciés que des usines de traitement de déchets nucléaires. Et à chaque fois, le soutien au parti de Mme Faber y monte en flèche.


  1. https://www.efteling.com/fr ↩︎
  2. http://franekeractueel.nl/ ↩︎
  3. https://www.youtube.com/watch?v=echSO3uReFI ↩︎

Le mur des comptes

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Éric Ciotti © Hannah Assouline

Chaque mois, le vice-président de l’Institut des libertés décode l’actualité économique. Et le compte n’y est pas.


La fiche de paie française est la plus lourdement ponctionnée d’Europe. Pour distribuer 100 euros de salaire brut, une entreprise doit débourser 142 euros, dont il ne reste en fin de compte que 77 euros dans la poche de son employé ! C’est la raison pour laquelle Éric Ciotti propose la suppression totale de la CSG et de la CRDS sur les revenus du travail. La mesure aurait pour effet de libérer 10 % de pouvoir d’achat chez les salariés. Concrètement, selon le patron des députés UDR, cela représente un 13e mois sans coûter un centime de plus à l’employeur. Une bonne idée.

Jusqu’où les taxes et les charges sociales peuvent-elles grever un salaire français ? Sur les plus hauts revenus du travail, l’ensemble des prélèvements peut grimper jusqu’à 65 % de la somme décaissée par l’employeur. Un record d’Europe là encore. Il faut dire que bon nombre de postes sociaux sont déplafonnés, par exemple l’Assurance maladie (13 %). En Allemagne, celle-ci est limitée à 4 500 euros par contribuable… Ce système a pour conséquence de réduire l’attractivité de notre pays aux yeux des investisseurs, notamment dans les domaines des technologies, où les meilleurs collaborateurs ont, à juste titre, des prétentions salariales élevées. Comme d’habitude, pour compenser, en partie du moins, les conséquences néfastes de ses décisions idéologiques, le législateur a inventé une usine à gaz : le régime des « impatriés », bénéficiant aux salariés de haut niveau venant de l’étranger. Ce n’est pas avec de tels dispositifs qu’on pourra « réindustrialiser la France ».

Edouard Philippe © D.R.

Le plan d’investissement dans les compétences (PIC) est un nouveau fiasco à 15 milliards d’euros pour le gouvernement. Lancé par Édouard Philippe en 2018 – et stoppé six ans après faute de résultats – il devait édifier « une société de compétences ». Les sommes abyssales englouties sont telles que même la Cour des comptes a fini par pointer des impacts « insuffisants et fragmentés » et un « espoir irréaliste ».

Un agriculteur français gagne en moyenne 5 000 euros par an et par hectare s’il loue ses terres à un fournisseur d’énergie désirant exploiter un dispositif photovoltaïque ou un système aérogénérateur. C’est beaucoup plus qu’en louant son champ à un autre agriculteur. Le Parlement vient de doubler la production électrique autorisée par ferme. Ça tombe bien, cela permettra d’importer un peu plus de panneaux solaires et d’éoliennes chinoises, et donc de creuser encore plus le déficit du commerce extérieur !

Illustration diagnostic de performance energetique (DPE) sur un bien immobilier © MOURAD ALLILI/SIPA

En vigueur depuis le 1er janvier, l’interdiction des logements classés G (les plus énergivores, car souvent mal isolés) a retiré 567 000 logements du marché locatif officiel. Une telle prohibition ne peut que développer le marché noir, comme on le constate à chaque fois que des textes stupides sont adoptés. Elle empêche aussi de nombreux étudiants de trouver une chambre à louer en ville.

L’Algérie coûte plus de 9 milliards d’euros par an aux contribuables français. Telle est l’estimation de l’eurodéputée Sarah Knafo (Reconquête). Parmi les principales dépenses qu’elle a recensées : les aides sociales versées aux Algériens vivant en France (1,6 milliard), les logements sociaux occupés dans notre pays par des Algériens (1,5 milliard), les fraudes aux pensions de retraite (880 millions), les impayés aux hôpitaux publics (100 millions).

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La Commission de Bruxelles a subventionné à hauteur de 10 millions d’euros un programme de recherche sur le Coran pour « explorer son influence sur la culture et la religion en Europe au cours du dernier millénaire ». Tout cela ne poserait pas de problème si les premiers intéressés n’étaient les Frères musulmans, qui souhaitent imposer leur révisionnisme historique et transformer le Vieux Continent en nation islamique. Il est peu probable que les peuples des États membres de l’Union aient adhéré au projet européen pour arriver à ce type de projets suicidaires.

Pas facile de vendre une SCPI (sociétés civiles de placement immobilier) de nos jours.  Un certain nombre d’entre elles (d’une valorisation cumulée de 2,4 milliards d’euros) se trouvent actuellement sur le marché sans trouver preneur. Un comble pour un placement présenté par ses promoteurs comme « liquide » ! Les SCPI étaient censées protéger les épargnants, car elles ne risquaient pas, disait-on, les déconvenues de la Bourse ! La réalité est tout à fait différente puisque depuis janvier 2023, on déplore de fortes chutes de valeurs : Soprorente (Fiducial Gérance) -31,6 % ; Accimmo Pierre (BNP Paribas REIM) -31,2 % ; Laffitte Pierre (AEW Patrimoine) -20,7 % ; Fructipierre (AEW Patrimoine) -19,2 %.

François Ecalle © REVELLI-BEAUMONT NICOLO/SIPA

Mécomptes publics. C’est le titre du dernier livre de François Ecalle[1], ancien conseiller maître à la Cour des comptes. En revenant de façon très pédagogique sur quarante ans de dysfonctionnements et de tentatives avortées de réformes, l’auteur explique comment notre pays a sombré dans l’apocalypse budgétaire. Le lobby anti-austéritaire peut toutefois dormir tranquille : les sondages montrent que seul un tiers des Français savent que l’endettement de la France a dépassé les 100 % du PIB. Dans le même ordre d’idée, le lobby antinucléaire peut aussi dormir tranquille : plus de 50 % de nos compatriotes pensent que la fumée blanche qui sort des centrales nucléaires est du gaz à effet de serre.

Mécomptes publics: Réflexions sur les politiques publiques

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[1] Mécomptes publics : conception et contrôle des politiques économiques depuis 1980, Odile Jacob, 2025.

Alain Finkielkraut: «La justice s’assigne une mission civilisatrice»

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Alain Finkielkraut © Hannah Assouline

Alors que Marine Le Pen et Nicolas Sarkozy sont visés par des condamnations judiciaires retentissantes, Alain Finkielkraut dénonce une dérive du pouvoir judiciaire, devenu selon lui un acteur politique à part entière. Sans soutenir le RN, il fustige une justice animée par des passions idéologiques, au détriment de l’État de droit


Causeur. Marine Le Pen a été condamnée en première instance à une peine d’inéligibilité assortie d’une exécution provisoire. Pour vous, la justice est sortie de ses gonds. Pour les bons esprits, cela signifie simplement que la loi est la même pour tous. Que leur répondez-vous ?

Alain Finkielkraut. Pour lever toute ambiguïté, une précision s’impose : je n’ai jamais voté pour le Rassemblement national et je n’ai pas l’intention de le faire dans l’avenir. Non que je veuille dresser autour de ce parti un cordon sanitaire. À la différence des antifascistes qui ont absolument besoin de cet ennemi pour vivre, j’ai pris acte de sa rupture avec le pétainisme des origines et je m’en réjouis. Je constate également que le « front républicain » mis en place aux dernières élections législatives a fait entrer à l’Assemblée nationale des antisémites forcenés et obsessionnels. Avec les députés de La France insoumise, la haine des juifs est, pour la première fois depuis la guerre, présente au cœur de la vie politique française. Tel est le résultat paradoxal et pathétique du grand rassemblement contre la peste brune. Le haro sur les vieux démons a profité aux fougueux démons de la Jeune Garde. Il faut mettre sa montre à l’heure si l’on ne veut pas rater son rendez-vous avec l’histoire. Plus encore que le courage, c’est la ponctualité qui fait la valeur de l’engagement.

Alors que reprochez-vous au Rassemblement national ?

Le RN doit être combattu pour ce qu’il dit aujourd’hui : son programme économique aberrant, son tropisme poutinien. Nos souverainistes n’ont rien de plus pressé que de sacrifier la souveraineté ukrainienne à la voracité du Kremlin. Les mêmes qui refusent de voir les nations disparaître dans la bureaucratie européenne se pâment devant l’Empire russe en voie de reconstitution. Bref, ce n’est pas le sympathisant en moi qui s’insurge contre la condamnation de Marine Le Pen, c’est le citoyen. Quatre ans de prison et une inéligibilité avec exécution immédiate pour avoir fait travailler des assistants au service du parti et non au Parlement européen est une peine exorbitante. Il ne s’agit pas, en l’occurrence, d’appliquer la loi, mais de barrer la route de l’Élysée à une candidate jugée dangereuse, comme cela avait été déjà le cas pour François Fillon en 2017. Et déchoir sans attendre Marine Le Pen de son mandat de conseillère départementale du Pas-de-Calais, c’est vider la procédure d’appel de toute substance, et donc bafouer l’État de droit. Selon que vous serez de gauche ou de droite, les jugements de la magistrature vous rendront blanc ou noir.

Non seulement la favorite du premier tour pourrait être interdite d’élection, mais un ancien président pourrait être emprisonné. Peut-on dire que la Justice s’oppose à la volonté populaire ? Et est-ce lié à l’hubris des juges ou à des lois mal faites ?

Sans preuves, mais à partir d’un « faisceau d’indices », le Parquet national financier a requis contre Nicolas Sarkozy sept ans de prison dans l’affaire libyenne. Les procureurs ont dénoncé la cupidité effrénée de l’ancien président et demandé qu’il soit privé de son autorité parentale ! Ce ne sont pas des réquisitoires sévères, mais des réquisitoires haineux proférés la bave aux lèvres. Faut-il être de droite, faut-il être sarkozyste, pour s’en inquiéter et pour s’indigner aussi de sa condamnation à trois ans de prison dont un an ferme sous forme de bracelet électronique en réponse à un acte de corruption qui n’a pas été commis ? Non. Il faut simplement avoir gardé en soi un peu de décence commune. Nicolas Sarkozy n’en finit pas de payer pour avoir osé critiquer la magistrature et envisager une réforme de l’instruction.

« Le système a sorti la bombe nucléaire », a déclaré Marine Le Pen. Le mot « système » (ensemble de pratiques organisées en fonction d’un but, nous dit Le Robert) est-il pertinent ?

Je ne sais pas très bien ce qu’est le « système ». Je retiens plutôt la grande leçon de Montesquieu : « Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » Aujourd’hui rien n’arrête le pouvoir judiciaire. Rompant avec l’esprit du libéralisme, il enfreint les règles et piétine les principes afin d’assouvir ses pulsions justicières. Tous les moyens lui semblent bons pour écarter les responsables politiques considérés comme déviants et pour punir ceux qui ont osé contester ses pratiques. Et gare aux mauvais esprits qui y trouvent à redire ! Ils fragilisent l’État de droit, ils s’attaquent à l’indépendance de la Justice, ils rêvent d’instaurer une démocratie illibérale…

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Il existe en France, comme dans toute société, une pensée dominante qui inspire l’élite dans bon nombre de ses décisions. Vous avez enseigné à Polytechnique. Avez-vous perçu un conformisme idéologique dans cette école où étudie la crème de la crème ? Comment cela s’exprimait-il ?

À l’époque où j’enseignais à l’école Polytechnique, l’idéologie woke n’avait pas encore fait son apparition. Mes cours et mes séminaires se déroulaient dans le calme. Le climat a sans doute changé : bien que professeur émérite, je n’ai jamais été invité par mon successeur ou par le directeur de l’école à faire une conférence. Je suis d’ailleurs persona non grata sur tous les campus, à part peut-être l’Institut catholique de la rue de Vaugirard. Mais n’ayons pas d’inquiétude : comme le dit France Universités, l’instance représentative des universités françaises, le wokisme et l’islamo-gauchisme sont des « fantasmes » véhiculés par l’extrême droite.

Éric Zemmour au Centre universitaire méditerranéen (CUM) de Nice, 21 novembre 2018 © SYSPEO/SIPA

Éric Zemmour vient d’être condamné sur la base de la loi Gayssot que vous approuvez. Est-ce aux juges d’écrire l’histoire ?

J’approuve la loi Gayssot car, comme l’a dit Patrick Moynihan, « tout le monde a le droit d’avoir ses propres opinions, pas ses propres faits », et parce qu’affirmer calmement que « les juifs ne sont pas morts à Auschwitz ou à Treblinka » est bien plus atroce que de crier « Mort aux juifs ! ». Mais le cas d’Éric Zemmour ne relève pas de la loi Gayssot. En soutenant que Pétain a sauvé des juifs, il ne rectifie pas l’histoire, il ne conteste pas les faits, il n’est nullement négationniste. Voici ce qu’écrit Renaud Meltz dans sa biographie sans complaisance de Pierre Laval : « Dès leur arrivée, les chefs de la gestapo ont été alertés par Abetz que Laval ne se plierait pas à toutes les exigences antisémites. Indifférent à la question raciale, il distinguait les juifs étrangers de ses compatriotes. Il entendait défendre ceux-ci quitte à sacrifier ceux-là. » Meltz ajoute que « lors de la grande rafle du Vel’ d’Hiv’, les chefs de la gestapo sont entrés dans la logique nationalitaire de Laval (sauver les Français) et obtenu en retour le concours de la police française ». Ce que je ne pardonne pas à Éric Zemmour, c’est d’avoir mis ce pacte diabolique au crédit du régime de Vichy. Comme l’écrit Maurice Garçon, qui n’était pas précisément philosémite : « Laval et Pétain livrent des trains entiers de malheureux cueillis en Zone libre. Ceux-là sont surtout des juifs étrangers. Nous livrons nos hôtes. » Ce manquement aux lois sacrées de l’hospitalité est une tache supplémentaire sur l’État français. Je condamne donc fermement les propos d’Éric Zemmour, mais il ne revient pas aux tribunaux de trancher cette querelle.

Marine Le Pen fait partie de ceux qui ont le plus tempêté depuis vingt ans contre la corruption au sommet du pouvoir et prôné des mesures sévères pour la combattre. Les politiques se sont-ils piégés avec la « moralisation » de la vie politique ?

Marine Le Pen militait avec ardeur pour la moralisation de la vie publique. Avec un zèle infatigable, elle réclamait des sentences exemplaires et notamment que Jérôme Cahuzac soit inéligible à vie. Comme un boomerang, cette hargne lui revient maintenant en pleine figure. De manière plus générale, les responsables politiques se sont eux-mêmes lié les mains et privés progressivement de leur pouvoir d’agir pour complaire au pouvoir judiciaire allié au pouvoir médiatique.

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La gauche manifeste pour défendre l’État de droit. Est-il en danger ?

L’État de droit est en danger quand les responsables du Rassemblement national se voient accusés de n’avoir pas donné aux faits qui leur étaient reprochés une interprétation conforme à celle du tribunal. Ils auraient dû plaider coupable, avouer leur forfait, et prononcer des paroles de contrition pour espérer l’indulgence des juges. On hésite devant un tel discours entre deux adjectifs : orwellien et kafkaïen.

L’une des mesures phares du RN est de changer la loi, voire la Constitution, afin de mettre en place un principe de préférence nationale en matière de prestations sociales. Ce projet heurte-t-il l’idée que vous vous faites des droits en France ? Où l’équilibre se trouve-t-il entre ce que la collectivité doit à l’Homme et ce qu’elle doit au Citoyen ?

Je ne sais pas si la préférence nationale doit être inscrite dans la Constitution. Ce que je sais en revanche, c’est que sans une telle préférence la nation cesse d’exister. « Comment les hommes l’aimeraient si leur patrie n’est rien de plus pour eux que pour les étrangers, et qu’elle ne leur accorde que ce qu’elle ne peut refuser à personne », écrivait très justement Jean-Jacques Rousseau. Au nom de l’idée d’humanité universelle que les nazis voulaient éradiquer, on estime aujourd’hui que « le peuple se gouvernant lui-même, loin de donner force et vie à la justice politique comme on l’avait pensé jusque-là, concrétise au contraire une injustice primordiale, celle qui consiste à se séparer et à se préférer » (Pierre Manent). Mettre fin à cette injustice et frapper ses partisans du sceau de l’infamie : telle est la mission civilisatrice que s’assigne le pouvoir judiciaire. Telle est l’urgence à laquelle il répond. Tel est le sens de son combat et la justification de son corporatisme.

Notre-Dame du silence

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L'un des dortoirs de l'Institut Notre-Dame de Bétharram, pris en photo dans les années 1980 © SIPA

Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. « J’aime qu’on me contredise ! » pourrait être sa devise


Alain Esquerre, lanceur d’alerte et victime qui a permis de déchirer le très long silence sur l’« affaire Bétharram », a un espoir : « Parvenir à susciter une réflexion sur le sens du déni collectif dont a souffert la société béarnaise, particulièrement ses enfants. » Et ailleurs, dans le pays, combien d’autres Bétharram ? Pas uniquement dans le privé, mais là où des enfants du hasard et de nulle part ont été « accueillis », puis dévorés. De quoi ce silence est-il le nom ? Que dit-il exactement de la façon « dont nous nous traitons les uns les autres ». Beth arram, en Béarn, signifie « beau rameau ». C’est ce rameau qu’Alain Esquerre et plus de 200 victimes, dont la moitié pour des violences et des crimes sexuels, tendent à notre humanité douloureuse. Le silence s’est transformé en un cri que personne aujourd’hui ne peut ignorer.

Hélène Perlant, fille aînée de François Bayrou, ancienne élève de l’établissement, dit « ça ne parle pas » et, avec pudeur et courage, elle explique le mécanisme de cet enfermement bien au-delà des murs de l’institution catholique béarnaise. Nationalement et localement, oubliant les victimes dont ils n’ont pas parlé, des « responsables » politiques n’ont eu qu’un objectif : atteindre et faire chuter François Bayrou. Silencieux avant sa nomination à Matignon, ils sont allés chercher une éphémère lumière médiatique de la pire des manières.

À la fin de son ouvrage, Le Silence de Bétharram (Michel Lafon), Alain Esquerre publie le poème d’une personne qui, elle, a voulu rester dans l’anonymat.

« Les enfants de Bétharram
Ont des soleils en pointillé,
Des rires volés aux jours de larmes
Et des printemps à réparer »

À lire aussi, Axelle Girard : Abus dans l’enseignement catholique: et le hors contrat?

La glace d’un très long hiver sur la plus grande affaire pédocriminelle des cinquante dernières années vient de fondre grâce à un homme qui a parlé, puis mis en ligne un groupe Facebook dédié aux victimes. Sans l’aide d’un avocat, sans réseaux, il a simplement tendu un rameau numérique avec l’espérance de mains qui viendraient le saisir. 

Pour réparer des printemps, il s’agit de comprendre le processus du déni collectif. « Comment pouvons-nous faire mieux ? » interroge Esquerre. La société y est-elle prête ? Récemment, dans une rue paloise, une dame très distinguée m’a abordé avec un seul message concernant Bétharram : « Mais pourquoi remuer aujourd’hui toute cette merde, c’est du passé. » La vulgarité de son propos n’était pas raccord avec sa tenue vestimentaire. Avec une grave erreur d’analyse. Il ne s’agit pas d’un passé mais de notre avenir. 

« Les enfants de Bétharram
Ont grandi sous des mains trop lourdes,
Des cauchemars dessous les draps
Et des ombres sur les épaules »

Bétharram était un véritable système que ce livre décortique. Dans les ténèbres surgissent aussi quelques lumières comme ce Jean-Rémy, victime lui aussi, qui devient « élève-surveillant », en charge du dortoir Sain-Augustin, celui des CM2. Il a protégé « ses petiots » du père Carricart. En février 2000, Carricart, ancien directeur de Bétharram, se suicide. Son corps est repêché à Rome dans les eaux du Tibre. Une expertise judiciaire est par la suite ordonnée pour s’assurer qu’il n’y a pas eu de substitution de cadavre. Après le rapport du légiste, qui confirme l’identité, il n’y a plus eu de poursuites judiciaires contre un Bétharramite. Il a fallu attendre… 2024. Un quart de siècle après, les eaux du Gave dans les vallées pyrénéennes commencent enfin à s’éclaircir.

Le silence de Bétharram - L'enquête choc du lanceur d'alerte et ancien élève

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Majorque avec Sand et Chopin

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George Sand vers 1835. Pastel de Charles Louis Gratia DR.

Un hiver à Majorque, de George Sand (1804-1879), vient d’être réédité en Poche. Récit de voyage, journal, non pas intime mais personnel, c’est un magnifique texte littéraire qu’il nous est ainsi donné de pouvoir relire.


George Sand est partie, en hiver 1838, avec ses enfants et Chopin, pour Majorque, dans la Chartreuse de Valldemosa, située en pleine montagne. La traversée en bateau a été rude à cause des cochons bruyants et malodorants entreposés dans la soute. Mais enfin, tout le monde est arrivé à bon port. Le piano, le pianino, un Pleyel, « arraché aux mains des douaniers » arrivera plus tard. Le contact avec l’île est rude : les indigènes ne font pas bon accueil au couple. Lequel n’inspire rien qui vaille : un pianiste égrotant, peut-être contagieux, une femme artiste, à la vie libre. Ajoutez l’obstacle de la langue que Sand ne parle pas bien, la vie matérielle est loin d’être idyllique. Néanmoins les jours s’écoulent, riches d’imprévus, de beautés de toutes sortes, de créations. Sand fait tourner la maison, joue la garde-malade, se promène, écrit. Chopin compose ses Préludes. 

Illusions perdues

Le livre est intéressant, d’abord, par sa « philosophie ». Fille de la Révolution, amie de Gustave Roux, Sand aime « le peuple ». Mais sur cette entité mythique, elle projette une image d’elle-même et de la Révolution. Alors, forcément déçue par la réalité, en butte à l’animosité des habitants, Sand perd ses illusions. Adoptant souvent des préjugés qu’on qualifierait aujourd’hui de racistes, elle a tendance à ne voir dans Majorque que l’antichambre de l’Afrique. Au peuple majorquin, elle reproche sa superstition et son caractère arriéré. Ce qui n’empêche pas des considérations fort belles sur l’histoire (ancienne et riche) de l’île et la géographie, les rapports entre politique et l’économique. Elle-même n’est-elle pas fascinée par l’existence de ces moines dont elle imagine « le bruit des sandales et le murmure de la prière sous les voûtes des chapelles »? Elle s’intéresse, également, à la langue majorquine dont elle donne des indications précises. Preuve, s’il en est, qu’aucune pensée libre n’échappe à des contradictions. En tout cas, le caractère polémique du livre ne passera pas inaperçu aux yeux des contemporains.

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Mais le livre n’est pas idéologique. George Sand est toujours imaginative et concrète. Pour cette île plongée dans une situation économique déplorable, elle rêve de la libre entreprise et de la petite propriété privée. Pour cela, elle imagine, au chapitre IV, un dialogue sur l’Inquisition, entre deux personnages, l’un à la fleur de l’âge, l’autre usé par l’âge. Incarnation, encore : les habitants sont rendus comme des caricatures à la Daumier ou à la Goya. Incarnation, toujours, avec le jeu des registres littéraires quand le réalisme se mêle à l’humour et au fantastique.

Une aventure esthétique

Valdemosa : une ruine dans la montagne, le tout dans une île, la mer de toute part. Une solitude monastique mâtinée de Rousseau. Le climat est âpre, méditerranéen, traversé d’orages : le contraire du Berry. C’est donc à une aventure esthétique sans pareille que George est confrontée. Comment rendre, par des mots, la beauté de cette île ? La réponse est donnée par l’écrivain elle-même : par un ailleurs qu’est la peinture. Non pas en décrivant le paysage avec des mots dont « elle sent le néant » mais le tableau que ferait le paysage et l’impression que le paysage produit. Car l’art apprend à voir la nature au second degré. On retrouve le romantisme de Delacroix, auquel elle écrit, qui annonce Van Gogh. Sand cite aussi « le sévère » Corot, Huet, Dupré. Le style est sans pareil par les couleurs, la précision, la musicalité, la richesse extraordinaire des mots. Les pages sur les oliviers et les orages sont célèbres.

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Dans ce paysage tourmenté et dans cette solitude, Sand fait enfin l’expérience du silence propice à la création. Silence quand elle écrit seule, la nuit ; musique où elle baigne. Silence et musique : les deux sous-tendent le texte. Mais Chopin, direz-vous ? C’est le grand absent du texte. Si l’auteur emploie un je masculin pour écrire, ce n’est pas pour faire des confidences. Et Chopin ne tenait pas non plus à être nommé. C’est dans Histoire de ma vie, et dans la Correspondance de Sand que nous savons que Majorque fut pour Chopin une période intense de création dont les Préludes.

Baudelaire n’aimait pas George Sand. « La femme Sand », disait-il. Ironie des allergies personnelles. Qui, mieux que l’auteur des Maîtres sonneurs incarna, en effet, les richesses des « correspondances » entre littérature, peinture et musique ? Elle qui évoque, ici, les danses et les chants majorquins aux accents arabes et le bruit, parfois, dans la nuit, des castagnettes.

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Macron sur TF1, prisonnier de lui-même

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Emmanuel Macron sur TF1, 13 mai 2025 © Jacques Witt/SIPA

Les oppositions politiques et les commentateurs dans la presse ont dénoncé le caractère « hors sol » et l’impuissance d’Emmanuel Macron, après son intervention télévisée.


« Rester libre » : les premiers mots d’Emmanuel Macron, mardi soir sur TF1. En réalité, le président s’est montré prisonnier de lui-même, c’est-à-dire de son narcissisme, de ses certitudes, de ses évitements. En plus de trois heures d’autosatisfactions, rien de concret n’est ressorti d’un amas de mots désincarnés.

Montesquieu avait prévenu (Lettres persanes, LXVI) : « Quand un homme n’a rien à dire de nouveau, que ne se tait-il ». Ne reste, de cet énième et vain exercice promotionnel, que le portrait appuyé du bonimenteur, créature désuète d’un monde politique qui ne touche plus terre.

Mâle blanc fragile

Plus que d’habitude, se sont dévoilées les faiblesses d’un homme fragile, ébranlé par les assauts réalistes de Robert Ménard et Agnès Verdier-Molinié. Le savoir-faire de Macron dans la défausse et l’illusion explique en partie le doute qui a pu naitre, chez d’autres affabulateurs, dans la manière oblique qu’il a eu à cacher un banal mouchoir trainant sur une table, pris du coup pour un sachet de drogue par des esprits perméables aux rumeurs. La scène, filmée le 10 mai dans un train conduisant Macron de Pologne en Ukraine avec ses homologues allemand et britannique, a souligné le comportement alambiqué du joueur de bonneteau révélant une dextérité dans la manipulation, l’escamotage, la dissimulation. L’Élysée, en se fendant le 11 mai d’un communiqué pour dénoncer, autour du banal papier pris sottement pour de la cocaïne, une « désinformation propagée par les ennemis de la France », a aussi mis en relief la paranoïa complotiste d’un président énamouré de lui-même, incapable de concevoir qu’il ne puisse être simplement admiré. La prestation de mardi soir a montré un homme perdu.

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Monde verbeux qui s’effondre

Parler pour ne rien dire : c’est ce que retiendra notamment l’histoire, pour caractériser la faillite des « élites » d’un monde verbeux qui s’effondre. Depuis cinquante ans, elles n’ont cherché qu’à satisfaire la pensée mondaine, son confort intellectuel, ses récitations hypocrites sur des lois « d’humanité et de fraternité » (Macron, hier soir, parlant de l’euthanasie et du suicide assisté) qui ont créé la société des désastres.

Épuisement

Lundi, le pape Léon XIV a, pour sa part, tenu une conférence de presse qui n’a pas excédé dix minutes. Avec des paroles choisies et pesées, il a eu le temps d’inciter les médias à promouvoir la quête de vérité, de dénoncer les atteintes à la liberté d’expression, de s’alarmer du sort des journalistes emprisonnés, etc. C’est cette sobre efficacité qui est désormais attendue, chez ceux qui ont des messages à faire passer.

Au lieu de quoi, le président a épuisé son auditoire en refusant de considérer l’immigration légale (500000 entrées par an) comme un problème, en promettant vaguement des référendums sur des sujets flous, en semblant découvrir des mesures de bon sens avancées par Ménard, maire de Béziers. Il a également qualifié de « honte » l’attitude d’Israël dans sa guerre face au Hamas islamiste à Gaza, en oubliant que qualifier l’attitude de l’Algérie, qui détient Boualem Sansal, face à la France.

Encore deux ans à tenir ?

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Bordeaux: une digue a cédé

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Tribunal à Bordeaux, image d'archive © UGO AMEZ/SIPA

Lors de la première journée du procès pour le meurtre de Lionel, 16 ans, une violente bagarre a éclaté lundi 12 mai au soir dans le palais de justice de Bordeaux, impliquant une vingtaine d’individus. L’affrontement a provoqué un véritable chaos dans la salle d’audience et les couloirs, blessant plusieurs personnes, dont des policiers et un accusé. Le procès se poursuit « sous surveillance renforcée ».


La première journée du procès d’assises des huit hommes accusés dans la fusillade mortelle de 2021 à Bordeaux s’est ouverte lundi 12 mai. En fin de journée une violente bagarre a éclaté dans l’enceinte même de la cour d’assises de la Gironde lors de ce procès de jeunes hommes jugés pour la mort de Lionel, 16 ans, mortellement blessé lors d’une fusillade, sur fond de rivalités entre quartiers bordelais (où les narcotrafiquants sévissent de plus en plus).

Incidents graves

Il y avait eu des attaques de commissariats, de casernes de pompiers, plus récemment de prisons. On sait qu’il y a une centaine de magistrats protégés. Mais, à part quelques algarades (verbales) dans des tribunaux, jamais notre pays n’avait connu un tel fait. L’envahissement d’un tribunal. Pas n’importe lequel : une Cour d’Assises. C’est-à-dire l’enceinte où l’on juge les crimes !

« À l’issue de la première journée d’audience, des incidents graves ont eu lieu dans la salle d’audience et la salle des pas perdus de la cour d’appel, entraînant en particulier des blessures sur les fonctionnaires de police intervenus pour ramener l’ordre», écrit la cour d’appel dans un communiqué (Le Figaro, 13 mai). Ce qu’il y a aussi de choquant c’est qu’aucune interpellation n’ait eu lieu lors des faits. Lorsque l’on a l’habitude d’assister à des procès d’assises, on se rend compte qu’il y a assez peu de policiers présents. Celle de Bordeaux ne fait pas exception. Là encore le manque criant de moyens explique cela. Suite à ces faits, le parquet a ouvert une enquête pour «violences en réunion» et pour déterminer les circonstances précises de la rixe.

Ce qui s’est passé démontre qu’un certain nombre d’individus n’ont aucun complexe et surtout aucune crainte de venir régler leurs comptes dans un tribunal. «L’atmosphère était étonnamment calme toute la journée. Puis en fin d’audience, on a vu arriver au compte-goutte une vingtaine de jeunes habillés de noir, avec des gabarits de Malabar, qui se sont assis sur un banc au fond de la salle», décrit Me Yann Herrera, qui défend les proches de Lionel Sess. Même si l’entrée est publique dans une cour d’assises (sauf certaines affaires sensibles, par ex pour les mineurs), comment se fait-il que les quelques agents qui étaient là n’aient pas vu le genre d’individus qui rentraient et ne les aient pas dissuadés ? Ils ont bien vu à qui ils avaient à faire. On nous dira que c’eut été un délit de faciès. Eh bien, et au risque de choquer les âmes sensibles, peu importe. Il y a faciès et faciès. On n’a évidemment pas le droit d’interdire l’entrée sur la couleur de peau. Mais on peut, on doit même, interdire l’accès d’un tribunal à des racailles (celles de Bordeaux en avaient le déguisement traditionnel).

Une horde de voyous

Continuons la description de la scène barbare qui s’est déroulée lundi. Alors que la salle se vide, «des dizaines de personnes ont commencé à se battre, dont certaines portaient des gants coqués, dans un sas entre la salle d’audience et la salle des pas perdus, puis dans la salle d’audience elle-même», détaille l’avocat. «Une horde d’une vingtaine de personnes se sont notamment ruées sur mon client, qui a été blessé à l’épaule», décrit à son tour un des avocats des accusés qui comparaissaient libres, Me Grégoire Mouly (Le Figaro ibid). Une scène totalement inédite dans les tribunaux de France et de Navarre ! Les images de la scène, que l’on trouve sur le net, sont proprement hallucinantes. Et totalement inadmissibles.

La cour d’appel de Bordeaux a indiqué que l’audience prévue jusqu’au 23 mai «se poursuivra jusqu’à son terme sous surveillance renforcée». Il faut donc un tel évènement pour que la sécurité d’une cour d’assises soit « renforcée » ? Cela ne devrait-il pas être la règle et le service allégé l’exception ? Notamment sur ce genre de procès.

Lors de la rixe mortelle dans le quartier de Bordeaux, en 2021, un des assaillants avait lancé au gang ennemi : « Vous voulez la guerre ? Vous l’aurez ». Tout est dans cette phrase ô combien révélatrice. Entre ces gangs, il s’agit d’une guerre commerciale totale notamment à cause des territoires. Et sur fond, bien sûr, de narcotrafic. Et c’est au nom de cette activité mortifère, qui fait vivre et prospérer des centaines de milliers de personnes en France (essentiellement, car il y a des consommateurs….) qu’une « guerre » est menée. Et s’il le faut dans un tribunal.

Vers un narco-Etat ?

En novembre 2023, le Sénat a mis en place une commission d’enquête chargée d’évaluer l’impact du narcotrafic en France et de proposer des mesures pour y remédier. Elle a rendu son rapport en mai 2024. Celui-ci a dressé le portrait d’une France submergée par les drogues et identifie les failles qui nuisent aux réponses de l’État. Il s’avère que sur la base de ce rapport (près de 150 personnes ont été auditionnées),  on constate que les chiffres demeurent malheureusement incertains. Ce que l’on sait, c’est que le narcotrafic représente au moins trois milliards d’euros de revenus – les estimations vont jusqu’à six milliards, ce qui atteste une grande marge d’incertitude. Lors de son audition par la commission d’enquête, le ministre de l’Économie et des Finances de l’époque, Bruno Le Maire, avait de son côté chiffré à 3,5 milliards d’euros le bénéfice annuel du narcotrafic en France. Environ 200 000 personnes vivent de ce trafic en France. Et ce chiffre augmente tous les jours. C’est en tout cas le principal marché criminel et le plus rentable. Chaque jour en France se produisent des actes violents voire mortels liés au narcotrafic. Il parait de plus en plus évident que « les trafiquants sont des barbares dont les méthodes sont celles de la traite des êtres humains. Pour garder le contrôle du réseau, ils torturent, ils assassinent »[1].

Il est essentiel de rappeler ici que suite à la demande d’Eurostat, l’institut statistique de la Commission européenne, l’Insee a intégré l’argent de la drogue dans le calcul du PIB. Alors que ce choix peut interpeler car il « valide » en quelque sorte cet argent, deux collègues ont expliqué que « cela permet de mettre des chiffres, fondés sur un modèle de calcul, derrière une réalité qui se dérobe à l’observation et donc difficile à évaluer. C’est aussi un moyen pour les autorités qui luttent contre le trafic de drogues et le blanchiment de mieux appréhender la question du trafic et de son financement[2] ».

Alors oui, une digue a cédé. Quand on s’en est pris à des enseignants, à des commissariats, à des pompiers, à des prisons, à des hôpitaux, et maintenant à des tribunaux, on est face à un État en voie de déliquescence. Ses principaux piliers vacillent. Nulle part en France on est « safe », pour reprendre le mot de Gérald Darmanin. C’est grave. Et lorsque son collègue Bruno Retailleau parle, lui, de « mexicanisation » dans certains quartiers, il décrit une réalité incontestable que les habitants endurent tous les jours. Cette insécurité a gagné un tribunal. Espérons qu’elle ne se rééditera pas de sitôt. Nous aimerions en être sûrs…

Demandez-vous quel serait l’état d’une maison où les jeunes gens mépriseraient les vieillards ; l’état des écoles, si les disciples ne respectaient pas les maîtres ; comment des malades pourraient recouvrer la santé, s’ils n’obéissaient pas aux médecins ; quelle sécurité pourraient avoir ceux qui naviguent, si les matelots n’écoutaient pas les pilotes. La nature a établi deux lois nécessaires au salut des hommes : les uns doivent commander, les autres obéir. Sans ces lois, il n’est rien qui puisse durer même un instant (Jules César).


[1] https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert, 13/10/2024

[2] https://www.ihemi.fr/actualites/largent-de-la-drogue-integre-au-calcul-du-pib-3-questions-nacer-lalam-et-david-weinberger

Bruno Retailleau : le jour J pour le futur de la droite…

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Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez, chacun à leur meeting de campagne pour la présidence des républicains. Le meeting de M. Retailleau était à Lyon le 14 mai 2025, et celui de M. Wauquiez à Bordeaux le 12 mai 2025 © BONY/SIPA - UGO AMEZ/SIPA

On dit d’eux qu’ils s’affrontent alors qu’ils ont le même programme… Dans la lutte fratricide qui oppose Bruno Retailleau à Laurent Wauquiez chez LR, notre chroniqueur prend parti pour le premier. Il nous explique pourquoi. Le scrutin décisif aura lieu ce weekend. Une fois cette campagne interne terminée, les deux rivaux sauront-ils s’entendre ? Analyse.


On a tellement insisté sur la similitude des projets et la superficialité des différences entre Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez qu’on a oublié l’enjeu capital de l’élection des 17 et 18 mai. Comme souvent, c’est Albert Zennou qui dans sa chronique du Figaro a le mieux perçu l’importance de cet affrontement maintenant si proche, en soulignant que « derrière la bataille Retailleau-Wauquiez, c’est l’avenir de la droite qui se joue 1».

Bruno Retailleau perçu comme plus vindicatif dans la « bataille culturelle »

Je n’aurais pas l’impudence de dénier à Laurent Wauquiez un très brillant parcours intellectuel et universitaire avec la réserve toutefois, qui n’est pas ironique, que créditer un candidat d’un tel passé est souvent implicitement le faire passer pour quelqu’un qu’on pourra admirer mais sans l’envie de voter en sa faveur.

Il serait absurde de ma part d’amplifier ce qui sépare les deux jouteurs sur le fond, leur programme reprenant peu ou prou les fondamentaux d’une droite qui serait enfin consciente de son identité et donc de son influence démocratique. Toutefois, en détruisant l’hégémonie culturelle de la gauche, Bruno Retailleau est beaucoup plus attentif que Laurent Wauquiez à redonner à la droite une place décisive sur le plan des valeurs, des idées et de la vision de la société. Une victoire seulement électorale ne serait pas une conquête des esprits (voir mon entretien avec Bruno Retailleau du 18 juin 2020).

À lire aussi : Retailleau vs Wauquiez : de quel homme fort la droite a-t-elle besoin ?

À ce sujet, il ne faut pas prendre au sérieux la faribole à laquelle Laurent Wauquiez semble tenir et qui imputerait à Bruno Retailleau le dessein de vouloir pactiser avec Édouard Philippe et de noyer la droite dans le macronisme. Alors que Bruno Retailleau sait aussi bien que son adversaire tout ce qui, sous Édouard Philippe Premier ministre et à cause de lui, a obéré le premier mandat présidentiel. Il est aux antipodes du juppéisme mou persistant de ce dernier.

Il ne serait pas honnête, par ailleurs, de ressasser qu’à plusieurs reprises Laurent Wauquiez a abandonné son parti au prétexte qu’il devait se préserver pour l’élection présidentielle de 2027, quand tout démontre qu’elle va être plus que jamais disputée pour la désignation du candidat de la droite.

Refus d’entrer au gouvernement : Laurent Wauquiez perçu comme trop prudent

Il faut écouter et lire Bruno Retailleau. Il a cet énorme avantage, dans un monde politique trop souvent insincère par tactique, de n’avoir jamais varié dans ses convictions – du sénateur au ministre – et d’avoir donné de la droite au gouvernement une image très positive. Quel crédit, sur ce plan, pourrait-on accorder au futur président de LR s’il avait décidé, face à une situation nationale et internationale dangereuse, de jouer au Ponce Pilate et de ne pas apporter son concours à un Premier ministre et à une équipe qui tentent d’améliorer ce qui va mal ?

C’est parce que Bruno Retailleau n’a pas chipoté, contrairement à Laurent Wauquiez qui aurait désiré être installé de manière confortable dans le fauteuil ministériel qu’il aurait choisi en excluant tous ses rivaux potentiels, qu’il convient de lui faire confiance : sa politique de présence a permis l’affirmation de la présence d’une politique – de droite. Avec les succès et les avancées que sa fonction pouvait faire advenir.

À lire aussi : Bruno Retailleau à l’heure des premiers doutes

Lorsque M. Retailleau énonce : « Ma droite, ce sera la droite qui va défendre les honnêtes gens. Ce n’est pas la droite d’une tambouille des appareils politiques », il vise juste en pourfendant les combines et les reniements d’hier et en mettant en lumière une conception de l’Etat de droit au service du peuple. Et non plus seulement pour des transgresseurs dont les garanties qui leur sont octroyées rendent inefficace le combat contre eux.

Ce ne sont pas les variations qu’on s’est plu à publier sur les caractères et les goûts culturels de l’un ou de l’autre qui devront faire pencher la balance en faveur de Bruno Retailleau. C’est en raison de la profondeur d’une personnalité, de ce qu’elle est et de la démonstration constante de ce qu’elle était, est et sera, qu’on doit trancher le plus clairement possible afin d’offrir à cet homme de réflexion et d’action une victoire incontestable qui enlèverait à Laurent Wauquiez l’envie perverse de chicaner.

Connaître Bruno Retailleau, c’est aussi tenir pour rien le grief qui lui est fait de ne pas pouvoir consacrer demain toute son énergie à cette double tâche capitale : faire avancer et protéger la France comme ministre, et en même temps refonder le parti de la base au sommet, idées et responsables compris. Non seulement le ministre de l’Intérieur assumera cette mission avec sa formidable puissance de travail et de réactivité mais il est évident, si les Républicains prennent acte du fait que la droite est redevenue une espérance grâce à lui, que le ministre sera un appoint considérable pour le président du parti ; ce dernier fera bénéficier le ministre d’une force et d’une légitimité incomparables.

Une fois qu’on a admis le caractère très riche du vivier de la droite républicaine, la conscience qu’ont certaines de ses personnalités les plus emblématiques (je songe à David Lisnard et François-Xavier Bellamy) que M. Retailleau est la chance et l’incarnation d’une droite enfin de retour, il ne faudra pas manquer d’être présent au jour J. 2027 ne sera rien si les 17 et 18 mai, Bruno Retailleau ne devient pas tout.

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  1. https://www.lefigaro.fr/vox/societe/albert-zennou-derriere-la-bataille-retailleau-wauquiez-c-est-l-avenir-de-la-droite-qui-se-joue-20250509 ↩︎

Patrimoine: Dati devrait prendre des cours chez les Anglais

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Rachida Dati a pour ambition de créer un « National Trust » à la française, inspiré du modèle britannique, afin de préserver le patrimoine français © Cyril Pecquenard/SIPA

Rachida Dati ne se contente pas de rêver, la nuit, d’une « BBC à la française » en mariant France Télévisions et Radio France. Elle ambitionne aussi de créer un « National Trust » à la française, une grande institution citoyenne dédiée à la préservation de notre patrimoine. Mais que cache ce projet ? Le National Trust, organisation privée emblématique outre-Manche, parvient à conjuguer protection du patrimoine et rentabilité. La France peut-elle vraiment s’en inspirer ?


La ministre de la Culture, Rachida Dati, a confié début janvier à la présidente du Centre des Monuments Nationaux, Marie Lavandier, une mission sur la faisabilité d’un “National Trust” à la française. Un rapport est attendu pour la fin du mois de mai, qui devrait inclure des propositions pour transposer en France cette institution d’outre-Manche, de son nom complet le “National Trust for Places of Historic Interests or Natural Beauty”. Cette demande s’inscrit évidemment dans une réflexion globale sur l’efficacité des politiques culturelles et le financement de l’entretien du patrimoine en ces temps de disette financière – du moins pour ce qui est des finances publiques.

Facteurs typiquement britanniques

Car le revenu du National Trust, lequel atteint pour l’année 2023-24 la somme de 724 millions de Livres Sterling, provient a plus de 80% non seulement de la vente des billets et abonnements à l’année, mais également de l’exploitation commerciale des sites dont il a la charge (lesquels incluent très souvent un café-restaurant, une boutique de souvenirs voire un espace dédié à la vente de plantes, graines et outils de jardinage) – le reste provenant du mécénat (privé ou d’institutions telles que la Loterie Nationale) et même d’investissements dans des secteurs assez éloignés de la culture: ainsi la filiale National Trust Renewables Energy vend au réseau national britannique l’électricité générée par les panneaux solaires et éoliennes implantées sur certains des sites dont il a la charge.

À première vue, un “National Trust à la française” s’inscrirait dans les pas d’organismes existants comme la Société des Amis du Louvre ou les Vieilles Maisons Françaises. Sauf que le succès du plus que centenaire National Trust repose en grande partie sur des facteurs typiquement britanniques : un amour des paysages et des vieilles pierres, une préférence pour l’initiative privée plutôt que l’action publique et une ferveur religieuse qui s’incarne dans des projets visant à “faire le bien”.

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Pour bien comprendre l’organisation de la protection du patrimoine en Grande-Bretagne, il faut garder à l’esprit que celle-ci n’est ni centralisée ni uniforme: outre la Couronne, qui possède un certain nombre de bâtiments ouverts au public (les plus célèbres étant bien sûr Buckingham Palace et le château de Windsor), une autre institution s’occupe des monuments les plus emblématiques (par exemple le site de Stonehenge, ou encore les châteaux de Douvres dans le Kent et de Tintagel en Cornouailles): l’English Heritage. L’English Heritage (qui se décline en Scottish Heritage en Écosse) fut créé en 1983 par la fusion de plusieurs agences responsables de la gestion du patrimoine. Tout comme le National Trust, l’English Heritage a le statut de “charity”, un terme difficilement traduisible en français: à mi-chemin entre une société commerciale et une association loi 1901, les charities dont les boutiques de livres et de vêtements d’occasion bordent les rues commerçantes de la moindre petite ville britannique, ont un fonctionnement qui se rapproche des entreprises privées (un conseil d’administration, des rapports annuels) mais ils ne sont pas censés faire de profits: les bénéfices qu’ils réalisent au travers de leurs activités commerciales doivent être intégralement utilisés pour financer leurs frais de fonctionnement et les objectifs charitables, au sens large, qu’ils se sont fixées. Il existe ainsi des dizaines de charities dont les activités vont de l’aide au développement au financement de la recherche contre le cancer en passant par l’amélioration des conditions de vie des vétérans de l’armée britannique ou la protection de l’enfance.

Plus de 1200 sites !

Le budget annuel de l’English Heritage est bien mince en comparaison de celui du National Trust – autour de 155 millions de Livres – et la liste d’environ quatre-cents monuments sous sa responsabilité n’est pas appelée à s’étoffer. Tout le contraire du National Trust, qui ajoute régulièrement des noms a son portfolio de plus de mille deux cents sites : outre près de cinq-cents châteaux, demeures historiques, églises, chapelles et monastères, le National Trust gère quarante-sept monuments industriels (usines désaffectées, anciens sites d’extraction charbonnière…), onze phares et même trente-neuf pubs, ou, encore plus étonnant, cinquante-six villages entiers!

Qu’une institution issue d’une initiative privée en soit venue à gérer très exactement 1442 kilomètres de côtes et 259985 hectares de terrain peut sembler étrange à des Français habitués à considérer la protection du patrimoine comme une mission régalienne et la culture comme un domaine devant échapper à toute marchandisation.

Le National Trust fut créé en 1895 par trois “éminents victoriens” pour pasticher le biographe Lytton Strachey qui moqua dans son ouvrage éponyme les mœurs de la seconde moitié du 19ème siècle : la philanthrope Octavia Hill, l’homme de loi Robert Hunter et Hardwicke Drummond Barnsley, un prêtre anglican. Mme Hill s’illustra tout d’abord dans des campagnes pour améliorer les conditions de vie dans les quartiers pauvres et surpeuplés créés par la Révolution industrielle, avant de défendre l’importance des espaces verts pour les habitants des villes. C’est en bataillant – avec succès – contre l’urbanisation du quartier londonien d’Hampstead Heath (qui encore aujourd’hui a conservé une atmosphère de village) qu’elle fit la connaissance de M. Hunter. Le fait que le troisième personnage à l’origine du projet de National Trust est un prêtre n’est guère étonnant : aussi bien Hill que Hunter étaient de fervents anglicans, dans une période notamment caractérisée par une intense activité religieuse aussi bien à l’intérieur de l’église anglicane qu’au sein des différents groupes religieux protestants (méthodistes, baptistes ou presbytériens). Sauf que cette ferveur religieuse s’exerça moins dans la défense d’une liturgie particulière ou dans des pèlerinages, que dans un zèle missionnaire d’une part (à mesure que l’Empire britannique s’agrandissait) et la mise sur pied d’œuvres charitables d’autre part – l’une des plus célèbres étant l’Armée du Salut, fondée en 1865 par un pasteur méthodiste.

Vie vertueuse

Cette volonté de “faire le bien” vint se greffer à une idéalisation de la vie rurale et des paysages campagnards : le jardin anglais, lequel donne l’illusion d’un paysage naturel alors qu’il s’agit en réalité d’une version idyllique de la nature, est concomitant à la fois du remembrement (enclosures) qui modifia en profondeur la campagne britannique (voir ici La création du paysage anglais de William Hoskins) et des premières usines, voraces en eau et en charbon. Rien n’illustre mieux l’opposition dans l’imaginaire anglais entre une vie à la campagne, jugée comme pure et innocente, et la vie corrompue et malsaine dans les villes industrielles noires de suie (que peindra bien plus tard le peintre mancunien William Lowry), que le poème Jerusalem de William Blake (dont les vers mis en musique sont devenus l’hymne non-officiel de l’Angleterre): “Mon esprit ne cessera de lutter / Et mon épée ne dormira pas dans ma main/ Jusqu’à ce que nous ayons construit Jérusalem/ Dans la verte terre d’Angleterre” – le terme “sombres moulins sataniques” utilisé dans la strophe précédente faisant référence aux filatures de coton du Lancashire (Cotton mills en anglais).

Ces œuvres charitables ne sont donc souvent pas d’origine publique ou résultant d’une volonté gouvernementale, mais bien des initiatives purement privées : ainsi le quartier de Bournville à Birmingham fut construit par les frères Cadbury pour loger les ouvriers de leur manufacture de chocolat. En bons Quakers, ils y interdirent la vente et la consommation d’alcool. De même, Octavia Hill aura toujours des préventions contre les projets de logements menés par les autorités locales, préférant des projets financés par des fonds privés et donnant la part belle à un certain paternalisme : le but affiché était non seulement d’améliorer les conditions de logement des familles nécessiteuses, mais encore de les pousser à une vie saine, sobre et vertueuse – des valeurs souvent qualifiées de « victoriennes » dont Margaret Thatcher se fera le chantre dans les années 1980. Plus récemment, le projet de “big society” porté par le Parti conservateur au temps de David Cameron, reposait sur l’idée que des initiatives privées, d’ancrage local et reposant en partie sur du bénévolat suppléeraient de façon efficace à certains services publics défaillants.

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La dernière pierre dans la construction du National Trust tel qu’on le connait aujourd’hui fut apportée par deux lois de 1937 et 1939 visant à faciliter le transfert de propriété entre les particuliers et le National Trust, sous la formé de legs (défiscalisés) ou de schémas bien plus sophistiqués, permettant aux occupants de rester dans la propriété et d’en partager les frais d’entretien du moment que la majeure partie de celle-ci était accessible à la visite : il n’est donc pas rare aujourd’hui qu’au détour d’une visite, un livre ouvert oublié sur un sofa ou des oreillers affaissés témoignent que le visiteur ne déambule pas dans un musée mais bien une demeure habitée – comme si vous risquiez de tomber sur Lady Grantham au coin d’un couloir. Dans un contexte de baisse des prix agricoles durant la Grande Dépression, donc des revenus des grands propriétaires terriens, puis de droits de succession particulièrement élevés après la Seconde Guerre Mondiale, ces dispositions permirent de sauver de la démolition – dépeinte par Evelyn Waugh dans la troisième partie de son roman Brideshead Revisited – et d’ouvrir au public un grand nombre de châteaux et maisons de campagne. La première demeure passant ainsi sous la responsabilité du National Trust fut le manoir de Wightwick dans les Midlands, suivie notamment en 1944 de l’abbaye de Lacock dans le Wiltshire – dont l’une des fenêtres apparait sur le premier « calotype » réalisé en 1835 par le pionnier de la photographie William Fox Talbot.

Il sera donc difficile de répliquer le National Trust dans un contexte français, marqué par une très forte prééminence de l’action publique et une méfiance envers les initiatives et financements privés. Il n’y a qu’à voir les réactions suscitées par ce qui s’en rapproche le plus en France à savoir le Puy du Fou… Mais au-delà des polémiques sur le contenu du spectacle, la réussite indéniable de l’entreprise vendéenne repose sur des facteurs similaires à ceux ayant fait le succès du National Trust : recettes commerciales, prise en compte des attentes du public, forte participation de bénévoles. D’ailleurs, le National Trust lui-même n’a pas échappé aux récentes controverses sur le décolonialisme : en 2021, le Trust commanda un rapport sur le sujet à un groupe d’universitaires. Le résultat fut si extrême que même des personnalités marquées à gauche telles que Simon Jenkins appelèrent à la modération. Quelques cartels furent réécrits et une ou deux statues furent déplacées, un certain nombre d’adhésions ne furent pas renouvelées, mais de façon générale les accusations de réactionnaires ou de « wokisme » tombèrent plutôt à plat. Preuve si besoin est que les Britanniques sont trop attachés à leur patrimoine pour le laisser s’abimer dans une guerre culturelle.