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Doisneau, le photographe des périphéries

Jusqu’au 12 octobre, le Musée Maillol présente plus de 350 photographies de Robert Doisneau (1912-1994), le chantre discret d’une banlieue disparue et d’un Paris bistrotier, dans l’exposition «Instants Donnés» …


On connait par cœur sa rengaine, cet air d’accordéon qui sort exsangue d’un bistrot patibulaire, entre chien et loup, dans le noir et blanc de l’après-guerre, son filon des existences simples. Des gueules pas possibles accoudées au comptoir, l’écrin des jeunesses dévastées, champs de ruine et épidémie de coqueluche, baraquements de fortune et TSF en berne ; c’était le temps où la misère et l’ouvriérisme militant faisaient gonfler le nombre d’adhérents dans les cellules de quartier, toute la lyre, le chromo célinien, le Front Pop’ et les grèves, les congés payés et l’île Seguin, apéritif vinique et siphons, lutte des classes et petites gens qui peinent à joindre les deux bouts comme dans un livre d’Henri Calet. Cette fois-ci, le photographe humaniste ne nous aura pas ! Promis. Juré. On tiendra bon. C’est trop facile de jouer sur la corde des sentiments d’une France sépia.

Plus de 350 photographies

Le style émotif, c’était bon pour les générations passées, celles de nos grands-parents qui crurent au miracle économique et à l’espoir d’un monde nouveau après la Débâcle. Tino à la radio et l’Huma à la criée, c’est fini ! Nous, rejetons des mondialisations malheureuses, surnuméraires des eighties, on ne nous reprendra plus dans ce grand catalogue des illusions. Nous sommes las des images frelatées. Alors, on se rend au Musée Maillol avec l’envie d’en découdre. Les statues girondes n’apaiseront pas notre courroux contre cette falsification d’identité. La banlieue, elle ne court plus depuis bientôt cinquante ans, elle s’enlise. Et Paris, cette vieille ganache a beau ripoliner son joli minois, elle ne séduit plus que les tour-operators.


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Mais on craque, une fois de plus. Car on est faible et nostalgique et que Doisneau vise toujours juste. Il y a d’abord ses appareils de labeur sous verre, son Rolleiflex et son Leica M3. Et, au mur, plus de 350 photographies, infime fragment d’une collection qui comprend 450 000 images. Tout notre décor mental décline alors sa frise chronologique. Les clichés dansent devant nos yeux. On retrouve nos marques, nos bornes temporelles. Les écrivains de caractère, les peintres et les sculpteurs qui furent les voisins de palier de Doisneau avant d’entrer dans les livres d’Histoire de l’Art, les forts des Halles, les rupins en bamboche et les gamins des rues. C’est con mais notre France des toilettes à l’étage et des coups de grisou demeure notre inébranlable socle mémoriel. Tiens-là, on reconnaît Bob Giraud pensif, Blondin barbu, Jeanne Moreau, Sabine Azéma, Roger Vailland et Maurice Baquet, le copain violoncelliste qu’il rejoignit à New-York pour une série loufoque et enneigée. Comme le professait le Pape François, Doisneau a fait des périphéries son grand œuvre. L’exposition se déploie sur deux étages, elle commence au rez-de-chaussée, puis on grimpe au 2ème voir comment par le plus grand des hasards en traversant à pied les Tuileries pour un rendez-vous professionnel, Doisneau assista à l’installation des statues de Maillol sous la supervision de Dina Vierny et la bénédiction de Malraux, puis on termine par le 1er. Les montagnes russes, quoi. On suit la vie de l’artiste, son regard sur l’enfance, son embauche chez Renault, son licenciement, ses piges alimentaires qui durèrent des années notamment pour la publicité, son intrusion dans les mondanités chez Vogue, puis, peu à peu, le succès par les livres, Cavanna et Pennac en doublette, et la consécration d’une empreinte majeure reconnue par ses pairs et le public.

Émotion

Tout ça, avouons-le, ce qui est rafraîchissant à notre époque des égos boursouflés, dans une forme de sincérité, loin de la fausse modestie des médiocres. Qu’on le veuille ou non, Doisneau a été l’artisan de notre imaginaire. De Simca aux mineurs de fond, de la chenille du Comte et de la Comtesse de Beaumont à « La monnaie des commissions » (1953) où un écolier en blouse rapporte un pain aussi grand que lui – et comment rester de marbre devant « Les tabliers de Rivoli », des petits se tiennent la main en 1978 en barrant la circulation. Je vous donne ma préférée, elle est intitulée « Timide à lunettes » et date de 1956 : un garçonnet peu assuré en culottes courtes tient son sac d’école alors qu’autour de lui ça chahute et ça crie, cette tendresse-là nous émeut aux larmes.

16,5 € 59-61 rue de Grenelle, Paris 7e

Béziers: un olivier, et pas n’importe lequel

Narcotrafic, bordel à l’Assemblée, inéligibilité, résurrection… on ne peut pas dire que l’actualité du mois ait été très calme. Qui sait, peut-être que le nouveau pape élu à Rome saura apaiser les esprits, au niveau mondial comme au sein de la classe politique française ! On peut prier…


Bras cassé

Vous vous souvenez de Nyx, le « chien stup » dont je vous ai parlé il y a quelque temps ? Je voudrais cette fois-ci vous parler de son maître, policier municipal à Béziers. Il est en convalescence pour plusieurs semaines. Pourquoi ? Alors que son équipage poursuivait un scooter qui avait refusé de s’arrêter dans le quartier « difficile » de La Devèze, à Béziers, il a été, avec ses coéquipiers, victime d’un guet-apens. Concrètement, ils ont été encerclés et caillassés par une bande de jeunes qui venaient aider leurs copains en difficulté. Dans un salutaire réflexe, le maître de Nyx a levé le bras pour protéger son visage. Bien lui en a pris puisque le pavé qu’il a reçu lui a cassé net le bras. Les risques du métier ? Je ne crois pas que les policiers signent pour cela. Le climat se dégrade. Toujours plus de violence commise par des toujours plus jeunes. Depuis, l’auteur du jet de pavé a été retrouvé et interpellé. Nous attendons sa condamnation. Nyx attend le retour de son maître…

Bonne nouvelle

Selon une étude publiée fin mars, le vin est devenu la boisson alcoolisée préférée des 18-25 ans. Devant les cocktails et la bière ! De quoi redonner un peu le moral à nos vignerons ? Seul petit bémol, on apprend aussi que près de la moitié des vins (47 %) sont bus par des Français de plus 55 ans. Et seulement 7 % par des 18-24 ans. On ne devrait pas toujours poursuivre ses lectures jusqu’au bout…

Bordel

Les députés du MoDem ont annoncé leur volonté de créer un groupe de travail pour lutter contre « le bordel » à l’Assemblée. Auraient-ils décidé d’interdire LFI ? Trop simple… Les parlementaires de François Bayrou penchent plutôt pour supprimer les séances de nuit. En cause, la fatigue et les repas alcoolisés qui pourraient échauffer les députés. Et si on fournissait plutôt des éthylotests à la buvette ?

À lire aussi : Où il sera beaucoup question de l’Algérie mais pas que…

Oseront, oseront pas ?

Nous sommes au matin de la décision de justice concernant le procès des attachés parlementaires du RN. Inéligibilité immédiate ou non ? Nous le saurons dans quelques heures. En attendant, j’écoute les micros-trottoirs des adhérents du RN qui s’expriment sur le sujet. Et je suis sidérée de la facilité avec laquelle les « sympathisants » semblent passer au plan B (comme Bardella, bien sûr !) et jeter Marine aux oubliettes. Ça n’a pas l’air de les déranger plus que ça. De l’ingratitude en politique…

Inéligibilité (suite)

Ça y est, la décision est tombée. Un véritable coup de tonnerre. Franchement, je ne croyais pas que les juges prendraient cette décision d’inéligibilité immédiate. Qui me gêne. D’abord parce qu’elle s’apparente à un sacré coup de canif à la présomption d’innocence. On a déjà vu par le passé des élus condamnés à une peine d’inéligibilité provisoire (donc immédiate), perdre leur mandat dans l’heure et se voir réhabilités un an plus tard lors de l’appel. Pourquoi une peine de prison ou une amende seraient-elles systématiquement suspensives et pas une peine d’inéligibilité ? Autre source de questionnement : pourquoi une telle différence – je sais, c’est prévu par la loi, mais ça n’empêche pas de s’interroger – entre un élu local, contraint de démissionner immédiatement, et un député qui peut finir son mandat ? Cette question est tellement dérangeante que les juges eux-mêmes ont décidé que Louis Aliot, maire de Perpignan, devait pouvoir rester en poste jusqu’à ce que l’appel soit rendu. Qu’on le veuille ou non, qu’on soit d’accord avec cette décision ou non, les juges qui ont condamné Marine Le Pen ont donné aux Français le sentiment de priver des millions de personnes de leur vote. Vertigineux…

Groenland

« Toutes les options sont sur la table. (…) Nous aurons le Groenland. Oui, sûr à 100 %. » Donald Trump a encore frappé. Ce n’est pas nouveau. L’intérêt du président américain pour le Groenland date de son premier mandat. L’île est en effet riche en fer, nickel et or, mais aussi en métaux rares (lithium, niobium…) utilisés dans l’industrie de défense ou la transition énergétique. Et qui deviennent plus faciles d’accès avec la fonte des glaces. Et puis, acquérir le Groenland serait aussi « stratégiquement sympa pour les États-Unis ». Quelque chose à voir avec l’objectif affiché de la Chine de devenir une « grande puissance polaire » d’ici 2030 ? Pourvu que l’Empire céleste ne s’intéresse pas à la Méditerranée. Trump pourrait décider de débarquer en Corse…

Yellowstone

Vous aimez le western ? Vous allez aimer Yellowstone. C’est l’histoire de la famille Dutton, au Montana – le patriarche est incarné par Kevin Costner, rien que ça –, qui possède le plus grand ranch des États-Unis, et qui se bat pour que l’on n’empiète pas sur ses terres. La série (diffusée en France sur Netflix) est l’une des plus regardées aux États-Unis ces dernières années. Longtemps passée inaperçue en France, elle cartonne depuis quelques mois. Records d’audience donc, mais aussi polémiques à répétition à cause de son idéologie… un tantinet « conservatrice ». Alors que le cinéma américain continue de régulièrement nous abreuver de sa bien-pensance, la réhabilitation de la figure virile du cow-boy, dans la droite ligne de John Wayne dans La Prisonnière du désert, est assez courageuse. Même si elle est depuis défendue par une bonne partie de l’électorat de Donald Trump. Fans de Sandrine Rousseau s’abstenir !

Olivier

Nous avons planté un olivier devant l’hôtel de ville de Béziers. Mais pas n’importe lequel. Le nôtre vient d’une oliveraie abandonnée du sud de l’Espagne et a… deux mille ans ! Un contemporain du Christ. Il a été béni par l’archiprêtre de Béziers le lundi de Pâques. Alors que nous avions appris la mort du pape deux heures plus tôt. Tout un symbole. L’olivier, signe de paix et de réconciliation. De sagesse et d’éternité également. « L’olivier de Pâques », comme l’ont rapidement surnommé les Biterrois, a trouvé sa place dans notre vieille cité. Dernière satisfaction, il avait un temps failli partir pour… Dubaï !

La boîte du bouquiniste

«Paris est la seule ville du monde où coule un fleuve encadré par deux rangées de livres», dixit Blaise Cendrars. Causeur peut y dénicher quelques pépites…


Clément Vautel © D.R.

Certains le sont naturellement, d’autres se donnent du mal pour l’être et il en est qui, malgré leurs efforts, ne le seront jamais. N’est pas snob qui veut. Peut-être faudrait-il conjuguer ces verbes au passé tant le XXIe siècle semble avoir eu raison de ce trait de caractère, de cette posture intellectuelle qui a fait partie du paysage culturel et social depuis le milieu du xixe siècle – mais il y a des résistants. Les jeunes lecteurs de Causeur apprécieront donc d’apprendre qu’un snob est une « personne qui admire et qui imite sans discernement les manières, les goûts, les modes en usage dans les milieux dits distingués ». Pour illustrer sa définition, le Petit Robert cite Valéry : « Le vrai “snob” est celui qui craint d’avouer qu’il s’ennuie quand il s’ennuie ; et qu’il s’amuse quand il s’amuse. » Allez expliquer ces subtilités dans un monde où l’on ne roule plus qu’en bulldozer…

Clément Vautel (1876-1954) sait de quoi il parle ; en 1928, il vit en plein dedans. Ce littérateur graphomane, journaliste, romancier, dramaturge – auteur de dizaines d’ouvrages et de quelque 30 000 articles – ferraille quotidiennement avec les snobs qui peuplent le monde et le demi-monde dit culturel. Voyage au pays des snobs est un règlement de comptes, un texte qui dézingue à tout va, avec cette légèreté française qui, sur un ton badin, un humour parfois potache, porte le fer dans la plaie, cloue sa proie à sa place. Vautel se pose en homme libre. « Je préfère vivre en dehors de toutes ces combinaisons, équipes, cabales, chapelles et organisations où il faut suivre les consignes, admirer ou éreinter, aimer ou haïr par esprit de secte, voire par ordre supérieur. Je choisis mes idoles ou mes fétiches moi-même au bazar du coin ; j’en change quand cela me plaît et je regarde avec le sourire passer les processions de dévots, parmi lesquels ne manquent d’ailleurs pas les Tartuffes. »

À lire aussi, Jonathan Siksou : La boîte du bouquiniste Sacha Guitry intime (souvenirs de sa secrétaire)

Dans son viseur défilent les femmes auteurs de « romans féminins qui pourraient être tous intitulés Moi et Moi » ; les écrivains qui ne jurent que par Gide ou Stendhal ; les collectionneurs d’art africain ; la Comédie-Française, cette « administration où la faveur et l’ancienneté l’emportent sur les droits que devraient conférer le talent et la jeunesse » ; les poètes de coin de table portés aux nues par la presse ; et, bien sûr, les critiques. Ainsi découpe-t-il le public un soir de générale : « Critiques influents : 6. Critiques sans influence : 34. Critiques sans journaux : 40. » Dans la même salle se trouvent des « auteurs joués : 12. Auteurs non joués : 150. Acteurs : 20. Actrices : 40. Fausses actrices : 210. » Jusqu’aux « homosexuels amateurs ou professionnels : 33. Boxeurs : 12. Sud-Américains : 31. » La liste s’étale sur deux pages.

Voyage au pays des snobs commence par une nouvelle – l’histoire d’un brave bourgeois qui prend des cours bidon pour tenter de devenir une figure prisée de la vie parisienne – et se poursuit avec une série de portraits et de situations cocasses. Il y est notamment question de postérité littéraire et Vautel s’insurge contre ceux qui désignent ce qui est ou non un chef-d’œuvre immortel. « En 2028, il suffira sans doute d’un rayon pour loger les “rescapés” provisoires de notre déluge de papier imprimé. Qui pourrait les désigner dès aujourd’hui ? » En 2028, un rayon sera peut-être même trop vaste.

Clément Vautel, Voyage au pays des snobs, Montaigne, 1928, 296 pages.

Voyage Au Pays Des Snobs

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La réderie du marquis

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Je te préviens tout de suite, lectrice adorée : il y aura deux « d’abord » dans cette chronique. Je sais, ce n’est ni élégant, ni correct mais bon… On ne peut pas toujours être parfait. (Parfois, ça me fatigue.) D’abord, oui, disais-je ; commençons par un rectificatif, une précision plutôt relative à mon dernier prône dominical. Dans celui-ci, j’indiquais que le peintre Marc Deudon allait exposer une cinquantaine de toiles dans les locaux de la Société d’Horticulture d’Amiens, 58/60, rue Le Nôtre, à Amiens, les 7, 8 et 9 juin ; j’indiquais aussi que le vernissage de l’événement était prévu le vendredi 6 juin, de 18 heures à 21 heures. Or, la formulation employée pouvait laisser entendre que le vernissage était ouvert à tous ; il n’en est rien. Il faudra disposer d’une invitation pour accéder au champagne, aux petits fours et autres délicieux plaisirs. Dont acte.

À lire aussi : Fame, je vous aime !

Second « d’abord » ; je voudrais vous entretenir, dans la présente chronique, du fait que j’ai moi aussi, exposé, dimanche dernier, à la réderie du faubourg de Hem, mon quartier à Amiens. « D’abord… », me diras-tu, lectrice de Perpignan, de Montauban (on ne devrait jamais quitter Montauban), de Viry-Noureuil (dans l’Aisne, où mes parents se sont mariés en sortir de la Deuxième guerre, les Fritz venaient de partir, etc., etc.), « … marquis (N.D.A. : c’est ainsi que me surnomment les lectrices et lecteurs de mon prône), qu’est-ce qu’une réderie ? » Sache, lectrice maintenant édifiée, qu’il s’agit, en langue picarde, d’une brocante, un marché aux puces, un vide-grenier. (Le terme est surtout utilisé dans la Somme.) À mon grand désespoir, je me suis donc levé à cinq heures du matin, moi qui répugne à me lever tôt, et voue une sainte horreur à l’aube et tout le toutim. (« Un matin, ça ne sert à rien… », chantait, je crois, Jean-Jacques Goldman. Comme il a raison.) Mon amour, ma Sauvageonne, elle, m’a battu ; elle est sortie du lit à 4h45. (Mais elle n’a aucun mérite ; fille de gendarme et petite-fille de commandant de gendarmerie, elle est pimpante dès les premières heures du jour, comme si le clairon militaire venait de sonner.) Ainsi, dès 7 heures, nous étions à notre stand à attendre le client.

De chaque côté, nos charmants voisins : à droite, Béa et Tio Guy ; à gauche, Aurore et Stéphane. La sauvageonne proposait des vêtements et des tableaux-cadeaux, hymnes aux prénoms, qu’elle réalise (en plus de ses belles toiles) au fil des années ; moi, des livres, des vêtements et quelques menus objets parfois encombrants. Vers midi, une petite faim s’est pointée ; j’ai couru au kébab situé à l’angle de la rue Robert-Lecoq et de l’avenue Louis-Blanc, établissement récent que je ne connaissais point. J’ai commandé des sandwiches américains, merguez, sauce samouraï. Il y avait la queue. (L’homme des réderies, c’est connu, a un bon coup de fourchette !) Beaucoup de monde, trop de monde ? Peut-être. Le personnel semblait très occupé. Revenu à notre stand, nous nous sommes rendu compte que nos dits-sandwiches possédaient le pain, les frites et la sauce mais pas les merguez. J’y suis retourné ; j’ai expliqué mon cas. La dame, très sympathique, n’a fait aucune difficulté pour me refaire nos américains, cette fois lestés des très attendues merguez. Le temps était splendide ; j’ai discuté avec de nombreux lecteurs-acheteurs de ma connaissance. J’ai eu le plaisir de donner un essai sur la franc-maçonnerie à un monsieur qui ne savait ni lire, ni écrire, mais qui pouvait épeler. J’ai même sorti une bouteille d’un rosé gris, frais et délicieux qui nous régala. Tio Guy m’offrit une bière. La journée fila comme le collant couleur chair d’une dame mûre non épilée. Vers la fin, de gros nuages couleur perle firent leur apparition ; ils eurent l’élégance de ne point éclater afin de ne pas gâcher la jolie réderie du marquis. Que demander de plus ?

Pierre Michon en immersion dans la Grèce antique

Avec J’écris l’Iliade, véritable tour de force littéraire, Pierre Michon revient sur ses convictions profondes en matière de religion et de littérature.


Dans la littérature française actuelle, Pierre Michon (né en 1945) jouit incontestablement d’une certaine notoriété. Très lue par les universitaires, son œuvre est appréciée aussi du public cultivé. Des livres distillés autrefois au compte-gouttes, une exigence littéraire appuyée, mais de bon aloi, des apparitions rarissimes dans les médias, Pierre Michon porte l’étendard du grand style des époques révolues. Ses références vont, entre autres, de Flaubert à Faulkner, en passant par Rimbaud ou Artaud jusqu’à Joyce. Avec de tels noms mis en avant, il est difficile de se tromper. D’autant que Pierre Michon a l’intelligence de traiter, dans ses romans, de ce qu’il appelle « les vies minuscules ». Il faut entendre par là le destin souvent obscur, mais authentique, des petites gens, dont lui-même assure faire partie. Pierre Michon, grâce à son lyrisme naturel, redonne une vraie place à ceux qui étaient cantonnés dans les marges de la société.

Souvenirs personnels et mythologie

Avec J’écris l’Iliade, récit paru il y a peu, Michon tente de se focaliser plus particulièrement sur lui-même. Il met ici en avant sa fascination pour la Grèce antique et son paganisme virevoltant auquel il adhère en partie. Le livre est composé de souvenirs personnels de Michon, entrecoupés de textes « à la manière de », qui décrivent des scènes de mythologie grecque. Ainsi, Michon se réinvente sous le signe d’Homère, ou peut-être d’Hésiode, le poète des Travaux et les Jours. Disons que cette « ambiance » grecque est parfaitement réussie, même si la prose de Michon y perd en précision, par excès d’abstraction.

Un homme grec

Le tour de force de Michon est d’avoir, dans les chapitres autobiographiques, réussi à développer un univers conforme à cet homme grec qu’il voudrait incarner. D’abord, dans la manière dont il se décrit lui-même, comme une sorte de satyre pris de boisson et obsédé par le sexe. Sous la lumière du Sud, Michon peine à exorciser ses mauvais démons. En ce sens, J’écris l’Iliade est un document précieux pour mieux cerner la personnalité complexe de l’écrivain. Je parlais de satyre, il n’emploie pas le mot, mais le revendiquerait certainement ; on pourrait évoquer aussi les compagnons de Dionysos, les fameux silènes, ces petits bonshommes très laids, affairés aux voluptés. Dans Le Banquet de Platon, n’est-ce pas Socrate qui est comparé, par Alcibiade, d’abord à un silène, puis ensuite à un satyre ? Nous lisons, dans la traduction de Philippe Jaccottet : « je déclare, dit Alcibiade parlant de Socrate, qu’il ressemble comme un frère à ces silènes exposés dans les ateliers des sculpteurs… » ; il ressemble aussi, ajoute Alcibiade, au « satyre Marsyas ». Faisant ensuite allusion au talent de Socrate pour captiver son auditoire, Alcibiade précise : « si c’est toi qui parles […] nous voilà tous […] étonnés et ensorcelés ». Bref, il me semble que tous ces termes employés par Alcibiade pourraient caractériser à son tour Pierre Michon, satyre et silène qui séduit, comme Socrate, par son art de la parole.

À lire aussi, Pierre des Esseintes : « Pour les Grecs, homosexualité et virilité allaient de pair »

La littérature comme passion

L’un des grands mérites de ce livre de Michon est qu’il nous permet de comprendre les effets de la littérature sur l’être humain, lorsqu’elle devient une passion. Grâce à quoi, la vie en est transformée au plus profond, et pour le meilleur. C’est en tout cas le bilan qu’en dresse avec fougue Michon.

Dans le texte intitulé « J’invente un dieu », Michon se livre ainsi : « Depuis des années le goût de noircir du papier m’avait abandonné. Fini, le temps où je faisais des surenchères d’arabesques autour d’un mot. Je n’écrivais pas et je n’écrirais plus. J’avais plus de soixante ans, il était grand temps que je fasse quelque chose de ma vie : la rencontre d’un dieu me parut un bon plan. » On appréciera l’humour de ce passage, qui en gomme l’amertume. Avec la conclusion suivante, plus sereine : « L’art d’écrire, de faire de chaque mot un nom propre ou un totem, voilà la route où s’avançait le dieu. » Ce qui donne, pour résumer : « J’étais de nouveau littérateur. »

Un écrivain pour écrivains

Il ne faut donc pas s’étonner si Pierre Michon est d’abord un écrivain pour écrivains, comme on dit. Si la forme de J’écris l’Iliade peut étonner, comme je l’ai remarqué, en revanche les questions de fond qui se posent à sa lecture sont essentielles. Celles-ci, par exemple : faut-il encore écrire comme Flaubert ? Qu’est-ce que la littérature aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’écrire ? Ou encore : qu’est-ce qu’une vie bonne ? Michon constate, à un moment : « Je n’avais plus personne à qui faire croire que la littérature peut servir à quoi que ce soit. » Et pourtant, malgré tout, il continue cette lutte absurde, ou plutôt qui paraît absurde.

Dans J’écris l’Iliade, il y a donc une dimension morale. À plusieurs reprises, Michon précise, oubliant son polythéisme, qu’il est chrétien. Il raconte en détail ses visites, en Grèce, dans quelques-uns des hauts lieux de l’orthodoxie, et sa déception à la suite d’un mauvais accueil. J’écris l’Iliade est aussi, bien sûr, un dialogue avec Dieu, à base d’incommunicabilité et d’errements, mais avec une sorte de foi sincère. Et le moment vient, finalement, où l’on sent que l’enjeu littéraire rejoint pleinement l’enjeu spirituel.


Pierre Michon, J’écris l’Iliade. Éd. Gallimard, 271 pages.

Platon, Le Banquet. Traduction de Philippe Jaccottet. Éd. « Le Livre de Poche », 114 pages.

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Féminisme sidéral

Présenté comme une célébration de l’émancipation féminine, le fameux vol spatial 100% féminin de Blue Origin s’est révélé un concentré de stéréotypes, une mise en scène ridicule en plus d’un spectacle mondain glamour.


C’était présenté comme le summum de l’autonomisation des femmes, « female empowerment ». Le 14 avril, une fusée de Blue Origin, l’entreprise aérospatiale fondée par le patron d’Amazon, Jeff Bezos, a emporté dans l’espace six femmes, dont la fiancée de Bezos, Lauren Sánchez, qui se décrit comme journaliste et philanthrope, ainsi que la pop star Katy Perry, une animatrice télé, une productrice de cinéma, une militante des droits de victimes de viol et chercheuse en bioastronautique, et une ancienne ingénieure en aéronautique de la Nasa.

Les six ont été qualifiées par les médias d’« équipage » (crew) et même de « premier équipage exclusivement féminin ». Pourtant, le vol – qui a duré moins de onze minutes et frôlé à peine l’espace extérieur – a été dirigé depuis la Terre. Les passagères n’étaient pas plus un équipage que des enfants sur un manège forain.

Certains ont cité le précédent de la cosmonaute russe, Valentina Terechkova, qui a fait un vol spatial en solo en 1963, mais elle était un vrai pilote. Le voyage des six, censé encourager « la prochaine génération d’exploratrices », a surtout charrié des stéréotypes féminins les plus « girlie ». Dans un entretien préalable avec Elle, les « astronautes » ont souligné la nécessité d’être chic ou « glam » (de glamour) dans l’espace. Elles ont porté des combinaisons identiques à pattes d’éph dessinées par Sánchez et la marque Monse. La seule ingénieure, voulant être sûre que sa coiffure résisterait au décollage, a testé le même style au cours d’une séance de parachutisme à Dubaï. La chercheuse en bioastronautique, insistant sur l’absence d’opposition entre science et mode, a déclaré qu’elle porterait du rouge à lèvres. Seule concession à l’esprit scientifique, elle aurait conduit une petite expérience dans l’apesanteur en vue du développement de tampons adaptés à l’espace. Le média interne de Blue Origin a déclaré qu’un vol spatial de femmes serait surtout une affaire d’« émotions ». Après le vol, en descendant de la capsule, Perry brandit une pâquerette, tombe à genou, baise la terre et se déclare « super-connectée à l’amour » avant d’évoquer « le divin féminin ».

L’événement, qui a surtout ressemblé à un enterrement de vie de jeune fille, prouve que le vide n’existe pas que dans l’espace.

Léon Bloy: Clotilde ou la grâce dans la tourmente


Il y a des bons livres qu’on ne peut s’empêcher de lire d’une traite, et d’autres, encore meilleurs, avec lesquels notre relation s’avère plus complexe : d’un côté, l’on voudrait leur consacrer chaque jour et chaque nuit, on ne peut s’en détacher, on voudrait tout lâcher pour les rejoindre ; de l’autre côté, il serait dommage de presser les choses, de consumer cette passion sans la déguster, et de regretter de n’avoir pas pris le temps. Comme avec une femme.

Un romancier tendre

En parlant de femmes, Léon Bloy nous a laissé un chef-d’œuvre absolu, La femme pauvre (1897), qui n’a pourtant jamais atteint la renommée au sein des lettres françaises qui lui est due. Auteur de seulement deux romans (celui-là et Le désespéré), on connaît surtout le Bloy essayiste, polémique, provocateur, celui qui fusillait avec une violence rare la spiritualité défaillante de son époque, la médiocrité de ses contemporains, et l’effacement de l’histoire française incarné par la République, le tout porté par un catholicisme virulent. D’où son exclusion du panthéon littéraire, sans doute. Mais l’on se priverait d’un monde de génie en laissant l’intransigeance de ses pamphlets éclipser la tendresse de ses romans.

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Dans La femme pauvre, nous suivons Clotilde, une Parisienne noyée dans l’extrême misère. Manipulée par son beau-père pour ramener de l’argent au ménage, celui-ci l’emmène dans l’atelier d’un peintre afin de monnayer son portrait. Or, l’artiste, subjugué par son innocence, par son élégance, et par son air d’ange, voire de sainte, prendra Clotilde sous son aile et fera tout pour la sortir de sa condition. Hélas, le malheur, la déchéance et les imprévus ne cesseront jamais de la guetter, année après année. Plusieurs personnages lui viendront en aide par la suite, matériellement ou spirituellement, chacun frappé par son aura céleste. Mais seuls sa grâce sublime et son sentiment religieux lui permettront d’endurer toute souffrance.

Il est difficile, et à vrai dire, vain, de résumer davantage l’intrigue de La femme pauvre, car c’est le style, la réflexion, l’univers, et les thèmes qui prennent le dessus.

Courant décadentiste

Le style, d’abord : dense, subtile, exigeant, certains diront lourd et décadent. Certes. C’est le fait de l’époque et du courant décadentiste. Mais ceux fuyant l’exigence sont condamnés à rester en-deçà de la grandeur. Le récit est riche en références religieuses, tours de force stylistiques et tournures originales ; procédé bloyen par excellence. En effet, ce « pèlerin de l’absolu » s’acharne à tordre, nouer, écraser et mâcher la langue française pour lui arracher ses plus surprenantes facettes.  

L’intensité du sentiment, ensuite. Ce livre alterne entre noirceur, misère, cruauté, chagrin, désespoir ; et douceur, tendresse, légèreté, ferveur, extase, et ascensions célestes. Aucune émotion n’est exprimée à moitié. C’est l’âme torturée de Bloy qui pousse chaque ressenti à son paroxysme.

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Les digressions, les dialogues, les monologues expriment, avec humour ou gravité, les opinions de l’auteur. Pour n’en citer qu’une poignée : la bassesse du bourgeois consumériste et athée, l’idée que le bonheur d’une personne se paie par le malheur de mille autres, le Moyen Âge en tant que summum de la civilisation où le monde n’était qu’une immense église, ainsi que le salut par la pauvreté, un dépouillement total nous élevant vers la sainteté.

Bien entendu, La femme pauvre comporte certaines failles. L’utilisation de mots non-usuels, excessive aux premiers chapitres, peut effrayer le lecteur, et ajoutent peu de valeur au récit. À mi-chemin, le livre se fait roman à clef où dialoguent, sous couvert de pseudonymes, des amis et confrères de Bloy (Huysmans, Villiers de L’Isle Adam…), ce qui, en plus de s’éterniser, présente moins d’intérêt aujourd’hui qu’à l’époque de sa parution, et n’avance guère l’intrigue.

En fin de compte, ce livre est une perle rare et baroque. Un OVNI littéraire, inclassable parmi les inclassables. Regorgeant d’une force inouïe, il est aussi si humain, si personnel. L’âme de Bloy transparaît à chaque page dans toute sa splendeur, son chaos et sa quête de sainteté. Oui, c’est un livre qui vous touche à jamais, dont le souvenir vous suit toujours. Encore une fois, comme une femme.

La Femme Pauvre 368 pages

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Tant qu’il y aura des films

Un film politique décapant, deux Cocteau réussis et une comédie française: en mai aussi, le cinéma fait ce qui lui plaît !


Au fond de la piscine

Libertate, de Tudor Giurgiu
Sortie le 21 mai

Décembre 1989. La révolution roumaine a débuté et la ville de Sibiu, en Transylvanie, est le théâtre de terribles affrontements. Les policiers et miliciens fidèles à Ceausescu sont arrêtés et rassemblés dans le bassin vide d’une piscine communale désaffectée. Mais comment savoir qui est qui dans un tel chaos ? Tel est le point de départ du film du cinéaste roumain Tudor Giurgiu, explicitement titré Libertate. S’il s’agit bel et bien d’une œuvre de fiction au casting d’ailleurs impeccable, elle s’inspire ouvertement de faits réels durant lesquels 552 hommes ont été pris au piège d’une situation politique en pleine ébullition. Nicu, le propre fils de Ceausescu, occupe alors les fonctions de premier secrétaire du parti du dictateur au pouvoir. C’est lui qui demande que les unités militaires se mobilisent et se préparent au combat. C’est lui encore qui commande à la milice locale d’intervenir et de disperser les manifestants massés sur la place de la République de la ville de Sibiu. Le bilan de cet épisode tragique est de 99 morts et 272 blessés.

Réalisé avec un budget plus que limité, le film a été écrit en étroite collaboration avec des historiens et des sociologues pour garantir la vraisemblance du propos. Les acteurs ont quant à eux pu rencontrer certains protagonistes de cette incroyable histoire. Le cinéaste ne cache pas son implication profonde, lui qui avait 18 ans au moment des faits : « La vérité a été volontairement déguisée, explique-t-il, et le blanchiment des faits a été cultivé pour devenir un art en soi. » Et d’ajouter à ce tableau : « Ma génération a grandi avec cette psychose des terroristes : c’étaient supposément des Arabes, puis des espions russes, puis des officiers de la Securitate, et ainsi de suite. » Comme le montre le film, la radio et la télévision ont joué un rôle central dans cette désinformation attribuant à de prétendus « terroristes » de nombreux morts innocents. Inventée de toutes pièces, cette cinquième colonne a justifié le recours à l’armée et la répression des manifestations. La grande force du film est de s’emparer de cette matière historique désormais incontestable pour en montrer les arcanes et les rebondissements successifs. Chaque protagoniste incarne une facette de cette diversité de situations : on passe de l’ombre à la lumière en un instant, la victime devient bourreau, l’innocent coupable et inversement. À l’instar du personnage de Viorel, un officier de la Militia (les forces de police de la Roumanie communiste) qui n’est en rien impliqué dans la répression violente des manifestations de rue, mais qui se trouve pris dans ce maelström. En proie au doute, il découvre finalement n’être qu’un pion manipulé.

Pour rendre cette atmosphère si particulière, Tudor Giurgiu a fait le choix intelligent de la caméra à l’épaule et du style direct. Il filme presque un « vrai-faux » documentaire et ses images prennent la couleur de l’immédiateté et du réalisme. On se sent au plus près de ces hommes parqués au fond du bassin, coincés comme des rats de laboratoire. À cette approche documentaire revendiquée, le cinéaste ajoute fort brillamment une part de romanesque. Dans cette piscine en forme de prison à ciel ouvert, chacun joue son destin et parfois même sa vie. Ainsi suit-on les interrogations permanentes des uns et des autres, l’incertitude qui les ronge. Le film joue sur ce suspense qui apporte une incroyable efficacité narrative. Ce qui pourrait n’être que le récit d’un fait historique devient une histoire policière à tous les sens du terme.


Au fond du miroir

Le Sang d’un poète et L’Aigle à deux têtes, de Jean Cocteau
Sortie le 21 mai

Studio Canal

On se réjouit de la ressortie en salles et en copies (bien) restaurées de deux films réalisés par Jean Cocteau : Le Sang d’un poète (1932) et L’Aigle à deux têtes (1948). Certes, l’écrivain-cinéaste ne saurait rivaliser avec les grands auteurs de cet âge d’or du cinéma français, mais ces deux œuvres méritent d’être redécouvertes. Premier film de Cocteau, Le Sang d’un poète prend la forme d’un rêve que son auteur ne voulait pas « surréaliste », contrairement à son grand rival de l’époque, Buñuel et son Âge d’or. Des images restent cependant gravées à jamais, telle la plongée dans un miroir… et c’est bien l’objet de ce film. Quant à L’Aigle à deux têtes, il est l’adaptation par lui-même de sa propre pièce, d’après le destin de Louis II de Bavière, le « roi fou ». Cocteau explore les circonstances mystérieuses de la mort non élucidée du monarque. Pour Edwige Feuillère comme pour Jean Marais, il s’agit de deux rôles clés dans leurs carrières respectives.


Au fond du tiroir

Les Règles de l’art, de Dominique Baumard
Sortie le 30 avril

Quel dommage ! Voilà ce que l’on ne peut s’empêcher de s’écrier en sortant de la projection des Règles de l’art, cette comédie française de braquage et d’escroquerie platement écrite et réalisée par Dominique Baumard, avec Melvil Poupaud dans le rôle principal. Dommage vraiment d’avoir ainsi massacré l’histoire vraie d’un spectaculaire vol de tableaux de maître au musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Il aurait fallu l’allant d’un Rappeneau, d’un Deville ou d’un Broca pour camper ce trio de pieds nickelés géniaux. Or, l’histoire ne décolle jamais, même au moment du vol en pleine nuit, alors que le système d’alarme est défaillant. L’art difficile de la comédie exige que tout soit crédible, même le plus roublard ou le plus imbécile des escrocs. Ce n’est qu’à cette condition qu’on se laisse embarquer avec le plus grand plaisir. Ici rien de tel, sinon un beau gâchis qui ne fait même pas rire ou sourire.

Devant l’ambassade d’Algérie, le soutien à Boualem Sansal se fait entendre

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Les courbettes du quai d’Orsay et les numéros de charme de l’Élysée n’ont hélas rien pu y faire : six mois après son arrestation à Alger pour délit d’opinion, notre ami et concitoyen Boualem Sansal est toujours détenu par le régime despotique d’Abdelmadjid Tebboune. Ce vendredi, le comité de soutien de l’écrivain est allé dire sa colère et son soutien sous les fenêtres de l’ambassade d’Algérie à Paris.


Triste anniversaire ! Ce vendredi 16 mai marque les six mois d’incarcération en Algérie de Boualem Sansal. À cette occasion symbolique, plusieurs amis de l’écrivain se sont rassemblés, devant l’ambassade d’Algérie à Paris pour exiger sa libération immédiate, alors qu’il vient d’être condamné à cinq ans de prison au terme d’un procès fantoche.

Plaidoyer vibrant de Jean-Michel Blanquer

De nombreuses personnalités ont pris la parole : Jean-Michel Blanquer, Pascal Bruckner, Alexandre Jardin, Noëlle Lenoir, Shannon Seban (présidente de Renaissance en Seine-Saint-Denis, Eve Szeftel (directrice de la rédaction de Marianne) et Jean-Marie Laclavetine, l’éditeur de Boualem Sansal chez Gallimard. Tous sont venus à l’appel d’Arnaud Benedetti, directeur de la Revue politique et parlementaire et président du comité de soutien à Sansal. Signalons aussi la présence remarquée dans le public de Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France à Alger.

Parmi les discours, celui de Jean-Michel Blanquer a résonné comme un plaidoyer vibrant pour la liberté d’expression. « Cette affaire n’est pas simplement une affaire franco-algérienne, a-t-il affirmé. C’est une affaire universelle, car on parle d’un homme de 80 ans, malade, emprisonné arbitrairement pour ses idées, pour ce qu’il a écrit, alors qu’il n’a fait de mal à personne. Il n’a commis aucun délit caractérisable dans un pays démocratique. »

A ne pas manquer, Arnaud Benedetti: Sansal: le martyre doit cesser

Pour l’ancien ministre de l’Éducation, l’enjeu dépasse le sort individuel de Boualem Sansal : « C’est un combat entre une démocratie et un autoritarisme. Nous aimons les Algériens, et c’est précisément parce que nous les aimons que nous soutenons les Algériens libres — c’est-à-dire Boualem Sansal. »

Emprisonné pour des idées

Pascal Bruckner a eu quant à lui des paroles plus tranchantes : « Le pouvoir algérien, en tout cas, nous déteste. Mais il ne peut pas vivre sans nous. Il adore nous détester. » S’en prenant directement au président de la République, il a lancé : « Qu’est-ce qui empêche Emmanuel Macron de faire enfin le geste nécessaire pour obtenir la libération de Boualem Sansal ? Le sort de ce dissident algérien est entre les mains de notre gouvernement. »

Une interpellation reprise par l’écrivain Alexandre Jardin : « Il faut que tous nos citoyens sachent que s’ils sont emprisonnés pour leurs opinions dans le monde, leur État va les défendre. Il faut qu’on sache qu’on a un président qui est vraiment derrière. Donc on lance un appel à cet homme qui est le président de la République : garantissez la sécurité de chacun des Français emprisonnés pour leur opinion ! »

Même Shannon Seban, pourtant membre de la majorité présidentielle, a exhorté à un changement de ton : « Il faut durcir le ton face à ce régime algérien qui n’a de cesse de nous défier chaque jour. Je suis déterminée, totalement, à faire bouger les choses. »

À défaut d’avoir fait trembler le régime algérien, ce rassemblement aura réveillé quelques consciences, espérons que celle du président de la République en fasse partie…

Jean Raspail, la pythie de Patagonie

Une biographie consacrée à l’auteur honni de toute la gauche immigrationniste est publiée.


Pour célébrer le centenaire de la naissance de Jean Raspail, autoproclamé consul général de Patagonie, les éditions Albin Michel publient sa première biographie signée Philippe Hemsen, préfacée par Erik Orsenna. Avec Jean Raspail, Aventurier de l’ailleurs, Philippe Hemsen, professeur de lettres et auteur de Stephen King, Hantise de l’écrivain, nous propose de dépasser l’image de l’écrivain catholique et monarchiste, qui publia un roman controversé, Le Camp des saints, en 1973, lequel fit de Raspail un écrivain d’extrême-droite, infréquentable pour le camp du Bien. Au-delà de l’étiquette, Philippe Hemsen nous permet de découvrir un homme plus complexe, né le 5 juillet 1925, à Chemillé-sur-Dême en Indre-et-Loire, dans une famille bourgeoise où les traditions sont respectées à la lettre. Le début de la biographie peut paraître balzacien dans les descriptions de l’enfance villageoise de son sujet, mais très vite on est happé par l’adolescent, mauvais élève, qui fuit la réalité grise de la vie en poursuivant des rêves de voyages et d’aventures intrépides. Le garçon est secret et son caractère affirmé. Sa différence d’âge avec son frère et sa sœur en fait un enfant unique dont le signe astrologique, le Cancer, l’attire vers l’eau. La guerre le retient au port, mais dès 1949, il prend le large. Dans L’île bleue, roman publié en 1990, il écrit : « À considérer les cheminements intérieurs de la vie, c’est là que je suis né, à l’âge de vingt-trois ans et neuf mois, par un matin glacial de printemps de l’année 1949. » La fuite, le refuge sur une île, la création d’un monde imaginaire grâce à l’écriture, voilà résumé les clés pour comprendre la psychologie et les choix de Jean Raspail. Cela me rappelle un échange avec Michel Déon, ami de Raspail, qui m’avait dit en substance que l’île symbolise l’aristocratie de l’esprit, de plus en plus menacée sur les continents. La soif de l’ailleurs permet à Raspail de devenir, avant l’heure, un écrivain-voyageur enchaînant les exploits, en Terre de feu, aux Antilles, en Argentine, en Patagonie, au Pérou, au bord du lac Titicaca, au Japon, en Alaska… À l’instar de Paul Morand, ses échappées spectaculaires, et parfois dangereuses, nourrissent ses romans, reportages, articles. Au fur et à mesure, le gaillard aux yeux bleus, aux sourcils broussailleux et à la moustache d’un hussard, épure son style et, malgré l’obsession du détail, rend plus fluides ses écrits.

A lire aussi: Nouvelles réflexions sur le racisme antiblanc

Raspail finit par se lancer dans l’autobiographie, tout en restant au seuil de la porte, en publiant, ce que je considère être son meilleur livre, Moi, Antoine de Tournens, roi de Patagonie – grand prix du roman de l’Académie française en 1981. C’est avec ce livre qu’il s’autoproclame consul de Patagonie. La légende est en marche. L’homme devient une sorte de père tutélaire. Mais il écrit Le Camp des saints, une dystopie comme on dit aujourd’hui, et les ennuis commencent. Il s’agit d’un roman apocalyptique dans la France de 2050, confrontée à l’arrivée massive de migrants sur ses côtes méditerranéennes. Le livre connait un franc succès. La polémique enfle. On va jusqu’à accuser Raspail de racisme. Philippe Hemsen raconte avec précision l’engrenage dans lequel l’écrivain est pris. L’homme écrit également des articles dans le Figaro, très à droite. Il prend la défense des scouts et guides de France dont les effectifs ne cessent de chuter. Il se rapproche de penseurs comme Alain de Benoist. Bref, il incarne la figure du traditionaliste dans une France qui se livre à Giscard et au nihilisme financier. Le Camp des saints est réédité en 2011. C’est l’occasion pour son auteur d’en rajouter une couche en écrivant une préface incendiaire, intitulée « Big Other » – allusion à Orwell. Les dévots s’enflamment. Vite, comme pour Jeanne d’Arc, brûlons l’infâme. Daniel Schneidermann signe une violente tribune contre l’écrivain avec en titre : « Appeler racistes les racistes. » Le livre devient culte. Raspail ne tremble pas. Avec sa cravate décorée de fleurs de lys, il continue à écrire, loupant de peu son entrée à l’Académie française, en 2000.

Philippe Hemsen © Patrick Morin

À propos du texte « Big Other », Philippe Hemsen rappelle que deux conceptions de la civilisation s’affrontent : celle « fondée sur la mémoire, les racines culturelles et religieuses, la conscience de moi et de l’autre, la conscience d’appartenir à un héritage, d’en être un maillon, et d’avoir à transmettre cet héritage aux générations à venir (…) ; l’autre fondée sur une idée de la vie, du monde, dépourvue de tout réel sentiment d’appartenance culturelle, sinon sous forme de ‘’loisirs’’, dans le cadre d’un environnement dit ‘’multiculturel’’, ‘’multiethnique’’, où les différences s’estompent pour aboutir à un melting-pot uniforme, universel (…) » L’auteur cite alors le concept de la « société liquide » développé par Zygmunt Bauman.

Déboussolé par le très sérieux problème cardiaque d’Aliette, son épouse depuis presque soixante-dix ans, survenu en 2019, Jean Raspail meurt le samedi 13 juin 2020. Ses funérailles se déroulent quatre jours plus tard, en l’église Saint-Roch, avec messe en latin, accompagnée de chants grégoriens, selon le rite tridentin.


Philippe Hemsen, Jean Raspail, Aventurier de l’ailleurs, Albin Michel. 400 pages

Jean Raspail, aventurier de l'ailleurs

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À noter la réédition du roman de Jean Raspail, Les royaumes de Borée, Albin Michel. 336 pages

Les Royaumes de Borée (édition 2025)

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Doisneau, le photographe des périphéries

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Les frères rue du Docteur Lecene, Paris (1934) / détail © Atelier Robert Doisneau

Jusqu’au 12 octobre, le Musée Maillol présente plus de 350 photographies de Robert Doisneau (1912-1994), le chantre discret d’une banlieue disparue et d’un Paris bistrotier, dans l’exposition «Instants Donnés» …


On connait par cœur sa rengaine, cet air d’accordéon qui sort exsangue d’un bistrot patibulaire, entre chien et loup, dans le noir et blanc de l’après-guerre, son filon des existences simples. Des gueules pas possibles accoudées au comptoir, l’écrin des jeunesses dévastées, champs de ruine et épidémie de coqueluche, baraquements de fortune et TSF en berne ; c’était le temps où la misère et l’ouvriérisme militant faisaient gonfler le nombre d’adhérents dans les cellules de quartier, toute la lyre, le chromo célinien, le Front Pop’ et les grèves, les congés payés et l’île Seguin, apéritif vinique et siphons, lutte des classes et petites gens qui peinent à joindre les deux bouts comme dans un livre d’Henri Calet. Cette fois-ci, le photographe humaniste ne nous aura pas ! Promis. Juré. On tiendra bon. C’est trop facile de jouer sur la corde des sentiments d’une France sépia.

Plus de 350 photographies

Le style émotif, c’était bon pour les générations passées, celles de nos grands-parents qui crurent au miracle économique et à l’espoir d’un monde nouveau après la Débâcle. Tino à la radio et l’Huma à la criée, c’est fini ! Nous, rejetons des mondialisations malheureuses, surnuméraires des eighties, on ne nous reprendra plus dans ce grand catalogue des illusions. Nous sommes las des images frelatées. Alors, on se rend au Musée Maillol avec l’envie d’en découdre. Les statues girondes n’apaiseront pas notre courroux contre cette falsification d’identité. La banlieue, elle ne court plus depuis bientôt cinquante ans, elle s’enlise. Et Paris, cette vieille ganache a beau ripoliner son joli minois, elle ne séduit plus que les tour-operators.


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Mais on craque, une fois de plus. Car on est faible et nostalgique et que Doisneau vise toujours juste. Il y a d’abord ses appareils de labeur sous verre, son Rolleiflex et son Leica M3. Et, au mur, plus de 350 photographies, infime fragment d’une collection qui comprend 450 000 images. Tout notre décor mental décline alors sa frise chronologique. Les clichés dansent devant nos yeux. On retrouve nos marques, nos bornes temporelles. Les écrivains de caractère, les peintres et les sculpteurs qui furent les voisins de palier de Doisneau avant d’entrer dans les livres d’Histoire de l’Art, les forts des Halles, les rupins en bamboche et les gamins des rues. C’est con mais notre France des toilettes à l’étage et des coups de grisou demeure notre inébranlable socle mémoriel. Tiens-là, on reconnaît Bob Giraud pensif, Blondin barbu, Jeanne Moreau, Sabine Azéma, Roger Vailland et Maurice Baquet, le copain violoncelliste qu’il rejoignit à New-York pour une série loufoque et enneigée. Comme le professait le Pape François, Doisneau a fait des périphéries son grand œuvre. L’exposition se déploie sur deux étages, elle commence au rez-de-chaussée, puis on grimpe au 2ème voir comment par le plus grand des hasards en traversant à pied les Tuileries pour un rendez-vous professionnel, Doisneau assista à l’installation des statues de Maillol sous la supervision de Dina Vierny et la bénédiction de Malraux, puis on termine par le 1er. Les montagnes russes, quoi. On suit la vie de l’artiste, son regard sur l’enfance, son embauche chez Renault, son licenciement, ses piges alimentaires qui durèrent des années notamment pour la publicité, son intrusion dans les mondanités chez Vogue, puis, peu à peu, le succès par les livres, Cavanna et Pennac en doublette, et la consécration d’une empreinte majeure reconnue par ses pairs et le public.

Émotion

Tout ça, avouons-le, ce qui est rafraîchissant à notre époque des égos boursouflés, dans une forme de sincérité, loin de la fausse modestie des médiocres. Qu’on le veuille ou non, Doisneau a été l’artisan de notre imaginaire. De Simca aux mineurs de fond, de la chenille du Comte et de la Comtesse de Beaumont à « La monnaie des commissions » (1953) où un écolier en blouse rapporte un pain aussi grand que lui – et comment rester de marbre devant « Les tabliers de Rivoli », des petits se tiennent la main en 1978 en barrant la circulation. Je vous donne ma préférée, elle est intitulée « Timide à lunettes » et date de 1956 : un garçonnet peu assuré en culottes courtes tient son sac d’école alors qu’autour de lui ça chahute et ça crie, cette tendresse-là nous émeut aux larmes.

16,5 € 59-61 rue de Grenelle, Paris 7e

Béziers: un olivier, et pas n’importe lequel

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© Ville de Béziers

Narcotrafic, bordel à l’Assemblée, inéligibilité, résurrection… on ne peut pas dire que l’actualité du mois ait été très calme. Qui sait, peut-être que le nouveau pape élu à Rome saura apaiser les esprits, au niveau mondial comme au sein de la classe politique française ! On peut prier…


Bras cassé

Vous vous souvenez de Nyx, le « chien stup » dont je vous ai parlé il y a quelque temps ? Je voudrais cette fois-ci vous parler de son maître, policier municipal à Béziers. Il est en convalescence pour plusieurs semaines. Pourquoi ? Alors que son équipage poursuivait un scooter qui avait refusé de s’arrêter dans le quartier « difficile » de La Devèze, à Béziers, il a été, avec ses coéquipiers, victime d’un guet-apens. Concrètement, ils ont été encerclés et caillassés par une bande de jeunes qui venaient aider leurs copains en difficulté. Dans un salutaire réflexe, le maître de Nyx a levé le bras pour protéger son visage. Bien lui en a pris puisque le pavé qu’il a reçu lui a cassé net le bras. Les risques du métier ? Je ne crois pas que les policiers signent pour cela. Le climat se dégrade. Toujours plus de violence commise par des toujours plus jeunes. Depuis, l’auteur du jet de pavé a été retrouvé et interpellé. Nous attendons sa condamnation. Nyx attend le retour de son maître…

Bonne nouvelle

Selon une étude publiée fin mars, le vin est devenu la boisson alcoolisée préférée des 18-25 ans. Devant les cocktails et la bière ! De quoi redonner un peu le moral à nos vignerons ? Seul petit bémol, on apprend aussi que près de la moitié des vins (47 %) sont bus par des Français de plus 55 ans. Et seulement 7 % par des 18-24 ans. On ne devrait pas toujours poursuivre ses lectures jusqu’au bout…

Bordel

Les députés du MoDem ont annoncé leur volonté de créer un groupe de travail pour lutter contre « le bordel » à l’Assemblée. Auraient-ils décidé d’interdire LFI ? Trop simple… Les parlementaires de François Bayrou penchent plutôt pour supprimer les séances de nuit. En cause, la fatigue et les repas alcoolisés qui pourraient échauffer les députés. Et si on fournissait plutôt des éthylotests à la buvette ?

À lire aussi : Où il sera beaucoup question de l’Algérie mais pas que…

Oseront, oseront pas ?

Nous sommes au matin de la décision de justice concernant le procès des attachés parlementaires du RN. Inéligibilité immédiate ou non ? Nous le saurons dans quelques heures. En attendant, j’écoute les micros-trottoirs des adhérents du RN qui s’expriment sur le sujet. Et je suis sidérée de la facilité avec laquelle les « sympathisants » semblent passer au plan B (comme Bardella, bien sûr !) et jeter Marine aux oubliettes. Ça n’a pas l’air de les déranger plus que ça. De l’ingratitude en politique…

Inéligibilité (suite)

Ça y est, la décision est tombée. Un véritable coup de tonnerre. Franchement, je ne croyais pas que les juges prendraient cette décision d’inéligibilité immédiate. Qui me gêne. D’abord parce qu’elle s’apparente à un sacré coup de canif à la présomption d’innocence. On a déjà vu par le passé des élus condamnés à une peine d’inéligibilité provisoire (donc immédiate), perdre leur mandat dans l’heure et se voir réhabilités un an plus tard lors de l’appel. Pourquoi une peine de prison ou une amende seraient-elles systématiquement suspensives et pas une peine d’inéligibilité ? Autre source de questionnement : pourquoi une telle différence – je sais, c’est prévu par la loi, mais ça n’empêche pas de s’interroger – entre un élu local, contraint de démissionner immédiatement, et un député qui peut finir son mandat ? Cette question est tellement dérangeante que les juges eux-mêmes ont décidé que Louis Aliot, maire de Perpignan, devait pouvoir rester en poste jusqu’à ce que l’appel soit rendu. Qu’on le veuille ou non, qu’on soit d’accord avec cette décision ou non, les juges qui ont condamné Marine Le Pen ont donné aux Français le sentiment de priver des millions de personnes de leur vote. Vertigineux…

Groenland

« Toutes les options sont sur la table. (…) Nous aurons le Groenland. Oui, sûr à 100 %. » Donald Trump a encore frappé. Ce n’est pas nouveau. L’intérêt du président américain pour le Groenland date de son premier mandat. L’île est en effet riche en fer, nickel et or, mais aussi en métaux rares (lithium, niobium…) utilisés dans l’industrie de défense ou la transition énergétique. Et qui deviennent plus faciles d’accès avec la fonte des glaces. Et puis, acquérir le Groenland serait aussi « stratégiquement sympa pour les États-Unis ». Quelque chose à voir avec l’objectif affiché de la Chine de devenir une « grande puissance polaire » d’ici 2030 ? Pourvu que l’Empire céleste ne s’intéresse pas à la Méditerranée. Trump pourrait décider de débarquer en Corse…

Yellowstone

Vous aimez le western ? Vous allez aimer Yellowstone. C’est l’histoire de la famille Dutton, au Montana – le patriarche est incarné par Kevin Costner, rien que ça –, qui possède le plus grand ranch des États-Unis, et qui se bat pour que l’on n’empiète pas sur ses terres. La série (diffusée en France sur Netflix) est l’une des plus regardées aux États-Unis ces dernières années. Longtemps passée inaperçue en France, elle cartonne depuis quelques mois. Records d’audience donc, mais aussi polémiques à répétition à cause de son idéologie… un tantinet « conservatrice ». Alors que le cinéma américain continue de régulièrement nous abreuver de sa bien-pensance, la réhabilitation de la figure virile du cow-boy, dans la droite ligne de John Wayne dans La Prisonnière du désert, est assez courageuse. Même si elle est depuis défendue par une bonne partie de l’électorat de Donald Trump. Fans de Sandrine Rousseau s’abstenir !

Olivier

Nous avons planté un olivier devant l’hôtel de ville de Béziers. Mais pas n’importe lequel. Le nôtre vient d’une oliveraie abandonnée du sud de l’Espagne et a… deux mille ans ! Un contemporain du Christ. Il a été béni par l’archiprêtre de Béziers le lundi de Pâques. Alors que nous avions appris la mort du pape deux heures plus tôt. Tout un symbole. L’olivier, signe de paix et de réconciliation. De sagesse et d’éternité également. « L’olivier de Pâques », comme l’ont rapidement surnommé les Biterrois, a trouvé sa place dans notre vieille cité. Dernière satisfaction, il avait un temps failli partir pour… Dubaï !

La boîte du bouquiniste

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Couverture du livre "Voyage au pays des snobs" D.R.

«Paris est la seule ville du monde où coule un fleuve encadré par deux rangées de livres», dixit Blaise Cendrars. Causeur peut y dénicher quelques pépites…


Clément Vautel © D.R.

Certains le sont naturellement, d’autres se donnent du mal pour l’être et il en est qui, malgré leurs efforts, ne le seront jamais. N’est pas snob qui veut. Peut-être faudrait-il conjuguer ces verbes au passé tant le XXIe siècle semble avoir eu raison de ce trait de caractère, de cette posture intellectuelle qui a fait partie du paysage culturel et social depuis le milieu du xixe siècle – mais il y a des résistants. Les jeunes lecteurs de Causeur apprécieront donc d’apprendre qu’un snob est une « personne qui admire et qui imite sans discernement les manières, les goûts, les modes en usage dans les milieux dits distingués ». Pour illustrer sa définition, le Petit Robert cite Valéry : « Le vrai “snob” est celui qui craint d’avouer qu’il s’ennuie quand il s’ennuie ; et qu’il s’amuse quand il s’amuse. » Allez expliquer ces subtilités dans un monde où l’on ne roule plus qu’en bulldozer…

Clément Vautel (1876-1954) sait de quoi il parle ; en 1928, il vit en plein dedans. Ce littérateur graphomane, journaliste, romancier, dramaturge – auteur de dizaines d’ouvrages et de quelque 30 000 articles – ferraille quotidiennement avec les snobs qui peuplent le monde et le demi-monde dit culturel. Voyage au pays des snobs est un règlement de comptes, un texte qui dézingue à tout va, avec cette légèreté française qui, sur un ton badin, un humour parfois potache, porte le fer dans la plaie, cloue sa proie à sa place. Vautel se pose en homme libre. « Je préfère vivre en dehors de toutes ces combinaisons, équipes, cabales, chapelles et organisations où il faut suivre les consignes, admirer ou éreinter, aimer ou haïr par esprit de secte, voire par ordre supérieur. Je choisis mes idoles ou mes fétiches moi-même au bazar du coin ; j’en change quand cela me plaît et je regarde avec le sourire passer les processions de dévots, parmi lesquels ne manquent d’ailleurs pas les Tartuffes. »

À lire aussi, Jonathan Siksou : La boîte du bouquiniste Sacha Guitry intime (souvenirs de sa secrétaire)

Dans son viseur défilent les femmes auteurs de « romans féminins qui pourraient être tous intitulés Moi et Moi » ; les écrivains qui ne jurent que par Gide ou Stendhal ; les collectionneurs d’art africain ; la Comédie-Française, cette « administration où la faveur et l’ancienneté l’emportent sur les droits que devraient conférer le talent et la jeunesse » ; les poètes de coin de table portés aux nues par la presse ; et, bien sûr, les critiques. Ainsi découpe-t-il le public un soir de générale : « Critiques influents : 6. Critiques sans influence : 34. Critiques sans journaux : 40. » Dans la même salle se trouvent des « auteurs joués : 12. Auteurs non joués : 150. Acteurs : 20. Actrices : 40. Fausses actrices : 210. » Jusqu’aux « homosexuels amateurs ou professionnels : 33. Boxeurs : 12. Sud-Américains : 31. » La liste s’étale sur deux pages.

Voyage au pays des snobs commence par une nouvelle – l’histoire d’un brave bourgeois qui prend des cours bidon pour tenter de devenir une figure prisée de la vie parisienne – et se poursuit avec une série de portraits et de situations cocasses. Il y est notamment question de postérité littéraire et Vautel s’insurge contre ceux qui désignent ce qui est ou non un chef-d’œuvre immortel. « En 2028, il suffira sans doute d’un rayon pour loger les “rescapés” provisoires de notre déluge de papier imprimé. Qui pourrait les désigner dès aujourd’hui ? » En 2028, un rayon sera peut-être même trop vaste.

Clément Vautel, Voyage au pays des snobs, Montaigne, 1928, 296 pages.

Voyage Au Pays Des Snobs

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La réderie du marquis

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© D.R.

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Je te préviens tout de suite, lectrice adorée : il y aura deux « d’abord » dans cette chronique. Je sais, ce n’est ni élégant, ni correct mais bon… On ne peut pas toujours être parfait. (Parfois, ça me fatigue.) D’abord, oui, disais-je ; commençons par un rectificatif, une précision plutôt relative à mon dernier prône dominical. Dans celui-ci, j’indiquais que le peintre Marc Deudon allait exposer une cinquantaine de toiles dans les locaux de la Société d’Horticulture d’Amiens, 58/60, rue Le Nôtre, à Amiens, les 7, 8 et 9 juin ; j’indiquais aussi que le vernissage de l’événement était prévu le vendredi 6 juin, de 18 heures à 21 heures. Or, la formulation employée pouvait laisser entendre que le vernissage était ouvert à tous ; il n’en est rien. Il faudra disposer d’une invitation pour accéder au champagne, aux petits fours et autres délicieux plaisirs. Dont acte.

À lire aussi : Fame, je vous aime !

Second « d’abord » ; je voudrais vous entretenir, dans la présente chronique, du fait que j’ai moi aussi, exposé, dimanche dernier, à la réderie du faubourg de Hem, mon quartier à Amiens. « D’abord… », me diras-tu, lectrice de Perpignan, de Montauban (on ne devrait jamais quitter Montauban), de Viry-Noureuil (dans l’Aisne, où mes parents se sont mariés en sortir de la Deuxième guerre, les Fritz venaient de partir, etc., etc.), « … marquis (N.D.A. : c’est ainsi que me surnomment les lectrices et lecteurs de mon prône), qu’est-ce qu’une réderie ? » Sache, lectrice maintenant édifiée, qu’il s’agit, en langue picarde, d’une brocante, un marché aux puces, un vide-grenier. (Le terme est surtout utilisé dans la Somme.) À mon grand désespoir, je me suis donc levé à cinq heures du matin, moi qui répugne à me lever tôt, et voue une sainte horreur à l’aube et tout le toutim. (« Un matin, ça ne sert à rien… », chantait, je crois, Jean-Jacques Goldman. Comme il a raison.) Mon amour, ma Sauvageonne, elle, m’a battu ; elle est sortie du lit à 4h45. (Mais elle n’a aucun mérite ; fille de gendarme et petite-fille de commandant de gendarmerie, elle est pimpante dès les premières heures du jour, comme si le clairon militaire venait de sonner.) Ainsi, dès 7 heures, nous étions à notre stand à attendre le client.

De chaque côté, nos charmants voisins : à droite, Béa et Tio Guy ; à gauche, Aurore et Stéphane. La sauvageonne proposait des vêtements et des tableaux-cadeaux, hymnes aux prénoms, qu’elle réalise (en plus de ses belles toiles) au fil des années ; moi, des livres, des vêtements et quelques menus objets parfois encombrants. Vers midi, une petite faim s’est pointée ; j’ai couru au kébab situé à l’angle de la rue Robert-Lecoq et de l’avenue Louis-Blanc, établissement récent que je ne connaissais point. J’ai commandé des sandwiches américains, merguez, sauce samouraï. Il y avait la queue. (L’homme des réderies, c’est connu, a un bon coup de fourchette !) Beaucoup de monde, trop de monde ? Peut-être. Le personnel semblait très occupé. Revenu à notre stand, nous nous sommes rendu compte que nos dits-sandwiches possédaient le pain, les frites et la sauce mais pas les merguez. J’y suis retourné ; j’ai expliqué mon cas. La dame, très sympathique, n’a fait aucune difficulté pour me refaire nos américains, cette fois lestés des très attendues merguez. Le temps était splendide ; j’ai discuté avec de nombreux lecteurs-acheteurs de ma connaissance. J’ai eu le plaisir de donner un essai sur la franc-maçonnerie à un monsieur qui ne savait ni lire, ni écrire, mais qui pouvait épeler. J’ai même sorti une bouteille d’un rosé gris, frais et délicieux qui nous régala. Tio Guy m’offrit une bière. La journée fila comme le collant couleur chair d’une dame mûre non épilée. Vers la fin, de gros nuages couleur perle firent leur apparition ; ils eurent l’élégance de ne point éclater afin de ne pas gâcher la jolie réderie du marquis. Que demander de plus ?

Pierre Michon en immersion dans la Grèce antique

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Pierre Michon © Jean-Luc Bertini

Avec J’écris l’Iliade, véritable tour de force littéraire, Pierre Michon revient sur ses convictions profondes en matière de religion et de littérature.


Dans la littérature française actuelle, Pierre Michon (né en 1945) jouit incontestablement d’une certaine notoriété. Très lue par les universitaires, son œuvre est appréciée aussi du public cultivé. Des livres distillés autrefois au compte-gouttes, une exigence littéraire appuyée, mais de bon aloi, des apparitions rarissimes dans les médias, Pierre Michon porte l’étendard du grand style des époques révolues. Ses références vont, entre autres, de Flaubert à Faulkner, en passant par Rimbaud ou Artaud jusqu’à Joyce. Avec de tels noms mis en avant, il est difficile de se tromper. D’autant que Pierre Michon a l’intelligence de traiter, dans ses romans, de ce qu’il appelle « les vies minuscules ». Il faut entendre par là le destin souvent obscur, mais authentique, des petites gens, dont lui-même assure faire partie. Pierre Michon, grâce à son lyrisme naturel, redonne une vraie place à ceux qui étaient cantonnés dans les marges de la société.

Souvenirs personnels et mythologie

Avec J’écris l’Iliade, récit paru il y a peu, Michon tente de se focaliser plus particulièrement sur lui-même. Il met ici en avant sa fascination pour la Grèce antique et son paganisme virevoltant auquel il adhère en partie. Le livre est composé de souvenirs personnels de Michon, entrecoupés de textes « à la manière de », qui décrivent des scènes de mythologie grecque. Ainsi, Michon se réinvente sous le signe d’Homère, ou peut-être d’Hésiode, le poète des Travaux et les Jours. Disons que cette « ambiance » grecque est parfaitement réussie, même si la prose de Michon y perd en précision, par excès d’abstraction.

Un homme grec

Le tour de force de Michon est d’avoir, dans les chapitres autobiographiques, réussi à développer un univers conforme à cet homme grec qu’il voudrait incarner. D’abord, dans la manière dont il se décrit lui-même, comme une sorte de satyre pris de boisson et obsédé par le sexe. Sous la lumière du Sud, Michon peine à exorciser ses mauvais démons. En ce sens, J’écris l’Iliade est un document précieux pour mieux cerner la personnalité complexe de l’écrivain. Je parlais de satyre, il n’emploie pas le mot, mais le revendiquerait certainement ; on pourrait évoquer aussi les compagnons de Dionysos, les fameux silènes, ces petits bonshommes très laids, affairés aux voluptés. Dans Le Banquet de Platon, n’est-ce pas Socrate qui est comparé, par Alcibiade, d’abord à un silène, puis ensuite à un satyre ? Nous lisons, dans la traduction de Philippe Jaccottet : « je déclare, dit Alcibiade parlant de Socrate, qu’il ressemble comme un frère à ces silènes exposés dans les ateliers des sculpteurs… » ; il ressemble aussi, ajoute Alcibiade, au « satyre Marsyas ». Faisant ensuite allusion au talent de Socrate pour captiver son auditoire, Alcibiade précise : « si c’est toi qui parles […] nous voilà tous […] étonnés et ensorcelés ». Bref, il me semble que tous ces termes employés par Alcibiade pourraient caractériser à son tour Pierre Michon, satyre et silène qui séduit, comme Socrate, par son art de la parole.

À lire aussi, Pierre des Esseintes : « Pour les Grecs, homosexualité et virilité allaient de pair »

La littérature comme passion

L’un des grands mérites de ce livre de Michon est qu’il nous permet de comprendre les effets de la littérature sur l’être humain, lorsqu’elle devient une passion. Grâce à quoi, la vie en est transformée au plus profond, et pour le meilleur. C’est en tout cas le bilan qu’en dresse avec fougue Michon.

Dans le texte intitulé « J’invente un dieu », Michon se livre ainsi : « Depuis des années le goût de noircir du papier m’avait abandonné. Fini, le temps où je faisais des surenchères d’arabesques autour d’un mot. Je n’écrivais pas et je n’écrirais plus. J’avais plus de soixante ans, il était grand temps que je fasse quelque chose de ma vie : la rencontre d’un dieu me parut un bon plan. » On appréciera l’humour de ce passage, qui en gomme l’amertume. Avec la conclusion suivante, plus sereine : « L’art d’écrire, de faire de chaque mot un nom propre ou un totem, voilà la route où s’avançait le dieu. » Ce qui donne, pour résumer : « J’étais de nouveau littérateur. »

Un écrivain pour écrivains

Il ne faut donc pas s’étonner si Pierre Michon est d’abord un écrivain pour écrivains, comme on dit. Si la forme de J’écris l’Iliade peut étonner, comme je l’ai remarqué, en revanche les questions de fond qui se posent à sa lecture sont essentielles. Celles-ci, par exemple : faut-il encore écrire comme Flaubert ? Qu’est-ce que la littérature aujourd’hui ? Qu’est-ce qu’écrire ? Ou encore : qu’est-ce qu’une vie bonne ? Michon constate, à un moment : « Je n’avais plus personne à qui faire croire que la littérature peut servir à quoi que ce soit. » Et pourtant, malgré tout, il continue cette lutte absurde, ou plutôt qui paraît absurde.

Dans J’écris l’Iliade, il y a donc une dimension morale. À plusieurs reprises, Michon précise, oubliant son polythéisme, qu’il est chrétien. Il raconte en détail ses visites, en Grèce, dans quelques-uns des hauts lieux de l’orthodoxie, et sa déception à la suite d’un mauvais accueil. J’écris l’Iliade est aussi, bien sûr, un dialogue avec Dieu, à base d’incommunicabilité et d’errements, mais avec une sorte de foi sincère. Et le moment vient, finalement, où l’on sent que l’enjeu littéraire rejoint pleinement l’enjeu spirituel.


Pierre Michon, J’écris l’Iliade. Éd. Gallimard, 271 pages.

Platon, Le Banquet. Traduction de Philippe Jaccottet. Éd. « Le Livre de Poche », 114 pages.

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Féminisme sidéral

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© Blue Origin/ZUMA Press Wire/SIPA

Présenté comme une célébration de l’émancipation féminine, le fameux vol spatial 100% féminin de Blue Origin s’est révélé un concentré de stéréotypes, une mise en scène ridicule en plus d’un spectacle mondain glamour.


C’était présenté comme le summum de l’autonomisation des femmes, « female empowerment ». Le 14 avril, une fusée de Blue Origin, l’entreprise aérospatiale fondée par le patron d’Amazon, Jeff Bezos, a emporté dans l’espace six femmes, dont la fiancée de Bezos, Lauren Sánchez, qui se décrit comme journaliste et philanthrope, ainsi que la pop star Katy Perry, une animatrice télé, une productrice de cinéma, une militante des droits de victimes de viol et chercheuse en bioastronautique, et une ancienne ingénieure en aéronautique de la Nasa.

Les six ont été qualifiées par les médias d’« équipage » (crew) et même de « premier équipage exclusivement féminin ». Pourtant, le vol – qui a duré moins de onze minutes et frôlé à peine l’espace extérieur – a été dirigé depuis la Terre. Les passagères n’étaient pas plus un équipage que des enfants sur un manège forain.

Certains ont cité le précédent de la cosmonaute russe, Valentina Terechkova, qui a fait un vol spatial en solo en 1963, mais elle était un vrai pilote. Le voyage des six, censé encourager « la prochaine génération d’exploratrices », a surtout charrié des stéréotypes féminins les plus « girlie ». Dans un entretien préalable avec Elle, les « astronautes » ont souligné la nécessité d’être chic ou « glam » (de glamour) dans l’espace. Elles ont porté des combinaisons identiques à pattes d’éph dessinées par Sánchez et la marque Monse. La seule ingénieure, voulant être sûre que sa coiffure résisterait au décollage, a testé le même style au cours d’une séance de parachutisme à Dubaï. La chercheuse en bioastronautique, insistant sur l’absence d’opposition entre science et mode, a déclaré qu’elle porterait du rouge à lèvres. Seule concession à l’esprit scientifique, elle aurait conduit une petite expérience dans l’apesanteur en vue du développement de tampons adaptés à l’espace. Le média interne de Blue Origin a déclaré qu’un vol spatial de femmes serait surtout une affaire d’« émotions ». Après le vol, en descendant de la capsule, Perry brandit une pâquerette, tombe à genou, baise la terre et se déclare « super-connectée à l’amour » avant d’évoquer « le divin féminin ».

L’événement, qui a surtout ressemblé à un enterrement de vie de jeune fille, prouve que le vide n’existe pas que dans l’espace.

Léon Bloy: Clotilde ou la grâce dans la tourmente

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Léon Bloy, Autoportrait (détail), 1863. DR.

Il y a des bons livres qu’on ne peut s’empêcher de lire d’une traite, et d’autres, encore meilleurs, avec lesquels notre relation s’avère plus complexe : d’un côté, l’on voudrait leur consacrer chaque jour et chaque nuit, on ne peut s’en détacher, on voudrait tout lâcher pour les rejoindre ; de l’autre côté, il serait dommage de presser les choses, de consumer cette passion sans la déguster, et de regretter de n’avoir pas pris le temps. Comme avec une femme.

Un romancier tendre

En parlant de femmes, Léon Bloy nous a laissé un chef-d’œuvre absolu, La femme pauvre (1897), qui n’a pourtant jamais atteint la renommée au sein des lettres françaises qui lui est due. Auteur de seulement deux romans (celui-là et Le désespéré), on connaît surtout le Bloy essayiste, polémique, provocateur, celui qui fusillait avec une violence rare la spiritualité défaillante de son époque, la médiocrité de ses contemporains, et l’effacement de l’histoire française incarné par la République, le tout porté par un catholicisme virulent. D’où son exclusion du panthéon littéraire, sans doute. Mais l’on se priverait d’un monde de génie en laissant l’intransigeance de ses pamphlets éclipser la tendresse de ses romans.

A lire aussi: Joseph Macé-Scaron: terreur dans le terroir

Dans La femme pauvre, nous suivons Clotilde, une Parisienne noyée dans l’extrême misère. Manipulée par son beau-père pour ramener de l’argent au ménage, celui-ci l’emmène dans l’atelier d’un peintre afin de monnayer son portrait. Or, l’artiste, subjugué par son innocence, par son élégance, et par son air d’ange, voire de sainte, prendra Clotilde sous son aile et fera tout pour la sortir de sa condition. Hélas, le malheur, la déchéance et les imprévus ne cesseront jamais de la guetter, année après année. Plusieurs personnages lui viendront en aide par la suite, matériellement ou spirituellement, chacun frappé par son aura céleste. Mais seuls sa grâce sublime et son sentiment religieux lui permettront d’endurer toute souffrance.

Il est difficile, et à vrai dire, vain, de résumer davantage l’intrigue de La femme pauvre, car c’est le style, la réflexion, l’univers, et les thèmes qui prennent le dessus.

Courant décadentiste

Le style, d’abord : dense, subtile, exigeant, certains diront lourd et décadent. Certes. C’est le fait de l’époque et du courant décadentiste. Mais ceux fuyant l’exigence sont condamnés à rester en-deçà de la grandeur. Le récit est riche en références religieuses, tours de force stylistiques et tournures originales ; procédé bloyen par excellence. En effet, ce « pèlerin de l’absolu » s’acharne à tordre, nouer, écraser et mâcher la langue française pour lui arracher ses plus surprenantes facettes.  

L’intensité du sentiment, ensuite. Ce livre alterne entre noirceur, misère, cruauté, chagrin, désespoir ; et douceur, tendresse, légèreté, ferveur, extase, et ascensions célestes. Aucune émotion n’est exprimée à moitié. C’est l’âme torturée de Bloy qui pousse chaque ressenti à son paroxysme.

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Les digressions, les dialogues, les monologues expriment, avec humour ou gravité, les opinions de l’auteur. Pour n’en citer qu’une poignée : la bassesse du bourgeois consumériste et athée, l’idée que le bonheur d’une personne se paie par le malheur de mille autres, le Moyen Âge en tant que summum de la civilisation où le monde n’était qu’une immense église, ainsi que le salut par la pauvreté, un dépouillement total nous élevant vers la sainteté.

Bien entendu, La femme pauvre comporte certaines failles. L’utilisation de mots non-usuels, excessive aux premiers chapitres, peut effrayer le lecteur, et ajoutent peu de valeur au récit. À mi-chemin, le livre se fait roman à clef où dialoguent, sous couvert de pseudonymes, des amis et confrères de Bloy (Huysmans, Villiers de L’Isle Adam…), ce qui, en plus de s’éterniser, présente moins d’intérêt aujourd’hui qu’à l’époque de sa parution, et n’avance guère l’intrigue.

En fin de compte, ce livre est une perle rare et baroque. Un OVNI littéraire, inclassable parmi les inclassables. Regorgeant d’une force inouïe, il est aussi si humain, si personnel. L’âme de Bloy transparaît à chaque page dans toute sa splendeur, son chaos et sa quête de sainteté. Oui, c’est un livre qui vous touche à jamais, dont le souvenir vous suit toujours. Encore une fois, comme une femme.

La Femme Pauvre 368 pages

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Tant qu’il y aura des films

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Libertate » de Tudor Giurgiu © Cinéma Comoedia

Un film politique décapant, deux Cocteau réussis et une comédie française: en mai aussi, le cinéma fait ce qui lui plaît !


Au fond de la piscine

Libertate, de Tudor Giurgiu
Sortie le 21 mai

Décembre 1989. La révolution roumaine a débuté et la ville de Sibiu, en Transylvanie, est le théâtre de terribles affrontements. Les policiers et miliciens fidèles à Ceausescu sont arrêtés et rassemblés dans le bassin vide d’une piscine communale désaffectée. Mais comment savoir qui est qui dans un tel chaos ? Tel est le point de départ du film du cinéaste roumain Tudor Giurgiu, explicitement titré Libertate. S’il s’agit bel et bien d’une œuvre de fiction au casting d’ailleurs impeccable, elle s’inspire ouvertement de faits réels durant lesquels 552 hommes ont été pris au piège d’une situation politique en pleine ébullition. Nicu, le propre fils de Ceausescu, occupe alors les fonctions de premier secrétaire du parti du dictateur au pouvoir. C’est lui qui demande que les unités militaires se mobilisent et se préparent au combat. C’est lui encore qui commande à la milice locale d’intervenir et de disperser les manifestants massés sur la place de la République de la ville de Sibiu. Le bilan de cet épisode tragique est de 99 morts et 272 blessés.

Réalisé avec un budget plus que limité, le film a été écrit en étroite collaboration avec des historiens et des sociologues pour garantir la vraisemblance du propos. Les acteurs ont quant à eux pu rencontrer certains protagonistes de cette incroyable histoire. Le cinéaste ne cache pas son implication profonde, lui qui avait 18 ans au moment des faits : « La vérité a été volontairement déguisée, explique-t-il, et le blanchiment des faits a été cultivé pour devenir un art en soi. » Et d’ajouter à ce tableau : « Ma génération a grandi avec cette psychose des terroristes : c’étaient supposément des Arabes, puis des espions russes, puis des officiers de la Securitate, et ainsi de suite. » Comme le montre le film, la radio et la télévision ont joué un rôle central dans cette désinformation attribuant à de prétendus « terroristes » de nombreux morts innocents. Inventée de toutes pièces, cette cinquième colonne a justifié le recours à l’armée et la répression des manifestations. La grande force du film est de s’emparer de cette matière historique désormais incontestable pour en montrer les arcanes et les rebondissements successifs. Chaque protagoniste incarne une facette de cette diversité de situations : on passe de l’ombre à la lumière en un instant, la victime devient bourreau, l’innocent coupable et inversement. À l’instar du personnage de Viorel, un officier de la Militia (les forces de police de la Roumanie communiste) qui n’est en rien impliqué dans la répression violente des manifestations de rue, mais qui se trouve pris dans ce maelström. En proie au doute, il découvre finalement n’être qu’un pion manipulé.

Pour rendre cette atmosphère si particulière, Tudor Giurgiu a fait le choix intelligent de la caméra à l’épaule et du style direct. Il filme presque un « vrai-faux » documentaire et ses images prennent la couleur de l’immédiateté et du réalisme. On se sent au plus près de ces hommes parqués au fond du bassin, coincés comme des rats de laboratoire. À cette approche documentaire revendiquée, le cinéaste ajoute fort brillamment une part de romanesque. Dans cette piscine en forme de prison à ciel ouvert, chacun joue son destin et parfois même sa vie. Ainsi suit-on les interrogations permanentes des uns et des autres, l’incertitude qui les ronge. Le film joue sur ce suspense qui apporte une incroyable efficacité narrative. Ce qui pourrait n’être que le récit d’un fait historique devient une histoire policière à tous les sens du terme.


Au fond du miroir

Le Sang d’un poète et L’Aigle à deux têtes, de Jean Cocteau
Sortie le 21 mai

Studio Canal

On se réjouit de la ressortie en salles et en copies (bien) restaurées de deux films réalisés par Jean Cocteau : Le Sang d’un poète (1932) et L’Aigle à deux têtes (1948). Certes, l’écrivain-cinéaste ne saurait rivaliser avec les grands auteurs de cet âge d’or du cinéma français, mais ces deux œuvres méritent d’être redécouvertes. Premier film de Cocteau, Le Sang d’un poète prend la forme d’un rêve que son auteur ne voulait pas « surréaliste », contrairement à son grand rival de l’époque, Buñuel et son Âge d’or. Des images restent cependant gravées à jamais, telle la plongée dans un miroir… et c’est bien l’objet de ce film. Quant à L’Aigle à deux têtes, il est l’adaptation par lui-même de sa propre pièce, d’après le destin de Louis II de Bavière, le « roi fou ». Cocteau explore les circonstances mystérieuses de la mort non élucidée du monarque. Pour Edwige Feuillère comme pour Jean Marais, il s’agit de deux rôles clés dans leurs carrières respectives.


Au fond du tiroir

Les Règles de l’art, de Dominique Baumard
Sortie le 30 avril

Quel dommage ! Voilà ce que l’on ne peut s’empêcher de s’écrier en sortant de la projection des Règles de l’art, cette comédie française de braquage et d’escroquerie platement écrite et réalisée par Dominique Baumard, avec Melvil Poupaud dans le rôle principal. Dommage vraiment d’avoir ainsi massacré l’histoire vraie d’un spectaculaire vol de tableaux de maître au musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Il aurait fallu l’allant d’un Rappeneau, d’un Deville ou d’un Broca pour camper ce trio de pieds nickelés géniaux. Or, l’histoire ne décolle jamais, même au moment du vol en pleine nuit, alors que le système d’alarme est défaillant. L’art difficile de la comédie exige que tout soit crédible, même le plus roublard ou le plus imbécile des escrocs. Ce n’est qu’à cette condition qu’on se laisse embarquer avec le plus grand plaisir. Ici rien de tel, sinon un beau gâchis qui ne fait même pas rire ou sourire.

Devant l’ambassade d’Algérie, le soutien à Boualem Sansal se fait entendre

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© Arnaud Vrillon

Les courbettes du quai d’Orsay et les numéros de charme de l’Élysée n’ont hélas rien pu y faire : six mois après son arrestation à Alger pour délit d’opinion, notre ami et concitoyen Boualem Sansal est toujours détenu par le régime despotique d’Abdelmadjid Tebboune. Ce vendredi, le comité de soutien de l’écrivain est allé dire sa colère et son soutien sous les fenêtres de l’ambassade d’Algérie à Paris.


Triste anniversaire ! Ce vendredi 16 mai marque les six mois d’incarcération en Algérie de Boualem Sansal. À cette occasion symbolique, plusieurs amis de l’écrivain se sont rassemblés, devant l’ambassade d’Algérie à Paris pour exiger sa libération immédiate, alors qu’il vient d’être condamné à cinq ans de prison au terme d’un procès fantoche.

Plaidoyer vibrant de Jean-Michel Blanquer

De nombreuses personnalités ont pris la parole : Jean-Michel Blanquer, Pascal Bruckner, Alexandre Jardin, Noëlle Lenoir, Shannon Seban (présidente de Renaissance en Seine-Saint-Denis, Eve Szeftel (directrice de la rédaction de Marianne) et Jean-Marie Laclavetine, l’éditeur de Boualem Sansal chez Gallimard. Tous sont venus à l’appel d’Arnaud Benedetti, directeur de la Revue politique et parlementaire et président du comité de soutien à Sansal. Signalons aussi la présence remarquée dans le public de Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France à Alger.

Parmi les discours, celui de Jean-Michel Blanquer a résonné comme un plaidoyer vibrant pour la liberté d’expression. « Cette affaire n’est pas simplement une affaire franco-algérienne, a-t-il affirmé. C’est une affaire universelle, car on parle d’un homme de 80 ans, malade, emprisonné arbitrairement pour ses idées, pour ce qu’il a écrit, alors qu’il n’a fait de mal à personne. Il n’a commis aucun délit caractérisable dans un pays démocratique. »

A ne pas manquer, Arnaud Benedetti: Sansal: le martyre doit cesser

Pour l’ancien ministre de l’Éducation, l’enjeu dépasse le sort individuel de Boualem Sansal : « C’est un combat entre une démocratie et un autoritarisme. Nous aimons les Algériens, et c’est précisément parce que nous les aimons que nous soutenons les Algériens libres — c’est-à-dire Boualem Sansal. »

Emprisonné pour des idées

Pascal Bruckner a eu quant à lui des paroles plus tranchantes : « Le pouvoir algérien, en tout cas, nous déteste. Mais il ne peut pas vivre sans nous. Il adore nous détester. » S’en prenant directement au président de la République, il a lancé : « Qu’est-ce qui empêche Emmanuel Macron de faire enfin le geste nécessaire pour obtenir la libération de Boualem Sansal ? Le sort de ce dissident algérien est entre les mains de notre gouvernement. »

Une interpellation reprise par l’écrivain Alexandre Jardin : « Il faut que tous nos citoyens sachent que s’ils sont emprisonnés pour leurs opinions dans le monde, leur État va les défendre. Il faut qu’on sache qu’on a un président qui est vraiment derrière. Donc on lance un appel à cet homme qui est le président de la République : garantissez la sécurité de chacun des Français emprisonnés pour leur opinion ! »

Même Shannon Seban, pourtant membre de la majorité présidentielle, a exhorté à un changement de ton : « Il faut durcir le ton face à ce régime algérien qui n’a de cesse de nous défier chaque jour. Je suis déterminée, totalement, à faire bouger les choses. »

À défaut d’avoir fait trembler le régime algérien, ce rassemblement aura réveillé quelques consciences, espérons que celle du président de la République en fasse partie…

Jean Raspail, la pythie de Patagonie

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L'écrivain français Jean Raspail (1925-2020). DR.

Une biographie consacrée à l’auteur honni de toute la gauche immigrationniste est publiée.


Pour célébrer le centenaire de la naissance de Jean Raspail, autoproclamé consul général de Patagonie, les éditions Albin Michel publient sa première biographie signée Philippe Hemsen, préfacée par Erik Orsenna. Avec Jean Raspail, Aventurier de l’ailleurs, Philippe Hemsen, professeur de lettres et auteur de Stephen King, Hantise de l’écrivain, nous propose de dépasser l’image de l’écrivain catholique et monarchiste, qui publia un roman controversé, Le Camp des saints, en 1973, lequel fit de Raspail un écrivain d’extrême-droite, infréquentable pour le camp du Bien. Au-delà de l’étiquette, Philippe Hemsen nous permet de découvrir un homme plus complexe, né le 5 juillet 1925, à Chemillé-sur-Dême en Indre-et-Loire, dans une famille bourgeoise où les traditions sont respectées à la lettre. Le début de la biographie peut paraître balzacien dans les descriptions de l’enfance villageoise de son sujet, mais très vite on est happé par l’adolescent, mauvais élève, qui fuit la réalité grise de la vie en poursuivant des rêves de voyages et d’aventures intrépides. Le garçon est secret et son caractère affirmé. Sa différence d’âge avec son frère et sa sœur en fait un enfant unique dont le signe astrologique, le Cancer, l’attire vers l’eau. La guerre le retient au port, mais dès 1949, il prend le large. Dans L’île bleue, roman publié en 1990, il écrit : « À considérer les cheminements intérieurs de la vie, c’est là que je suis né, à l’âge de vingt-trois ans et neuf mois, par un matin glacial de printemps de l’année 1949. » La fuite, le refuge sur une île, la création d’un monde imaginaire grâce à l’écriture, voilà résumé les clés pour comprendre la psychologie et les choix de Jean Raspail. Cela me rappelle un échange avec Michel Déon, ami de Raspail, qui m’avait dit en substance que l’île symbolise l’aristocratie de l’esprit, de plus en plus menacée sur les continents. La soif de l’ailleurs permet à Raspail de devenir, avant l’heure, un écrivain-voyageur enchaînant les exploits, en Terre de feu, aux Antilles, en Argentine, en Patagonie, au Pérou, au bord du lac Titicaca, au Japon, en Alaska… À l’instar de Paul Morand, ses échappées spectaculaires, et parfois dangereuses, nourrissent ses romans, reportages, articles. Au fur et à mesure, le gaillard aux yeux bleus, aux sourcils broussailleux et à la moustache d’un hussard, épure son style et, malgré l’obsession du détail, rend plus fluides ses écrits.

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Raspail finit par se lancer dans l’autobiographie, tout en restant au seuil de la porte, en publiant, ce que je considère être son meilleur livre, Moi, Antoine de Tournens, roi de Patagonie – grand prix du roman de l’Académie française en 1981. C’est avec ce livre qu’il s’autoproclame consul de Patagonie. La légende est en marche. L’homme devient une sorte de père tutélaire. Mais il écrit Le Camp des saints, une dystopie comme on dit aujourd’hui, et les ennuis commencent. Il s’agit d’un roman apocalyptique dans la France de 2050, confrontée à l’arrivée massive de migrants sur ses côtes méditerranéennes. Le livre connait un franc succès. La polémique enfle. On va jusqu’à accuser Raspail de racisme. Philippe Hemsen raconte avec précision l’engrenage dans lequel l’écrivain est pris. L’homme écrit également des articles dans le Figaro, très à droite. Il prend la défense des scouts et guides de France dont les effectifs ne cessent de chuter. Il se rapproche de penseurs comme Alain de Benoist. Bref, il incarne la figure du traditionaliste dans une France qui se livre à Giscard et au nihilisme financier. Le Camp des saints est réédité en 2011. C’est l’occasion pour son auteur d’en rajouter une couche en écrivant une préface incendiaire, intitulée « Big Other » – allusion à Orwell. Les dévots s’enflamment. Vite, comme pour Jeanne d’Arc, brûlons l’infâme. Daniel Schneidermann signe une violente tribune contre l’écrivain avec en titre : « Appeler racistes les racistes. » Le livre devient culte. Raspail ne tremble pas. Avec sa cravate décorée de fleurs de lys, il continue à écrire, loupant de peu son entrée à l’Académie française, en 2000.

Philippe Hemsen © Patrick Morin

À propos du texte « Big Other », Philippe Hemsen rappelle que deux conceptions de la civilisation s’affrontent : celle « fondée sur la mémoire, les racines culturelles et religieuses, la conscience de moi et de l’autre, la conscience d’appartenir à un héritage, d’en être un maillon, et d’avoir à transmettre cet héritage aux générations à venir (…) ; l’autre fondée sur une idée de la vie, du monde, dépourvue de tout réel sentiment d’appartenance culturelle, sinon sous forme de ‘’loisirs’’, dans le cadre d’un environnement dit ‘’multiculturel’’, ‘’multiethnique’’, où les différences s’estompent pour aboutir à un melting-pot uniforme, universel (…) » L’auteur cite alors le concept de la « société liquide » développé par Zygmunt Bauman.

Déboussolé par le très sérieux problème cardiaque d’Aliette, son épouse depuis presque soixante-dix ans, survenu en 2019, Jean Raspail meurt le samedi 13 juin 2020. Ses funérailles se déroulent quatre jours plus tard, en l’église Saint-Roch, avec messe en latin, accompagnée de chants grégoriens, selon le rite tridentin.


Philippe Hemsen, Jean Raspail, Aventurier de l’ailleurs, Albin Michel. 400 pages

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À noter la réédition du roman de Jean Raspail, Les royaumes de Borée, Albin Michel. 336 pages

Les Royaumes de Borée (édition 2025)

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