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L’homme qui n’avait pas de poils aux pattes


L’homme qui n’avait pas de poils aux pattes

Comment dites-vous en français ? « Cela m’a scié les jambes. » La Fédération internationale d’athlétisme vient de refuser à Oscar Pistorius de participer aux Jeux Olympiques de Pékin. Pour quelle raison ? Ce Sud-Africain blanc comme un oeuf est-il un chantre de l’apartheid ? A-t-il des positions contraires aux hautes valeurs des Jeux Olympiques, valeurs si bien incarnées par la grande République populaire de Chine ? Non, il faudrait qu’il puisse d’abord y réfléchir – c’est un sportif. Son patronyme en est-il la cause ? Même pas : il y a beaucoup plus ridicule que « Pistorius » – enfin, il faut chercher longtemps, mais ça doit se trouver. Peut-être ne supporte-t-il pas le riz cantonnais, la corbeille aux cinq bonheurs et les nems – aller au chinois tous les jours, c’est quand même l’angoisse niveau transit ? Pas davantage.

Amputé des deux jambes, il est doté de deux prothèses en fibre de carbone qui, selon les autorités sportives internationales, constituent un « avantage mécanique évident ». Sans me vanter, je trouve qu’ils ont l’évidence un peu rapide et un peu mécanique à la Fédération internationale d’athlétisme.

Vous me permettrez de ne pas me vautrer dans le politiquement correct, mais il faut bien reconnaître une chose : le sens commun a plutôt tendance à plaindre un handicapé qu’à critiquer les avantages dont il serait pourvu. On plaint un sourd de ne pas pouvoir entendre Bach ; on l’envie rarement d’échapper à la musique de Stevie Wonder, à la tristesse duquel on peut toutefois compatir de n’avoir jamais vu le piano de Ray Charles.

D’accord, Oscar Pistorius bénéficie de scandaleux avantages. Il a, d’abord, une carte officielle et dûment tamponnée de « personne en situation de handicap » (le terme handicapé est bien trop hard à nos chastes oreilles parfois mal-entendantes comme un pot) : lorsque l’athlète sud-africain veut garer sa voiture devant le Auchan de Pretoria ou le Leclerc de Johannesburg, il est sûr de trouver une place aussi facilement que les époux Mandela. De même, quand il va retirer une lettre à la poste du Cap, la préposée acariâtre le fait passer avant tout le monde. Et au bureau de la Sécurité sociale de Bloemfontein, on lui fait des ronds-de-jambe à n’en plus finir devant des files de personnes valides et injustement traitées.

Mieux encore, je suis certaine que lorsque vous vous plaignez de vos cors au pied, Oscar Pistorius rit à votre nez avec l’insolence qui caractérise tous les culs-de-jatte. L’handicapé est moqueur : on sait ça, à la Fédération internationale d’athlétisme.

Les handicapés, éclopés et gueules cassées bénéficient de tant d’avantages que cela vous inciterait à vous faire amputer de quelque chose : les jambes, les bras, la tête, alouette, enfin quelque chose d’inutile. C’est une évidence. Pourtant, ce n’était pas une raison pour que les dirigeants de la Fédération internationale d’athlétisme nous piquent une petite crise de jalousie et la règlent en se vengeant : « Quoi, Oscar, t’as perdu tes jambes ? Ça t’apprendra à ne pas ranger tes affaires. »

La décision est d’autant plus sévère et injuste que chez les organisateurs des Jeux Olympiques on n’a jamais été très regardant en matière de prothèses… Certes, j’exagère un peu : outre les roudoudous d’acier dont se plaignaient Kornelia Ender et Karen Koenig, ce n’était pas des prothèses qu’arboraient crânement les nageuses de l’ex-RDA. Leur « avantage évident », dont elle pouvait aisément se servir comme d’un gouvernail, poussait très naturellement entre leurs cuisses. A cause de l’eau chlorée des piscines.

Il ne reste plus à Oscar Pistorius qu’à s’inscrire aux Jeux Handisports. Mais qu’il soit prévenu une fois pour toutes : on lui ôtera ses prothèses en carbone pour lui visser au cul deux belles jambes de bois. En chêne, c’est plus solide. Non mais ! On ne va pas laisser un cul-de-jatte doté « d’avantages mécaniques évidents » ridiculiser nos valeureux sportifs de haut niveau qui n’ont, eux, à leur disposition que des avantages chimiques évidents.

Traduit de l’allemand par l’auteur.



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Née à Stuttgart en 1947, Trudi Kohl est traductrice, journaliste et romancière. Elle partage sa vie entre Paris et le Bade-Wurtemberg.

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