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Les culs nuls

La chronique médias de Didier Desrimais


Les culs nuls
France TV

Notre chroniqueur a regardé “Nus et culottés” sur France 2 : une émission écologique, humaniste et rédemptrice… L’émission la plus gnan-gnan et la plus nunuche financée par votre redevance, déplore-t-il.


Depuis 2012, France TV propose aux téléspectateurs une émission intitulée “Nus et culottés” – je ne l’ai personnellement appris que tout récemment, grâce à un message posté sur le compte Linkedin d’un des animateurs de ladite émission, un dénommé Guillaume Tisserand-Mouton, surnommé Mouts, nous informant que tous les épisodes sont désormais disponibles sur le site de la télévision publique. Le principe: Mouts et son complice Nans (Thomassey) partent, sans argent et à poil, d’un point A pour se rendre à un point B, avec un objectif précis et en comptant sur la générosité des gens rencontrés pour se vêtir, se nourrir, se déplacer et se loger. L’occasion de « renouer avec leur vagabond intérieur » et de faire des rencontres relevant, paraît-il, de « l’écologie humaine et relationnelle ».

Voyage voyage, dans tout le royaume…

Le média écolo Pioche ! a rencontré ce duo « incarnant une certaine idée de la décroissance et invitant à réinventer les imaginaires du voyage dans un contexte d’urgence climatique et de fractures sociales[1] ». Partout où ils se sont rendus, nos deux vagabonds ont eu la chance de tomber sur des gens qui, les voyant « arriver dans un tel état de vulnérabilité », c’est-à-dire nus et sans un sou, se sont montrés d’une extrême générosité. Par un juste retour des choses, Mouts et Nans ont gentiment psychanalysé et confessé tout ce petit monde. Certaines personnes leur ont dit des choses qu’elles n’avaient jamais dites à leur femme ou à leurs amis. L’émotion est alors souvent à son comble et les deux compères pleurent régulièrement à l’écran : « Le fait de pleurer lorsque quelque chose m’émeut me rend encore plus fort », affirme Mouts qui en profite pour rappeler une expérience stupéfiante avec Alain, une des personnes rencontrées lors de l’un de ses périples : « Cet homme-là avait vécu quelque chose d’extraordinaire à nos côtés – il s’était laissé aller à pleurer, alors que ça ne lui était pas arrivé depuis des années. » De son côté, Nans raconte une rencontre émotionnellement forte avec quatre marins-pêcheurs : « Il y a eu des confessions touchantes. Il y a eu des aveux, de la rédemption. Ils ont reconnu avoir commis des choses non pardonnables, ils se sont sentis coupables. Ils ont eu envie de se “réparer” et ils sont passés par la mer pour y arriver. » L’ambiance étant à la contrition, Mouts avoue, honteux: « Je commande encore sur Amazon. »

La dernière émission de Nus et culottés a été diffusée en première partie de soirée sur France 2 le 27 mai. Je n’ai pas eu le courage de la regarder en entier – je suis moi-même sujet à des crises lacrymales inextinguibles, lesquelles peuvent être provoquées par des événements hétéroclites : les images de notre président boxé par son épouse ; les confessions d’Édouard Philippe avouant avoir menti pendant des années ; les discours caritatifs de Sainte Juliette à Cannes ; les apparitions de François Hollande, preuve vivante de l’inefficacité de certains régimes (politiques ou alimentaires) ; celles de François Ruffin revenant sur ses blessures d’enfance, dont un baptême imposé à l’âge de six mois ; les cris de désespoir d’Aymeric Caron à propos du génocide des moustiques ; le dernier opuscule de Salomé Saqué contre l’extrême droite ; les diatribes de Sandrine Rousseau contre le barbecue, Elon Musk et l’islamophobie ; les déclarations de Marine Tondelier sur les migrants et l’amour ; etc. Dois-je préciser que les larmes que m’arrachent ces individus ne sont pas des larmes de tristesse ?

Dans le genre neuneu désopilant, le dernier long message du dénommé Mouts sur les réseaux sociaux se pose un peu là : « Ce matin, dans le métro, j’ai rembarré un pickpocket. Il glissait sa main dans le sac d’une dame. Ma colère est montée, vive, presque douce. “Tu fais quoi, mec ?” Et je l’ai sommé de quitter la rame. Mon métier, avec “Nus et culottés”, c’est de croire en l’humain. De faire confiance à des inconnus. D’oser se jeter dans la vie, sans filet, avec le cœur ouvert. Et je continue de le faire. Je rechoisis la confiance. Encore. Même si la malveillance, le vol, la violence existent. Même si moi non plus, je ne suis pas toujours impeccable. Mais quand l’un de nous s’égare, je crois qu’on a tous un rôle à jouer. Le respect mutuel, ça s’entretient. Ça se cultive. Y compris envers ceux qui l’ont perdu. Peut-être qu’à force d’être remis à sa place, ce pickpocket renoncera. Et moi, autant que possible, je continuerai de porter cette voie-là (sic) : celle de la fraîcheur, de l’innocence et de la curiosité de la rencontre. » On croit avoir atteint le sommet de la niaiserie – mais non, le vagabond boboïde en remet une couche : « Parce que peut-être, en apprenant à mieux vivre entre humains, on apprendra aussi à mieux vivre avec le reste du vivant. » Binoche, sors de ce corps !

Missions impossibles

Tout cela manque un peu de nerfs. Il serait temps, je crois, de passer à la vitesse supérieure, de se lancer un véritable défi. De se confronter à certaines réalités, en certains lieux où « l’écologie humaine et relationnelle » reste rudimentaire. Proposons à nos deux nomades médiatiques un parcours un peu plus épicé et un objectif risqué mais susceptible de démontrer définitivement les bienfaits de leur démarche écologique, humaniste et rédemptrice. Je promets une part d’audience exceptionnelle. Alors, voilà le programme : Départ, à poil, d’un des quartiers nord de Marseille – La Castellane ou Les Rosiers, au choix. S’ils franchissent cette première étape, Mouts et Nans prendront la direction des quartiers communautaires d’Avignon, de Grenoble puis de Lyon, où des rencontres généreuses et de riches échanges seront organisés avec les locaux.

Si tout va bien, nos deux compères seront ensuite attendus à Saint-Denis. Là, ils tenteront d’arracher les confidences et de remettre sur le droit chemin les virulents jeunes gens qui contrôlent la cité des Francs-Moisins. Ces derniers s’épancheront-ils, en pleurs, sur les épaules de leurs confesseurs ? Renonceront-ils à faire régner la terreur dans ce quartier où les policiers sont régulièrement agressés ? Émus par la fraîcheur de Mouts et la bienveillance de Nans, cesseront-ils leurs commerces délictueux ? La générosité l’emportera-t-elle ? Le respect mutuel triomphera-t-il ? Questions vertigineuses qui ne trouveront de réponses que si Mouts et Nans, relevant le challenge, réalisent ce nouvel (et sûrement dernier) épisode de “Nus et (vraiment) culottés”…                                  


[1] https://piochemag.fr/nus-et-culottes-ces-temps-incertains-nous-offrent-une-chance-unique-de-renouer-avec-notre-vagabond-interieur/




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Amateur de livres et de musique. Dernier ouvrage paru : Les Gobeurs ne se reposent jamais (éditions Ovadia, avril 2022).

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