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L’Éducation nationale, mammouth à la dérive

Il est bien sûr plus démocratique de ne plus noter…


L’Éducation nationale, mammouth à la dérive
Le ministre l’Éducation nationale Pap Ndiaye visite une école élémentaire qui accueille des enfants allophones, Paris, 13 décembre 2022. © JULIEN DE ROSA-POOL/ SIPA

Même Pap Ndiaye recommande la dictée et la lecture aux classes de CM2 ! Le rôle des enseignants étant de remplir de francité la tête des enfants, il faut privilégier les matières fondamentales (français, histoire-géo, maths, sciences) et rendre les autres optionnelles. Encore faut-il que les professeurs jouent le jeu.


Hurlements dans le Landerneau pédago : Pap Ndiaye recommande la pratique quotidienne de la dictée et la lecture hebdomadaire de deux « textes longs » de 1 000 mots chacun : les élèves, en fin de CM2, « doivent pouvoir rédiger un texte de 15 lignes en respectant les règles orthographiques, syntaxiques, lexicales et de présentation ». Offenses à la doxa régnante. Guislaine David, au SNUipp-FSU, principal syndicat du primaire, accuse le ministre de faire, comme Blanquer, du « caporalisme ». Et la sacro-sainte liberté pédagogique ? Le droit inaliénable d’enseigner l’ignorance, comme le suggérait un titre de Jean-Claude Michéa ?

La maîtrise de la langue est essentielle pour progresser. Les errances constatées en maths tiennent certes à l’abandon du par cœur, mais elles sont facilitées par l’incapacité d’élèves pratiquement illettrés (plus d’un tiers des entrants en sixième ne savent pratiquement ni lire ni écrire, et ça ne s’améliore guère par la suite) de saisir un énoncé.

En 1966, la commission Rouchette, chargée par le directeur de l’enseignement scolaire, René Haby, de dire quel état de la langue devait être enseigné, a conclu qu’il fallait apprendre aux élèves le français contemporain – la langue de la rue. Et non plus la langue littéraire. Le mépris actuel pour la récitation découle de cette décision qui conjuguée au collège unique décrété par ce même Haby, ministre de Giscard, a produit le marasme actuel.

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En français, cas unique en Europe, les accords des verbes, des noms et des adjectifs sont bâtis surtout sur des lettres muettes. Par exemple ici le s d’accords, verbes, des noms, adjectifs, bâtis, lettres et muettes. Sans compter le t de sont. Pour le savoir, il faut l’apprendre par cœur.

On en est loin. À un enseignement explicite et vertical, 90 % des instituteurs préfèrent le « constructivisme » : on met l’élève face à une phrase pour qu’il construise son propre savoir. Ceux qui ont inspiré à Jospin cette formule (loi de 1989) devraient être condamnés à travailler cinq ans dans les rizières de Camargue.

Un adulte non informé déduirait-il tout seul les règles qui gèrent l’orthographe des participes passés dans ce fragment de dictée ? « Quelles que soient, quelque exiguës qu’aient pu paraître, à côté de la somme due, les arrhes qu’étaient censés avoir versées à maint et maint fusilier la douairière ainsi que le marguillier… » Même Word y perd son latin.

Sans parler de l’orthographe d’usage. Personne ne peut deviner la graphie d’arrhes ou de fusilier. Combien écriraient arts (en admettant qu’ils pensent au pluriel) et fusillé ? Comment aurait-on noté une telle phrase quand on enlevait un point par faute d’usage et deux par faute grammaticale ?

Il est bien sûr plus démocratique de ne plus noter…

Il faut réapprendre le français. À tous les petits Français, et prioritairement aux déshérités de la culture. Dans l’école à deux vitesses qui est la nôtre, il ne faut pas se contenter, comme le suggère le ministre, d’accorder une heure par-ci par-là aux élèves de sixième, mais plusieurs heures par semaine à tous ceux qui n’en sont pas même au b.a.-ba, faute d’avoir appris à lire avec le b.a.-ba.

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Sans parler des migrants auxquels, en dépit des mesures officielles, on ne propose pas d’enseignants compétents en français langue étrangère : dans les Bouches-du-Rhône, 75 % des migrants ne reçoivent pas de cours, en dépit des diktats ministériels, pour les aider à entrer en France au sens plein du terme. Pourtant, on n’a évoqué le problème que très récemment, parce que les réfugiés ukrainiens n’étaient pas pris en charge, car les autres… Or, l’enjeu de l’École est bien celui-ci : aider les enfants à s’intégrer dans une communauté linguistique et culturelle. Inutile d’objecter que la religion des uns ou des autres est un obstacle à l’intégration : être enseignant en France, c’est avoir pour objectif de remplir de francité la tête des enfants qui nous sont confiés. De les dénaturer.

Ceux qui pensent le contraire sont priés de quitter ce métier. Ou d’aller faire eux aussi un stage dans les rizières de Camargue.

Maîtriser le français permet aussi d’entrer dans l’histoire de ce « cher et vieux pays ». Pas pour ânonner « nos ancêtres les Gaulois » — qui n’a jamais été enseigné tel quel, en dépit de la légende. Mais pour réapprendre la chronologie, savoir que Vercingétorix n’est pas contemporain de Louis XIV. Les programmes actuels font par exemple l’impasse sur des siècles entiers, sur des événements d’importance – la guerre de Cent Ans, par exemple, ou le traité des Pyrénées. Ils enseignent, grâce à la loi Taubira, qu’il n’y a pas d’autre traite des esclaves que la traite atlantique – alors que la traite saharienne porte sur des chiffres bien plus importants.

L’enseignement de l’histoire ne doit pas avoir pour objet de fabriquer de la culpabilité blanche.

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Cessons de penser les programmes en termes uniformes et nationaux. Proposons deux types de programmes, avec des horaires différenciés, sur les matières de base (français, maths, sciences, histoire-géographie) et mettons en option les autres matières, en fonction de la maîtrise des priorités. On n’apprend pas une langue vivante quand on ne maîtrise pas la sienne. À quoi bon imposer l’usage de l’anglais quand le français reste lettre morte ? À quoi bon initier à l’écologie ou à la nutrition? Pap Ndiaye vient d’ailleurs de supprimer la technologie en sixième, comprenant qu’on ne peut indéfiniment charger la barque au moment où il propose une heure supplémentaire pour mieux apprendre la langue.

Sauf qu’il est étrange de compter sur des professeurs des écoles pour enseigner en sixième ce qu’ils ne sont pas parvenus à transmettre dans les cinq années précédentes. Les enseignants sont formés dans les Inspe à la pédagogie, mais pataugent dans leur discipline. Sans doute faudrait-il les former spécifiquement dès la première année de fac, quitte à les empêcher de perdre leur temps en nigaulogie. Faute de quoi les préconisations du ministre, pleines de bonnes intentions, seront autant de sparadraps sur un cadavre.

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Février 2023 – Causeur #109

Article extrait du Magazine Causeur




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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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