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Jessye Norman, la dernière diva

The last diva


Jessye Norman, la dernière diva
Jessye Norman (c) Soleil

Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c’est l’ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacle.
Laissons donc sa petite lampe éclairer notre lanterne! Ce mois-ci, elle revient sur la disparition de la cantatrice américaine Jessye Norman, partie le 30 septembre dernier.


 

Pas la sainte qu’on se figure. Plutôt le genre dominateur. Un mètre quatre-vingt-cinq d’une volonté que les uns appelaient exigence et les autres caprices. Soixante-quatorze années d’artisanat furieux. On peut être reine de la ruche et trimer comme une ouvrière. La preuve par Jessye Norman.

The last diva. La dernière qui a fait fondre des salles en larmes, pour de vrai. La dernière qui soignait les toux. La dernière, dernière diva.

Je me souviens de Cassandre dans Les Troyens de Berlioz, à New York, temple à elle seule. Quand Chorèbe lui jetait « Cesse de craindre en cessant de prévoir », on croyait une profanation. Le volcan paisible répondait « Tout est menace au ciel » et le toit s’écroulait.

Je me souviens de Phèdre et d’Ariane dans les années 1980, à Aix-en-Provence. Rameau et Strauss, une coupable baroque et une victime moderne, opposées sur la partition, mais jumelles sur le plateau, marbre psalmodiant à la lune comme ces oiseaux multicolores dont on attend le cri tapageur et qui vous enveloppent de leur plainte.

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Je me souviens de Didon à l’Opéra-Comique. Purcell arraché au Grand Siècle pour répandre son lamento comme l’océan sous Noé. Nous étions là, loin de la rive, perdus et consolés.

Je me souviens de Great Day in the Morning, le one woman show cousu main par Bob Wilson aux Champs-Élysées. Elle n’effaçait pas la frontière entre le chant lyrique et le gospel appris dans son Sud natal (fièrement ségrégationniste à l’époque). Elle n’effaçait rien. Au contraire. Elle embrassait. Incantation à la racine, plus loin encore au centre de la Terre d’où elle laissait échapper des notes aiguës plus douces que le vent.

À l’époque, je déchirais surtout les billets d’opéra. Mais dans sa vie, l’opéra, il n’y avait pas que ça. De moins en moins ça. Je me souviens d’une tournée française en 2012. Duke Ellington au programme. Je me souviens de Gershwin et Cole Porter. Schubert et Mahler. Ravel et Satie. « À l’opéra, le public est plongé dans l’obscurité, on ne voit personne. Et moi j’aime voir les gens. Je m’adresse à eux personnellement, dans les yeux. C’est pourquoi j’aime le récital. Avec orchestre ou avec piano, n’importe. Je veux établir un contact direct. »

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Je me souviens d’un ton grave, mais d’un rire franc, d’une allure olympienne, toujours lente, mais d’un corps vif et d’un esprit fort, inhabituel dans la branche diva.

Tout le monde se souvient de la Marseillaise place de la Concorde le 14 juillet 1989, Marianne ébène drapée de bleu-blanc-rouge par Jean-Paul Goude, messe vaudou plus solennelle que l’Arc de Triomphe, sans triomphe. L’étendard sanglant des bataillons désarmés. La France de Mitterrand. Snif.

Jessye Norman était née le 15 septembre 1945 à Augusta, Géorgie. Après une longue torture en chaise roulante, son propre dos devenu son pire ennemi, le volcan s’est éteint peu après son anniversaire, le 30 septembre, à New York. « When I am alone, when I am alone, Oh ! when I am alone, give me Jesus ! »

Comme elle chantait, comme elle était le spiritual !

 

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Novembre 2019 - Causeur #73

Article extrait du Magazine Causeur




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