Accessibles depuis Londres en 2h30 de voiture ou 1h20 de train, les jardins de Highgrove — refuge de verdure du roi Charles III à l’ouest de la capitale — ouvrent leurs portes pour £39,90. Notre contributeur nous raconte sa visite.
Highgrove, résidence de Charles III, est bien plus qu’une demeure royale : c’est un sanctuaire où chaque saison fait naître de nouvelles promesses, telles des fragrances évanescentes s’épanouissant et se dissolvant au fil du temps. C’est un lieu de convalescence et de résilience où le roi retrouve la paix intérieure. Après un séjour à l’hôpital, conséquence des effets secondaires de son traitement contre le cancer, il a été aperçu regagnant les allées de ce havre de paix, niché au cœur du Gloucestershire, dans le duché de Cornouailles (appelé Home Farm), à deux cents kilomètres à l’ouest de Londres.
À travers les haies sculptées, les massifs de roses anciennes et les senteurs d’azalées en fleurs, le roi semble trouver refuge dans une nature qui, tout comme lui, a su s’épanouir malgré l’adversité.

Une toile vivante, brodée de nature
Lorsque le prince de Galles acquiert Highgrove en 1980, il ne découvre pas un jardin de rêve, mais une terre en friche, à l’abandon, telle une toile vierge attendant son artiste. Pourtant, dans cette terre battue, Charles entrevoit un autre avenir : un jardin, tel un champ de lavandes, exhalant la promesse d’une harmonie retrouvée, entre l’homme et la nature. La demeure elle-même, construite entre 1796 et 1798 par John Paul Paul, et attribuée à l’architecte Anthony Keck, porte en ses murs l’élégance discrète de l’Angleterre géorgienne. Elle est restée aux mains des héritiers Paul jusqu’en 1860, avant de connaître plusieurs vies jusqu’à son rachat par le prince. Un passé qui s’inscrit désormais dans une œuvre plus vaste, où chaque allée tracée par Charles semble dialoguer avec l’histoire du lieu.
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Il compose ses massifs comme un aquarelliste, mêlant senteurs, volumes et lumières. Dans chaque coin du jardin, chaque branche et chaque fleur évoque la vision d’un monde plus respectueux, plus poétique, où les gestes de jardinier deviennent des métaphores d’un engagement écologique profond.
La mémoire vivante d’un Jardin
À travers les yeux de Deborah Herbert, guide des jardins, les visiteurs découvrent Highgrove comme un véritable sanctuaire où chaque pétale, chaque souffle du vent, semble murmurer l’histoire d’un roi profondément connecté à la nature…
La guide partage avec passion l’attachement du roi aux moindres détails de son jardin, de la rose au buisson de thym. Elle raconte comment, parmi les azalées et les pensées, le prince devenu roi a imaginé un lieu où la biodiversité et l’agriculture durable peuvent coexister. Ses histoires nous rappellent que chaque plante ici n’est pas simplement une essence vivante, mais un symbole du monde qu’il veut construire.
Symboles en fleurs, secrets en terre
Les jardins de Highgrove sont plus qu’un simple havre de beauté ; ils sont des témoins de symboles profonds, ancrés dans la nature. Au détour de la Promenade des azalées, où le parfum des fleurs se mêle à la brise légère, les bustes en bronze de personnalités admirées par le roi se dressent comme des sentinelles silencieuses.
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Chaque statue, entourée de fleurs colorées, révèle une facette de l’histoire et des valeurs du roi : la beauté de l’art, la force de l’intellect, et l’importance de la famille.
Highgrove n’est pas simplement un jardin, mais un chef-d’œuvre vivant où Charles III cherche donc à réconcilier art et nature, démontrant que l’agriculture et la beauté peuvent coexister, comme un tableau vivant dont chaque essai fait partie d’une œuvre collective pour la planète. Les parcelles de légumes bio et les haies taillées aux formes douces et naturelles témoignent de cette philosophie.
La paix retrouvée entre les fleurs
Highgrove est aussi, et peut-être avant tout, un refuge. Pour Charles III, ce jardin est un espace où chaque haie, chaque allée de pivoines et chaque rose trémière lui offre une échappatoire, un lieu où il peut se ressourcer, trouver l’équilibre et la sérénité, loin du tumulte du monde. À l’ombre du labyrinthe, une pierre discrète marque la tombe de Tiger, son fidèle Jack Russell. Cette tombe simple mais émouvante contraste avec la majesté de l’allée d’ifs taillés, où une statue de Diane chasseresse se dresse en hommage discret mais poignant à Lady Diana, son ancienne épouse disparue en 1997.


Et parce que ce jardin est aussi un lieu de transmission, on y trouve désormais deux jeunes arbres plantés en 2015 par Charles lui-même, accompagné de son petit-fils, le prince George. Ce geste tendre et symbolique inscrit la main de l’enfant dans la continuité d’un héritage vivant, enraciné dans la terre autant que dans l’histoire familiale.
Le sanctuaire secret d’un Roi
Au détour d’une allée bordée d’eucalyptus, un petit temple discret se dévoile : le Sanctuary.
Inspiré des clochers tibétains et de la spiritualité orientale, ce pavillon de méditation, dressé dans l’axe du manoir, évoque le besoin d’introspection d’un roi en quête d’équilibre. À l’intérieur, une bougie brûle en silence, quelques livres Penguin d’occasion sont posés sur un banc de bois, tandis que des toiles d’araignées filent le silence, comme un fil d’encre entre temps et mémoire. Charles III, amateur d’harmonie dans toutes ses formes, y trouve un refuge intérieur, loin du protocole, où la pensée respire aussi librement que la nature qui l’entoure… L’inspiration des jardins de Villandry — leurs terrasses superposées, leurs buis taillés en quinconce — se devine ici comme un hommage à l’ordre classique que le roi fait dialoguer avec la paix du silence.
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Un roi ancré dans la Terre
Charles III entend ne pas être un roi lointain : il est un jardinier. Ses mains sont souvent rougies par le travail de la terre. Chaque week-end, il s’agenouille parmi les plantes, retourne le sol, taille, observe. La Promenade du thym, bordée de topiaires en forme de couronne, en est le symbole le plus vivant. Il y a planté seul soixante-dix variétés d’aromates. « J’ai beaucoup de conseillers, mais dans ce jardin, je n’en fais qu’à ma tête », dit-il avec humour. Et parfois, la passion devient affaire de transmission. En 2015, le prince George, alors tout jeune, a aidé son grand-père à planter deux arbres dans le parc de Highgrove. Une petite plaque discrète en témoigne : “This was planted by His Majesty and Prince George, eldest son of the Prince and Princess of Wales, in 2015.” Un moment suspendu, où l’héritage se transmet non par les mots, mais par les gestes partagés, les mains dans la terre, les racines en commun.
Même l’eau de bain du roi, raconte-t-il un jour en riant, est recyclée pour arroser les fleurs. À Highgrove, rien ne se perd — tout s’inscrit dans un cycle, une attention, une fidélité.
Le cèdre du Liban : racines anciennes et héritage vivant
Là où se dressait jadis un cèdre du Liban bicentenaire, fierté du domaine et “contrepoint organique” à l’architecture géorgienne, s’élève désormais un pavillon de chêne, hommage discret à l’arbre disparu. Un chêne né spontanément à cet endroit y pousse librement, traversant le toit aménagé pour lui, comme une promesse que la nature poursuit toujours son œuvre.
Dans ce théâtre de transmission, les gestes s’entrelacent comme les branches. Chanel y a implanté son académie de broderie d’art, confiant aux mains de jeunes talents le fil de savoir-faire séculaires. Sous la houlette des ateliers Lesage, Montex et Lemarié, ils brodent à leur tour la mémoire du lieu, tout comme le roi façonne son jardin. Ainsi, entre l’arbre tombé et l’arbre qui s’élève, entre la soie et la sève, Highgrove continue de se tisser — refuge vivant d’une royauté enracinée dans le temps, la nature et l’art.
Plus d’informations (en anglais): https://www.highgrovegardens.com/pages/highgrove-garden-tours