À Londres, entre les calèches, les tapis rouges et la tapisserie de Bayeux, la France et le Royaume-Uni ont transformé l’Entente Cordiale en Entente Amicale – avec un soupçon de géopolitique et un panier gourmand en bonus. Résumé d’une visite historique.
Info. Notre directeur adjoint Jeremy Stubbs proposera demain une analyse politique de la visite d’Etat de M. Macron en Grande Bretagne dans le prochain épisode de notre podcast.
Dans un discours solennel devant les deux chambres du Parlement britannique, mardi, le président Macron a célébré le retour de relations plus étroites entre Paris et Londres, tout en appelant à une plus grande autonomie stratégique vis-à-vis des États-Unis et de la Chine. Le président français Emmanuel Macron a lancé un appel appuyé au Royaume-Uni pour reconnaître l’État de Palestine et renforcer le soutien à l’Ukraine, à l’occasion de sa visite d’État outre-Manche — la première d’un chef d’État européen depuis le Brexit.
Invité par le roi Charles III pour une visite officielle de trois jours (du 8 au 10 juillet), le président français a été accueilli en grande pompe par la famille royale. Après avoir été reçu par le prince William et la princesse Catherine, il a rejoint le château de Windsor en calèche, dans un décor emprunté aux fastes de la monarchie.
Le 8 juillet 2025, sous un ciel londonien tantôt gris, tantôt percé d’un soleil timide, Emmanuel Macron foulait le tapis rouge déroulé au pied du château de Windsor. Accompagné de Brigitte Macron, il était accueilli en grande pompe par le roi Charles III, dans une cérémonie où faste monarchique et modernité se mêlaient avec élégance. Le cliquetis des sabots sur les pavés résonnait comme un écho venu du passé, rappelant que l’histoire continue de s’écrire — de Bayeux à Buckingham.
Un discours d’unité
Au Parlement, Macron a plaidé pour un renouveau de la coopération franco-britannique, en particulier sur les dossiers cruciaux de la défense, du climat, de l’immigration et du commerce.
« Le Royaume-Uni et la France doivent, une fois de plus, montrer au monde que notre alliance peut faire toute la différence », a-t-il déclaré en anglais. « La seule manière de surmonter les défis de notre époque est d’avancer ensemble, main dans la main, épaule contre épaule. »
Le chef de l’État a réaffirmé que l’Europe ne « tournerait jamais le dos à l’Ukraine » face à l’agression russe, tout en exigeant un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel à Gaza.
Ce discours a marqué un tournant symbolique, à l’heure où le nouveau Premier ministre travailliste Keir Starmer œuvre à restaurer des liens apaisés avec les alliés européens, après des années de tensions post-Brexit.
Une « entente amicale »
Mardi soir, le roi Charles a offert un banquet d’État au château de Windsor en l’honneur du couple Macron. Quelque 160 invités — diplomates, figures politiques et personnalités comme Mick Jagger ou Elton John — étaient présents.
Dans son discours, le souverain britannique a salué le début d’une nouvelle ère dans les relations franco-britanniques. Il a proposé de faire évoluer la traditionnelle « Entente cordiale » de 1904 en une « entente amicale », scellant une coopération renouvelée et apaisée entre les deux nations.
Un geste hautement symbolique a été annoncé : la France prêtera au Royaume-Uni la célèbre tapisserie de Bayeux — chef-d’œuvre du XIe siècle — pour un retour exceptionnel sur le sol britannique, plus de 900 ans après sa création. En échange, Londres mettra à disposition de Paris une sélection de trésors anglo-saxons et vikings.
Diplomatie, défense et migration
Mercredi, les affaires politiques ont pris le dessus. Emmanuel Macron a été reçu au 10 Downing Street par Keir Starmer et son épouse Victoria, aux côtés de Brigitte Macron. Les discussions ont porté sur les grandes priorités bilatérales : migrations, défense, investissements.
Malgré les différends persistants liés aux conséquences du Brexit — notamment sur la gestion des migrants traversant la Manche à bord de petites embarcations —, Londres et Paris s’efforcent de bâtir une réponse commune, avec l’hypothèse d’une force militaire conjointe pour soutenir l’Ukraine en cas de cessez-le-feu.
Sommet franco-britannique : enjeux cruciaux
Ce jeudi, Emmanuel Macron et Keir Starmer ouvriront le 37e sommet franco-britannique à Londres. Une série de discussions est prévue, avec un objectif clair : sceller un accord pour limiter les traversées illégales de la Manche.
Il s’agirait d’élaborer un nouveau mécanisme de dissuasion, selon Downing Street, qui a confirmé en début de semaine un consensus sur la nécessité d’un changement d’approche. Le sommet devrait également aboutir à des engagements renforcés en matière de défense, en particulier vis-à-vis du conflit ukrainien.
Les deux dirigeants participeront à une réunion de la « coalition des volontaires », aux côtés du président ukrainien Volodymyr Zelensky, du chancelier allemand Friedrich Merz et de la Première ministre italienne Giorgia Meloni. Ils y discuteront de l’augmentation de l’aide militaire et de la pression diplomatique à exercer sur la Russie.
Vers un accord migratoire inédit ?
Starmer espère qu’un soutien britannique accru à l’Ukraine incitera la France à envisager un nouveau type d’accord migratoire, basé sur un principe d’échange : chaque demandeur d’asile renvoyé vers la France serait compensé par l’accueil d’un réfugié ayant un dossier légitime.
Une proposition ambitieuse, dans un contexte tendu : le Royaume-Uni a enregistré un nombre record de traversées illégales au cours du premier semestre 2025, et le Parti travailliste est concurrencé dans les sondages par la droite dure de Nigel Farage.
Mais Paris reste prudent. La France a jusque-là refusé un tel accord bilatéral, arguant que le Royaume-Uni devrait négocier avec l’ensemble des membres de l’Union européenne.
Une visite au carrefour des intérêts franco-britanniques
Au-delà du faste protocolaire et des discours enflammés, la visite d’État d’Emmanuel Macron à Londres s’inscrit dans un contexte chargé de défis partagés, mais aussi d’opportunités renouvelées.
Il s’agit d’abord d’un moment crucial pour tourner la page d’un Brexit qui a laissé des traces, en affirmant que la souveraineté britannique et française, loin d’être antagonistes, sont en réalité profondément imbriquées et interdépendantes. Le président français a rappelé que, dans un monde incertain, la France et le Royaume-Uni doivent unir leurs forces pour éviter de retomber dans les dépendances « excessives » aux grandes puissances comme la Chine ou la Russie.
Parmi les dossiers épineux, la question migratoire illustre bien la complexité des relations bilatérales. La traversée clandestine de la Manche cristallise les tensions, mais aussi l’urgence d’une coopération renforcée. Macron n’a pas éludé cette réalité, appelant à un partage de responsabilités, qui dépasse les frontières et réclame des solutions concertées.
Dans le même temps, le soutien commun à l’Ukraine offre un terrain fertile à un rapprochement stratégique. En formant une coalition de volontaires pour défendre Kiev, Paris et Londres signent une alliance militaire inédite depuis longtemps. Cette union s’appuie aussi sur une complicité plus intime, liée au statut partagé de puissances nucléaires et de membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU. Deux « États jumeaux » qui, malgré les différends, savent conjuguer leurs forces face aux défis contemporains.
Enfin, la visite a mis en lumière la puissance discrète mais réelle du soft power britannique. La monarchie, véritable aimant diplomatique, offre à Macron un cadre de prestige exceptionnel, rappelant à tous la profondeur et la richesse des liens qui unissent la France à son voisin.
Diplomatie en habits de courtoisie : les présents de Macron à Charles III
À travers un opéra de Debussy, une trompette de la Garde Républicaine, un coffret d’aquarelles Sennelier et un panier gourmand mêlant miel et douceurs françaises, Macron a offert plus que des présents : une véritable conversation silencieuse avec Charles III. Ces offrandes, entre musique, art et nature, incarnent la diplomatie en habits de courtoisie. De la musique aux abeilles, ces cadeaux disent plus qu’un discours : ils parlent d’attention, de connivence et de respect mutuel…




