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Islam : le parti du « mais »


Islam : le parti du « mais »

Charlie Hebdo moque l'islam et les religions

C’est reparti ! Le parti du « mais » s’en donne à cœur joie. On aime la liberté, mais faut respecter les religions en général et l’islam en particulier. On a le droit à la caricature, mais faut être responsable. C’est pas bien de tuer, mais c’est très mal de faire des films islamophobes. Après une semaine durant laquelle la dénonciation de la « vidéo islamophobe » et la recherche de son auteur avaient largement pris le pas sur la condamnation des violences et du fanatisme, les spécialistes du renvoyage dos à dos et autres experts de l’excuse tournent en boucle sur nos ondes. Et ils ne sont pas contents.
Charlie Hebdo a encore frappé. Ces farceurs irresponsables s’en prennent à nouveau à l’islam et à son prophète. Au demeurant, peut-être suffit-il désormais de caricaturer un musulman énervé lambda pour « provoquer », « choquer » et peut-être « embraser ». En effet, à peine la « une » de l’hebdo – hilarante mais sans le moindre rapport avec Mahomet puisqu’on y voyait un juif et un musulman unis dans leur refus de toute critique – était-elle publique que la machine à s’offusquer tournait à plein régime. Admettons cependant que ce sont les « couvertures auxquelles nous avons échappé », publiées en dernière page, qui suscitent l’ire de nos concitoyens musulmans et de leurs coreligionnaires dans le monde – et ils n’y vont pas avec le dos de la cuillère, les Charlie, ça cogne dur et drôle – enfin, moi j’ai trouvé ça drôle mais les avis sont partagés.

Que des musulmans soient agacés, peinés, vexés, outrés, je veux bien l’entendre. À condition qu’ils entendent, une fois pour toutes, que dans nos contrées, chacun doit accepter d’être agacé, peiné, vexé, outré par ses compatriotes. On n’a pas tous les jours l’occasion de rendre hommage à oumma.com, mais sur ce coup, les confrères ont eu la seule réaction honorable de la part de croyants en terre d’irrespect : ils ont appelé leurs lecteurs à traiter l’affaire et Charlie Hebdo par le mépris. Oui, qu’on arrête de nous bassiner avec le respect dû à chacun. Le mépris, ça ne tue pas, ça ne crée pas de trouble à l’ordre public et ça n’empêche personne de dormir.

Appelez ça comme vous voudrez : liberté, pluralisme, tolérance, laïcité. Ce qui est sûr, c’est que sous ce régime où les idées se promènent en liberté, l’existence humaine est plus excitante, plus intéressante et plus marrante qu’ailleurs. Oui, je sais, c’est un jugement de valeur et même l’affirmation d’une préférence civilisationnelle. J’en profite tant que c’est autorisé.
Au train où vont les choses, il n’est pas certain, en effet, que notre droit fondamental de déconner soit longtemps garanti. Il est probable qu’on assistera bientôt à une nouvelle offensive venue du monde arabo-musulman pour faire adopter par l’ONU – et pourquoi pas, par les instances européennes – des textes interdisant le blasphème. En tout cas, Charlie n’était pas encore en kiosque que notre Premier ministre exprimait sa « désapprobation » – non sans avoir rappelé que la liberté d’expression était un droit fondamental. (La nuit lui a sans doute porté conseil car le lendemain matin, il désapprouvait moins fortement.) Quant à Laurent Fabius qui, pas de chance, était au Caire, il a dû se livrer à un exercice de tortillage de fondement qui faisait peine à voir.
On m’objectera que les grands principes ne sont pas une politique, surtout à l’heure où les idées et les écrits voyagent plus vite que les personnes. Qu’on le veuille ou non, une « une » de Charlie Hebdo peut avoir des conséquences à Kuala Lumpur et à Téhéran – en l’occurrence, une manifestation contre nos rigolos a eu lieu mercredi à Benghazi. Il était certes déplaisant de voir un ministre de la République ménager la chèvre de l’islamisme et le chou de la liberté d’expression devant les caméras égyptiennes, mais on ne peut pas exiger de nos gouvernants qu’ils se fâchent avec la moitié de la planète qui ne pense pas comme nous. Et on ne peut pas non plus demander au chef de notre diplomatie d’ignorer le risque de représailles contre nos diplomates ou nos concitoyens vivant à l’étranger (qui a justifié la fermeture des ambassades et des écoles françaises vendredi prochain).

Dans ces conditions, les dessinateurs de Charlie se sont-ils montrés « irresponsables », pour reprendre le terme répété sur tous les tons ? Faut-il, comme Bernard Guetta, qui pousse très très loin la compréhension de l’énervement islamique ou islamiste, pointer du doigt les « provocateurs » ? Comme me le souffle Gil Mihaely, cela revient à accuser la fille qui vient de se faire violer d’avoir aguiché ses agresseurs.
Bref, aussi compliquée soit la question, nous n’avons pas le choix. Les commentateurs ne peuvent que s’en laver les mains. Certes, on peut féliciter Charlie d’avoir fait preuve de délicatesse en choisissant pour sa « une » – que tout un chacun peut voir sans l’avoir voulu – le dessin le plus gentillet. Pour le reste, si la critique doit passer sous les fourches caudines de la responsabilité, autant fermer la boutique et annoncer par avance qu’on respectera toutes les susceptibilités ou qu’on se couchera à la première menace. Or, il faut le répéter sans relâche : ce qui pose problème aujourd’hui n’est pas que la critique de l’islam puisse être exagérée, injuste ou carrément nulle comme dans le cas de L’innocence des musulmans, mais qu’elle soit considérée comme intolérable, non seulement à Kaboul ou Benghazi, mais à Sarcelles ou Grigny. Le bon docteur Guetta, qui félicitait la semaine dernière le monde arabo-musulman de son calme (!) et les camarades-procureurs du Nouvel Obs qui dressent la liste des méchants accusés de nourrir le rejet de l’islam devraient se demander ce qui cause le plus grand tort à la religion de paix et d’amour : les livres de Richard Millet ou les images de foules chauffées à blanc par une vidéo minable ? Les « idées sales » recyclées par Causeur ou l’incendie d’un supermarché casher à Sarcelles ? On laissera chacun se faire sa petite idée. Et on rappellera à tous que chez nous, il n’y a pas de « mais » et que se promener en mini-jupe est un droit de la femme – et un plaisir de l’homme mais c’est une autre histoire.

*Photo : Anwaar



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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