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« Ils ne passeront pas », disaient-ils…

Un paradigme sécuritaire à revoir


« Ils ne passeront pas », disaient-ils…
Dispositif de sécurité devant la basilique Notre-Dame de l'Assomption de Nice pour la messe de la Toussaint, le 1er novembre 2020. ©SYSPEO/SIPA Numéro de reportage : 00988958_000047

Il est urgent de revoir notre paradigme sécuritaire, alors qu’aucun service spécialisé ne peut vraiment faire face devant ce « terrorisme du couteau ». 


En 1940, l’armée française disposait de moyens assez comparables à ceux de l’Allemagne. En 1932, dans Le Fil de l’épée, le général de Gaulle avait couché par écrit une doctrine d’emploi des forces blindées. En janvier 1940, il préconisait de combiner l’emploi des chars et de l’aviation. Ces doctrines eussent été précieuses pour ce conflit. Elle le furent, mais pour les Allemands, qui les baptisèrent « blitzkrieg » ; car l’état-major français s’en était désintéressé : depuis 1918, il avait jugé plus utile de préparer une nouvelle guerre de 14 en édifiant la ligne Maginot.

C’est à peu près où en est l’État français aujourd’hui face à la menace terroriste. On a renforcé les services de renseignement intérieurs après janvier 2015, alors que l’islamisme de masse n’était plus surveillé depuis 2008, la seule recherche se faisant sur une base individuelle par le fameux « big data », le même qui prévoyait des centaines de milliers de morts de la Covid-19 en France au printemps dernier. Dans un cas comme dans l’autre, on en a vu le résultat.

Les forces d’intervention françaises sont avant tout des « professionnels »

On a acheté des cagoules et des rangers à la tonne pour équiper des forces d’intervention qui s’entraînent d’arrache-pied pour le jour où on aura besoin d’eux pour casser des portes sur ordre, ou faire tomber un nouvel immeuble à force de rafales et de tirs de 12,7mm. Encore faut-il que quelqu’un trouve ces portes et ces immeubles, et donne à ces braves gens – qui se sont récemment dotés d’un béret fantaisiste pour tenter de lier leur image aux troupes d’assaut spécialisées (ça doit faire hurler de rire les commandos Marine et le 1er RPIMA) – de quoi faire le trajet jusqu’à leur objectif. Quand on part de Bièvre, par exemple, il y a forcément des délais de route.

Les médias se complaisent à appeler tout ce beau monde des « policiers d’élite ». Il semble bien plus prudent de simplement les qualifier de « professionnels ». Ils ont une mission spécialisée qu’ils remplissent, selon l’expression consacrée, « à la pleine satisfaction de leur hiérarchie ». Et il existe d’autres professionnels, bien plus nombreux et bien moins considérés : gendarmes et policiers patrouillent au quotidien sur la voie publique pour protéger le peuple français, intervenant indifféremment sur un différend familial comme sur un vol à main armé, une cible sur la poitrine car porteurs d’un uniforme haï par les voyous comme par les antirépublicains, qu’ils soient de La France insoumise (LFI) ou de Daesh ; intervenant aussi, et ils sont souvent les premiers, sur les actes terroristes.

Un « terrorisme du couteau » largement imprévisible

Et c’est bien pour cela que tout comme il aurait dû le faire en 1940 en matière de doctrine militaire, il faudrait que l’État change d’urgence de paradigme sécuritaire face à la criminalité de droit commun comme pour contrer le nouveau terrorisme. En effet, le renseignement ne peut stratégiquement rien contre le terrorisme tel qu’il s’est régénéré depuis le premier attentat de Nice, lorsqu’un islamiste a fini par être abattu par des policiers non spécialisés, mais eux aussi professionnels, après avoir broyé une foule d’innocents avec le camion qu’il conduisait. Des policiers, dont certains ne dorment toujours pas, hantés par les images de ce carnage, mais qui tous les jours reprennent leur service, tel ce policier municipal niçois qui est intervenu sur le massacre de l’Église de Nice. Un policier pleure aussi, de rage, de chagrin, d’horreur. Puis il revient, lorsqu’il le peut encore.

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Devant ce terrorisme du couteau, ce terrorisme de la brute, aucun service spécialisé ne peut faire vraiment face. Il serait déloyal de le lui demander. Le renseignement fonctionne sur le temps long, et ses membres sont incapables d’interventions opérationnelles d’urgence. Quant aux unités d’intervention dépendant du RAID ou du GIGN, leurs délais de projection, sauf hasard heureux, en font des intervenants sur des situations déjà figées.

La riposte face au terrorisme du « coin de la rue »

Vu la masse de gens potentiellement dangereux, l’étendue du territoire et la nature primitive d’attaques qui ne demandent aucun réseau de soutien, les premiers défenseurs de la population ordinaire – qui, tous les jours, parcourt les rues de France et vaque à ses occupations – sont donc les policiers et les gendarmes en charge de la sécurité sur la voie publique. Rappelons-nous d’ailleurs que ce fut déjà le cas lors des attentats de Paris, au cours desquels les soldats de Vigipirate refusèrent de prêter leurs fusils d’assaut aux policiers primo-intervenants de la BAC, qui durent donner l’assaut avec de simples pistolets de service face à des armes automatiques. Si depuis on a doté d’armes longues une partie (seulement) de ces équipages, on a en revanche pas ou peu augmenté le nombre de policiers qui les composent.

Une patrouille de Police lors de la célébration de la messe de la Toussaint, autour de la Basilique Notre-Dame de l'Assomption à Nice, le 1er novembre 2020. ©SYSPEO/SIPA Numéro de reportage : 00988958_000044
Une patrouille de Police lors de la célébration de la messe de la Toussaint, autour de la Basilique Notre-Dame de l’Assomption à Nice, le 1er novembre 2020. ©SYSPEO/SIPA Numéro de reportage : 00988958_000044

Or, ce sont bien eux qui, lors de la plupart des attentats, ont été primo-intervenants, quand ce n’était pas une patrouille de police municipale comme dans l’église de Nice (le RAID n’a fait que venir se greffer à la fin pour avoir son nom sur la photo, et justifier, si l’on peut dire, son existence…). Quand dehors, on porte un uniforme, qu’on a le sens du service et qu’on est requis en urgence, on marche vers le danger, et parfois vers la mort. Il est du devoir de l’État de veiller à ce que ce genre de combat soit gagné aussi souvent que possible. Mais même cet engagement a ses limites. Comme on vient de le voir, le terrorisme du coin de la rue est un phénomène auquel on ne pourra riposter, la plupart du temps, qu’en temps réel, par des unités de voie publique. Mais même eux ont des délais d’intervention qui, sauf lorsque par chance une patrouille est à proximité, ne permettront jamais de limiter les tueries aux premiers instants de leurs commissions.

Chaque seconde, une nouvelle victime peut tomber sous un simple couteau, jusqu’à ce que l’auteur soit abattu. Dans les grandes villes, la concentration urbaine est telle que quelle que soit la rapidité d’intervention de la Police, les victimes s’enchaîneront. En zone rurale, les personnes les plus éloignées des brigades territoriales de Gendarmerie seront assassinées sans espoir de secours.

Un changement de paradigme sécuritaire nécessaire

Le paradigme sécuritaire doit changer. Il faut repenser l’armement défensif de la population, en imaginant un contingent de supplétifs formés, comme cela se fait en Israël, où les vigiles devant les écoles sont armés pour se préparer aux plus atroces attaques terroristes possibles, en particulier celles visant des enfants. Tout policier ou gendarme à la retraite doit pouvoir conserver son arme sous conditions d’entraînement (ou mieux, utiliser une arme régulièrement autorisée pour le tir sportif, ce qui coûterait moins cher à l’État). Tout militaire d’active (d’unités de combat et validé par leur hiérarchie) doit pouvoir être armé hors cantonnement. Cela ferait déjà des dizaines de milliers de personnes supplémentaires, servant ou ayant servi le pays, entraînées, et disposant des connaissances juridiques nécessaires sur la légitime défense, qui pourraient assurer la défense immédiate contre les actions individuelles engageant juste un armement primitif, qui promettent d’être les plus terrorisantes pour la population dans les années qui viennent.

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Et au-delà, il faut se rappeler que l’armement du peuple français fut une conquête de la révolution qui s’est perpétuée jusqu’à l’entre-deux-guerres, non seulement par la chasse, mais aussi par la nécessité de défense de la population isolée : tout paysan avait, jusque dans les années 30, un pistolet chargé dans sa table de nuit, acheté chez Manufrance, pour se protéger des « chauffeurs ».

Certes, on peut hésiter devant les risques à armer la population. Je ne le préconise d’ailleurs pas forcément. Mais les « oui mais » doivent changer de camp : le premier « oui mais » à prendre en compte est celui-ci « oui mais on ne peut pas laisser mourir des innocents sans rien faire, sachant que les mesures actuelles ne suffisent pas. »

Ne poussons pas le Peuple à décider, un jour, de se défendre lui-même. La tache sur l’Histoire du pays serait sanglante.

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est marseillais. Cela en fait un toutologue dont l'incompétence n'a d'égale que la mauvaise foi.

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