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Chers stylos rouges, ne vous trompez pas de combats!

Un groupe Facebook regroupe plus de 50 000 enseignants en colère


Chers stylos rouges, ne vous trompez pas de combats!
Un professeur surveille des élèves passant le bac, juin 2018. ©FREDERICK FLORIN / AFP

Dans le sillage des « gilets jaunes », un groupe Facebook regroupe plus de 50 000 enseignants en colère. Pour se faire entendre, les « stylos rouges » ne doivent pas se perdre dans des revendications mineures, comme la réforme du bac ou Parcoursup, mais se retrouver autour de ce qu’ils ont en commun.


Chers stylos rouges,

Recevez mes meilleurs vœux de jeune professeur retraité de 65 ans qui regarde avec une vive sympathie votre protestation inédite et porteuse d’avenir.

J’ai eu la chance de terminer ma carrière de professeur d’histoire au lycée Charlemagne à Paris, un établissement où l’on peut faire cours correctement sans se casser la voix ni être interrompu toutes les cinq minutes, et je sais d’expérience  que ce n’est vraiment pas la règle…

Tout ce qui nous rassemble

Le succès de votre appel, chers stylos rouges, peut mettre fin à l’atomisation d’un corps enseignant malmené par deux décennies de réformes n’ayant abouti qu’à  déstructurer  l’école avec  la complicité tacite d’une partie du syndicalisme enseignant. Il y a trente ans le Syndicat national des Enseignements de Second degré (S.N.E.S.) s’élevait bien contre la confusion entre démocratisation et nivellement par le bas, à juste titre. Mais sans en tirer de conclusion. Telle est pourtant la source de la crise enseignante.

Être professeur aujourd’hui c’est être privé du droit au travail bien fait, confronté à des classes surchargées et parfois ingérables, à la seule fin d’assurer la « montée pédagogique », c’est-à-dire le passage automatique d’un niveau à un autre.

Être professeur, ce n’est plus d’abord transmettre un savoir mais en priorité animer « le groupe classe » en vue de l’obtention du baccalauréat dont chacun sait ce que masque le taux si élevé de réussite.

Être professeur c’est surtout  être délégitimé dans son travail et désapproprié de sa parole, réduit au rôle de caution d’un bateau ivre : les parents d’élèves ont toujours raison, les fameuses commissions d’appel sont là pour réduire à néant les dernières et si modestes exigences des conseils de classes, etc.

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Être professeur d’histoire, c’est inculquer l’ignorance de l’histoire politique, pourtant particulièrement formatrice en ce qu’elle implique de tendre à l’objectivité et invite à acquérir le sens des nuances ; et ce au profit de cette « histoire saturée de mémoire », fustigée par Jean-François Sirinelli dans son dernier livre.

Être professeur, c’est renoncer à toute exigence en matière d’orthographe, de grammaire et de syntaxe. Mieux y renoncer fièrement, abandonnant ces archaïsmes aux ringards, nostalgiques de la blouse grise, réacs ou pire encore.

Être professeur, c’est patauger au milieu des détestables « études de cas », marottes des inspecteurs et du pédagogisme à la mode, c’est se faire complice de la dénaturation de la géographie en propédeutique de la mondialisation libérale.

Or l’Education nationale est un milieu transparent, chacun compte au moins un élève dans sa famille et un professeur parmi ses proches. Tout le monde sait ce qui s’y passe. Tout le monde sait que les professeurs ne sont respectés ni par les élèves, ni par l’administration de l’Education nationale et surtout pas par ces gardiens de l’ordre « pédagogiste » que sont les inspecteurs.

Pris au piège d’une démocratisation en partie artificielle, édifiée au sacrifice de l’expression écrite,  les professeurs se sont faits les artisans de leur propre malheur ; le piège s’est d’autant plus facilement refermé que le principal syndicat d’enseignants a pudiquement détourné le regard.

Aujourd’hui, la crise est patente, indéniable ; le recrutement n’est assuré, et encore, qu’au prix d’une baisse de la formation académique des futurs professeurs. Abaisser le niveau d’un corps permet de faire accepter des conditions de travail éprouvantes et un salaire insuffisant. Le chômage fait le reste.

J’arrête là ces considérations qui pourraient passer pour d’agaçantes vitupérations mais dans lesquelles beaucoup se reconnaîtront sans doute.

La question des salaires

A la lecture des prises de position écrites et orales des stylos rouges sur Internet, il me semble utile de souligner que la question clef pour l’avenir du mouvement est bien celle des salaires et des pensions. Ni la réforme du bac, ni Parcoursup.

Il est trop tôt pour savoir ce que donneront les réformes de M. Blanquer, mais une chose est sûre : cela ne pourra guère être pire que ce qui se fait actuellement. Les si rassurantes sections L, ES ou S  ne correspondent pas toujours à grand-chose. La section « S » réputée pour apporter « la fortune et la gloire » est un bac général mathématisé, sans plus. Très peu d’élèves de la section « L » sont de véritables littéraires. Supercherie démasquée après l’obtention du diplôme, quand sonne le rappel  à la réalité, dans l’enseignement supérieur. Que dire en outre de l’affectation par tirage au sort contre  laquelle aucun syndicat n’est jamais descendu dans la rue ! Ne servons pas d’idiots utiles aux rusés pédagogistes avides de revanche contre M. Blanquer.

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En revanche, la revendication d’une augmentation uniforme des salaires peut unir la grande majorité du corps enseignant (voire au-delà…). De même que la judicieuse, et offensive, exigence d’une pension de retraite à 75% des six dernières années (lue sur internet). Sur de telles bases, une mobilisation de l’ensemble des  enseignants est possible à l’échelle nationale, dépassant les querelles syndicales. En libérant la parole, à la suite du #pasdevagues, les stylos rouges ouvrent une voie nouvelle et prometteuse.

Nul ne sait ce que nous réserve la nouvelle année mais la naissance de cette prise de parole collective en  réponse à la crise enseignante est de bon augure. Décidément, les gilets jaunes font école ; voila qui pourrait donner des idées à d’autres professions.  

Tous mes vœux, chers stylos rouges.

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