Accueil Édition Abonné A l’école, les instituteurs sont remplacés par de gentils animateurs…

A l’école, les instituteurs sont remplacés par de gentils animateurs…


A l’école, les instituteurs sont remplacés par de gentils animateurs…
Najat Vallaud-Belkacem, en visite ministérielle dans une école élémentaire de Blois, le 9 octobre 2015

L’école a abandonné l’exigence et la transmission des savoirs au profit de la bienveillance et de la quête du plaisir. Transformés en animateurs de centres aérés ou en travailleurs sociaux, les enseignants accompagnent les élèves plus qu’ils ne les instruisent


Il faut le voir pour le croire : le mot « plaisir » apparaît désormais dans les programmes de maternelle[tooltips content= »« Programme d’enseignement de l’école maternelle », disponible sur www. education.gouv.fr »]1[/tooltips] ! Chez les enseignants, l’injonction à ne jamais élever la voix est partout. À la maison, les parents sont pris entre une définition dévoyée de la bienveillance et les rappels des psychologues à la nécessité d’apprendre à leurs enfants à gérer la frustration. Noyé sous des piles de jouets, en stimulation permanente, l’enfant voit l’assouvissement arriver avant même d’exprimer un besoin. Résultat : sa capacité à apprivoiser l’attente, à s’occuper d’un rien, à différer la satisfaction d’une envie s’amenuise. À cela vient s’ajouter la nocivité de la fréquentation trop précoce et excessive des écrans, qui affecte ses capacités attentionnelles, créatives et intellectuelles. L’ensemble de ces paramètres conduit à des classes agitées, où le cadre et l’enseignement sont annoncés par l’institution comme devant s’adapter à chaque individualité, là où, autrefois, il appartenait à l’individu de faire l’effort de s’adapter au cadre. La concentration sur la longue durée, la capacité à répéter un exercice ou l’attente paisible en s’occupant calmement par soi-même deviennent impossibles pour beaucoup.

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Dans cette société du « toujours plus vite », « toujours plus divertissant  », les méthodes du type «  méthode globale  », qui donnent rapidement l’illusion d’une lecture de texte, ne pouvaient que séduire. De même, plaisent aujourd’hui ces fichiers colorés où il suffit d’écrire quelques mots dans les espaces libres d’une page chatoyante, en s’épargnant l’acte complexe et formateur, mais long et parfois fastidieux, d’écrire toute une phrase en s’appliquant sur un cahier. Parallèlement, les classes vertes, les sorties et les événements festifs deviennent un dû. Ce qui relevait du domaine de l’associatif et du centre aéré devient partie intégrante de la vie scolaire, brouillant les priorités. Il n’est pas rare de voir un enseignant justifier ex post une activité ludique imposée par une mairie ou une association de parents d’élèves, alors que la logique voudrait que l’objectif d’apprentissage prime et déclenche, si cela est une vraie nécessité pour l’acquisition d’un savoir, une sortie ou une intervention extérieure.

L’héritage de Najat Vallaud-Belkacem

Le travail fastidieux dont le sens n’est donné que par la recherche de l’exigence n’existe désormais qu’en des lieux réservés : conservatoires de danse ou de musique, centres de sport de haut niveau et établissements cotés, réservés à une élite privilégiée. L’aristocratie du système a ses cursus réservés, qui mèneront ses héritiers de l’École alsacienne aux postes prestigieux. À l’école du peuple, nul besoin de tout cela, ce qui importe, c’est d’en diminuer le coût tout en maintenant son rôle de support de communication politique.

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Ainsi, les textes des derniers programmes en date, rédigés sous Najat Vallaud-Belkacem, sont au savoir ce que la barbe à papa est au sucre en morceaux : beaucoup de volume, pour peu de matière. Redondance et verbiage abscons, indigence de contenu font que de nombreux enseignants avouent ne les avoir jamais lus. Le lecteur pourra évaluer l’étendue des dégâts en feuilletant des manuels d’histoire et géographie de cours moyen. Il y découvrira un zapping à la chronologie décousue et des thématiques aussi essentielles que « se déplacer en France », « consommer » ou « habiter un écoquartier ». Aucun de ces ouvrages, conçus dans la précipitation et pour lesquels il n’existe aucune procédure de validation par l’institution, ne rivalise avec la densité d’un ouvrage d’il y a trente ans.

Lacunes des enseignants

À cet appauvrissement de contenu s’ajoutent les effets de la « masterisation » du recrutement, réforme sarkozyste visant à diminuer le coût de la formation initiale, tout en donnant l’illusion d’un saut qualitatif, par une sélection à un niveau bac + 5. Il y a bien longtemps, les instituteurs passaient, lors du concours, une épreuve vérifiant leur niveau dans les 12 matières qu’ils auraient à enseigner, avant de suivre deux années de formation. Les professeurs des écoles d’aujourd’hui ne choisissent, en plus des mathématiques, du français et du sport, qu’une seule discipline de leur choix au concours, avant d’être directement en charge d’une classe à mi-temps en parallèle d’une formation éclair d’un an. Le manque de maîtrise des contenus disciplinaires est palpable dans bien des matières, car un cursus suivi, même jusqu’à bac + 5, dans des filières universitaires spécialisées ne construit en rien le bagage pluridisciplinaire d’une profession généraliste. C’est ainsi que dans certaines classes, lorsque les compétences sur un domaine font défaut à l’enseignant, des fiches photocopiées tirées d’un fichier clef en main remplacent la nécessaire expérimentation qui construit un esprit scientifique. Ailleurs, ce sont des coloriages de mandalas qui privent les élèves de l’épanouissement de leur créativité et de la culture générale que devrait nourrir une vraie séance d’art. C’est également le niveau de mathématiques qui se trouve affecté, puisque 80 % des enseignants du primaire n’ont suivi aucun cursus scientifique dans le supérieur. Ce n’est pas la formation continue, indigente, essentiellement en ligne et totalement déconnectée des besoins individuels des personnels qui corrigera ces lacunes.

Mais le plus sidérant est que ces enseignants, de moins en moins formés pour transmettre des contenus toujours plus allégés à un public de moins en moins scolaire, vont en plus devoir assumer, en classe entière, la mission autrefois confiée à des éducateurs spécialisés travaillant en petits groupes. Voici venue l’ère de l’école inclusive qui permettra à tout enfant présentant un handicap, de quelque nature qu’il soit, de se voir accueilli en classe ordinaire. La magie du politiquement correct et de la novlangue orwellienne a engendré la disparition totale du handicap, puisque le mot n’a désormais plus cours en milieu scolaire. Bienvenue aux EBEP : enfants à besoin éducatif particulier. Ainsi nommées, leurs problématiques ne peuvent que trouver un accueil forcément adapté puisqu’il s’agit d’un problème d’éducation. Notez qu’en raison du secret médical, les enseignants ne doivent pas être pleinement informés de la nature du handicap. Aucune limite au nombre d’enfants à profil complexe accueillis dans une même classe n’est fixée, aucune analyse de la compatibilité des différents profils entre eux n’est faite, aucune prise en compte de la faisabilité d’un accueil digne au regard des conditions matérielles n’est prévue. De plus, les AESH (accompagnants des élèves en situation de handicap) sont désormais «  mutualisés  ». Il appartient au directeur d’affecter, à temps partiel, ces personnels mal payés en charge d’une tâche complexe, à des enfants qui eux vivent avec leur handicap à temps plein. Largement motivé par un calcul comptable, surfant sur le désir de normalité et la grande solitude des familles, usant de la bien-pensance pour museler les interrogations légitimes, le gouvernement prend le risque d’un accueil inadapté, voire indigne, et d’une dégradation des conditions d’apprentissage pour tous. Qui peut penser, par exemple, que certains autistes dont les besoins de calme, de zone de repli temporaire et de conditions d’éclairage douces sont avérés, trouveront dans une classe bruyante, sous la lumière crue des néons d’une école surchargée des conditions dignes  ? Comment imaginer qu’un enfant aux troubles envahissants du comportement, bruyant et agité, parfois sujet à des crises violentes, ne perturbera en rien le travail de ses camarades ?

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Evaluations stigmatisantes…

Déjà, à l’heure actuelle, culpabilisés et honteux, de nombreux enseignants souffrent en silence de la situation ingérable dans laquelle l’accueil inconditionnel de tous les profils d’élèves a placé leur classe. Les plus courageux avouent parfois devoir faire le choix insoutenable entre accompagner un enfant lourdement handicapé ou soutenir un groupe d’élèves en difficulté. Le dégraissage des Rased (Réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté) a privé depuis longtemps les équipes d’une expertise précieuse. L’absence d’évaluation de la qualité du tissu sanitaire et social d’un bassin scolaire empêche toute prise en considération par l’institution d’un manque d’aide extérieure, notamment dans les déserts médicaux de la «  France périphérique  ». La diabolisation de l’évaluation jugée « stigmatisante et anxiogène » retarde la prise en compte des difficultés les plus lourdes : comment convaincre des parents de la nécessité d’une prise en charge extérieure, en s’appuyant sur le bulletin scolaire de maternelle, lorsqu’il a été remplacé par « cinq photos par an des exploits de l’enfant  » pour positiver, comme l’exigent certaines académies  ? Et que dire de l’indispensable dépistage précoce des troubles par un médecin scolaire, préconisé par le rapport de la Société française de pédiatrie[tooltips content= »« Difficultés et troubles des apprentissages chez l’enfant à partir de 5 ans », Société française de pédiatrie, avril 2009″]2[/tooltips] , rendu totalement impossible par l’absence de cet expert dans bien des écoles ?

Les effets d’annonce, les photos optimistes d’un ministre en visite dans des écoles triées sur le volet, les éléments de langage calibrés pour s’harmoniser avec la communication de la « start-up nation » macroniste n’y changeront rien. Les conditions d’apprentissage se dégraderont. Le niveau baisse et baissera. L’école, service public comme les autres, sera livrée au dépeçage thatchérien  : logique comptable, missions incompatibles entre elles, absence de tout retour d’expérience et d’évaluation honnête. Tout est en place pour légitimer sa privatisation.

Septembre 2019 - Causeur #71

Article extrait du Magazine Causeur




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est enseignante et ex-directrice d'école.

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