« Il est grand le mystère de la foi. » À défaut de le percer, ce qui serait une erreur, deux ouvrages explorent ce qui l’entretient : l’iconographie de la chrétienté pour l’un, la vie et l’œuvre de Jésus pour l’autre. Son message et sa représentation. Deux lectures complémentaires.
Très tôt, le christianisme a eu le génie de comprendre l’importance des images pour diffuser sa doctrine. À l’inverse des idoles païennes, l’imagerie chrétienne est faite pour parler. Elle engage les fidèles à imiter les personnes qu’elle représente. C’est pourquoi s’est instauré, dès les premiers siècles du culte, une codification précise des attributs et des symboles qui évolueront au fil du temps : les auréoles, le nimbe, la Gloire, jusqu’au « portrait » physique de Dieu.
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Victime de l’ingratitude de l’histoire, qui préféra retenir le nom de Prosper Mérimée, Adolphe-Napoléon Didron est l’auteur de L’Histoire de Dieu, publiée en 1843. Ce « don Quichotte patrimonial », selon l’expression de Jean-Michel Leniaud qui signe la préface de cette réédition chez Klincksieck, était à la tête du Comité historique des arts et monuments lorsqu’il entreprit l’ambitieux projet d’inventorier l’iconographie chrétienne afin de la décrypter. Ainsi naissait un ouvrage exceptionnel de nouveauté, car, explique Leniaud, à « une époque où, faute de pouvoir les lire, on prenait volontiers les scènes figurées des cathédrales pour des hiéroglyphes chrétiens, une écriture sacrée du Moyen Âge, Didron venait apporter une méthode de lecture. » Cette méthode, illustrée par 150 planches de Paul Durand, devait être perçue comme un manuel de référence destiné aux chercheurs pour qu’ils identifient, comprennent et datent les formes qu’ils rencontraient sur les cathédrales que l’on redécouvrait alors. Mais Didron ne s’adressait pas uniquement aux savants. Cet intime de Victor Hugo (qui publia Notre-Dame de Paris en 1831), concevait aussi son livre comme un guide pour les artistes désireux de rénover les arts religieux. Une démarche « très XIXe » donc, mêlant relevés scientifiques et interprétation littéraire – un peu trop, d’ailleurs, selon ses détracteurs –, alimentée par des auteurs médiévaux tels Vincent de Beauvais, Jacques de Voragine et Guillaume de Mende et qui mena Didron sur les traces des premiers chrétiens en Grèce et aux confins de l’Empire Ottoman. Ce Champollion des cathédrales constata, par exemple, que « la figure du Christ, jeune d’abord, vieillit de siècle en siècle, à mesure que le christianisme gagne lui-même en âge. La figure de la Vierge, au contraire, vieille dans les catacombes, se rajeunit de siècle en siècle ; de quarante à cinquante ans qu’elle avait à l’origine, elle n’a plus que de vingt à quinze ans sur la fin de l’époque gothique. À mesure que le fils vieillit, on voit la mère rajeunir. » Didron se pencha aussi sur l’Agneau mystique, le tétramorphe (les Évangiles représentés par leurs animaux allégoriques), les saints, Satan… et s’impose dans l’histoire de l’art comme le premier auteur d’un ouvrage d’iconographie. En s’attachant au terme iconographie (et non iconologie, comme on disait jusqu’alors), Didron mit en relation le signifiant, la figure, et le signifié, le sens théologique.
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Et Jésus arrive. Son Dictionnaire, du moins, fruit d’un projet initié par l’École biblique et archéologique de Jérusalem et son programme de recherche « La Bible en ses Traditions » (www.bibletraditions.org). Depuis 2010, des dizaines de contributeurs scientifiques annotent la Bible, en ligne, afin d’en enrichir ses exégèses. Et avec près de 500 entrées, ce dictionnaire – papier – peut être considéré comme un état des lieux des connaissances actuelles sur Jésus, « sa vie, son œuvre ». Le père dominicain Renaud Silly, qui a dirigé cette somme, présente ainsi sa démarche : « Constatant que l’histoire du judaïsme palestinien du Ier siècle est en progrès constant depuis que les manuscrits de la mer Morte sont pleinement disponibles, et qu’une archéologie hyperactive ressuscite les cultures de la Terre sainte au Ier siècle, il nous semble possible de décrire mieux que jamais non seulement le personnage historique de Jésus, mais aussi l’énigme qu’il représentait dans le milieu et la religion de son temps : son aura prophétique, messianique et « divine ». » Divinité pouvant être comprise au sens antique du terme, tel Flavius Josèphe, auteur de l’un des plus anciens témoignages non chrétiens sur Jésus, qui évoque sa divinité sans éprouver la nécessité de se convertir à sa foi, sans voir non plus en lui un « homme divin ». Les entrées Historicité ou Biographie, notamment, questionnent d’autres aspects de manière passionnante, telle la nature du témoignage : « Qui dit quoi à qui ? Et pourquoi ? Pour autant, la démarche « vérificationniste » appelée par le témoignage n’équivaut pas au soupçon a priori : un témoin demande qu’on le prenne au sérieux, à moins qu’on ait de bonnes raisons de douter de lui !». C’est grâce aux témoignages que nous savons le plus de choses sur Jésus, ceux de Pierre, Paul et Jean-Baptiste ; et ces témoins immédiats le décrivent pourtant comme « une énigme »… Le père Silly l’explique par le fait que « l’histoire biblique en général, et celle de Jésus en particulier, préfèrent l’énigme : celle, insondable, du Dieu qui demande à Abraham de sacrifier son fils, et qui consent au sacrifice du sien sur la croix. Impossible de s’en tenir à la surface. […] Si Jésus, en pédagogue antique, se présente comme une énigme, c’est pour éviter l’illusion d’accéder à une vérité tombée du ciel, toute prête-à-penser. L’énigme provoque l’intelligence afin que celle-ci participe au mérite de la découverte. » C’est en quelque sorte le propos de cet ouvrage, s’attacher à l’énigme pour poursuivre l’étude, la lecture et le questionnement qui cultivent notre intelligence.
Histoire de Dieu. Iconographie chrétienne, d’Adolphe-Napoléon Didron, Klincksiek, 2021.
Dictionnaire Jésus, par L’École biblique de Jérusalem sous la dir. de Renaud Silly, Bouquins, 2021.
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