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David Desgouilles: le roman des désillusions des souverainistes

"Leurs guerres perdues" aux éditions du Rocher. Vif et coloré!


David Desgouilles: le roman des désillusions des souverainistes
David Desgouilles Photo : Hannah Assouline

Leurs guerres perdues, le dernier roman de notre chroniqueur, David Desgouilles, raconte trente ans d’échec du souverainisme. De 1988 à l’élection de Macron, ci-gisent les rêves fracassés de ceux qui, à droite comme à gauche, voulaient un autre destin politique pour la France.


On sait, depuis Balzac, que rien n’est plus romanesque que les illusions perdues. Ce sentiment de défaite n’est pas dépourvu d’une poésie amère, d’une mélancolie qui donnera, l’âge venu, un désabusement sceptique, mais sans aigreur. Dans son roman polyphonique, Leurs guerres perdues, David Desgouilles raconte une histoire française, une parenthèse politique de trente ans, entre 1988 et 2017, entre la défaite de Chirac et l’élection de Macron.  À première vue, on pourrait trouver le sujet aride : il s’agit des tentatives (toutes vaines) de mener une autre politique que celle qui a conduit la France à toujours plus d’intégration européenne, à toujours moins de souveraineté. Mais David Desgouilles – dont les lecteurs de Causeur connaissent la pertinence des analyses politiques – a compris que la politique est un roman. Et même un roman total, où toute une époque est restituée, où les personnages viennent de tous les horizons géographiques et sociaux, et où les petits, pour l’essentiel les militants, côtoient les grands fauves, pour qui le pouvoir est une proie, et le bouillonnement des grands noms du milieu intellectuel et journalistique.

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Il faut un art réel allié à une connaissance parfaite des arcanes des partis et des médias pour rendre passionnante cette épopée, à la fois glorieuse et calamiteuse, qui a tenté de réunir, selon la formule consacrée, « les républicains des deux rives », entendez ceux qui, à gauche comme à droite, ne voulaient pas que la France devienne une simple succursale du grand marché unique.

Que nos défaites étaient belles!

Leurs raisons étaient sans doute différentes : pour ceux de gauche, la nation était l’ultime tranchée à défendre contre la régression sociale, la fin de l’État providence fondé par le CNR. Pour ceux de droite, il s’agissait de garder l’esprit de la grande geste gaulliste, celle de 1940 ou de 1958, face à une technocratie aux mains froides qui construisait à l’écart des peuples, parfois même à leur insu, un super État dans lequel se noierait « une certaine idée de la France ».

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Tout l’intérêt du roman de Desgouilles consiste à prendre le point de vue de trois militants, à peine sortis de l’adolescence à la fin des années 1980. Il y a Sandrine Depreyssac, dont le nom fleure bien son Sud-Ouest natal, et deux frères, Nicolas et Sébastien Simonetti, jeunes socialistes de l’est de la France, d’origine italienne, assistant à cette désindustrialisation qui fut un des effets les plus violents de la mondialisation. Si la famille de Sandrine a toujours été RPR, à l’époque où cela voulait encore dire gaulliste, Nicolas et Sébastien vivent dans le souvenir de l’ombre tutélaire du grand-père communiste.

Souvenirs de jeunesse

J’ai compris en lisant son roman la sympathie amicale qui m’unit à Desgouilles depuis quelques années déjà. Elle a plusieurs raisons. La première, c’est que, comme ses héros, nous avons connu tous les deux les gloires et les misères du militantisme de terrain : les boîtages dans les quartiers hostiles, quand il s’agit de distribuer des tracts, les inénarrables problèmes de dosage de l’eau et de la colle pour faire tenir des affiches, la préparation des meetings avec les problèmes d’intendance à régler dans l’urgence, l’illusion lyrique quand le chef prend la parole et, ce que Desgouilles rend très bien, cette manière d’ivresse qui ne peut retomber que dans d’infinies conversations autour d’un verre afin de prolonger ce moment de communion. Ses personnages ont aimé ces combats comme nous les avons aimés. Et sur ce plan-là, nous ne regrettons rien. Nous avons perdu, mais nous nous serons battus, comme des milliers de Sandrine Depreyssac ou de Nicolas et Sébastien Simonetti. Et puis, nous aurons connu les histoires d’amour qui vont avec, parce qu’il n’y a rien de plus érotique, au fond, que le militantisme. Cela peut sembler étrange d’avoir préféré les permanences d’élus, les salles de meetings, les colloques, les universités d’été aux dance-floors des années reines du night-clubbing. Mais, pourtant, cette jeunesse-là, idéaliste, aimant passionnément ce qu’on appelle aujourd’hui « la vieille politique » a existé aussi. Et grâce soit rendue à Desgouilles de le rappeler.

La seconde raison, c’est que, venus d’horizons opposés, nous nous sommes retrouvés, comme dit Aragon, « au cœur du commun combat ». Comment avons-nous compris que ce clivage droite-gauche devenait obsolète, ou tout au moins artificiel ? Exactement comme les personnages mis en scène, dans toute leur complexité et leur humanité, dans Leurs guerres perdues. Pour Sandrine la militante RPR, cela advient quand elle commence à se sentir plus proche de Nicolas, en rupture de ban du PS pour suivre Chevènement, et quand ce même Nicolas comprend qu’au bout du compte, il partage davantage les valeurs de Seguin que de Rocard devenu l’idole de son propre frère Sébastien. La cristallisation, amoureuse et politique, se joue d’ailleurs au moment du débat Seguin-Mitterrand, juste avant le référendum de Maastricht. Puis quand Sarkozy, à peine élu, fait ratifier par le Congrès un traité que les Français avaient refusé en 2005.

Desgouilles restitue toute une époque de manière vive et colorée

Mais David met aussi en scène ces hommes, Seguin, Pasqua, Chevènement, de Villiers, qui n’oseront ou ne pourront jamais franchir le pas. Desgouilles montre que même lorsqu’il présidait le RPR, Seguin n’a jamais pu imposer ses vues contre Chirac, Juppé, Balladur. Attention, là encore, Desgouilles n’écrit pas en essayiste, mais en romancier. Il les incarne, il montre leurs humeurs, leurs dépits, leurs petites manies, comme il le fait pour Nicolas, Sébastien, Sandrine. La politique est une histoire de chair et de sang, de corps en action. Le lecteur peut avoir été étranger en son temps aux querelles parfois byzantines qui ont émaillé ces années de rendez-vous manqués et prendre quand même un vrai plaisir de lecture grâce à la manière dont Desgouilles restitue tout cela de manière vive et colorée.

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Reste à comprendre pourquoi la rencontre n’a pas eu lieu, pourquoi ce meeting de Chevènement, à Lille, lors de la campagne de 2002, où j’ai vu Pierre Lefranc, l’aide de camp de de Gaulle et le député PCF du Pas-de-Calais, Rémy Auchedé, faire un discours et se donner l’accolade, pourquoi tout cela a fini, quinze ans plus tard, par l’élection de Macron qui représente l’exact envers de ce rêve, alors que le RN achève son OPA sur un souverainisme dénaturé.

Les larmes aux yeux

Desgouilles, là encore en romancier, ne donne pas de réponse. Il montre. On peut mettre en cause la malchance, les ego, le manque de courage des uns et des autres, les erreurs tactiques et stratégiques du RPF de Pasqua en 1999 ou de Debout la République de Dupont-Aignan. On peut aussi penser, tout simplement, que cette tentative de faire renaître la France des Trente Glorieuses, dont avaient accouché gaullistes et communistes, était tout simplement vouée à l’échec. Parce que l’Histoire ne se répète pas, ou alors, comme le disait Marx dans Le 18 Brumaire de Napoléon III, « sous forme de farce ». C’est cette farce que raconte Leurs guerres perdues. Mais pour ceux qui y ont cru, elle ne fait pas rire, elle laisse juste les larmes aux yeux.

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Juin 2019 - Causeur #69

Article extrait du Magazine Causeur




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