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Marronnier rose

“Big Sister is watching your boobs”


Marronnier rose
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Les campagnes de « sensibilisation », notre chroniqueuse en a soupé! Billet d’humeur.


Tels les marronniers journalistiques, octobre qui s’achève est revenu enquiquiner le monde. Ce n’est plus un mois, c’est un bulletin médical. Autrefois, la pudeur et le savoir-vivre commandaient qu’on ne parle pas de tout, partout.

Tous ensemble, ouais !

Aujourd’hui, ces vertus passent pour une faute politique. La santé ne se vit plus, elle se partage. On ne soigne plus son corps, on en rend compte.

Le pays tout entier se couvre de rubans roses comme d’une varicelle morale : vitrines, écoles, réseaux sociaux, entreprises, ministères… tous mobilisés. La couleur de la douceur, paraît-il. En réalité, celle de la surveillance bienveillante, mais sourcilleuse.

« Octobre Rose » n’est pas une simple campagne, c’est une croisade hygiéniste. On n’en appelle plus à la responsabilité individuelle mais à la dévotion collective. La République ne se contente plus de vacciner : elle veut palper, sonder, scanner. Elle s’invite dans les tissus mammaires comme autrefois dans les consciences. On croyait que le salut passait par la foi, on découvre qu’il passe désormais par la mammographie.
Le plus fascinant, c’est la ferveur civique avec laquelle chacun s’improvise apôtre de la prévention.

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« Tu devrais vraiment prendre rendez-vous, hein ! » dit la collègue à la pause-café, l’air grave d’un curé à confesse.

« Tu n’as pas encore fait ta mammographie ? » s’indigne la voisine, comme si on venait d’avouer un meurtre.

Le génie de notre époque, c’est d’avoir transformé le contrôle en sollicitude. Refuser de participer à la course caritative, c’est suspect.
Ne pas afficher le petit ruban sur sa photo de profil, c’est presque du négationnisme médical. La santé est devenue un devoir civique, une liturgie sociale, un rite de conformité. Le plus ironique, c’est que cette surveillance douce se pare du visage de la liberté.

« Informer, sensibiliser, accompagner », voilà les trois vertus cardinales du nouveau clergé sanitaire.

C’est pour mieux vous sensibiliser, mon enfant

Mais informer, n’est-ce pas déjà présupposer qu’on sait mieux que l’autre ? Sensibiliser, n’est-ce estimer qu’il ne l’est pas assez ?
Quant à accompagner, c’est surtout s’assurer qu’il ne s’écarte pas du bon chemin. Dorénavant, octobre n’est plus le mois des plantations ou de l’ouverture de la chasse, c’est le mois de la citoyenneté mammaire, nouvelle forme de vertu républicaine. Chacun surveille son prochain au nom du bien et c’est ainsi que se bâtit le contrôle social le plus efficace jamais inventé : l’injonction compatissante, que Tocqueville avait entrevue.

Ce n’est plus la police qui vous observe, c’est votre entourage, votre famille, vos collègues, vos followers. Big Sister is watching your boobs. Et peu-à-peu, le ruban rose remplace le brassard, tout comme la compassion tient lieu de légitime autorité.

Si autrefois, on confessait ses péchés au prêtre, aujourd’hui, on confesse ses oublis médicaux à l’État. On ne dit plus : « J’ai péché. », on dit : « J’ai oublié mon dépistage. » Le médecin devient curé, le dossier médical partagé, registre paroissial. L’Assurance Maladie que vous financez, elle, veille : elle sait si vous avez manqué à vos devoirs sanitaires.

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On imagine déjà la prochaine étape.

Un soutien-gorge intelligent, estampillé Santé Publique France, équipé de capteurs thermiques et d’un QR code tricolore. Ou rose. Chaque matin, il transmettra au ministère votre indice mammaire de conformité. À chaque contrôle, un message : « Félicitations, votre poitrine est en règle avec la République. » Peut-être certaines start-up sont-elles déjà sur l’affaire !

Refuser de partager cette ferveur sanitaire ? C’est louche, ça. Presqu’autant que ne pas être vacciné contre le Covid. C’est une trahison civique et les regards se feront pesants. Avant de passer à la vitesse supérieure ? Qui sait ? Bientôt, les entreprises exigeront peut-être une attestation de dépistage pour accéder à la machine à café. Les femmes libres seront désormais celles qui se laissent examiner sans broncher. La pudeur ou le quant-à-soi deviendront un archaïsme réactionnaire, un reste d’individualisme bourgeois.

« Octobre Rose » n’a rien d’un complot, c’est pire : c’est une évidence. La surveillance la plus aboutie, c’est celle que les gens réclament eux-mêmes, persuadés qu’elle les protège.

Le rose, tout à la fois couleur de l’enfance et de l’érotisme, apaise, endort, séduit. Il est la couleur idéale du contrôle : doux, rassurant, charmeur et maternant. Mais cette colonisation du corps au nom du bien commun qu’est devenue la santé est d’autant plus redoutable qu’elle se fait sans violence.



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Romancière et scénariste belge, critique BD et chroniqueuse presse écrite et radio. Dernier roman: Sophonisbe.

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