L’éditorial de l’été d’Elisabeth Lévy
Il n’a manqué qu’Emmanuel Macron déclarant que nous étions en guerre contre la canicule. Le président tenant tête au soleil sur le mode « Nous ne céderons pas », j’aurais adoré. Remarquez le cœur y était. Le 1er juillet, à Séville, le président sonne le tocsin face à l’ennemi invisible, annonçant à ses pairs, certainement fascinés par une telle vista, que nous sommes entrés dans l’ère de la « vulnérabilité climatique et environnementale ». Notez, ce n’est pas parce qu’il s’occupe des affaires du monde qu’il nous oublie. Il a beau avoir la main sur la dissuasion nucléaire, il vit à hauteur d’homme. La preuve, il publie sur son compte X un épatant petit sermon nous invitant à veiller les uns sur les autres et à faire attention à nos collègues, assorti des excellentes préconisations gouvernementales également diffusées sur nos écrans. Celle que je préfère c’est « Restez au frais ». Bah oui bande de benêts. Rafraîchissez-vous ! Il suffisait d’y penser. Guizot est battu[1], La Palice aussi. J’aimerais bien connaître le petit malin qui a réussi à se faire payer pour trouver ça. En tout cas, le gouvernement est sur le coup. MO-BI-LI-SÉ. Pas de goguette en polo, mais des visites dans les maisons de retraite avec airs de circonstances. Ça va mamie, t’as bu ?
Au cas où vous l’auriez oublié, l’événement à l’origine de ce branle-bas de combat est que, début juillet, il a fait chaud. Un épisode qu’on a seulement connu une trentaine de fois depuis le début du siècle, il y a de quoi paniquer. Durant plusieurs jours, la fabrique de verbiage public et de fadaises médiatiques tourne à plein régime. On apprend avec joie que le Moulin Rouge a pris des mesures pour rafraîchir l’ambiance et que Le Grand Point-Virgule, à Montparnasse, promet un moment de douceur, fier de son système d’air conditionné « à la pointe ». On félicite une start-up citoyenne qui autorise ses employés à venir en claquettes-chaussettes (pourquoi des chaussettes ?).
Après une semaine, le bilan de cet effroyable combat est annoncé, pas par le ministère de la Santé mais par celui de la Transition écologique : deux morts. On attend que l’Assemblée nationale leur inflige une minute de silence.
En tout cas, je paye de ma personne pour vous informer au plus près du terrain, comme on dit dans la confrérie des vestes-à-poches. J’ai donc appelé le 0800 06 66 66, le numéro d’info-canicule. Je n’ai su qu’après que c’était le numéro du diable, sinon je me serais méfiée, si ça se trouve maintenant, le gouvernement m’a collé une puce pour m’espionner. En tout cas, heureusement que ma voisine m’avait déjà dit de bien boire parce qu’il m’a fallu vingt bonnes minutes pour qu’un gars décroche. Un brin lymphatique, mais sympa. Vaguement décontenancé quand je lui ai dit que l’objet de mon appel, c’est que j’avais chaud, il a tout de même patiemment énuméré ce que je devais faire ou ne pas faire, par exemple, sortir en plein cagnard. Un ventilateur, pourquoi pas, mais à condition de ne pas devenir dépendant. Il y a un nom pour l’addiction aux ventilateurs ? Il a juste oublié de me suggérer (comme le fait Santé publique France) d’aller me tanker chez les copains dotés d’une climatisation ou d’une piscine. Faudrait plutôt songer à dénoncer ces privilégiés. Marine Le Pen ayant mis le sujet sur la table, on sait désormais que la clim’, ce n’est pas seulement planètophobe, c’est d’extrême droite.
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Vous me direz que si, aujourd’hui, les vieux ne meurent plus de chaud comme en 2003, c’est parce que le gouvernement a pris les choses en main. Sauf qu’ils ne mouraient pas de chaud, mais de solitude. Aujourd’hui, les services sociaux des mairies appellent leurs administrés pour leur demander s’ils ont des nouvelles de leur grand-père et l’Éducation nationale encourage les parents à apporter des ventilateurs à l’école. C’est ce qu’on appelle le progrès.
Sur les réseaux sociaux, les habituels mauvais coucheurs dénoncent l’infantilisation des Français. En vérité, même les enfants et les simples d’esprit pourraient se sentir offensés par des consignes aussi neuneu. Reste que, tels des enfants capricieux adressant à leur mère des injonctions contradictoires, la sommant à la fois de les laisser tranquilles et de s’occuper d’eux, nous détestons la contrainte mais exigeons de nos gouvernants des solutions à chacun de nos problèmes. Et procéduriers avec ça. Si les bureaucrates pondent des directives idiotes, ce n’est pas seulement parce qu’ils nous prennent pour des cons, mais parce que, s’ils ne le faisaient pas, il se trouverait des petits malins pour les traîner en justice et des tribunaux pour les sanctionner. Personne ne m’a dit qu’il ne fallait pas courir par 40 degrés, monsieur le président. Sans compter que les médias dénonceraient en boucle la déconnexion des puissants, bien au frais dans leur bureau pendant que le populo transpire.
Et puis, on y prend goût à ce que l’État nous apprenne à vivre. Avec l’ami Jean-Baptiste Roques, on a déniché plein de services inutiles pour nous épargner la fatigue d’être soi. On vous laisse arpenter la forêt touffue des numéros verts. Certains s’offusqueront qu’on leur parle à la première personne, comme s’ils étaient simples d’esprit – « Je n’oublie pas d’éteindre la lumière quand je sors de mon bureau. » Moi j’aime bien, ça me rappelle le petit lapin du métro de mon enfance qui disait : « Ne mets pas tes mains sur la porte, tu risques de te faire pincer très fort ! » Au chapitre des écogestes, source intarissable de préceptes et d’interdits, tu apprendras à quelle fréquence laver tes culottes et aérer ta chambre. Et après, tu pourras faire un gros dodo. Maman est là.
[1] Ministre et président du Conseil sous la Monarchie de Juillet (1830-1848), François Guizot est célèbre pour sa célèbre apostrophe : « Français, enrichissez-vous ! »





