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Le Sahara occidental, autre ligne de front des rivalités hégémoniques mondiales

Rabat, Alger et le petit jeu des grandes puissances


Le Sahara occidental, autre ligne de front des rivalités hégémoniques mondiales
Un garçon sahraoui se tient à l'ombre à Boujdour, le 11 octobre 2021 © Bernat Armangue/AP/SIPA

L’offensive du Front Polisario du 27 juin aux abords de la ville de Smara survient alors que le Congrès américain examine la possibilité de classer le mouvement parmi les organisations terroristes. Le conflit régional du Sahara occidental s’inscrit désormais dans une logique de compétition entre grandes puissances, avec Rabat courtisé par Washington, Moscou et Pékin, tandis que l’Algérie voit son isolement s’accentuer, analyse notre expert.


Nous sommes nombreux en Occident, citoyens et dirigeants, à ressentir une angoisse grandissante devant le spectacle du monde, l’effondrement de l’ordre international que nous avons dominé pendant des décennies et devant la multiplication des conflits de haute intensité et des foyers de tension. Ce monde instable et fracturé, ce monde dans lequel les appétits ne se cachent plus et la guerre entre États a fait sa réapparition, est pourtant un retour à la normal.

Fin de l’histoire

L’anomalie fut les trois décennies de paix que nous venons de vivre – paix approximative que nous avons cru perpétuelle. Endormis par l’idée (mal comprise) de la « fin de l’histoire », le mensonge (avantageux pour certains) de la « mondialisation heureuse » et l’illusion (sédative) des « dividendes de la paix », nous peinons, particulièrement nous autres Français et Européens, à sortir de notre torpeur. Il y aurait pourtant urgence à réapprendre le langage de la force et la grammaire de la géopolitique.

Car le risque que les contentieux accumulés entre le camp anti-occidental (emmené par la Chine et la Russie) et les États-Unis et leurs alliés (menacés par un découplage stratégique lourds de menaces) dégénèrent en confrontation, voire à terme en guerre hégémonique, est désormais une hypothèse à prendre au sérieux. Les rivalités s’aiguisent, les lignes de front se multiplient, des conflits locaux ou régionaux deviennent des pièces sur l’échiquier du « grand jeu » mondial.

C’est le cas de la rivalité entre l’Algérie et le Maroc, les « frères ennemis » du Maghreb, autour du Sahara occidental. Sur le plan international, Rabat a marqué d’incontestables points ces dernières années avec la reconnaissance de sa souveraineté sur la région par les États-Unis (2020), l’Espagne (2021), l’Allemagne (2022), la France (2024) et le Royaume-Uni (2025) notamment. Ces succès contribuent à isoler l’Algérie, dont les relations sont exécrables, chaotiques ou difficiles avec beaucoup de pays européens (le cas de la France étant paroxystique) mais qui ne peut pas non plus rallier trop franchement le camp anti-occidental si elle veut continuer d’écouler vers l’Europe ses hydrocarbures (qui représentent 93 % de ses exportations de marchandises et 47 % de ses recettes budgétaires).

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La situation au Sahara occidental s’est récemment tendue avec l’attaque au mortier par le Front Polisario, le 27 juin dernier, d’une zone inhabitée à proximité de la ville d’Es-Smara (ou Smara, 56 000 habitants), sans faire de victimes. L’organisation a revendiqué les tirs et les autorités marocaines affirment avoir éliminé leurs auteurs. Cet attentat est un nouveau jalon dans la rupture de la trêve en novembre 2020, après près de trente ans de cessez-le-feu.

Mais il faut inscrire cette attaque, aux conséquences limitées sur le terrain, dans une séquence internationale plus large. En effet, la veille à Washington, le représentant de la Caroline du sud Joe Wilson avait déposé un texte au Congrès visant à inscrire le Polisario sur la liste des organisations terroristes étrangères. Il faut comprendre cette proposition, qui exaspère à Tindouf (siège de l’organisation) et à Alger, à deux niveaux : au niveau local, pour mettre la pression sur la partie qui rechigne à toute négociation ; à l’échelon international, parce que le Sahara occidental constitue l’un de ces fronts, secondaires mais pas négligeables pour autant, où se jouent les rivalités entre grandes puissances.

Tebboune lâché par Moscou ?

C’est ainsi que la Russie, historiquement proche du régime algérien et tenant d’un règlement « pacifique et durable » du dossier sahraouis fondé sur les résolutions des Nations unies, souffle le chaud et le froid dans sa relation avec Rabat. Sur le Sahara occidental, alors que Vladimir Poutine ne donna aucune garantie au président algérien Abdelmadjid Tebboune lors de sa visite à Moscou en juin 2023 (au grand dam de ce dernier), son ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a rassuré l’Algérie en janvier dernier en rappelant que la crise « devrait être résolue sur la base du principe d’autodétermination » et en réaffirmant la pérennité du partenariat stratégique avec Alger.

C’est que la position russe s’inscrit, nous l’avons dit, dans un contexte de rivalités d’influence croissantes sur le continent africain où les économies émergentes attirent de plus en plus l’œil des grandes puissances de ce monde. Moscou n’entend pas laisser à Washington l’exclusivité de la relation avec Rabat. D’autant moins que le Maroc, qui s’est mué en véritable puissance régionale ces deux dernières décennies, demeure parmi les premiers partenaires commerciaux de la Russie sur le continent africain.

Quant à la Chine, elle articule dans la région ses deux leviers habituels : non-ingérence et diplomatie économique. Concernant le dossier du Sahara occidental, Pékin a toujours prôné une certaine neutralité, ne reconnaissant ni la République arabe sahraouie démocratique (RASD), ni la souveraineté du Maroc sur le territoire (même si elle a voté en 2021 la résolution 2602 des Nations unies favorable au plan d’autonomie sous souveraineté marocaine).

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Mais sur le plan économique, la balance penche désormais en faveur de Rabat, qui a réussi à s’imposer comme une plateforme d’investissement et commerciale sûre et performante au niveau africain et méditerranéen. Selon l’Institut de recherche industrielle chinois Huajing, les échanges commerciaux entre les deux pays ont atteint un peu plus 4 milliards de dollars américains entre janvier et mai 2025, marquant une hausse de 14,3 % par rapport à la même période en 2024. Et il faut prendre comme un signal fort, si elle est confirmée, l’information parue il y a un mois selon laquelle l’Algérie aurait renoncé à confier à la Chine la construction du grand port d’El Hamdania, projet lancé en 2015 pour rivaliser avec Tanger-Med.

On le comprend donc, la question du Sahara occidental est à analyser, comme de nombreux autres conflits dans le monde, comme une poupée russe : à son caractère régional, historique et critique pour Rabat et Alger, s’ajoute une dimension mondiale. Aucune grande puissance ne peut, ni ne veut être absente du jeu. Rien de nouveau sous le soleil de la géopolitique mondiale, dira-t-on. Si ce n’est que les Européens, nous l’avons dit en commençant, l’avaient oublié. Il serait temps de regarder le monde tel qu’il est. Gouverner, c’est choisir et choisir, c’est renoncer. Puissance affaiblie et sur le reculoir, un pays comme la France a besoin d’alliés. L’Algérie ne saurait en être un. La reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental en 2024 fut un pas dans la bonne direction. Rabat est courtisé par Washington, Moscou et Pékin. Qu’attend Paris pour aller plus loin ?



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est délégué général de l'institut Thomas-More

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