À la recherche de l’esprit français
L’esprit n’est d’aucune terre en particulier, et s’il se trouve circonscrit à un village (ou un pays), il déchoit. Mais l’esprit n’existe pas non plus dans une pureté désincarnée, sans aucun lien avec des paysages, des rues, des souvenirs, et surtout sans la langue où il se déploie. La particularité de l’esprit français est d’avoir promu les jeux de l’esprit, la beauté de l’esprit : l’esprit pour lui-même. Dans Le Livre du courtisan, Castiglione regrette, au début du XVIe siècle, la brutalité des Français qui méprisent les lettres et n’aiment que la noblesse des armes. La France, sur le modèle italien, se transformerait bientôt en une société de cour, où l’agglomération des courtisans, la prétention, la vanité et l’ennui allaient donner au mot d’esprit, et à l’esprit, une place nouvelle. Qui n’a pas d’esprit en France se confond avec le vulgaire, fût-il un Grand de la République. La France a pris la dimension d’un salon universel, où l’on pique (« ça pique ! »), où l’on débite des paradoxes, où l’on aime critiquer des films, des matchs (« on refait le match »), des livres (« t’en as pensé quoi ? »). Dans le meilleur des cas, l’esprit français est un bretteur faussement grincheux, animé par le goût de la bagarre, le sens de la drôlerie et le panache des causes perdues. Dans le pire des cas, cet esprit n’a rien d’élevé : « Les autres parties du monde ont des singes ; l’Europe a des Français. Cela se compense » (Schopenhauer).





