Pour les connaisseurs des relations entre l’Amérique et Israël, les deux pays ont évidemment coordonné leurs attaques. En épaulant son allié et ami Bibi pour détruire ou paralyser les capacités nucléaires iraniennes, Trump a renié son engagement de ne plus lancer l’Amérique dans des guerres. Mais face au succès affiché, sa base MAGA le soutient avec enthousiasme.
Tout s’est passé soudainement et rapidement. Le 21 juin, alors qu’il venait de faire savoir, quelques heures auparavant, qu’il prendrait sa décision de bombarder ou non les sites nucléaires iraniens « au cours des deux semaines à venir », Donald Trump donne l’ordre à sept bombardiers furtifs B-2 Spirit, chargés des fameuses bombes « Bunker Busters » pesant chacune 14 tonnes, de pilonner les usines d’enrichissement d’uranium de Fordo et Natanz. En réponse, Téhéran prétend avoir déjà déplacé son programme atomique et lance des frappes de représailles contre la base américaine d’Al-Udeid, au Qatar. Prévenus par les Iraniens, les Américains ne déplorent aucune perte.
Contradiction
L’enchaînement inattendu des événements laisse perplexe. Alors que les Américains viennent d’élire un président opposé à toute participation à des guerres extérieures, les États-Unis ont pris les armes aux côtés des Israéliens. Cette contradiction apparente soulève de nombreuses questions. Que savait Trump quand Netanyahou a lancé les premiers bombardements sur l’Iran ? Comment la base MAGA réagit-elle à des événements qui, selon certains commentateurs, sonnent le glas d’une promesse électorale ? Le président américain payera-t-il un prix politique ? Ses décisions de juin 2025 finiront-elles par plonger le Proche-Orient dans une conflagration générale, où les États-Unis seront de nouveau empêtrés ? On peut déjà répondre clairement à quelques-unes de ces questions.
Lorsque Benyamin Netanyahou lance, une semaine avant celle des Américains, une attaque aérienne contre l’Iran le 13 juin, tout le monde s’interroge : « A-t-il prévenu Donald ? » Ces deux-là sont de proches alliés. Au cours de son premier mandat, Trump a apporté un soutien inconditionnel au premier ministre israélien, allant jusqu’à transférer l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. « Bibi », après quatre ans de relations de plus en plus difficiles avec Joe Biden, n’a pas caché sa joie de retrouver son vieil ami Républicain à la Maison-Blanche. Au cours des six premiers mois de la nouvelle administration Trump, les deux hommes se sont fréquemment rencontrés et peu de connaisseurs doutent qu’ils aient échangé au sujet de leurs projets pour l’Iran.
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Par exemple Larry Haas, ancien responsable de l’administration Clinton et ex-directeur de la communication du vice-président Al Gore : « Au cours de ces derniers mois, le président Trump a surpris Israël avec certaines de ses actions, en particulier l’accord séparé qu’il a conclu avec les rebelles houtis. Malgré tout, je n’arrive pas à croire que Netanyahou puisse lancer des frappes contre les installations nucléaires iraniennes sans en prévenir la Maison-Blanche. La frappe américaine ultérieure semble faire partie d’une stratégie américano-israélienne plus large visant à paralyser ou à détruire la capacité nucléaire naissante de l’Iran une fois pour toutes. »
Même son de cloche chez l’historien Irwin Gellman, auteur d’une biographie monumentale de Richard Nixon : « Tout comme Jack Kennedy et David Ben Gourion ont sans doute discuté de ce qu’Israël ferait à un ennemi potentiel, je ne doute pas un seul instant que Netanyahou ait discuté de son attaque initiale contre l’Iran avec Trump. » Il ajoute que les deux dirigeants sont « très complices. Du moins, dans l’esprit de Bibi ».
Reste à savoir ce que sera la réaction de la base MAGA après ce qui ressemble fortement à un reniement de l’engagement pris par Trump dès l’annonce de sa première candidature présidentielle il y a dix ans.
Le matin du 18 juin, soit trois jours avant les frappes américaines, Steve Bannon, ancien conseiller de Trump, et porte-parole de l’aile radicale du courant MAGA, donne une conférence de presse matinale à Washington, organisée par le très réputé Christian Science Monitor. Il prône la prudence : « Si nous sommes forcés d’attaquer l’Iran militairement, il ne faut pas le faire demain, après-demain ou le jour suivant. Le président devrait prendre son temps et bien réfléchir en consultant ses conseillers. » Se déclarant ami d’Israël, l’animateur du podcast très populaire « War Room » critique néanmoins l’attaque des installations nucléaires par Tsahal, qu’il voit comme une tentative irresponsable de « changer » le régime iranien, voire de le « détruire ».
Si Bannon n’a pas tort quant à l’objectif ultime de Netanyahou, il se trompe sur la décision de Trump. Il rappelle qu’en 2016, nombre d’experts ont annoncé la défaite de Trump lors de la primaire de Caroline du Sud parce que son opposition aux « forewer wars» guerres sans fin » ( était selon eux insultante dans « l’un des États les plus patriotiques de l’Union ». Et Bannon d’expliquer comment Trump a néanmoins triomphé sur son rival, Jeb Bush, l’ancien gouverneur de Floride, en associant son image à celle de son frère George W. Bush, responsable de la guerre en Irak. Puis, se tournant vers le présent et l’Iran, il déclare, catégorique : « Nous ne voulons plus de guerres éternelles », avant d’attaquer la chaîne Fox News, qu’il accuse de faire de la propagande belliqueuse vingt-quatre heures sur vingt-quatre exactement comme à l’époque de l’invasion de l’Irak. Selon lui, les journalistes de la chaîne d’information continue sont aux antipodes de l’esprit MAGA. Mais dans quelle mesure Bannon l’incarne-t-il lui-même ?
Une révolte des Républicains peu crédible
Bob Livingston, ex-président de la puissante commission budgétaire de la Chambre basse du Congrès, ne croit pas à une révolte des élus républicains. Certes deux représentants au Congrès, le très libertaire Thomas Massie (Kentucky), et la figure de l’alt-right Marjorie Taylor Greene (Georgie) s’opposent de façon véhémente au bombardement de l’Iran, « mais pas beaucoup d’autres », note-t-il. « Exprimer bruyamment leur opposition est une chose, mais je ne peux pas concevoir que même Massie et Greene se rangent du côté des démocrates pour limiter le pouvoir du commandant en chef. »
Si une majorité des élus restent fidèles à Trump, il en va de même pour les militants. Selon Marc Rotterman, journaliste de Caroline du Nord spécialisé dans les affaires publiques, « une majorité de la base MAGA est d’accord avec la décision du président Trump de détruire les installations nucléaires iraniennes ». C’est aussi l’opinion de Bill Ballenger, grand expert de la vie politique au Michigan : « Il y aura quelques dissensions au sein de la base MAGA, mais dans l’ensemble, ils acceptent la décision de Trump. »
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Il ne faut pas oublier le prestige dont jouit Donald Trump en tant que fondateur et chef incontesté du courant MAGA. De même que Ronald Reagan, largement considéré comme l’incarnation du mouvement conservateur moderne, se faisait pardonner chaque fois qu’il quittait sa ligne strictement conservatrice (comme quand en 1982 il est revenu sur une partie des réductions d’impôts de l’année précédente), Trump est excusé par sa base pour son intervention dans le conflit irano-israélien. « Les électeurs MAGA adulent Trump et lui font confiance, affirme Henry Olsen, chroniqueur respecté et auteur d’un livre sur les cols bleus qui votent républicain. Ils sont prêts à approuver son action dans tel ou tel domaine jusqu’à ce qu’il échoue sans reculer, ce qui n’est pas encore arrivé. Beaucoup d’influenceurs MAGA sur le Net exercent peu d’influence sur leur public, surtout quand ils critiquent Trump. »

Au moment où ces lignes sont écrites, début juillet, rien ne suggère que le bombardement américain de l’Iran conduira à un déploiement de troupes dans un conflit auquel le président est pressé de mettre fin. Ni que les fidèles de Trump pourraient l’abandonner ou même le critiquer. La situation est bien résumée par Christopher Nicholas, conseiller politique chevronné des républicains en Pennsylvanie : « La majorité de sa base sera parfaitement à l’aise avec l’intervention militaire, pourvu que celle-ci s’arrête à peu près là. »
Trump peut-il se présenter comme un artisan de la paix ? À 5 h 30, le 24 juin, sur le point de partir pour le sommet de l’OTAN à La Haye, il essaye de se placer au-dessus des deux adversaires, en déclarant aux journalistes présents : « Nous avons essentiellement deux pays qui se battent depuis si longtemps et avec tant d’acharnement qu’ils ne savent plus ce qu’ils foutent » (« …what the f*ck they’re doing »).Au-delà de ses fanfaronnades et de ses grossièretés, les spécialistes du trumpisme sont convaincus que le président est déterminé à éviter d’impliquer les États-Unis dans une lutte entre des ennemis jurés.
Dans un article récent publié dans Foreign Affairs, Lawrence D. Freedman, professeur émérite d’études de guerre au King’s College de Londres, voit dans l’échec de la guerre américaine en Afghanistan (la plus longue de l’histoire des États-Unis), comme dans l’enlisement de la guerre russe en Ukraine, la preuve que la force armée est incapable d’apporter des victoires décisives : selon lui la puissance militaire se transforme de nos jours inmanquablement en impuissance politique[1]. Trump n’a pas dit autre chose, le 13 mai, lors d’un discours capital à Riyad, en Arabie saoudite, durant lequel il a explicitement rejeté l’idée selon laquelle des changements positifs au Proche-Orient pourraient être imposés par la force. Il est donc très peu probable qu’il aille plus loin dans son soutien opérationnel à Netanyahou ou qu’il fasse quoi que ce soit de nature à lui aliéner une base qui continue de soutenir avec autant d’enthousiasme.
[1] « The Age of Forever Wars », Foreign Affairs, 14 avril 2025.





