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Après les rassemblements « pour les messes »: le dilemme de Darmanin

Que faire après les prières de rue devant Saint-Sulpice?


Après les rassemblements « pour les messes »: le dilemme de Darmanin
Des catholiques se rassemblent devant l’église Saint-Sulpice à Paris pour protester contre l'interdiction de célébrer les messes imposée par le gouvernement et confirmée par le Conseil d'État. © JEANNE ACCORSINI/SIPA Numéro de reportage: 00991058_000028.

 


Surréaliste pour les uns, émouvant pour les autres, intolérable pour certains. Le soir du vendredi 13, des centaines de fidèles catholiques se sont réunis à Paris devant Saint-Sulpice pour prier et chanter, demandant au gouvernement de permettre l’organisation de messes dans les églises malgré le confinement. 


D’autres rassemblements similaires avaient déjà eu lieu, d’autres sont prévus.

Sur les réseaux sociaux, on compare naturellement ces regroupements aux prières de rue musulmanes, le « camp laïque » y voit un défi insupportable à l’autorité de la République et exige des verbalisations massives, pendant que des croyants – et des non-croyants – se réjouissent de voir que, finalement, le catholicisme français ne se résout pas à une lente disparition, et que nous ne sommes pas condamnés à ce que l’islam devienne la seule religion visible. Le gouvernement tente l’apaisement, mais promet à l’avenir la fermeté. Que dire ?

Vers un affrontement inéluctable?

Si le vendredi 13 évoque l’arrestation des Templiers par Philippe le Bel, donc un combat entre l’état et une organisation religieuse, la situation tient plutôt de la tragédie grecque, et pas seulement en référence à Créon et Antigone. C’est l’affrontement semble-t-il inéluctable de gens pourtant tous honorables et bien intentionnés. Car enfin !

Qui peut raisonnablement imaginer que ces rassemblements – le terme de « manifestations » lui-même semble excessif – menaceraient la République ou la laïcité ? Ces groupes partageant le Salve Regina et des chants scouts ne tiennent pas l’ombre d’un propos, ne se réfèrent pas au plus petit commencement d’un symbole qui remettraient en cause ce qui fait notre société, nos libertés, nos droits et nos devoirs de citoyens. Chez nous, soyez reine n’est pas un appel à remplacer la République par une monarchie théocratique ! Ils ne sont pas seulement pacifiques, ils sont paisibles, sans une once d’agressivité. On peut évidemment désapprouver leurs demandes, on peut désapprouver leur action, mais on ne peut pas faire l’impasse sur ce simple constat qui d’emblée les place à part. Je ne vois qu’un équivalent : les Gilets jaunes des premiers jours, sur les ronds-points, avant qu’ils soient empoisonnés par l’extrême-gauche. Deux visages complémentaires et sans doute inséparables de la France affirmant avec dignité sa détermination à ne pas disparaître.

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À rebours, comment ne pas voir le bienfondé de la réaction du « camp laïque » ? – le vrai bien sûr, le républicain, pas ces insupportables tartuffes qui confondent laïcité et multiculturalisme. C’est peu de dire que notre pays est déchiré, c’est peu de dire que la laïcité et la soumission des religions à la loi commune sont remises en cause, alors qu’elles sont tout ce qui nous sépare à terme d’une nouvelle Saint Barthélémy. Certes, la messe est importante dans la vie des fidèles, mais il faudrait être totalement inconscient pour ne pas voir les instrumentalisations qui seront faites de tels rassemblements, et je comprends ceux qui disent qu’un minimum de sens civique aurait donc commandé de s’en abstenir.

Ils ont tous raison

Reste le gouvernement, représenté ici par Gérald Darmanin dont il faut saluer la mesure. Là encore, on peut bien sûr désapprouver sa décision d’avoir laissé faire tout en interdisant de recommencer, mais je ne doute pas un instant qu’elle ait été motivée par un sincère souci d’équilibre et de concorde. Il sait bien sûr que nombre d’églises sont largement assez grandes pour accueillir des fidèles dans le respect des règles sanitaires, mais craint sans doute une tolérance que certains s’empresseraient de présenter comme une injustice envers d’autres cultes, qui disposent moins souvent de locaux assez vastes.

Tragédie d’un vain affrontement, car il est plus que temps de réconcilier Don Camillo et Péponne. Ceux qui disent que l’Homme ne se nourrit pas seulement de pain, surtout en période de crise, ont raison. Et je suis heureux qu’ils le disent, j’espère qu’ils continueront à le dire et à le montrer : tant que nous n’aspirerons pas collectivement à plus que du pain et des jeux, nous foncerons à pleine vitesse vers l’abyme. Ceux qui veulent affirmer l’autorité de l’État et de la loi commune, tout particulièrement face à des revendications religieuses, ont raison. Puissent-ils toujours continuer à le faire: en refusant que les appartenances confessionnelles puissent primer sur la citoyenneté, ils sont les défenseurs de la liberté de conscience, sans laquelle toute autre liberté est vaine, et sans laquelle il n’y a d’ailleurs aucune foi possible. Et un État qui tente de trouver l’équilibre entre des principes contradictoires mais également fondamentaux, de tisser ensemble comme il peut la perfection de l’idéal et la complexité du réel, a raison : c’est l’essence même de la politique. Ils sont tous bien intentionnés, ils ont tous raison, et pourtant.

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Sans le vouloir le moins du monde, les uns fournissent des armes médiatiques aux islamistes qui ne tarderont pas à hurler au « deux poids, deux mesures ». Les autres semblent s’ingénier à donner raison aux mensonges de Mélenchon qui tente de faire croire que la laïcité serait par essence anti-religieuse, poussant les croyants de tous bords vers une ligne désastreuse à la CoeXisTer. Le gouvernement risque d’osciller entre pusillanimité et autoritarisme, et comment le peuple pourrait-il accepter qu’on envoie les forces de l’ordre disperser des foules pacifiques chantant l’Ave Maria, pendant qu’elles évitent soigneusement de faire respecter le confinement dans certains quartiers bien connus ?

Je vois d’ici ceux qui se frottent les mains, et ils ne sont pas bien intentionnés.

Même si la loi peut être absurde, un devoir d’exemplarité

Alors que faire ? Peut-être tout simplement retrouver l’esprit plutôt que la lettre de nos lois, et faire appel à ce que les catholiques venus prier devant Saint Sulpice et les défenseurs de la laïcité ont en commun : le souci de l’intérêt général et l’exigence de vérité.

La vérité d’abord : quel est l’état de nos connaissances sur l’épidémie et sa transmission ? Sans verser dans le complotisme, mais sans que ceux qui ont menti éhontément se croient maintenant autorisés à exiger une confiance aveugle (l’épopée des masques d’abord dits inutiles puis enfin rendus obligatoires étant particulièrement révélatrice).

Il est en effet facile de voir qu’interdire à des gens d’assister (en respectant les distances de sécurité) à une messe à l’église Saint Sulpice, pendant qu’on les autorise à s’entasser dans le métro à la station Saint Sulpice pour aller acheter des nains de jardin (eh oui, ils sont en vente dans les rayons jardinnerie, ouverts) est ubuesque, et ne peut que susciter le rejet. L’indispensable primauté de la loi de la République n’est pas non plus un blanc-seing pour l’absurdie.

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De même, les catholiques peuvent aisément comprendre et accepter que, tout particulièrement du fait du rôle unique, parfois sombre mais aussi éminent, de leur religion dans l’histoire de la France, ils ont un devoir d’exemplarité – à condition que l’on cesse, pour combattre ceux qui abusent d’une liberté, de vouloir la restreindre au détriment de ceux qui en font bon usage. Ce n’est pas là où l’on chante le Notre-Père que les enfants refusent de chanter la Marseillaise….

Le gouvernement a annoncé qu’il allait rapidement consulter les cultes, c’est une excellente chose. Espérons qu’il se souviendra que la spiritualité ne passe pas que par la religion, et pensera à ceux qui se ressourcent dans la nature, aux réunions des loges maçonniques ou dans des cafés philo : ces quêtes de vérité ne sont pas moins légitimes. Et espérons que les cultes garderont à l’esprit que leur soumission sincère à la loi commune est une condition de la paix civile.

Puisse cet épisode être aussi l’occasion de rappeler deux principes également indispensables. D’abord, que la recherche de transcendance et de spiritualité est un droit, qui va d’ailleurs bien au-delà de la liberté de culte. « La vie est plus importante que tout » a dit Gérald Darmanin. Oui, à condition de ne pas confondre la vie et la survie, et de ne pas oublier ce qui permet à la vie d’être infiniment plus que la survie. Ensuite, que la laïcité ne s’oppose évidemment pas à la liberté de culte, mais qu’elle la subordonne très justement et très fermement à d’autres droits encore plus fondamentaux, et à d’autres devoirs. La liberté de culte ne saurait en aucun cas devenir la liberté d’agir au détriment du bien commun en propageant un virus, qu’il s’agisse de la Covid-19 ou du virus nettement plus dangereux encore du fanatisme théocratique.



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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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