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Confinez-vous, déconfinez-vous qu’ils disaient !

Le temps suspendu


Confinez-vous, déconfinez-vous qu’ils disaient !
Confinement: "Papa, quand est-ce qu'on arrive?" L'allocution du 13 avril est très attendue. © Jacques Witt/SIPA Numéro de reportage: 00950239_000006

Alors que la parole présidentielle est attendue comme jamais (elle est prévue pour 20h02), « l’après-confinement » pose de nombreuses questions. Le monde d’après le confinement risque fort de ne pas ressembler au monde que nous aimons.


Depuis le 17 mars dernier, la France vit à un rythme particulier.

Pour les entreprises comme pour les particuliers, ce temps suspendu paraît long. La gestion du déconfinement est un problème en soi, qui va nous occuper aujourd’hui.

Tout le monde l’a bien compris : le confinement vise à ralentir la progression de l’épidémie de covid au sein de la population. Mais il ne peut arrêter complètement la maladie. Au contraire, il contribue même à prolonger la circulation du virus à bas bruit.

Où en est-on avec l’immunité de groupe après presque un mois de confinement ? Cela dépend fortement des régions. Dans les régions les plus touchées (Grand Est et Île de France), l’immunité se rapprocherait des 20%

En restreignant les interactions sociales, on diminue le nombre des nouveaux contaminés / immunisés qui, en tant que non-récepteurs et non-transmetteurs, sont les meilleures barrières à la propagation de la maladie. On sait qu’il faut une immunité de groupe (ou immunité collective) d’environ 60% pour qu’une épidémie s’épuise. En l’absence de cette immunité de groupe, on aboutit inéluctablement à un rebond de contamination au moment où on lève le confinement, ce qu’on appelle « la deuxième vague ». La deuxième vague peut être immédiate ou différée, violente ou modérée. Elle témoigne que le virus continue à se propager au sein d’une population insuffisamment immunisée. Ainsi le confinement ne guérit pas l’épidémie, il l’étale dans le temps. 

L’immunité de groupe

Pourquoi alors ne pas avoir attendu l’obtention naturelle de cette immunité de groupe ? Certains pays (Royaume Uni, Suède…) avaient envisagé cette solution « naturelle ». Malheureusement, ils ont vite été rattrapés par la gravité de la maladie. Faisons les comptes : pour une population comme celle de la France, soit 67 millions d’habitants, un taux de 60% de contamination veut dire que 40 millions de personnes doivent contracter la maladie. S’il y a 5% de formes graves (dites « réanimatoires »), cela fait 2 000 000 de personnes ayant besoin de réanimation. Et si la mortalité de la maladie est de 1%, cela revient à accepter 400 000 morts ! Décidé en urgence, le confinement a visé à briser une dynamique dramatique qui était ingérable à court terme. Il fallait décharger les hôpitaux débordés par l’afflux de malades. En étalant le pic épidémique, on évitait la saturation immédiate. On pouvait aussi espérer attendre les progrès scientifiques en matière de traitements, de tests diagnostics et peut-être même de vaccins.

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Où en est-on avec l’immunité de groupe après presque un mois de confinement ? Cela dépend fortement des régions. Dans les régions les plus touchées (Grand Est et Île de France), l’immunité se rapprocherait des 20%. Ainsi une sérologie systématique pratiquée sur les femmes enceintes admises dans les maternités parisiennes début avril a révélé que 15% d’entre elles avaient été en contact avec le virus. Chez le personnel soignant, quotidiennement confronté aux patients, le taux d’infection est évidemment beaucoup plus élevé : des tests réalisés sur le personnel soignant de l’hôpital universitaire de Sheffield, en Angleterre, ont montré que 18% avaient été infectés au 29 mars… C’est-à-dire il y a déjà 15 jours ! Un tiers de ces personnes avaient continué à travailler avec des symptômes mineurs… On peut imaginer la diffusion nosocomiale de virus que cela a représenté depuis.

Il est illusoire de croire qu’on peut isoler complètement sur le long terme les vieillards et les handicapés (…) Le syndrome de glissement qui affecte les personnes âgées dépendantes abandonnées de leur proches est connu et redouté

Cette immunité acquise au prix de la maladie est le premier facteur qui peut être utilisé pour le déconfinement. Il s’agit de pratiquer un déconfinement partiel, ciblé, adapté au statut immunitaire de chacun. D’ores et déjà on pourrait « libérer » ceux qui ont été infectés et qui sont guéris, sachant que la durée d’éviction après les premiers signes de la maladie est de 14 jours (et peut-être même moins : l’APHP recommande une durée d’éviction de 10 jours pour son personnel atteint de forme bénigne). Ce « certificat d’immunisation » pourrait être délivré par les médecins en charge des malades à la phase aiguë (médecins de ville ou médecins hospitaliers). La preuve de la maladie peut être fondée sur des critères cliniques (par exemple l’anosmie brutale sans rhinite, associée aux autres signes d’infection respiratoire, est considérée comme permettant un diagnostic de certitude dans le contexte) et/ou un test biologique de type PCR. Plus largement, on peut espérer à court terme la généralisation du diagnostic sérologique, qui permettrait d’étendre le certificat d’immunisation à des personnes ayant eu une infection peu ou pas symptomatique. Le diagnostic d’infection est alors fait de façon rétrospective, et s’apparente à un dépistage a posteriori qui est du plus haut intérêt pour un déconfinement partiel. En effet, les études documentent de plus en plus de cas d’infections asymptomatiques. Une étude chinoise (Day et coll. BMJ, 2 avril 2020) consacrée au dépistage systématique des voyageurs entrant en Chine un jour donné, a ainsi montré que 130 des 166 infections détectées (78%) étaient asymptomatiques. Cela renforce l’idée qu’une part importante des personnes infectées est asymptomatique ou pré-symptomatique. Avec une mauvaise nouvelle : le grand nombre de porteurs sains sans doute contagieux – et une bonne : si quatre infections sur cinq sont effectivement invisibles, mais confèrent une immunité susceptible d’être vérifiée par sérologie, de nombreuses personnes seraient susceptibles d’être tout d’abord mises en quarantaine, puis rapidement déconfinées, sans faire courir de risque aux autres et en augmentant le taux de protection immunitaire de la population générale.

Les personnes à risque du début à la fin de l’épidémie

Puis viendra le moment où il faudra bien libérer des personnes « vierges » sur le plan sérologique. La logique serait alors de laisser sortir les personnes les moins à risque d’une forme grave de la maladie et de laisser à l’abri les plus fragiles : personnes âgées, obèses, diabétiques, hypertendus, insuffisants respiratoires… Cet approfondissement du déconfinement devrait remettre en marche l’économie, puisque la grande majorité de la population active est suffisamment jeune et saine pour ne pas être classée comme « à risque ». Du moins, si les écoles ont pu rouvrir ! Car pour permettre aux parents de reprendre le travail, il faut assurer la garde des enfants… service qu’il sera impossible de demander aux grands-parents à cause du risque de contamination potentiellement très grave que leurs petits-enfants leur font courir. La réouverture des établissements scolaires est un problème en soi : les enfants sont les meilleurs porteurs sains et diffuseurs de la maladie, notamment parce qu’il est impossible d’exiger d’eux une distanciation sociale efficace. La décision du ministère de l’Éducation nationale sera donc un marqueur fort que l’on passe d’une phase d’atténuation de l’épidémie (l’idéal de l’endiguement est abandonné depuis longtemps) à une phase d’évolution naturelle vers l’acquisition d’une immunité de groupe.

Des raisons sanitaires respectables peuvent aboutir à une régression civilisationnelle majeure : la mort solitaire institutionnelle, stade ultime de la déshumanisation

Si les restrictions devaient se prolonger, les personnes à risque seraient tout particulièrement visées. Enfermées dans une prison durable, elles verraient leur situation devenir insupportable. D’une part, il est illusoire de croire qu’on peut isoler complètement sur le long terme les vieillards et les handicapés. La contamination des pensionnaires des EHPAD par le personnel soignant, alors même que les visites des proches ont été interdites, est déjà une réalité dramatique à laquelle nous assistons impuissants. D’autre part, l’isolement social est en lui-même une violence peut-être pire que la contamination. Le syndrome de glissement qui affecte les personnes âgées dépendantes abandonnées de leur proches est connu et redouté. L’alternative du diable qui nous menace est alors la suivante : exposer ceux que nous aimons au risque d’une contamination mortelle ou les tuer à petit feu par un isolement affectif dont ils ne se remettront pas. Quant aux personnes contaminées quand même, et qui sont en fin de vie, comment les accompagner quand même ? Depuis le début du confinement les patients atteints du covid meurent seuls, privés de leur famille et de ministre de leur religion. L’Église s’est émue de cette absence d’accompagnement spirituel. On voit ici que des raisons sanitaires respectables peuvent aboutir à une régression civilisationnelle majeure : la mort solitaire institutionnelle, stade ultime de la déshumanisation.

Autre impératif pour un déconfinement rationnel : tenir compte des disparités entre régions, en terme de nombre de malades et de taux d’immunité. L’Île de France et le Grand Est mériteront ainsi un « traitement » à part, compte tenu de leur épidémiologie très particulière. Comment faudra-t-il régler les déplacements d’une région à l’autre ? Et aussi les déplacements d’un pays à l’autre, avec la réouverture des frontières et des moyens de communication ? Le risque de provoquer une deuxième vague violente et dévastatrice dans les territoires épargnés ne doit pas être pris à la légère.

Covid 19. Fusion Medical Animation / Unsplash
Covid 19. Fusion Medical Animation / Unsplash

Pendant la transition vers le retour à la normale, les mesures d’accompagnement seront nécessaires : les gestes barrière bien sûr, les masques obligatoires dans l’espace public, et aussi sans doute une méthode de traçage pour identifier les personnes selon leur statut (vierge / malade / guéri). On parle beaucoup du recours à un outil informatique dédié au traçage électronique, comme celui qui a fait ses preuves en Corée du Sud. Google et Apple travaillent ensemble à la mise au point d’une application pour smartphone qui connecterait les appareils par Bluetooth et signalerait le statut des personnes de l’environnement immédiat. Ces innovations sont un espoir – sortir du confinement sans rebond dévastateur ; et une crainte – réaliser le fichage de la population au mépris de la vie privée.

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Dans une situation de traçage électronique généralisé, le secret médical sera-t-il menacé ? Notons qu’il est déjà protégé par une législation qui a prévu le cas des maladies contagieuses, dont certaines sont à déclaration obligatoire. Les dérogations au secret médical sont de deux types : celles visant à protéger les personnes vulnérables, par exemple les enfants victimes de sévices ; et celles visant à protéger la société. Parmi ces dernières, la déclaration des maladies contagieuses est encadrée par l’article 3113-1 du Code de la Santé Publique, qui précise que « font l’objet d’une transmission obligatoire de données individuelles à l’autorité sanitaire par les médecins et les responsables des  laboratoires de biologie médicale : 1° les maladies qui nécessitent une intervention urgente locale, nationale ou internationale ; 2° les maladies dont la surveillance est nécessaire à la conduite et à l’évaluation de la politique de santé publique ». L’anonymat de la déclaration est protégé, du moins en théorie. En réalité, cet anonymat peut être levé si des mesures contraignantes s’imposent : par exemple, une mise en quarantaine obligatoire des patients contagieux, telle qu’elle a pu être réalisée dans des sanatoriums pour la tuberculose. Notons que la gestion du covid par la puissance publique expose en fait à peu de risque de dérapage en matière de secret médical : il s’agit d’une maladie aiguë, brève, et surtout « non stigmatisante ». Une différence essentielle par rapport à des maladies chroniques et sexuellement transmissibles comme la syphilis ou le sida, pour lesquelles le risque de mise à l’écart sociale est beaucoup plus important.

Quelle durée pour le retour à la normale ? Les projections des épidémiologistes ne sont pas réjouissantes. Selon la plupart, l’épidémie devrait être active au moins jusqu’en 2021, peut-être même 2022 – la mise à disposition d’un vaccin permettrait cependant de raccourcir ce délai. Au minimum, on annonce un rebond à l’automne. Faudra-t-il mettre notre vie entre parenthèse pendant tout ce temps ? Repasser par une période de confinement strict ? Le monde d’après le confinement risque fort de ne pas ressembler au monde que nous aimons. Ce sera un monde où on n’ira pas au théâtre, au concert, au stade ou à la messe. Un monde où il faudra renoncer aux restaurants entre amis, aux discothèques et autres soirées festives. Un monde où les associations sportives et culturelles seront suspendues sine die. Un monde sans voyage à l’étranger ni dans nos belles provinces. Un monde où les visites aux personnes âgées seront encadrées par des restrictions sévères. Un monde où le virtuel se substituera de plus en plus au réel, les écrans remplaçant les contacts humains. Un monde où le traçage numérique fera reculer les libertés individuelles et le secret médical. Un monde où les innombrables faillites de PME, de commerces et d’artisans laisseront la place aux grands groupes.

Nous serons alors confrontés à un difficile dilemme : faudra-t-il s’astreindre à un durcissement sécuritaire qui figera la situation pour des mois voire des années ? Ou apprendre à vivre avec le virus – et à mourir ? Et si le déconfinement réussi était avant tout affaire de sagesse ? Au minimum, il est affaire d’équilibre. L’avenir nous dira si le gouvernement fait les bons choix pour promouvoir cet équilibre en lequel nous mettons tout notre espoir.



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