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Affaire Grégory: sommes-nous tous coupables?


Affaire Grégory: sommes-nous tous coupables?
Reconstitution de l'assassinat du petit Grégory, juin 1985. SIPA. 00122163_000001

De cette affaire tragique et mystérieuse de 1984 appelée par certains « l’assassinat du  petit Grégory », le public a pris largement connaissance à l’époque par les médias, saisissant à la volée des péripéties frappantes et des décisions de justice fluctuantes, contradictoires. Certains ont eu le bon réflexe de ne pas s’émouvoir plus que de raison, de ne pas s’approprier le drame, et de ne pas prendre violemment parti en leur for intérieur. Pourtant, tel aspect de l’histoire et de ses protagonistes pouvait agacer, quelques images mythiques pouvaient amener à guetter le malheur et souhaiter le châtiment. Alors, sommes-nous tous coupables de la traque éhontée d’une famille ?

Avocats cyniques et journalistes véreux

La culpabilité, c’est tout l’enjeu du livre de Laurence Lacour, Le Bûcher des innocents, dont la première version parut en 1993. Dans la version de 2006, en plus de 600 pages, l’ancienne journaliste d’Europe 1 qui a suivi l’affaire de longs mois cantonnée dans les Vosges avec toute une clique médiatique, confrères complices ou adversaires obstinés, de France et de l’étranger, entend mettre au jour la dette morale des harceleurs, sans épargner personne, même pas elle qui fut pourtant parmi les plus lucides et retenus des commentateurs. Les responsabilités se décrivent en cercles concentriques depuis le simple lecteur de journal jusqu’à la Chancellerie, en passant par des zones intermédiaires, où l’on retrouve des magistrats, des avocats cyniques et des journalistes dérangés et/ou financièrement intéressés.

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Laurence Lacour, au prix d’une documentation colossale et d’un travail de cinq ans, restaure la dignité et la vérité des personnes, oppose la réalité aux fabrications médiatiques et judiciaires qui ont tellement imprégné l’opinion publique. Dans ce dossier où tout le monde s’est brûlé avec une constance inouïe, il arrive un moment où les acteurs ne peuvent plus revenir en arrière, se reprendre, se déjuger, sans se mettre en mauvaise posture et vaciller dans leur estime d’eux-mêmes. La journaliste veut casser leurs défenses. A l’été 1988, elle signe un contrat avec les éditions Plon et envisage d’étudier « les médias et l’affaire Grégory » sans se douter que ce livre deviendra « [son] refuge, [sa] prison, [son] combat ».

L’innocence est moins vendeuse que la culpabilité

L’histoire va mettre dans une lumière crue plusieurs familles apparentées (« racontez-moi votre vie et je vous envoie aux assises », disait un célèbre avocat), exacerber des haines recuites et créer un tohu-bohu qui entraîne lui-même de funestes conséquences. Les deux épisodes les plus marquants dans les premiers mois sont l’assassinat de Bernard Laroche, suspect relâché sans précautions, tué par le père de Grégory, Jean-Marie Villemin, et la détention pendant onze jours de la mère, Christine, soupçonnée à son tour de l’assassinat de son fils. Malgré l’absence de mobile, de preuves décisives, d’aveux, malgré les impossibilités matérielles, la mère concentre toutes les passions. C’est la sorcière d’une histoire inventée dans un mouvement populaire régressif abusivement induit par un environnement propice aux fantasmes. On est dans un conte terrible avec bois, rivière, menaces anonymes, secrets de famille… L’acharnement dure. En janvier 86, France Soir sur sept colonnes à la une écrit : « Christine Villemin sait qu’elle va être jugée ». En  1992 encore, selon le Quid, la mère est coupable et condamnée.

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Pourtant, en février 1993, c’est un non-lieu pour absence de charges qui est rendujean-michel. Mais seul Libération s’interroge sur la « machination judiciaire » organisée pendant des années contre la jeune femme. Le journal s’inquiète enfin des irrégularités de forme, du parti pris de la première enquête instruite par le juge Lambert, du délaissement de pièces à conviction. Seuls 26 articles sont publiés au total alors que l’inculpation de la mère en avait généré 250, après un millier d’autres depuis la mort de l’enfant. Aujourd’hui, il est admis de mettre en cause les méthodes du premier juge, et sur les plateaux de télévision organisés à la réouverture de l’enquête ces dernières semaines, les critiques n’étaient pas feutrées. Laurence Lacour ne cache pas les erreurs commises par celui qui vient de se donner la mort le 11 juillet. Pourtant en juin 2004, dans un arrêt de la cour d’appel de Paris, le juge Lambert était épargné par ses pairs qui estimaient, selon une phrase rapportée dans le livre, qu’il « n’incarn[ait] pas à lui seul le service public de la justice dans cette affaire ».

L’argent a toujours été présent

Ce drame a réuni la panoplie complète des dysfonctionnements institutionnels et des défaillances humaines. Les faux-semblants, les motifs cachés, les manipulations, les coups bas, tout s’est concentré de manière occulte. Les idéologies sont venues apporter leur trouble à leur manière. Rappelons que le premier avocat des parents, M° Garaud, cofondateur de l’association Légitime défense, avait une réputation entachée pour certains. Notre pays ne badine pas avec la bien-pensance politique, on le sait, au risque de l’injustice. Postérieurement, le nouvel avocat choisi, le jeune Arnaud Montebourg, futur député PS, reçut meilleur accueil auprès de la partie adverse, ce qui permit des arrangements à l’amiable.

L’argent a toujours été présent. Les lettres de menaces reçues par la famille  avant l’assassinat de l’enfant témoignaient d’une jalousie sociale. Les transactions financières et les indemnisations au cours des événements ont été des préoccupations permanentes. La multiplication des plaintes annexes et procès accessoires a répondu à la démesure de la couverture médiatique. La brutalité, la vulgarité des comportements n’ont jamais cessé : des témoins du 16 octobre 1984 d’une part, le deuxième juge, Maurice Simon, d’autre part, ont, semble-t-il, été à leur tour victimes de menaces et d’intimidations. L’intérêt du ou des coupables à entraver la justice s’est marié à l’intérêt de cercles particuliers à exploiter le scandale et le désordre.

Laurence Lacour espérait probablement que des leçons soient tirées de ce drame, et que des décisions tangibles en découlent – par exemple, sur la protection du secret de l’instruction – il n’est pas sûr que ce soit le cas.

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