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L’affaire Grégory est d’abord une catastrophe judiciaire


L’affaire Grégory est d’abord une catastrophe judiciaire
Le juge Jean-Michel Lambert au Mans en octobre 2004. SIPA. 00500970_000007
Le juge Jean-Michel Lambert au Mans en octobre 2004. SIPA. 00500970_000007

Le retour brutal des corbeaux de la Vologne provoque des sentiments étranges. Voilà un fait divers absolument extraordinaire, qui se déroule dans une triste vallée des contreforts des Vosges, et qui met en scène tous les vilains traits de la nature humaine : la lâcheté, l’envie, la rancune et la haine portées à une forme d’incandescence avec l’incompréhensible sacrifice d’un enfant. Voilà un pays entier qui perd son sang-froid, et dont les institutions essentielles que sont la justice, la police et la presse basculent, dans une forme de délire où elles entraînent l’opinion publique.

« Nous étions en train de devenir fous »

Pour avoir suivi d’assez près à la fois l’affaire et le dossier judiciaire, je reconnais avoir été saisi par la passion pour l’histoire elle-même, et pour la catastrophe judiciaire évidente pour le professionnel dès le premier jour. Fasciné aussi par la catastrophe policière, et surtout enfin par la catastrophe médiatique qui vit tous les journalistes et l’ensemble de la presse renoncer au sens commun. Sans m’exonérer des bêtises que j’ai pu proférer à l’époque, je me rappelle cependant avoir pu me préserver un peu grâce à l’idée lancinante et quotidienne de cette évidence : « nous étions en train de devenir fous ».

>> A lire aussi: L’affaire Grégory vue d’en bas: souvenirs de Vologne

33 ans plus tard, abasourdi et ému par l’ahurissant rebondissement je replonge dans les souvenirs. Ma sollicitation, à l’époque,  pour intervenir sur une partie adjacente du dossier. Déclinée, en raison de l’engagement militant pour la thèse de la culpabilité de la mère que cela impliquait. Culpabilité à laquelle je ne croyais pas. Ayant pu prendre connaissance de beaucoup d’éléments de la procédure, j’ai lu et vu à peu près tout ce qui a été publié. Passé par hasard l’année dernière à Lépanges-sur-Vologne, j’avais ressenti une espèce d’angoisse à traverser cette petite ville qui semblait porter les stigmates de cette incroyable tragédie. Pour se remémorer cette affaire et surtout pour les plus jeunes, j’invite à lire en priorité le livre de Laurence Lacour (Le bûcher des innocents) et à regarder les six épisodes du téléfilm réalisé par France 2 .

L’analyse que je peux faire aujourd’hui de ce rebondissement, est qu’il s’agit d’une dernière tentative pour secouer l’arbre et faire tomber les quelques fruits pourris qui y restent encore accrochés. Mais il ne faut pas négliger les deux objections que rencontre la nouvelle démarche du parquet. Tout d’abord répondre à une question : pourquoi arriverait-on aujourd’hui, hors aveux circonstanciés improbables, à faire éclore une vérité inatteignable depuis 33 ans ? Ensuite, on est en matière judiciaire, et précisément c’est bien une « vérité judiciaire » qu’il faudrait établir, et présenter à un jury de cour d’assises. La vérité judiciaire n’est pas la vérité objective. Car c’est bien de cela dont il s’agit, il existe un scénario qui est à la fois plausible et probable. Mais le rendre irréfutable aux yeux du juge en fonction des règles impératives du procès pénal, ce sera une autre paire de manches. Justice, gendarmerie et police s’y sont cassé les dents. Car c’est bien la première procédure ouverte par le calamiteux « juge Lambert » qui se poursuit. Il fut dessaisi au profit du président de la chambre d’instruction de la cour d’appel de Dijon, qui était à l’époque Maurice Simon, aujourd’hui décédé, qui au contraire de son prédécesseur, reprenant toute la procédure, a accompli un travail admirable.

Une procédure sabotée

Au terme de celui-ci, il était parvenu à la conviction que le petit Grégory avait été enlevé par Bernard Laroche accompagné de Muriel Bolle, qui l’avait remis aux époux Jacob (remis en liberté hier), dont il était très proche, ceux-ci ayant séquestré l’enfant quelques heures. Les conditions de la mort de ce dernier, accident ou volonté délibérée ne pourront être connues que par l’aveu. Cela étant, la séquestration suivie de mort, quelle qu’en soit la cause est qualifiée de crime par le code pénal. Je précise bien que je ne « crois » pas mais que je « pense » que ce scénario est le bon. C’est mon opinion et je n’affirme pas et n’accuse pas non plus. Opinion partagée par la plupart de ceux qui ont bien connu ce dossier, hors quelques militants, et des avocats de la défense des époux Jacob et de la mémoire de Bernard Laroche, ce qui est bien normal.

Il semble, que l’utilisation d’outils d’investigation numériques nouveaux ont permis cette relance. Secouer l’arbre sera-t-il suffisant pour construire une vérité suffisamment solide pour passer l’épreuve judiciaire ? Je suis personnellement assez réservé sur la possibilité de cette issue.

Cette nouvelle initiative de la justice, 33 ans après, a fait l’objet de critiques assez virulentes que je peux tout à fait comprendre mais que je crois infondées. La situation dans laquelle nous nous trouvons est d’abord et avant tout due à une catastrophe judiciaire. La procédure a été proprement saccagée par un magistrat incompétent, désinvolte et finalement profondément déplaisant. Des choix grossièrement erronés, et de graves erreurs de procédure ont empêché d’exploiter des éléments qui auraient dû rapidement amener à la vérité. Ce qui est frappant c’est que, à l’époque, aucune sécurité n’a joué. Je me rappelle les débats dans le monde judiciaire où tout le monde disait « mais quand est-ce qu’on le  vire » ? Malheureusement, il bénéficiait de la double protection : de la presse qui raffole des « petits juges » et d’une hiérarchie tétanisée à l’idée de se faire accuser par les organisations syndicales de porter atteinte à l’indépendance de la justice. Certaines situations récentes montrent bien la persistance de ces défauts. Un peu de pédagogie ne fera pas de mal.

Martyre et reconstruction du couple Villemin

Il y a ensuite ce que la justice et le pays doivent au couple Villemin. Christine et Jean-Marie à qui on a tué l’enfant de trois ans, par haine de leur réussite. Christine, qu’un pays entier a accusé, contre l’évidence, d’avoir tué son fils, et qui, « coupable, forcément coupable », fut jetée en prison. À qui la clameur ignoble reprocha sa grossesse, elle qui voulait dominer son chagrin en accueillant un nouvel enfant. Jean-Marie, rendu fou de douleur par l’assassinat de son fils, et voyant la femme qu’il aimait passionnément ainsi humiliée, devint fou de rage quand des journalistes imbéciles lui fournirent des « preuves » de l’implication de Bernard Laroche. Commettant alors l’irréparable, qui l’enverra plusieurs années en prison. Prison au parloir de laquelle il fit la connaissance de son deuxième fils derrière un hygiaphone. Après un procès d’assises de deux mois ou l’avocat général avait réclamé 10 ans de réclusion criminelle, il fut enfin libéré et retrouva ceux qui l’aimaient et qui l’attendaient.

Toujours soudés, les époux Villemin ont quitté les Vosges pour toujours, et admirables de discrétion, ont mené leur vie, élevant les trois enfants qu’ils ont voulus après. Le frère cadet de Grégory est opticien, sa sœur professeur agrégée de SVT, et le petit dernier vient d’avoir son bac S. Parcours qui en dit long, car il témoigne de cette volonté d’aller de l’avant et de progresser et du courage qu’il aura fallu à tous pour porter la tragédie. Mais aussi parce qu’on sait bien que la jalousie mortelle qui a provoqué ce drame était celle de la réussite d’un jeune fils d’ouvrier devenu contremaître à 22 ans.

À ce couple qui a subi une forme de martyr, et l’a affronté dignement, la justice de notre pays a présenté les excuses qu’elle lui devait. Il faut maintenant essayer de lui donner la vérité.

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