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L’affaire Grégory vue d’en bas


L’affaire Grégory vue d’en bas
Gregory Villemin. Sipa. Numéro de reportage : 00122901_000001.
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Gregory Villemin. Sipa. Numéro de reportage : 00122901_000001.

Il ne faut pas grand-chose : 33 ans après une photo d’un petit garçon qui sourit de toutes ses dents de lait, avec un pull camionneur gris et jaune, et voilà toute la France qui replonge dans les mystères de l’affaire Gregory. La mère, le père, l’oncle tué à bout portant, le petit juge, les journalistes atroces, les villageois à peine entrés dans la modernité dans une France des brumes et des corbeaux.

J’y étais en 1984

Disons le immédiatement, j’y étais. Pas dans la 4L de Denis Robert, alors correspondant de Libération ou la R5 rouge de l’envoyé spécial de RTL. J’y étais parce que j’habitais là, à Lépanges. Pas de bol. 33 ans plus tard, j’ai enfin un peu d’humour et de distance avec l’affaire, mais ça n’empêche que les trucs remontent avec ce trou noir toujours pas élucidé : pourquoi tuer un enfant ? Parce qu’une fois l’enfant sorti de la Vologne, trempé dans son anorak, les mains liées la tête sous sa cagoule, on l’a oublié. Pas d’émotion façon petite Fiona, Laetitia, Melissa ou autre (liste non exhaustive). Non, dès 1984 on se jette, enfin la presse, la radio, la télé alors même que BFM n’existait pas, sur les bouseux, les Atrides prolétaires au petit pied. Bien aidés par le petit juge Lambert avec ses lunettes carrées fumées et sa Renault 5 de fonction et les gendarmes qui font n’importe quoi.

L’institutrice flippait

Gosse, je ne me souviens que de l’institutrice de Gregory, copine de la famille, qui flippait à l’idée qu’on l’accuse. Elle avait eu des mots avec la mère Villemin à propos du gosse, qualifié de pénible. L’enfant-roi, ça n’existait pas à cette époque. Ça n’existe d’ailleurs toujours pas sous ces latitudes. Je crois aussi que les sapeurs-pompiers locaux qui avaient sorti le cadavre de la Vologne n’en dormaient plus la nuit. Remarquez, on en parlait il n’y a pas longtemps, ils sont tous morts depuis.

Un enterrement ultra-médiatisé

Non, nous on avait vu l’enterrement. Les files de voitures garées n’importe où. Les cloches qui ont sonné très longtemps. Et surtout les voitures des journalistes. La rouge, celle de RTL, toujours à trainer dans le coin. Les autres, celles qui stoppaient à notre hauteur quand on rentrait de l’école à pied dans la forêt et avec à l’intérieur des Parisiens qui nous demandaient le chemin de la maison et qu’on égarait dans la cambrousse avec grand plaisir. Le pire étant le tourisme au cimetière, collé à l’église. Les gens pendant des années appareil photo en main, qui cherchent la tombe. Ceux-là je les ai toujours foutu à la porte en les insultant, si possible avec une petite dose d’humiliation supplémentaire. Qu’on aille voir la tombe de Piaf, déjà je trouve ça louche, alors celle d’un môme… Même quand la famille a fait incinérer les restes et les a fait transférer dieu sait où, les gens viennent. Je continue à les engueuler. Ma mère dit qu’il suffit d’un papier dans Match, ou donc dix heures d’intervention de Dominique Rizet sur BFM pour que ça revienne trainer dans le coin. Je suppose qu’on va avoir un été difficile et que l’image des Vosgiens rustres, semi-débiles au front bas va s’imposer encore une fois dans le monde entier.

Du plaisir d’humilier la province

Avant de rire de cette histoire, je l’ai bien planquée. Aujourd’hui, j’ai tourné la page de la Vologne, de Murielle Bolle, de Marie-Ange Laroche, des Villemin. Mais reste partout le plaisir d’humilier la province. Le Nord-Pas-de-Calais connait ça, dès que tu te trimbales un accent rugueux, c’est folklorique surtout quand tu ajoutes des soupçons de haines familiales entre ouvriers à peine sortis de la chaine. Pensez à Outreau, une petite dose d’abus sexuels, un juge qui sent l’affaire de sa vie, des journalistes prêts à dégainer leur mépris de classe et c’est reparti. Rien ne change. A cette heure-ci, BFM annonce la conférence imminente du procureur de Dijon. Si ça se trouve on saura qui a tué le gosse. Ou pas. Grace aux remords d’un témoin, à l’ADN, ou à une vision dans le marc de café.

Depuis hier, je me revois le 16 octobre 1984, jour brumeux dans mon souvenir devant la maison et j’espère que le point final sera mis à cette histoire sans fin. Avant que Christine Angot ne ponde un texte absurde. Je peux tout accepter, mais ça je ne suis pas sûr de m’en remettre.



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