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Une victoire sans joie

La macronie n'est pas vraiment à la fête


Une victoire sans joie
Le président Macron au Touquet, 24 avril 2022 © Jacques Witt/SIPA

La victoire de dimanche du président sortant, nette dans les urnes, conclut une campagne présidentielle atone et décevante après un premier quinquennat intranquille. Elle contraint Emmanuel Macron à l’humilité. Le nouveau mandat commence ainsi dans une étrange atmosphère, selon notre chroniqueur.


Emmanuel Macron, président nettement réélu face à une Marine Le Pen qui a cependant augmenté son score de 2017, serait rentré dans « sa phase huître ». On le comprend, tant le tableau global qui résulte de ce second tour sur les plans social et politique est complexe et donc appellera de sa part une réflexion fine et sophistiquée. D’abord, sans doute, la satisfaction sans triomphalisme de cette victoire, la première acquise ainsi hors cohabitation. La conscience, aussi, d’une France hétérogène qui s’est voulue en passivité, en retrait ou en rupture par l’abstention, les votes blancs ou les bulletins nuls, avec 16,7 millions de citoyens qui ont préféré ne pas jouer le jeu de la démocratie classique.

PS et LR achevés

L’heureuse confirmation de sa lucidité de 2017 qui a offert en 2022 ses conclusions extrêmes avec l’achèvement des deux partis phares de la vie nationale durant si longtemps : le parti socialiste et la droite républicaine.

Le premier va tenter de noyer son désastre en s’intégrant tant bien que mal dans le camp de Jean-Luc Mélenchon et de son Union populaire, qui espère, au mois de juin, contraindre le président à choisir comme Premier ministre Jean-Luc Mélenchon, dernier espoir, aujourd’hui, d’une gauche et d’une extrême gauche pour lesquelles il a été longtemps un repoussoir brillant mais non maîtrisable.

Quant à la seconde – cette droite républicaine en si mauvais état à cause de son absence totale de clairvoyance politique et de la déroute de Valérie Pécresse -, elle ne pourra plus faire l’économie d’une révision déchirante. Entre ceux, sincères ou non, opportunistes ou convaincus, qui rejoindront le parti macronien attrape et étouffe-tout, et le noyau dur d’une minorité fidèle à ses principes et à ses valeurs, continuant à regretter qu’à aucun moment on n’ait su faire passer le message de son identité dans le paysage politique national et international. Pour réaliser ce retour aux sources de la droite fière de ce qu’elle est et originale dans sa substance, on ne devra plus compter sur le personnel ancien. Il a failli ou pire, il a trahi. On ne peut plus garder les mêmes qui n’ont jamais cru à la force et à la singularité de ce qu’ils étaient censés instiller dans l’esprit public.

Après le nouveau monde, la nouvelle ère

Pour sauver ce qui reste d’une authentique droite républicaine, au-delà d’une inconcevable union des droites, il conviendra à la fois de ne pas se dissocier du RN pour leur conception peu ou prou commune de la sécurité et de la Justice, mais de se distinguer du programme d’Emmanuel Macron. Nul doute que ce dernier portera à son comble une entreprise d’absorption qui sera d’autant plus préjudiciable que le président réélu n’est pas univoque, il y a de la gauche qui demeure en lui.

Quelles qu’aient été nos options partisanes, rendons grâce à la reconnaissance par Emmanuel Macron, dans un discours moins royal qu’en 2017 et pour une fois assez court, empli d’empathie et d’esprit critique, du caractère clivé, déchiré, éclaté de la France d’aujourd’hui. En 2017, il avait pour ambition de rassembler parce que le pays lui semblait à portée d’unité. En 2022, il prend acte d’une dislocation et paradoxalement on peut espérer un grand progrès de cette absence d’illusion. L’annonce plausible d’une « ère nouvelle » a remplacé le « nouveau monde » disparu aussi vite qu’évoqué en 2017.

D’abord, espérons que les promesses sur un pouvoir prêt à s’inventer et sur une nouvelle manière de présider plus proche des Français, moins autarcique, moins arrogante, moins ostensiblement solitaire (avec quelques « élus » favoris), ne demeureront pas lettre morte. Il serait inconcevable de répéter la même posture décevante d’un quinquennat à l’autre. Le président lui-même ne saurait s’y résoudre. Cette obligation va lui imposer, comme il l’avait laissé entendre il y a quelques semaines, de modifier sinon le fond de sa politique, du moins sa forme. Il changera en grande partie l’équipe gouvernementale avec un Premier ministre qui s’entourera de ministres sélectionnés moins pour leurs éructations anti-RN (une extrême droite, avec un tel pourcentage, est bien plus que l’extrême droite !) que pour leur compétence et leur souci constant des Français.

Étrange atmosphère

On perçoit alors pourquoi ce 24 avril, à la fois sans équivoque mais lourd d’orages, de tempêtes sociales, de frustrations par rapport à une campagne irritante, atypique et violente, a suscité une étrange atmosphère toute tendue vers le mois de juin, sans véritable allégresse. Comme si les perdants étaient impatients de se placer pour le troisième tour et que le gagnant mesurait l’immensité de ce qui lui incombait et « l’obligeait ». Au seuil de ce nouveau quinquennat, il ne peut plus se permettre d’appréhender avec la même pratique et le même esprit la multitude de défis à relever. D’abord celui du régalien : on ne saurait se contenter des rattrapages opportunistes qui n’ont pas fait oublier que la faiblesse insigne du macronisme résidait là, dans cette indifférence ou cette impuissance.

Cette victoire sans joie est comme le signe d’une France pour laquelle la République n’est plus un acquis mais un trésor menacé à préserver au quotidien.




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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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