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« A Canterbury tale »: la guerre selon Michael Powell

Christophe Despaux nous propose une série de six films à revoir pour l’été (1/6)


« A Canterbury tale »: la guerre selon Michael Powell
Image du film "A Canterbury tale" © Mary Evans/AF Archive Numéro de reportage : 51368445_000001

Christophe Despaux nous propose une série de six films à revoir pour l’été : aujourd’hui, 1/6. Le plus beau des films de guerre de Michael Powell, A Canterbury Tale (1944), est une ode à la confiance dans une communauté par temps troublés.


Ballottés par la Seconde Guerre Mondiale, une volontaire et deux soldats – l’un Anglais, l’autre Américain – se rencontrent en transit dans une petite ville proche de Cantorbéry en Angleterre. Le trio de circonstance va enquêter sur un mystérieux agresseur nocturne qui s’en prend aux passantes et leur badigeonne les cheveux de glu. On pourrait, pour faire ressortir les exceptionnelles qualités de A Canterbury tale, le rapprocher d’un autre film tourné en temps de guerre, à quelques mois d’intervalle, et avec qui il partage beaucoup tout en le surclassant absolument, Le Corbeau de Henri-Georges Clouzot. Dans les deux films, une communauté déjà éprouvée par un conflit se voit menacée de l’intérieur par la répétition de délits touchant plusieurs de ses membres et les désignant à l’ensemble (les lettres anonymes, la glu).

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La recherche du contrevenant se fait dans les deux cas par un corps étranger à la communauté (le médecin chez Clouzot, le trio chez Powell). Une même scène se retrouve dans les deux films : une feuille de papier tombant de la nef dans une église et qui sera ramassée par celui à qui elle est destinée. Jusqu’à l’opposition entre ombre et lumière, Bien et Mal, qui, figurée dans le célèbre affrontement entre Fresnay et Larquey avec l’ampoule se balançant de l’un à l’autre, semble à la base de la réflexion plastique de Michael Powell dans A Canterbury tale

Ombre et lumière

En ce cas, nous serions mieux avisés de parler d’alternance entre ombre et lumière, plutôt que d’opposition. La première séquence de nuit, presque intégralement dans l’obscurité, est parfois striée par les rayons de lampes-torches dont on dissuade pourtant, blitz oblige, les soldats de se servir. Plus loin, une conférence est rythmée par la panne d’un projecteur, culminant au moment où l’appareil est réparé sous des applaudissements. Et hormis les plans de l’intérieur de la Cathédrale recréée en studio – (Powell interdit de tournage n’y vola qu’une vue de la nef), le jeu d’éclairage le plus marquant est celui qui transforme, à la faveur d’un store de wagon déroulé, un simple soldat en archange conquérant. Cette reconnaissance de la nuit comme du jour va avec le motif le plus insistant de A Canterbury tale : celui de la désorientation spatiale et temporelle. Les personnages passent leur temps à se perdre et à chercher leur route qui se confond pour une part très courte avec le Chemin des pèlerins médiévaux.

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Le plan le plus célèbre du film, le raccord entre le faucon et un avion de guerre dans les cieux – probablement copié par Kubrick dans 2001 – illustre le plus clairement cette inquiétante étrangeté d’un être-au-monde nomade. En ces temps de guerre, les êtres sont sens dessus dessous (« topsy-turvy » comme il est dit à un moment). Ils ne savent pas où ils vont, pour paraphraser le titre du film que Powell et Pressburger tourneront l’année suivante Je sais où je vais, mais, et c’est toute la grandeur de A Canterbury tale, ils savent d’où ils viennent ou plutôt ils vont en prendre conscience, grâce notamment à l’étrange personnage du magistrat (Eric Portman), révélateur-manipulateur névrotique.

Powell a toujours eu une attention particulièrement sensuelle aux lieux sublimés par un usage magistral de la musique, et plusieurs plans de A Canterbury tale anticipent Narcisse noir ou La Renarde.

Lyrisme souterrain

Les personnages doivent reprendre des forces et ne pas dévier de leur but, même si chacun d’eux connaîtra un passage à vide qu’il surmontera, non par le secours opportun d’un petit scénariste malin (comme dans le pitoyable Mank de David Fincher), mais par l’interaction avec les autres, le grand bain dans le monde et le temps, l’immersion dans la vie, la magie commune et irremplaçable de la nature. A Canterbury tale agit comme une lente reprise de souffle qui fait abstraction de la crise pour se projeter vers le lendemain.

L’un des plus curieux paradoxes de ce film inoubliable est que les méfaits de l’englueur, d’où l’on est parti, au lieu de détruire la communauté qu’il frappe, la ressoudent inconsciemment. C’est là toute la différence entre le pessimisme manichéen et petit-bourgeois d’un Clouzot, et le lyrisme souterrain mais frémissant de Michael Powell.

A Canterbury Tale de Michael Powell (1944), disponible en DVD/Blue Ray


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