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Des barbares et des saints?


Des barbares et des saints?
Saint Denis. Crédit photo : Musée de Cluny, Paris.

Edina Bozoky ne s’embarrasse pas de finesses en ce qui concerne le destin de l’empire romain. Les invasions barbares, selon elle, ont tout simplement « accéléré » sa chute. Restent quantités de sujets dignes d’intérêts liés aux barbares, par exemple celle des saints, jusqu’au milieu du Moyen-âge, qui fait l’objet de ce recueil.

En principe, l’hagiographie, plus encore que l’historiographie, devrait mettre en évidence une opposition radicale entre les saints catholiques et les barbares païens déferlant sur l’Occident. Or on s’aperçoit que le Haut Moyen âge a produit moins de saints que l’Antiquité, en particulier beaucoup moins de martyrs. Klaus Krönert et Charles Mériaux signalent que depuis Saint Martin, le modèle ancien du martyr a cédé la place à un nouveau modèle, celui du saint confesseur. De fait, notent les mêmes auteurs, les barbares n’ont jamais agi pour des motifs religieux. Comment être martyr dans un temps qui n’était pas celui des martyrs ? s’interroge Bruno Jadic.

François De Vriendt, quant à lui, s’étonne de la « rareté déconcertante » des martyrs sanctifiés tombés sous les coups d’envahisseurs barbares, qu’il oppose au grand nombre d’hommes d’Église victimes de brigands ou de seigneurs cupides. Et pourtant, les textes mentionnent bien la terreur et les déplacements de reliques imposés par les invasions. Finalement, les anciennes reliques (celles de l’Antiquité), plus que les moines suppliciés (au Moyen âge), semblait susciter l’intérêt des hagiographes médiévaux. Le temps des martyrs était passé. Il arrive ainsi qu’un unique récit mêle de manière anachronique l’action d’un martyr lors de l’invasion des Huns à celle de ses propres reliques, au même endroit, mais cinq siècles plus tard, lors des incursions hongroises. Et l’accent est mis sur la protection procurée par les reliques.

Comprendre le plan divin

Tout autant que les reliques (et les quelques saints concernés), les barbares sont intégrés dans le plan divin. Marie-Céline Isaïa souligne que ces derniers sont censés intervenir pour punir ceux qui ont négligé la vraie religion. Dans la passion de Saint Nicaise, par exemple, l’argumentation est construite afin de contourner l’ambiguïté d’une « juste correction pour les chrétiens », tandis que « les barbares sont par eux-mêmes des instruments aveugles dont les excès doivent être condamnés. » Finalement, c’est bien de Dieu et pas seulement du diable que les barbares sont l’instrument (Rappelons-nous la vieille leçon scolaire : Attila, fléau de Dieu !).

C’est pourquoi Marianne Sághy s’arrête sur le cas de Saint Séverin qui, selon la légende, recommanda à Odoacre de se rendre en Italie « où il connaîtrait un jour la gloire ». Comme quoi certains hagiographes n’hésitaient pas à faire preuve d’un sens avéré de l’opportunité pour placer l’action de leur saint, en guise de providence, à l’origine d’ « évènements historiques de grande envergure » (y compris, faut-il comprendre, la déposition par un barbare du dernier empereur romain d’Occident !).

Pour les contemporains, la question principale était la suivante : faut-il se livrer comme esclaves aux païens ou résister jusqu’à la mort ? La réponse de Hincmar de Reims,  aux prises avec les Vikings en 875, était la suivante : « Il convient de conserver notre fidélité au roi Charles [le Chauve]. » On note ici une problématique et une attitude qui peuvent être transposées à d’autres époques. D’ailleurs, Marie-Céline Isaïa reconnaît que l’hagiographie, en tant que discipline, était constamment utilisée au Moyen âge comme « la modalité par excellence d’une réflexion sur le passé, l’écriture et l’intelligence des temps contemporains ». Ajoutons l’intelligence de l’avenir.

Les faits comptent moins que leur interprétation

Du reste, il n’était pas rare que l’hagiographe reconnût d’emblée qu’il ignorait tout du saint dont il entreprenait de narrer l’existence. Dans la conception théologique de l’histoire, les faits comptent moins que leur interprétation (à rapprocher de certaines pratiques post-modernes, mais pas de toutes, car la plupart d’entre elles, en définitive, restent engluées dans une sorte de positivisme honteux dissimulé derrière les ors du relativisme).

Le fait qui s’imposait, toutefois, mêmes aux gens du Moyen âge, c’était le dilemme entre la fuite et le martyr. Or il n’est point de dilemme qui échappe à la sagesse de la religion. Marie-Céline Isaïa rappelle que « la seule mission épiscopale authentique » c’était « l’édification du peuple ». Ainsi, face à un tel dilemme, les hommes d’Église devaient-ils simplement choisir « le meilleur moyen d’être utile à son Église. » Foin de dogmatisme en la matière. On peut s’appuyer ici sur Saint Augustin qui louait Athanase, évêque d’Alexandrie, d’avoir fui devant Constance car c’était bien lui et lui seul que l’empereur recherchait. Inutile, donc, de jouer au martyr.

L’exemple et la réparation, l’édification

Face aux barbares, l’attitude des évêques ou plutôt son interprétation par les hagiographes a évolué. Ils servirent d’abord d’exemples au peuple, puis, à mesure que la tiédeur s’installait dans la chrétienté, l’idée s’est répandue que leur disposition au sacrifice avait pour objectif de réparer les fautes de leurs ouailles. C’est pourquoi on peut parler de « victoire paradoxale » à propos de saint Nicaise, évêque de Reims et martyr, véhicule pour l’éternité de l’expiation des fautes des Rémois. Du reste, le personnage du martyr pouvait céder le pas à celui de chef de guerre. La fin du IXe siècle fut, selon Thomas Grenier, le « moment décisif » où l’on vit le « saint évêque, protecteur des remparts de la cité […] prendre en main l’exercice de la puissance publique et militaire en ville ». À mettre en parallèle avec l’apparition du « saint confesseur » : double évolution vers l’action et la réflexion, qui rejetait le martyr sans phrase dans les temps anciens.

Jusqu’aux plus hautes sphères, l’hagiographie exerce des fonctions symboliques. Quand, par exemple, le roi viking Olaf, de païen qu’il était, fut peu à peu transformé par les écrivains missionnaires en martyr chrétien afin de consolider (avec un succès mitigé, selon Stéphane Coviaux) « le processus de succession royale » du Rex Perpetuus Norvegiae. L’hagiographie n’est pas une pratique anodine. Et son analyse ne manque pas non plus de pittoresque, du moins sous la plume d’Edina Bozoky où l’on voit – extraits de la chronique de Bède le vénérable – apparaître aux confins du récit épique des Saxons ou des Sarrasins, le roi de Chypre, Saint Malo de Bretagne et même le roi de Venise et sa fille Esclarmonde, ou encore une armée de 400 000 hommes et des femmes hideuses jetant leurs seins par dessus leur épaule, et une île déserte, des singes, des griffons et enfin, le Saint Graal.

Edina Bozoky (dir.), Les saints face aux barbares au haut Moyen âge. Réalité et légende, PUR, 2017, 20€

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