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Rendez-nous de Gaulle sur les marchés de France!


Rendez-nous de Gaulle sur les marchés de France!
Macron pris à partie par un citoyen à Châtenois en Alsace, 12 avril 2022 Capture d'écran Twitter.

À la télévision, les images de nos dirigeants en campagne vilipendés par des badauds derrière des barrières, ont quelque chose d’avilissant.


Dans la foire d’empoigne qui secoue les derniers jours d’une campagne aphasique, j’ai senti un profond malaise m’envahir. Une vague de dégoût pour notre classe politique si prompte à nous faire la leçon, à nous cornaquer, à nous déposséder, peu à peu, de notre liberté déjà largement écornée. J’avais d’autres ambitions intimes pour mon pays. Par naïveté et nostalgie, j’ai toujours pensé que la France méritait mieux que ces échanges infertiles sur les marchés, à la volée, entre le vendeur de poulets rôtis et la maraîchère. Dans ce Clochemerle qui vire au pugilat verbal, cette chasse aux voix qui précède les moissons pascales, j’ai vu des images indécentes qui heurtent notre citoyenneté. Nous en sommes donc arrivés, là. Á un tel point de non-retour. Une République sur cales qui attend sa révision générale. Hébétés et furieux. Fragmentés et réfractaires. Tristes et, à bout de souffle. Sans vision nationale et sans élan salutaire.

De chaque côté des barrières de sécurité, recroquevillés sur nos certitudes, nous sommes incapables de nous contrôler, d’échanger dignement et de faire passer la moindre once de vérité dans notre regard. La fureur nous submerge quand la raison d’un seul isole. Nos faiblesses collectives crèvent alors l’écran. Nous sommes nus devant les caméras avides de nos déballages. Personne ne sortira vainqueur de ces duels dysfonctionnels et infantiles. Comme si le rendez-vous entre un Homme et un peuple était devenu une mission impossible. Comme si la verticalité du pouvoir, au lieu de nous élever et de nous entraîner, laissait le champ libre à nos instincts les plus honteux. Osons sortir des cours de récréation chahuteuses, il en va de notre santé mentale et démocratique.

Aujourd’hui, nous peinons à refreiner nos pulsions destructrices et nos dirigeants ne parviennent plus à se reconnecter à la Patrie. De part et d’autre, les délices de l’émotion guident nos pas. Et puis cette colère venue de très loin, forcément éruptive et foutraque, amère et incontrôlable face à ce candidat-président à la manœuvre, descendant dans l’arène pour montrer sa combativité et son ardent désir d’expliquer son bilan a quelque chose de malsain. Bannissons ces accrochages improductifs, ils n’apporteront que du désarroi et de la rancœur à la confrontation des idées. Ils laisseront des plaies inguérissables à l’avenir.

Quand les filtres de la bienséance et du respect mutuel disparaissent, le chaos est en marche. Tout le monde y perd, le président qui surplombe tentant de garder son sang-froid et l’anonyme dans la foule qui se défoule. Le spectateur devant son poste se sent sali par ces débordements médiatiques. Dans ces altercations qui font le miel des chaînes info jusqu’à l’ivresse, j’y ai vu la dégradation de la fonction, une soumission aux images, aux vieilles ficelles de la communication spectacle et une mise en scène de nos séparatismes intérieurs. Notre pays n’a pas besoin de pédagogie, de chiffrages, de scories technocratiques, de coups de menton ou d’un autoritarisme de façade dans sa relation avec son futur dirigeant, seulement d’y croire. Juste y croire, un peu. Qu’une sincérité naturelle et une puissance de conviction éclatent enfin au grand jour. La foi dans un message dépend beaucoup de la manière dont le personnel politique se comporte au quotidien. Dans le monde frelaté du virtuel et de la fausse promiscuité, le présidentiable est un VRP qui promène sa mallette programmatique au gré des modes et du vent changeant. Il n’a qu’une obsession fatale : séduire à tout prix. Le charisme ne se commande pas sur Internet. Il est inéquitablement réparti dans les ministères, les hémicycles ou les vestiaires. Pourquoi nos anciens présidents jusqu’au début des années 1980 réussissaient, malgré leurs compromissions et leurs « petites » combines, à inspirer la confiance ? Assurément, nous les craignions un peu, leur parcours cabossé était le signe des êtres à part qui ont lutté et chuté tant de fois avant d’accéder à la tête de l’État. Ils étaient secrets et distants, impressionnants et porteurs d’une mission civilisatrice qui les dépassait. Ils emportaient nos rêves et ne bataillaient pas avec l’homme de la rue.

Imaginez-vous le Général ou Pompidou s’avilir aux discussions de bistrot. Ce n’était pas par morgue, plutôt par incarnation absolue de la fonction. Ils se trouvaient juste à bonne distance. Nous n’attendions rien d’autre de leur part. Leur hauteur de vue n’était pas incompatible avec une justesse de ton. En ce temps-là, nous ne voulions pas faire « copain-copain » avec eux. Ceux qui se sont invités à dîner chez les Français l’ont payé chèrement dans les urnes. Jadis, le magistère intellectuel de nos présidents imposait une forme de retenue et d’admiration. Une certaine confiance également, du moins une autorité morale qui ne s’apprend pas sur les bancs des grandes écoles. Je me souviens que Charles Pasqua avait déclaré, un jour, que les politiques actuels, qui n’avaient pas été frappés personnellement et fort heureusement par les tragédies de l’Histoire, n’auraient plus jamais la même ampleur et la même densité. Nous devons nous satisfaire d’une génération qui ne peut s’extraire du jeu télévisuel, par peur de ne plus exister. Un peu d’allure et de hauteur ne nuisent pas à la qualité des débats. Il faut un certain courage pour refuser la démagogie du « Fight Club ».




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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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