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Peut-on être un bon Français et fêter Thanksgiving?


Peut-on être un bon Français et fêter Thanksgiving?
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Américaines ou pas, futiles ou pas, prétextes à la marchandisation ou pas, ces traditions festives qui ne sont pas les nôtres – au sens national voire continental – relèvent tout de même du même monisme occidental, et donc finalement de la même civilisation.


Ce jeudi 25 novembre j’ai prévu pour la première fois de ma vie de fêter la Thanksgiving. Avec des proches, nous allons totalement jouer le jeu de cette tradition strictement nord-américaine en respectant tout le folklore adéquat : la dinde farcie, la sauce aux canneberges, la tarte aux noix de pécan, les bières devant le match de foot américain.  

Complètement étrangère à notre tradition française et européenne, cette fête marquant l’action de grâce de Dieu par le partage d’un repas entre pionniers et indiens, est exportée dans l’imaginaire collectif par l’influence des biens culturels américains : films, livres, séries… C’est pour cela que nous la connaissons si bien et que nous pouvons être tentés de la mimer.

Depuis sa création, la machine à rêve hollywoodienne a deux objectifs qui s’alimentent l’un l’autre : faire de l’argent, mais aussi imposer au monde une représentation sociétale, l’American way of life.

Je suis un « Homo Festivus » sorti de l’Histoire

Ce mouvement a tout de l’impérialisme – On parlera plus diplomatiquement aujourd’hui d’un succès de soft power des États-Unis – qui effrayait déjà il y a un siècle dans les années vingt, le philosophe Ortega y Gasset ou le dramaturge Luigi Pirandello pour qui : « L’américanisme nous submerge. Je crois qu’un nouveau phare de la civilisation s’est allumé là-bas. L’argent qui circule dans le monde est américain et derrière cet argent court le monde de la vie et de la culture ».

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En me préparant à célébrer la Thanksgiving en France et en 2021, je ne peux que constater la réussite de la manipulation de longue haleine de la part des États-Unis sur ma façon de vivre. Comme l’indiquait Jean-Claude Batz : « Qui ne voit que l’instillation quotidienne, prolongée depuis l’enfance jour après jour, année après année, le temps d’une vie, d’images, de paroles, de croyances, de valeurs et de modèles ne finisse, au gré d’une inlassable répétition empruntant souvent les voies subliminales, par saturer les champs de l’imaginaire et par corrompre les mémoires originelles, bouleversant par cette transsubstantiation l’univers mental, moral et esthétique du grand nombre et rapprochant chaque jour l’échéance d’une rupture dans la continuité de la civilisation européenne » (L’audiovisuel européen : un enjeu de civilisation, 2005, Séguier).

De fait, je ressens cette même culpabilité que nous avons souvent en tant que Français quand on ose boire du vin ne provenant pas de nos terroirs, pire que tout quand il s’agit d’un vin du Nouveau Monde…

Ne suis-je pas un rejeton d’une époque entérinant sa « festivisation » totale, telle que la décriait Phillipe Muray dès les années quatre-vingt dix ? Un « Homo Festivus » sorti de l’Histoire, vivant dans une fête en continu ?

Néanmoins, j’entrevois un sens quasi politique à célébrer la Thanksgiving et le hasard ne doit rien à ce que cette bizarre envie survienne aujourd’hui.

Pendant longtemps, un des débats sur l’américanisation festive en France, a surtout porté sur l’opposition entre Halloween et la Toussaint. Le folklore carnavalesque états-unien importé dans l’imaginaire collectif par la production cinématographique et télévisuelle, venait en l’espèce déranger la solennité d’une célébration religieuse pour nos morts. Le sujet est devenu un marronnier dans la presse française, avec un questionnement civilisationnel légitime comme celui de Jérôme Blanchet-Gravel en 2017 dans ces mêmes colonnes.

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Mais comme l’a écrit il y a quelques semaines Isabelle Marchandier, « dans certaines écoles américaines, Halloween marginaliserait les élèves de couleur » et les traditionnelles parades sont ainsi annulées. Du coup pour la chroniqueuse de Causeur : « Fini de plaisanter. Sous l’ère du wokisme, plus question de se déguiser en n’importe quoi et n’importe comment pour s’amuser. Le déguisement, c’est du sérieux avec des costumes appropriés et d’autres qui ne le sont pas ».

Dinde aux marrons et beaujolais, même combat !

Américaines ou pas, futiles ou pas, prétextes à la marchandisation ou pas, ces traditions festives qui ne sont pas les nôtres – au sens national voire continental – relèvent tout de même du même monisme occidental, et donc finalement de la même civilisation.

À l’heure où tout ce que représente l’Occident doit être boycotté, conspué, déboulonné, ou tout simplement effacé au nom de la « cancel culture », il y a donc une sorte de satisfaction – même dans le détail frivole d’un folklore populaire – de défendre un ensemble de valeurs, de vues, et de visions qui composent notre identité commune au sens large. Cela passe donc également par une « festivation » partagée, que cela soit pour Halloween ou Thanksgiving, la Saint Patrick ou le Beaujolais nouveau…

Ma conscience de bon français soulagée, je m’apprête donc ce jeudi à digérer sur mon canapé la dinde en regardant – j’espère – la première victoire cette saisons des Lions de Détroit (club qui accueille depuis 1934 le traditionnel match de Thanksgiving)…


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Avocat et Docteur en droit. Auteur de « Touchdown. Journal de guerre » (Éditions Les Presses Littéraires, 2024).

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