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Le pari (gagné) de Pascal (Praud)

Élisabeth Lévy présente le dossier du mois


Le pari (gagné) de Pascal (Praud)
Rassemblement de salariés d'Europe 1 pour contester "l'emprise croissante de Vincent Bolloré", Paris, 30 juin 2021 © Alain Jocard - AFP

Les bonnes audiences de CNews et de « L’Heure des pros » attisent la haine des prêchi-prêcheurs médiatiques, toujours sidérés que les opinions qu’ils jugent inconvenantes aient le droit de s’exprimer. Dénonçant rituellement la « bollorisation des esprits », ils ne comprennent pas que, pour beaucoup de Français, Praud est devenu un ami de la famille.


Le Mal a deux visages et, ça tombe bien, ils travaillent dans la même crèmerie. Non contente d’employer Zemmour et Pascal Praud,  « CNews est la chaîne de Marine Le Pen », a décrété l’aimable Éric Dupond-Moretti, plus à l’aise dans la vacherie de couloirs que sur les marchés. Autant dire que la chaîne d’info de la maison Canal est le responsable tout trouvé de futurs succès ou turpitudes populistes – si le RN avait conquis une ou plusieurs régions, on en aurait soupé, du « c’est la faute à CNews ». Ce sera pour la prochaine fois.

À ne pas manquer, notre numéro en kiosque: Causeur: Qui veut la peau de Pascal Praud?

Cela fait un moment que la chaîne donne des boutons aux grandes consciences progressistes. Deux événements ont décuplé leur fureur. Tout d’abord, en mai, CNews a pour la première fois dépassé BFM. Pour nombre de journalistes, qui se piquent de neutralité mais sont les fidèles propagateurs de l’idéologie (encore) dominante, ce succès est considéré comme un crime de lèse-majesté.

Une nouvelle occasion de dénoncer la bollorisation des esprits se présente avec le rachat d’Europe 1 par le propriétaire de Canal +. Libé publie une « une » insultante et tonitruante sur « le spectre de la bande FN » où l’on voit un micro CNews étouffer celui d’Europe 1 – métaphore de plomb. La rédaction en grève est parée des vertus d’une cellule clandestine de la Résistance. France Inter et Le Monde hurlent au pluralisme menacé, telles des mères maquerelles offusquées par la vue de leur fille en short et fuck-me shoes. Quelques jours plus tôt, un effarant article sur « Par Jupiter ! », l’émission de prétendus comiques de la radio publique, paraissait dans M, le magazine du Monde. Dans la lignée de l’amusant Geoffroy de Lagasnerie – l’un des rares à avouer clairement qu’on devrait interdire de parole les gens de droite –, Guillaume Meurice affirmait tranquillement : « l’humour, c’est un peu comme la sociologie : une fois que tu t’y intéresses, c’est dur de ne pas être de gauche. » Comment peut-on être de droite ? Conclusion : une radio publique de gauche, c’est le pluralisme, une radio privée de droite, ce serait le fascisme à nos portes.

Pas l’argent du contribuable

Que Vincent Bolloré entende appliquer à Europe 1 les recettes, y compris idéologiques, qui font le succès de CNews n’a rien de mystérieux, ni de scandaleux. Non seulement c’est son argent (et pas celui du contribuable) mais cela revient à donner la parole à cette France qui trouve que beaucoup de choses étaient mieux avant et qui jusque-là, était le défouloir favori des médias-prêcheurs. À « télé-Bolloré », on a le droit de redouter le délitement de la France et d’être contre la PMA pour toutes. Du reste, à France Inter, le pluralisme va de Mélenchon à Hollande, à CNews, de Hollande à Le Pen, c’est tout de même plus ouvert. Si on n’y croise guère de gauchistes, c’est d’abord parce que, l’émulation vertueuse aidant, beaucoup refusent de s’asseoir sur le même siège que Zemmour, des fois que ce serait contagieux. Peut-être aussi parce que les représentants de la gauche sont souvent ennuyeux à périr et font chuter l’audience, mais c’est une hypothèse personnelle.

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Ce qui débecte les croyants en une Information pure, délivrée des miasmes de la post-vérité, c’est qu’ils ont perdu le monopole qu’ils ont détenu si longtemps qu’il semblait relever de l’ordre naturel des choses. Ils reprochent à CNews de traiter des sujets qu’ils préfèrent euphémiser ou passer sous silence. Il paraît qu’entendre parler de faits divers effroyables, ça donne mauvais esprit aux gens. Mieux vaut raconter des contes de fées sur le vivre-ensemble.

Dans leur viseur, il y a donc un duo de choc qui se passe le relais à 20 heures. Zemmour, je n’y reviens pas, ses crimes sont connus. Pour Praud, ce statut d’ennemi public est relativement récent. En un peu plus d’un mois, il a été le sujet d’une trentaine d’articles, dont un long portrait acide d’Ariane Chemin et une « une » de Charlie Hebdo, assez dégueulasse au demeurant. Chaque semaine, il a le droit à un, parfois plusieurs coups de griffe du Canard ; sur France Inter, c’est tous les jours. Il fait aussi la joie des imitateurs qui s’amusent de ses tics de langage – « disons-le », « je vous remercie grrandement » – et amplifient son léger cheveu sur la langue [1]

Pour ses adversaires, un agent de libération de la parole incorrecte

Reste à comprendre : pourquoi tant de haine ?  

Certes, les bonnes audiences, déjà évoquées, y sont pour quelque chose, même si un million de téléspectateurs, le record de l’HDP, c’est peu, comparé aux 6 ou 7 millions de fidèles qui suivent la messe du 20 heures sur TF1. Pourtant, ses adversaires, et certains de ses admirateurs, lui prêtent un pouvoir démesuré. L’ancien journaliste sportif serait l’un des mauvais génies de l’opinion, un agent de la libération de la parole incorrecte et du bulletin de vote qui va avec. Lui ne revendique aucune influence politique, de ce point de vue, il serait plutôt l’anti-Zemmour.

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Ce que ses procureurs, animés par l’esprit de surveillance, ne voient pas et ne comprennent pas, c’est qu’avec ses nombreux défauts et son style unique, Pascal Praud fait souffler un vent frais sur le débat public. Son émission n’est pas toujours bien tenue, on y dit des énormités et des lieux communs : c’est qu’elle est peu la continuation de la vraie vie par d’autres moyens. Ce que certains appellent, avec des mines dégoûtées, le café du Commerce. Mais c’est très bien, le café du Commerce, heureusement que ça existe ! Si « L’Heure des pros » est un rendez-vous pour des gens de sociologie et de niveau de revenu très variés, c’est précisément parce qu’ils ont l’impression d’aller au bistrot avec des copains. La conversation est sérieuse ou foutraque, élevée ou ras des pâquerettes, paisible ou explosive. Comme dans la vie. Certains jours, on ne sait pas pourquoi, tout le monde est de mauvais poil et l’ambiance se traîne. Derrière sa télé, chacun a, parmi les chroniqueurs, ses préférés et ceux avec qui il ne voudrait pas boire une bière. S’il y a un phénomène Praud, il réside dans cette mystérieuse alchimie qui transforme en spectacle des gens qui parlent comme tout le monde.

Aussi, le plus grand danger qui le menace serait de devenir un jour un « people ». Peut-être est-il immunisé par sa nature plutôt distante. Pour l’instant, à en juger par le nombre d’inconnus qui, dans la rue, me gratifient de gentillesses et d’encouragements pour « Pascal », dans nombre de foyers français, on le considère plutôt comme un ami de la famille.

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[1]. Sur ce sujet capillaire, il s’est livré un jour à une mise en abîme très drôle avec Laurent Gerra, Il suffit de taper Gerra-Praud, vous trouverez l’extrait diffusé sur RTL

Été 2021 – Causeur #92

Article extrait du Magazine Causeur




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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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