La semaine de Causeur revient sur les articles les plus consultés sur le site Causeur.fr durant la semaine écoulée. Notre Directeur adjoint de la rédaction Jeremy Stubbs commente et analyse.
#4
À Paris, on fait disparaître les monuments en les emballant. A Alger, on a une autre approche. On les efface des photos dans la presse. C’est ce dont est accusé le journal El Watan. Sa une du 20 septembre a illustré les obsèques du président Bouteflika avec une image où le minaret de la Grande Mosquée d’Alger avait disparu. Cette erreur, apparemment d’ordre technique, a provoqué un scandale et le journal est menacé de poursuites judiciaires. Driss Ghali, Marocain, analyse la fascination de ces deux pays maghrébins pour des minarets gigantesques construits par des entreprises étrangères, fascination qui les détourne de la résolution de problèmes plus humains et plus pressants.
A cet égard, peut-on dire aujourd’hui que la France donne le bon exemple, elle qui saccage sa capitale, saccage sa culture et saccage son école ?
#3
Eric Zemmour, vous connaissez ? C’est de loin le plus populaire des non-candidats aux élections présidentielles. Or, Noémie Halioua nous révèle que la communauté juive est divisée sur la question de sa candidature : est-elle un bienfait oui ou non pour cette communauté ? Pour les uns, Zemmour est un pétainiste, un juif antisémite. Pour les autres, surtout ceux qui habitent des banlieues où ils sont la cible d’un antisémitisme arabo-musulman, c’est un sauveur. Ce qui est certain, c’est que Zemmour, anticommunautariste, est au-dessus de toute forme de tribalisme. Ce qui est non moins certain, c’est que l’antisémitisme dit « nouveau » reste le problème de tout le monde.
Quel est le « vrai » visage de la France ? Selon Cécile Duflot, qui juge au faciès, c’est celui de Makram Akrout qui vient d’être consacré meilleur boulanger de Paris et pourrait bien fournir l’Élysée en baguettes. Il s’avère que, dans le passé, M. Akrout, qui est arrivé sans papiers de Tunisie il y a 19 ans, aurait partagé sur Facebook des posts favorables à la vision islamiste du monde – ce qu’il nie. Soyons fair-play, à la différence des adeptes de la cancel culture. Tout le monde a le droit de commettre des erreurs et de changer d’avis. Ce qui dérange ici c’est le chœur des progressistes qui ne perdent jamais une occasion d’ « invisibiliser » le problème de l’intégration culturelle.
Les baguettes de M. Akrout sont peut-être bonnes, mais les ficelles des bien-pensants sont grosses.
Et maintenant, l’instant rire. Je parle, bien sûr, de Sandrine Rousseau, l’écoféministe battue par Yannick Jadot, non que ce soit une femme battue, loin de là ! Car cette grande observatrice des talibans en France, fan de Jean-Pierre Belmondo, a déclaré publiquement que celui avec qui elle partage sa vie est un « homme déconstruit ». Laurence Simon, professeur de lettres, se demande si Sandrine Rousseau est elle-même une femme « déconstruite. » Après tout, les femmes peuvent être aussi avides de pouvoir et même de domination, autant que les hommes. En tout cas, l’homme de Sandrine Rousseau est tellement déconstruit que personne ne sait pas qui il est. C’est désormais le sort des hommes, autrefois dominateurs, d’être… invisibilisés.
L’analyse de Jean-Baptiste Noé, directeur d’Orbis, école de géopolitique, et rédacteur en chef de la revue « Conflits ».
Deux histoires, deux approches du territoire, deux situations politiques : le Maroc et l’Algérie sont bien deux pays différents en rivalité permanente. Le Maroc a pour lui la profondeur historique, la longue histoire et la stabilité grâce à la famille royale. L’Algérie a, un temps, recueilli les espoirs des révolutionnaires politiques et tenté de prendre la tête d’un tiers-monde arabe, espérant jouer les premiers rôles devant l’Égypte et la Syrie. Temps révolus que la corruption, la faillite et l’enlisement social ont rangé aux placards des illusions. Ne reste plus à l’Algérie, pour camoufler encore un peu ses échecs, de faire usage de la corde nationaliste en s’élevant contre ses voisins. C’est ce qu’elle fait actuellement en ravivant les tensions avec le Maroc.
Rupture diplomatique
Le 24 août, l’Algérie a rompu ses relations diplomatiques avec le Maroc puis a interdit aux avions commerciaux marocains de survoler son territoire. Le décès et l’enterrement de l’ancien président Bouteflika s’est déroulé en silence, comme pour faire oublier les échecs qu’il symbolise, et notamment ceux de l’évanescence des espoirs de l’indépendance. La rupture des relations diplomatiques trouve ses origines immédiates dans les incendies qui ont frappé la Kabylie durant l’été. Incendies majeurs que le pays a été incapable d’éteindre et de circonscrire par manque de pompiers et de matériels. Pour un pays qui se veut prospère et développé, cette impuissance a porté un grave coup à l’orgueil national. La France aurait pu prêter des Canadair à Alger, mais la pratique algérienne courante consistant à insulter Paris pour cacher ses déboires, on comprend que le gouvernement français n’ait rien fait en ce sens.
Alger a donc accusé le Maroc et Israël d’être responsables de ces incendies. Selon la version gouvernementale, les feux auraient été allumés par des Kabyles indépendantistes financés par le Maroc et Israël, donc Rabat et Tel-Aviv seraient à l’origine des incendies. Une assertion sans fondement qui ne sert qu’à réveiller le nationalisme algérien en agitant la haine des ennemis de toujours. Il ne manque plus qu’à accuser la France d’avoir planifié ces départs de feux.
Alger a peu apprécié que le Maroc et Israël normalisent leurs relations diplomatiques, en échange d’une reconnaissance par Tel-Aviv de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. De plus en plus isolée et en proie à une faillite économique et politique totale, l’Algérie n’a plus que la vindicte à l’égard de ses voisins pour tenter de maintenir l’unité de sa population. Cette escalade étant sans limites, il est à craindre une nouvelle « guerre des sables » comme celle qui a concerné les deux pays en 1963.
Enjeu du Sahara occidental
L’Algérie ne désespère pas de récupérer le Sahara occidental, dont la richesse en phosphate lui permettrait de donner un peu d’air à une économie exsangue. Cette région, sous contrôle de fait du Maroc, est soumise à des rivalités nombreuses : revendications de l’Algérie et de la Maurétanie, mouvement autonomiste (Front Polisario) soutenu par les voisins, action des ONG pour soutenir l’indépendance. Plusieurs de ces ONG sont financées par l’Allemagne, qui soutient les revendications autonomistes du Sahara. Depuis le XIXe siècle et la crise de Tanger (1905), l’Allemagne a toujours souhaité intervenir au Maroc. C’est à la fois un moyen de déstabiliser la France et une façon d’être présente dans la zone saharienne, cruciale pour de nombreux flux commerciaux.
Le 10 décembre 2020, Donald Trump a officiellement reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Les indépendantistes espéraient que la nouvelle administration américaine reviendrait sur cette décision ; peine perdue puisque la reconnaissance fut réaffirmée par Joe Biden le 5 juillet 2021. Ce fut un camouflet pour la diplomatie algérienne, ce qui a contribué à l’escalade d’août.
Lors du dernier sommet de l’ONU à New York, le ministre des Affaires étrangères de l’Algérie, Ramtane Lamamra, a de nouveau insisté sur la nécessité d’une indépendance du Sahara occidental : « L’organisation d’un référendum libre et équitable pour permettre [au peuple sahraoui] de déterminer son destin et de décider de son avenir politique ne peut rester à jamais l’otage de l’intransigeance d’un État occupant qui a failli à plusieurs reprises à ses obligations internationales […] Le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination est inaliénable, non négociable et imprescriptible. »
Ces propos, tenus le 27 septembre, ont été suivis par ceux du lendemain prononcé par le ministre de la Défense algérien où celui-ci a accusé le Maroc de conspiration et d’atteinte à la sureté de l’Algérie. « L’attachement de l’Algérie à ses principes et sa détermination à ne guère en dévier dérangent le régime du Mekhzen [le palais marocain] et entravent la concrétisation de ses plans douteux dans la région. […] Ce régime expansionniste est allé trop loin, dans les conspirations et les campagnes de propagande subversives visant à réduire le rôle de l’Algérie dans la région ». Il a ensuite accusé le Maroc de « tenter de porter atteinte à l’unité [du peuple algérien] en semant la discorde et la division en son sein. [Ces actes] seront voués à l’échec, car l’Algérie est déterminée […] à défendre sa souveraineté et son unité nationale ». Des propos très lourds qui témoignent d’une montée croissante des rivalités entre les deux pays.
Allant de plus en plus vers l’escalade, il n’est pas à exclure une intervention militaire de l’Algérie.
Guerre du gaz
D’autant qu’Alger a lancé une guerre du gaz contre son voisin en modifiant le passage des livraisons vers l’Espagne. Dès le 26 août, et après une rencontre avec l’ambassadeur espagnol, le ministre de l’Énergie algérien a annoncé que les livraisons de gaz à l’Espagne se feraient via le gazoduc Medgaz, qui relie directement l’Algérie à l’Espagne (Beni Saf – Alméria). Ce faisant, l’Algérie renonce à utiliser le gazoduc Maghreb / Europe, qui relie Hassi R’ Mei à Cordoue via le Maroc. Ce gazoduc qui transite par le territoire marocain permet au royaume chérifien de percevoir un droit de passage payé en gaz naturel, selon des accords qui datent de 1991 et dont le renouvellement doit avoir lieu à l’automne 2021.
En annonçant utiliser le tube direct, sans passer par le Maroc, l’Algérie prive donc Rabat de ressources gazières et de royalties. C’est aussi une façon de faire pression sur le Maroc avant l’ouverture des négociations prévues pour la mise à jour du contrat.
Le Palais marocain vient de réussir une bonne opération en politique intérieure avec la lourde défaite des islamistes et l’arrivée au pouvoir d’un parti proche du roi. Cela témoigne de l’habileté politique de Mohammed VI qui demeure à ce jour le seul dirigeant arabe à avoir évincé les islamistes de façon légale et sans recours à la force. Conforté à l’intérieur, le Maroc peut désormais affronter de façon plus sereine les tensions diplomatiques avec l’Algérie. Reste à la France à prendre sa part au dossier. Les liens historiques et économiques entre le Maroc et la France sont anciens et étroits. Alger a le soutien de l’Allemagne qui souhaite l’indépendance du Sahara occidental afin de faire main basse sur la région. Ce qui se joue donc entre Rabat et Alger concerne donc directement la France et les affaires européennes.
Une génération d’Afghans libéraux, qui a vécu sous la protection occidentale, n’a opposé aucune résistance aux talibans. Plutôt que de défendre la liberté chez eux, ils voudraient venir chez nous. C’est le problème des sociétés ouvertes: les bobos ne prennent par les armes.
La défaite du régime pro-occidental afghan démontrerait une fois de plus que certains peuples ne sont pas prêts pour la démocratie à cause de leurs traditions rétrogrades. De fait, les cas afghan, irakien, somalien et yéménite semblent valider ce postulat. Cependant, cet échec s’explique peut-être moins par les différences entre « eux » et « nous » que par les ressemblances. Autrement dit, la démocratisation n’a pas échoué à cause de la réticence des Afghans, mais à cause de leur engouement excessif.
Bobos d’ici et de là-bas
Notre modèle démocratique suppose la coexistence de diverses classes, castes, ethnies, idéologies, et modes de vie. Chaque groupe renonce à exterminer les autres, tentant tout au plus de les convertir. Le groupe emblématique de cet idéal de coexistence est celui des urbains libéraux – également appelés bobos.
La tentative pour importer la démocratie occidentale et la société ouverte en Afghanistan a exacerbé les tensions internes et donné l’avantage aux obscurantistes
Derrière les légions d’hommes enturbannés, l’Afghanistan pro-occidental a aussi vu émerger une caste bobo, principalement à Kaboul. Certes, on n’y a pas organisé de Gay Pride, mais on n’y voyait point de burqas, hormis dans les quartiers populaires peuplés de paysans déracinés. Les femmes émancipées, parfois « en cheveux », n’encouraient aucune sanction. Elles occupaient des postes intéressants, les salons de coiffure foisonnaient, les ONG, les universités et les écoles de musique employaient des milliers de personnes. Les jeux et concours de chants à la télévision, les matchs de football, les pique-niques, les cafés, tout ce qui avait été interdit par les talibans de 1991 à 1996 avait droit de cité. Ces citadins occidentalisés attendaient que les nouvelles générations les débarrassent de la clique au pouvoir. En somme, la boboïsation et la modernisation ont précédé la démocratisation.
Seulement, cette nouvelle classe ne pouvait à elle seule relever un pays marqué par la tension entre citadins et ruraux. Dans les campagnes, les femmes portaient la burqa et les hommes, désœuvrés, se détournaient souvent à la vue de toute personne étrangère à leur village, tandis que des caïds protégés par des gardes armés roulaient en 4×4. Ici ou là surgissaient une école ou un projet d’infrastructure financés par l’étranger mais bien sûr, on ne voyait pas l’ombre d’une librairie ou d’un marchand de journaux, ni même un restaurant distingué. Les paysans sont généralement fort peu instruits, en dehors du Coran et d’une vague influence persane mystique via la poésie de Rûmî et de Hâfez. Mais les Pachtouns, qui constituent 40 % des 40 millions d’habitants, n’ont aucun accès à la culture persane des autres ethnies, persanophones.
L’effondrement de l’Armée nationale afghane (ANA) a donc laissé sans défense la minorité moderniste. Il est probable que les militaires aient reçu l’ordre de ne pas tirer, de laisser les talibans arriver, en échange d’une amnistie. Le régime était-il corrompu au point de ne pas pouvoir payer ni même chausser les soldats ? Possible. La faible fidélité des militaires du rang, qui s’étaient enrôlés pour la maigre solde, était palpable depuis longtemps. Et, faute de conscription obligatoire, l’absence totale d’esprit patriotique des « démocrates » n’a rien arrangé. Les bobos afghans pouvaient être impressionnés par une belle armée de métier européenne, pas par l’armée afghane républicaine. Ils méprisaient la police. On a pu voir sur nos écrans des citadins, souvent anglophones, se plaignant d’avoir été lâchés par leur armée, leur police, leur président, les États-Unis. Tous imploraient : « Sortez-nous d’ici. » Aucun n’a réclamé des armes ou crié « No pasarán ». Seuls quelques membres des forces spéciales et les aviateursont fait montre de combativité.
Si les bobos se sont multipliés, c’est grâce à la protection de la coalition internationale et à l’esprit libéral insufflé par les ONG et par les Afghans revenus de l’étranger. Une génération n’ayant connu ni les talibans ni le communisme est née. Elle aimait la démocratie alors que celle-ci n’était pas encore une réalité. Les Occidentaux appréciaient ces jeunes gens attirés par les professions libérales, les métiers créatifs, les start-up plutôt que par le métier des armes. Ces Afghans qui ne ressemblaient nullement aux moudjahidines en turban et sandales, munis de fusils-mitrailleurs, étaient l’annonce d’un avenir radieux. Nul ne voyait en eux des Afghans désarmés face aux talibans rétrogrades et armés.
La modernisation minée par la corruption
La coalition n’a pas apporté la probité dans ses bagages. Les agences internationales ont bien tenté de remplacer la culture du pavot et du cannabis, qui s’étalait sur des milliers d’hectares, par celle des grenades. On voyait partout des charrettes croulant sous ces fruits. Mais les soldats américains n’en mangeaient jamais, trouvant tout dans leurs rations hermétiques. Il y a déjà dix ans un journaliste afghan me confiait : « Les Occidentaux veulent nous apporter les droits de l’homme mais on voit bien que chaque nationalité, les Italiens, les Canadiens, les Américains, joue une partition différente et laisse les caïds corrompus en place. Cen’est pas bon pour nous vos droits de l’homme. »Nombre d’Occidentaux sont devenus des aventuriers sans scrupules pratiquant volontiers le bakchich. J’ai vu un civil de l’OTAN tendre un billet de 20 dollars à un soldat afghan pour éviter à mon groupe d’Occidentaux la première fouille à l’aéroport.
Les citadins modernisés dénonçaient la corruption, mais leur État républicain était mal né. Au sommet de Bonn en 2001, on a bricolé un régime avec des revenants de la période d’avant les talibans et les Soviétiques, les anciens piliers de la monarchie de Zaher Shah. Ces vieux chevaux sur le retour estimaient avoir été spoliés et leurs tribus rurales attendaient compensation. Tandis que Hamid Karzaï, figure puissante de la tribu pachtoune des Popalzaï du Sud, s’installait au palais présidentiel, son frère devint l’un des plus grands trafiquants de drogue du pays. Les ministères, tels des fiefs, étaient distribués à des seigneurs de guerre. Actuellement, Hamid Karzaï est en pourparlers directs avec les talibans pour faire partie d’un gouvernement « inclusif ».
Les Occidentaux ont évacué une grande partie de ceux qui détestent la talibanisation. C’est la malédiction de la modernisation : les élites libérales et pacifiques ne pèsent pas lourd face aux guerriers obscurantistes et aux calculs rusés des paysans ouzbeks, tadjiks ou même pachtouns. Or, le départ de ces élites ne peut que renforcer le monopole idéologique taliban. En l’absence d’une armée liée aux classes démocratiques, la République ne pouvait mobiliser le peuple contre les talibans.
Notre erreur est de n’avoir pas compris la sociologie afghane. En fait de démocratie, nous n’avons apporté qu’une modernité appréciée mais viciée par un gouvernement vénal et corrompu. Pour les paysans, le retour des talibans marque la fin d’un État cleptocrate et clientéliste qu’ils méprisaient. Pour les élites citadines, il signifie l’étouffement dans l’œuf d’une société cultivée et non-violente. Autant dire qu’elles n’ont guère d’autre option que l’exil.
Non contente d’envahir le langage, l’idéologie woke pénètre dans les petites icônes de nos téléphones portables. Il serait peut-être temps de s’en inquiéter.
On connaissait l’émoji représentant la femme enceinte, voilà venu l’émoji de « l’homme enceint » ! Le Consortium Unicode, l’instance américaine qui supervise la création de nouveaux émojis et leur standardisation mondiale sur toutes les plateformes numériques, a validé mi-septembre 112 nouvelles émoticônes qui débarqueront dans les prochains mois.
Dans son dernier essai sur la question trans, la spécialiste de la galanterie française Claude Habib voit dans le phénomène trans « le symptôme de la démocratie de l’exception, de la recherche grégaire de la singularité »
Parmi eux, on trouve des icônes aussi variées qu’une bouche qui se mord les lèvres, des haricots, une seringue, mais aussi et surtout 25 nuances de « poignées de mains » (noires, blanches, métisses etc.) et un homme enceint décliné en six couleurs de peaux différentes, ainsi qu’une personne enceinte dite « non genrée », c’est-à-dire au sexe indéterminé.
Progressivement correct
Jennifer Daniel, directrice artistique chez Google et actuelle présidente du sous-comité Emoji, s’est réjouie qu’au bout de trois ans de recherche la mise à jour 14.0 ait enfin lieu. La création de ces nouveaux pictogrammes est une affaire on ne peut plus sérieuse, qui nécessite le travail acharné de geeks surdiplômés tout droit sortis des prestigieuses facs de la côte ouest des États-Unis, avant de passer sous les fourches caudines d’un comité composé des représentants des différents géants du numérique (Google, Microsoft, Adobe, Apple ou Facebook). Tout ce petit monde se réunit quatre fois par an pour débattre et délibérer sur l’apparition ou le retrait de ces émojis qui ponctuent ensuite nos conversations numériques.
What's new in Emoji 14.0 and what makes it great:
– New additions embrace combinatorial sequences that don't require ZWJs – Finally resolving discrepancies wrt “Face with Hand Over Mouth” 🤭🤭🤭 (iOS: Open Eyes, Everyone else: Closed) – Bubbles emojihttps://t.co/WpHI2h37KS
Si Jennifer Daniel affiche ces jours-ci un sourire aussi béat qu’un smiley, c’est surtout parce qu’Unicode applique à la lettre la politique d’inclusion diversitaire pour laquelle elle milite ardemment. C’est en effet sous l’impulsion de cette graphiste – qui collabore aussi au New York Times et au New Yorker – que la palette d’émojis s’est enrichie de ces nouveaux pictos inclusifs. Ils entendent représenter toutes les minorités sexuelles et raciales, et “déconstruire” les fameux stéréotypes de genre et de race. Espérons que Sandrine Rousseau mettra vite son téléphone à jour !
En 2020, l’émoji du drapeau rose et bleu représentant la communauté trans avait fait son apparition, avec celui d’une femme vêtue d’un smoking et celui d’un homme portant le voile d’une mariée (!). En 2021, Unicode va donc encore plus loin. L’organisme, dont la mission initiale était de « coder toutes les écritures du monde » afin qu’elles soient visuellement similaires quelle que soit la plateforme utilisée, devient un organe de propagande du militantisme trans.
Pas anodin !
Car enfin ! Ces émoticônes de « l’homme enceinte » et de « la personne enceinte » sont loin d’être anodines et inoffensives. En se drapant derrière les atours fun et sympa des smileys et des émojis, l’idéologie trans applique la fameuse loi orwellienne selon laquelle changer le langage permet de remodeler le réel et de formater les esprits. Ces représentations graphiques s’inscrivent d’ailleurs dans la même logique de dévoiement du langage que le volapük woke. Pour ne pas exclure et discriminer les trans, le mot femme est déjà remplacé par « personne qui a ses règles » dans le programme des écolos en France, niant l’existence de la différence fondamentale entre les sexes.
La fonction d’une icône est de représenter des objets qui existent dans la réalité. En 2016, Apple n’avait pas cédé à la pression exercée par le lobby de la NRA et avait remplacé l’émoji de l’arme de poing par un pistolet à eau. Or, à la différence des armes à feu, les émojis de l’homme enceint et de la personne enceinte rompent avec ce principe de représentativité tautologique de l’icône, puisque leurs dessins ne correspondent à aucune réalité. Sur le plan biologique, l’utérus masculin n’existe pas plus que le pénis féminin. Mais selon l’iconographie woke, je l’ai dit, il suffit d’écrire ou de représenter ce que l’on souhaite pour le faire advenir.
Dans son dernier essai sur la question trans, la spécialiste de la galanterie française Claude Habib voit dans le phénomène trans « le symptôme de la démocratie de l’exception, de la recherche grégaire de la singularité » [1]. N’est-ce pas un comble, pour une personne qui s’auto-proclame singulière, unique et originale, que d’être représentée par un émoji standardisé, devant être validé par les hauts dignitaires de la norme des émoticônes sous la pression des lobbies trans ou LGBT ? 😉
Déjà qu’il a le plus grand mal à rassembler la droite autour de lui! Voilà que le média woke “Loopsider” et l’élu d’extrême gauche Benjamin Lucas s’unissent pour faire passer le candidat à la présidentielle pour un affreux macho…
À l’heure où il est de bon ton de « rassembler tous les Français » à l’approche des présidentielles, Xavier Bertrand va-t-il s’attirer les foudres des néo-féministes ? Le média Loopsider, « pure player vidéo » scrutateur des réseaux sociaux, a mis en ligne une scène du Conseil régional de Lille, où le président des Hauts-de-France est accusé de « mansplaining ». Une scène effroyable (voir ci-dessous)!
On n’arrête pas le progressisme
Quèsaco? Mot valise forgé à partir de « man » et de « explaining », cet anglicisme progressiste trouve son origine en 2008, dans l’ouvrage Ces hommes qui m’expliquent la vie (L’Olivier)de l’auteur Rebecca Solnit. Dans ce bref essai, cette Américaine s’est attelée à dénoncer pourquoi, selon elle, des hommes se sentiraient obligés d’expliquer aux femmes ce qu’elles savent déjà. Avec la vague #MeToo, l’ouvrage connut une seconde jeunesse jusqu’à chez nous, le magazine Télérama y voyant notamment « une réflexion salvatrice sur la masculinité toxique ».
Cette semaine, lors d’une petite assemblée autour d’un texte de loi, Marine Tondelier, élue municipale écolo d’Hénin-Beaumont, a osé un petit sarcasme. Visiblement un brin vexé, Xavier Bertrand a coupé le micro de l’impertinente pour montrer qui est le patron. « Ça ne sert à rien de tenir des propos qui sont mal perçus par les uns et par les autres. J’ai suffisamment d’expérience de très nombreuses assemblées pour savoir que ces comportements n’amènent à rien d’autre qu’à un désordre qui n’est absolument pas propice à la bonne conduite des débats », a-t-il déroulé avec une certaine condescendance.
Xavier Bertrand coupe le micro de l'élue Marine Tondelier en pleine Assemblée 🤬 Un conseiller régional le recadre en lui expliquant ce qu'est le mansplaining. 💥 👉 https://t.co/zqn5hIVvMhpic.twitter.com/FyUhThBqix
Bien mal lui en a pris. Benjamin Lucas, porte parole du mouvement Génération-s et présent à la réunion en tant que conseiller régional des Hauts-de-France, est venu à la rescousse de sa camarade censurée: « Si nous disposions de cinq minutes, j’aurais pu vous expliquer ce qu’est le mansplaining, la capacité à interrompre une femme quand elle s’exprime ». « Être le président, faire la police de l’Assemblée, ne permet pas tout, Monsieur Bertrand », s’indigne alors le porte parole avant de reprendre d’un ton professoral: « Vous n’êtes pas à la table d’un conseil des ministres, nous ne sommes pas ici vos obligés […] Permettez que sur les deux pauvres minutes que vous attribuez à votre opposition pour qu’elle puisse exprimer un point de vue, Madame Tondelier, comme les autres élus de cette assemblée, ne soit pas interrompue comme vous l’avez fait avec beaucoup de mépris et beaucoup d’arrogance ». Avec le flegme de l’homme blasé qui sait que rien ne sert de s’énerver, Xavier Bertrand encaisse poliment avant de lâcher un « Bien ». Trêve des hostilités.
Il coche toutes les cases
Outrageusement sous-titré en écriture « inclusive », le montage de Loopsider a donné du baume au coeur à l’élue Marine Tondelier, qui l’a mis en ligne sur sa page Twitter (en remerciant ses « amis de #Loopsider »). Que Xavier Bertrand ait souhaité montrer qui était le chef, c’est un fait. Cela en fait-il pour autant un affreux mâle dominant à l’instinct de prédateur enraciné? Hétérosexuel, blanc, de droite, âgé de plus de cinquante ans, large d’épaules, et aimant poser avec sa jolie blonde de trente-cinq ans, Xavier Bertrand coche toutes les mauvaises cases. « Je propose aux autres candidats que l’on se rencontre très rapidement », vient-t-il d’assurer à nos confrères du Figaro. S’il souhaite s’attirer la bienveillance des belles âmes au coeur écolo et être réellement « rassembleur » comme il s’en vante, cela ne suffira sûrement pas. Désormais, s’il ne souhaite pas être suspecté d’autoritarisme avant-même la course à la présidence, il devra mettre de côté son bouton « on-off » lors de ses prochains échanges !
La féministe radicale est à retrouver en débat face au philosophe en une de l’Obs cette semaine.
Non ce n’était pas mieux avant
Avant, dans les années 2000, l’Obs traitait par le silence les nouveaux livres de Finkielkraut. Aujourd’hui, l’hebdo de gauche lui organise un dialogue avec Antoine Compagnon, professeur émérite au collège de France de littérature, puis un débat avec Alice Coffin, l’égérie écoféministe, dans un autre numéro.
L’académicien a accepté ce combat, pardon ce débat, avec Alice Coffin.
J’écris « il a accepté », pas « ils ont accepté », car il me paraît évident que Madame Coffin ne pouvait refuser un tel honneur, débattre avec un intellectuel auteur de dizaines de livres, professeur d’histoire des idées pendant 25 ans à Polytechnique, animateur de l’émission vedette « Répliques » de France Culture depuis plus de 30 ans. Après tout, elle n’est qu’une simple journaliste militante devenue élue verte de base à Paris, qui n’a publié qu’un ouvrage (Le Génie lesbien). Quel honneur pour elle. Bravo Madame.
Un accès aux médias « patriarcal »?
Pourtant elle n’en semble pas consciente. Dans l’entretien, pour démontrer l’accès beaucoup plus facile que les hommes auraient au pouvoir et à la notoriété, elle explique:
« Si je suis invitée ici pour cet entretien, c’est parce qu’il y a votre livre. Peut-être ne mesurez-vous pas à quel point votre accès aux médias est plus facile. » Dans le contexte de son explication, son « vous » désigne Finkielkraut mais surtout: vous les hommes.
Comme beaucoup des idées de la mouvance dont se réclame Madame Coffin, cette affirmation n’est pas seulement fausse, elle est le contraire de la réalité. Dans un monde normal, un hebdomadaire comme L’Obs inviterait de toute façon un intellectuel français aussi important que Finkielkraut à s’exprimer sur son nouveau livre, mais pas à débattre avec Madame Coffin…
Lorsqu’elle-même a sorti son livre l’an dernier, elle a été conviée à plusieurs émissions importantes de radio-télévision, dont le service public national, alors qu’elle était inconnue, sans référence intellectuelle. Des milliers de jeunes auteurs rêveraient d’une telle exposition. Eh bien malgré tout cela, Madame Coffin se plaint d’un accès insuffisant aux médias, inférieur de manière injuste, si on la comprend bien, à celui de Finkie, et attribue cette injustice au fait qu’il est un homme et elle une femme! Il s’agit selon elle d’une des preuves du fameux « patriarcat ».
La querelle de la « parole libérée »
Finkielkraut résume le problème principal posé par #metoo d’une phrase: « Quand l’accusation suffit à déterminer la culpabilité, c’est la fin du monde. »
Madame Coffin répond immédiatement: « D’un monde, peut-être. » L’académicien rappelle alors cette évidence: une femme aussi peut être victime d’un lynchage justicier. L’obsession idéologique qui divise le monde en deux perd de vue cette évidence: si on abandonne les droits des mis en cause, on les abandonnera pour tous, y compris les femmes.
La querelle du « féminicide »
Finkielkraut cite la définition du Larousse: le féminicide serait « le meurtre d’une femme ou d’une jeune fille en raison de son appartenance au sexe féminin ». Pour lui, cette définition n’est pas correcte, le plus souvent la femme n’est pas tuée parce que femme mais parce que conjointe.
La réaction d’Alice Coffin sur le féminicide est intéressante car typique des militants identitaires: tout d’abord elle affirme bien entendu que Finkielkraut vient de prononcer une « fake news »:
« C’est de la fake news, ce que vous faites (…). C’est incroyable qu’il soit encore possible de tenir un tel discours, alors que sur d’autres sujets cela apparaîtrait comme des propos de complotiste qui nie les éléments factuels ».Ensuite, grand classique woke, elle conseille à son interlocuteur de s’éduquer: « (…) moi, toutes les citations que vous me renvoyez, je les connais, j’ai appris ça à l’école, à l’université, je maîtrise tous ces récits. L’inverse n’est pas vrai. Nos références, d’Audre Lorde à Eve Kosofsky Sedgwick, sont complètement ignorées de vous, donc on n’en parle pas. Pourquoi un tel désintérêt, une telle disqualification ? Nous, on connaît nos classiques, à vous d’apprendre les vôtres. »
Les wokes ne connaissent que des contradicteurs ignorants, « mal éduqués ». Comme tous les religieux, ils demandent aux non croyants de lire leurs livres saints.
L’essentialisation des hommes
Quand Alice Coffin donne une litanie de chiffres sur les meurtres de femmes et les violences sexuelles, l’académicien lui demande de ne pas essentialiser les hommes, de garder à l’esprit le particulier.
« Je m’engage contre l’engagement simplificateur », argumente-t-il.
Violence masculine, victimes humaines
Pour Alice Coffin tous les hommes sont des agresseurs réels ou potentiels, et toutes les femmes, des victimes, réelles ou potentielles.
Ce qui lui échappe, mais que Finkielkraut, tout à sa réfutation littéraire, manque aussi, c’est que les premières victimes de meurtres sont les hommes. Tués par des hommes. Car si les violents sont très majoritairement mâles (la violence est masculine, c’est un fait), le statut de victime est, lui, réparti sur tous, il est universel, ce mot honni des néoféministes. La victime n’a pas de sexe (pardon de « genre », je ne suis pas assez « éduqué »), la victime est humaine.
Et donc si la violence est essentiellement masculine, elle n’a pas grand chose à voir avec le conditionnement du « patriarcat », elle a plutôt un lien avec cette chose qui n’existe pas pour les néoféministes, qui s’appelle, comment déjà?, ah oui!: la biologie.
Mais ce mot grossier (puisque tout est « construit » ou « déconstruit » socialement, rien n’est biologique, voyons!), Alain Finkielkraut est bien trop courtois pour le prononcer devant une militante néoféministe. Il préfère lui parler littérature, ce qui ne l’intéresse visiblement pas, mais permet de se séparer avec civilité.
Good game!
Lorsque les Anglais nous battent au rugby, ils nous serrent la main en souriant, nous regardent dans les yeux et disent « Good game ».
Gageons que Finkie, qui n’apprécie pas les anglicismes, a dit « Belle partie » à Madame Coffin en quittant les locaux de l’Obs !
Le dernier Finkielkraut L’Après littérature est un très bon cru Finkielkraut y creuse son sillon, sa constance doit être saluée. Depuis 1987 et la Défaite de la pensée, il est le point fixe de la vie intellectuelle française, celui qui ne bouge pas, celui qui résiste au mouvement. Fondamentalement kunderien, il n’a jamais accepté l’idée qu’il y avait une direction, il n’a jamais accepté de suivre le mouvement. Ceux qui suivent ont changé de nom, progressistes, antiracistes naguère, aujourd’hui néofeministes, « écologistes », pourfendeurs de la « domination », « déconstructeurs », ils trouvent un Finkielkraut plus combatif que jamais sur leur chemin. Il a résisté à toutes les tentatives de le diaboliser, il est toujours là, à l’intérieur du système, avec son émission fondamentale, « Répliques », le samedi matin sur France Culture. Et c’est bien le système qu’il étrille dans son dernier livre: #metoo, les pseudos écologistes, le simplisme de BLM, et encore et toujours le nivellement des valeurs culturelles. Dans ce livre, il a choisi d’unifier ses réfutations par la littérature: au fond le contraire de l’idéologie dominante, nous dit-il, c’est le particulier, c’est le roman. Lui l’agrégé de lettres modernes, devenu par erreur, sans doute, un « nouveau philosophe », n’a cessé de tourner autour de cette idée depuis des décennies. Un Finkielkraut qui n’a qu’un seul défaut: il se lit trop vite, on voudrait que le plaisir dure encore •
L’héritier du trône se marie aujourd’hui à Saint-Pétersbourg
C’est l’évènement de l’année en Russie. Pour la première fois depuis la révolution de 1917, un mariage impérial va être célébré en grande pompe à Saint-Pétersbourg, ancienne capitale des Romanov, dans la cathédrale Saint-Isaac. L’héritier au trône de Russie, le grand-duc Georges Romanovva épouser Victoria (Rebecca) Bettarini-Romanovna, la fille d’un diplomate italien, devant une multitude de représentants de maisons royales européennes et étrangères, de membres de l’aristocratie russe, du gouvernement et autres conseillers du président Vladimir Poutine, également attendu pour cette cérémonie. Depuis la chute du communisme, les Russes se sont réapproprié leur histoire et les Romanov ont désormais droit à leurs statues érigées un peu partout dans le pays. Un parfum d’antan flotte aujourd’hui au-dessus du pays d’Ivan le Terrible.
La monarchie peut-elle revenir en Russie ? C’est une question récurrente qui est fréquemment posée depuis que le communisme, ce colosse idéologique aux pieds d’argile qui a dirigé durant 74 ans l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS), est tombé, en 1991. Largement réhabilités depuis la découverte des restes de Nicolas II et de sa famille, les Romanov font l’objet de toutes les attentions de la part du gouvernement et de membres de la Douma. Jusqu’au plus haut-sommet du Kremlin. Avec l’après-Poutine qui se dessine doucement, certains rêvent déjà de rendre leur couronne à une famille qui a dirigé la Russie durant trois siècles. Selon un récent sondage, sur un panel de 35 000 personnes interrogées, un tiers des Russes affirment ne pas être opposés au retour d’un empereur à la tête de la Sainte-Russie, 28% déclarant même qu’une telle transformation de la structure de l’État en Russie est tout à fait acceptable et 18 % réagissant avec « enthousiasme » à cette proposition. Des chiffres qui peuvent autant surprendre qu’ils nous ramènent aux photos d’un empire victime des conséquences de la Première guerre mondiale et de n’avoir pas su se réformer à temps, de ces Russes blancs fuyant en masse les exactions des bolchéviques. Un monarchisme qui n’a jamais disparu en dépit des tentatives des Soviétiques de décrédibiliser Nicolas II, constamment grimé en souverain tyrannique manipulé par le moine Raspoutine.
Martyrs de la révolution
Les chiffres sont encore plus éloquents chez les milléniaux tentés par l’idée impériale. Chez les 18-30 ans, 30% adhèreraient à l’idée monarchique (notamment chez les diplômés du secondaire). « Pour moi, la monarchie est une tradition, le bastion de notre culture et de notre nation »explique d’ailleurs Caroline, 24 ans, qui considère que la révolution a été une « catastrophe qui a amené famine, guerre civile et terreur ». Une idée qui touche toutes les couches sociales russes. Selon le sondage, 25% des classes sociales modestes et près de 30% parmi les plus aisées seraient favorables au retour de la monarchie, un concept qui reste toujours indissociable de l’Église orthodoxe d’après 35% des personnes interrogées. Voire même au-delà puisque 27% des musulmans russes se déclarent prêts à soutenir le retour de l’institution impériale. Sanctifiés par la plus haute autorité orthodoxe, laquelle ne cache pas son monarchisme, les Romanov font l’objet d’un véritable culte par les Russes. Chaque année, ils sont des centaines de milliers à converger vers Ekaterinbourg, le lieu de leur massacre en juillet 1918, afin de rendre hommage à ces martyrs de la révolution. Un succès qui ne se dément pas. Baptisées « Journées du tsar », elles sont organisées par le mouvement Aigle à Deux-têtes dirigé par l’oligarque Konstantin Malofeev, fervent soutien au retour à la monarchie. Proche du président Vladimir Poutine dont il est un des conseillers, cet homme d’affaire controversé a ouvert une école qui forme, sous le regard de tous les empereurs de Russie, les futurs cadres d’une éventuelle prochaine monarchie… Il possède sa propre télévision (Tsargrad), qui se veut à la fois nationaliste, panrusse et monarchiste. L’homme est puissant, influent jusque dans les milieux de la droite conservatrice européenne et américaine qui n’hésitent pas à l’inviter. Sa dernière apparition au Congrès de familles aux côtés de Matteo Salvini, le patron italien de la Ligue, avait été remarquée. Il a même des liens au sein de la mouvance monarchiste française, fascinée par l’esprit romantique de la Russie blanche qui a survécu et est toujours présente dans l’Hexagone.
« Il y a certainement encore aujourd’hui beaucoup d’intérêt et de fascination pour les Romanov. Je pense que c’est parce qu’ils ont régné sur la Russie pendant plus de 300 ans et ont laissé une marque significative dans l’histoire de notre pays et de toute l’humanité. Le destin tragique de l’empereur Nicolas II et de sa famille a profondément choqué et marqué les gens du monde entier, je pense donc que cet intérêt est tout à fait naturel » explique le grand-duc Georges Romanov. « C’est certainement un honneur pour moi de porter un nom aussi prestigieux et d’être un descendant de personnes extraordinaires telles que Catherine la Grande et Pierre le Grand. J’ai été élevé dès mon plus jeune âge avec la conscience de porter de grands devoirs et des responsabilités, celles de continuer à servir mon pays et de transmettre cet héritage à la génération suivante » déclare ce descendant d’Alexandre II qui est contesté cependant par une partie de sa famille dans ses droits au trône. À 40 ans, celui qui a grandi à Saint-Briac, en Bretagne, ne revendique pourtant aucun rôle. « Si un jour la monarchie doit être rétablie, le peuple trouvera toujours dans nos maisons quelqu’un qui a été éduqué et préparé au mieux de ses capacités pour accomplir ses devoirs. Mais dans les circonstances actuelles, nos activités sont totalement apolitiques et se concentrent sur le caritatif, afin de renforcer la paix interreligieuse et civile en Russie, à préserver son patrimoine historique, culturel et naturel, à l’éducation patriotique des jeunes et à protéger l’image de la Russie malmenée par la diplomatie internationale » affirme-t-il.
Pas à l’agenda de Poutine pour le moment
Il a fondé la « FondRus », une société caritative très active pour laquelle travaille aussi sa future épouse Victoria (Rebecca) Bettarini-Romanovna. Si le président Vladimir Poutine a déclaré en 2017 que « la restauration de la monarchie n’était pas pour le moment sur son agenda », d’autres se chargent de faire campagne pour lui en ce sens au sein du gouvernement et du parlement.
Président de Crimée, Sergueï Valerievitch Axionov ne fait pas mystère de son monarchisme et a proposé officiellement de restaurer un tsar en Russie, allant jusqu’à proposer aux descendants des Romanov de s’installer dans cette ancienne province ukrainienne revenue dans le giron russe après un référendum !
C’est naturellement à droite que l’idée monarchique séduit le plus. 44% des adhérents de Russie unie (parti gouvernemental) et 36% du Parti libéral-démocrate de Russie du député d’extrême-droite Vladimir Jirinovski plébiscitent le retour de la monarchie (il dirige le premier parti d’opposition russe et a augmenté le nombre de ses députés à la Douma aux dernières élections législatives). Chez les communistes, seuls 6% y seraient favorables. Plus étonnant encore, on a même 17% des Russes qui ne verraient pas d’un mauvais œil que l’actuel dirigeant russe soit couronné empereur après sa désignation lors d’un zemsky sobor (assemblée). En Russie, on se plaît à rêver au retour des empereurs de Russie. Une véritable revanche de l’Histoire qui a de quoi exciter notre propre imaginaire. « Dieu sauve le Tsar » ?
Le phénomène Eric Zemmour témoigne du retour bienvenu de la rhétorique. Pour que l’électeur français retrouve le chemin des urnes, qu’on abandonne la com’, et qu’on lui parle de la France !
Je veux bien tout ce que vous voulez sur Eric Zemmour, son idée fixe sur les causes de la décadence française, son obsession ethnique, son islamophobie et le fait qu’il se prend peu à peu pour Moïse, le Bon Dieu, le Sinaï en une seule personne — en sus d’être la réincarnation de Mon Général. C’est un ami et il ne s’offusquera pas de ce que je vais écrire.
Ce qui le caractérise, au-delà des idées, ce qui fait sa différence vis-à-vis des politiques qui tiennent le haut des tribunes depuis des années, c’est sa maîtrise de la langue en général, et de la rhétorique en particulier. Son débat contre Mélenchon, dont tous deux, à mon sens, sont sortis vainqueurs, non vis-à-vis de l’autre mais face à tous les absents qui prétendent être quelqu’un, a marqué le retour de la langue française, fort bien maîtrisée par le vieux tribun qui se veut la réincarnation de Robespierre et par le journaliste qui se prend pour Bernanos, Henri Rochefort et Léon Daudet en une seule personne.
Com’ et bien parler
C’est ce que Christophe de Voogd, Normalien et agrégé comme il en est d’autres, à commencer par l’auteur de ces lignes, appelle dans un article du Figaro « le retour de la rhétorique ».
La com’ du RN, merci bien — on a vu ce que ça donnait, en 2017, dès que Philippot n’était plus là pour agiter les fils de la marionnette. La com’ des Républicains, j’ose à peine l’évoquer…
Il est remarquable — et typique de notre époque dégénérée — que peu à peu le mot « rhétorique » se soit chargé de connotations péjoratives. Les érudits y trouveront un écho de la condamnation des « rhéteurs » par Platon sous l’identité de Socrate, mais j’y vois surtout le triomphe des demi-habiles, de cette secte journalistiquée qui croit que la « com’ », comme ils disent, l’emporte sur le bien parler.
Aristote appelait cela le Logos. C’est l’architecture langagière qui discipline le Pathos (la passion) afin de promouvoir l’Ethos — la morale, ou si vous préférez un langage plus contemporain, les positions politiques : au sens aristotélicien, ce qui concerne la vie de la cité.
On a voulu faire croire aux politiques, recrutés décennie après décennie parmi les plus nuls des postulants à la Chose Publique, fourgueur d’assurances ou avocate sans causes, qu’il suffisait de saupoudrer son discours de mots « attendus », enrobés de clins d’œil un peu vulgaires afin de plaire aux masses, notoirement inéduquées par la grâce d’un système scolaire défaillant, pour com’vaincre les électeurs. C’est si faux que lesdits électeurs ne se rendent plus aux urnes, peu disposés à accorder leur voix à des individus passablement médiocres. Parce que la ruse suprême de la com’ — écoutez bien, c’est là que se révèle la pauvreté de ces Grands Com’muniquants — est d’accorder un peu de tout à tout le monde, de saupoudrer son discours de formules creuses tout en lorgnant vers le Centre, où se gagnent, croient-ils, toutes les élections. La Com’, c’est le « en même temps » généralisé.
Il arrive que ça prenne quelque temps, mais comme disait Lincoln, « you can fool some of the people all of the time, and all of the people some of the time, but you cannot fool all of the people all of the time». Autrement dit, couillon un jour, mais pas couillon toujours.
Une agression massive plutôt qu’un suicide
C’est le cœur de la stratégie zemmourienne, et je vous fiche mon billet que les com’currents du journaliste imprécateur vont avoir du mal désormais. La com’ du RN, merci bien — on a vu ce que ça donnait, en 2017, dès que Philippot n’était plus là pour agiter les fils de la marionnette. La com’ des Républicains, j’ose à peine l’évoquer— mouvements de menton du Phénix des Hauts-de-France, ou discours technocratique de ceux qui croient que comme disait James Carville, l’inspirateur de la campagne de Clinton en 1992, Clinton, « it’s the economy, stupid ! » Eh non, ce n’est pas d’économie que les Français veulent entendre parler. C’est de la France, des menaces qui planent (et qui ces temps-ci plongent en piqué) sur notre langue et notre culture, de la dégradation du système scolaire, de la sécurité, de l’emprise islamique, effectivement (que la gauche et une bonne partie de la droite aient si longtemps refusé de nommer le problème leur sera reproché dans les siècles des siècles) et du malaise français qui est, à vrai dire, le produit d’une agression massive bien plus qu’un « suicide ». Nous voici éparpillés façon puzzle en com’munautés antagonistes. Les politiciens qui croient ingénieux de donner à chacun sa pitance en éparpillant des mots-clés dans leurs harangues devraient y réfléchir à deux fois : ça ne prend plus. On ne se vend pas la France comme on vend des cravates.
C’est ce qu’a compris Zemmour : il se propulse en avant, derrière le bouclier d’une langue globalement fort bien servie par des dons d’orateur et une longue habitude du one man show. Ses prestations sur CNews obéissent à une structure immuable, qui est celle du cours magistral — et pas du sacro-saint dialogue, comme si le dialogue était l’alpha et l’omega de la com’munication.
Bouleversements en vue
Communiquer, ce n’est pas se mettre à l’écoute de l’autre et lui servir la soupe qu’il souhaite. Communiquer, c’est l’emporter sur l’autre, c’est le faire taire, l’acculer au silence. Zemmour excelle dans l’exercice, qui était le cœur des stratégies à l’œuvre dans la démocratie grecque — voyez Démosthène.
Et pour l’emporter, il faut assommer l’interlocuteur sous le flot de son éloquence — le Logos appuyé sur un soubassement culturel solide. Celui de Zemmour, à notre époque toute pleine de petits génies sur-évalués, est bien suffisant — même s’il fait parfois sourire les êtres réellement cultivés — pour enfoncer n’importe lequel des candidats à la présidence. Nous sommes si sevrés de culture, en particulier littéraire et historique, que le premier histrion qui maîtrise les références de l’Ecole primaire des années 1950, ou de Sciences-Po des années 1970, passe très vite pour un génie.
Peut-être le soulèvement massif des minables qui orchestrent la com’ via les médias, et organiseront prochainement le boycott du phénomène s’il se révèle vraiment dangereux, aura-t-il raison du polémiste qui est en train de se forger une stature nationale. Dangereux à court terme, Zemmour ne l’est pas, il fera réélire Macron encore plus sûrement que Marine Le Pen. Mais à moyen terme — l’élection de 2027, qui est à mon sens la vraie cible de ceux qui aujourd’hui restent dans l’ombre, Marion Maréchal ou Laurent Wauquiez, et qui l’un et l’autre ont des affinités avec la combinaison Pathos / Logos / Ethos —, le surgissement d’un tribun annonce toujours, en France et ailleurs, de grands bouleversements, qu’ils aient lieu dans les urnes ou sur la place de la Révolution.
Trudeau est reconduit, mais il n’a pas de majorité. Pas grave, il affirme que les Canadiens lui ont confié un “mandat clair”! Allez comprendre… Quant aux conservateurs, ils sont défaits et leurs électeurs sont exilés à la campagne, comme dans tant d’autres démocraties occidentales. Partout, le contexte de la pandémie n’est pas favorable à cette famille politique. Voici pourquoi.
Le premier ministre canadien, Justin Trudeau, a essayé de faire un véritable tour de passe-passe. Moins de deux ans après le début du mandat de son gouvernement minoritaire, Saint Justin, largement en tête dans les sondages d’opinion, pensait qu’une élection générale anticipée rétablirait sa majorité de 2015 comme par magie et que l’univers politique rentrerait dans l’ordre. Les électeurs canadiens ne se sont pas montrés dupes de sa manœuvre. Après 27 millions de votes et 600 millions de dollars canadiens, l’univers politique reste inchangé et le gouvernement de Trudeau est toujours minoritaire, puisqu’il lui manque 13 sièges pour être majoritaire.
Sauf lorsqu’ils jouent au hockey sur glace, les Canadiens sont accablés par un complexe d’infériorité, une attitude qui dit : « contentons-nous d’une médaille d’argent ou de bronze ! » Mais la classe politique s’est surpassée dans cette élection, tous les grands partis ayant des résultats en dessous de leurs attentes. Seuls 16 des 338 sièges ont changé de mains, le plus petit nombre dans l’histoire du Canada, et le nombre total des sièges remportés par chaque parti est resté pratiquement inchangé.
Les guerres et les pandémies ont tendance à tirer la société vers un contrôle absolu par l’État, ce qui n’est pas exactement l’idéal des partis conservateurs
Trudeau ne semblait pas découragé par ce rejet évident. Comme Steve Jobs, il tente de projeter un « champ de distorsion de la réalité » pour essayer de faire croire à ceux qui l’entourent que l’impossible est vrai. Ce champ était en vigueur le soir de l’élection lorsqu’il a déclaré dans son discours de victoire que les Canadiens lui avaient donné un « mandat clair » pour le changement. Pour ceux d’entre nous qui restent à l’extérieur du champ de distorsion, la réalité est très différente : l’électorat a donné à Trudeau le pourcentage de vote le plus bas jamais enregistré (32,2 %), soit environ un électeur inscrit sur six. Comme en 2019, les Libéraux ont terminé légèrement derrière le Parti conservateur – le parti de l’opposition – quant au total des suffrages exprimés, et le taux de participation a été le plus bas jamais enregistré dans un scrutin national. Voilà ce que c’est que son « mandat clair. »
Un avenir incertain
Maintenant, c’est une tâche ardue qui commence. Trudeau doit mener avec succès une campagne socio-médicale contre le Covid-19 avant de réparer les dommages économiques et fiscaux provoqués par la pandémie, qui comprennent un déficit budgétaire du gouvernement fédéral de 314 milliards de dollars canadiens (211 milliards d’euros) pour l’année 2020-2021, soit 15 fois plus que l’année précédente. En outre, il doit trouver l’argent pour mettre en œuvre les programmes progressistes qu’il a promis aux électeurs. Comme l’a fait remarquer Pierre Mendés-France : « Gouverner, c’est choisir », et Trudeau aura à faire des choix douloureux pour avoir la moindre chance d’atteindre ses objectifs. Avec une large majorité, il aurait pu faire adopter son programme politique et budgétaire, puis temporiser en attendant une reprise économique avant les prochaines élections fédérales de 2025-2026, date à laquelle la douleur de la hausse des impôts aurait pu s’estomper. Maintenant, ce n’est plus possible.
Trudeau aura besoin de la coopération du Nouveau Parti démocratique (NPD) socialiste et de son chef, Jagmeet Singh, seuls capables de lui fournir les 25 votes qui lui manquent pour faire passer ses lois clés à la nouvelle Chambre des communes. Comme sous son gouvernement précédent, Trudeau gardera probablement le NPD à distance sans coalition officielle et négociera des lois au cas par cas. Bien que Singh soit tout aussi désireux que n’importe quel autre socialiste d’augmenter les impôts, il n’a aucun désir de trop se rapprocher des Libéraux en rendant son parti « coupable par association » de toute mesure économique qui puisse être perçue comme douloureuse lors des prochaines élections. Singh détient un atout considérable. Si Trudeau se retrouve dans de graves difficultés économiques et politiques, Singh peut exercer « l’option nucléaire » et voter avec les Conservateurs, déclenchant ainsi de nouvelles élections générales. C’est peut-être une police d’assurance politiquement coûteuse, mais elle est là pour être utilisée in extremis.
Les Conservateurs trébuchent
Le Parti conservateur ne sait peut-être pas si le verre est à moitié vide ou à moitié plein. Le résultat a certainement été une déception après un début de campagne encourageant qui a vu leur nouveau leader relativement inconnu, Erin O’Toole, réussir le test de la crédibilité. Pourtant, l’élan est retombé au milieu de la campagne, les Conservateurs se faisant attaquer pour des revirements sur des questions telles que l’interdiction des armes d’assaut, le passeport vaccinal et leur engagement en faveur d’un budget équilibré. O’Toole s’est également éloigné de nombreuses politiques traditionnelles ce qui lui a donné plus l’air d’un chef « Libéral allégé » que d’un Conservateur, surtout à propos d’une proposition très « allemande » de mettre des travailleurs dans les conseils d’administration des entreprises.
La conséquence de son revirement vers le centre-gauche a été que le Parti populaire du Canada (PPC), très à droite selon les normes canadiennes, a plus que triplé sa petite part de vote de 2019 pour atteindre 5,2%, bien qu’il n’ait pas réussi à remporter un seul siège. Comme la majorité des partisans du PPC sont des Conservateurs mécontents, cette scission dans le vote conservateur a probablement coûté cinq ou six sièges à O’Toole dans des circonscriptions marginales et l’a privé d’une victoire claire sur les Libéraux au niveau national.
Les esprits cyniques pourraient se demander si, pour les Conservateurs, il ne valait pas mieux perdre ces élections. Car finalement Trudeau s’est vu refuser cette majorité dont il avait tellement besoin. Il doit réparer les dégâts infligés à l’économie canadienne et réduire le déficit budgétaire sous les contraintes imposées par un NPD hostile à toute prise de risque. Les gouvernements surestiment toujours le montant des revenus qu’ils peuvent générer avec de nouvelles taxes sur les « riches », car ces derniers ont invariablement les meilleurs comptables et avocats fiscalistes. Il est également vrai qu’il n’y a tout simplement pas assez de riches pour combler seuls l’énorme trou budgétaire. En fin de compte, il faut taxer la classe moyenne pour vraiment augmenter les revenus de l’État. Si le gouvernement libéral échoue dans son exercice d’équilibre financier et que le troisième mandat de Trudeau se termine en larmes, les Conservateurs pourraient bien profiter de sa déconfiture lors des prochaines élections, peut-être dès 2023.
Le grand problème des villes
Il y a des choses que d’autres partis conservateurs peuvent apprendre de ces élections anticipées au Canada. En termes tactiques, Erin O’Toole a été confronté à certains des mêmes problèmes que ses homologues du Parti républicain américain, les Conservateurs australiens (appelés bizarrement le Parti libéral), les Conservateurs britanniques et les Républicains français. En raison du changement démographique dans de nombreuses démocraties occidentales au cours des dernières décennies, il est devenu très difficile pour les Conservateurs de gagner un nombre significatif de sièges dans les grandes villes. Essayez de vous présenter en tant que Républicain à New York, Conservateur dans le centre de Londres ou LR au cœur de Paris. Au Canada, les trois grandes régions métropolitaines – Toronto, Montréal et Vancouver – contrôlent plus du tiers des sièges du pays. La semaine dernière, le Parti conservateur n’a réussi à remporter que 10 des 116 sièges dans ces villes et leurs environs, tandis que les Libéraux en ont remporté 89. Jeu, set et match !
Alors que les grandes villes continuent d’attirer des ménages plus jeunes et plus diplômés, ainsi qu’un nombre croissant de familles d’immigrants, les partis conservateurs risquent d’être exilés à la campagne. Par conséquent, ils doivent définir des politiques qui s’adressent aux habitants des milieux urbains, en particulier aux communautés d’immigrants, non pas en imitant les Libéraux dans une guerre d’enchères pour les votes, mais en mettant l’accent sur les valeurs fondamentales (oserais-je dire les vertus) des Conservateurs qui sont partagées par toutes les communautés. De nombreuses familles d’immigrants sont socialement conservatrices, soutiennent la police, possèdent de petites entreprises et se soucient des impôts. Vous n’avez pas besoin de gagner une majorité de citadins, tout simplement assez pour gagner les élections.
Au Canada, l’ancien premier ministre conservateur, Stephen Harper, a remporté un gouvernement majoritaire en 2011 en brisant l’emprise du Parti libéral à Toronto. Il l’a fait en s’en tenant aux principes conservateurs, et non en devenant plus libéral. De même, en 2020, Donald Trump a bien réussi dans les régions du Texas proches de la frontière mexicaine, soutenu par des Hispaniques conservateurs préoccupés par l’immigration illégale, la criminalité et l’avenir de l’industrie pétrolière, et sourds aux chants de sirène des Démocrates sur les questions raciales. Dans certaines circonscriptions, Trump a augmenté son vote de 32 points. Cependant, la sombre réalité démographique pour le Parti républicain américain est que, sur les huit dernières élections présidentielles, un seul de ses candidats a remporté plus de 50% du vote national (George Bush avec 50,7% en 2004) et qu’il n’a gagné qu’avec le soutien des Hispaniques. Le message est clair : adaptez-vous ou mourez.
Retour à 1945?
La situation créée par la réponse au Covid-19 est très similaire à celle d’un pays en guerre. Les gouvernements sont sur tous les fronts, rassemblant des ressources et organisant les défenses afin de protéger la vie de ceux qui sont en première ligne et de la population dans son ensemble. Comme dans une guerre, des milliers de vies sont en jeu chaque jour, et ce n’est donc pas le moment de prendre des risques excessifs. Les conditions de guerre pendant la pandémie actuelle ont donné aux gouvernements une grande liberté pour intervenir dans l’économie et dans la vie des citoyens d’une manière inimaginable il y a deux ans, mais peut-être familière à ceux qui ont vécu la guerre de 1939-45. Compte tenu de l’importance des enjeux, les budgets et la dette ont pu augmenter de manière exponentielle, et les gouvernements ont pris le contrôle de l’économie. Une fois qu’ils se sont attribués de tels pouvoirs, les gouvernements sont généralement réticents à les partager avec le secteur privé à la fin de la guerre. Car ils croient, tout à fait à tort, que puisque l’intervention gouvernementale a gagné la guerre (ou vaincu la pandémie), c’est le gouvernement qui est le mieux placé pour gérer l’économie d’après-guerre (post-pandémie). D’où par exemple la vague de nationalisations de l’industrie et une expansion rapide du rôle de l’État au Royaume-Uni après 1945. Avec chaque jour qui passe, Boris Johnson ressemble de plus en plus à Harold Macmillan (Premier ministre de 1957 à 1963) !
En donnant la priorité à la santé, l’approche des gouvernements pendant la pandémie a coincé de nombreux conservateurs entre la défense des droits individuels et la nécessité de protéger le grand public. Si vous remettez en question le droit légal du gouvernement de forcer les citoyens à se faire injecter un vaccin, vous vous ferez taxer d’« antivax », que vous croyiez en l’efficacité du vaccin ou non. Si vous êtes préoccupé par l’impact des restrictions sur l’économie ou si vous critiquez des mesures plus extrêmes (et largement contre-productives), on considère que vous ne vous souciez pas de la vie des autres.
Les guerres et les pandémies ont tendance à tirer la société vers un contrôle absolu par l’État, ce qui n’est pas exactement l’idéal des partis conservateurs. En Australie, deux premiers ministres du Parti travailliste – en Australie-Occidentale et dans le Queensland – semblent être dans une guerre d’enchères pour savoir qui pourrait appliquer le confinement le plus strict et le plus long, quelles que soient les conséquences pour l’économie. Les deux continuent de bénéficier d’un très grand soutien populaire.
Justin Trudeau n’a pas hésité à imposer un large éventail de restrictions, notamment en matière de vaccinations. Pendant la campagne électorale, les cas de Covid-19 ont bondi dans la province d’Alberta, qui comptait plus de la moitié des cas du pays le jour du scrutin. Le Premier ministre conservateur de l’Alberta, Jason Kenney, avait déjà adopté une approche minimaliste en matière de restrictions, mais sa popularité s’est effondrée avec la récente augmentation du nombre de cas, et les dommages collatéraux ont certainement eu une incidence sur O’Toole et les Conservateurs nationaux. En Alberta, c’était une politique populaire jusqu’à ce qu’elle ne le soit plus. Cet échec a fait le jeu de Trudeau qui a promu l’idée qu’on ne pouvait pas faire confiance aux Conservateurs pour mener la lutte contre la Covid-19…
Tout comme la gestion de la pandémie, la campagne contre le changement climatique nécessite un leadership gouvernemental très fort et une intervention économique généralisée. Aucune mesure n’est apparemment trop coûteuse ou trop perturbatrice pour sauver la planète. Contrairement à une véritable guerre ou à une pandémie, la campagne contre le changement climatique durera des décennies, voire éternellement, de nouvelles cibles critiques et de nouveaux objectifs émergeant au fil du temps. Il est à noter que lorsqu’on a demandé aux Canadiens s’ils avaient confiance dans les principaux partis politiques, on faisait confiance aux Libéraux sur la pandémie et le changement climatique, aux Conservateurs sur la gestion de l’économie et la réduction du déficit public. Si nous nous trouvons dans une situation comparable à celle de 1945, nous devons réfléchir très sérieusement à la façon dont les conservateurs pourront reprendre l’initiative avec des politiques positives pour lutter contre le changement climatique d’une manière économiquement saine et scientifiquement responsable, sans céder à la foule des fanatiques écolos. Apres la guerre, il a fallu attendre une bonne trentaine d’années avant que Thatcher et Reagan n’arrivent pour mettre fin à l’étatisme excessif et aux dépenses irresponsables. Espérons que nous n’aurons pas à attendre autant !
François Garde et Christian Authier, lauréats 2020 et 2021 du Prix des Hussards ont enfin reçu leur statuette hier soir
Quoi de plus banal qu’un cocktail littéraire, un soir de septembre, à Paris ! Une non-information, une brève dans un carnet mondain, à la rigueur une photo-légende, pas de quoi se pendre aux lustres du Lutétia façon LeGuignolo, surtout à sept mois d’une présidentielle tectonique. Les Français ont d’autres préoccupations. Ces gens de l’édition, artistes faméliques et écrivains du sur-moi sont pires que les hommes politiques. Leur nombrilisme les perdra. Toujours à quémander honneurs et caresses.
Douce mélancolie
Et pourtant, hier, la remise du Prix (2020 et 2021) des Hussards, double ration en raison de l’épidémie sanitaire, a donné un coup de fouet au landerneau. C’est peut-être un détail pour vous, mais pour nous ça veut dire beaucoup. À un moment, nous avions pensé jeter l’éponge. François Jonquères, cheville ouvrière du Prix, en perdait presque son humour perpignanais. La crinière de l’avocat-vigneron, défenseur des mémoires enfouies, blanchissait, de mois en mois. À ce rythme-là, en novembre, il aurait ressemblé à un Loulou de Poméranie. Cette cérémonie, sans cesse repoussée, aurait-elle lieu cet automne ? Ce jour de gloire est enfin arrivé. Tous ceux qui cherchent obstinément à définir l’identité française, fugace et taquine, en avaient hier, devant les yeux, un exemple miroitant. En France, on se réunit autour d’un verre, on parle littérature, on médit de ses confrères, on s’empiffre de petits fours, on accable les éditeurs, on cherche un contrat, on fume, on dragouille, on s’amuse du jeu frelaté des relations sans importance et on se souvient d’un écrivain qui, des profondeurs de nos provinces, a happé notre adolescence. Un mot de Blondin, Nimier, Laurent, Déon et tous les autres Hussards de la famille élargie, les Mohrt, Perret, Haedens, Marceau suffit à nous plonger dans une douce mélancolie. Dans quel autre pays civilisé, peut-on réunir deux cents personnes et élever le critique gastronomique Christian Millau disparu en 2017 au rang de monument national ?
Nous étions donc heureux et soulagés de remettre enfin à François Garde (Roi par effraction/ Gallimard) et à Christian Authier (Demi-siècle/Flammarion) leur statuette tant méritée. Chacun d’eux s’inscrit dans la tradition « Hussarde », la geste héroïque des destins brisés et le soin apporté au style poivré. Chez eux, les mots ne sont pas lancés maladroitement sur la feuille blanche. Ce ne sont pas des joueurs de bowling ou de chamboule-tout. On est loin de l’écriture inclusive et de l’acrimonie vindicative des penseurs d’aujourd’hui. Ces deux lauréats sont assurément des fous, à une époque où les mots ne veulent plus rien dire, ils tentent, malgré tous les obstacles idéologiques, de réenchanter la phrase, lui donner cet élan salvateur qui rend nos nuits plus douces. Nous les remercions chaleureusement. Ils contribuent à notre bonne santé mentale. Hier soir, Paris avait repris son air de fête, canaille et vachard, lascif avec quelques éclairs d’électricité, comme en 2019, avant que le virus perturbe la marche du monde.
Une revanche
Les récipiendaires avaient le sourire. La dotation de Sud Radio n’était pas étrangère à ce léger enivrement. Le jury soudé comme un pack gascon tenait sa revanche après de nombreuses et humiliantes annulations. Les nasillements du micro n’empêchèrent pas le président Naulleau, d’un sang-froid à toute épreuve, d’aller au bout de son propos. Partager l’antenne avec Cyril Hanouna est autrement plus acrobatique qu’un défaut acoustique. Le champagne était frais ce qui est rare dans une assemblée dépassant dix personnes. La bulle fine et pétillante avait une stature élyséenne. Les hauts plafonds de l’Orangerie singeaient le Salon des Ambassadeurs. La candidature de Zemmour ou la limitation des 30 km/h intra-muros n’étaient cependant pas au menu des conversations. Il y a des sujets plus sérieux à traiter comme la parution en Pléiade (14 octobre) de La Divine Comédie, à l’occasion du 700ème anniversaire de la mort de Dante. La vie parisienne reprenait, peu à peu, son souffle. François Cérésa, condottiere de Service Littéraire avait gardé son imper, imitant Bogart dans Casablanca. D’un snobisme italien parfaitement maîtrisé, Arnaud Guillon, grand amateur d’Alfa Romeo Duetto (Coda Longa), s’affranchissait de la cravate. Était-ce le signe annonciateur d’un prochain roman ? Philippe Bilger avait sa cour d’admiratrices de CNews. L’éternel jeune premier, Philibert Humm, de retour à Paris Match, affichait une moustache à la Errol Flynn qui le vieillit d’à peine six mois. Frédéric Vitoux, chantre de l’amitié, évoqua le souvenir conjoint de Christian Millau et Bernard de Fallois.
Jean-Pierre Montal, le héraut stéphanois, meilleure plume du moment, se rappelait du grand Pierre-Guillaume. Yves Thréard, alerte et rieur, me fit penser à Claude Brasseur, vainqueur du Paris-Dakar en 1983. La belle et talentueuse Stéphanie des Horts se bagarrait avec la liste des invités. Le camarade Arnaud Le Guern transportait son désenchantement chic dans une barbe fournie. Il y avait également, venu de Picardie, l’inestimable Philippe Lacoche (Prix des Hussards 2018) en compagnie du poète Éric Poindron, chasseur de curiosités. Tant d’autres figures (Emmanuel Bluteau, Olivier Maulin, Bruno de Stabenrath, Christine Orban, Gilles Martin-Chauffier ou Krys Pagani) ressuscitèrent, à leur manière, l’esprit de Paris, après ces longs mois de distanciation. Et puis, pour que la fête soit encore plus éclatante, Alain Delon, par l’entremise de Cyril Viguier, nous adressa une lettre pleine de force et de pudeur. Sous le regard du Guépard, nous pûmes alors aller nous coucher.
La semaine de Causeur revient sur les articles les plus consultés sur le site Causeur.fr durant la semaine écoulée. Notre Directeur adjoint de la rédaction Jeremy Stubbs commente et analyse.
#4
À Paris, on fait disparaître les monuments en les emballant. A Alger, on a une autre approche. On les efface des photos dans la presse. C’est ce dont est accusé le journal El Watan. Sa une du 20 septembre a illustré les obsèques du président Bouteflika avec une image où le minaret de la Grande Mosquée d’Alger avait disparu. Cette erreur, apparemment d’ordre technique, a provoqué un scandale et le journal est menacé de poursuites judiciaires. Driss Ghali, Marocain, analyse la fascination de ces deux pays maghrébins pour des minarets gigantesques construits par des entreprises étrangères, fascination qui les détourne de la résolution de problèmes plus humains et plus pressants.
A cet égard, peut-on dire aujourd’hui que la France donne le bon exemple, elle qui saccage sa capitale, saccage sa culture et saccage son école ?
#3
Eric Zemmour, vous connaissez ? C’est de loin le plus populaire des non-candidats aux élections présidentielles. Or, Noémie Halioua nous révèle que la communauté juive est divisée sur la question de sa candidature : est-elle un bienfait oui ou non pour cette communauté ? Pour les uns, Zemmour est un pétainiste, un juif antisémite. Pour les autres, surtout ceux qui habitent des banlieues où ils sont la cible d’un antisémitisme arabo-musulman, c’est un sauveur. Ce qui est certain, c’est que Zemmour, anticommunautariste, est au-dessus de toute forme de tribalisme. Ce qui est non moins certain, c’est que l’antisémitisme dit « nouveau » reste le problème de tout le monde.
Quel est le « vrai » visage de la France ? Selon Cécile Duflot, qui juge au faciès, c’est celui de Makram Akrout qui vient d’être consacré meilleur boulanger de Paris et pourrait bien fournir l’Élysée en baguettes. Il s’avère que, dans le passé, M. Akrout, qui est arrivé sans papiers de Tunisie il y a 19 ans, aurait partagé sur Facebook des posts favorables à la vision islamiste du monde – ce qu’il nie. Soyons fair-play, à la différence des adeptes de la cancel culture. Tout le monde a le droit de commettre des erreurs et de changer d’avis. Ce qui dérange ici c’est le chœur des progressistes qui ne perdent jamais une occasion d’ « invisibiliser » le problème de l’intégration culturelle.
Les baguettes de M. Akrout sont peut-être bonnes, mais les ficelles des bien-pensants sont grosses.
Et maintenant, l’instant rire. Je parle, bien sûr, de Sandrine Rousseau, l’écoféministe battue par Yannick Jadot, non que ce soit une femme battue, loin de là ! Car cette grande observatrice des talibans en France, fan de Jean-Pierre Belmondo, a déclaré publiquement que celui avec qui elle partage sa vie est un « homme déconstruit ». Laurence Simon, professeur de lettres, se demande si Sandrine Rousseau est elle-même une femme « déconstruite. » Après tout, les femmes peuvent être aussi avides de pouvoir et même de domination, autant que les hommes. En tout cas, l’homme de Sandrine Rousseau est tellement déconstruit que personne ne sait pas qui il est. C’est désormais le sort des hommes, autrefois dominateurs, d’être… invisibilisés.
L’analyse de Jean-Baptiste Noé, directeur d’Orbis, école de géopolitique, et rédacteur en chef de la revue « Conflits ».
Deux histoires, deux approches du territoire, deux situations politiques : le Maroc et l’Algérie sont bien deux pays différents en rivalité permanente. Le Maroc a pour lui la profondeur historique, la longue histoire et la stabilité grâce à la famille royale. L’Algérie a, un temps, recueilli les espoirs des révolutionnaires politiques et tenté de prendre la tête d’un tiers-monde arabe, espérant jouer les premiers rôles devant l’Égypte et la Syrie. Temps révolus que la corruption, la faillite et l’enlisement social ont rangé aux placards des illusions. Ne reste plus à l’Algérie, pour camoufler encore un peu ses échecs, de faire usage de la corde nationaliste en s’élevant contre ses voisins. C’est ce qu’elle fait actuellement en ravivant les tensions avec le Maroc.
Rupture diplomatique
Le 24 août, l’Algérie a rompu ses relations diplomatiques avec le Maroc puis a interdit aux avions commerciaux marocains de survoler son territoire. Le décès et l’enterrement de l’ancien président Bouteflika s’est déroulé en silence, comme pour faire oublier les échecs qu’il symbolise, et notamment ceux de l’évanescence des espoirs de l’indépendance. La rupture des relations diplomatiques trouve ses origines immédiates dans les incendies qui ont frappé la Kabylie durant l’été. Incendies majeurs que le pays a été incapable d’éteindre et de circonscrire par manque de pompiers et de matériels. Pour un pays qui se veut prospère et développé, cette impuissance a porté un grave coup à l’orgueil national. La France aurait pu prêter des Canadair à Alger, mais la pratique algérienne courante consistant à insulter Paris pour cacher ses déboires, on comprend que le gouvernement français n’ait rien fait en ce sens.
Alger a donc accusé le Maroc et Israël d’être responsables de ces incendies. Selon la version gouvernementale, les feux auraient été allumés par des Kabyles indépendantistes financés par le Maroc et Israël, donc Rabat et Tel-Aviv seraient à l’origine des incendies. Une assertion sans fondement qui ne sert qu’à réveiller le nationalisme algérien en agitant la haine des ennemis de toujours. Il ne manque plus qu’à accuser la France d’avoir planifié ces départs de feux.
Alger a peu apprécié que le Maroc et Israël normalisent leurs relations diplomatiques, en échange d’une reconnaissance par Tel-Aviv de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. De plus en plus isolée et en proie à une faillite économique et politique totale, l’Algérie n’a plus que la vindicte à l’égard de ses voisins pour tenter de maintenir l’unité de sa population. Cette escalade étant sans limites, il est à craindre une nouvelle « guerre des sables » comme celle qui a concerné les deux pays en 1963.
Enjeu du Sahara occidental
L’Algérie ne désespère pas de récupérer le Sahara occidental, dont la richesse en phosphate lui permettrait de donner un peu d’air à une économie exsangue. Cette région, sous contrôle de fait du Maroc, est soumise à des rivalités nombreuses : revendications de l’Algérie et de la Maurétanie, mouvement autonomiste (Front Polisario) soutenu par les voisins, action des ONG pour soutenir l’indépendance. Plusieurs de ces ONG sont financées par l’Allemagne, qui soutient les revendications autonomistes du Sahara. Depuis le XIXe siècle et la crise de Tanger (1905), l’Allemagne a toujours souhaité intervenir au Maroc. C’est à la fois un moyen de déstabiliser la France et une façon d’être présente dans la zone saharienne, cruciale pour de nombreux flux commerciaux.
Le 10 décembre 2020, Donald Trump a officiellement reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental. Les indépendantistes espéraient que la nouvelle administration américaine reviendrait sur cette décision ; peine perdue puisque la reconnaissance fut réaffirmée par Joe Biden le 5 juillet 2021. Ce fut un camouflet pour la diplomatie algérienne, ce qui a contribué à l’escalade d’août.
Lors du dernier sommet de l’ONU à New York, le ministre des Affaires étrangères de l’Algérie, Ramtane Lamamra, a de nouveau insisté sur la nécessité d’une indépendance du Sahara occidental : « L’organisation d’un référendum libre et équitable pour permettre [au peuple sahraoui] de déterminer son destin et de décider de son avenir politique ne peut rester à jamais l’otage de l’intransigeance d’un État occupant qui a failli à plusieurs reprises à ses obligations internationales […] Le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination est inaliénable, non négociable et imprescriptible. »
Ces propos, tenus le 27 septembre, ont été suivis par ceux du lendemain prononcé par le ministre de la Défense algérien où celui-ci a accusé le Maroc de conspiration et d’atteinte à la sureté de l’Algérie. « L’attachement de l’Algérie à ses principes et sa détermination à ne guère en dévier dérangent le régime du Mekhzen [le palais marocain] et entravent la concrétisation de ses plans douteux dans la région. […] Ce régime expansionniste est allé trop loin, dans les conspirations et les campagnes de propagande subversives visant à réduire le rôle de l’Algérie dans la région ». Il a ensuite accusé le Maroc de « tenter de porter atteinte à l’unité [du peuple algérien] en semant la discorde et la division en son sein. [Ces actes] seront voués à l’échec, car l’Algérie est déterminée […] à défendre sa souveraineté et son unité nationale ». Des propos très lourds qui témoignent d’une montée croissante des rivalités entre les deux pays.
Allant de plus en plus vers l’escalade, il n’est pas à exclure une intervention militaire de l’Algérie.
Guerre du gaz
D’autant qu’Alger a lancé une guerre du gaz contre son voisin en modifiant le passage des livraisons vers l’Espagne. Dès le 26 août, et après une rencontre avec l’ambassadeur espagnol, le ministre de l’Énergie algérien a annoncé que les livraisons de gaz à l’Espagne se feraient via le gazoduc Medgaz, qui relie directement l’Algérie à l’Espagne (Beni Saf – Alméria). Ce faisant, l’Algérie renonce à utiliser le gazoduc Maghreb / Europe, qui relie Hassi R’ Mei à Cordoue via le Maroc. Ce gazoduc qui transite par le territoire marocain permet au royaume chérifien de percevoir un droit de passage payé en gaz naturel, selon des accords qui datent de 1991 et dont le renouvellement doit avoir lieu à l’automne 2021.
En annonçant utiliser le tube direct, sans passer par le Maroc, l’Algérie prive donc Rabat de ressources gazières et de royalties. C’est aussi une façon de faire pression sur le Maroc avant l’ouverture des négociations prévues pour la mise à jour du contrat.
Le Palais marocain vient de réussir une bonne opération en politique intérieure avec la lourde défaite des islamistes et l’arrivée au pouvoir d’un parti proche du roi. Cela témoigne de l’habileté politique de Mohammed VI qui demeure à ce jour le seul dirigeant arabe à avoir évincé les islamistes de façon légale et sans recours à la force. Conforté à l’intérieur, le Maroc peut désormais affronter de façon plus sereine les tensions diplomatiques avec l’Algérie. Reste à la France à prendre sa part au dossier. Les liens historiques et économiques entre le Maroc et la France sont anciens et étroits. Alger a le soutien de l’Allemagne qui souhaite l’indépendance du Sahara occidental afin de faire main basse sur la région. Ce qui se joue donc entre Rabat et Alger concerne donc directement la France et les affaires européennes.
Une génération d’Afghans libéraux, qui a vécu sous la protection occidentale, n’a opposé aucune résistance aux talibans. Plutôt que de défendre la liberté chez eux, ils voudraient venir chez nous. C’est le problème des sociétés ouvertes: les bobos ne prennent par les armes.
La défaite du régime pro-occidental afghan démontrerait une fois de plus que certains peuples ne sont pas prêts pour la démocratie à cause de leurs traditions rétrogrades. De fait, les cas afghan, irakien, somalien et yéménite semblent valider ce postulat. Cependant, cet échec s’explique peut-être moins par les différences entre « eux » et « nous » que par les ressemblances. Autrement dit, la démocratisation n’a pas échoué à cause de la réticence des Afghans, mais à cause de leur engouement excessif.
Bobos d’ici et de là-bas
Notre modèle démocratique suppose la coexistence de diverses classes, castes, ethnies, idéologies, et modes de vie. Chaque groupe renonce à exterminer les autres, tentant tout au plus de les convertir. Le groupe emblématique de cet idéal de coexistence est celui des urbains libéraux – également appelés bobos.
La tentative pour importer la démocratie occidentale et la société ouverte en Afghanistan a exacerbé les tensions internes et donné l’avantage aux obscurantistes
Derrière les légions d’hommes enturbannés, l’Afghanistan pro-occidental a aussi vu émerger une caste bobo, principalement à Kaboul. Certes, on n’y a pas organisé de Gay Pride, mais on n’y voyait point de burqas, hormis dans les quartiers populaires peuplés de paysans déracinés. Les femmes émancipées, parfois « en cheveux », n’encouraient aucune sanction. Elles occupaient des postes intéressants, les salons de coiffure foisonnaient, les ONG, les universités et les écoles de musique employaient des milliers de personnes. Les jeux et concours de chants à la télévision, les matchs de football, les pique-niques, les cafés, tout ce qui avait été interdit par les talibans de 1991 à 1996 avait droit de cité. Ces citadins occidentalisés attendaient que les nouvelles générations les débarrassent de la clique au pouvoir. En somme, la boboïsation et la modernisation ont précédé la démocratisation.
Seulement, cette nouvelle classe ne pouvait à elle seule relever un pays marqué par la tension entre citadins et ruraux. Dans les campagnes, les femmes portaient la burqa et les hommes, désœuvrés, se détournaient souvent à la vue de toute personne étrangère à leur village, tandis que des caïds protégés par des gardes armés roulaient en 4×4. Ici ou là surgissaient une école ou un projet d’infrastructure financés par l’étranger mais bien sûr, on ne voyait pas l’ombre d’une librairie ou d’un marchand de journaux, ni même un restaurant distingué. Les paysans sont généralement fort peu instruits, en dehors du Coran et d’une vague influence persane mystique via la poésie de Rûmî et de Hâfez. Mais les Pachtouns, qui constituent 40 % des 40 millions d’habitants, n’ont aucun accès à la culture persane des autres ethnies, persanophones.
L’effondrement de l’Armée nationale afghane (ANA) a donc laissé sans défense la minorité moderniste. Il est probable que les militaires aient reçu l’ordre de ne pas tirer, de laisser les talibans arriver, en échange d’une amnistie. Le régime était-il corrompu au point de ne pas pouvoir payer ni même chausser les soldats ? Possible. La faible fidélité des militaires du rang, qui s’étaient enrôlés pour la maigre solde, était palpable depuis longtemps. Et, faute de conscription obligatoire, l’absence totale d’esprit patriotique des « démocrates » n’a rien arrangé. Les bobos afghans pouvaient être impressionnés par une belle armée de métier européenne, pas par l’armée afghane républicaine. Ils méprisaient la police. On a pu voir sur nos écrans des citadins, souvent anglophones, se plaignant d’avoir été lâchés par leur armée, leur police, leur président, les États-Unis. Tous imploraient : « Sortez-nous d’ici. » Aucun n’a réclamé des armes ou crié « No pasarán ». Seuls quelques membres des forces spéciales et les aviateursont fait montre de combativité.
Si les bobos se sont multipliés, c’est grâce à la protection de la coalition internationale et à l’esprit libéral insufflé par les ONG et par les Afghans revenus de l’étranger. Une génération n’ayant connu ni les talibans ni le communisme est née. Elle aimait la démocratie alors que celle-ci n’était pas encore une réalité. Les Occidentaux appréciaient ces jeunes gens attirés par les professions libérales, les métiers créatifs, les start-up plutôt que par le métier des armes. Ces Afghans qui ne ressemblaient nullement aux moudjahidines en turban et sandales, munis de fusils-mitrailleurs, étaient l’annonce d’un avenir radieux. Nul ne voyait en eux des Afghans désarmés face aux talibans rétrogrades et armés.
La modernisation minée par la corruption
La coalition n’a pas apporté la probité dans ses bagages. Les agences internationales ont bien tenté de remplacer la culture du pavot et du cannabis, qui s’étalait sur des milliers d’hectares, par celle des grenades. On voyait partout des charrettes croulant sous ces fruits. Mais les soldats américains n’en mangeaient jamais, trouvant tout dans leurs rations hermétiques. Il y a déjà dix ans un journaliste afghan me confiait : « Les Occidentaux veulent nous apporter les droits de l’homme mais on voit bien que chaque nationalité, les Italiens, les Canadiens, les Américains, joue une partition différente et laisse les caïds corrompus en place. Cen’est pas bon pour nous vos droits de l’homme. »Nombre d’Occidentaux sont devenus des aventuriers sans scrupules pratiquant volontiers le bakchich. J’ai vu un civil de l’OTAN tendre un billet de 20 dollars à un soldat afghan pour éviter à mon groupe d’Occidentaux la première fouille à l’aéroport.
Les citadins modernisés dénonçaient la corruption, mais leur État républicain était mal né. Au sommet de Bonn en 2001, on a bricolé un régime avec des revenants de la période d’avant les talibans et les Soviétiques, les anciens piliers de la monarchie de Zaher Shah. Ces vieux chevaux sur le retour estimaient avoir été spoliés et leurs tribus rurales attendaient compensation. Tandis que Hamid Karzaï, figure puissante de la tribu pachtoune des Popalzaï du Sud, s’installait au palais présidentiel, son frère devint l’un des plus grands trafiquants de drogue du pays. Les ministères, tels des fiefs, étaient distribués à des seigneurs de guerre. Actuellement, Hamid Karzaï est en pourparlers directs avec les talibans pour faire partie d’un gouvernement « inclusif ».
Les Occidentaux ont évacué une grande partie de ceux qui détestent la talibanisation. C’est la malédiction de la modernisation : les élites libérales et pacifiques ne pèsent pas lourd face aux guerriers obscurantistes et aux calculs rusés des paysans ouzbeks, tadjiks ou même pachtouns. Or, le départ de ces élites ne peut que renforcer le monopole idéologique taliban. En l’absence d’une armée liée aux classes démocratiques, la République ne pouvait mobiliser le peuple contre les talibans.
Notre erreur est de n’avoir pas compris la sociologie afghane. En fait de démocratie, nous n’avons apporté qu’une modernité appréciée mais viciée par un gouvernement vénal et corrompu. Pour les paysans, le retour des talibans marque la fin d’un État cleptocrate et clientéliste qu’ils méprisaient. Pour les élites citadines, il signifie l’étouffement dans l’œuf d’une société cultivée et non-violente. Autant dire qu’elles n’ont guère d’autre option que l’exil.
Non contente d’envahir le langage, l’idéologie woke pénètre dans les petites icônes de nos téléphones portables. Il serait peut-être temps de s’en inquiéter.
On connaissait l’émoji représentant la femme enceinte, voilà venu l’émoji de « l’homme enceint » ! Le Consortium Unicode, l’instance américaine qui supervise la création de nouveaux émojis et leur standardisation mondiale sur toutes les plateformes numériques, a validé mi-septembre 112 nouvelles émoticônes qui débarqueront dans les prochains mois.
Dans son dernier essai sur la question trans, la spécialiste de la galanterie française Claude Habib voit dans le phénomène trans « le symptôme de la démocratie de l’exception, de la recherche grégaire de la singularité »
Parmi eux, on trouve des icônes aussi variées qu’une bouche qui se mord les lèvres, des haricots, une seringue, mais aussi et surtout 25 nuances de « poignées de mains » (noires, blanches, métisses etc.) et un homme enceint décliné en six couleurs de peaux différentes, ainsi qu’une personne enceinte dite « non genrée », c’est-à-dire au sexe indéterminé.
Progressivement correct
Jennifer Daniel, directrice artistique chez Google et actuelle présidente du sous-comité Emoji, s’est réjouie qu’au bout de trois ans de recherche la mise à jour 14.0 ait enfin lieu. La création de ces nouveaux pictogrammes est une affaire on ne peut plus sérieuse, qui nécessite le travail acharné de geeks surdiplômés tout droit sortis des prestigieuses facs de la côte ouest des États-Unis, avant de passer sous les fourches caudines d’un comité composé des représentants des différents géants du numérique (Google, Microsoft, Adobe, Apple ou Facebook). Tout ce petit monde se réunit quatre fois par an pour débattre et délibérer sur l’apparition ou le retrait de ces émojis qui ponctuent ensuite nos conversations numériques.
What's new in Emoji 14.0 and what makes it great:
– New additions embrace combinatorial sequences that don't require ZWJs – Finally resolving discrepancies wrt “Face with Hand Over Mouth” 🤭🤭🤭 (iOS: Open Eyes, Everyone else: Closed) – Bubbles emojihttps://t.co/WpHI2h37KS
Si Jennifer Daniel affiche ces jours-ci un sourire aussi béat qu’un smiley, c’est surtout parce qu’Unicode applique à la lettre la politique d’inclusion diversitaire pour laquelle elle milite ardemment. C’est en effet sous l’impulsion de cette graphiste – qui collabore aussi au New York Times et au New Yorker – que la palette d’émojis s’est enrichie de ces nouveaux pictos inclusifs. Ils entendent représenter toutes les minorités sexuelles et raciales, et “déconstruire” les fameux stéréotypes de genre et de race. Espérons que Sandrine Rousseau mettra vite son téléphone à jour !
En 2020, l’émoji du drapeau rose et bleu représentant la communauté trans avait fait son apparition, avec celui d’une femme vêtue d’un smoking et celui d’un homme portant le voile d’une mariée (!). En 2021, Unicode va donc encore plus loin. L’organisme, dont la mission initiale était de « coder toutes les écritures du monde » afin qu’elles soient visuellement similaires quelle que soit la plateforme utilisée, devient un organe de propagande du militantisme trans.
Pas anodin !
Car enfin ! Ces émoticônes de « l’homme enceinte » et de « la personne enceinte » sont loin d’être anodines et inoffensives. En se drapant derrière les atours fun et sympa des smileys et des émojis, l’idéologie trans applique la fameuse loi orwellienne selon laquelle changer le langage permet de remodeler le réel et de formater les esprits. Ces représentations graphiques s’inscrivent d’ailleurs dans la même logique de dévoiement du langage que le volapük woke. Pour ne pas exclure et discriminer les trans, le mot femme est déjà remplacé par « personne qui a ses règles » dans le programme des écolos en France, niant l’existence de la différence fondamentale entre les sexes.
La fonction d’une icône est de représenter des objets qui existent dans la réalité. En 2016, Apple n’avait pas cédé à la pression exercée par le lobby de la NRA et avait remplacé l’émoji de l’arme de poing par un pistolet à eau. Or, à la différence des armes à feu, les émojis de l’homme enceint et de la personne enceinte rompent avec ce principe de représentativité tautologique de l’icône, puisque leurs dessins ne correspondent à aucune réalité. Sur le plan biologique, l’utérus masculin n’existe pas plus que le pénis féminin. Mais selon l’iconographie woke, je l’ai dit, il suffit d’écrire ou de représenter ce que l’on souhaite pour le faire advenir.
Dans son dernier essai sur la question trans, la spécialiste de la galanterie française Claude Habib voit dans le phénomène trans « le symptôme de la démocratie de l’exception, de la recherche grégaire de la singularité » [1]. N’est-ce pas un comble, pour une personne qui s’auto-proclame singulière, unique et originale, que d’être représentée par un émoji standardisé, devant être validé par les hauts dignitaires de la norme des émoticônes sous la pression des lobbies trans ou LGBT ? 😉
Déjà qu’il a le plus grand mal à rassembler la droite autour de lui! Voilà que le média woke “Loopsider” et l’élu d’extrême gauche Benjamin Lucas s’unissent pour faire passer le candidat à la présidentielle pour un affreux macho…
À l’heure où il est de bon ton de « rassembler tous les Français » à l’approche des présidentielles, Xavier Bertrand va-t-il s’attirer les foudres des néo-féministes ? Le média Loopsider, « pure player vidéo » scrutateur des réseaux sociaux, a mis en ligne une scène du Conseil régional de Lille, où le président des Hauts-de-France est accusé de « mansplaining ». Une scène effroyable (voir ci-dessous)!
On n’arrête pas le progressisme
Quèsaco? Mot valise forgé à partir de « man » et de « explaining », cet anglicisme progressiste trouve son origine en 2008, dans l’ouvrage Ces hommes qui m’expliquent la vie (L’Olivier)de l’auteur Rebecca Solnit. Dans ce bref essai, cette Américaine s’est attelée à dénoncer pourquoi, selon elle, des hommes se sentiraient obligés d’expliquer aux femmes ce qu’elles savent déjà. Avec la vague #MeToo, l’ouvrage connut une seconde jeunesse jusqu’à chez nous, le magazine Télérama y voyant notamment « une réflexion salvatrice sur la masculinité toxique ».
Cette semaine, lors d’une petite assemblée autour d’un texte de loi, Marine Tondelier, élue municipale écolo d’Hénin-Beaumont, a osé un petit sarcasme. Visiblement un brin vexé, Xavier Bertrand a coupé le micro de l’impertinente pour montrer qui est le patron. « Ça ne sert à rien de tenir des propos qui sont mal perçus par les uns et par les autres. J’ai suffisamment d’expérience de très nombreuses assemblées pour savoir que ces comportements n’amènent à rien d’autre qu’à un désordre qui n’est absolument pas propice à la bonne conduite des débats », a-t-il déroulé avec une certaine condescendance.
Xavier Bertrand coupe le micro de l'élue Marine Tondelier en pleine Assemblée 🤬 Un conseiller régional le recadre en lui expliquant ce qu'est le mansplaining. 💥 👉 https://t.co/zqn5hIVvMhpic.twitter.com/FyUhThBqix
Bien mal lui en a pris. Benjamin Lucas, porte parole du mouvement Génération-s et présent à la réunion en tant que conseiller régional des Hauts-de-France, est venu à la rescousse de sa camarade censurée: « Si nous disposions de cinq minutes, j’aurais pu vous expliquer ce qu’est le mansplaining, la capacité à interrompre une femme quand elle s’exprime ». « Être le président, faire la police de l’Assemblée, ne permet pas tout, Monsieur Bertrand », s’indigne alors le porte parole avant de reprendre d’un ton professoral: « Vous n’êtes pas à la table d’un conseil des ministres, nous ne sommes pas ici vos obligés […] Permettez que sur les deux pauvres minutes que vous attribuez à votre opposition pour qu’elle puisse exprimer un point de vue, Madame Tondelier, comme les autres élus de cette assemblée, ne soit pas interrompue comme vous l’avez fait avec beaucoup de mépris et beaucoup d’arrogance ». Avec le flegme de l’homme blasé qui sait que rien ne sert de s’énerver, Xavier Bertrand encaisse poliment avant de lâcher un « Bien ». Trêve des hostilités.
Il coche toutes les cases
Outrageusement sous-titré en écriture « inclusive », le montage de Loopsider a donné du baume au coeur à l’élue Marine Tondelier, qui l’a mis en ligne sur sa page Twitter (en remerciant ses « amis de #Loopsider »). Que Xavier Bertrand ait souhaité montrer qui était le chef, c’est un fait. Cela en fait-il pour autant un affreux mâle dominant à l’instinct de prédateur enraciné? Hétérosexuel, blanc, de droite, âgé de plus de cinquante ans, large d’épaules, et aimant poser avec sa jolie blonde de trente-cinq ans, Xavier Bertrand coche toutes les mauvaises cases. « Je propose aux autres candidats que l’on se rencontre très rapidement », vient-t-il d’assurer à nos confrères du Figaro. S’il souhaite s’attirer la bienveillance des belles âmes au coeur écolo et être réellement « rassembleur » comme il s’en vante, cela ne suffira sûrement pas. Désormais, s’il ne souhaite pas être suspecté d’autoritarisme avant-même la course à la présidence, il devra mettre de côté son bouton « on-off » lors de ses prochains échanges !
La féministe radicale est à retrouver en débat face au philosophe en une de l’Obs cette semaine.
Non ce n’était pas mieux avant
Avant, dans les années 2000, l’Obs traitait par le silence les nouveaux livres de Finkielkraut. Aujourd’hui, l’hebdo de gauche lui organise un dialogue avec Antoine Compagnon, professeur émérite au collège de France de littérature, puis un débat avec Alice Coffin, l’égérie écoféministe, dans un autre numéro.
L’académicien a accepté ce combat, pardon ce débat, avec Alice Coffin.
J’écris « il a accepté », pas « ils ont accepté », car il me paraît évident que Madame Coffin ne pouvait refuser un tel honneur, débattre avec un intellectuel auteur de dizaines de livres, professeur d’histoire des idées pendant 25 ans à Polytechnique, animateur de l’émission vedette « Répliques » de France Culture depuis plus de 30 ans. Après tout, elle n’est qu’une simple journaliste militante devenue élue verte de base à Paris, qui n’a publié qu’un ouvrage (Le Génie lesbien). Quel honneur pour elle. Bravo Madame.
Un accès aux médias « patriarcal »?
Pourtant elle n’en semble pas consciente. Dans l’entretien, pour démontrer l’accès beaucoup plus facile que les hommes auraient au pouvoir et à la notoriété, elle explique:
« Si je suis invitée ici pour cet entretien, c’est parce qu’il y a votre livre. Peut-être ne mesurez-vous pas à quel point votre accès aux médias est plus facile. » Dans le contexte de son explication, son « vous » désigne Finkielkraut mais surtout: vous les hommes.
Comme beaucoup des idées de la mouvance dont se réclame Madame Coffin, cette affirmation n’est pas seulement fausse, elle est le contraire de la réalité. Dans un monde normal, un hebdomadaire comme L’Obs inviterait de toute façon un intellectuel français aussi important que Finkielkraut à s’exprimer sur son nouveau livre, mais pas à débattre avec Madame Coffin…
Lorsqu’elle-même a sorti son livre l’an dernier, elle a été conviée à plusieurs émissions importantes de radio-télévision, dont le service public national, alors qu’elle était inconnue, sans référence intellectuelle. Des milliers de jeunes auteurs rêveraient d’une telle exposition. Eh bien malgré tout cela, Madame Coffin se plaint d’un accès insuffisant aux médias, inférieur de manière injuste, si on la comprend bien, à celui de Finkie, et attribue cette injustice au fait qu’il est un homme et elle une femme! Il s’agit selon elle d’une des preuves du fameux « patriarcat ».
La querelle de la « parole libérée »
Finkielkraut résume le problème principal posé par #metoo d’une phrase: « Quand l’accusation suffit à déterminer la culpabilité, c’est la fin du monde. »
Madame Coffin répond immédiatement: « D’un monde, peut-être. » L’académicien rappelle alors cette évidence: une femme aussi peut être victime d’un lynchage justicier. L’obsession idéologique qui divise le monde en deux perd de vue cette évidence: si on abandonne les droits des mis en cause, on les abandonnera pour tous, y compris les femmes.
La querelle du « féminicide »
Finkielkraut cite la définition du Larousse: le féminicide serait « le meurtre d’une femme ou d’une jeune fille en raison de son appartenance au sexe féminin ». Pour lui, cette définition n’est pas correcte, le plus souvent la femme n’est pas tuée parce que femme mais parce que conjointe.
La réaction d’Alice Coffin sur le féminicide est intéressante car typique des militants identitaires: tout d’abord elle affirme bien entendu que Finkielkraut vient de prononcer une « fake news »:
« C’est de la fake news, ce que vous faites (…). C’est incroyable qu’il soit encore possible de tenir un tel discours, alors que sur d’autres sujets cela apparaîtrait comme des propos de complotiste qui nie les éléments factuels ».Ensuite, grand classique woke, elle conseille à son interlocuteur de s’éduquer: « (…) moi, toutes les citations que vous me renvoyez, je les connais, j’ai appris ça à l’école, à l’université, je maîtrise tous ces récits. L’inverse n’est pas vrai. Nos références, d’Audre Lorde à Eve Kosofsky Sedgwick, sont complètement ignorées de vous, donc on n’en parle pas. Pourquoi un tel désintérêt, une telle disqualification ? Nous, on connaît nos classiques, à vous d’apprendre les vôtres. »
Les wokes ne connaissent que des contradicteurs ignorants, « mal éduqués ». Comme tous les religieux, ils demandent aux non croyants de lire leurs livres saints.
L’essentialisation des hommes
Quand Alice Coffin donne une litanie de chiffres sur les meurtres de femmes et les violences sexuelles, l’académicien lui demande de ne pas essentialiser les hommes, de garder à l’esprit le particulier.
« Je m’engage contre l’engagement simplificateur », argumente-t-il.
Violence masculine, victimes humaines
Pour Alice Coffin tous les hommes sont des agresseurs réels ou potentiels, et toutes les femmes, des victimes, réelles ou potentielles.
Ce qui lui échappe, mais que Finkielkraut, tout à sa réfutation littéraire, manque aussi, c’est que les premières victimes de meurtres sont les hommes. Tués par des hommes. Car si les violents sont très majoritairement mâles (la violence est masculine, c’est un fait), le statut de victime est, lui, réparti sur tous, il est universel, ce mot honni des néoféministes. La victime n’a pas de sexe (pardon de « genre », je ne suis pas assez « éduqué »), la victime est humaine.
Et donc si la violence est essentiellement masculine, elle n’a pas grand chose à voir avec le conditionnement du « patriarcat », elle a plutôt un lien avec cette chose qui n’existe pas pour les néoféministes, qui s’appelle, comment déjà?, ah oui!: la biologie.
Mais ce mot grossier (puisque tout est « construit » ou « déconstruit » socialement, rien n’est biologique, voyons!), Alain Finkielkraut est bien trop courtois pour le prononcer devant une militante néoféministe. Il préfère lui parler littérature, ce qui ne l’intéresse visiblement pas, mais permet de se séparer avec civilité.
Good game!
Lorsque les Anglais nous battent au rugby, ils nous serrent la main en souriant, nous regardent dans les yeux et disent « Good game ».
Gageons que Finkie, qui n’apprécie pas les anglicismes, a dit « Belle partie » à Madame Coffin en quittant les locaux de l’Obs !
Le dernier Finkielkraut L’Après littérature est un très bon cru Finkielkraut y creuse son sillon, sa constance doit être saluée. Depuis 1987 et la Défaite de la pensée, il est le point fixe de la vie intellectuelle française, celui qui ne bouge pas, celui qui résiste au mouvement. Fondamentalement kunderien, il n’a jamais accepté l’idée qu’il y avait une direction, il n’a jamais accepté de suivre le mouvement. Ceux qui suivent ont changé de nom, progressistes, antiracistes naguère, aujourd’hui néofeministes, « écologistes », pourfendeurs de la « domination », « déconstructeurs », ils trouvent un Finkielkraut plus combatif que jamais sur leur chemin. Il a résisté à toutes les tentatives de le diaboliser, il est toujours là, à l’intérieur du système, avec son émission fondamentale, « Répliques », le samedi matin sur France Culture. Et c’est bien le système qu’il étrille dans son dernier livre: #metoo, les pseudos écologistes, le simplisme de BLM, et encore et toujours le nivellement des valeurs culturelles. Dans ce livre, il a choisi d’unifier ses réfutations par la littérature: au fond le contraire de l’idéologie dominante, nous dit-il, c’est le particulier, c’est le roman. Lui l’agrégé de lettres modernes, devenu par erreur, sans doute, un « nouveau philosophe », n’a cessé de tourner autour de cette idée depuis des décennies. Un Finkielkraut qui n’a qu’un seul défaut: il se lit trop vite, on voudrait que le plaisir dure encore •
L’héritier du trône se marie aujourd’hui à Saint-Pétersbourg
C’est l’évènement de l’année en Russie. Pour la première fois depuis la révolution de 1917, un mariage impérial va être célébré en grande pompe à Saint-Pétersbourg, ancienne capitale des Romanov, dans la cathédrale Saint-Isaac. L’héritier au trône de Russie, le grand-duc Georges Romanovva épouser Victoria (Rebecca) Bettarini-Romanovna, la fille d’un diplomate italien, devant une multitude de représentants de maisons royales européennes et étrangères, de membres de l’aristocratie russe, du gouvernement et autres conseillers du président Vladimir Poutine, également attendu pour cette cérémonie. Depuis la chute du communisme, les Russes se sont réapproprié leur histoire et les Romanov ont désormais droit à leurs statues érigées un peu partout dans le pays. Un parfum d’antan flotte aujourd’hui au-dessus du pays d’Ivan le Terrible.
La monarchie peut-elle revenir en Russie ? C’est une question récurrente qui est fréquemment posée depuis que le communisme, ce colosse idéologique aux pieds d’argile qui a dirigé durant 74 ans l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS), est tombé, en 1991. Largement réhabilités depuis la découverte des restes de Nicolas II et de sa famille, les Romanov font l’objet de toutes les attentions de la part du gouvernement et de membres de la Douma. Jusqu’au plus haut-sommet du Kremlin. Avec l’après-Poutine qui se dessine doucement, certains rêvent déjà de rendre leur couronne à une famille qui a dirigé la Russie durant trois siècles. Selon un récent sondage, sur un panel de 35 000 personnes interrogées, un tiers des Russes affirment ne pas être opposés au retour d’un empereur à la tête de la Sainte-Russie, 28% déclarant même qu’une telle transformation de la structure de l’État en Russie est tout à fait acceptable et 18 % réagissant avec « enthousiasme » à cette proposition. Des chiffres qui peuvent autant surprendre qu’ils nous ramènent aux photos d’un empire victime des conséquences de la Première guerre mondiale et de n’avoir pas su se réformer à temps, de ces Russes blancs fuyant en masse les exactions des bolchéviques. Un monarchisme qui n’a jamais disparu en dépit des tentatives des Soviétiques de décrédibiliser Nicolas II, constamment grimé en souverain tyrannique manipulé par le moine Raspoutine.
Martyrs de la révolution
Les chiffres sont encore plus éloquents chez les milléniaux tentés par l’idée impériale. Chez les 18-30 ans, 30% adhèreraient à l’idée monarchique (notamment chez les diplômés du secondaire). « Pour moi, la monarchie est une tradition, le bastion de notre culture et de notre nation »explique d’ailleurs Caroline, 24 ans, qui considère que la révolution a été une « catastrophe qui a amené famine, guerre civile et terreur ». Une idée qui touche toutes les couches sociales russes. Selon le sondage, 25% des classes sociales modestes et près de 30% parmi les plus aisées seraient favorables au retour de la monarchie, un concept qui reste toujours indissociable de l’Église orthodoxe d’après 35% des personnes interrogées. Voire même au-delà puisque 27% des musulmans russes se déclarent prêts à soutenir le retour de l’institution impériale. Sanctifiés par la plus haute autorité orthodoxe, laquelle ne cache pas son monarchisme, les Romanov font l’objet d’un véritable culte par les Russes. Chaque année, ils sont des centaines de milliers à converger vers Ekaterinbourg, le lieu de leur massacre en juillet 1918, afin de rendre hommage à ces martyrs de la révolution. Un succès qui ne se dément pas. Baptisées « Journées du tsar », elles sont organisées par le mouvement Aigle à Deux-têtes dirigé par l’oligarque Konstantin Malofeev, fervent soutien au retour à la monarchie. Proche du président Vladimir Poutine dont il est un des conseillers, cet homme d’affaire controversé a ouvert une école qui forme, sous le regard de tous les empereurs de Russie, les futurs cadres d’une éventuelle prochaine monarchie… Il possède sa propre télévision (Tsargrad), qui se veut à la fois nationaliste, panrusse et monarchiste. L’homme est puissant, influent jusque dans les milieux de la droite conservatrice européenne et américaine qui n’hésitent pas à l’inviter. Sa dernière apparition au Congrès de familles aux côtés de Matteo Salvini, le patron italien de la Ligue, avait été remarquée. Il a même des liens au sein de la mouvance monarchiste française, fascinée par l’esprit romantique de la Russie blanche qui a survécu et est toujours présente dans l’Hexagone.
« Il y a certainement encore aujourd’hui beaucoup d’intérêt et de fascination pour les Romanov. Je pense que c’est parce qu’ils ont régné sur la Russie pendant plus de 300 ans et ont laissé une marque significative dans l’histoire de notre pays et de toute l’humanité. Le destin tragique de l’empereur Nicolas II et de sa famille a profondément choqué et marqué les gens du monde entier, je pense donc que cet intérêt est tout à fait naturel » explique le grand-duc Georges Romanov. « C’est certainement un honneur pour moi de porter un nom aussi prestigieux et d’être un descendant de personnes extraordinaires telles que Catherine la Grande et Pierre le Grand. J’ai été élevé dès mon plus jeune âge avec la conscience de porter de grands devoirs et des responsabilités, celles de continuer à servir mon pays et de transmettre cet héritage à la génération suivante » déclare ce descendant d’Alexandre II qui est contesté cependant par une partie de sa famille dans ses droits au trône. À 40 ans, celui qui a grandi à Saint-Briac, en Bretagne, ne revendique pourtant aucun rôle. « Si un jour la monarchie doit être rétablie, le peuple trouvera toujours dans nos maisons quelqu’un qui a été éduqué et préparé au mieux de ses capacités pour accomplir ses devoirs. Mais dans les circonstances actuelles, nos activités sont totalement apolitiques et se concentrent sur le caritatif, afin de renforcer la paix interreligieuse et civile en Russie, à préserver son patrimoine historique, culturel et naturel, à l’éducation patriotique des jeunes et à protéger l’image de la Russie malmenée par la diplomatie internationale » affirme-t-il.
Pas à l’agenda de Poutine pour le moment
Il a fondé la « FondRus », une société caritative très active pour laquelle travaille aussi sa future épouse Victoria (Rebecca) Bettarini-Romanovna. Si le président Vladimir Poutine a déclaré en 2017 que « la restauration de la monarchie n’était pas pour le moment sur son agenda », d’autres se chargent de faire campagne pour lui en ce sens au sein du gouvernement et du parlement.
Président de Crimée, Sergueï Valerievitch Axionov ne fait pas mystère de son monarchisme et a proposé officiellement de restaurer un tsar en Russie, allant jusqu’à proposer aux descendants des Romanov de s’installer dans cette ancienne province ukrainienne revenue dans le giron russe après un référendum !
C’est naturellement à droite que l’idée monarchique séduit le plus. 44% des adhérents de Russie unie (parti gouvernemental) et 36% du Parti libéral-démocrate de Russie du député d’extrême-droite Vladimir Jirinovski plébiscitent le retour de la monarchie (il dirige le premier parti d’opposition russe et a augmenté le nombre de ses députés à la Douma aux dernières élections législatives). Chez les communistes, seuls 6% y seraient favorables. Plus étonnant encore, on a même 17% des Russes qui ne verraient pas d’un mauvais œil que l’actuel dirigeant russe soit couronné empereur après sa désignation lors d’un zemsky sobor (assemblée). En Russie, on se plaît à rêver au retour des empereurs de Russie. Une véritable revanche de l’Histoire qui a de quoi exciter notre propre imaginaire. « Dieu sauve le Tsar » ?
Le phénomène Eric Zemmour témoigne du retour bienvenu de la rhétorique. Pour que l’électeur français retrouve le chemin des urnes, qu’on abandonne la com’, et qu’on lui parle de la France !
Je veux bien tout ce que vous voulez sur Eric Zemmour, son idée fixe sur les causes de la décadence française, son obsession ethnique, son islamophobie et le fait qu’il se prend peu à peu pour Moïse, le Bon Dieu, le Sinaï en une seule personne — en sus d’être la réincarnation de Mon Général. C’est un ami et il ne s’offusquera pas de ce que je vais écrire.
Ce qui le caractérise, au-delà des idées, ce qui fait sa différence vis-à-vis des politiques qui tiennent le haut des tribunes depuis des années, c’est sa maîtrise de la langue en général, et de la rhétorique en particulier. Son débat contre Mélenchon, dont tous deux, à mon sens, sont sortis vainqueurs, non vis-à-vis de l’autre mais face à tous les absents qui prétendent être quelqu’un, a marqué le retour de la langue française, fort bien maîtrisée par le vieux tribun qui se veut la réincarnation de Robespierre et par le journaliste qui se prend pour Bernanos, Henri Rochefort et Léon Daudet en une seule personne.
Com’ et bien parler
C’est ce que Christophe de Voogd, Normalien et agrégé comme il en est d’autres, à commencer par l’auteur de ces lignes, appelle dans un article du Figaro « le retour de la rhétorique ».
La com’ du RN, merci bien — on a vu ce que ça donnait, en 2017, dès que Philippot n’était plus là pour agiter les fils de la marionnette. La com’ des Républicains, j’ose à peine l’évoquer…
Il est remarquable — et typique de notre époque dégénérée — que peu à peu le mot « rhétorique » se soit chargé de connotations péjoratives. Les érudits y trouveront un écho de la condamnation des « rhéteurs » par Platon sous l’identité de Socrate, mais j’y vois surtout le triomphe des demi-habiles, de cette secte journalistiquée qui croit que la « com’ », comme ils disent, l’emporte sur le bien parler.
Aristote appelait cela le Logos. C’est l’architecture langagière qui discipline le Pathos (la passion) afin de promouvoir l’Ethos — la morale, ou si vous préférez un langage plus contemporain, les positions politiques : au sens aristotélicien, ce qui concerne la vie de la cité.
On a voulu faire croire aux politiques, recrutés décennie après décennie parmi les plus nuls des postulants à la Chose Publique, fourgueur d’assurances ou avocate sans causes, qu’il suffisait de saupoudrer son discours de mots « attendus », enrobés de clins d’œil un peu vulgaires afin de plaire aux masses, notoirement inéduquées par la grâce d’un système scolaire défaillant, pour com’vaincre les électeurs. C’est si faux que lesdits électeurs ne se rendent plus aux urnes, peu disposés à accorder leur voix à des individus passablement médiocres. Parce que la ruse suprême de la com’ — écoutez bien, c’est là que se révèle la pauvreté de ces Grands Com’muniquants — est d’accorder un peu de tout à tout le monde, de saupoudrer son discours de formules creuses tout en lorgnant vers le Centre, où se gagnent, croient-ils, toutes les élections. La Com’, c’est le « en même temps » généralisé.
Il arrive que ça prenne quelque temps, mais comme disait Lincoln, « you can fool some of the people all of the time, and all of the people some of the time, but you cannot fool all of the people all of the time». Autrement dit, couillon un jour, mais pas couillon toujours.
Une agression massive plutôt qu’un suicide
C’est le cœur de la stratégie zemmourienne, et je vous fiche mon billet que les com’currents du journaliste imprécateur vont avoir du mal désormais. La com’ du RN, merci bien — on a vu ce que ça donnait, en 2017, dès que Philippot n’était plus là pour agiter les fils de la marionnette. La com’ des Républicains, j’ose à peine l’évoquer— mouvements de menton du Phénix des Hauts-de-France, ou discours technocratique de ceux qui croient que comme disait James Carville, l’inspirateur de la campagne de Clinton en 1992, Clinton, « it’s the economy, stupid ! » Eh non, ce n’est pas d’économie que les Français veulent entendre parler. C’est de la France, des menaces qui planent (et qui ces temps-ci plongent en piqué) sur notre langue et notre culture, de la dégradation du système scolaire, de la sécurité, de l’emprise islamique, effectivement (que la gauche et une bonne partie de la droite aient si longtemps refusé de nommer le problème leur sera reproché dans les siècles des siècles) et du malaise français qui est, à vrai dire, le produit d’une agression massive bien plus qu’un « suicide ». Nous voici éparpillés façon puzzle en com’munautés antagonistes. Les politiciens qui croient ingénieux de donner à chacun sa pitance en éparpillant des mots-clés dans leurs harangues devraient y réfléchir à deux fois : ça ne prend plus. On ne se vend pas la France comme on vend des cravates.
C’est ce qu’a compris Zemmour : il se propulse en avant, derrière le bouclier d’une langue globalement fort bien servie par des dons d’orateur et une longue habitude du one man show. Ses prestations sur CNews obéissent à une structure immuable, qui est celle du cours magistral — et pas du sacro-saint dialogue, comme si le dialogue était l’alpha et l’omega de la com’munication.
Bouleversements en vue
Communiquer, ce n’est pas se mettre à l’écoute de l’autre et lui servir la soupe qu’il souhaite. Communiquer, c’est l’emporter sur l’autre, c’est le faire taire, l’acculer au silence. Zemmour excelle dans l’exercice, qui était le cœur des stratégies à l’œuvre dans la démocratie grecque — voyez Démosthène.
Et pour l’emporter, il faut assommer l’interlocuteur sous le flot de son éloquence — le Logos appuyé sur un soubassement culturel solide. Celui de Zemmour, à notre époque toute pleine de petits génies sur-évalués, est bien suffisant — même s’il fait parfois sourire les êtres réellement cultivés — pour enfoncer n’importe lequel des candidats à la présidence. Nous sommes si sevrés de culture, en particulier littéraire et historique, que le premier histrion qui maîtrise les références de l’Ecole primaire des années 1950, ou de Sciences-Po des années 1970, passe très vite pour un génie.
Peut-être le soulèvement massif des minables qui orchestrent la com’ via les médias, et organiseront prochainement le boycott du phénomène s’il se révèle vraiment dangereux, aura-t-il raison du polémiste qui est en train de se forger une stature nationale. Dangereux à court terme, Zemmour ne l’est pas, il fera réélire Macron encore plus sûrement que Marine Le Pen. Mais à moyen terme — l’élection de 2027, qui est à mon sens la vraie cible de ceux qui aujourd’hui restent dans l’ombre, Marion Maréchal ou Laurent Wauquiez, et qui l’un et l’autre ont des affinités avec la combinaison Pathos / Logos / Ethos —, le surgissement d’un tribun annonce toujours, en France et ailleurs, de grands bouleversements, qu’ils aient lieu dans les urnes ou sur la place de la Révolution.
Trudeau est reconduit, mais il n’a pas de majorité. Pas grave, il affirme que les Canadiens lui ont confié un “mandat clair”! Allez comprendre… Quant aux conservateurs, ils sont défaits et leurs électeurs sont exilés à la campagne, comme dans tant d’autres démocraties occidentales. Partout, le contexte de la pandémie n’est pas favorable à cette famille politique. Voici pourquoi.
Le premier ministre canadien, Justin Trudeau, a essayé de faire un véritable tour de passe-passe. Moins de deux ans après le début du mandat de son gouvernement minoritaire, Saint Justin, largement en tête dans les sondages d’opinion, pensait qu’une élection générale anticipée rétablirait sa majorité de 2015 comme par magie et que l’univers politique rentrerait dans l’ordre. Les électeurs canadiens ne se sont pas montrés dupes de sa manœuvre. Après 27 millions de votes et 600 millions de dollars canadiens, l’univers politique reste inchangé et le gouvernement de Trudeau est toujours minoritaire, puisqu’il lui manque 13 sièges pour être majoritaire.
Sauf lorsqu’ils jouent au hockey sur glace, les Canadiens sont accablés par un complexe d’infériorité, une attitude qui dit : « contentons-nous d’une médaille d’argent ou de bronze ! » Mais la classe politique s’est surpassée dans cette élection, tous les grands partis ayant des résultats en dessous de leurs attentes. Seuls 16 des 338 sièges ont changé de mains, le plus petit nombre dans l’histoire du Canada, et le nombre total des sièges remportés par chaque parti est resté pratiquement inchangé.
Les guerres et les pandémies ont tendance à tirer la société vers un contrôle absolu par l’État, ce qui n’est pas exactement l’idéal des partis conservateurs
Trudeau ne semblait pas découragé par ce rejet évident. Comme Steve Jobs, il tente de projeter un « champ de distorsion de la réalité » pour essayer de faire croire à ceux qui l’entourent que l’impossible est vrai. Ce champ était en vigueur le soir de l’élection lorsqu’il a déclaré dans son discours de victoire que les Canadiens lui avaient donné un « mandat clair » pour le changement. Pour ceux d’entre nous qui restent à l’extérieur du champ de distorsion, la réalité est très différente : l’électorat a donné à Trudeau le pourcentage de vote le plus bas jamais enregistré (32,2 %), soit environ un électeur inscrit sur six. Comme en 2019, les Libéraux ont terminé légèrement derrière le Parti conservateur – le parti de l’opposition – quant au total des suffrages exprimés, et le taux de participation a été le plus bas jamais enregistré dans un scrutin national. Voilà ce que c’est que son « mandat clair. »
Un avenir incertain
Maintenant, c’est une tâche ardue qui commence. Trudeau doit mener avec succès une campagne socio-médicale contre le Covid-19 avant de réparer les dommages économiques et fiscaux provoqués par la pandémie, qui comprennent un déficit budgétaire du gouvernement fédéral de 314 milliards de dollars canadiens (211 milliards d’euros) pour l’année 2020-2021, soit 15 fois plus que l’année précédente. En outre, il doit trouver l’argent pour mettre en œuvre les programmes progressistes qu’il a promis aux électeurs. Comme l’a fait remarquer Pierre Mendés-France : « Gouverner, c’est choisir », et Trudeau aura à faire des choix douloureux pour avoir la moindre chance d’atteindre ses objectifs. Avec une large majorité, il aurait pu faire adopter son programme politique et budgétaire, puis temporiser en attendant une reprise économique avant les prochaines élections fédérales de 2025-2026, date à laquelle la douleur de la hausse des impôts aurait pu s’estomper. Maintenant, ce n’est plus possible.
Trudeau aura besoin de la coopération du Nouveau Parti démocratique (NPD) socialiste et de son chef, Jagmeet Singh, seuls capables de lui fournir les 25 votes qui lui manquent pour faire passer ses lois clés à la nouvelle Chambre des communes. Comme sous son gouvernement précédent, Trudeau gardera probablement le NPD à distance sans coalition officielle et négociera des lois au cas par cas. Bien que Singh soit tout aussi désireux que n’importe quel autre socialiste d’augmenter les impôts, il n’a aucun désir de trop se rapprocher des Libéraux en rendant son parti « coupable par association » de toute mesure économique qui puisse être perçue comme douloureuse lors des prochaines élections. Singh détient un atout considérable. Si Trudeau se retrouve dans de graves difficultés économiques et politiques, Singh peut exercer « l’option nucléaire » et voter avec les Conservateurs, déclenchant ainsi de nouvelles élections générales. C’est peut-être une police d’assurance politiquement coûteuse, mais elle est là pour être utilisée in extremis.
Les Conservateurs trébuchent
Le Parti conservateur ne sait peut-être pas si le verre est à moitié vide ou à moitié plein. Le résultat a certainement été une déception après un début de campagne encourageant qui a vu leur nouveau leader relativement inconnu, Erin O’Toole, réussir le test de la crédibilité. Pourtant, l’élan est retombé au milieu de la campagne, les Conservateurs se faisant attaquer pour des revirements sur des questions telles que l’interdiction des armes d’assaut, le passeport vaccinal et leur engagement en faveur d’un budget équilibré. O’Toole s’est également éloigné de nombreuses politiques traditionnelles ce qui lui a donné plus l’air d’un chef « Libéral allégé » que d’un Conservateur, surtout à propos d’une proposition très « allemande » de mettre des travailleurs dans les conseils d’administration des entreprises.
La conséquence de son revirement vers le centre-gauche a été que le Parti populaire du Canada (PPC), très à droite selon les normes canadiennes, a plus que triplé sa petite part de vote de 2019 pour atteindre 5,2%, bien qu’il n’ait pas réussi à remporter un seul siège. Comme la majorité des partisans du PPC sont des Conservateurs mécontents, cette scission dans le vote conservateur a probablement coûté cinq ou six sièges à O’Toole dans des circonscriptions marginales et l’a privé d’une victoire claire sur les Libéraux au niveau national.
Les esprits cyniques pourraient se demander si, pour les Conservateurs, il ne valait pas mieux perdre ces élections. Car finalement Trudeau s’est vu refuser cette majorité dont il avait tellement besoin. Il doit réparer les dégâts infligés à l’économie canadienne et réduire le déficit budgétaire sous les contraintes imposées par un NPD hostile à toute prise de risque. Les gouvernements surestiment toujours le montant des revenus qu’ils peuvent générer avec de nouvelles taxes sur les « riches », car ces derniers ont invariablement les meilleurs comptables et avocats fiscalistes. Il est également vrai qu’il n’y a tout simplement pas assez de riches pour combler seuls l’énorme trou budgétaire. En fin de compte, il faut taxer la classe moyenne pour vraiment augmenter les revenus de l’État. Si le gouvernement libéral échoue dans son exercice d’équilibre financier et que le troisième mandat de Trudeau se termine en larmes, les Conservateurs pourraient bien profiter de sa déconfiture lors des prochaines élections, peut-être dès 2023.
Le grand problème des villes
Il y a des choses que d’autres partis conservateurs peuvent apprendre de ces élections anticipées au Canada. En termes tactiques, Erin O’Toole a été confronté à certains des mêmes problèmes que ses homologues du Parti républicain américain, les Conservateurs australiens (appelés bizarrement le Parti libéral), les Conservateurs britanniques et les Républicains français. En raison du changement démographique dans de nombreuses démocraties occidentales au cours des dernières décennies, il est devenu très difficile pour les Conservateurs de gagner un nombre significatif de sièges dans les grandes villes. Essayez de vous présenter en tant que Républicain à New York, Conservateur dans le centre de Londres ou LR au cœur de Paris. Au Canada, les trois grandes régions métropolitaines – Toronto, Montréal et Vancouver – contrôlent plus du tiers des sièges du pays. La semaine dernière, le Parti conservateur n’a réussi à remporter que 10 des 116 sièges dans ces villes et leurs environs, tandis que les Libéraux en ont remporté 89. Jeu, set et match !
Alors que les grandes villes continuent d’attirer des ménages plus jeunes et plus diplômés, ainsi qu’un nombre croissant de familles d’immigrants, les partis conservateurs risquent d’être exilés à la campagne. Par conséquent, ils doivent définir des politiques qui s’adressent aux habitants des milieux urbains, en particulier aux communautés d’immigrants, non pas en imitant les Libéraux dans une guerre d’enchères pour les votes, mais en mettant l’accent sur les valeurs fondamentales (oserais-je dire les vertus) des Conservateurs qui sont partagées par toutes les communautés. De nombreuses familles d’immigrants sont socialement conservatrices, soutiennent la police, possèdent de petites entreprises et se soucient des impôts. Vous n’avez pas besoin de gagner une majorité de citadins, tout simplement assez pour gagner les élections.
Au Canada, l’ancien premier ministre conservateur, Stephen Harper, a remporté un gouvernement majoritaire en 2011 en brisant l’emprise du Parti libéral à Toronto. Il l’a fait en s’en tenant aux principes conservateurs, et non en devenant plus libéral. De même, en 2020, Donald Trump a bien réussi dans les régions du Texas proches de la frontière mexicaine, soutenu par des Hispaniques conservateurs préoccupés par l’immigration illégale, la criminalité et l’avenir de l’industrie pétrolière, et sourds aux chants de sirène des Démocrates sur les questions raciales. Dans certaines circonscriptions, Trump a augmenté son vote de 32 points. Cependant, la sombre réalité démographique pour le Parti républicain américain est que, sur les huit dernières élections présidentielles, un seul de ses candidats a remporté plus de 50% du vote national (George Bush avec 50,7% en 2004) et qu’il n’a gagné qu’avec le soutien des Hispaniques. Le message est clair : adaptez-vous ou mourez.
Retour à 1945?
La situation créée par la réponse au Covid-19 est très similaire à celle d’un pays en guerre. Les gouvernements sont sur tous les fronts, rassemblant des ressources et organisant les défenses afin de protéger la vie de ceux qui sont en première ligne et de la population dans son ensemble. Comme dans une guerre, des milliers de vies sont en jeu chaque jour, et ce n’est donc pas le moment de prendre des risques excessifs. Les conditions de guerre pendant la pandémie actuelle ont donné aux gouvernements une grande liberté pour intervenir dans l’économie et dans la vie des citoyens d’une manière inimaginable il y a deux ans, mais peut-être familière à ceux qui ont vécu la guerre de 1939-45. Compte tenu de l’importance des enjeux, les budgets et la dette ont pu augmenter de manière exponentielle, et les gouvernements ont pris le contrôle de l’économie. Une fois qu’ils se sont attribués de tels pouvoirs, les gouvernements sont généralement réticents à les partager avec le secteur privé à la fin de la guerre. Car ils croient, tout à fait à tort, que puisque l’intervention gouvernementale a gagné la guerre (ou vaincu la pandémie), c’est le gouvernement qui est le mieux placé pour gérer l’économie d’après-guerre (post-pandémie). D’où par exemple la vague de nationalisations de l’industrie et une expansion rapide du rôle de l’État au Royaume-Uni après 1945. Avec chaque jour qui passe, Boris Johnson ressemble de plus en plus à Harold Macmillan (Premier ministre de 1957 à 1963) !
En donnant la priorité à la santé, l’approche des gouvernements pendant la pandémie a coincé de nombreux conservateurs entre la défense des droits individuels et la nécessité de protéger le grand public. Si vous remettez en question le droit légal du gouvernement de forcer les citoyens à se faire injecter un vaccin, vous vous ferez taxer d’« antivax », que vous croyiez en l’efficacité du vaccin ou non. Si vous êtes préoccupé par l’impact des restrictions sur l’économie ou si vous critiquez des mesures plus extrêmes (et largement contre-productives), on considère que vous ne vous souciez pas de la vie des autres.
Les guerres et les pandémies ont tendance à tirer la société vers un contrôle absolu par l’État, ce qui n’est pas exactement l’idéal des partis conservateurs. En Australie, deux premiers ministres du Parti travailliste – en Australie-Occidentale et dans le Queensland – semblent être dans une guerre d’enchères pour savoir qui pourrait appliquer le confinement le plus strict et le plus long, quelles que soient les conséquences pour l’économie. Les deux continuent de bénéficier d’un très grand soutien populaire.
Justin Trudeau n’a pas hésité à imposer un large éventail de restrictions, notamment en matière de vaccinations. Pendant la campagne électorale, les cas de Covid-19 ont bondi dans la province d’Alberta, qui comptait plus de la moitié des cas du pays le jour du scrutin. Le Premier ministre conservateur de l’Alberta, Jason Kenney, avait déjà adopté une approche minimaliste en matière de restrictions, mais sa popularité s’est effondrée avec la récente augmentation du nombre de cas, et les dommages collatéraux ont certainement eu une incidence sur O’Toole et les Conservateurs nationaux. En Alberta, c’était une politique populaire jusqu’à ce qu’elle ne le soit plus. Cet échec a fait le jeu de Trudeau qui a promu l’idée qu’on ne pouvait pas faire confiance aux Conservateurs pour mener la lutte contre la Covid-19…
Tout comme la gestion de la pandémie, la campagne contre le changement climatique nécessite un leadership gouvernemental très fort et une intervention économique généralisée. Aucune mesure n’est apparemment trop coûteuse ou trop perturbatrice pour sauver la planète. Contrairement à une véritable guerre ou à une pandémie, la campagne contre le changement climatique durera des décennies, voire éternellement, de nouvelles cibles critiques et de nouveaux objectifs émergeant au fil du temps. Il est à noter que lorsqu’on a demandé aux Canadiens s’ils avaient confiance dans les principaux partis politiques, on faisait confiance aux Libéraux sur la pandémie et le changement climatique, aux Conservateurs sur la gestion de l’économie et la réduction du déficit public. Si nous nous trouvons dans une situation comparable à celle de 1945, nous devons réfléchir très sérieusement à la façon dont les conservateurs pourront reprendre l’initiative avec des politiques positives pour lutter contre le changement climatique d’une manière économiquement saine et scientifiquement responsable, sans céder à la foule des fanatiques écolos. Apres la guerre, il a fallu attendre une bonne trentaine d’années avant que Thatcher et Reagan n’arrivent pour mettre fin à l’étatisme excessif et aux dépenses irresponsables. Espérons que nous n’aurons pas à attendre autant !
Christian Authier recevant le prix des Hussards, aux côtés d'Eric Naulleau, le 29 septembre 2021. D.R.
François Garde et Christian Authier, lauréats 2020 et 2021 du Prix des Hussards ont enfin reçu leur statuette hier soir
Quoi de plus banal qu’un cocktail littéraire, un soir de septembre, à Paris ! Une non-information, une brève dans un carnet mondain, à la rigueur une photo-légende, pas de quoi se pendre aux lustres du Lutétia façon LeGuignolo, surtout à sept mois d’une présidentielle tectonique. Les Français ont d’autres préoccupations. Ces gens de l’édition, artistes faméliques et écrivains du sur-moi sont pires que les hommes politiques. Leur nombrilisme les perdra. Toujours à quémander honneurs et caresses.
Douce mélancolie
Et pourtant, hier, la remise du Prix (2020 et 2021) des Hussards, double ration en raison de l’épidémie sanitaire, a donné un coup de fouet au landerneau. C’est peut-être un détail pour vous, mais pour nous ça veut dire beaucoup. À un moment, nous avions pensé jeter l’éponge. François Jonquères, cheville ouvrière du Prix, en perdait presque son humour perpignanais. La crinière de l’avocat-vigneron, défenseur des mémoires enfouies, blanchissait, de mois en mois. À ce rythme-là, en novembre, il aurait ressemblé à un Loulou de Poméranie. Cette cérémonie, sans cesse repoussée, aurait-elle lieu cet automne ? Ce jour de gloire est enfin arrivé. Tous ceux qui cherchent obstinément à définir l’identité française, fugace et taquine, en avaient hier, devant les yeux, un exemple miroitant. En France, on se réunit autour d’un verre, on parle littérature, on médit de ses confrères, on s’empiffre de petits fours, on accable les éditeurs, on cherche un contrat, on fume, on dragouille, on s’amuse du jeu frelaté des relations sans importance et on se souvient d’un écrivain qui, des profondeurs de nos provinces, a happé notre adolescence. Un mot de Blondin, Nimier, Laurent, Déon et tous les autres Hussards de la famille élargie, les Mohrt, Perret, Haedens, Marceau suffit à nous plonger dans une douce mélancolie. Dans quel autre pays civilisé, peut-on réunir deux cents personnes et élever le critique gastronomique Christian Millau disparu en 2017 au rang de monument national ?
Nous étions donc heureux et soulagés de remettre enfin à François Garde (Roi par effraction/ Gallimard) et à Christian Authier (Demi-siècle/Flammarion) leur statuette tant méritée. Chacun d’eux s’inscrit dans la tradition « Hussarde », la geste héroïque des destins brisés et le soin apporté au style poivré. Chez eux, les mots ne sont pas lancés maladroitement sur la feuille blanche. Ce ne sont pas des joueurs de bowling ou de chamboule-tout. On est loin de l’écriture inclusive et de l’acrimonie vindicative des penseurs d’aujourd’hui. Ces deux lauréats sont assurément des fous, à une époque où les mots ne veulent plus rien dire, ils tentent, malgré tous les obstacles idéologiques, de réenchanter la phrase, lui donner cet élan salvateur qui rend nos nuits plus douces. Nous les remercions chaleureusement. Ils contribuent à notre bonne santé mentale. Hier soir, Paris avait repris son air de fête, canaille et vachard, lascif avec quelques éclairs d’électricité, comme en 2019, avant que le virus perturbe la marche du monde.
Une revanche
Les récipiendaires avaient le sourire. La dotation de Sud Radio n’était pas étrangère à ce léger enivrement. Le jury soudé comme un pack gascon tenait sa revanche après de nombreuses et humiliantes annulations. Les nasillements du micro n’empêchèrent pas le président Naulleau, d’un sang-froid à toute épreuve, d’aller au bout de son propos. Partager l’antenne avec Cyril Hanouna est autrement plus acrobatique qu’un défaut acoustique. Le champagne était frais ce qui est rare dans une assemblée dépassant dix personnes. La bulle fine et pétillante avait une stature élyséenne. Les hauts plafonds de l’Orangerie singeaient le Salon des Ambassadeurs. La candidature de Zemmour ou la limitation des 30 km/h intra-muros n’étaient cependant pas au menu des conversations. Il y a des sujets plus sérieux à traiter comme la parution en Pléiade (14 octobre) de La Divine Comédie, à l’occasion du 700ème anniversaire de la mort de Dante. La vie parisienne reprenait, peu à peu, son souffle. François Cérésa, condottiere de Service Littéraire avait gardé son imper, imitant Bogart dans Casablanca. D’un snobisme italien parfaitement maîtrisé, Arnaud Guillon, grand amateur d’Alfa Romeo Duetto (Coda Longa), s’affranchissait de la cravate. Était-ce le signe annonciateur d’un prochain roman ? Philippe Bilger avait sa cour d’admiratrices de CNews. L’éternel jeune premier, Philibert Humm, de retour à Paris Match, affichait une moustache à la Errol Flynn qui le vieillit d’à peine six mois. Frédéric Vitoux, chantre de l’amitié, évoqua le souvenir conjoint de Christian Millau et Bernard de Fallois.
Jean-Pierre Montal, le héraut stéphanois, meilleure plume du moment, se rappelait du grand Pierre-Guillaume. Yves Thréard, alerte et rieur, me fit penser à Claude Brasseur, vainqueur du Paris-Dakar en 1983. La belle et talentueuse Stéphanie des Horts se bagarrait avec la liste des invités. Le camarade Arnaud Le Guern transportait son désenchantement chic dans une barbe fournie. Il y avait également, venu de Picardie, l’inestimable Philippe Lacoche (Prix des Hussards 2018) en compagnie du poète Éric Poindron, chasseur de curiosités. Tant d’autres figures (Emmanuel Bluteau, Olivier Maulin, Bruno de Stabenrath, Christine Orban, Gilles Martin-Chauffier ou Krys Pagani) ressuscitèrent, à leur manière, l’esprit de Paris, après ces longs mois de distanciation. Et puis, pour que la fête soit encore plus éclatante, Alain Delon, par l’entremise de Cyril Viguier, nous adressa une lettre pleine de force et de pudeur. Sous le regard du Guépard, nous pûmes alors aller nous coucher.