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Ne votez pas pour Mme Le Pen!

Causeur se joint à l’ensemble de la presse française et apporte sa modeste contribution à la quinzaine anti-fasciste.


Parfois, j’essaie d’imaginer ce qui pourrait arriver si Mme Le Pen était élue présidente.

D’abord, n’ayant pas grand monde autour d’elle, son gouvernement serait composé en partie d’incapables plus ou moins guignolesques. Un peu comme le sont ou le furent, par exemple, Mme Ndiaye, Mme Schiappa, M. Véran ou Mme Buzyn.

Il y aurait aussi quelques ralliés de la dernière heure, comme le fut M. Le Maire qui, quelques jours avant la victoire de M. Macron, expliquait que ledit M. Macron était « une coquille vide ».

Un entourage suspect

Et puis bien sûr, il y aurait des gens, vieux politiciens ou dirigeants de la société civile, qui traîneraient derrière eux des bouquets de casseroles. Un peu comme, par exemple, M. Bayrou, Mme de Sarnez ou M. Ferrand, le roi de l’acrobatie immobilière.

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Peut-être même trouverait-on dans l’entourage de Mme Le Pen des personnages au passé et à la fonction troubles, des espèces d’hommes de main que l’Elysée protègerait contre vents et marées, allant pour cela jusqu’à demander à des hauts fonctionnaires de mentir et de se parjurer devant une commission sénatoriale. Comme qui dirait, des profils à la Benalla.

Ensuite, la gouvernance de Mme Le Pen serait évidemment marquée par la violence antidémocratique. On pourrait, par exemple, voir des manifestants se faire éborgner par les forces de l’ordre, sous les ordres d’un préfet de police hargneux qui considèrerait que les manifestants et lui « ne sont pas dans le même camp ». Peut-être même que, pour justifier ces violences, le ministre de l’Intérieur irait jusqu’à inventer une prétendue prise d’assaut d’un hôpital par les manifestants, pourquoi pas ?

Un programme antisocial

Cette gouvernance multiplierait évidemment les mesures antisociales. Par exemple, les APL pourraient être réduites, le RSA octroyé à condition de travailler bénévolement 15 ou 18 heures par semaine, et l’âge de la retraite reculé.

Dans le même temps, les impôts pesant sur les plus riches seraient réduits ou supprimés, ce qui permettrait à ces super-riches d’accroître leur fortune de plus de 80% en moins de deux ans, comme ce fut le cas pendant la pandémie de Covid-19.

Des décisions arbitraires et contradictoires sont à craindre

Il se pourrait aussi que, décidant seule ou en compagnie d’un petit cénacle mal identifié, elle multiplie les décisions arbitraires et contradictoires, imposant par décret un jour le port de quelque chose, le lendemain l’interdiction d’autre chose, sans que personne ne puisse en comprendre les tenants et les aboutissants. Dans cette même veine, elle pourrait carrément décider d’exclure de leur travail certains fonctionnaires trop rétifs, et de les faire molester et humilier par la police s’il leur prenait fantaisie de prétendre s’insurger.

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Et n’oublions pas le mauvais goût de Mme Le Pen, qui l’amènerait à faire redécorer les plus belles salles de l’Elysée avec des meubles, des tapis et des tableaux dans le pire style de parvenu levantin. Ou qui lui ferait inviter dans notre palais national, pour la Fête de la Musique, des groupes bruyants et interlopes à peine dignes de se produire dans le cabaret « Chez Michou ». Sans compter qu’elle pourrait aussi – qui sait ? – se faire photographier avec de beaux corps basanés dans des poses exagérément suggestives.

Enfin, je ne vous parle même pas de la façon dont Mme Le Pen pourrait, se soumettant à la doxa libérale de l’UE, brader à vil prix quelques-uns des fleurons de l’industrie française, privatisant les profits tout en mutualisant les pertes pour le plus grand bénéfice de quelques entreprises privées rapidement reconnaissantes. Ou peut-être aussi que, soucieuse de remercier des vieux copains d’école qui l’auraient aidée à gagner l’élection, elle leur renverrait l’ascenseur en commandant à leurs cabinets de conseil des missions dont le prix serait aussi élevé que la finalité en serait floue ?

Oui, il pourrait bien arriver tout ça si Mme Le Pen était élue.

Il ne faut surtout pas voter pour Mme Le Pen.

Voile: petit cours de marxisme appliqué à l’usage d’un khâgneux sous-doué

« Voilée et féministe » : le « en même temps » a atteint sa cote d’alerte. Il est urgent de ré-expliquer à un certain ex-élève d’Henri-IV, le prétendu lycée de l’élite, les fondamentaux de l’aliénation. Il ne sera pas dit que Causeur, qui est contre tout ce qui est pour et pour tout ce qui est contre, est incapable de faire un petit cours de marxisme appliqué.


« La religion est l’opium du peuple », dit Marx. On connaît la formule (on ne dira jamais assez que Marx est un formidable écrivain, qui manie la métaphore comme personne), mais on ignore souvent qu’elle est tirée d’une analyse très serrée qui se trouve dans la Critique de la philosophie du droit de Hegel, parue en 1843. Voici le texte complet — les grandes fonctions exercées par notre mauvais élève ont pu le lui faire oublier :

« Le fondement de la critique irréligieuse est : c’est l’homme qui fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme. Certes, la religion est la conscience de soi et le sentiment de soi qu’a l’homme qui ne s’est pas encore trouvé lui-même, ou bien s’est déjà reperdu. Mais l’homme, ce n’est pas un être abstrait blotti quelque part hors du monde. L’homme, c’est le monde de l’homme, l’État, la société. Cet État, cette société produisent la religion, conscience inversée du monde, parce qu’ils sont eux-mêmes un monde à l’envers. La religion est la théorie générale de ce monde, sa somme encyclopédique, sa logique sous forme populaire, son point d’honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa consolation et sa justification universelles. Elle est la réalisation fantastique de l’être humain, parce que l’être humain ne possède pas de vraie réalité. Lutter contre la religion c’est donc indirectement lutter contre ce monde-là, dont la religion est l’arôme spirituel. La détresse religieuse est, pour une part, l’expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple. L’abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l’exigence que formule son bonheur réel. Exiger qu’il renonce aux illusions sur sa situation c’est exiger qu’il renonce à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l’auréole. »

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Les Grecs, auxquels il faut toujours revenir parce qu’ils ont tout pensé, avaient compris depuis lurette que les hommes ont fait les dieux à leur image — et non le contraire. Ceux qui ont réalisé cette ingénierie sociale qu’on appelle « religion » avaient un projet : dominer le peuple, qui a toujours été l’objet de manipulations — parce qu’au fond, il fait peur.

C’est ce qu’exprime Marx à la première phrase : « C’est l’homme qui fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme ».

Et cet homme, dirait Aristote, est un « zoon politikon », un animal politique. Il n’existe pas en dehors des interactions qui le relient à ses congénères : « L’homme, ce n’est pas un être abstrait blotti quelque part hors du monde. L’homme, c’est le monde de l’homme, l’État, la société. » Une femme voilée n’est pas un être indépendant de ses coreligionnaires, elle en est l’émanation. Au moment même où elle se croit libre, elle est totalement asservie. « Aliénée », dirait le Marx du Capital, c’est-à-dire « étrangère à elle-même ». La religion vous rend « alien » à vous-même, vous devenez un monstre autophage.

Lorsque Marx explique que la religion est « la réalisation fantastique de l’être humain », il faut, comprendre « fantasmatique » : l’être religieux asservi a le fantasme d’être achevé, complet, au moment même où il est dépossédé. Ce qui exprime le mieux cet objectif de la pensée religieuse, c’est l’expérience mystique, celle de Thérèse d’Avila, de Catherine de Sienne ou de Jean de la Croix — et j’avoue, qu’en dehors de ces formes extrêmes, seules honorables parce qu’elles vont au bout de la dépossession de soi, je ne vois dans la religion qu’un processus politique de mise en esclavage. Et dans le voile le symbole de cet asservissement.

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Qu’une femme voilée prétende être féministe est la cerise sur le gâteau, le pompon sur le béret — et une contradiction dans les termes. Que certaines féministes actuelles, au nom de l’intersectionnalité des luttes, revendiquent pour les musulmanes le droit à l’aliénation la plus abjecte, en ce qu’elle consent à ne voir dans la femme qu’un objet de désir à soustraire à l’avidité du désir masculin, prouve au mieux l’inculture, au pire la jobardise de nos nouvelles chiennes de garde. Qu’un candidat à la présidentielle en fasse ses choux gras, est, sans doute de bonne guerre électorale, mais ne plaide guère en faveur de son intellect. Une femme voilée est une femme dominée, contrainte à l’insu de son plein gré à la « servitude volontaire » dont parle par ailleurs La Boétie.

Evidemment, faisons la part du masochisme. « Voyez un peu cet impertinent, qui veut empêcher les maris de battre leurs femmes », s’exclame Martine, l’épouse de Sganarelle, au début du Médecin malgré lui. Et de préciser : « Il me plaît à moi d’être battue » (acte I, scène 2).

J’attends qu’une femme voilée dise tout haut : « Il me plaît d’être humiliée, dégradée, considérée comme un objet qui doit s’excuser sans cesse d’aiguiser le désir masculin, cacher ses cheveux, dissimuler son visage, gommer ses formes, se taire et accessoirement recevoir un tiers de l’héritage, pas la moitié, car enfin, comme disait à la jeune Agnès ce grand misogyne d’Arnolphe dans l’Ecole des femmes :

« Votre sexe n’est là que pour la dépendance :
Du côté de la barbe est la toute-puissance.
Bien qu’on soit deux moitiés de la société,
Ces deux moitiés pourtant n’ont point d’égalité :
L’une est moitié suprême et l’autre subalterne ;
L’une en tout est soumise à l’autre qui gouverne. »

A lire ensuite: Alain Finkielkraut: “Le voile est l’emblème de la sécession”

Oui — mais Molière écrivait cela, en se moquant, en 1662. Et voici que certains répètent au premier degré que « du côté de la barbe est la toute-puissance » — la barbe, simplement, est devenue elle-même un symbole religieux.

Quant à savoir s’il faut interdire ou non le voile dans l’espace public, c’est une autre histoire. Je ne suis même pas sûr que ce soit au peuple, aliéné par définition, d’en décider. Le recours au référendum n’est pas la panacée que l’on croit, c’est juste la possibilité de faire éclore ce que l’homme a de plus bas et de plus instinctif, et notre vision moderne de la démocratie est juste la capacité de flatter ces bas instincts.

Que l’on prétende, pour draguer les électeurs de Mélenchon, que le port du voile est compatible avec le féminisme — qui n’existe pas s’il n’est pas aspiration à libérer la femme de toutes les tutelles —, est une carabistouille qui ne ferait pas illusion dix secondes dans un devoir de khâgne — pas chez un bon élève en tout cas.

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PS. Je supplie mes lecteurs de considérer que Marx est un formidable philosophe, qui post mortem a servi de prétexte à l’idéologie la plus meurtrière du XXe siècle — à son corps défendant. Il n’y a aucun rapport entre marxisme et communisme (ou socialisme), les uns et les autres ignorent la vraie pensée de Marx de la même façon que, nombre de musulmans, parce qu’ils ne lisent pas l’arabe classique, ignorent tout à fait ce qui est écrit dans le Coran. Il a fallu l’Humanisme pour que l’on se soucie de ce qui était réellement écrit dans la Bible. Mais l’islam n’en est pas encore à faire son aggiornamento — sans parler de son Vatican II.

Vous aurez notre compassion

À défaut de combattre par les armes, le camp du Bien a d’ores et déjà remporté la bataille de l’émotion. Interdite de médias sociaux, la Russie ne peut diffuser sa propagande. Résultat, les Gafam font de chacun de nous un acteur et une victime du conflit.


Ouvrez un journal ou un téléviseur, écoutez les politiques ou les experts, allez sur les médias sociaux, parlez autour de vous… Quelle est la probabilité que vous soyez confrontés sinon à une opinion pro-Poutine, du moins à des réserves sur la cause ukrainienne ? Sauf à être sur des réseaux alternatifs, membre de communautés antisystème acharnées, les chances (ou les risques) sont presque nuls. Et si une télévision présente un extrait de discours de Poutine ou de ses généraux, ce sera accompagné de commentaires (souvent justifiés) sur leur air figé soviétomorphe ou sur l’absurdité de présenter l’invasion de l’Ukraine comme une opération antinazie.

Rarement a-t-on rencontré une telle unanimité. Dans la désignation des responsabilités de la guerre, et dans l’émotion provoquée par les morts ou réfugiés. Dans la criminalisation morale des agresseurs, et dans l’affirmation que ce sont « nos » valeurs qui sont en jeu. En France et en Occident au moins, car en Inde, en Afrique, dans le monde arabe… (sans même parler de la Chine) ni les médias ni les réseaux ne partagent cet enthousiasme.

Dix règles de la propagande de guerre

Y a-t-il eu des exemples de pareille communion des esprits ? Sans doute au moment de la guerre de 1914-1918. Quelques années après le conflit, un aristocrate anglais (mais travailliste) lord Ponsonby décrivait les dix règles de la propagande de guerre qui venaient de fonctionner pour les démocraties. Elles consistent à dire et à répéter :

1) que l’ennemi veut la guerre, nous pas ; 2 qu’il en est responsable, nous pas ; 3) que c’est un crime moral et pas seulement politique ; 4) que notre guerre est menée au nom des valeurs universelles, la sienne pour ses intérêts cupides ; 5) qu’il commet des atrocités ; 6) qu’il utilise des armes illicites ; 7) que ses pertes sont énormes ; 8) que notre cause est sacrée ; 9) que les autorités morales et culturelles l’approuvent ; 10) que quiconque doute des neuf points précédents est victime de la propagande adverse (tandis que nous ne pratiquons que la très véridique contre-propagande).

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Les Occidentaux: meilleurs propagandistes que les Russes ?

Il y a certes une énorme différence : aucun membre de nos familles n’étant dans les tranchées, nous vivons par procuration la souffrance des Ukrainiens. Pour le reste, il semble que la rhétorique de guerre n’a pas tant changé en un siècle. Les lois de Ponsonby fonctionnent, pourvu qu’il y ait un adversaire assez repoussant et un accord assez fort sur nos croyances morales et idéologiques. C’est devenu un lieu commun de dire que toute guerre par le fer et par le feu est accompagnée par une guerre de l’information, de l’image et de l’émotion. Or il semble bien que notre camp gagne les trois dernières. Le consensus ne fonctionne que si le discours du dissensus est impuissant. Ce qui était tout sauf évident il y a quelques mois.

Rassemblement pour la paix en Ukraine, Lyon, 6 mars 2022 © KONRAD K./SIPA

En effet, depuis au moins 2016, on prêtait un singulier impact à la guerre de l’information du Kremlin. Elle aurait notamment été responsable de l’élection de Trump, du Brexit, du référendum de Catalogne et des succès des populismes. Il s’est écrit énormément d’études sur les capacités de services de Moscou en matière de cyberstratégie et d’influence. Elles leur attribuaient (à eux ou à des groupes dits « proxys » leur servant de mercenaires) de fabuleuses capacités de sabotage par écrans interposés, voire le plan de paralyser un pays entier dans une cyberguerre. On les créditait aussi d’une influence redoutable sur l’opinion occidentale. À travers des réseaux humains, ses agents d’influence et des partis populistes complices, ils pouvaient favoriser les tendances idéologiques les plus perverses. Sans oublier leurs médias internationaux comme Russia Today (interdits depuis dans l’UE). Plus les dispositifs numériques avec leur terrifiant pouvoir de perturbation : fake news, milliers de trolls ou de faux comptes… Des chercheurs américains expliquaient même que Poutine soutenait, via ces faux comptes sur internet, indifféremment des extrémistes de tous bords (suprémacistes et Black Lives Matter par exemple), dans le but d’exacerber les contradictions des démocraties et de saper la confiance. Et déjà, dans la perspective de l’élection présidentielle de 2022, donc d’une inévitable intrusion de Moscou pour fausser les résultats, notre pays créait des institutions comme Viginum, chargé de nous protéger des ingérences via les réseaux sociaux, et de détecter le trajet suspect de l’infox venue de l’Est.

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Pour dire le moins, rien ne démontre le moindre succès poutinien pour nous persuader que c’est l’impérialisme otanien qui est la cause de tout et que l’opération militaire (ne dites pas la guerre) se déroule comme prévu. Mieux, les autorités russes, menacées sur leur propre territoire informationnel, adoptent des lois hyper-répressives quant à l’emploi de certains mots, assimilés à la puissante propagande de l’Ouest. Elles finissent par y interdire Facebook et Instagram pour extrémisme : or les plateformes signalaient comme mensongers des contenus officiels russes et censuraient les médias russes chez eux. Moscou crée même ses propres sites pour dénoncer les fausses informations occidentales en ligne (waronfakes.com), mais c’est sans effet sur la masse immense des images d’atrocités qui circulent. Certaines sont véridiques, certaines truquées : il en est de favorables aux deux camps, mais vite repérées par les dispositifs internationaux de « fact-checking ». Quand les pro-Russes font circuler quelques vidéos de nazis du bataillon Azov ou de pro-Russes attachés et fouettés, tout cela est noyé par le flot des images qui s’accumulent heure par heure et qui nourrissent notre compassion. La surabondance des images et des messages n’est pas le facteur le moins déterminant pour gagner les cœurs et les esprits.

Les GAFAM, l’adversaire le plus redoutable de Poutine ?

Parmi les facteurs qui expliquent cette asymétrie, certains relèvent de la technologie numérique.

Le premier est l’intervention des Gafam. Après avoir interdit le compte de Trump, les grands du Net se sont engagés – moitié par conviction sincère, moitié pour ne pas apparaître comme les fourriers du mensonge et de la violence – contre le trio infernal : fausses nouvelles ou désinformation, discours de haine, complotisme… En particulier, Facebook qui censure la propagande poutinienne, retire les comptes pro-Kremlin, décide quelles images et nouvelles participent de la désinformation, mais assume une certaine indulgence – très en retrait par rapport aux principes sur les discours de haine – pour les appels à la violence envers les soldats russes…

Quoi que l’on pense moralement de cette attitude, elle confirme que les grands du Net possèdent un pouvoir jusque-là inconnu : décider ce qui atteindra nos écrans donc nos cerveaux, conférer au message le statut de véritable ou de pensable. Quand les médias classiques sont unanimement rangés dans le camp du bien et quand les moteurs de recherche retirent ou déclassent la présumée désinformation de Moscou (il y a un néologisme pour cela : « déplateformer »), cette dernière devient inefficace parce qu’inaccessible. L’engagement des Gafam traduit un droit de fait : contrôler l’attention. Et ce via la circulation, la sélection et la réception des messages, en s’appuyant sur leurs conditions générales d’utilisation qui sont la loi des internautes, plus leurs algorithmes, leurs modérateurs, leur intelligence artificielle, etc. Ce pouvoir l’emporte sur le vieux pouvoir politique d’interdire et de faire croire. Ou sur les vieux médias. Du coup, les médias d’influence internationale soutenus par l’État, comme Russia Today, fuient le bannissement sur des plateformes alternatives, comme de vulgaires activistes ou contestataires, où ils rencontrent de vrais antisystèmes, plus ou moins antivax ou complotistes.

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Tous Ukrainiens par identification

L’autre grande innovation est que – sur les plateaux de télévision ou sur les réseaux – nous vivons la guerre « vue du sol » par le témoignage des bombardés, non du point de vue des bombardiers comme pendant la guerre du Golfe (effet CNN). Les internautes ukrainiens, souvent francophones et sympathiques, coincés dans leur cave mais connectés au web, ont maintenant le quasi-monopole de l’expression. L’image de la souffrance interpelle et force à adopter le point de vue dont nous ne pouvons douter, celui de la victime (ce qui ne fut pas le cas des Houthis ou des Arméniens du Karabagh). Le principe du réseau – tous émetteurs, tous témoins, chacun pouvant s’informer auprès de gens qui lui ressemblent et non verticalement dans la sélection qu’imposent les médias de masse – fonctionne à plein. Il est intrinsèquement favorable à la victimocratie qui parle le langage universel de la souffrance. L’indignation – le fait de souffrir de l’injustice faite à un autre – est sans doute le sentiment le plus contagieux par de telles voies. Surtout quand il est facile de s’identifier à un camp et de rejeter l’autre, et que compassion et médiatisation coïncident.

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Noyer d’images, c’est bien, avoir une icône planétaire, c’est mieux. Le facteur Zelensky joue aussi à plein. Pour la scénarisation – ambiances nocturnes dramatiques, T-shirt de combattant, barbe de héros ; pour le format – des vidéos courtes destinées à devenir virales ; par le choix des registres : peuple martyr et citoyens combattants, valeurs de l’Occident et risque de génocide, refus de la barbarie et force de la démocratie ; par sa capacité de s’adresser (magie des télétransmissions) aujourd’hui aux assemblées de tous les pays ou à des manifestants solidaires, demain à vous, les yeux dans les yeux, sur l’écran de votre portable. Implicatif (nous sommes comme vous, vous êtes concernés) et performatif (il incarne un peuple auquel s’identifier, même si notre héroïsme doit se manifester depuis notre salon)… Rhétorique parfaite et logistique impeccable, message percutant et relation humaine font du président ukrainien l’homme le plus influent de la planète au moment où nous écrivons.

Quand l’idéologie et la technologie se combinent, quand le choix des médias et celui du politique s’accordent, quand les forces spirituelles et les conditions matérielles sont favorables, et surtout quand l’ennemi semble plus repoussant que l’URSS de la guerre froide, tout rassemble. Mais il est vrai que c’est à distance, par écrans interposés et dans une phase où l’opinion occidentale est encore loin d’éprouver les conséquences de la guerre sur ses intérêts et sa vie.

Paroles de parias

Leur courage et leur dévouement ont été applaudis pendant les grandes vagues de Covid : les soignants étaient en première ligne dans des hôpitaux sous-équipés. Parmi ces hommes et ces femmes, certains ont refusé, par peur ou conviction, de se faire vacciner. Ils le paient au prix fort.


Licenciée car non-vaccinée

Sonia, 42 ans. Mère célibataire de trois enfants, elle ne touche pas de pension alimentaire et ne pouvait compter, jusqu’au mois dernier, que sur son salaire de 1 850 euros. Aujourd’hui aidée financièrement par des amis et des parents, cette ex-aide-soignante aux urgences du centre hospitalier intercommunal Meulan-Les Mureaux (CHIMM) assume son choix. Elle a préféré être suspendue (comme 80 autres personnes de l’établissement), puis licenciée plutôt que d’être vaccinée. « Je ne suis pas complotiste mais réaliste, j’ai les pieds sur terre. Pas besoin de tutelle du gouvernement. On n’est pas sous-développé du bulbe, on est des professionnels de santé ! D’ailleurs, mon carnet vaccinal est à jour. Je ne suis pas une antivax, je suis une anti-injection expérimentale ! ».

Sonia, aide-soignante © Hannah Assouline

Sonia a de nombreux collègues qui, pour ces raisons, se sont fait faire de faux passes afin de poursuivre leur activité. D’autres, comme elle, « ont choisi d’assumer leur décision sans faux-semblants pour ne pas entrer dans les statistiques. Je ne veux pas être une statistique ! J’ai eu deux fois le Covid, en mars 2020 et en décembre 2021, mais je n’ai même pas téléchargé le passe de la SI-DEP. Je ne veux pas brandir un passe, tel un sésame, pour aller où bon me semble. Le passe ne prouve pas qu’on est en bonne santé. Il y a dans nos services des patients en stade terminal qui ont un passe valide. »

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Sa hiérarchie n’a pas apprécié son côté grande gueule et ses prises de position publique. Dès le début de la pandémie, Sonia a organisé des rassemblements devant son hôpital pour dénoncer des conditions de travail indignes. « Ça n’a pas plu. Après un arrêt pour maladie professionnelle, mon syndicat [CGT] m’a dénoncée auprès de la direction pour des vacations faites en 2020. J’ai été licenciée pour “accumulation d’emplois”. Pour payer mon loyer et élever mes enfants, j’étais obligée de travailler plus. J’étais inscrite au sein de mon établissement sur la liste des volontaires qui veulent effectuer des heures supplémentaires, mais ils préfèrent appeler des vacataires plutôt que des membres de l’hôpital ! J’ai donc dû faire des vacations dans d’autres structures médicalisées. » Son syndicat n’a pas assisté à la commission disciplinaire qui l’a licenciée fin novembre. Elle cherche, depuis, un emploi en phase avec sa vocation de soignant mais, même en travailleur indépendant, lorsqu’on n’est pas vacciné, c’est mission impossible.

Vacciné contre son gré

Rachid est aide médico-psychologique dans un hôpital des Yvelines. Seul avec sa mère handicapée à charge, il s’est résigné à se faire « injecter », mais milite toujours contre cette obligation en manifestant, chaque semaine, avec le collectif Soignants unis. Il en est devenu le « visage ».

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L’indifférence médiatique et politique qui entoure leur mouvement alimente une amertume doublée de colère : « Personne n’a conscience de la peur que nous avions lors de la première vague, lorsqu’on nous demandait d’aller travailler sans matériel ni protection et que les télés diffusaient en boucle les images de milliers de morts en Chine et en Italie. Chaque jour, j’avais la chair de poule en mettant ma blouse. » Pour lui, c’est cette cicatrice qui explique leur détermination. « Face à notre dévouement total à la nation en échange de notre santé, on pensait vraiment qu’on ne nous laisserait pas tomber. D’autant que nous avons aussi été les premiers à dire que la vaccination n’empêchait ni la contamination ni la transmission ! »

Rachid, aide médico-psychologique © Hannah Assouline

La récente annulation par le Conseil d’État des rares ordonnances de tribunaux administratifs prononcées en faveur des salariés suspendus est pour lui « un nouveau coup de poignard ». Il est aussi choqué qu’on bafoue les valeurs qui sous-tendent sa vocation. « Lors de nos études, nous suivons des formations sur le “consentement libre et éclairé” de nos patients [loi Kouchner], sur le secret médical, etc. Mais depuis deux ans, on nous dit d’oublier tout ça. C’est dégueulasse. »

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Ce qu’il craint également, c’est que l’hôpital retourne la situation et explique que ce sont ces soignants suspendus qui empêchent le système de fonctionner. « On ne demande qu’à travailler ! » martèle Rachid avant de rappeler qu’au plus haut de l’épidémie, « le gouvernement a fermé 5 700 lits, soit 17 600 depuis le début du quinquennat. En trente ans, nous avons perdu 100 000 lits : c’est la fin du service public. »

Comme souvent, des collègues et des syndicats aux abonnés absents

Virginie était auxiliaire de puériculture en crèche hospitalière à l’hôpital de Poissy. Elle a été suspendue à l’issue de sa journée de travail le 16 septembre 2021. « L’entretien avec la DRH a été particulièrement désagréable parce que j’ai refusé de signer cette suspension. Je l’ai donc reçue par courrier recommandé. Avant d’en arriver là, j’ai passé un mois d’août horrible, continuellement humiliée par mes collègues qui me disaient : “Garde ton masque, tu vas nous contaminer” ou encore “Tu vas faire quoi en septembre, parce que tu n’auras plus de salaire, ça va être dur pour toi !”. Aucune solidarité : j’ai vraiment été traitée comme une pestiférée alors que pendant cinq ans j’ai toujours travaillé correctement, on ne m’a jamais rien reproché, je n’ai jamais eu d’arrêt maladie… »

Virginie, auxiliaire de puériculture © Hannah Assouline

L’hôpital de Poissy aurait suspendu 135 personnes dans la même situation que Virginie. Aujourd’hui, elle vit avec le RSA. « Mon interlocutrice à la CAF [Caisse d’allocations familiales] n’a pas compris ma situation, elle n’avait jamais vu ça. Et malgré sa bonne volonté, je n’ai commencé à le toucher qu’en janvier 2022. »

Sans l’aide financière de quelques amis, sa vie serait impossible : son loyer s’élève à 1 000 euros et elle ne perçoit que 400 euros d’APL. Depuis le 16 septembre, elle est en arrêt maladie non indemnisé, la médiation lancée par son avocate n’ayant abouti à rien. Même dans cette situation, elle n’a reçu aucun soutien de ses ex-collègues et des syndicats. « Sans les bénévoles des collectifs locaux, comme les Blouses blanches 78, j’aurais été seule au monde. » À 40 ans, dégoûté du système, elle souhaite entamer une reconversion pour devenir directrice de micro-crèche.

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[Vos années Causeur] Une déclaration d’amour (de plus) à ceux qui font « Causeur »

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À l’occasion de notre numéro 100, Stéphane vous parle de ses années Causeur…


Vous aimez la France, son histoire, sa culture, sa civilisation ? Vous ne ressentez pas d’hostilité particulière envers Israël, et vous trouvez que l’Azerbaïdjan est un bien beau pays ? La fidélité en amitié est une qualité que vous appréciez, et vous comprenez que la patronne d’un journal écrive ou publie 257 articles en soutien d’un ami philosophe accusé d’indulgence envers le coupable dans une sombre affaire de mœurs ? Vous acceptez d’être confronté à des points de vue différents du vôtre, voire provocateurs, par exemple sur la corrida ou le Covid, et à des éditoriaux politiques communistes ?

Vous aimez lire des articles abordant des sujets très variés tels que l’immigration, l’islamisme, l’insécurité, le wokisme, l’immigration, l’islamisme, l’insécurité, le wokisme, l’islamo gauchisme, l’immigration… Vous n’êtes pas un fervent admirateur de Macron, la gestion de la ville de Paris par Anne Hidalgo ne provoque pas en vous un enthousiasme débordant, et les humoristes de France Inter ont du mal à vous dérider. Les beaux yeux d’Elisabeth Lévy, et sa prose inspirée qui pourfend les rien-pensants, ne vous laissent pas insensible. Alors lisez Causeur !

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Vous y trouverez des articles écrits par des journalistes professionnels, mais aussi des chroniques tenues par une grande diversité de rédacteurs : certains sont des disciples de grands penseurs, tels que Plutarque (Aurélien Marq) ou Max Pécas (Thomas Morales), d’autres sont des professeurs (dont un normalien fier de l’être, Corse et corsé), un menuisier viril et anar (tendance droitière), un ancien haut magistrat fort pondéré, un amateur d’art et de musique, un éthologue, et j’en passe et des meilleurs.

Vous aurez aussi accès à un excellent forum, lieu de discussions animées, fréquenté par de nombreux jeunes gens d’une soixantaine ou septantaine d’années, souvent intelligents, cultivés, et ayant le sens de l’humour, et par quelques trolls au rosé peu imaginatif luttant vaillamment contre les bandes de la fachosphère censées y sévir. Certains rédacteurs de Causeur (Messieurs Leroy et Brighelli, parfois Monsieur Mihaely) viennent y répondre aux critiques parfois vives qui leur sont adressées, bravo à eux de descendre dans cette arène.

On regrette la disparition (dans les colonnes de Causeur) d’Alain Finkielkraut (à qui on souhaite un bon rétablissement) ; on aimerait que quelques nouvelles grandes « plumes » viennent renforcer la rédaction, mais on félicite chaleureusement Causeur et sa joyeuse équipe pour leur courage et l’ensemble de leur œuvre et on espère pouvoir fêter le numéro 200 dans quelques années, dans une France en reconquête, à nouveau fière de son identité et ayant retrouvé les jours heureux…

PS : J’espère que cette contribution à la fête du « numéro 100 » sera jugée favorablement par les hautes sphères de Causeur : les meilleurs auteurs gagneront un abonnement numérique de 3 mois, d’une valeur de 11,40 euros ! Ventre saint-gris ! Voilà qui vaut le coup de faire un effort et de travailler son style !

“En même temps”: une vaste duperie mentale

Contraint de chasser les voix d’extrême gauche en conservant en même temps les voix de la droite, le président se complait sans complexe dans son “en même temps”. Technique hypnotique qui n’est pas sans rappeler la doublepensée de Big Brother… Explications.


Notre président-philosophe aime à citer les grands auteurs :

Le “quoi qu’il en coûte”, du discours “We shall fight on the beaches” de Churchill. Le 4 mai 1940 en pleine campagne de France, le Premier ministre britannique déclarait à Westminster: « Nous irons jusqu’au bout, nous nous battrons en France, nous nous battrons sur les mers et les océans, nous nous battrons avec toujours plus de confiance ainsi qu’une force grandissante dans les airs, nous défendrons notre Île, quoi qu’il en coûte ».

Comment oublier sa reprise du “qu’ils viennent me chercher !”, lancé en 1814 par Napoléon[1] sur l’île d’Elbe quand on vint lui dire que les Français le regrettaient, et que l’empereur déchu répondit : « S’ils m’aiment tant, qu’ils viennent me chercher » ?

Même son “maître des horloges” est piqué à Bernard Attali, frère jumeau de son mentor, qui écrivait « Le rôle de l’homme politique, maître des horloges, c’est d’éclairer l’horizon, de distinguer l’important de l’urgent, de rappeler les valeurs, de montrer le cap, et de tenir bon »[2].

En revanche, on est en mal de trouver à qui Emmanuel Macron à emprunté son “nous sommes en guerre”. Cette phrase n’a été prononcée ni par De Gaulle ni par Churchill qui avaient, eux, pourtant, beaucoup plus de légitimité à l’employer que le président français en temps de paix. C’est bel et bien dans… 1984, qu’on trouve cette phrase : “Ce que je veux dire, c’est que nous sommes en guerre”.  Il est troublant de noter que le mot “guerre” est présent 139 fois dans le roman d’Orwell. Or il désigne une guerre en Eurasia dont on n’est pas plus sûr qu’elle ait eu plus lieu qu’en France en 2020. La fausse guerre de Macron pour désigner la pandémie s’apparente bel et bien à celle du roman d’Orwell dans lequel « peu importe que la guerre soit réellement déclarée (…). Tout ce qui est nécessaire, c’est que l’état de guerre existe ».

La doublepensée et le “en même temps” d’Emmanuel Macron

Naturellement, d’autres livres et d’autres personnalités se sont déclarés “en guerre”. Mais peu l’ont dit en sachant que c’était faux. Une fois le nez dans le roman d’Orwell, édité l’an dernier dans la Pléiade, on peut aussi y trouver le “en même temps” qui rappelle bel et bien le président français.

En effet, peut-on encore croire à une coïncidence, en découvrant sa parenté avec la doublepensée de Big Brother ? La doublepensée est définie ainsi : “Retenir simultanément deux opinions qui s’annulent alors qu’on les sait contradictoires et croire à toutes deux. Employer la logique contre la logique. Répudier la morale alors qu’on se réclame d’elle…” Cela ne vous rappelle-t-il vraiment personne ? Même dans ces phrases ou l’esbroufe semble prendre le pas sur la complexité ? Citons Emmanuel Macron dans ces phrases dont il a le secret :

  • “Après avoir été en même temps en danger et protégés, les Français doivent regarder en même temps vers le passé et vers l’avenir”;
  • “Le féminisme est un humanisme et (…) défendre la dignité des femmes, les droits des femmes, c’est en même temps défendre la dignité et les droits des hommes”;
  • “Depuis longtemps, je sais qu’ici, on est fier d’être Breton, on est fier d’être Français, en même temps on est aussi fier d’être Européen”. (Quimper 21/06/2018)

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Beaucoup a été dit sur le discours de Macron qu’on a pu qualifier d’attrape tout. On peut aussi, comme l’écrivait le psychanalyste Roland Gori dans Libération, avancer que cet en même temps est une pensée de la « complexité » qui dépasse les anciens clivages. Stratégie qui portait la promesse de réconcilier les Français.

Revenons à notre Mozart. L’efficacité du “en même temps” en tant que “ramasse-tout” idéologique permet de dire tout et, en même temps son contraire, pour rallier les Français et les Françaises du pour et… ceux du contre. Sans se risquer à fâcher les autres.

On note ainsi dans ses saillies une fausse complexité axée sur l’oxymore. Dans 1984, la doublepensée use justement de ces astuces. Big Brother proclame ainsi que “la guerre c’est la paix”, “la liberté est esclavage” ou que “l’ignorance est puissance”. Cette “doublepensée” n’est-elle pas reprise à merveille par Emmanuel Macron dans son “Soyons fiers d’être des amateurs” lors de la campagne de 2017 jusqu’à “l’Europe souveraine” de la présidence française du conseil européen de 2022 ?

Le chef d’œuvre d’Orwell, est de fait truffé d’”en même temps”, synthèse de cette doublepensée :

  • “Croire en même temps que la démocratie est impossible et que le Parti est gardien de la démocratie.”
  • “Le Parti prétendait, naturellement, avoir délivré les prolétaires de l’esclavage. (…) Mais en même temps que ces déclarations, en vertu des principes de la double-pensée, le Parti enseignait que les prolétaires étaient des inférieurs naturels, qui devaient être tenus en état de dépendance, comme les animaux.”
  • “Le Times du 19 décembre avait publié les prévisions officielles (…) au cours du quatrième trimestre 1983 qui était en même temps le sixième trimestre du neuvième plan triennal”
  • “Comme d’habitude, les groupes directeurs des trois puissances sont, et en même temps ne sont pas au courant de ce qu’ils font”

Bref, comme le résume Orwell “les plus subtils praticiens de la doublepensée sont ceux qui l’inventèrent et qui savent qu’elle est un vaste système de duperie mentale.”

Effet de sidération

La dystopie d’Orwell indique que la doublepensée est un acte d’hypnose. “Pour se servir même du mot doublepensée, peut-on lire dans 1984, il est nécessaire d’user de la dualité de la pensée, car employer le mot, c’est admettre que l’on modifie la réalité. (…) C’est par le moyen de la doublepensée que le Parti a pu et (…) pourra, pendant des milliers d’années, arrêter le cours de l’Histoire. (…) L’œuvre du Parti est d’avoir produit un système mental dans lequel les deux états peuvent coexister”.

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Or, si Orwell explique qu’il s’agit de “persuader consciemment l’inconscient, puis devenir ensuite inconscient de l’acte d’hypnose que l’on vient de perpétrer”, on peut émettre l’hypothèse que le “en même temps” fonctionne par la sidération créée par sa complexité factice. Esbroufe augmentée encore par le “celles-et-ceux” qui vient renforcer la confusion du “en même temps”, et permet de saturer l’attention par ses contradictions. L’”en même temps” sature le cerveau et empêche toute réplique par effet de sidération.

Les médecins savent, en effet, que le cerveau peut être rapidement saturé. Ainsi, la neurologie a démontré qu’il était aisé d’encombrer l’esprit d’une tâche très gourmande en capacité de calculs. Ces “mental tricks” sont d’ailleurs repris par les mentalistes dans leurs tours de suggestions. Ainsi, par exemple, le Britannique Derren Brown, dans une célèbre vidéo réussit à payer une bague de 4500$ avec une petite liasse de… papiers blancs ! Le secret : au moment de payer, le mentaliste noie le bijoutier sous une avalanche de questions sur la station de métro la plus proche et son accès. Or ces questions d’orientation, ainsi que le langage, sont des tâches gourmandes en bande passante qui monopolisent le cerveau qui, de fait, néglige les tâches plus simples et routinières. Et ce bijoutier compte les morceaux de papier et les encaisse sans sourciller.  Bref, il s’agit d’obtenir par saturation, sinon le consentement, une adhésion par négligence ou par forfait. Il est essentiel aujourd’hui de se méfier de ces faux-monnayeurs de la pensée politique.

1984

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[1] Jacques Bainville, “Napoléon” – 1936

[2] Bernard Attali, Si nous voulions – 2014

Soignants suspendus, un scandale d’État?

Des milliers de soignants et de pompiers qui refusent le vaccin contre le Covid ont perdu, avec leur capacité d’exercer leur métier, leurs revenus et tous leurs droits. Or, cette règle qui paraissait légitime quand on espérait que le vaccin empêchait la contamination est d’autant plus absurde que les soignants vaccinés et malades peuvent travailler.


Ce sont des milliers de drames à bas bruit. Des vies en miettes qui n’intéressent guère les médias. Ils étaient infirmiers, aides-soignants, psychologues, sages-femmes, médecins, pompiers, agents administratifs. On cite même le cas d’un employé qui lavait des voitures dans l’hôpital d’une petite ville du centre de la France. Fonctionnaires ou salariés de droit privé, la plupart avaient choisi leur métier par vocation, parce qu’ils aiment, disent-ils, s’occuper des autres. Pendant la première vague de l’épidémie, beaucoup sont allés travailler la peur au ventre.

Il est vrai qu’ils ne fuient pas sous les bombes. Et puis, beaucoup de gens se disent qu’ils sont responsables de leur malheur. S’ils ont perdu leur logement, divorcé, s’ils sont frappés d’interdiction bancaire et se nourrissent grâce aux Restos du cœur, ce n’est pas à cause de Poutine mais parce qu’ils refusaient de se faire vacciner.

Des syndicats aux abonnés absents

Le 15 septembre 2021, jour de l’entrée en vigueur de l’obligation vaccinale pour les soignants, inscrite dans la loi du 5 août, leur existence a viré au cauchemar. À entendre leurs récits, on a l’impression qu’il ne s’agissait pas simplement de les emmerder, comme l’a aimablement dit Emmanuel Macron, mais de les humilier, voire de les briser. Ils racontent le harcèlement de leurs supérieurs, le chantage, parfois les insultes et pour finir, des entrevues glaçantes au terme desquelles ils ont été jetés sans un mot de reconnaissance pour le travail accompli. En prime, ils n’ont pas reçu le moindre témoignage de solidarité de leurs collègues et encore moins des syndicats, aux abonnés absents sur ce dossier. « Pestiférés », c’est le mot qui revient le plus souvent dans leur bouche.

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Leur triste sort a ému Maud Marian, qui fait partie d’un collectif de plusieurs dizaines d’avocats officiant dans toute la France. Difficile de savoir combien de personnes ont été suspendues. En septembre, Olivier Véran parlait de 3 000 à 5 000. Dans une tribune réclamant leur réintégration, signée par une trentaine de parlementaires, il est question de 15 000 soignants et de 6 000 pompiers.

L’avocate nous reçoit dans son bureau du centre de Paris, qui évoque plutôt une administration que le luxe feutré qui règne chez certains de ses confrères. Visiblement, Maître Marian fait dans le social. Les quelques soignants suspendus qu’elle a réunis ce jour-là, comme sans doute les 500 autres dont elle s’occupe – gracieusement – lui vouent une gratitude émue : elle est la seule qui semble se soucier de leur détresse, la seule à se battre pour eux. « Normalement, explique-t-elle, en droit français, quand on modifie les conditions d’accès à une profession, on propose un licenciement. Là, on a inventé la suspension qui n’existait jusque-là que dans le domaine disciplinaire. » Or, cette suspension signifie zéro droit : bien sûr, les suspendus ne touchent ni salaire ni traitements. Ce sont des « mois blancs » pour la retraite. Ils ne sont pas éligibles à l’assurance-chômage ni même au RSA, sauf exception due à la compréhension d’un agent (voir les portraits pages suivantes). Ils ont même perdu les heures supplémentaires et les congés payés qu’ils n’ont pas pris à temps – le règlement, c’est le règlement. Certains, qui ont été payés en septembre, ont été sommés de rembourser les quinze jours perçus malgré la suspension. La seule porte de sortie qui leur reste est de démissionner sans le moindre espoir de reprendre le métier qu’ils aiment – et, cela va sans dire, sans la moindre aide financière pour rebondir.

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Ceux qui étaient en arrêt-maladie ne recevaient pas leurs indemnités journalières (versées par l’employeur et non par la Sécu pour les fonctionnaires). Une décision du Conseil d’État du 2 mars 2022 vient cependant de mettre fin à cette injustice supplémentaire : vaccinés ou pas, les soignants (et pompiers) malades seront indemnisés.

La peur n’est pas un crime

En dehors de cette bonne nouvelle, Maud Marian n’a obtenu que de très rares décisions favorables, que ce soit à l’amiable ou au contentieux. Avec ses confrères, elle a mis sur pied une cellule de consultation : « Avec l’AP-HP et l’AP-HM (hôpitaux publics parisiens et marseillais), on se heurte à un mur. Les petits hôpitaux ou Ehpad de campagne où on ne peut pas se permettre de laisser partir les gens, sont plus conciliants. Certains font revenir le personnel suspendu en loucedé. Des directeurs d’hôpitaux ont demandé aux ARS la réintégration de leurs employés. Mais la politique des ARS, c’est “pas de vagues”. »

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Au contentieux, les résultats de ses démarches sont encore plus maigres. Presque toutes les procédures en référé (urgence) introduites devant les tribunaux administratifs pour demander le rétablissement des traitements, notamment pour les mères seules, ont échoué. Il est peu probable qu’elle gagne quand les recours contre les suspensions seront examinés au fond. Certaines juridictions ont même condamné les soignants à payer les frais de justice. Pour les salariés de droit privé, elle a obtenu une seule réintégration aux prud’hommes. Elle cite également le cas d’une infirmière qui avait commencé à travailler en usine et qui a été poursuivie pour cumul d’emplois. On aimerait comprendre en quoi sa nouvelle activité mettait en danger des patients puisque c’est la grande justification invoquée par le gouvernement.

Certes, on peut trouver le refus de la vaccination étrange pour des personnels de santé. On peut au moins entendre leurs raisons : ils ne sont pas antivax, ils avouent simplement avoir peur d’un produit encore en phase expérimentale. Ils ont peut-être tort, mais la peur n’est pas un crime.

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Surtout, l’obligation vaccinale pouvait se comprendre quand on pensait que le vaccin protégeait contre la transmission du virus. On sait maintenant qu’il n’en est rien, ou si peu. Pourtant, le gouvernement ânonne imperturbablement le même mantra : vaccinez-vous pour protéger les autres, ce qui est purement et simplement du foutage de gueule – on me pardonnera d’employer le même langage que le président. Et pour l’heure, aucune suspension des suspensions n’est prévue. La règle ne va pas changer, le président l’a dit clairement à une infirmière en pleurs.

On en arrive donc à des situations ubuesques où des soignants vaccinés mais malades (donc contagieux) peuvent se rendre à l’hôpital, tandis qu’on interdit aux non-vaccinés de travailler, même avec un test négatif. Difficile de ne pas en conclure qu’on veut les punir pour leur rébellion. Il ne s’agit plus seulement d’absurdité administrative mais de sadisme politique.

Mickey et la transidentité

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En Floride, le gouverneur républicain de l’État interdit aux professeurs de relayer la propagande sur la théorie du genre à partir du mois de juillet. Le géant du divertissement Disney est contraint de prendre position.


Signée officiellement le 28 mars par Ron DeSantis, gouverneur républicain de Floride, la « House Bill 1557 » interdit désormais aux enseignants du primaire comme du secondaire d’évoquer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre devant leurs élèves. 

Le texte de loi, surnommé Don’t Say Gay (« ne dites pas gay »), a provoqué une vague de protestations aux États-Unis jusque dans le Bureau ovale. Le président Joe Biden s’est dit consterné par ce vote, réaffirmant que son « administration continuerait à se battre pour la dignité de chaque élève, en Floride et dans tout le pays », rappelant que les « jeunes LGBTQI+ méritent d’être acceptés tels qu’ils sont ».

Un jour mon prince viendra…

Parmi les opposants à ce projet de loi, la voix de Charlee Corra, arrière-petit-fils de Walt Disney, fondateur des studios du même nom, se fait remarquer. Le jeune homme de 30 ans a récemment fait son coming-out transgenre. Héritier du créateur de la souris bien connue Mickey, il a vertement critiqué la « House Bill 1557 », soutenu par ses parents qui ont fait don d’un montant de 500 000 dollars à une association de défense des droits LGBTQI + en guise de protestation. C’est d’une même voix qu’ils ont déclaré « avoir le cœur brisé » depuis la signature du texte de loi. D’autant qu’en tant que professeur de biologie et des sciences de l’environnement, Charlee Corra, qui utilise le pronom « Iels » pour se définir, est le premier concerné par la « House Bill 1557 » ! 

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« J’avais très peu de modèles ouvertement homosexuels [à l’école-ndlr] » a confessé Charlee Corra, au Los Angeles Times et, si « sa condition sociale lui a offert de nombreux privilèges, une grande partie de son adolescence et de sa vie de jeune adulte a été jalonnée par la difficulté d’assumer sa transidentité » a-t-il expliqué à nos confrères, craignant que cette loi ne fasse reculer les droits des homosexuels en Amérique du Nord.

La conversion de la Walt Disney Company

Un coming-out qui a reçu un soutien appuyé mais contraint de la Walt Disney Company, acteur économique de poids dans cet État du Sud-Est. 

Fustigée par certains fans et ses propres employés « déçus, blessés, effrayés et en colère » pour ne pas avoir dénoncé ce texte de loi, la société a dû faire amende honorable. Après s’être excusée, elle a annoncé qu’elle ferait tout pour faire annuler la « House Bill 1557 » aux côtés des associations militantes gays et lesbiennes. Bob Chapek, Directeur général de The Walt Disney Company, a même confirmé dans un email adressé au personnel que l’entreprise cessait de faire des dons aux partis politiques. Une décision qui a fait réagir le Parti Démocrate, très amer. Ce dernier a regretté de telles conséquences, générées selon lui par une loi qui « prend le parti de la haine et de la discrimination et utilise la souffrance des enfants et des familles pour marquer des points auprès de sa base électorale ». Depuis plusieurs mois, différents gouverneurs républicains ont effectivement fait voter des lois du même genre ou limitant l’accès à l’avortement, laissant entrevoir derrière cette série de décisions la main et l’influence de l’ancien président Donald Trump…

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Rien qui ne saurait ébranler le gouverneur de Floride, étoile montante de son parti et potentiel candidat à la prochaine élection présidentielle. « Je me fiche de ce que disent les grands médias ! Je me fiche de ce que dit Hollywood. Je me fiche de ce que disent les grandes sociétés. Je fais face. Je ne reculerai pas » a déclaré Ron DeSantis en brandissant le bouclier de l’ordre moral. La loi entrera en vigueur dès juillet 2022. Tout parent qui estimera qu’un enseignant contrevient à la « House Bill 1557 » pourra le dénoncer à sa direction d’établissement.

Dans une vidéo interne évoquant le projet “Reimagine tomorrow”, ayant fuité dans la presse en mars (voir plus bas), Karey Burke, en charge du contenu chez Disney, promettait que 50 % des personnages principaux des productions Disney seraient dorénavant issus de la communauté LGBT et des minorités raciales. « En tant que mère de deux enfants queer, un transgenre et un pansexuel, je me sens responsable de parler pour eux » précisait-elle alors. 

Rendez-nous de Gaulle sur les marchés de France!

À la télévision, les images de nos dirigeants en campagne vilipendés par des badauds derrière des barrières, ont quelque chose d’avilissant.


Dans la foire d’empoigne qui secoue les derniers jours d’une campagne aphasique, j’ai senti un profond malaise m’envahir. Une vague de dégoût pour notre classe politique si prompte à nous faire la leçon, à nous cornaquer, à nous déposséder, peu à peu, de notre liberté déjà largement écornée. J’avais d’autres ambitions intimes pour mon pays. Par naïveté et nostalgie, j’ai toujours pensé que la France méritait mieux que ces échanges infertiles sur les marchés, à la volée, entre le vendeur de poulets rôtis et la maraîchère. Dans ce Clochemerle qui vire au pugilat verbal, cette chasse aux voix qui précède les moissons pascales, j’ai vu des images indécentes qui heurtent notre citoyenneté. Nous en sommes donc arrivés, là. Á un tel point de non-retour. Une République sur cales qui attend sa révision générale. Hébétés et furieux. Fragmentés et réfractaires. Tristes et, à bout de souffle. Sans vision nationale et sans élan salutaire.

De chaque côté des barrières de sécurité, recroquevillés sur nos certitudes, nous sommes incapables de nous contrôler, d’échanger dignement et de faire passer la moindre once de vérité dans notre regard. La fureur nous submerge quand la raison d’un seul isole. Nos faiblesses collectives crèvent alors l’écran. Nous sommes nus devant les caméras avides de nos déballages. Personne ne sortira vainqueur de ces duels dysfonctionnels et infantiles. Comme si le rendez-vous entre un Homme et un peuple était devenu une mission impossible. Comme si la verticalité du pouvoir, au lieu de nous élever et de nous entraîner, laissait le champ libre à nos instincts les plus honteux. Osons sortir des cours de récréation chahuteuses, il en va de notre santé mentale et démocratique.

Aujourd’hui, nous peinons à refreiner nos pulsions destructrices et nos dirigeants ne parviennent plus à se reconnecter à la Patrie. De part et d’autre, les délices de l’émotion guident nos pas. Et puis cette colère venue de très loin, forcément éruptive et foutraque, amère et incontrôlable face à ce candidat-président à la manœuvre, descendant dans l’arène pour montrer sa combativité et son ardent désir d’expliquer son bilan a quelque chose de malsain. Bannissons ces accrochages improductifs, ils n’apporteront que du désarroi et de la rancœur à la confrontation des idées. Ils laisseront des plaies inguérissables à l’avenir.

Quand les filtres de la bienséance et du respect mutuel disparaissent, le chaos est en marche. Tout le monde y perd, le président qui surplombe tentant de garder son sang-froid et l’anonyme dans la foule qui se défoule. Le spectateur devant son poste se sent sali par ces débordements médiatiques. Dans ces altercations qui font le miel des chaînes info jusqu’à l’ivresse, j’y ai vu la dégradation de la fonction, une soumission aux images, aux vieilles ficelles de la communication spectacle et une mise en scène de nos séparatismes intérieurs. Notre pays n’a pas besoin de pédagogie, de chiffrages, de scories technocratiques, de coups de menton ou d’un autoritarisme de façade dans sa relation avec son futur dirigeant, seulement d’y croire. Juste y croire, un peu. Qu’une sincérité naturelle et une puissance de conviction éclatent enfin au grand jour. La foi dans un message dépend beaucoup de la manière dont le personnel politique se comporte au quotidien. Dans le monde frelaté du virtuel et de la fausse promiscuité, le présidentiable est un VRP qui promène sa mallette programmatique au gré des modes et du vent changeant. Il n’a qu’une obsession fatale : séduire à tout prix. Le charisme ne se commande pas sur Internet. Il est inéquitablement réparti dans les ministères, les hémicycles ou les vestiaires. Pourquoi nos anciens présidents jusqu’au début des années 1980 réussissaient, malgré leurs compromissions et leurs « petites » combines, à inspirer la confiance ? Assurément, nous les craignions un peu, leur parcours cabossé était le signe des êtres à part qui ont lutté et chuté tant de fois avant d’accéder à la tête de l’État. Ils étaient secrets et distants, impressionnants et porteurs d’une mission civilisatrice qui les dépassait. Ils emportaient nos rêves et ne bataillaient pas avec l’homme de la rue.

Imaginez-vous le Général ou Pompidou s’avilir aux discussions de bistrot. Ce n’était pas par morgue, plutôt par incarnation absolue de la fonction. Ils se trouvaient juste à bonne distance. Nous n’attendions rien d’autre de leur part. Leur hauteur de vue n’était pas incompatible avec une justesse de ton. En ce temps-là, nous ne voulions pas faire « copain-copain » avec eux. Ceux qui se sont invités à dîner chez les Français l’ont payé chèrement dans les urnes. Jadis, le magistère intellectuel de nos présidents imposait une forme de retenue et d’admiration. Une certaine confiance également, du moins une autorité morale qui ne s’apprend pas sur les bancs des grandes écoles. Je me souviens que Charles Pasqua avait déclaré, un jour, que les politiques actuels, qui n’avaient pas été frappés personnellement et fort heureusement par les tragédies de l’Histoire, n’auraient plus jamais la même ampleur et la même densité. Nous devons nous satisfaire d’une génération qui ne peut s’extraire du jeu télévisuel, par peur de ne plus exister. Un peu d’allure et de hauteur ne nuisent pas à la qualité des débats. Il faut un certain courage pour refuser la démagogie du « Fight Club ».

La colonisation française, une drôle d’idée

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Il y a quelque temps, je me suis mis dans la tête qu’il me fallait écrire une contre-histoire de la colonisation française. Je fonctionne ainsi : toujours à contre-courant de la pensée dominante, d’où mon insuccès ici-bas et mes nombreuses amitiés au sein des milieux les plus divers et qui se détestent parfois les uns les autres. L’adversité est une école de la vie, elle m’a appris qu’il y a des gens valables et admirables à l’extrême-gauche comme à l’extrême-droite, et que les gens qui se détestent au nom d’une idéologie partagent souvent des points de départs communs : la quête de la justice et de la dignité.

Mon manuscrit est prêt. Il attend un éditeur. Je lui promets d’avance que cette publication suscitera l’ire de Mesdames Taubira, Obono et Diallo. Étant de confession musulmane, je suis habitué aux fatwas et elles ne me font pas peur ! 

Terrain miné

Mon livre n’est ni une ode aux pieds noirs ni un réquisitoire contre le FLN, c’est un voyage au bout de la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. C’est donc un périple en un territoire inconnu, un cheminement en terrain miné. 

Pour me documenter, j’ai navigué au milieu d’une cinquantaine d’ouvrages. Parmi les plus marquants, je cite volontiers Trente-deux ans à travers l’Islam de Léon Roches, une histoire vraie qui raconte la désertion d’un Français d’Algérie, tombé fou amoureux d’une jeune musulmane nommée Khadija (belle et mystérieuse, forcément). Cette désertion le conduira à rejoindre les rangs de l’émir Abdelkader, dont il sera un des proches conseillers. Le livre, au-delà de l’aspect lyrique de l’aventure amoureuse, décrit l’état réel de l’Algérie avant la conquête : une terre fracturée entre plusieurs tribus qui n’ont rien en commun à part la religion musulmane et l’habitude d’obéir aux Turcs.

A lire aussi, Jean Sévillia: «Depuis 40 ans, la France se couche devant le pouvoir algérien»

J’ai également été ravi par Auguste Pavie et sa Conquête des cœurs où l’on apprend que la France a évité le grand remplacement du peuple khmer. Que BHL et Léa Salamé me pardonnent le jour du Jugement Dernier ! Je jure que j’ai caché le livre d’Auguste Pavie au fond du tiroir où je garde ma collection de revues érotiques brésiliennes (il fut un temps où je m’intéressais au tropicalisme dans la photo érotique, mais là c’est une autre histoire… d’appropriation culturelle). Juste pour terminer mon propos : les Khmers se sont littéralement donnés aux Français autour des années 1860-1870, car ils étaient sur le point de se faire engloutir par les Vietnamiens (à l’est) et par les Thais (à l’ouest). La colonisation française a donc été une libération au Cambodge et au Laos.

Mais, une question n’a cessé de me tarauder. Pourquoi est-ce que les Français ont colonisé ? La question est valide car il n’y avait aucune richesse vraiment exceptionnelle dans les pays qu’ils ont conquis. L’Afrique du Nord, à commencer par l’Algérie, est une terre sèche et stérile. L’Indochine n’a rien à offrir à part un peu de charbon (en abondance à Roubaix et à Tourcoing) et son hévéa (une commodity banale sur le marché international). Et les colonies françaises en Afrique ont eu le « mauvais goût » de ne pas offrir de diamants et d’or, contrairement aux dominions britanniques en Afrique du Sud, au Botswana et en Rhodésie.

Les réponses de l’historien Raoul Girardet

Une chose est de s’amuser en plantant son drapeau sur la kasbah d’Alger ou à Tombouctou, une autre est de conquérir systématiquement douze millions de km2 avec l’assurance de n’y trouver aucune ressource de choix à part des moustiques et des coups de sagaies.

C’est dans le livre de Raoul Girardet (1917-2013) que j’ai trouvé la réponse. Intitulé L’idée coloniale, 1871-1962, ce livre retrace la genèse d’une idée folle dont nous ne cessons de payer les conséquences, à commencer par l’invasion migratoire et la honte ressentie par nos enfants sur les bancs de l’école à chaque fois que le mot France est prononcé. Raoul Girardet restitue la naissance de l’idée coloniale dans les esprits des Français et ce qu’il raconte est fascinant. Par souci de synthèse, je n’en restituerai que quelques traits saillants : (1) Tout s’est joué après la défaite de Sedan en 1870 où la France a été amputée de l’Alsace et de la Lorraine, (2) la gauche républicaine a proposé alors d’effacer l’humiliation en se lançant à la conquête de « l’Afrique ténébreuse » et de « l’Asie silencieuse ». Au passage, il s’agissait de détourner l’armée de toute tentative de revanche contre les Allemands et de donner un surcroît de légitimé à un régime né dans la douleur et la peine : la Troisième République. (3) L’opinion publique n’a pas marché dans le coup, les Français se désintéressant totalement des colonies jusqu’au lendemain de la Première Guerre Mondiale. En réalité, ils ont manifesté une réelle hostilité à l’expansion coloniale à ses débuts, comme lors de la prise du Tonkin en 1883-85, (4) nonobstant l’indifférence de l’opinion publique, le lobby colonial a placé ses pions et a tiré les ficelles pour réaliser son agenda, s’emparant en quelques années de la Tunisie, du Congo, de l’Indochine et d’une partie de Madagascar. Placée devant le fait accompli, la classe politique a dû se résigner et rallier l’idée coloniale. La droite, pourtant hostile à la colonisation à ses débuts, s’est couchée autour de 1905.

A lire ensuite, du même auteur: Le grand remplacement tuera la diversité du monde!

Et maintenant, le ressac !

Ça ne vous rappelle rien tout ça ? On dirait l’histoire de l’invasion migratoire des dernières années où VGE et les socialistes ont fait venir les immigrés avant que le RPR ne finisse par se convertir, lui aussi, au credo de « l’immigration, chance pour la France ». D’ailleurs, le lobby colonial, comme le décrit si bien Raoul Girardet, a présenté la colonisation comme une « chance » pour la France sur les plans économiques, géopolitiques et culturels. Une occasion unique en son genre d’éviter « le repli sur soi ».

L’Histoire se répète donc ! Quoi de plus normal lorsqu’on sait que la nature humaine n’a pas changé et que le citoyen n’a toujours pas appris à se défendre contre la manipulation, l’influence et la propagande. Lisez le livre de Raoul Girardet pour accéder à la véritable pensée française, une pensée d’élite, sophistiquée et accessible au grand public. Girardet a eu la vie que j’aurais aimé avoir, se consacrant à ce qu’il y a de plus beau dans les sciences sociales à mon avis : cartographier les émotions et écrire l’histoire de la sensibilité. En effet, ce sont les sentiments qui mènent le monde, les idées n’étant que des cagoules que nous posons à la va-vite sur nos passions et nos aspirations par excès de pudeur.

L'idée coloniale en France 1871-1962

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Ne votez pas pour Mme Le Pen!

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Marine Le Pen à Vernon (27), le 12 avril 2022 © Francois Mori/AP/SIPA

Causeur se joint à l’ensemble de la presse française et apporte sa modeste contribution à la quinzaine anti-fasciste.


Parfois, j’essaie d’imaginer ce qui pourrait arriver si Mme Le Pen était élue présidente.

D’abord, n’ayant pas grand monde autour d’elle, son gouvernement serait composé en partie d’incapables plus ou moins guignolesques. Un peu comme le sont ou le furent, par exemple, Mme Ndiaye, Mme Schiappa, M. Véran ou Mme Buzyn.

Il y aurait aussi quelques ralliés de la dernière heure, comme le fut M. Le Maire qui, quelques jours avant la victoire de M. Macron, expliquait que ledit M. Macron était « une coquille vide ».

Un entourage suspect

Et puis bien sûr, il y aurait des gens, vieux politiciens ou dirigeants de la société civile, qui traîneraient derrière eux des bouquets de casseroles. Un peu comme, par exemple, M. Bayrou, Mme de Sarnez ou M. Ferrand, le roi de l’acrobatie immobilière.

A lire ensuite: Blocages anti-RN dans les facs: «À Rennes ou Nantes, il est périlleux pour un jeune de droite de s’assumer»

Peut-être même trouverait-on dans l’entourage de Mme Le Pen des personnages au passé et à la fonction troubles, des espèces d’hommes de main que l’Elysée protègerait contre vents et marées, allant pour cela jusqu’à demander à des hauts fonctionnaires de mentir et de se parjurer devant une commission sénatoriale. Comme qui dirait, des profils à la Benalla.

Ensuite, la gouvernance de Mme Le Pen serait évidemment marquée par la violence antidémocratique. On pourrait, par exemple, voir des manifestants se faire éborgner par les forces de l’ordre, sous les ordres d’un préfet de police hargneux qui considèrerait que les manifestants et lui « ne sont pas dans le même camp ». Peut-être même que, pour justifier ces violences, le ministre de l’Intérieur irait jusqu’à inventer une prétendue prise d’assaut d’un hôpital par les manifestants, pourquoi pas ?

Un programme antisocial

Cette gouvernance multiplierait évidemment les mesures antisociales. Par exemple, les APL pourraient être réduites, le RSA octroyé à condition de travailler bénévolement 15 ou 18 heures par semaine, et l’âge de la retraite reculé.

Dans le même temps, les impôts pesant sur les plus riches seraient réduits ou supprimés, ce qui permettrait à ces super-riches d’accroître leur fortune de plus de 80% en moins de deux ans, comme ce fut le cas pendant la pandémie de Covid-19.

Des décisions arbitraires et contradictoires sont à craindre

Il se pourrait aussi que, décidant seule ou en compagnie d’un petit cénacle mal identifié, elle multiplie les décisions arbitraires et contradictoires, imposant par décret un jour le port de quelque chose, le lendemain l’interdiction d’autre chose, sans que personne ne puisse en comprendre les tenants et les aboutissants. Dans cette même veine, elle pourrait carrément décider d’exclure de leur travail certains fonctionnaires trop rétifs, et de les faire molester et humilier par la police s’il leur prenait fantaisie de prétendre s’insurger.

A lire ensuite: Emmanuel Macron voit en Marine Le Pen un rhinocéros…

Et n’oublions pas le mauvais goût de Mme Le Pen, qui l’amènerait à faire redécorer les plus belles salles de l’Elysée avec des meubles, des tapis et des tableaux dans le pire style de parvenu levantin. Ou qui lui ferait inviter dans notre palais national, pour la Fête de la Musique, des groupes bruyants et interlopes à peine dignes de se produire dans le cabaret « Chez Michou ». Sans compter qu’elle pourrait aussi – qui sait ? – se faire photographier avec de beaux corps basanés dans des poses exagérément suggestives.

Enfin, je ne vous parle même pas de la façon dont Mme Le Pen pourrait, se soumettant à la doxa libérale de l’UE, brader à vil prix quelques-uns des fleurons de l’industrie française, privatisant les profits tout en mutualisant les pertes pour le plus grand bénéfice de quelques entreprises privées rapidement reconnaissantes. Ou peut-être aussi que, soucieuse de remercier des vieux copains d’école qui l’auraient aidée à gagner l’élection, elle leur renverrait l’ascenseur en commandant à leurs cabinets de conseil des missions dont le prix serait aussi élevé que la finalité en serait floue ?

Oui, il pourrait bien arriver tout ça si Mme Le Pen était élue.

Il ne faut surtout pas voter pour Mme Le Pen.

Voile: petit cours de marxisme appliqué à l’usage d’un khâgneux sous-doué

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Emmanuel Macron à Montpellier le 19/04/2021 © Patrick Aventurier-POOL/SIPA Numéro de reportage : 01015121_000106

« Voilée et féministe » : le « en même temps » a atteint sa cote d’alerte. Il est urgent de ré-expliquer à un certain ex-élève d’Henri-IV, le prétendu lycée de l’élite, les fondamentaux de l’aliénation. Il ne sera pas dit que Causeur, qui est contre tout ce qui est pour et pour tout ce qui est contre, est incapable de faire un petit cours de marxisme appliqué.


« La religion est l’opium du peuple », dit Marx. On connaît la formule (on ne dira jamais assez que Marx est un formidable écrivain, qui manie la métaphore comme personne), mais on ignore souvent qu’elle est tirée d’une analyse très serrée qui se trouve dans la Critique de la philosophie du droit de Hegel, parue en 1843. Voici le texte complet — les grandes fonctions exercées par notre mauvais élève ont pu le lui faire oublier :

« Le fondement de la critique irréligieuse est : c’est l’homme qui fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme. Certes, la religion est la conscience de soi et le sentiment de soi qu’a l’homme qui ne s’est pas encore trouvé lui-même, ou bien s’est déjà reperdu. Mais l’homme, ce n’est pas un être abstrait blotti quelque part hors du monde. L’homme, c’est le monde de l’homme, l’État, la société. Cet État, cette société produisent la religion, conscience inversée du monde, parce qu’ils sont eux-mêmes un monde à l’envers. La religion est la théorie générale de ce monde, sa somme encyclopédique, sa logique sous forme populaire, son point d’honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa consolation et sa justification universelles. Elle est la réalisation fantastique de l’être humain, parce que l’être humain ne possède pas de vraie réalité. Lutter contre la religion c’est donc indirectement lutter contre ce monde-là, dont la religion est l’arôme spirituel. La détresse religieuse est, pour une part, l’expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple. L’abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l’exigence que formule son bonheur réel. Exiger qu’il renonce aux illusions sur sa situation c’est exiger qu’il renonce à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l’auréole. »

A lire ensuite, Didier Desrimais: Voilée et féministe, bah voyons…

Les Grecs, auxquels il faut toujours revenir parce qu’ils ont tout pensé, avaient compris depuis lurette que les hommes ont fait les dieux à leur image — et non le contraire. Ceux qui ont réalisé cette ingénierie sociale qu’on appelle « religion » avaient un projet : dominer le peuple, qui a toujours été l’objet de manipulations — parce qu’au fond, il fait peur.

C’est ce qu’exprime Marx à la première phrase : « C’est l’homme qui fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme ».

Et cet homme, dirait Aristote, est un « zoon politikon », un animal politique. Il n’existe pas en dehors des interactions qui le relient à ses congénères : « L’homme, ce n’est pas un être abstrait blotti quelque part hors du monde. L’homme, c’est le monde de l’homme, l’État, la société. » Une femme voilée n’est pas un être indépendant de ses coreligionnaires, elle en est l’émanation. Au moment même où elle se croit libre, elle est totalement asservie. « Aliénée », dirait le Marx du Capital, c’est-à-dire « étrangère à elle-même ». La religion vous rend « alien » à vous-même, vous devenez un monstre autophage.

Lorsque Marx explique que la religion est « la réalisation fantastique de l’être humain », il faut, comprendre « fantasmatique » : l’être religieux asservi a le fantasme d’être achevé, complet, au moment même où il est dépossédé. Ce qui exprime le mieux cet objectif de la pensée religieuse, c’est l’expérience mystique, celle de Thérèse d’Avila, de Catherine de Sienne ou de Jean de la Croix — et j’avoue, qu’en dehors de ces formes extrêmes, seules honorables parce qu’elles vont au bout de la dépossession de soi, je ne vois dans la religion qu’un processus politique de mise en esclavage. Et dans le voile le symbole de cet asservissement.

A lire ensuite, Cyril Bennasar: Madame, votre problème, c’est vous!

Qu’une femme voilée prétende être féministe est la cerise sur le gâteau, le pompon sur le béret — et une contradiction dans les termes. Que certaines féministes actuelles, au nom de l’intersectionnalité des luttes, revendiquent pour les musulmanes le droit à l’aliénation la plus abjecte, en ce qu’elle consent à ne voir dans la femme qu’un objet de désir à soustraire à l’avidité du désir masculin, prouve au mieux l’inculture, au pire la jobardise de nos nouvelles chiennes de garde. Qu’un candidat à la présidentielle en fasse ses choux gras, est, sans doute de bonne guerre électorale, mais ne plaide guère en faveur de son intellect. Une femme voilée est une femme dominée, contrainte à l’insu de son plein gré à la « servitude volontaire » dont parle par ailleurs La Boétie.

Evidemment, faisons la part du masochisme. « Voyez un peu cet impertinent, qui veut empêcher les maris de battre leurs femmes », s’exclame Martine, l’épouse de Sganarelle, au début du Médecin malgré lui. Et de préciser : « Il me plaît à moi d’être battue » (acte I, scène 2).

J’attends qu’une femme voilée dise tout haut : « Il me plaît d’être humiliée, dégradée, considérée comme un objet qui doit s’excuser sans cesse d’aiguiser le désir masculin, cacher ses cheveux, dissimuler son visage, gommer ses formes, se taire et accessoirement recevoir un tiers de l’héritage, pas la moitié, car enfin, comme disait à la jeune Agnès ce grand misogyne d’Arnolphe dans l’Ecole des femmes :

« Votre sexe n’est là que pour la dépendance :
Du côté de la barbe est la toute-puissance.
Bien qu’on soit deux moitiés de la société,
Ces deux moitiés pourtant n’ont point d’égalité :
L’une est moitié suprême et l’autre subalterne ;
L’une en tout est soumise à l’autre qui gouverne. »

A lire ensuite: Alain Finkielkraut: “Le voile est l’emblème de la sécession”

Oui — mais Molière écrivait cela, en se moquant, en 1662. Et voici que certains répètent au premier degré que « du côté de la barbe est la toute-puissance » — la barbe, simplement, est devenue elle-même un symbole religieux.

Quant à savoir s’il faut interdire ou non le voile dans l’espace public, c’est une autre histoire. Je ne suis même pas sûr que ce soit au peuple, aliéné par définition, d’en décider. Le recours au référendum n’est pas la panacée que l’on croit, c’est juste la possibilité de faire éclore ce que l’homme a de plus bas et de plus instinctif, et notre vision moderne de la démocratie est juste la capacité de flatter ces bas instincts.

Que l’on prétende, pour draguer les électeurs de Mélenchon, que le port du voile est compatible avec le féminisme — qui n’existe pas s’il n’est pas aspiration à libérer la femme de toutes les tutelles —, est une carabistouille qui ne ferait pas illusion dix secondes dans un devoir de khâgne — pas chez un bon élève en tout cas.

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PS. Je supplie mes lecteurs de considérer que Marx est un formidable philosophe, qui post mortem a servi de prétexte à l’idéologie la plus meurtrière du XXe siècle — à son corps défendant. Il n’y a aucun rapport entre marxisme et communisme (ou socialisme), les uns et les autres ignorent la vraie pensée de Marx de la même façon que, nombre de musulmans, parce qu’ils ne lisent pas l’arabe classique, ignorent tout à fait ce qui est écrit dans le Coran. Il a fallu l’Humanisme pour que l’on se soucie de ce qui était réellement écrit dans la Bible. Mais l’islam n’en est pas encore à faire son aggiornamento — sans parler de son Vatican II.

Vous aurez notre compassion

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Le président ukrainien Volodymyr Zelensky s'exprime par visioconférence devant le Congrès américain, Washington, 16 mars 2022 © J.Scott Applewhite / POOL / AFP

À défaut de combattre par les armes, le camp du Bien a d’ores et déjà remporté la bataille de l’émotion. Interdite de médias sociaux, la Russie ne peut diffuser sa propagande. Résultat, les Gafam font de chacun de nous un acteur et une victime du conflit.


Ouvrez un journal ou un téléviseur, écoutez les politiques ou les experts, allez sur les médias sociaux, parlez autour de vous… Quelle est la probabilité que vous soyez confrontés sinon à une opinion pro-Poutine, du moins à des réserves sur la cause ukrainienne ? Sauf à être sur des réseaux alternatifs, membre de communautés antisystème acharnées, les chances (ou les risques) sont presque nuls. Et si une télévision présente un extrait de discours de Poutine ou de ses généraux, ce sera accompagné de commentaires (souvent justifiés) sur leur air figé soviétomorphe ou sur l’absurdité de présenter l’invasion de l’Ukraine comme une opération antinazie.

Rarement a-t-on rencontré une telle unanimité. Dans la désignation des responsabilités de la guerre, et dans l’émotion provoquée par les morts ou réfugiés. Dans la criminalisation morale des agresseurs, et dans l’affirmation que ce sont « nos » valeurs qui sont en jeu. En France et en Occident au moins, car en Inde, en Afrique, dans le monde arabe… (sans même parler de la Chine) ni les médias ni les réseaux ne partagent cet enthousiasme.

Dix règles de la propagande de guerre

Y a-t-il eu des exemples de pareille communion des esprits ? Sans doute au moment de la guerre de 1914-1918. Quelques années après le conflit, un aristocrate anglais (mais travailliste) lord Ponsonby décrivait les dix règles de la propagande de guerre qui venaient de fonctionner pour les démocraties. Elles consistent à dire et à répéter :

1) que l’ennemi veut la guerre, nous pas ; 2 qu’il en est responsable, nous pas ; 3) que c’est un crime moral et pas seulement politique ; 4) que notre guerre est menée au nom des valeurs universelles, la sienne pour ses intérêts cupides ; 5) qu’il commet des atrocités ; 6) qu’il utilise des armes illicites ; 7) que ses pertes sont énormes ; 8) que notre cause est sacrée ; 9) que les autorités morales et culturelles l’approuvent ; 10) que quiconque doute des neuf points précédents est victime de la propagande adverse (tandis que nous ne pratiquons que la très véridique contre-propagande).

A lire aussi : Guerre en Ukraine: que va-t-il rester du soft power russe en France?

Les Occidentaux: meilleurs propagandistes que les Russes ?

Il y a certes une énorme différence : aucun membre de nos familles n’étant dans les tranchées, nous vivons par procuration la souffrance des Ukrainiens. Pour le reste, il semble que la rhétorique de guerre n’a pas tant changé en un siècle. Les lois de Ponsonby fonctionnent, pourvu qu’il y ait un adversaire assez repoussant et un accord assez fort sur nos croyances morales et idéologiques. C’est devenu un lieu commun de dire que toute guerre par le fer et par le feu est accompagnée par une guerre de l’information, de l’image et de l’émotion. Or il semble bien que notre camp gagne les trois dernières. Le consensus ne fonctionne que si le discours du dissensus est impuissant. Ce qui était tout sauf évident il y a quelques mois.

Rassemblement pour la paix en Ukraine, Lyon, 6 mars 2022 © KONRAD K./SIPA

En effet, depuis au moins 2016, on prêtait un singulier impact à la guerre de l’information du Kremlin. Elle aurait notamment été responsable de l’élection de Trump, du Brexit, du référendum de Catalogne et des succès des populismes. Il s’est écrit énormément d’études sur les capacités de services de Moscou en matière de cyberstratégie et d’influence. Elles leur attribuaient (à eux ou à des groupes dits « proxys » leur servant de mercenaires) de fabuleuses capacités de sabotage par écrans interposés, voire le plan de paralyser un pays entier dans une cyberguerre. On les créditait aussi d’une influence redoutable sur l’opinion occidentale. À travers des réseaux humains, ses agents d’influence et des partis populistes complices, ils pouvaient favoriser les tendances idéologiques les plus perverses. Sans oublier leurs médias internationaux comme Russia Today (interdits depuis dans l’UE). Plus les dispositifs numériques avec leur terrifiant pouvoir de perturbation : fake news, milliers de trolls ou de faux comptes… Des chercheurs américains expliquaient même que Poutine soutenait, via ces faux comptes sur internet, indifféremment des extrémistes de tous bords (suprémacistes et Black Lives Matter par exemple), dans le but d’exacerber les contradictions des démocraties et de saper la confiance. Et déjà, dans la perspective de l’élection présidentielle de 2022, donc d’une inévitable intrusion de Moscou pour fausser les résultats, notre pays créait des institutions comme Viginum, chargé de nous protéger des ingérences via les réseaux sociaux, et de détecter le trajet suspect de l’infox venue de l’Est.

A lire aussi : Dans l’enfer des “fake news”

Pour dire le moins, rien ne démontre le moindre succès poutinien pour nous persuader que c’est l’impérialisme otanien qui est la cause de tout et que l’opération militaire (ne dites pas la guerre) se déroule comme prévu. Mieux, les autorités russes, menacées sur leur propre territoire informationnel, adoptent des lois hyper-répressives quant à l’emploi de certains mots, assimilés à la puissante propagande de l’Ouest. Elles finissent par y interdire Facebook et Instagram pour extrémisme : or les plateformes signalaient comme mensongers des contenus officiels russes et censuraient les médias russes chez eux. Moscou crée même ses propres sites pour dénoncer les fausses informations occidentales en ligne (waronfakes.com), mais c’est sans effet sur la masse immense des images d’atrocités qui circulent. Certaines sont véridiques, certaines truquées : il en est de favorables aux deux camps, mais vite repérées par les dispositifs internationaux de « fact-checking ». Quand les pro-Russes font circuler quelques vidéos de nazis du bataillon Azov ou de pro-Russes attachés et fouettés, tout cela est noyé par le flot des images qui s’accumulent heure par heure et qui nourrissent notre compassion. La surabondance des images et des messages n’est pas le facteur le moins déterminant pour gagner les cœurs et les esprits.

Les GAFAM, l’adversaire le plus redoutable de Poutine ?

Parmi les facteurs qui expliquent cette asymétrie, certains relèvent de la technologie numérique.

Le premier est l’intervention des Gafam. Après avoir interdit le compte de Trump, les grands du Net se sont engagés – moitié par conviction sincère, moitié pour ne pas apparaître comme les fourriers du mensonge et de la violence – contre le trio infernal : fausses nouvelles ou désinformation, discours de haine, complotisme… En particulier, Facebook qui censure la propagande poutinienne, retire les comptes pro-Kremlin, décide quelles images et nouvelles participent de la désinformation, mais assume une certaine indulgence – très en retrait par rapport aux principes sur les discours de haine – pour les appels à la violence envers les soldats russes…

Quoi que l’on pense moralement de cette attitude, elle confirme que les grands du Net possèdent un pouvoir jusque-là inconnu : décider ce qui atteindra nos écrans donc nos cerveaux, conférer au message le statut de véritable ou de pensable. Quand les médias classiques sont unanimement rangés dans le camp du bien et quand les moteurs de recherche retirent ou déclassent la présumée désinformation de Moscou (il y a un néologisme pour cela : « déplateformer »), cette dernière devient inefficace parce qu’inaccessible. L’engagement des Gafam traduit un droit de fait : contrôler l’attention. Et ce via la circulation, la sélection et la réception des messages, en s’appuyant sur leurs conditions générales d’utilisation qui sont la loi des internautes, plus leurs algorithmes, leurs modérateurs, leur intelligence artificielle, etc. Ce pouvoir l’emporte sur le vieux pouvoir politique d’interdire et de faire croire. Ou sur les vieux médias. Du coup, les médias d’influence internationale soutenus par l’État, comme Russia Today, fuient le bannissement sur des plateformes alternatives, comme de vulgaires activistes ou contestataires, où ils rencontrent de vrais antisystèmes, plus ou moins antivax ou complotistes.

A lire aussi : Était-il judicieux de fermer RT France?

Tous Ukrainiens par identification

L’autre grande innovation est que – sur les plateaux de télévision ou sur les réseaux – nous vivons la guerre « vue du sol » par le témoignage des bombardés, non du point de vue des bombardiers comme pendant la guerre du Golfe (effet CNN). Les internautes ukrainiens, souvent francophones et sympathiques, coincés dans leur cave mais connectés au web, ont maintenant le quasi-monopole de l’expression. L’image de la souffrance interpelle et force à adopter le point de vue dont nous ne pouvons douter, celui de la victime (ce qui ne fut pas le cas des Houthis ou des Arméniens du Karabagh). Le principe du réseau – tous émetteurs, tous témoins, chacun pouvant s’informer auprès de gens qui lui ressemblent et non verticalement dans la sélection qu’imposent les médias de masse – fonctionne à plein. Il est intrinsèquement favorable à la victimocratie qui parle le langage universel de la souffrance. L’indignation – le fait de souffrir de l’injustice faite à un autre – est sans doute le sentiment le plus contagieux par de telles voies. Surtout quand il est facile de s’identifier à un camp et de rejeter l’autre, et que compassion et médiatisation coïncident.

A lire aussi : Pourquoi Vladimir Poutine voit-il des «nazis» en Ukraine?

Noyer d’images, c’est bien, avoir une icône planétaire, c’est mieux. Le facteur Zelensky joue aussi à plein. Pour la scénarisation – ambiances nocturnes dramatiques, T-shirt de combattant, barbe de héros ; pour le format – des vidéos courtes destinées à devenir virales ; par le choix des registres : peuple martyr et citoyens combattants, valeurs de l’Occident et risque de génocide, refus de la barbarie et force de la démocratie ; par sa capacité de s’adresser (magie des télétransmissions) aujourd’hui aux assemblées de tous les pays ou à des manifestants solidaires, demain à vous, les yeux dans les yeux, sur l’écran de votre portable. Implicatif (nous sommes comme vous, vous êtes concernés) et performatif (il incarne un peuple auquel s’identifier, même si notre héroïsme doit se manifester depuis notre salon)… Rhétorique parfaite et logistique impeccable, message percutant et relation humaine font du président ukrainien l’homme le plus influent de la planète au moment où nous écrivons.

Quand l’idéologie et la technologie se combinent, quand le choix des médias et celui du politique s’accordent, quand les forces spirituelles et les conditions matérielles sont favorables, et surtout quand l’ennemi semble plus repoussant que l’URSS de la guerre froide, tout rassemble. Mais il est vrai que c’est à distance, par écrans interposés et dans une phase où l’opinion occidentale est encore loin d’éprouver les conséquences de la guerre sur ses intérêts et sa vie.

Paroles de parias

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Sonia (aide-soignante), Rachid (aide médico-psychologique), Virginie (auxiliaire de puériculture) et Maud Marian (avocate) © Hannah Assouline

Leur courage et leur dévouement ont été applaudis pendant les grandes vagues de Covid : les soignants étaient en première ligne dans des hôpitaux sous-équipés. Parmi ces hommes et ces femmes, certains ont refusé, par peur ou conviction, de se faire vacciner. Ils le paient au prix fort.


Licenciée car non-vaccinée

Sonia, 42 ans. Mère célibataire de trois enfants, elle ne touche pas de pension alimentaire et ne pouvait compter, jusqu’au mois dernier, que sur son salaire de 1 850 euros. Aujourd’hui aidée financièrement par des amis et des parents, cette ex-aide-soignante aux urgences du centre hospitalier intercommunal Meulan-Les Mureaux (CHIMM) assume son choix. Elle a préféré être suspendue (comme 80 autres personnes de l’établissement), puis licenciée plutôt que d’être vaccinée. « Je ne suis pas complotiste mais réaliste, j’ai les pieds sur terre. Pas besoin de tutelle du gouvernement. On n’est pas sous-développé du bulbe, on est des professionnels de santé ! D’ailleurs, mon carnet vaccinal est à jour. Je ne suis pas une antivax, je suis une anti-injection expérimentale ! ».

Sonia, aide-soignante © Hannah Assouline

Sonia a de nombreux collègues qui, pour ces raisons, se sont fait faire de faux passes afin de poursuivre leur activité. D’autres, comme elle, « ont choisi d’assumer leur décision sans faux-semblants pour ne pas entrer dans les statistiques. Je ne veux pas être une statistique ! J’ai eu deux fois le Covid, en mars 2020 et en décembre 2021, mais je n’ai même pas téléchargé le passe de la SI-DEP. Je ne veux pas brandir un passe, tel un sésame, pour aller où bon me semble. Le passe ne prouve pas qu’on est en bonne santé. Il y a dans nos services des patients en stade terminal qui ont un passe valide. »

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Soignants suspendus, un scandale d’État?

Sa hiérarchie n’a pas apprécié son côté grande gueule et ses prises de position publique. Dès le début de la pandémie, Sonia a organisé des rassemblements devant son hôpital pour dénoncer des conditions de travail indignes. « Ça n’a pas plu. Après un arrêt pour maladie professionnelle, mon syndicat [CGT] m’a dénoncée auprès de la direction pour des vacations faites en 2020. J’ai été licenciée pour “accumulation d’emplois”. Pour payer mon loyer et élever mes enfants, j’étais obligée de travailler plus. J’étais inscrite au sein de mon établissement sur la liste des volontaires qui veulent effectuer des heures supplémentaires, mais ils préfèrent appeler des vacataires plutôt que des membres de l’hôpital ! J’ai donc dû faire des vacations dans d’autres structures médicalisées. » Son syndicat n’a pas assisté à la commission disciplinaire qui l’a licenciée fin novembre. Elle cherche, depuis, un emploi en phase avec sa vocation de soignant mais, même en travailleur indépendant, lorsqu’on n’est pas vacciné, c’est mission impossible.

Vacciné contre son gré

Rachid est aide médico-psychologique dans un hôpital des Yvelines. Seul avec sa mère handicapée à charge, il s’est résigné à se faire « injecter », mais milite toujours contre cette obligation en manifestant, chaque semaine, avec le collectif Soignants unis. Il en est devenu le « visage ».

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L’indifférence médiatique et politique qui entoure leur mouvement alimente une amertume doublée de colère : « Personne n’a conscience de la peur que nous avions lors de la première vague, lorsqu’on nous demandait d’aller travailler sans matériel ni protection et que les télés diffusaient en boucle les images de milliers de morts en Chine et en Italie. Chaque jour, j’avais la chair de poule en mettant ma blouse. » Pour lui, c’est cette cicatrice qui explique leur détermination. « Face à notre dévouement total à la nation en échange de notre santé, on pensait vraiment qu’on ne nous laisserait pas tomber. D’autant que nous avons aussi été les premiers à dire que la vaccination n’empêchait ni la contamination ni la transmission ! »

Rachid, aide médico-psychologique © Hannah Assouline

La récente annulation par le Conseil d’État des rares ordonnances de tribunaux administratifs prononcées en faveur des salariés suspendus est pour lui « un nouveau coup de poignard ». Il est aussi choqué qu’on bafoue les valeurs qui sous-tendent sa vocation. « Lors de nos études, nous suivons des formations sur le “consentement libre et éclairé” de nos patients [loi Kouchner], sur le secret médical, etc. Mais depuis deux ans, on nous dit d’oublier tout ça. C’est dégueulasse. »

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Ce qu’il craint également, c’est que l’hôpital retourne la situation et explique que ce sont ces soignants suspendus qui empêchent le système de fonctionner. « On ne demande qu’à travailler ! » martèle Rachid avant de rappeler qu’au plus haut de l’épidémie, « le gouvernement a fermé 5 700 lits, soit 17 600 depuis le début du quinquennat. En trente ans, nous avons perdu 100 000 lits : c’est la fin du service public. »

Comme souvent, des collègues et des syndicats aux abonnés absents

Virginie était auxiliaire de puériculture en crèche hospitalière à l’hôpital de Poissy. Elle a été suspendue à l’issue de sa journée de travail le 16 septembre 2021. « L’entretien avec la DRH a été particulièrement désagréable parce que j’ai refusé de signer cette suspension. Je l’ai donc reçue par courrier recommandé. Avant d’en arriver là, j’ai passé un mois d’août horrible, continuellement humiliée par mes collègues qui me disaient : “Garde ton masque, tu vas nous contaminer” ou encore “Tu vas faire quoi en septembre, parce que tu n’auras plus de salaire, ça va être dur pour toi !”. Aucune solidarité : j’ai vraiment été traitée comme une pestiférée alors que pendant cinq ans j’ai toujours travaillé correctement, on ne m’a jamais rien reproché, je n’ai jamais eu d’arrêt maladie… »

Virginie, auxiliaire de puériculture © Hannah Assouline

L’hôpital de Poissy aurait suspendu 135 personnes dans la même situation que Virginie. Aujourd’hui, elle vit avec le RSA. « Mon interlocutrice à la CAF [Caisse d’allocations familiales] n’a pas compris ma situation, elle n’avait jamais vu ça. Et malgré sa bonne volonté, je n’ai commencé à le toucher qu’en janvier 2022. »

Sans l’aide financière de quelques amis, sa vie serait impossible : son loyer s’élève à 1 000 euros et elle ne perçoit que 400 euros d’APL. Depuis le 16 septembre, elle est en arrêt maladie non indemnisé, la médiation lancée par son avocate n’ayant abouti à rien. Même dans cette situation, elle n’a reçu aucun soutien de ses ex-collègues et des syndicats. « Sans les bénévoles des collectifs locaux, comme les Blouses blanches 78, j’aurais été seule au monde. » À 40 ans, dégoûté du système, elle souhaite entamer une reconversion pour devenir directrice de micro-crèche.

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[Vos années Causeur] Une déclaration d’amour (de plus) à ceux qui font « Causeur »

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© Causeur

À l’occasion de notre numéro 100, Stéphane vous parle de ses années Causeur…


Vous aimez la France, son histoire, sa culture, sa civilisation ? Vous ne ressentez pas d’hostilité particulière envers Israël, et vous trouvez que l’Azerbaïdjan est un bien beau pays ? La fidélité en amitié est une qualité que vous appréciez, et vous comprenez que la patronne d’un journal écrive ou publie 257 articles en soutien d’un ami philosophe accusé d’indulgence envers le coupable dans une sombre affaire de mœurs ? Vous acceptez d’être confronté à des points de vue différents du vôtre, voire provocateurs, par exemple sur la corrida ou le Covid, et à des éditoriaux politiques communistes ?

Vous aimez lire des articles abordant des sujets très variés tels que l’immigration, l’islamisme, l’insécurité, le wokisme, l’immigration, l’islamisme, l’insécurité, le wokisme, l’islamo gauchisme, l’immigration… Vous n’êtes pas un fervent admirateur de Macron, la gestion de la ville de Paris par Anne Hidalgo ne provoque pas en vous un enthousiasme débordant, et les humoristes de France Inter ont du mal à vous dérider. Les beaux yeux d’Elisabeth Lévy, et sa prose inspirée qui pourfend les rien-pensants, ne vous laissent pas insensible. Alors lisez Causeur !

À lire aussi: Causeur n°100: Et si ce n’était pas lui?

Vous y trouverez des articles écrits par des journalistes professionnels, mais aussi des chroniques tenues par une grande diversité de rédacteurs : certains sont des disciples de grands penseurs, tels que Plutarque (Aurélien Marq) ou Max Pécas (Thomas Morales), d’autres sont des professeurs (dont un normalien fier de l’être, Corse et corsé), un menuisier viril et anar (tendance droitière), un ancien haut magistrat fort pondéré, un amateur d’art et de musique, un éthologue, et j’en passe et des meilleurs.

Vous aurez aussi accès à un excellent forum, lieu de discussions animées, fréquenté par de nombreux jeunes gens d’une soixantaine ou septantaine d’années, souvent intelligents, cultivés, et ayant le sens de l’humour, et par quelques trolls au rosé peu imaginatif luttant vaillamment contre les bandes de la fachosphère censées y sévir. Certains rédacteurs de Causeur (Messieurs Leroy et Brighelli, parfois Monsieur Mihaely) viennent y répondre aux critiques parfois vives qui leur sont adressées, bravo à eux de descendre dans cette arène.

On regrette la disparition (dans les colonnes de Causeur) d’Alain Finkielkraut (à qui on souhaite un bon rétablissement) ; on aimerait que quelques nouvelles grandes « plumes » viennent renforcer la rédaction, mais on félicite chaleureusement Causeur et sa joyeuse équipe pour leur courage et l’ensemble de leur œuvre et on espère pouvoir fêter le numéro 200 dans quelques années, dans une France en reconquête, à nouveau fière de son identité et ayant retrouvé les jours heureux…

PS : J’espère que cette contribution à la fête du « numéro 100 » sera jugée favorablement par les hautes sphères de Causeur : les meilleurs auteurs gagneront un abonnement numérique de 3 mois, d’une valeur de 11,40 euros ! Ventre saint-gris ! Voilà qui vaut le coup de faire un effort et de travailler son style !

“En même temps”: une vaste duperie mentale

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Emmanuel Macron à Marseille, 16 avril 2022 © Jacques Witt/SIPA

Contraint de chasser les voix d’extrême gauche en conservant en même temps les voix de la droite, le président se complait sans complexe dans son “en même temps”. Technique hypnotique qui n’est pas sans rappeler la doublepensée de Big Brother… Explications.


Notre président-philosophe aime à citer les grands auteurs :

Le “quoi qu’il en coûte”, du discours “We shall fight on the beaches” de Churchill. Le 4 mai 1940 en pleine campagne de France, le Premier ministre britannique déclarait à Westminster: « Nous irons jusqu’au bout, nous nous battrons en France, nous nous battrons sur les mers et les océans, nous nous battrons avec toujours plus de confiance ainsi qu’une force grandissante dans les airs, nous défendrons notre Île, quoi qu’il en coûte ».

Comment oublier sa reprise du “qu’ils viennent me chercher !”, lancé en 1814 par Napoléon[1] sur l’île d’Elbe quand on vint lui dire que les Français le regrettaient, et que l’empereur déchu répondit : « S’ils m’aiment tant, qu’ils viennent me chercher » ?

Même son “maître des horloges” est piqué à Bernard Attali, frère jumeau de son mentor, qui écrivait « Le rôle de l’homme politique, maître des horloges, c’est d’éclairer l’horizon, de distinguer l’important de l’urgent, de rappeler les valeurs, de montrer le cap, et de tenir bon »[2].

En revanche, on est en mal de trouver à qui Emmanuel Macron à emprunté son “nous sommes en guerre”. Cette phrase n’a été prononcée ni par De Gaulle ni par Churchill qui avaient, eux, pourtant, beaucoup plus de légitimité à l’employer que le président français en temps de paix. C’est bel et bien dans… 1984, qu’on trouve cette phrase : “Ce que je veux dire, c’est que nous sommes en guerre”.  Il est troublant de noter que le mot “guerre” est présent 139 fois dans le roman d’Orwell. Or il désigne une guerre en Eurasia dont on n’est pas plus sûr qu’elle ait eu plus lieu qu’en France en 2020. La fausse guerre de Macron pour désigner la pandémie s’apparente bel et bien à celle du roman d’Orwell dans lequel « peu importe que la guerre soit réellement déclarée (…). Tout ce qui est nécessaire, c’est que l’état de guerre existe ».

La doublepensée et le “en même temps” d’Emmanuel Macron

Naturellement, d’autres livres et d’autres personnalités se sont déclarés “en guerre”. Mais peu l’ont dit en sachant que c’était faux. Une fois le nez dans le roman d’Orwell, édité l’an dernier dans la Pléiade, on peut aussi y trouver le “en même temps” qui rappelle bel et bien le président français.

En effet, peut-on encore croire à une coïncidence, en découvrant sa parenté avec la doublepensée de Big Brother ? La doublepensée est définie ainsi : “Retenir simultanément deux opinions qui s’annulent alors qu’on les sait contradictoires et croire à toutes deux. Employer la logique contre la logique. Répudier la morale alors qu’on se réclame d’elle…” Cela ne vous rappelle-t-il vraiment personne ? Même dans ces phrases ou l’esbroufe semble prendre le pas sur la complexité ? Citons Emmanuel Macron dans ces phrases dont il a le secret :

  • “Après avoir été en même temps en danger et protégés, les Français doivent regarder en même temps vers le passé et vers l’avenir”;
  • “Le féminisme est un humanisme et (…) défendre la dignité des femmes, les droits des femmes, c’est en même temps défendre la dignité et les droits des hommes”;
  • “Depuis longtemps, je sais qu’ici, on est fier d’être Breton, on est fier d’être Français, en même temps on est aussi fier d’être Européen”. (Quimper 21/06/2018)

A lire aussi, Ingrid Riocreux: Révisons les figures de style avec Emmanuel Macron

Beaucoup a été dit sur le discours de Macron qu’on a pu qualifier d’attrape tout. On peut aussi, comme l’écrivait le psychanalyste Roland Gori dans Libération, avancer que cet en même temps est une pensée de la « complexité » qui dépasse les anciens clivages. Stratégie qui portait la promesse de réconcilier les Français.

Revenons à notre Mozart. L’efficacité du “en même temps” en tant que “ramasse-tout” idéologique permet de dire tout et, en même temps son contraire, pour rallier les Français et les Françaises du pour et… ceux du contre. Sans se risquer à fâcher les autres.

On note ainsi dans ses saillies une fausse complexité axée sur l’oxymore. Dans 1984, la doublepensée use justement de ces astuces. Big Brother proclame ainsi que “la guerre c’est la paix”, “la liberté est esclavage” ou que “l’ignorance est puissance”. Cette “doublepensée” n’est-elle pas reprise à merveille par Emmanuel Macron dans son “Soyons fiers d’être des amateurs” lors de la campagne de 2017 jusqu’à “l’Europe souveraine” de la présidence française du conseil européen de 2022 ?

Le chef d’œuvre d’Orwell, est de fait truffé d’”en même temps”, synthèse de cette doublepensée :

  • “Croire en même temps que la démocratie est impossible et que le Parti est gardien de la démocratie.”
  • “Le Parti prétendait, naturellement, avoir délivré les prolétaires de l’esclavage. (…) Mais en même temps que ces déclarations, en vertu des principes de la double-pensée, le Parti enseignait que les prolétaires étaient des inférieurs naturels, qui devaient être tenus en état de dépendance, comme les animaux.”
  • “Le Times du 19 décembre avait publié les prévisions officielles (…) au cours du quatrième trimestre 1983 qui était en même temps le sixième trimestre du neuvième plan triennal”
  • “Comme d’habitude, les groupes directeurs des trois puissances sont, et en même temps ne sont pas au courant de ce qu’ils font”

Bref, comme le résume Orwell “les plus subtils praticiens de la doublepensée sont ceux qui l’inventèrent et qui savent qu’elle est un vaste système de duperie mentale.”

Effet de sidération

La dystopie d’Orwell indique que la doublepensée est un acte d’hypnose. “Pour se servir même du mot doublepensée, peut-on lire dans 1984, il est nécessaire d’user de la dualité de la pensée, car employer le mot, c’est admettre que l’on modifie la réalité. (…) C’est par le moyen de la doublepensée que le Parti a pu et (…) pourra, pendant des milliers d’années, arrêter le cours de l’Histoire. (…) L’œuvre du Parti est d’avoir produit un système mental dans lequel les deux états peuvent coexister”.

A lire ensuite, Marion Maréchal: «Macron, c’est la négation de la politique»

Or, si Orwell explique qu’il s’agit de “persuader consciemment l’inconscient, puis devenir ensuite inconscient de l’acte d’hypnose que l’on vient de perpétrer”, on peut émettre l’hypothèse que le “en même temps” fonctionne par la sidération créée par sa complexité factice. Esbroufe augmentée encore par le “celles-et-ceux” qui vient renforcer la confusion du “en même temps”, et permet de saturer l’attention par ses contradictions. L’”en même temps” sature le cerveau et empêche toute réplique par effet de sidération.

Les médecins savent, en effet, que le cerveau peut être rapidement saturé. Ainsi, la neurologie a démontré qu’il était aisé d’encombrer l’esprit d’une tâche très gourmande en capacité de calculs. Ces “mental tricks” sont d’ailleurs repris par les mentalistes dans leurs tours de suggestions. Ainsi, par exemple, le Britannique Derren Brown, dans une célèbre vidéo réussit à payer une bague de 4500$ avec une petite liasse de… papiers blancs ! Le secret : au moment de payer, le mentaliste noie le bijoutier sous une avalanche de questions sur la station de métro la plus proche et son accès. Or ces questions d’orientation, ainsi que le langage, sont des tâches gourmandes en bande passante qui monopolisent le cerveau qui, de fait, néglige les tâches plus simples et routinières. Et ce bijoutier compte les morceaux de papier et les encaisse sans sourciller.  Bref, il s’agit d’obtenir par saturation, sinon le consentement, une adhésion par négligence ou par forfait. Il est essentiel aujourd’hui de se méfier de ces faux-monnayeurs de la pensée politique.

1984

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[1] Jacques Bainville, “Napoléon” – 1936

[2] Bernard Attali, Si nous voulions – 2014

Soignants suspendus, un scandale d’État?

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Emmanuel Macron et Olivier Véran visitent l’hôpital de La Timone à Marseille, 2 septembre 2021 © Sarah Meyssonnier / Pool / AFP

Des milliers de soignants et de pompiers qui refusent le vaccin contre le Covid ont perdu, avec leur capacité d’exercer leur métier, leurs revenus et tous leurs droits. Or, cette règle qui paraissait légitime quand on espérait que le vaccin empêchait la contamination est d’autant plus absurde que les soignants vaccinés et malades peuvent travailler.


Ce sont des milliers de drames à bas bruit. Des vies en miettes qui n’intéressent guère les médias. Ils étaient infirmiers, aides-soignants, psychologues, sages-femmes, médecins, pompiers, agents administratifs. On cite même le cas d’un employé qui lavait des voitures dans l’hôpital d’une petite ville du centre de la France. Fonctionnaires ou salariés de droit privé, la plupart avaient choisi leur métier par vocation, parce qu’ils aiment, disent-ils, s’occuper des autres. Pendant la première vague de l’épidémie, beaucoup sont allés travailler la peur au ventre.

Il est vrai qu’ils ne fuient pas sous les bombes. Et puis, beaucoup de gens se disent qu’ils sont responsables de leur malheur. S’ils ont perdu leur logement, divorcé, s’ils sont frappés d’interdiction bancaire et se nourrissent grâce aux Restos du cœur, ce n’est pas à cause de Poutine mais parce qu’ils refusaient de se faire vacciner.

Des syndicats aux abonnés absents

Le 15 septembre 2021, jour de l’entrée en vigueur de l’obligation vaccinale pour les soignants, inscrite dans la loi du 5 août, leur existence a viré au cauchemar. À entendre leurs récits, on a l’impression qu’il ne s’agissait pas simplement de les emmerder, comme l’a aimablement dit Emmanuel Macron, mais de les humilier, voire de les briser. Ils racontent le harcèlement de leurs supérieurs, le chantage, parfois les insultes et pour finir, des entrevues glaçantes au terme desquelles ils ont été jetés sans un mot de reconnaissance pour le travail accompli. En prime, ils n’ont pas reçu le moindre témoignage de solidarité de leurs collègues et encore moins des syndicats, aux abonnés absents sur ce dossier. « Pestiférés », c’est le mot qui revient le plus souvent dans leur bouche.

A lire aussi : Faut-il rendre obligatoire la vaccination des soignants?

Leur triste sort a ému Maud Marian, qui fait partie d’un collectif de plusieurs dizaines d’avocats officiant dans toute la France. Difficile de savoir combien de personnes ont été suspendues. En septembre, Olivier Véran parlait de 3 000 à 5 000. Dans une tribune réclamant leur réintégration, signée par une trentaine de parlementaires, il est question de 15 000 soignants et de 6 000 pompiers.

L’avocate nous reçoit dans son bureau du centre de Paris, qui évoque plutôt une administration que le luxe feutré qui règne chez certains de ses confrères. Visiblement, Maître Marian fait dans le social. Les quelques soignants suspendus qu’elle a réunis ce jour-là, comme sans doute les 500 autres dont elle s’occupe – gracieusement – lui vouent une gratitude émue : elle est la seule qui semble se soucier de leur détresse, la seule à se battre pour eux. « Normalement, explique-t-elle, en droit français, quand on modifie les conditions d’accès à une profession, on propose un licenciement. Là, on a inventé la suspension qui n’existait jusque-là que dans le domaine disciplinaire. » Or, cette suspension signifie zéro droit : bien sûr, les suspendus ne touchent ni salaire ni traitements. Ce sont des « mois blancs » pour la retraite. Ils ne sont pas éligibles à l’assurance-chômage ni même au RSA, sauf exception due à la compréhension d’un agent (voir les portraits pages suivantes). Ils ont même perdu les heures supplémentaires et les congés payés qu’ils n’ont pas pris à temps – le règlement, c’est le règlement. Certains, qui ont été payés en septembre, ont été sommés de rembourser les quinze jours perçus malgré la suspension. La seule porte de sortie qui leur reste est de démissionner sans le moindre espoir de reprendre le métier qu’ils aiment – et, cela va sans dire, sans la moindre aide financière pour rebondir.

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Ceux qui étaient en arrêt-maladie ne recevaient pas leurs indemnités journalières (versées par l’employeur et non par la Sécu pour les fonctionnaires). Une décision du Conseil d’État du 2 mars 2022 vient cependant de mettre fin à cette injustice supplémentaire : vaccinés ou pas, les soignants (et pompiers) malades seront indemnisés.

La peur n’est pas un crime

En dehors de cette bonne nouvelle, Maud Marian n’a obtenu que de très rares décisions favorables, que ce soit à l’amiable ou au contentieux. Avec ses confrères, elle a mis sur pied une cellule de consultation : « Avec l’AP-HP et l’AP-HM (hôpitaux publics parisiens et marseillais), on se heurte à un mur. Les petits hôpitaux ou Ehpad de campagne où on ne peut pas se permettre de laisser partir les gens, sont plus conciliants. Certains font revenir le personnel suspendu en loucedé. Des directeurs d’hôpitaux ont demandé aux ARS la réintégration de leurs employés. Mais la politique des ARS, c’est “pas de vagues”. »

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Au contentieux, les résultats de ses démarches sont encore plus maigres. Presque toutes les procédures en référé (urgence) introduites devant les tribunaux administratifs pour demander le rétablissement des traitements, notamment pour les mères seules, ont échoué. Il est peu probable qu’elle gagne quand les recours contre les suspensions seront examinés au fond. Certaines juridictions ont même condamné les soignants à payer les frais de justice. Pour les salariés de droit privé, elle a obtenu une seule réintégration aux prud’hommes. Elle cite également le cas d’une infirmière qui avait commencé à travailler en usine et qui a été poursuivie pour cumul d’emplois. On aimerait comprendre en quoi sa nouvelle activité mettait en danger des patients puisque c’est la grande justification invoquée par le gouvernement.

Certes, on peut trouver le refus de la vaccination étrange pour des personnels de santé. On peut au moins entendre leurs raisons : ils ne sont pas antivax, ils avouent simplement avoir peur d’un produit encore en phase expérimentale. Ils ont peut-être tort, mais la peur n’est pas un crime.

A lire aussi : La journée de Gilbert, fanatique du passe vaccinal et covido-suprémaciste

Surtout, l’obligation vaccinale pouvait se comprendre quand on pensait que le vaccin protégeait contre la transmission du virus. On sait maintenant qu’il n’en est rien, ou si peu. Pourtant, le gouvernement ânonne imperturbablement le même mantra : vaccinez-vous pour protéger les autres, ce qui est purement et simplement du foutage de gueule – on me pardonnera d’employer le même langage que le président. Et pour l’heure, aucune suspension des suspensions n’est prévue. La règle ne va pas changer, le président l’a dit clairement à une infirmière en pleurs.

On en arrive donc à des situations ubuesques où des soignants vaccinés mais malades (donc contagieux) peuvent se rendre à l’hôpital, tandis qu’on interdit aux non-vaccinés de travailler, même avec un test négatif. Difficile de ne pas en conclure qu’on veut les punir pour leur rébellion. Il ne s’agit plus seulement d’absurdité administrative mais de sadisme politique.

Mickey et la transidentité

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En Floride, le gouverneur républicain de l’État interdit aux professeurs de relayer la propagande sur la théorie du genre à partir du mois de juillet. Le géant du divertissement Disney est contraint de prendre position.


Signée officiellement le 28 mars par Ron DeSantis, gouverneur républicain de Floride, la « House Bill 1557 » interdit désormais aux enseignants du primaire comme du secondaire d’évoquer l’orientation sexuelle ou l’identité de genre devant leurs élèves. 

Le texte de loi, surnommé Don’t Say Gay (« ne dites pas gay »), a provoqué une vague de protestations aux États-Unis jusque dans le Bureau ovale. Le président Joe Biden s’est dit consterné par ce vote, réaffirmant que son « administration continuerait à se battre pour la dignité de chaque élève, en Floride et dans tout le pays », rappelant que les « jeunes LGBTQI+ méritent d’être acceptés tels qu’ils sont ».

Un jour mon prince viendra…

Parmi les opposants à ce projet de loi, la voix de Charlee Corra, arrière-petit-fils de Walt Disney, fondateur des studios du même nom, se fait remarquer. Le jeune homme de 30 ans a récemment fait son coming-out transgenre. Héritier du créateur de la souris bien connue Mickey, il a vertement critiqué la « House Bill 1557 », soutenu par ses parents qui ont fait don d’un montant de 500 000 dollars à une association de défense des droits LGBTQI + en guise de protestation. C’est d’une même voix qu’ils ont déclaré « avoir le cœur brisé » depuis la signature du texte de loi. D’autant qu’en tant que professeur de biologie et des sciences de l’environnement, Charlee Corra, qui utilise le pronom « Iels » pour se définir, est le premier concerné par la « House Bill 1557 » ! 

A lire ensuite: Tu seras une femme, mon fils

« J’avais très peu de modèles ouvertement homosexuels [à l’école-ndlr] » a confessé Charlee Corra, au Los Angeles Times et, si « sa condition sociale lui a offert de nombreux privilèges, une grande partie de son adolescence et de sa vie de jeune adulte a été jalonnée par la difficulté d’assumer sa transidentité » a-t-il expliqué à nos confrères, craignant que cette loi ne fasse reculer les droits des homosexuels en Amérique du Nord.

La conversion de la Walt Disney Company

Un coming-out qui a reçu un soutien appuyé mais contraint de la Walt Disney Company, acteur économique de poids dans cet État du Sud-Est. 

Fustigée par certains fans et ses propres employés « déçus, blessés, effrayés et en colère » pour ne pas avoir dénoncé ce texte de loi, la société a dû faire amende honorable. Après s’être excusée, elle a annoncé qu’elle ferait tout pour faire annuler la « House Bill 1557 » aux côtés des associations militantes gays et lesbiennes. Bob Chapek, Directeur général de The Walt Disney Company, a même confirmé dans un email adressé au personnel que l’entreprise cessait de faire des dons aux partis politiques. Une décision qui a fait réagir le Parti Démocrate, très amer. Ce dernier a regretté de telles conséquences, générées selon lui par une loi qui « prend le parti de la haine et de la discrimination et utilise la souffrance des enfants et des familles pour marquer des points auprès de sa base électorale ». Depuis plusieurs mois, différents gouverneurs républicains ont effectivement fait voter des lois du même genre ou limitant l’accès à l’avortement, laissant entrevoir derrière cette série de décisions la main et l’influence de l’ancien président Donald Trump…

A lire aussi: Sabine Prokhoris: “Metoo est une section d’assaut”

Rien qui ne saurait ébranler le gouverneur de Floride, étoile montante de son parti et potentiel candidat à la prochaine élection présidentielle. « Je me fiche de ce que disent les grands médias ! Je me fiche de ce que dit Hollywood. Je me fiche de ce que disent les grandes sociétés. Je fais face. Je ne reculerai pas » a déclaré Ron DeSantis en brandissant le bouclier de l’ordre moral. La loi entrera en vigueur dès juillet 2022. Tout parent qui estimera qu’un enseignant contrevient à la « House Bill 1557 » pourra le dénoncer à sa direction d’établissement.

Dans une vidéo interne évoquant le projet “Reimagine tomorrow”, ayant fuité dans la presse en mars (voir plus bas), Karey Burke, en charge du contenu chez Disney, promettait que 50 % des personnages principaux des productions Disney seraient dorénavant issus de la communauté LGBT et des minorités raciales. « En tant que mère de deux enfants queer, un transgenre et un pansexuel, je me sens responsable de parler pour eux » précisait-elle alors. 

Rendez-nous de Gaulle sur les marchés de France!

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Macron pris à partie par un citoyen à Châtenois en Alsace, 12 avril 2022 Capture d'écran Twitter.

À la télévision, les images de nos dirigeants en campagne vilipendés par des badauds derrière des barrières, ont quelque chose d’avilissant.


Dans la foire d’empoigne qui secoue les derniers jours d’une campagne aphasique, j’ai senti un profond malaise m’envahir. Une vague de dégoût pour notre classe politique si prompte à nous faire la leçon, à nous cornaquer, à nous déposséder, peu à peu, de notre liberté déjà largement écornée. J’avais d’autres ambitions intimes pour mon pays. Par naïveté et nostalgie, j’ai toujours pensé que la France méritait mieux que ces échanges infertiles sur les marchés, à la volée, entre le vendeur de poulets rôtis et la maraîchère. Dans ce Clochemerle qui vire au pugilat verbal, cette chasse aux voix qui précède les moissons pascales, j’ai vu des images indécentes qui heurtent notre citoyenneté. Nous en sommes donc arrivés, là. Á un tel point de non-retour. Une République sur cales qui attend sa révision générale. Hébétés et furieux. Fragmentés et réfractaires. Tristes et, à bout de souffle. Sans vision nationale et sans élan salutaire.

De chaque côté des barrières de sécurité, recroquevillés sur nos certitudes, nous sommes incapables de nous contrôler, d’échanger dignement et de faire passer la moindre once de vérité dans notre regard. La fureur nous submerge quand la raison d’un seul isole. Nos faiblesses collectives crèvent alors l’écran. Nous sommes nus devant les caméras avides de nos déballages. Personne ne sortira vainqueur de ces duels dysfonctionnels et infantiles. Comme si le rendez-vous entre un Homme et un peuple était devenu une mission impossible. Comme si la verticalité du pouvoir, au lieu de nous élever et de nous entraîner, laissait le champ libre à nos instincts les plus honteux. Osons sortir des cours de récréation chahuteuses, il en va de notre santé mentale et démocratique.

Aujourd’hui, nous peinons à refreiner nos pulsions destructrices et nos dirigeants ne parviennent plus à se reconnecter à la Patrie. De part et d’autre, les délices de l’émotion guident nos pas. Et puis cette colère venue de très loin, forcément éruptive et foutraque, amère et incontrôlable face à ce candidat-président à la manœuvre, descendant dans l’arène pour montrer sa combativité et son ardent désir d’expliquer son bilan a quelque chose de malsain. Bannissons ces accrochages improductifs, ils n’apporteront que du désarroi et de la rancœur à la confrontation des idées. Ils laisseront des plaies inguérissables à l’avenir.

Quand les filtres de la bienséance et du respect mutuel disparaissent, le chaos est en marche. Tout le monde y perd, le président qui surplombe tentant de garder son sang-froid et l’anonyme dans la foule qui se défoule. Le spectateur devant son poste se sent sali par ces débordements médiatiques. Dans ces altercations qui font le miel des chaînes info jusqu’à l’ivresse, j’y ai vu la dégradation de la fonction, une soumission aux images, aux vieilles ficelles de la communication spectacle et une mise en scène de nos séparatismes intérieurs. Notre pays n’a pas besoin de pédagogie, de chiffrages, de scories technocratiques, de coups de menton ou d’un autoritarisme de façade dans sa relation avec son futur dirigeant, seulement d’y croire. Juste y croire, un peu. Qu’une sincérité naturelle et une puissance de conviction éclatent enfin au grand jour. La foi dans un message dépend beaucoup de la manière dont le personnel politique se comporte au quotidien. Dans le monde frelaté du virtuel et de la fausse promiscuité, le présidentiable est un VRP qui promène sa mallette programmatique au gré des modes et du vent changeant. Il n’a qu’une obsession fatale : séduire à tout prix. Le charisme ne se commande pas sur Internet. Il est inéquitablement réparti dans les ministères, les hémicycles ou les vestiaires. Pourquoi nos anciens présidents jusqu’au début des années 1980 réussissaient, malgré leurs compromissions et leurs « petites » combines, à inspirer la confiance ? Assurément, nous les craignions un peu, leur parcours cabossé était le signe des êtres à part qui ont lutté et chuté tant de fois avant d’accéder à la tête de l’État. Ils étaient secrets et distants, impressionnants et porteurs d’une mission civilisatrice qui les dépassait. Ils emportaient nos rêves et ne bataillaient pas avec l’homme de la rue.

Imaginez-vous le Général ou Pompidou s’avilir aux discussions de bistrot. Ce n’était pas par morgue, plutôt par incarnation absolue de la fonction. Ils se trouvaient juste à bonne distance. Nous n’attendions rien d’autre de leur part. Leur hauteur de vue n’était pas incompatible avec une justesse de ton. En ce temps-là, nous ne voulions pas faire « copain-copain » avec eux. Ceux qui se sont invités à dîner chez les Français l’ont payé chèrement dans les urnes. Jadis, le magistère intellectuel de nos présidents imposait une forme de retenue et d’admiration. Une certaine confiance également, du moins une autorité morale qui ne s’apprend pas sur les bancs des grandes écoles. Je me souviens que Charles Pasqua avait déclaré, un jour, que les politiques actuels, qui n’avaient pas été frappés personnellement et fort heureusement par les tragédies de l’Histoire, n’auraient plus jamais la même ampleur et la même densité. Nous devons nous satisfaire d’une génération qui ne peut s’extraire du jeu télévisuel, par peur de ne plus exister. Un peu d’allure et de hauteur ne nuisent pas à la qualité des débats. Il faut un certain courage pour refuser la démagogie du « Fight Club ».

La colonisation française, une drôle d’idée

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La rue Paul-Bert à Hanoï avec le théâtre municipal, vers 1905. Wikimedia Commons.

Il y a quelque temps, je me suis mis dans la tête qu’il me fallait écrire une contre-histoire de la colonisation française. Je fonctionne ainsi : toujours à contre-courant de la pensée dominante, d’où mon insuccès ici-bas et mes nombreuses amitiés au sein des milieux les plus divers et qui se détestent parfois les uns les autres. L’adversité est une école de la vie, elle m’a appris qu’il y a des gens valables et admirables à l’extrême-gauche comme à l’extrême-droite, et que les gens qui se détestent au nom d’une idéologie partagent souvent des points de départs communs : la quête de la justice et de la dignité.

Mon manuscrit est prêt. Il attend un éditeur. Je lui promets d’avance que cette publication suscitera l’ire de Mesdames Taubira, Obono et Diallo. Étant de confession musulmane, je suis habitué aux fatwas et elles ne me font pas peur ! 

Terrain miné

Mon livre n’est ni une ode aux pieds noirs ni un réquisitoire contre le FLN, c’est un voyage au bout de la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. C’est donc un périple en un territoire inconnu, un cheminement en terrain miné. 

Pour me documenter, j’ai navigué au milieu d’une cinquantaine d’ouvrages. Parmi les plus marquants, je cite volontiers Trente-deux ans à travers l’Islam de Léon Roches, une histoire vraie qui raconte la désertion d’un Français d’Algérie, tombé fou amoureux d’une jeune musulmane nommée Khadija (belle et mystérieuse, forcément). Cette désertion le conduira à rejoindre les rangs de l’émir Abdelkader, dont il sera un des proches conseillers. Le livre, au-delà de l’aspect lyrique de l’aventure amoureuse, décrit l’état réel de l’Algérie avant la conquête : une terre fracturée entre plusieurs tribus qui n’ont rien en commun à part la religion musulmane et l’habitude d’obéir aux Turcs.

A lire aussi, Jean Sévillia: «Depuis 40 ans, la France se couche devant le pouvoir algérien»

J’ai également été ravi par Auguste Pavie et sa Conquête des cœurs où l’on apprend que la France a évité le grand remplacement du peuple khmer. Que BHL et Léa Salamé me pardonnent le jour du Jugement Dernier ! Je jure que j’ai caché le livre d’Auguste Pavie au fond du tiroir où je garde ma collection de revues érotiques brésiliennes (il fut un temps où je m’intéressais au tropicalisme dans la photo érotique, mais là c’est une autre histoire… d’appropriation culturelle). Juste pour terminer mon propos : les Khmers se sont littéralement donnés aux Français autour des années 1860-1870, car ils étaient sur le point de se faire engloutir par les Vietnamiens (à l’est) et par les Thais (à l’ouest). La colonisation française a donc été une libération au Cambodge et au Laos.

Mais, une question n’a cessé de me tarauder. Pourquoi est-ce que les Français ont colonisé ? La question est valide car il n’y avait aucune richesse vraiment exceptionnelle dans les pays qu’ils ont conquis. L’Afrique du Nord, à commencer par l’Algérie, est une terre sèche et stérile. L’Indochine n’a rien à offrir à part un peu de charbon (en abondance à Roubaix et à Tourcoing) et son hévéa (une commodity banale sur le marché international). Et les colonies françaises en Afrique ont eu le « mauvais goût » de ne pas offrir de diamants et d’or, contrairement aux dominions britanniques en Afrique du Sud, au Botswana et en Rhodésie.

Les réponses de l’historien Raoul Girardet

Une chose est de s’amuser en plantant son drapeau sur la kasbah d’Alger ou à Tombouctou, une autre est de conquérir systématiquement douze millions de km2 avec l’assurance de n’y trouver aucune ressource de choix à part des moustiques et des coups de sagaies.

C’est dans le livre de Raoul Girardet (1917-2013) que j’ai trouvé la réponse. Intitulé L’idée coloniale, 1871-1962, ce livre retrace la genèse d’une idée folle dont nous ne cessons de payer les conséquences, à commencer par l’invasion migratoire et la honte ressentie par nos enfants sur les bancs de l’école à chaque fois que le mot France est prononcé. Raoul Girardet restitue la naissance de l’idée coloniale dans les esprits des Français et ce qu’il raconte est fascinant. Par souci de synthèse, je n’en restituerai que quelques traits saillants : (1) Tout s’est joué après la défaite de Sedan en 1870 où la France a été amputée de l’Alsace et de la Lorraine, (2) la gauche républicaine a proposé alors d’effacer l’humiliation en se lançant à la conquête de « l’Afrique ténébreuse » et de « l’Asie silencieuse ». Au passage, il s’agissait de détourner l’armée de toute tentative de revanche contre les Allemands et de donner un surcroît de légitimé à un régime né dans la douleur et la peine : la Troisième République. (3) L’opinion publique n’a pas marché dans le coup, les Français se désintéressant totalement des colonies jusqu’au lendemain de la Première Guerre Mondiale. En réalité, ils ont manifesté une réelle hostilité à l’expansion coloniale à ses débuts, comme lors de la prise du Tonkin en 1883-85, (4) nonobstant l’indifférence de l’opinion publique, le lobby colonial a placé ses pions et a tiré les ficelles pour réaliser son agenda, s’emparant en quelques années de la Tunisie, du Congo, de l’Indochine et d’une partie de Madagascar. Placée devant le fait accompli, la classe politique a dû se résigner et rallier l’idée coloniale. La droite, pourtant hostile à la colonisation à ses débuts, s’est couchée autour de 1905.

A lire ensuite, du même auteur: Le grand remplacement tuera la diversité du monde!

Et maintenant, le ressac !

Ça ne vous rappelle rien tout ça ? On dirait l’histoire de l’invasion migratoire des dernières années où VGE et les socialistes ont fait venir les immigrés avant que le RPR ne finisse par se convertir, lui aussi, au credo de « l’immigration, chance pour la France ». D’ailleurs, le lobby colonial, comme le décrit si bien Raoul Girardet, a présenté la colonisation comme une « chance » pour la France sur les plans économiques, géopolitiques et culturels. Une occasion unique en son genre d’éviter « le repli sur soi ».

L’Histoire se répète donc ! Quoi de plus normal lorsqu’on sait que la nature humaine n’a pas changé et que le citoyen n’a toujours pas appris à se défendre contre la manipulation, l’influence et la propagande. Lisez le livre de Raoul Girardet pour accéder à la véritable pensée française, une pensée d’élite, sophistiquée et accessible au grand public. Girardet a eu la vie que j’aurais aimé avoir, se consacrant à ce qu’il y a de plus beau dans les sciences sociales à mon avis : cartographier les émotions et écrire l’histoire de la sensibilité. En effet, ce sont les sentiments qui mènent le monde, les idées n’étant que des cagoules que nous posons à la va-vite sur nos passions et nos aspirations par excès de pudeur.

L'idée coloniale en France 1871-1962

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