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Vous m’avez manqué…

Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. «J’aime qu’on me contredise!» pourrait être sa devise.


Vous m’avez manqué ! J’aime venir ici planter la plume dans vos angoisses.

Avez-vous passé un bon été, entre les Lacs du Connemara et la sortie du nouveau JDD ? On n’est pas bien ? Paisible, à la fraîche, décontracté du grand déconomètre ?

Fin juin, à l’issue d’un débat très animé sur un plateau de CNews, alors que je m’étais efforcé de défendre l’égalité face à des discours obsessionnels sur l’identité, un contradicteur a voulu faire redescendre la température en m’adressant cette remarque : « On peut discuter avec toi car tu es un descendant en ligne directe de la gauche Peppone. » Pourquoi pas cette référence aux aventures de Don Camillo… Comme le maire du petit village italien de Brescello, incarné par l’immense et regretté Gino Cervi, ma gauche a desracines et une histoire. Elle est républicaine, sociale et laïque. Pour elle, il n’y a pas à discuter de la nature du tweet de Médine. Il était odieux, car définitivement antisémite. Pour elle, les habitants de Pissevin, à Nîmes, ont le droit à la sécurité, à une action résolue de la puissance publique contre le trafic de drogues et la loi des bandes, à une rénovation urbaine qui s’occupe autant du bâti que des vies qu’il abrite. Elle ne se contentera jamais de dire « no pasaràn » face au Rassemblement national, car cette stratégie est en échec depuis plus de trente ans et qu’elle s’est accompagnée d’une très lourde défaite idéologique. Quand la gauche n’est plus une espérance, elle n’est pas seulement sanctionnée. Elle risque de disparaître.

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Mais Peppone sait aussi trouver quelques qualités à Don Camillo. Par exemple, quand Monseigneur Laurent Ulrich, archevêque de Paris, évoque l’ouverture chrétienne à l’universel : « Si on se referme sur son clan, son groupe, sa nation, comme si elle était la meilleure, sans tâche et sans péché, cela ne va pas », déclare-t-il à La Croix, le 16 août. Il poursuit  : « Notre pays a besoin de trouver un nouveau souffle dans un désir d’unité, qui ne peut se réaliser qu’avec toutes les composantes très diverses de la société, en particulier avec les personnes d’origine étrangère. » Et voici le jeune Henri d’Anselme, le « héros au sac à dos »d’Annecy, qui s’avance à son tour. « Si j’ai pu réagir de cette façon, c’est parce que cela faisait deux mois que je me nourrissais de beau, d’essentiel. Le mal que faisait ce pauvre type m’est apparu insupportable. » (Le Parisien, 14 août). À la question « Vous, le fervent catholique, amoureux des cathédrales, vous avez été courtisé ? », il répond :« J’ai tout fait pour éviter la récupération politicienne. Me présenter comme d’extrême droite, c’est bête et mesquin, du mauvais buzz. Jamais je n’ai pris position pour quelqu’un, encore moins pour Zemmour. Après, je sais très bien ce que j’ai représenté à Annecy : le pèlerin catholique avec sa chevalière face au migrant syrien. Je ne suis pas naïf, mais je m’en fous. »Il a raison.

Ma gauche peut à la fois chanter Sardou et Ferrat, Ferré et Goldman. Elle n’a jamais éprouvé un mépris de classe pour les gens de peu, n’a jamais parlé de « la France des beaufs ».

Je voulais vous parler de vos angoisses et voilà que j’aborde les miennes. Celles d’un avenir en panne d’imaginaire. D’un futur si peu désirable et respirable. De lendemains où les peurs l’emportent.

Le mois prochain, je m’occupe de vous !

Des échecs et du go

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Une petite comparaison érudite des jeux d’échecs que nous prisons, avec le jeu de go des Asiatiques. Ce que ces jeux disent de nous et d’eux.


« Le droit, la science et l’art vont d’un même pas dans une civilisation donnée. Car l’homme marche à la poursuite des images qui l’habitent » (Alain Supiot)

Il en va de même, je crois, des jeux emblématiques que les civilisations se donnent à elles-mêmes, ou qu’elles adoptent après en avoir révolutionné le contenu, afin qu’ils correspondent mieux à leur sensibilité et à leur inclination. Leur examen, lui aussi, nous apprend quelque chose des civilisations concernées, des imaginaires dans lesquels elles s’inscrivent, des aspirations ou des rêves qui les travaillent. Je voudrais, à cet égard, m’arrêter sur les échecs et le go, et voir ce que, dans leur antagonisme essentiellement, ces deux maîtres-jeux peuvent nous révéler de leurs civilisations respectives – Occident d’une part, bloc confucéen (incluant le Japon) d’autre part.


Primauté de la Partie ou du Tout: individualisme et holisme

L’opposition des échecs et du go, c’est d’abord celle des primautés respectives de la Partie sur le Tout, ou du Tout sur la Partie ; pour le dire autrement : l’antithèse entre un jeu au caractère fondamentalement individualiste – les échecs – et un jeu à la nature foncièrement holistique – le go.

Des pierres sans qualité, des pièces ayant du caractère

Cette opposition est marquée, dès l’origine, dans le matériel avec lequel on joue à l’un et à l’autre.

La “spécificité” paradoxale des pierres du go, en effet, c’est leur indifférenciation absolue, leur complète homogénéité, et de forme, et de valeur, fors leur couleur, blanche ou noire, ce sont véritablement des pierres “sans qualité”, des pierres indiscernables les unes des autres. Tous les choix semblent avoir été opérés, à cet égard, pour dépersonnaliser au maximum les pièces asiatiques, et en faire des véhicules aussi neutres que possible. C’est le sentiment qu’inspirent, en tout cas, la forme et le polissage retenus pour les pierres de go, privées ainsi de toute aspérité, de tout relief, de toute angularité, qui auraient pu les singulariser ou trahir l’étincelle d’un Moi, derrière leurs dehors apathiques. Rien ne filtre de ces capsules, sans orifice, sans pertuis, résolument tournées vers l’intérieur. Leur forme lenticulaire rappelle, à cet égard, les yeux clos des saints bouddhistes, que Chesterton opposait aux yeux « toujours grands ouverts » et « affreusement vivants » des saints chrétiens.


Cette « condition statistique » des pierres, pour parler comme Valéry, se renforce aussi de la masse de clones au sein de laquelle elles sont noyées : là où les pièces d’échecs sont au nombre réduit de 32, celles de go, a contrario, sont fondues dans un océan de plus de 300 copies. Enfin, par leur aplatissement, par l’unicité même de leur forme, les pierres de go, comme les pièces de shogi ou de xiangqi, sont des anti-figurines, aussi éloignées que possible des tentatives, véritablement tridimensionnelles, de personnification occidentales. Si nos pièces d’échecs, en effet, ne sont pas absolument singulières, elles ont, par leur verticalité et leur profil, de la personnalité voire comme du caractère. Nul besoin donc d’inscrire sur elles leur fonction, comme on le fait pour leurs homologues japonaises ou chinoises, car leur identification est immédiate : elles ne sont pas les titulaires anonymes d’un quelconque emploi, mais les vivantes incarnations de leur charge, dont elles portent la dignité jusque dans leur physionomie.

Liberté d’infléchir son destin, sujétion à l’ensemble

L’individualité des pièces occidentales tient aussi, évidemment, à leur autonomie et à leur liberté de mouvement, qui s’oppose à la fixité des pierres de go. Pions exceptés, les pièces d’échecs, en effet, sont véritablement des animaux au sens de Spengler, c’est-à-dire de « petits mondes en soi au sein d’un monde plus grand », capables d’évoluer en toute indépendance. Même si leurs mouvements gagnent évidemment à être coordonnés, chacune est autonome, chacune peut poursuivre ses propres sous-objectifs : leur mobilité, précisément, leur confère un libre arbitre, la possibilité, presque toujours, de surseoir à l’inévitable, de s’y dérober par une ultime manœuvre. Il n’est pas anodin, à cet égard, que les principales réformes du jeu d’échecs opérées par l’Occident (au XVème siècle notamment) aient consisté à doper les capacités de déplacement des pièces.

Les pierres asiatiques, à l’inverse, sont d’une immobilité toute végétale, vouées à endurer, telles un homme du bushidô. Là où les échecs donnent barre aux pièces sur leur destin, le go leur en retire tout semblant. Rivées à leur emplacement, les pierres n’ont aucune possibilité de sursaut, aucune capacité à se sauver elles-mêmes ; leur secours, s’il doit avoir lieu, ne proviendra que du reste du groupe. L’idée d’un salut personnel, et plus encore celle d’un salut personnel dont on serait le premier artisan, est étrangère au jeu d’Asie : le go n’enseigne pas à fléchir son destin, mais à y faire face stoïquement, dans l’intérêt supérieur de la collectivité. Là où l’Occident affirme l’individu et son autonomie d’action, l’Asie, elle, martèle ainsi sa subordination à la totalité.

Issue collective et issue personnelle – Le mot de Louis XIV, la radicalisation de la maxime de Frédéric II

Le caractère individualiste des échecs, la nature holistique du go, transparaissent également dans les modalités de capture des pièces et de gain d’une partie. Dans le jeu asiatique, c’est par enveloppement d’un groupe de pierres adverses que la prise intervient. Plusieurs pièces participent donc de la capture, et, si l’une clôt effectivement la nasse, nulle ne joue fondamentalement dans l’entreprise un rôle plus important qu’une autre. La prise y est donc absolument collégiale. Aux échecs au contraire, le mode opératoire est hautement personnel. Non seulement la capture est individuelle, mais la pièce qui prend ne se contente pas de vider l’ennemi du plateau, elle prend physiquement sa place sur l’échiquier.

Les déterminants de la victoire traduisent également cet antagonisme de nature, entre un jeu où toute issue est avant tout personnelle, et un jeu où tout issue est avant tout collective. Aux échecs, seule la survie de son roi et la mort du monarque adverse importent : l’enjeu du combat se résume à leur personne ; le sort des trente autres pièces, lui, est d’une indifférence absolue. En ce sens, la fameuse formule de Louis XIV : « L’État, c’est moi », est proprement la devise des échecs. Ou encore, ce mot de Napoléon, après l’hécatombe d’Eylau : « Une nuit de Paris réparera tout cela ». Rien de plus contraire à l’esprit du go, où toutes les vies sont égales, et où la victoire revêt un caractère essentiellement numérique, incompatible avec une saignée sévère des effectifs. Frédéric II proclamait : « Je ne suis que le premier serviteur de l’État ». Les pierres asiatiques, elles, radicalisent encore cette profession de foi, en retirant ce qu’il reste d’orgueil dans l’épithète frédéricienne.


Tyrannie des passions et libération des chaînes du vouloir

L’opposition des échecs et du go, c’est, ensuite, comme nous avons commencé à le voir, celle de rapports antagonistes aux appétits qui nous travaillent ; pour le dire autrement, l’antithèse entre un jeu qui épouse fondamentalement les passions humaines (les échecs) et un jeu tendant foncièrement à s’affranchir d’elles (le go).

Civilité extrême du lettré, brutalité des combats féodaux

Échecs et go entretiennent un rapport antithétique à la violence. Comme dit précédemment, la capture, dans le jeu asiatique, intervient par enveloppement d’un groupe de pierres adverses. La prise y est donc non seulement impersonnelle mais presque élusive, tant c’est par frôlement, par tangence, qu’elle s’opère. On désarme l’adversaire, et on évacue les prisonniers de l’espace disputé, mais on ne les tue ni ne prend physiquement leur place sur le plateau. L’entièreté du processus se déroule sans effusion de sang, sans éclats, dans une forme de civilité extrême. Tout, plus globalement, au go, se fait d’une manière infiniment feutrée.

Aux échecs au contraire, la prise est à la fois personnelle et frontale, cavaliers exceptés. Plus que frontale, la capture est brutale, féroce même, comme le langage familier (« manger ») l’exprime. Là, aucune idée de prisonniers, comme au go, de vassaux pris pour être ensuite « retournés » contre leur ancien général en chef, ainsi qu’aux échecs japonais : non, les coups y sont portés avec le tranchant de l’épée, et on ne s’en relève pas.

Plus largement, comme l’analyse assez justement Paloma, la jeune protagoniste de L’élégance du hérisson : « Aux échecs, il faut tuer pour gagner. Au go, il faut construire pour vivre […] Le but n’est pas de manger l’autre, mais de construire un plus grand territoire. » A l’affrontement policé de lettrés, présenté avec une bienséance parfaite par l’Asie, répond ainsi la brutalité des combats féodaux, exposée sans fard par l’Occident.

Éloge de l’ombre et louange de la transparence / Admissibilité des moyens

« Observons avec calme, garantissons nos positions, gérons les affaires avec sang-froid, cachons nos capacités et attendons notre heure » (Deng Xiaoping)

Cette opposition n’est pas qu’esthétique : elle a des résonances profondes et concrètes sur l’expérience et la pratique des deux jeux eux-mêmes. Au go, comme dans les tragédies classiques, par souci de bienséance, tout ne se passe pas sur scène. L’essentiel, même, dans le jeu asiatique, fait l’effet de se dérouler ailleurs, hors champ, ce qui rend le spectacle des premières parties tout à fait déconcertant pour l’observateur occidental.

Habitué aux échecs, qui mettent tout sur la table, dès le départ, celui-ci met ainsi du temps à se familiariser avec le caractère silencieux, et, plus encore, souterrain des transformations qui ont cours au go ; plus largement, avec la mécanique de révélation progressive qui est la sienne. Durablement, l’œil occidental guette un combat, et fixe sans comprendre un plateau dont la colonisation se fait de manière erratique, et avant tout périphérique, sans logique apparente.


Privé des points d’attention naturels que forment, aux échecs, les rois et les zones de concentration des pièces, le spectateur désemparé en est réduit à attendre que le brouillard se lève, sur le goban, pour saisir le cours de la bataille ; constater, en réalité, que l’issue en est déjà consommée – que, peut-être, même, elle l’était dès le début. Le go, à cet égard, est un jeu tout entier dédié à la préparation; il n’y a, pour ainsi dire, pas de phase exécutoire : la partie se conclut sur plans.

A l’opposé, les échecs, schématiquement jusqu’à Steinitz[1] (~ 1870), sont d’une très grande simplicité stratégique, l’attaque frontale du roi adverse constituant grosso modo le plan unanimement suivi par l’ensemble des joueurs, en particulier avec les Blancs. L’intérêt essentiel des parties réside alors dans l’exécution de ces offensives, généralement spectaculaire mais imprécise, marquée notamment par une prise de risque et une propension au sacrifice excessives.


Aux antipodes du goban, plongé dans d’indéchiffrables ombres, nappé de brumes épaisses, se dresse alors l’échiquier, bombardé de photons, éclairé par un soleil infatigable. Là, ni révélations parcellaires, ni indiscernables desseins : les projets s’y exposent dans leur limpide barbarie, sous une lumière sans pitié. Là, rien d’une stratégie du “profil bas”, à la Deng Xiaoping, d’un plan conçu avec froideur et machiavélisme pour parvenir à ses fins ; mais, au contraire, une logique presque féodale de l’honneur, prescrivant la noblesse des moyens. A l’accent mis par l’Asie sur le caractère secret, souterrain de la préparation, répond ainsi l’accent mis, par l’Occident, sur le caractère visible, transparent, de l’exécution.

Romantisme chevaleresque, sécheresse de l’esprit de géométrie

« Même le jeu d’échecs était trop poétique pour lui ; il n’aimait pas les échecs parce que ce jeu est plein de cavaliers et de tours, comme un poème. De son propre aveu, il préférait les disques noirs du jeu de dames, parce qu’ils ressemblent davantage aux points noirs d’un diagramme » (Gilbert Keith Chesterton)

Les échecs sont un jeu plein de bruit et de fureur, un jeu qui charrie quelque chose d’épique et de shakespearien. Le go au contraire est infiniment plus clinique, infiniment plus dépassionné dans son approche des choses. Il est véritablement du côté de l’esprit de géométrie, si je reprends les catégories pascaliennes ; du côté apoétique et mathématique du diagramme (cf. le goban), si je réutilise celles de Chesterton. A l’inverse, il entre quelque chose de chevaleresque aux échecs, pas seulement à cause des pièces qu’il mobilise, mais dans sa pratique même, jusqu’à la fin du XIXème siècle grosso modo, car l’on y joue encore essentiellement comme on charge à Azincourt, c’est-à-dire avec déraison, mais panache. L’opposition entre le romantisme échevelé du jeu d’Occident, et la sécheresse analytique du jeu d’Asie, encore exemplaire jusque dans les années 1850-1870, a considérablement perdu de sa force depuis avec la dé-poétisation des échecs, toujours plus affaire d’ordinateurs et d’exactitude. Sa pertinence demeure cependant quand on souligne combien la rationalisation fut longue à y intervenir, et combien, au moins autant que tardive, elle y a été douloureuse. L’objectivation, en effet, est consubstantielle au go, car celui-ci, par l’uniformité de la valeur de ses pièces et son caractère fondamentalement apolaire, invite spontanément à l’adoption d’une focale globale et de voies contournées pour atteindre ses buts.

Aux échecs à l’inverse, l’attribution à chacun d’une cible claire et circonscrite invite à foncer, et la fécondité de l’emploi de chemins de traverse, la pertinence de lutter pour de petits avantages positionnels annexes, n’ont rien d’évident. Plus fondamentalement, cette rationalisation du jeu implique de faire un deuil auquel ses amateurs se sont longtemps refusés, et dont la défaite de Kasparov face à Deep Blue, en 1997, a été l’occasion de revivre l’intensité. Ce deuil, c’est celui du primat de l’esthétique sur l’efficacité pure ; ou, pour le dire autrement, le deuil des échecs conçus comme une affaire avant tout humaine – biaisée, dès lors, par les passions qu’une telle qualité implique.

Kasparov contre Deep Blue, 4 mai 1997 (C) SUTCLIFFE NEWS FEATURES/POHLE/POHLE/SIPA Numéro de photo : 00303055_000001

Tyrannie du vouloir, renoncement à l’égo

Échecs et go, plus largement, s’opposent quant à la nature des protagonistes dont ils mettent en scène l’affrontement. Dans le jeu prisé par l’Occident, le combat est égotique et mesquin, c’est celui de voisins prêts à brûler tous leurs vaisseaux pour purger leur querelle et assouvir leur volonté de puissance, fût-ce à mourir eux-mêmes et à tout réduire en cendres autour d’eux. L’étroitesse du plateau, renforcée encore par son encombrement initial et la difficulté qu’on a à y manœuvrer, parfois contre ses propres pièces, traduit bien, à cet égard, la relative médiocrité des motifs comme des enjeux du conflit : on ne se combat pas pour de grandes fins, on s’entre-tue au nom d’une rivalité sordide, parce qu’on demeure, comme le notait Pascal, de différents côtés de l’eau. Rien de pareil au go, où l’exigence, martelée par la fixité des pierres, est que chacun tienne sa position, que nul ne quitte, sous aucun motif, aussi impérieux qu’il soit, la place qui lui a été assignée. Il s’agit proprement d’atteindre l’immobilité minérale que Takeda Shingen recommande à son clan, dans le Kagemusha d’Akira Kurosawa, et que le daimyô et ses généraux mettent eux-mêmes en pratique, au plus fort des combats. J’écris immobilité, mais il vaudrait mieux dire, à cet égard, inamovibilité, inamovibilité au sein d’un ordre cosmique des choses.

Comparativement aux échecs, l’objet de la lutte, au go, est à la fois infiniment vaste et plus étranger à toute idée de passion. Comme l’étendue du plateau y fait naturellement penser, comme sa neutralité même le confirme, le théâtre de l’affrontement asiatique, en effet, c’est l’Univers, c’est l’Espace[2]. On n’y assiste pas au conflit, ponctuel et sans lendemain, de deux féodaux, mais à la lutte immémoriale de deux principes cosmiques, appelée à se rééditer éternellement sans jamais se conclure. De là l’impossibilité d’éradiquer les pièces adverses ainsi qu’on peut le faire aux échecs : c’est que l’idée d’une victoire définitive, l’idée d’une annihilation n’a pas de sens au regard de l’affrontement que le go entend représenter. Il est entendu, dès l’origine, que les deux principes subsisteront au terme de la partie, qu’ils sont certes antagoniques, mais aussi consubstantiels, en un sens complémentaires, à l’instar d’un Yin et d’un Yang. Le go, à cet égard, est un jeu du flux et du reflux, « accomplissant dans l’interdépendance des contraires les secrets mouvements du Tao » (Nan Shan).


Christianisme et sentiment faustien, Tao et bouddhisme zen

J’ai posé, en introduction, que l’adoption, par une civilisation donnée, d’un jeu emblématique, ne diffère pas de l’adoption, par elle, d’un droit, d’une science et d’un art ; davantage : qu’elle procède, précisément, d’un même imaginaire, pour parler comme Alain Supiot, ou d’un même sentiment cosmique, pour m’exprimer comme Spengler. Achevons donc de vérifier la robustesse de cette hypothèse, en mettant au jour : d’une part, l’inspiration faustienne des échecs, l’importance qu’y joue « le pathos de la troisième dimension » ; d’autre part, l’imprégnation essentielle du go par le Tao et le bouddhisme, sa parenté profonde avec les jardins zen, ces univers miniatures qui quintessencient l’âme asiatique.

Fécondité et impensé du vide – Le go comme lutte cosmogonique

« Au début est le Tao, et le Tao est pur, le Tao est vide » (Nan Shan)

Le Tao, c’est la virginité fondamentale du goban, par opposition à l’échiquier surchargé. Là où l’Occident décime son plateau, l’Asie, elle, le peuple ; plus exactement même, elle l’in-forme, littéralement. Le vide a, à cet égard, un statut très différent d’un jeu à l’autre, qui rappelle les analyses des Transformations silencieuses, de François Jullien. Au go, le vide est fécond ; non seulement son contrôle vaut des points, mais la matière en émerge, la matière en jaillit, par floraison de pierres noires et blanches qui font penser à des couples de particules et d’anti-particules. Les échecs, en revanche, ont comme horreur du vide ; et si le plateau désemplit, il ne se désertifie jamais tout à fait. Héritier d’une pensée de l’Être, l’Occident peine, dans cette perspective, à concevoir le vide autrement que comme la soustraction ou la cessation d’une présence ; et c’est exactement la philosophie que déploient les échecs. Le go, a contrario, peuple de pierres latentes chacune des intersections du goban, comme autant d’embusqués n’attendant qu’un signal pour se révéler. Le vide, alors, n’est plus la négation de l’Être, mais s’affirme, précisément, comme l’antichambre ou le prologue de l’Être.

J’ai parlé jusqu’ici d’une lutte à propos du jeu de go ; mais ce qu’il donne à voir, à cet égard, c’est moins un combat qu’une cosmogonie, moins un affrontement que l’enfantement d’un monde, par ségrégation de deux principes primordiaux. La partition progressive des pierres blanches et noires est le modus operandi de cet accouchement des origines : elle renvoie aussi bien, sur son versant mythique, à la séparation de la terre et des cieux, que, sur son versant scientifique, à l’énigmatique asymétrie de la matière et de l’antimatière. Le Tao, à cet égard, c’est le vide intersidéral dont émergent progressivement des pierres, pareilles à des étoiles fixes lointaines, pour l’enrichir de leurs constellations.

L’antithèse du cercle et de la croix

« Pour exister, Cosmos nécessite un certain jeu, et ce jeu inclut Chaos et Vide […]

Lorsque Cosmos s’est trop chargé de sens, le jeu est obstrué, apparaissent rigidité, opacité, ossification, la décadence et le déclin de la manifestation commence. » (Nan Shan)

L’étrangeté du jeu d’Asie, pour nous, Occidentaux, tient beaucoup à ce parti-pris cosmogonique, qui, schématiquement, fait finir la partie là où nous la ferions débuter – savoir, avec un plateau saturé et parfaitement ségrégué. Le go a ceci de déstabilisant, en particulier, qu’il ne cesse de progresser vers toujours plus d’ordre, quand nous sommes habitués, aux échecs, à évoluer au contraire vers toujours plus de chaos, vers toujours plus d’éclatement de la parfaite conformation de départ. Pour un esprit occidental, le cours du jeu d’Asie a donc quelque chose de fondamentalement contraire à la flèche du temps, de fondamentalement contraire à l’idée chrétienne de la parousie. Le go m’apparaît plus exactement comme un jeu du flux et du reflux, et m’évoque souvent l’image d’un mandala dans lequel on se serait limité à l’utilisation de deux couleurs. Leur dispersion, en particulier, me semble avoir pour même motif cette ossification du cosmos évoquée par Nan Shan, qui contredirait, si on la prolongeait, la fondamentale impermanence des choses. Quant à l’impossibilité d’éradiquer totalement la puissance adverse, elle traduit combien le go, à l’instar du shogi avec son recyclage des pièces adverses, est marqué par l’idée du samsâra.

On retrouve ici, dans cette opposition entre un temps chrétien linéaire et sa conception bouddhique cyclique, l’antithèse chestertonienne plus large du cercle et de la croix, traduisant l’antinomie entre un culte centripète (le bouddhisme), tourné vers l’intérieur, et un culte centrifuge (le christianisme), éclatant vers l’extérieur.

Cette angularité supérieure des échecs, ou cette rotondité supérieure du go, sont évidentes dans les pièces avec lesquelles on les pratique, non seulement dans leur forme, mais dans la personnalité affirmée de celles d’Occident, et l’équanimité absolue de celles d’Asie. On pourrait dire encore : dans la puissance des désirs qui animent les premières, et la satisfaction parfaitement statique des secondes, pareilles aux statues du Bouddha assis, contemplant son nombril.

Cathédrale faustienne et jardin zen / Pathos de la 3ème dimension et génie du microcosmique

L’acuité et la rondeur susmentionnées se retrouvent également dans la brutalité et la nervosité d’une partie d’échecs, d’une part, le cours au contraire méandrique et toujours parfaitement policé d’une partie de go, d’autre part.

Plus spécifiquement, il entre, oui, quelque chose de proprement aigu dans le jeu d’Occident, beaucoup plus propice aux climax, aux renversements de situation absolus, que son homologue d’Asie ; quelque chose de l’arc brisé gothique, dans la tension architecturale que celui-ci infuse et dans l’élévation supérieure qu’il permet d’aller chercher. Il n’est jusqu’aux rangées bicolores de l’échiquier qui n’évoquent, dans cette perspective, les claviers étagés d’un orgue, cet instrument de la domination de l’espace indissociable des cathédrales faustiennes. Ce « pathos de la troisième dimension » n’existe pas, en revanche, au go. J’ai déjà parlé, à cet égard, de l’horizontalité des pierres, mais il n’est pas anodin non plus, par exemple, qu’à la différence des échecs, pour lesquels une variante cubique a été inventée, aucune modalité proprement tridimensionnelle de pratique n’ait vu le jour dans le jeu asiatique.

L’analogue, au go, des cathédrales faustiennes, ces lieux de prière désespérément tendus vers les hauteurs, ce sont les jardins de contemplation et de méditation chers aux pays du bloc confucéen ; plus exactement et plus littéralement, les karesansui, ces jardins secs japonais faits essentiellement de sable (ou de graviers) et de rochers, parfois auréolés de mousse.

Jardin du Ryôan-ji, Japon. Photo : Wikimedia commons

La parenté du go et des karensansui transparaît, d’abord, dans la couleur sableuse du goban et dans son quadrillage régulier, qui rappelle le ratissage rectiligne, ou concentrique en périphérie des rochers, pratiqué dans ces lieux de méditation. Le nettoyage du plateau fait alors songer, comme j’ai déjà pu le suggérer, à l’éparpillement d’un mandala, ou encore, à l’effacement d’un dessin dans le sable.

Le son accompagnant l’apposition d’une pierre sur le goban évoque également un dispositif récurrent des jardins japonais, le sôzu, constitué d’un tube, alimenté par un filet d’eau continu, qui vient périodiquement basculer et frapper un rocher, en produisant un bruit sec. De même que celui-ci ponctue cycliquement le silence, chaque pièce nouvellement introduite sur le plateau s’apparente alors, pour moi, à une ponctuation du vide, c’est-à-dire à une ponctuation du goban. Il faut aussi souligner combien pratique du go et contemplation des jardins zen s’accordent. On pense, immédiatement, à cette lenteur et à ce calme plus général, propices à la méditation, qui émanent du jeu d’Asie, par opposition aux échecs. Mais la convergence est plus profonde : elle tient à ce qu’il entre, dans le go, quelque chose de tellurique, de fortement lié au sol, pour reprendre les analyses de Yourcenar sur les danses antiques de l’Extrême-Orient. Le go, en effet, à rebours du caractère fondamentalement mobile voire virevoltant des échecs, est un jeu de la stratification, un jeu de la sédimentation lente des positions. Son rythme est donc fondamentalement en phase avec celui de la nature, avec le temps que celle-ci met à accomplir ses œuvres.

La proximité du jeu d’Asie et des jardins secs tient, ensuite, à ce que l’apparition progressive des pierres sur le plateau a également, pour moi, des allures de floraison, même si la logique de leur disposition renvoie davantage à la constitution de lignes de force qu’à celle de parterres colorés. Je parle volontairement de lignes de force, car c’est ce qui explique, je crois, la surprenante impersonnalité et uniformité des pièces asiatiques, maintes fois relevées : c’est qu’elles ne figurent pas des individus, mais des particules de principes, dont elles sont les réceptacles, les véhicules, les quanta. Nan Shan mentionne à plusieurs reprises, dans ses écrits, « la bouddhéité dans ce qui est aussi petit qu’une graine de moutarde, aussi vaste que le mont Suméru ». L’éclosion des pierres, sur le goban, évoque ainsi celle de boutons de lotus, symbole de l’éveil spirituel, dont les racines « plongent [indiscernablement] dans la vase », mais dont la fleur, « traversant l’océan des passions, […] s’élève au-dessus des eaux ». Mais on peut aussi penser, en considérant le dépouillement des pierres, l’endurance dont leur enveloppe comme leur fixité témoignent, au bonsaï dont parle Yourcenar, « plié, élagué, affamé, pour faire peu à peu de lui cette merveille qui durera des siècles ».

Le bonsaï, dont le nom chinois signifie littéralement « paysage en pot », est à cet égard l’archétype d’une essentialisation asiatique prisant la réduction des échelles, la miniaturisation des objets dont elle entend exprimer le Tao. Il est significatif, dans cette perspective, qu’à la différence des échecs, où la nature fonceuse et nerveuse du jeu invite certaines écoles de formation à démarrer par l’étude des finales, l’initiation au go, elle, procède au contraire par rétrécissement homothétique du plateau de jeu, ramené à 9×9 puis 13×13 intersections. Nan Shan parlait, à propos des bonsaïs, « d’un paradis dans une gourde » ; on pourrait parler plus largement, pour qualifier ce génie propre à l’Asie, d’un art « de l’essentialisation dans un atome ». Le go en relève, le karesansui en relève, et, comme le note superbement Yourcenar, dans un passage sur lequel je me propose de conclure, il en va de même du haïku : « Il n’est pas étonnant que ces jardins de contemplation soient devenus pour nous le parfait miroir de l’âme japonaise — comme le haïku, né vers la même époque, où tout l’univers tient dans une feuille qui tremble ou une grenouille qui plonge dans l’eau, nous semble aujourd’hui la suprême forme de la poésie nippone. »


[1] On peut, comme toujours, trouver des précurseurs de cette révolution – Philidor par exemple. Mais il n’en reste pas moins que le fait général demeure.

[2] Confer, à cet égard, le nom d’étoiles – hoshi – donné aux neufs points noirs épais du plateau de jeu – le goban.

Israël, des jours redoutables

La détermination de Benjamin Netanyahu à éviter les poursuites judiciaires plonge Israël dans une crise constitutionnelle sans précédent. Après des mois de contestation, les institutions, piliers de la démocratie, s’opposent ouvertement au chef du gouvernement.


Le 16 août, Yedioth Aharonot, premier quotidien israélien, faisait cette annonce en une : « D’après des sources gouvernementales, en cas de crise constitutionnelle, l’armée, les services de sécurité et le Mossad obéiront à la Cour constitutionnelle. » Oui, vous avez bien lu ! Israël en est là… Dans les coulisses du pouvoir on se prépare à un Tchernobyl constitutionnel, c’est-à-dire à une rupture entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Peut-être aurez-vous remarqué que, dans la liste, une institution et pas la moindre, manque à l’appel : la police. Le lendemain, le chef de la police nationale – qui lui aussi avait noté cette absence – profitait d’une intervention planifiée pour déclarer que « la police, bien entendu, obéirait à la loi », s’attirant une réplique immédiate de son ministre de tutelle, Itamar Ben Gvir, qui rappelait que, « selon la loi, la police obéit à un gouvernement élu par le peuple ». Toute la crise israélienne est résumée par cette passe d’armes. Un exécutif qui croit que la démocratie se résume à l’obéissance à la majorité, face à un haut fonctionnaire fidèle aux contre-pouvoirs, attaché aux libertés. Ce qu’on appelle en français un républicain.

Les contre-pouvoirs en question

Depuis le début de l’année, Israël est gouverné par une majorité parlementaire dont le projet est de transformer sa démocratie libérale en dictature de la majorité sans garantie de libertés et sans contre-pouvoirs. En l’absence de Constitution, et dans le cadre d’un régime parlementaire pur où le législatif ne fonctionne pas comme pouvoir de contrôle de l’exécutif, l’unique contre-pouvoir institutionnel est la Cour constitutionnelle. L’autre pilier de la démocratie israélienne est l’intériorisation des valeurs démocratiques par de nombreux Israéliens, simples citoyens ou fonctionnaires, et leur attachement à leur pays. Pour reprendre une formule de la déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique, la démocratie israélienne tient car une masse critique de citoyens israéliens des élites du pays croit (encore) que les libertés son t« des vérités allant de soi ».

C’est donc aux deux socles de la société libérale, la Cour constitutionnelle et la société civile, que le gouvernement s’en prend. Pour quelle raison ? La réponse est aussi simple que désespérante : poursuivi pour plusieurs affaires d’abus de pouvoir, Benyamin Netanyahou veut empêcher la tenue de son procès. Son statut exceptionnel dans le paysage politique israélien et la base électoral forte et solide dont il jouit le placent au centre du jeu : sans lui rien n’est possible. Pour parvenir à ses fins, il a construit une alliance avec deux groupes qui, pour des raisons autrement plus profondes, ont eux aussi la Cour suprême dans leur ligne de mire.

Le premier groupe est celui des ultra-orthodoxes qui voudraient transformer Israël en une théocratie gouvernée par la loi religieuse juive. Le deuxième estcelui des colons fondamentalistes, religieux et nationalistes, qui prétendent annexer tous les territoires à l’ouest du Jourdain sans accorder de droits aux non-juifs qui y vivent. Quant à la base de Netanyahou, elle préfère la synagogue aux libertés.

Si la dimension des origines n’est pas étrangère aux fractures israéliennes, il serait trop simple de les réduire au clivage « ashkénazes/sépharades ». Les « pro-Bibi », plutôt sépharades, n’ont pas de problème avec les colons ou des ultra-orthodoxes ashkénazes. Ils sont plutôt fâchés avec les valeurs libérales, en particulier avec la séparation entre politique et religieux.

Coalition cauchemardesque

Face à cette coalition cauchemardesque, le camp de la démocratie libérale a dégainé une arme redoutable. Au-delà d’une mobilisation épique (manifs du samedi soir, marche vers Jérusalem, initiatives locales de harcèlement des représentants de la majorité) qui dure plus de huit mois, de nombreux Israéliens ont décidé de suspendre leur contribution à la sécurité nationale. Or, le camp démocratique israélien es tune « élite de service », surtout militaire. Officiers, pilotes, unités d’élite, renseignement, technologie : tout ce qui fait de l’armée israélienne un outil souple et efficace repose sur leur volonté de servir leur pays au-delà du devoir.

Pour le moment, il ne s’agit pas de désobéir. Les enfants répondent présents dès leur 18 ans et leurs parents font de même quand ils doivent accomplir leur service de réservistes. En revanche, les réservistes bénévoles ne veulent plus servir un régime qu’ils jugent non démocratique, donc illégitime. Or, les réservistes bénévoles sont pleinement intégrés dans de nombreuses unités, en particulier les escadrons de l’armée de l’air, où ils vont voler et s’entraîner toutes les semaines. Ils sont aussi convoqués, parfois par simple coup de fil, bien au-delà de l’âge légal. Ce sont les officiers et les pilotes les plus expérimentés, les instructeurs chevronnés, ceux qui garantissent le fonctionnement, en temps de paix et de guerre – ou pendant les opérations spéciales – des centres de contrôle opérationnel, permanences et autres chaînons essentiels du commandement. Sans eux, sans leur assentiment à donner bien plus que ce que la loi exige d’eux, l’armée perd de ses compétences.

Les prochaines semaines vont être dignes du nom que leur a donné la tradition juive : « Les jours redoutables »– terme qui désigne la saison pénitentielle qui précède Yom Kippour. Les digues institutionnelles se sont effondrées ; Israël est proche du« Ground Zero »du droit constitutionnel, c’est l’existence de la Cité qui est menacée.

Il existe cependant des raisons d’espérer. D’abord, le camp de la sécularisation est énorme, vigoureux et sain – contrairement aux gilets jaunes, ce camp a déjà fait émerger un leadership formidable et, depuis neuf mois, il a su éviter jalousies, ressentiments et récupérations. Ensuite, il est possible que Netanyahou soit allé trop loin. L’homme qui doit son pouvoir à son art consommé de la manipulation des clivages traditionnels de la politique israélienne (juifs/Arabes, religieux/laïcs, deux États/annexion, ashkénazes/sépharades) vient d’en créer un nouveau : pour ou contre la démocratie libérale. Désormais Israël se pose la question de son régime, une question qui efface toutes les autres, forge de nouveaux camps et de nouvelles alliances et ouvre la voie à de nouvelles majorités de gouvernement. La première république israélienne est à l’agonie, mais il existe des forces politiques capables de porter la deuxième sur ses fonts baptismaux.

Marion l’Européenne

Après avoir soutenu Eric Zemmour à l’élection présidentielle, Marion Maréchal se présentera pour la première fois devant le suffrage des Français depuis huit ans, en étant tête de liste pour « Reconquête » aux élections européennes. Elle fait ainsi son vrai retour en politique.


Elle dit ne pas se résoudre à voir ses deux filles grandir dans une France où, immigration massive oblige, les sujets de laïcité, d’abayas ou d’insécurité deviennent une préoccupation quotidienne. Quelques minutes avant son passage télévisé, au 20 heures de TF1, l’annonce commençait à circuler. Marion Maréchal a pu confirmer en direct l’information donnée par Eric Zemmour en début de soirée au Figaro : c’est bien elle qui conduira la liste aux prochaines Européennes pour « Reconquête ».

Une bonne droite

Alors que le scrutin n’aura lieu que le 9 juin 2024, nous commençons donc à en savoir plus sur la composition des listes – en tout cas nous avons les noms des têtes d’affiche de la droite nationale. Lundi 4 septembre, Jordan Bardella annonçait qu’il mènerait la liste du Rassemblement national, comme il y a cinq ans. Après les cinq minutes d’antenne accordées par Gilles Bouleau au mouvement « Reconquête », on sait désormais qu’il aura comme principale concurrente Marion Maréchal sur sa droite.

Depuis la fin de séquence électorale de 2022, les discussions bruissaient au sein du jeune mouvement et dans ses alentours, pour savoir qui conduirait la prochaine bataille. La rumeur a circulé d’une rivalité entre Eric Zemmour et Marion Maréchal pour cet enjeu. On a dit cette dernière, mère de deux filles en bas âge, pas totalement désireuse de se lancer à ce point dans la bataille électorale. Finalement, l’intervention sur TF1 clarifie les choses, et Marion Maréchal en a profité pour rappeler les fondamentaux : la ligne sera identitaire. La nièce de Marine Le Pen a précisé que la « grande » bataille allait être « civilisationnelle, historique et vitale » autour de « la défense de notre identité, notre culture, nos valeurs (…) aujourd’hui menacées par la submersion migratoire et par l’islamisation ». Elle a également évoqué le wokisme à deux reprises, ce qui n’est pas courant dans un journal de 20 heures. S’il n’a pas été question de nouveaux débauchages au sein du RN ou de LR, moins encore de fusion des listes avec l’un de ces partis, il a été question de rassemblement des droites. Marion Maréchal a d’ailleurs un point d’accord là-dessus avec… Nicolas Sarkozy, homme de cette rentrée littéraire, comme je l’ai déjà raconté dans ces colonnes.

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Marion Maréchal compte sur la bonne forme des droites, un peu partout en Europe, pour faire « basculer la majorité de l’Union Européenne, tenue par le centre et par la gauche, vers une majorité de la vraie droite », et « donner des réponses européennes au défi collectif » que pose cette submersion migratoire au continent tout entier. Sur TF1, il n’a pas été question en revanche de souverainisme, il n’a guère été question d’indépendance nationale. Est-on loin de la ligne d’un Nicolas Dupont-Aignan ? Ce dernier déclarait en juin que, « si on n’arrive pas à résoudre les problèmes de sécurité, d’immigration, de chômage, de pouvoir d’achat, d’écologie, c’est parce que la France a perdu toute indépendance et toute liberté d’action », et qu’il envisageait d’accueillir sur sa liste Michel Onfray.

Rumeurs

L’annonce de Marion Maréchal pourrait être interprétée par certains comme une passation de pouvoir au sein du mouvement « Reconquête ». Dans un article à paraître aujourd’hui dans l’Express, Eric Zemmour est présenté comme peu passionné par les affaires d’appareil, et, si l’on donne du crédit aux témoignages (anonymes) recueillis par la journaliste Marylou Magal, le parti était carrément en train de se décomposer autour des querelles de personnes, querelles dans lesquelles les uns reprochent aux autres de travailler encore moins qu’eux-mêmes… La défaite de 2022 a forcément laissé des marques, et l’idée que le chef du mouvement s’efface au profit d’autres figures a bien pu être murmurée çà et là sur quelques lèvres. Le parti ne manque pas de talents, avec à sa tête le triumvirat Guillaume Peltier-Marion Maréchal-Nicolas Bay. Mais, devant la question insistante de Gilles Boulleau, Marion Maréchal a tenu à rassurer : « Je souhaite qu’Eric Zemmour soit le candidat en 2027 (…), il a réussi après quelques mois d’existence à réunir près de deux millions d’électeurs et à devenir le quatrième parti de France : peu de personnes dans l’histoire politique récente peuvent se targuer d’un tel succès ». Sans vouloir être désagréable avec la petite-fille de Jean-Marie Le Pen, nous lui rappelons quand même la performance d’un certain… Emmanuel Macron, qui lui, a carrément remporté l’élection en 2017 !

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Dans un sondage IFOP paru dans le Journal du dimanche du 3 septembre, « Reconquête » est annoncé entre 6,5 et 7%, selon les hypothèses, loin derrière les 25% que pourrait obtenir le Rassemblement National. Avec les 8% obtenus en 2019, la liste Les Républicains menée par François-Xavier Bellamy avait pu envoyer huit députés à Strasbourg.

Né sur le pari d’une explosion du Rassemblement national au lendemain de l’échec de celui-ci aux régionales de 2021, le chemin sera difficile pour « Reconquête », qui va devoir jouer des coudes dans le match des droites, alors que son principal concurrent est en train de gagner la bataille de la respectabilité au sein du Palais Bourbon. Marion Maréchal devra être particulièrement convaincante sur les estrades et dans les meetings pour renverser la tendance et motiver les abstentionnistes, la vraie clé de cette élection : en 2019, seuls 50% des électeurs français s’étaient déplacés. Le scrutin n’a qu’un seul tour.

Le «catastrophisme éclairé» de Claire, Camille et Aymeric

L’écologiste Claire Nouvian nous prévient: la catastrophe est là pour des dizaines de milliers d’années. Alors, pas question de faire dans le rassurisme! Selon d’autres militants, le vrai courage aujourd’hui consiste à avoir peur. Vraiment, les discussions écolos cassent toujours l’ambiance!


« C’est le châtiment ! Faites pénitence ! La fin des temps est venue ! Tout le monde va périr ! Et les survivants mourront de faim et de froid ! » Chacun aura reconnu les prédictions apocalyptiques de Philippulus le Prophète, ancien collaborateur de l’astronome Hippolyte Calys devenu fou dans L’Étoile mystérieuse, neuvième album des aventures de Tintin. Ce qui n’était qu’un personnage de fiction ridicule est devenu une réalité : nous pensions avoir atteint le sommet avec Greta Thunberg mais une activiste écologiste française est en train de lui voler la vedette. Autant le dire tout net : la vertigineuse Claire Nouvian plane très au-dessus de la pourtant déjà stratosphérique Suédoise.

Claire Nouvian réapparait dans nos radars

Petit retour en arrière. Le 6 mai 2019, sur CNews, dans l’émission de Pascal Praud, les invités subirent une hausse de la température ambiante et un tremblement de pupitres qui ne devaient rien au « dérèglement climatique ». Atterrés, ils découvrirent Claire Nouvian, candidate aux élections européennes sur la liste de Place publique. Très agitée, cette écologiste prophétisait péremptoirement la fin du monde pour dans pas tard. Devant l’énervement de Pascal Praud et l’incrédulité interrogative d’Élisabeth Lévy, la cartomancienne climatique s’emporta et traita cette dernière de « rétrograde », de « dingue » et de « tarée » avant que de lui intimer l’ordre d’aller se « cultiver scientifiquement ». Après un échange brouillon de noms d’oiseaux entre les participants, Mme Nouvian quitta cette « émission réactionnaire et climatosceptique » en se promettant bien de ne plus jamais y remettre les pieds.

La vie peut être impitoyable. Dans la foulée de son passage sur CNews, Claire Nouvian fut extrêmement déçue de voir Place publique, le mouvement qu’elle avait co-fondé avec Raphaël Glucksmann, tomber entre les mains « d’une poignée d’intrigants formés à l’école du vice des partis politiques », surtout du PS (1). Elle disparut alors des radars médiatiques et politiques – d’aucuns conjecturèrent une retraite monastique propice à la régénération physique et intellectuelle, au repos mais aussi à la réflexion ; d’autres imaginèrent une prise en charge médicale et des traitements de cheval à assommer un bœuf. Quoi qu’il en fût, ses proches comptaient sur un rétablissement complet : une posture corporelle et conceptuelle plus structurée, un regard moins furibard, un ton plus aimable, plus posé et correspondant plus justement à son désir d’exposer scientifiquement certains arguments – bref, globalement, ils espéraient que Claire Nouvian ne passe plus pour une prophétesse de malheur frénétique mais pour une spécialiste des phénomènes climatiques rigoureuse, rationnelle et audible. Malheureusement, la foi collapsologique chevillée au corps, notre pythie écolo est réapparue soudainement dans la matinale de France Inter ce lundi 28 août, et les spécialistes (je ne dirai pas de quoi) sont formels : le traitement a échoué. Certains pensent même que c’est pire qu’avant.

En face d’un Pascal Bruckner pourtant tout acquis à la cause écologique mais effrayé par le verbiage millénariste de certains écolos, l’incandescente Claire Nouvian revendique, comme le philosophe Jean-Pierre Dupuy auquel elle fait référence, un « catastrophisme éclairé ». Ça, pour être éclairé… on pourrait presque parler d’illumination. Sur les ondes radiophoniques, les foudroyants et sombres présages de notre prophétesse prennent des allures mystiques et déchirent l’espace, nos oreilles et le papier peint du studio. « On est dans le mur. […] On a 1,2 °C de réchauffement global. LÀ ! AUJOURD’HUI ! Si demain on arrête les émissions de CO2 par miracle, le réchauffement restera quand même pendant au moins 1000 ans ! […] Non seulement la catastrophe est là, mais ATTENTION !, mettons aussi dans notre petite tête qu’elle est là pour déjà des dizaines de milliers d’années ! » En même temps que « la planète » se réchauffe, un froid polaire s’abat sur le studio. Et ce n’est qu’un début. « Il faut croire à la catastrophe », assène Claire Nouvian, plus menaçante que jamais. « Les gens comme vous n’ont pas assez peur, dit-elle à Pascal Bruckner. En fait, moi j’aimerais que vous ayez beaucoup plus peur. » Si l’écologiste peine à démontrer rationnellement la réalité du « dérèglement du système Terre », elle a en revanche sous le coude une étude norvégienne tout ce qu’il y a de plus scientifique démontrant que… « les gens n’ont pas assez peur ». Mme Nouvian s’échauffe et monte dans les tours  : « En fait, ceux qui sont rassuristes sont tous de droite, ceux qui parlent d’écologie punitive sont tous de droite ou d’extrême droite. » Elle, elle n’est pas “rassuriste” du tout – au bord de la convulsion, la vaticinatrice prévient les journalistes : « C’est enclenché (la catastrophe), vous comprenez ça ? Tout le monde comprend ça. […] Mais ça va empirer, vous comprenez ça ? » Il nous semble entendre, au loin, le son du gong de Philippulus le Prophète…

Le courage d’avoir peur

L’écologisme et ses ramifications sectaires (antispécisme, véganisme, etc.) ont permis l’émergence d’évangélistes médiatiques qui auraient fait mourir de rire nos parents et nos grands-parents mais qui sont aujourd’hui écoutés avec le plus grand sérieux sur la radio publique. Les prédicatrices de cette Nouvelle Église Verdoyante se prénomment Claire (Nouvian), Sandrine (Rousseau) ou Camille (Étienne). Sur France Inter où elle a désormais son estrade attitrée, cette dernière a récemment revendiqué, dans ce charabia infect qui caractérise les sermons écolos, le « courage d’avoir peur » mais aussi « de faire peur » même si « la peur paralyse parce qu’on a peur de faire peur ». Évidemment, la nouvelle coqueluche des médias coche toutes les cases de la bien-pensance : seules comptent les peurs inhérentes à la « catastrophe » écologique, les autres peurs sont « factices », ce sont des « peurs qui empêchent », surtout « ces peurs de l’Autre. Cette xénophobie qui nous divise, pour mieux régner », écrit-elle dans son dernier livre (2). Dans un entretien donné à Télérama, elle affirme encore que «nos sociétés modernes et patriarcales (sic) ont évacué la peur et la vulnérabilité » alors qu’il est nécessaire de « flipper » si on veut réagir. Mais avoir les chocottes ne suffit pas, dit Sœur Camille : il faut aussi impérativement « avoir honte ». C’est un sentiment que partagent nombre de prédicateurs écologistes. Frère Aymeric, l’ange gardien des mamans moustiques et de tous « les animaux non humains », a écrit des pages bouleversantes sur sa propre honte, celle « d’appartenir à cette colonie d’exterminateurs », celle « du privilège que le hasard (lui) a accordé en (le) faisant profiter du costume de tortionnaire en chef », mais aussi « la honte de ces draps, honte de ce toit, honte de ces habits » ; enfin, dans ce style godiche qui rend si parfaitement justice à la pensée foutraco-caronienne, « dès qu’(il) ramène cette vérité à (sa) conscience, la honte d’être en bonne santé, de ne pas avoir mal […] de ne pas appartenir à ces incommensurables cohortes de condamnés au pire pour n’avoir pas eu la chance de naître au sein de l’espèce dominante » (3). Sur France Inter, Sœur Camille avoue donc elle aussi avoir honte, et même, ô sublime abnégation !, « avoir honte pour les autres, pour ceux qui n’ont pas honte ».

En plus de cette machine à endoctriner qu’est devenue l’école, des gourous médiatiques encouragent une jeunesse déboussolée et « éco-anxieuse » à s’engager dans l’écologisme, cette idéologie empreinte de sournoise religiosité et dont les principales vertus théologales semblent être la peur et la honte. La jeune génération est exhortée à chanter les louanges d’un monde à venir idyllique, radieux parce que débarrassé des énergies fossiles, du nucléaire, du confort, des voitures individuelles, des avions, et même des enfants, ces agents polluants qui, de toute manière, met en garde Claire Nouvian, finiront dans « une fournaise qui va devenir invivable ». Notre prophétesse traque les boomers et autres gaspilleurs des « ressources de la planète » en opposant à ces derniers une fausse science dissimulant une véritable machinerie politique et totalitaire. Malheureusement, notre pays, comme de nombreux autres, a succombé à cette religion qu’est devenue l’écologie politique. L’urgence est de dénoncer cette dernière et de dire ce qu’elle est réellement. Tout individu libre et sain d’esprit a le devoir de combattre cette folie qui ruine notre économie, nos paysages, et les cerveaux des plus jeunes de nos compatriotes.


(1) Entretien donné à L’Obs le 20 octobre 2019.

(2) Camille Étienne, Pour un soulèvement écologique, Éditions du Seuil.

(3) Aymeric Caron, Vivant, Éditions Flammarion.

Comment éviter le grand basculement identitaire

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Les bouleversements démographiques qui attendent la France sont encore devant nous.


Le temps presse : à force d’aveuglements idéologiques et de mensonges officiels, le basculement civilisationnel approche. Or le plus rageant est d’entendre, chez les plus honnêtes du Camp du Bien, l’aveu tardif de leurs erreurs de jugement, tant sur l’immigration que sur l’importation subséquente d’un islam totalitaire et suprémaciste. Lionel Jospin, haute figure du socialisme français, est de ces honnêtes hommes. Peut-être a-t-il été aussi décillé par son épouse, Sylviane Agacinski, philosophe en prise avec le monde réel, donc en rupture avec le conformisme intellectuel.

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Jospin favorable à l’interdiction de l’abaya

Sur France Inter l’autre jour, l’ancien Premier ministre a en tout cas déclaré, s’opposant à l’offensive islamiste à l’école publique à travers le port de l’abaya : « Sur ces questions, j’ai personnellement évolué ». En 1989, confronté aux premières apparitions du voile, celui qui était ministre de l’Education nationale s’en était remis lâchement aux chefs d’établissement. Il explique aujourd’hui : « Il n’y avait pas eu le 11-Septembre, l’Etat islamique, un développement de l’islamisme massif ». Déjà, en 2002, Jospin avait également reconnu  avoir « péché par naïveté » en pensant : « Si on fait reculer le chômage on fera reculer l’insécurité ; or cela n’a pas d’effet direct sur l’insécurité ».  Il n’empêche : il n’était pas sorcier, dès 1989 (je peux en témoigner), de déceler les dangers contenus dans l’importation d’un islamisme guerrier et dans la constitution d’une contre-civilisation revancharde. Mais l’aveu de Jospin reste malheureusement l’exception.

Comme le rappelle Pierre Albertini (Le Figaro, 31 août), face à la perpétuation de l’immigration de masse (majoritairement musulmane) « un calcul mathématique simple confirme la baisse inexorable des Français de souche et la hausse corrélative des immigrés qui se retrouveront peu ou prou à égalité en 2070. »[1]

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Tous ne font pas leur mea culpa

Or cette perspective d’une substitution identitaire et d’une rupture anthropologique persiste, pour les tenants d’un « progressisme » sans affect et insensible à « l’homme réel », soit à être niée soit à être applaudie. Rien n’est plus convenu, chez les penseurs atteints de rhinocérite, que de récuser la perspective d’un grand remplacement, perçu comme une théorie complotiste par les perroquets médiatiques. Un rapport de l’Institut Montaigne, signé de Bruno Tertrais, s’enchante du fait que « la France s’apprête à connaître un déclin de sa population que seule l’immigration pourrait combler à court et moyen termes » (lire la critique qu’en fait ce mercredi Pierre Vermeren dans Le Figaro). Dans Libération du 29 août, Nicolas Cadène, ancien membre de l’Observatoire de la laïcité, organisme qui s’était fait remarquer par sa complaisance face à l’islam, fustige « le bon sens », associé au « camp réactionnaire (qui) rêve d’un passé qui devrait lui faire honte » et du « retour d’un roman national rance ». La haine de la France française s’est enracinée dans l’ « intelligentsia » mondialiste. Elle ne fera pas son mea culpa. Reste à lui tourner le dos.


[1] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/pierre-albertini-la-demographie-francaise-a-l-horizon-2070-vers-une-double-rupture-anthropologique-20230830

À la jeune fille portant abaya

Notre contributeur a croisé une jeune demoiselle, ayant adopté la mode « pudique »


Je vous ai croisée ce matin dans une rue de notre ville. Vous alliez au lycée, manifestement. Nous avons échangé un vague bonjour. Il n’y avait en effet aucune raison de ne pas nous saluer, là, nous qui marchions sur le même étroit trottoir d’une même ville d’un même pays. Vous portiez voile et abaya, et, me semble-t-il, vous arboriez comme une esquisse de maquillage autour de vos yeux et peut-être bien sur vos lèvres. Je m’en suis amusé. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser : « Voilà une jeune personne adepte, à sa manière, du « en même temps ». L’abaya comme volonté d’occulter toute féminité, le rehaut de cosmétique pour, au contraire, la revendiquer, la souligner. Le vêtement par fidélité à « d’où l’on vient », la famille, la communauté, ses rites, ses codes, ses impératifs, ses rigueurs. La touche de coquetterie pour, au lycée, être fille parmi les autres filles et surtout ne pas se trouver exclue des modes de relation, de séduction mais aussi de rivalités qui y ont cours. Vous me paraissiez donc comme entre deux mondes, entre deux façons de vivre et de concevoir l’existence même.

A lire aussi, Laurence Simon: Et une fois les abayas remisées au placard, Monsieur Attal?

Je me disais, est-ce si simple, à l’adolescence, l’âge des incertitudes multiples, des doutes, des questionnements infinis, de gérer en plus cette ambivalence ? De devoir se faufiler dans ce dédale de contradictions irréductibles, de s’accommoder de normes d’existence drastiquement incompatibles. Votre abaya, votre voile m’autorisaient à penser que vous cautionniez, par exemple, la pratique de la polygamie, que vous entériniez la règle selon laquelle l’homme serait supérieur en droits et en autorité à la femme, que vous considériez l’homosexualité comme une espèce de monstruosité, un délit, voire un crime, etc, etc, tout cela alors même que, là, sur l’étroit trottoir où nous croisions, vous vous rendiez dans ce qui devrait être le haut lieu d’enseignement et de partage de la civilisation à la française. Cette civilisation où au prix de mille et cent combats, mille et cent conquêtes, la voie vers l’égalité entre homme et femme a été ouverte, où la femme mariée n’est pas une épouse parmi d’autres, voire une sorte d’élément de cheptel, où l’homosexualité ne peut plus être poursuivie de quelque manière que ce soit, où surtout a été affirmé une fois pour toutes le droit imprescriptible de croire, penser, ce que l’on veut. Ce droit absolu à l’intimité inviolable de la conscience. Or, c’est bien en mettant en regard ces réalités-là que se constate dans toute sa rigueur l’incompatibilité radicale de nos deux modes d’être citoyens de France. Nier cette incompatibilité radicale est pure folie. Folie, hélas, fort répandue, on le sait…

A lire ensuite, Jean-Paul Brighelli: Abaya: culturel ou cultuel, on l’a dans le luc!

Je fais un rêve: que dans cet établissement de la République où vous vous rendez, on sache vous enseigner avec suffisamment de force les richesses, les beautés et les grandeurs de cette civilisation, la nôtre, afin que, à terme, vous puissiez y adhérer pleinement de cœur, d’âme et d’esprit. Vous ayant croisée, je me suis dit aussi que ce n’était certainement pas en continuant de s’engluer dans la France dévitalisée, dénaturée que nous vendent depuis des décennies les cuistres à costards ajustés et souliers pointus façon Mac Kinsey que nous aurons la moindre chance d’y parvenir. En attendant des jours meilleurs, Mademoiselle à la abaya, peut-être nous croiserons-nous de nouveau sur cet étroit trottoir, et sans doute échangerons-nous un petit bonjour. Ce sera déjà cela…

Une épopée francaise: Quand la France était la France

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À Rome vis comme les Romains…

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Comment espérer pouvoir mettre la limite comme il le faudrait à l’expansion du communautarisme islamiste, à l’envahissement de l’espace public par ses emblèmes, si ce sont des « fils déguisés en père » qui mènent le bal et nous gouvernent ? Analyse.


La France n’est pas les USA. Et si elle est traditionnellement une terre d’accueil, elle n’est pas une terre d’Islam. Aussi, comme disait il y a peu Pierre Manent, qui sans être un mollasson est loin d’être un va-t-en-guerre, il conviendrait « de réduire la part musulmane de la France, de l’Europe ». C’est donc bien, ainsi que l’engage dans cet article roboratif Jean-Paul Brighelli, au-delà de cette seule sphère de l’école que nous avons à défendre notre environnement culturel, esthétique – notre paysage symbolique –, contre l’offensive islamiste…

Ceci posé, me tenant éloigné de ceux qui dans le vieux fil impérial, romano-chrétien, aussi rénové soit-il sous les couleurs de la Démocratie et de la Nouvelle anthropologie, ne cessent d’usiner la fausse monnaie d’un Occident qui prétend, sinon digérer, surplomber la culture de ceux qui ne sont pas nous, je dis que nous ne réussirons à élaborer comme il le faudrait une politique de grande exigence et de grande fermeté (comme par exemple Driss Ghali l’évoque) face au sécessionnisme culturel islamiste, si dans le même temps nous ne mesurons la puissance irradiante de cet autre fondamentalisme auquel, embarqués dans une régression juridique qui se déploie sous les termes du « progressisme » et de la « lutte contre toutes les discriminations », nous avons cédé.

Aussi je veux bien que Brighelli, dont j’apprécie la vigueur et le style, s’en prenne comme il le fait à ceux qui « s’asseyent sur l’aliénation de donzelles prêtes à servir de boucliers à des fondamentalistes », mais moi, que voulez-vous, je pense en parallèle tout aussitôt à ce cas dont j’ai fait un véritable cas d’école : celui de toute cette « communauté éducative » d’un Lycée du pays basque qui, suivant les consignes ministérielles, presse locale à l’appui (toute une page du quotidien Sud-Ouest), a baissé culotte face à la revendication de deux pimprenelles qui exigeaient de tous de se faire appeler par le prénom masculin qu’elles se sont donné. Face au rouleau compresseur du juridisme lgbtiste, tout l’alentour, prié d’obtempérer à l’injonction des deux adolescentes, a fléchi, les entraînant ainsi, comme leur discours en résonnait pour l’une, dans le potentiel passage à l’acte à venir d’une « transition »… Et cela sans autre idée de la contre-réification identitaire qu’instaure la nouvelle normativité trans-homosexualiste, ni autre écart par rapport à la toute-puissance et à l’économie proprement « meurtrière » du fantasme agi sous couvert de cette idéologie du sujet auto-fondé dans son genre…

A lire aussi, Jeremy Stubbs: École: éducation à la sexualité ou au genre?

Mais de cela – de la façon dont d’avoir fait de « l’inversion psychique » une norme [inversion inhérente à la bisexualité psychique, restée sous-jacente au vieux familialisme, ainsi que le trait provocateur, mais en vérité si profond de Blanche Gardin l’a relevé : « La manif pour tous, tous des pédés » ], nous avons ouvert la voie des nouvelles ségrégations « wokistes » – qui veut savoir quelque chose ?

Je note là que tout cela ne date pas d’aujourd’hui. C’est ainsi que dès la fin des années 50, dans le contrecoup  de la catastrophe nazie, la problématique œdipienne commençant à être remisée au magasin des antiquités freudiennes, le psychanalyste Lacan, fin interprète de l’hystérie et des masques de l’infantilisme, vit advenir cette mythologie préœdipienne des plus confuses qui, plusieurs décennies plus tard, allait prendre force de loi sous le néologisme d’homoparentalité.

Qui accepte de reconnaître combien, le miroir défaillant, le principe du père mis sous cloche, deux fondamentalismes s’entretiennent l’un l’autre ?

Comment espérer pouvoir mettre la limite comme il le faudrait à l’expansion du communautarisme islamiste, à l’envahissement de l’espace public par ses emblèmes  (emblèmes indiquant au peuple de souche et autres assimilés la sécession engagée), si ce sont, comme ceux-là le reçoivent sans nul doute, des  » fils déguisés en père » (la formule, visant les fils œdipiens, est de mon cher Michaux, dans son texte Rature) qui mènent le bal et nous gouvernent?

Et qui peut croire, alors que la fonction paternelle (tierce et de limite) de l’État est, comme telle, à la dérive, on va réussir à mettre au pli de notre référence souveraine, nationale, ceux qui se trouvent aussi bien entretenus par notre propre désintégration des repères existentiels universels que par des mères et des pères eux-mêmes régressivement sur-enlacés à la Oumma, dans la haine de l’autre Mère et du Père que peuvent venir représenter pour eux la France et ses institutions ?

Assa Traoré refuse de changer de disque

La fondatrice du comité « Vérité et justice », Assa Traoré, tenait un rassemblement hier soir à Paris pour protester contre le non lieu qui vient d’être prononcé dans l’affaire de la mort de son frère Adama, survenue il y a déjà sept ans suite à un malaise cardiaque dans une gendarmerie. Malgré des signes d’essoufflement, les militants qui l’entourent, persuadés que le jeune homme a été victime du racisme des forces de l’ordre, entendent visiblement continuer le combat judiciaire. Causeur est allé écouter leurs rengaines.


Si l’on peut évidemment toujours comprendre la douleur d’une sœur, après la perte d’un frère mort trop jeune, la presse française a en réalité déjà beaucoup pleuré sur le triste sort d’Adama Traoré. Et, après le non-lieu prononcé vendredi dernier par la justice, l’avocat des gendarmes, Me Rodolphe Bosselut, a bien rappelé le calvaire de ses clients dans cette affaire. Depuis sept ans, une bonne partie des médias, les partis de gauche et Assa Traoré leur ont, sans preuves, imputé la mort du jeune homme. « C’est un dossier complètement fou, parce que sur une base inexistante, on a construit un dossier qu’on voulait être la référence du racisme prétendu systémique des forces de sécurité intérieure ! » Pourtant, la partie adverse fait appel.

Gare au coup de chaleur

La chaleur est étouffante sur la place de la République, mardi 5 septembre, en fin d’après-midi. Les militants se sont donné rendez-vous pour 18 heures. Arrivé en avance, on peut apercevoir des drapeaux rouge et vert du NPA qui attendent d’être sortis des sacs… Les militants discutent ou se cherchent quand, à 18h04, on aperçoit au loin une coiffure afro : c’est Assa Traoré qui fait son apparition. Lunettes de soleil sur le nez, chaussures Nike aux pieds et sac banane noire de la même marque autour de la taille, l’égérie de Louboutin, de Time Magazine ou de M le magazine du Monde est entourée de ses habituels grognards: le petit frère d’Adama, Youssouf, le militant Almany Kanouté, et un des piliers de son comité « Justice pour Adama », Youcef Brakni. C’est ce dernier qui donne l’impression de mener la danse, et qui pointe du doigt la statue de Marianne lorsqu’ils débarquent sur la place. Aussitôt, le petit groupe se déplace pour se placer en hauteur, au pied du monument. Assa Traoré est debout et elle attend pendant 15 bonnes minutes en regardant par terre ou au loin. Cherche-t-elle l’inspiration pour son discours ? un nouveau souffle ? Comme il faut cependant garder l’attention des personnes déjà présentes, elle adresse par moments clins d’œil ou larges sourires à ceux qu’elle reconnaît, et chuchote aux voisins qui l’entourent… Pas plus de 300 personnes, journalistes compris, ont fait le déplacement. Sans grande surprise, on peut apercevoir dans l’assistance le militant franco-algérien Taha Bouhafs, ou la conseillère de Paris écolo et LGBT Alice Coffin. Selon Valeurs actuelles, Eric Piolle était discrètement présent – nous ne l’avons pas vu.

A relire: [Rediffusion] La vérité sur l’affaire Adama Traoré

A 18h22, Youcef Brakni, remercie « Révolution permanente », l’organisation politique trotskiste, qui a prêté son mégaphone. Des militants du NPA et de la Fédération des jeunes révolutionnaires sont là, et on aperçoit aussi une affiche en soutien aux Soulèvements de la terre. Mais les députés Nupes manquent à l’appel. Pas d’Éric Coquerel, pas de Louis Boyard, pas de Sandrine Rousseau cette fois ! « On n’est pas d’accord avec le tribunal ! On n’est pas d’accord ! », se met à crier un homme torse-nu, juste à côté d’Assa Traoré avant le discours. L’homme semble avoir échappé à la vigilance des gardes du corps, qui l’éloignent aussitôt. Héo, c’est pas toi la vedette, coco ! Une mystérieuse femme en casquette blanche vient ensuite embrasser Assa Traoré. Elle arbore un t-shirt « Justice pour Nahel ». Après s’être offert un peu d’air frais avec un éventail, Assa Traoré prend enfin la parole.

Et ça continue encore et encore…

« Aujourd’hui on prend la parole pour parler de ce non-lieu. Mais on la prend aussi pour dire qu’on ne peut pas laisser notre pays la France à la chute, entre les mains de personnes devant décider qui va vivre et qui va mourir », démarre-t-elle. « Ce combat touche tous les autres. Et ils viendront s’attaquer à tous les autres combats. Pour que personne ne puisse avoir une justice ! » s’inquiète-t-elle. Parle-t-elle alors des autres morts survenues lors d’interventions de la police ? Ou parle-t-elle de toutes les autres causes qui tiennent à cœur des militants d’extrême gauche ? Puis, la sœur d’Adama – qui vient donc de confirmer qu’elle est une militante intersectionnelle – rappelle sa version très particulière des faits : « Adama Traoré, comme n’importe quelle personne, voulait juste faire un tour de vélo ! » Interprétation étonnante : il semblait pourtant avoir été établi qu’il fuyait un contrôle de police. « La seule chose qu’ils n’ont pas programmée, c’est qu’on va se battre et on n’est pas prêt de nous arrêter. On ne s’arrêtera pas en septembre 2023. On va continuer le combat jusqu’au bout ! » Les personnes autour de la statue, galvanisées, applaudissent.

A lire aussi, Céline Pina: 15 arguments à opposer aux Tartuffes qui défendent le port de l’abaya à l’école

« On a fait subir un placage ventral à mon frère, parce qu’il était noir, et grand. Notre couleur de peau est devenue un crime ! » Le combat continue, en effet, mais le comité Adama nous ressert un refrain qui n’a pas du tout convaincu les tribunaux : l’accusation en racisme n’a jamais pu être étayée. « La justice fait ce qu’elle veut, on a mis à nu le système français. Tous les éléments sont là pour aller en procès », veut croire Assa Traoré.

En plein Covid, ils étaient des milliers de gauchistes et de jeunes banlieusards, à s’agiter à la porte de Clichy et jusque sur le boulevard périphérique, lors de la manifestation interdite de juin 2020. On se souvient qu’alors Christopher Castaner, ministre de l’Intérieur d’Emmanuel Macron, estimait que pour Floyd et Traoré, l’émotion dépassait les règles juridiques – et ce malgré le fameux et honteux « J’accuse » de 2019, pour lequel Assa Traoré a été poursuivie en diffamation, où étaient amalgamés dans une sorte de complot médecins, procureurs et juges d’instruction… La manifestation d’hier soir n’était pas interdite, mais elle a plutôt fait un flop.

Dézoomez!

Zoom, l’entreprise dont le monde entier a appris le nom pendant le confinement, demande à ses salariés de revenir travailler au bureau


Début août, la plateforme de visioconférence Zoom, dont la croissance a explosé au début de la pandémie avec la généralisation du télétravail, a annoncé qu’elle rappelait ses employés au bureau.

Fin d’une période dorée

Une décision paradoxale pour l’entreprise dont le logiciel a rendu le travail à distance si commode pour des millions de personnes. Seulement voilà, le virtuel ne remplace pas l’humain, même chez Zoom, dont le comité d’entreprise a affirmé « qu’une approche hybride encadrée » permettrait d’assurer un meilleur fonctionnement pour l’entreprise. Désormais, seuls les employés vivant à 80km de leur bureau pourront travailler à distance à plein temps : les autres devront se rendre au bureau au moins deux fois par semaine.

A lire aussi: Alerte rouge sur l’économie européenne

La période dorée de 2020-2022 est désormais loin derrière nous et Zoom l’a bien senti. Alors qu’en octobre 2020, son action en bourse était montée à 500 dollars, elle n’est plus qu’à 66 dollars aujourd’hui. D’où la baisse des effectifs. En février 2023, l’entreprise a annoncé le licenciement de 15% de ses 8 000 employés et la réduction des salaires pour ses employés les mieux rémunérés.

Mauvais pli

Après deux années de travail à distance dans beaucoup d’entreprises, les effets négatifs de cette pratique ont été bien démontrés : baisse d’efficacité, difficultés à suivre et à coordonner le travail, moindre sociabilité… Mais les habitudes prises depuis trois ans ne disparaîtront pas, à en croire le PDG de Zoom, Eric Yuan. Lors d’un conference call avec des investisseurs au mois de mai, il affirmait que « laisser les employés travailler où bon leur semble est devenu une mode. Il est difficile de les forcer à revenir au bureau. » En France, bien que le télétravail ne représente que 0,6 jour par semaine, contre 1,5 jour aux États-Unis ou outre-Manche, nombre d’employeurs souhaitent désormais le réduire encore. On nous disait qu’après le Covid, tout serait différent. Pas tant que ça, finalement.

Vous m’avez manqué…

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Le chroniqueur Olivier Dartigolles © Hannah Assouline

Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. «J’aime qu’on me contredise!» pourrait être sa devise.


Vous m’avez manqué ! J’aime venir ici planter la plume dans vos angoisses.

Avez-vous passé un bon été, entre les Lacs du Connemara et la sortie du nouveau JDD ? On n’est pas bien ? Paisible, à la fraîche, décontracté du grand déconomètre ?

Fin juin, à l’issue d’un débat très animé sur un plateau de CNews, alors que je m’étais efforcé de défendre l’égalité face à des discours obsessionnels sur l’identité, un contradicteur a voulu faire redescendre la température en m’adressant cette remarque : « On peut discuter avec toi car tu es un descendant en ligne directe de la gauche Peppone. » Pourquoi pas cette référence aux aventures de Don Camillo… Comme le maire du petit village italien de Brescello, incarné par l’immense et regretté Gino Cervi, ma gauche a desracines et une histoire. Elle est républicaine, sociale et laïque. Pour elle, il n’y a pas à discuter de la nature du tweet de Médine. Il était odieux, car définitivement antisémite. Pour elle, les habitants de Pissevin, à Nîmes, ont le droit à la sécurité, à une action résolue de la puissance publique contre le trafic de drogues et la loi des bandes, à une rénovation urbaine qui s’occupe autant du bâti que des vies qu’il abrite. Elle ne se contentera jamais de dire « no pasaràn » face au Rassemblement national, car cette stratégie est en échec depuis plus de trente ans et qu’elle s’est accompagnée d’une très lourde défaite idéologique. Quand la gauche n’est plus une espérance, elle n’est pas seulement sanctionnée. Elle risque de disparaître.

A lire aussi : Assa Traoré refuse de changer de disque

Mais Peppone sait aussi trouver quelques qualités à Don Camillo. Par exemple, quand Monseigneur Laurent Ulrich, archevêque de Paris, évoque l’ouverture chrétienne à l’universel : « Si on se referme sur son clan, son groupe, sa nation, comme si elle était la meilleure, sans tâche et sans péché, cela ne va pas », déclare-t-il à La Croix, le 16 août. Il poursuit  : « Notre pays a besoin de trouver un nouveau souffle dans un désir d’unité, qui ne peut se réaliser qu’avec toutes les composantes très diverses de la société, en particulier avec les personnes d’origine étrangère. » Et voici le jeune Henri d’Anselme, le « héros au sac à dos »d’Annecy, qui s’avance à son tour. « Si j’ai pu réagir de cette façon, c’est parce que cela faisait deux mois que je me nourrissais de beau, d’essentiel. Le mal que faisait ce pauvre type m’est apparu insupportable. » (Le Parisien, 14 août). À la question « Vous, le fervent catholique, amoureux des cathédrales, vous avez été courtisé ? », il répond :« J’ai tout fait pour éviter la récupération politicienne. Me présenter comme d’extrême droite, c’est bête et mesquin, du mauvais buzz. Jamais je n’ai pris position pour quelqu’un, encore moins pour Zemmour. Après, je sais très bien ce que j’ai représenté à Annecy : le pèlerin catholique avec sa chevalière face au migrant syrien. Je ne suis pas naïf, mais je m’en fous. »Il a raison.

Ma gauche peut à la fois chanter Sardou et Ferrat, Ferré et Goldman. Elle n’a jamais éprouvé un mépris de classe pour les gens de peu, n’a jamais parlé de « la France des beaufs ».

Je voulais vous parler de vos angoisses et voilà que j’aborde les miennes. Celles d’un avenir en panne d’imaginaire. D’un futur si peu désirable et respirable. De lendemains où les peurs l’emportent.

Le mois prochain, je m’occupe de vous !

Des échecs et du go

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Une petite comparaison érudite des jeux d’échecs que nous prisons, avec le jeu de go des Asiatiques. Ce que ces jeux disent de nous et d’eux.


« Le droit, la science et l’art vont d’un même pas dans une civilisation donnée. Car l’homme marche à la poursuite des images qui l’habitent » (Alain Supiot)

Il en va de même, je crois, des jeux emblématiques que les civilisations se donnent à elles-mêmes, ou qu’elles adoptent après en avoir révolutionné le contenu, afin qu’ils correspondent mieux à leur sensibilité et à leur inclination. Leur examen, lui aussi, nous apprend quelque chose des civilisations concernées, des imaginaires dans lesquels elles s’inscrivent, des aspirations ou des rêves qui les travaillent. Je voudrais, à cet égard, m’arrêter sur les échecs et le go, et voir ce que, dans leur antagonisme essentiellement, ces deux maîtres-jeux peuvent nous révéler de leurs civilisations respectives – Occident d’une part, bloc confucéen (incluant le Japon) d’autre part.


Primauté de la Partie ou du Tout: individualisme et holisme

L’opposition des échecs et du go, c’est d’abord celle des primautés respectives de la Partie sur le Tout, ou du Tout sur la Partie ; pour le dire autrement : l’antithèse entre un jeu au caractère fondamentalement individualiste – les échecs – et un jeu à la nature foncièrement holistique – le go.

Des pierres sans qualité, des pièces ayant du caractère

Cette opposition est marquée, dès l’origine, dans le matériel avec lequel on joue à l’un et à l’autre.

La “spécificité” paradoxale des pierres du go, en effet, c’est leur indifférenciation absolue, leur complète homogénéité, et de forme, et de valeur, fors leur couleur, blanche ou noire, ce sont véritablement des pierres “sans qualité”, des pierres indiscernables les unes des autres. Tous les choix semblent avoir été opérés, à cet égard, pour dépersonnaliser au maximum les pièces asiatiques, et en faire des véhicules aussi neutres que possible. C’est le sentiment qu’inspirent, en tout cas, la forme et le polissage retenus pour les pierres de go, privées ainsi de toute aspérité, de tout relief, de toute angularité, qui auraient pu les singulariser ou trahir l’étincelle d’un Moi, derrière leurs dehors apathiques. Rien ne filtre de ces capsules, sans orifice, sans pertuis, résolument tournées vers l’intérieur. Leur forme lenticulaire rappelle, à cet égard, les yeux clos des saints bouddhistes, que Chesterton opposait aux yeux « toujours grands ouverts » et « affreusement vivants » des saints chrétiens.


Cette « condition statistique » des pierres, pour parler comme Valéry, se renforce aussi de la masse de clones au sein de laquelle elles sont noyées : là où les pièces d’échecs sont au nombre réduit de 32, celles de go, a contrario, sont fondues dans un océan de plus de 300 copies. Enfin, par leur aplatissement, par l’unicité même de leur forme, les pierres de go, comme les pièces de shogi ou de xiangqi, sont des anti-figurines, aussi éloignées que possible des tentatives, véritablement tridimensionnelles, de personnification occidentales. Si nos pièces d’échecs, en effet, ne sont pas absolument singulières, elles ont, par leur verticalité et leur profil, de la personnalité voire comme du caractère. Nul besoin donc d’inscrire sur elles leur fonction, comme on le fait pour leurs homologues japonaises ou chinoises, car leur identification est immédiate : elles ne sont pas les titulaires anonymes d’un quelconque emploi, mais les vivantes incarnations de leur charge, dont elles portent la dignité jusque dans leur physionomie.

Liberté d’infléchir son destin, sujétion à l’ensemble

L’individualité des pièces occidentales tient aussi, évidemment, à leur autonomie et à leur liberté de mouvement, qui s’oppose à la fixité des pierres de go. Pions exceptés, les pièces d’échecs, en effet, sont véritablement des animaux au sens de Spengler, c’est-à-dire de « petits mondes en soi au sein d’un monde plus grand », capables d’évoluer en toute indépendance. Même si leurs mouvements gagnent évidemment à être coordonnés, chacune est autonome, chacune peut poursuivre ses propres sous-objectifs : leur mobilité, précisément, leur confère un libre arbitre, la possibilité, presque toujours, de surseoir à l’inévitable, de s’y dérober par une ultime manœuvre. Il n’est pas anodin, à cet égard, que les principales réformes du jeu d’échecs opérées par l’Occident (au XVème siècle notamment) aient consisté à doper les capacités de déplacement des pièces.

Les pierres asiatiques, à l’inverse, sont d’une immobilité toute végétale, vouées à endurer, telles un homme du bushidô. Là où les échecs donnent barre aux pièces sur leur destin, le go leur en retire tout semblant. Rivées à leur emplacement, les pierres n’ont aucune possibilité de sursaut, aucune capacité à se sauver elles-mêmes ; leur secours, s’il doit avoir lieu, ne proviendra que du reste du groupe. L’idée d’un salut personnel, et plus encore celle d’un salut personnel dont on serait le premier artisan, est étrangère au jeu d’Asie : le go n’enseigne pas à fléchir son destin, mais à y faire face stoïquement, dans l’intérêt supérieur de la collectivité. Là où l’Occident affirme l’individu et son autonomie d’action, l’Asie, elle, martèle ainsi sa subordination à la totalité.

Issue collective et issue personnelle – Le mot de Louis XIV, la radicalisation de la maxime de Frédéric II

Le caractère individualiste des échecs, la nature holistique du go, transparaissent également dans les modalités de capture des pièces et de gain d’une partie. Dans le jeu asiatique, c’est par enveloppement d’un groupe de pierres adverses que la prise intervient. Plusieurs pièces participent donc de la capture, et, si l’une clôt effectivement la nasse, nulle ne joue fondamentalement dans l’entreprise un rôle plus important qu’une autre. La prise y est donc absolument collégiale. Aux échecs au contraire, le mode opératoire est hautement personnel. Non seulement la capture est individuelle, mais la pièce qui prend ne se contente pas de vider l’ennemi du plateau, elle prend physiquement sa place sur l’échiquier.

Les déterminants de la victoire traduisent également cet antagonisme de nature, entre un jeu où toute issue est avant tout personnelle, et un jeu où tout issue est avant tout collective. Aux échecs, seule la survie de son roi et la mort du monarque adverse importent : l’enjeu du combat se résume à leur personne ; le sort des trente autres pièces, lui, est d’une indifférence absolue. En ce sens, la fameuse formule de Louis XIV : « L’État, c’est moi », est proprement la devise des échecs. Ou encore, ce mot de Napoléon, après l’hécatombe d’Eylau : « Une nuit de Paris réparera tout cela ». Rien de plus contraire à l’esprit du go, où toutes les vies sont égales, et où la victoire revêt un caractère essentiellement numérique, incompatible avec une saignée sévère des effectifs. Frédéric II proclamait : « Je ne suis que le premier serviteur de l’État ». Les pierres asiatiques, elles, radicalisent encore cette profession de foi, en retirant ce qu’il reste d’orgueil dans l’épithète frédéricienne.


Tyrannie des passions et libération des chaînes du vouloir

L’opposition des échecs et du go, c’est, ensuite, comme nous avons commencé à le voir, celle de rapports antagonistes aux appétits qui nous travaillent ; pour le dire autrement, l’antithèse entre un jeu qui épouse fondamentalement les passions humaines (les échecs) et un jeu tendant foncièrement à s’affranchir d’elles (le go).

Civilité extrême du lettré, brutalité des combats féodaux

Échecs et go entretiennent un rapport antithétique à la violence. Comme dit précédemment, la capture, dans le jeu asiatique, intervient par enveloppement d’un groupe de pierres adverses. La prise y est donc non seulement impersonnelle mais presque élusive, tant c’est par frôlement, par tangence, qu’elle s’opère. On désarme l’adversaire, et on évacue les prisonniers de l’espace disputé, mais on ne les tue ni ne prend physiquement leur place sur le plateau. L’entièreté du processus se déroule sans effusion de sang, sans éclats, dans une forme de civilité extrême. Tout, plus globalement, au go, se fait d’une manière infiniment feutrée.

Aux échecs au contraire, la prise est à la fois personnelle et frontale, cavaliers exceptés. Plus que frontale, la capture est brutale, féroce même, comme le langage familier (« manger ») l’exprime. Là, aucune idée de prisonniers, comme au go, de vassaux pris pour être ensuite « retournés » contre leur ancien général en chef, ainsi qu’aux échecs japonais : non, les coups y sont portés avec le tranchant de l’épée, et on ne s’en relève pas.

Plus largement, comme l’analyse assez justement Paloma, la jeune protagoniste de L’élégance du hérisson : « Aux échecs, il faut tuer pour gagner. Au go, il faut construire pour vivre […] Le but n’est pas de manger l’autre, mais de construire un plus grand territoire. » A l’affrontement policé de lettrés, présenté avec une bienséance parfaite par l’Asie, répond ainsi la brutalité des combats féodaux, exposée sans fard par l’Occident.

Éloge de l’ombre et louange de la transparence / Admissibilité des moyens

« Observons avec calme, garantissons nos positions, gérons les affaires avec sang-froid, cachons nos capacités et attendons notre heure » (Deng Xiaoping)

Cette opposition n’est pas qu’esthétique : elle a des résonances profondes et concrètes sur l’expérience et la pratique des deux jeux eux-mêmes. Au go, comme dans les tragédies classiques, par souci de bienséance, tout ne se passe pas sur scène. L’essentiel, même, dans le jeu asiatique, fait l’effet de se dérouler ailleurs, hors champ, ce qui rend le spectacle des premières parties tout à fait déconcertant pour l’observateur occidental.

Habitué aux échecs, qui mettent tout sur la table, dès le départ, celui-ci met ainsi du temps à se familiariser avec le caractère silencieux, et, plus encore, souterrain des transformations qui ont cours au go ; plus largement, avec la mécanique de révélation progressive qui est la sienne. Durablement, l’œil occidental guette un combat, et fixe sans comprendre un plateau dont la colonisation se fait de manière erratique, et avant tout périphérique, sans logique apparente.


Privé des points d’attention naturels que forment, aux échecs, les rois et les zones de concentration des pièces, le spectateur désemparé en est réduit à attendre que le brouillard se lève, sur le goban, pour saisir le cours de la bataille ; constater, en réalité, que l’issue en est déjà consommée – que, peut-être, même, elle l’était dès le début. Le go, à cet égard, est un jeu tout entier dédié à la préparation; il n’y a, pour ainsi dire, pas de phase exécutoire : la partie se conclut sur plans.

A l’opposé, les échecs, schématiquement jusqu’à Steinitz[1] (~ 1870), sont d’une très grande simplicité stratégique, l’attaque frontale du roi adverse constituant grosso modo le plan unanimement suivi par l’ensemble des joueurs, en particulier avec les Blancs. L’intérêt essentiel des parties réside alors dans l’exécution de ces offensives, généralement spectaculaire mais imprécise, marquée notamment par une prise de risque et une propension au sacrifice excessives.


Aux antipodes du goban, plongé dans d’indéchiffrables ombres, nappé de brumes épaisses, se dresse alors l’échiquier, bombardé de photons, éclairé par un soleil infatigable. Là, ni révélations parcellaires, ni indiscernables desseins : les projets s’y exposent dans leur limpide barbarie, sous une lumière sans pitié. Là, rien d’une stratégie du “profil bas”, à la Deng Xiaoping, d’un plan conçu avec froideur et machiavélisme pour parvenir à ses fins ; mais, au contraire, une logique presque féodale de l’honneur, prescrivant la noblesse des moyens. A l’accent mis par l’Asie sur le caractère secret, souterrain de la préparation, répond ainsi l’accent mis, par l’Occident, sur le caractère visible, transparent, de l’exécution.

Romantisme chevaleresque, sécheresse de l’esprit de géométrie

« Même le jeu d’échecs était trop poétique pour lui ; il n’aimait pas les échecs parce que ce jeu est plein de cavaliers et de tours, comme un poème. De son propre aveu, il préférait les disques noirs du jeu de dames, parce qu’ils ressemblent davantage aux points noirs d’un diagramme » (Gilbert Keith Chesterton)

Les échecs sont un jeu plein de bruit et de fureur, un jeu qui charrie quelque chose d’épique et de shakespearien. Le go au contraire est infiniment plus clinique, infiniment plus dépassionné dans son approche des choses. Il est véritablement du côté de l’esprit de géométrie, si je reprends les catégories pascaliennes ; du côté apoétique et mathématique du diagramme (cf. le goban), si je réutilise celles de Chesterton. A l’inverse, il entre quelque chose de chevaleresque aux échecs, pas seulement à cause des pièces qu’il mobilise, mais dans sa pratique même, jusqu’à la fin du XIXème siècle grosso modo, car l’on y joue encore essentiellement comme on charge à Azincourt, c’est-à-dire avec déraison, mais panache. L’opposition entre le romantisme échevelé du jeu d’Occident, et la sécheresse analytique du jeu d’Asie, encore exemplaire jusque dans les années 1850-1870, a considérablement perdu de sa force depuis avec la dé-poétisation des échecs, toujours plus affaire d’ordinateurs et d’exactitude. Sa pertinence demeure cependant quand on souligne combien la rationalisation fut longue à y intervenir, et combien, au moins autant que tardive, elle y a été douloureuse. L’objectivation, en effet, est consubstantielle au go, car celui-ci, par l’uniformité de la valeur de ses pièces et son caractère fondamentalement apolaire, invite spontanément à l’adoption d’une focale globale et de voies contournées pour atteindre ses buts.

Aux échecs à l’inverse, l’attribution à chacun d’une cible claire et circonscrite invite à foncer, et la fécondité de l’emploi de chemins de traverse, la pertinence de lutter pour de petits avantages positionnels annexes, n’ont rien d’évident. Plus fondamentalement, cette rationalisation du jeu implique de faire un deuil auquel ses amateurs se sont longtemps refusés, et dont la défaite de Kasparov face à Deep Blue, en 1997, a été l’occasion de revivre l’intensité. Ce deuil, c’est celui du primat de l’esthétique sur l’efficacité pure ; ou, pour le dire autrement, le deuil des échecs conçus comme une affaire avant tout humaine – biaisée, dès lors, par les passions qu’une telle qualité implique.

Kasparov contre Deep Blue, 4 mai 1997 (C) SUTCLIFFE NEWS FEATURES/POHLE/POHLE/SIPA Numéro de photo : 00303055_000001

Tyrannie du vouloir, renoncement à l’égo

Échecs et go, plus largement, s’opposent quant à la nature des protagonistes dont ils mettent en scène l’affrontement. Dans le jeu prisé par l’Occident, le combat est égotique et mesquin, c’est celui de voisins prêts à brûler tous leurs vaisseaux pour purger leur querelle et assouvir leur volonté de puissance, fût-ce à mourir eux-mêmes et à tout réduire en cendres autour d’eux. L’étroitesse du plateau, renforcée encore par son encombrement initial et la difficulté qu’on a à y manœuvrer, parfois contre ses propres pièces, traduit bien, à cet égard, la relative médiocrité des motifs comme des enjeux du conflit : on ne se combat pas pour de grandes fins, on s’entre-tue au nom d’une rivalité sordide, parce qu’on demeure, comme le notait Pascal, de différents côtés de l’eau. Rien de pareil au go, où l’exigence, martelée par la fixité des pierres, est que chacun tienne sa position, que nul ne quitte, sous aucun motif, aussi impérieux qu’il soit, la place qui lui a été assignée. Il s’agit proprement d’atteindre l’immobilité minérale que Takeda Shingen recommande à son clan, dans le Kagemusha d’Akira Kurosawa, et que le daimyô et ses généraux mettent eux-mêmes en pratique, au plus fort des combats. J’écris immobilité, mais il vaudrait mieux dire, à cet égard, inamovibilité, inamovibilité au sein d’un ordre cosmique des choses.

Comparativement aux échecs, l’objet de la lutte, au go, est à la fois infiniment vaste et plus étranger à toute idée de passion. Comme l’étendue du plateau y fait naturellement penser, comme sa neutralité même le confirme, le théâtre de l’affrontement asiatique, en effet, c’est l’Univers, c’est l’Espace[2]. On n’y assiste pas au conflit, ponctuel et sans lendemain, de deux féodaux, mais à la lutte immémoriale de deux principes cosmiques, appelée à se rééditer éternellement sans jamais se conclure. De là l’impossibilité d’éradiquer les pièces adverses ainsi qu’on peut le faire aux échecs : c’est que l’idée d’une victoire définitive, l’idée d’une annihilation n’a pas de sens au regard de l’affrontement que le go entend représenter. Il est entendu, dès l’origine, que les deux principes subsisteront au terme de la partie, qu’ils sont certes antagoniques, mais aussi consubstantiels, en un sens complémentaires, à l’instar d’un Yin et d’un Yang. Le go, à cet égard, est un jeu du flux et du reflux, « accomplissant dans l’interdépendance des contraires les secrets mouvements du Tao » (Nan Shan).


Christianisme et sentiment faustien, Tao et bouddhisme zen

J’ai posé, en introduction, que l’adoption, par une civilisation donnée, d’un jeu emblématique, ne diffère pas de l’adoption, par elle, d’un droit, d’une science et d’un art ; davantage : qu’elle procède, précisément, d’un même imaginaire, pour parler comme Alain Supiot, ou d’un même sentiment cosmique, pour m’exprimer comme Spengler. Achevons donc de vérifier la robustesse de cette hypothèse, en mettant au jour : d’une part, l’inspiration faustienne des échecs, l’importance qu’y joue « le pathos de la troisième dimension » ; d’autre part, l’imprégnation essentielle du go par le Tao et le bouddhisme, sa parenté profonde avec les jardins zen, ces univers miniatures qui quintessencient l’âme asiatique.

Fécondité et impensé du vide – Le go comme lutte cosmogonique

« Au début est le Tao, et le Tao est pur, le Tao est vide » (Nan Shan)

Le Tao, c’est la virginité fondamentale du goban, par opposition à l’échiquier surchargé. Là où l’Occident décime son plateau, l’Asie, elle, le peuple ; plus exactement même, elle l’in-forme, littéralement. Le vide a, à cet égard, un statut très différent d’un jeu à l’autre, qui rappelle les analyses des Transformations silencieuses, de François Jullien. Au go, le vide est fécond ; non seulement son contrôle vaut des points, mais la matière en émerge, la matière en jaillit, par floraison de pierres noires et blanches qui font penser à des couples de particules et d’anti-particules. Les échecs, en revanche, ont comme horreur du vide ; et si le plateau désemplit, il ne se désertifie jamais tout à fait. Héritier d’une pensée de l’Être, l’Occident peine, dans cette perspective, à concevoir le vide autrement que comme la soustraction ou la cessation d’une présence ; et c’est exactement la philosophie que déploient les échecs. Le go, a contrario, peuple de pierres latentes chacune des intersections du goban, comme autant d’embusqués n’attendant qu’un signal pour se révéler. Le vide, alors, n’est plus la négation de l’Être, mais s’affirme, précisément, comme l’antichambre ou le prologue de l’Être.

J’ai parlé jusqu’ici d’une lutte à propos du jeu de go ; mais ce qu’il donne à voir, à cet égard, c’est moins un combat qu’une cosmogonie, moins un affrontement que l’enfantement d’un monde, par ségrégation de deux principes primordiaux. La partition progressive des pierres blanches et noires est le modus operandi de cet accouchement des origines : elle renvoie aussi bien, sur son versant mythique, à la séparation de la terre et des cieux, que, sur son versant scientifique, à l’énigmatique asymétrie de la matière et de l’antimatière. Le Tao, à cet égard, c’est le vide intersidéral dont émergent progressivement des pierres, pareilles à des étoiles fixes lointaines, pour l’enrichir de leurs constellations.

L’antithèse du cercle et de la croix

« Pour exister, Cosmos nécessite un certain jeu, et ce jeu inclut Chaos et Vide […]

Lorsque Cosmos s’est trop chargé de sens, le jeu est obstrué, apparaissent rigidité, opacité, ossification, la décadence et le déclin de la manifestation commence. » (Nan Shan)

L’étrangeté du jeu d’Asie, pour nous, Occidentaux, tient beaucoup à ce parti-pris cosmogonique, qui, schématiquement, fait finir la partie là où nous la ferions débuter – savoir, avec un plateau saturé et parfaitement ségrégué. Le go a ceci de déstabilisant, en particulier, qu’il ne cesse de progresser vers toujours plus d’ordre, quand nous sommes habitués, aux échecs, à évoluer au contraire vers toujours plus de chaos, vers toujours plus d’éclatement de la parfaite conformation de départ. Pour un esprit occidental, le cours du jeu d’Asie a donc quelque chose de fondamentalement contraire à la flèche du temps, de fondamentalement contraire à l’idée chrétienne de la parousie. Le go m’apparaît plus exactement comme un jeu du flux et du reflux, et m’évoque souvent l’image d’un mandala dans lequel on se serait limité à l’utilisation de deux couleurs. Leur dispersion, en particulier, me semble avoir pour même motif cette ossification du cosmos évoquée par Nan Shan, qui contredirait, si on la prolongeait, la fondamentale impermanence des choses. Quant à l’impossibilité d’éradiquer totalement la puissance adverse, elle traduit combien le go, à l’instar du shogi avec son recyclage des pièces adverses, est marqué par l’idée du samsâra.

On retrouve ici, dans cette opposition entre un temps chrétien linéaire et sa conception bouddhique cyclique, l’antithèse chestertonienne plus large du cercle et de la croix, traduisant l’antinomie entre un culte centripète (le bouddhisme), tourné vers l’intérieur, et un culte centrifuge (le christianisme), éclatant vers l’extérieur.

Cette angularité supérieure des échecs, ou cette rotondité supérieure du go, sont évidentes dans les pièces avec lesquelles on les pratique, non seulement dans leur forme, mais dans la personnalité affirmée de celles d’Occident, et l’équanimité absolue de celles d’Asie. On pourrait dire encore : dans la puissance des désirs qui animent les premières, et la satisfaction parfaitement statique des secondes, pareilles aux statues du Bouddha assis, contemplant son nombril.

Cathédrale faustienne et jardin zen / Pathos de la 3ème dimension et génie du microcosmique

L’acuité et la rondeur susmentionnées se retrouvent également dans la brutalité et la nervosité d’une partie d’échecs, d’une part, le cours au contraire méandrique et toujours parfaitement policé d’une partie de go, d’autre part.

Plus spécifiquement, il entre, oui, quelque chose de proprement aigu dans le jeu d’Occident, beaucoup plus propice aux climax, aux renversements de situation absolus, que son homologue d’Asie ; quelque chose de l’arc brisé gothique, dans la tension architecturale que celui-ci infuse et dans l’élévation supérieure qu’il permet d’aller chercher. Il n’est jusqu’aux rangées bicolores de l’échiquier qui n’évoquent, dans cette perspective, les claviers étagés d’un orgue, cet instrument de la domination de l’espace indissociable des cathédrales faustiennes. Ce « pathos de la troisième dimension » n’existe pas, en revanche, au go. J’ai déjà parlé, à cet égard, de l’horizontalité des pierres, mais il n’est pas anodin non plus, par exemple, qu’à la différence des échecs, pour lesquels une variante cubique a été inventée, aucune modalité proprement tridimensionnelle de pratique n’ait vu le jour dans le jeu asiatique.

L’analogue, au go, des cathédrales faustiennes, ces lieux de prière désespérément tendus vers les hauteurs, ce sont les jardins de contemplation et de méditation chers aux pays du bloc confucéen ; plus exactement et plus littéralement, les karesansui, ces jardins secs japonais faits essentiellement de sable (ou de graviers) et de rochers, parfois auréolés de mousse.

Jardin du Ryôan-ji, Japon. Photo : Wikimedia commons

La parenté du go et des karensansui transparaît, d’abord, dans la couleur sableuse du goban et dans son quadrillage régulier, qui rappelle le ratissage rectiligne, ou concentrique en périphérie des rochers, pratiqué dans ces lieux de méditation. Le nettoyage du plateau fait alors songer, comme j’ai déjà pu le suggérer, à l’éparpillement d’un mandala, ou encore, à l’effacement d’un dessin dans le sable.

Le son accompagnant l’apposition d’une pierre sur le goban évoque également un dispositif récurrent des jardins japonais, le sôzu, constitué d’un tube, alimenté par un filet d’eau continu, qui vient périodiquement basculer et frapper un rocher, en produisant un bruit sec. De même que celui-ci ponctue cycliquement le silence, chaque pièce nouvellement introduite sur le plateau s’apparente alors, pour moi, à une ponctuation du vide, c’est-à-dire à une ponctuation du goban. Il faut aussi souligner combien pratique du go et contemplation des jardins zen s’accordent. On pense, immédiatement, à cette lenteur et à ce calme plus général, propices à la méditation, qui émanent du jeu d’Asie, par opposition aux échecs. Mais la convergence est plus profonde : elle tient à ce qu’il entre, dans le go, quelque chose de tellurique, de fortement lié au sol, pour reprendre les analyses de Yourcenar sur les danses antiques de l’Extrême-Orient. Le go, en effet, à rebours du caractère fondamentalement mobile voire virevoltant des échecs, est un jeu de la stratification, un jeu de la sédimentation lente des positions. Son rythme est donc fondamentalement en phase avec celui de la nature, avec le temps que celle-ci met à accomplir ses œuvres.

La proximité du jeu d’Asie et des jardins secs tient, ensuite, à ce que l’apparition progressive des pierres sur le plateau a également, pour moi, des allures de floraison, même si la logique de leur disposition renvoie davantage à la constitution de lignes de force qu’à celle de parterres colorés. Je parle volontairement de lignes de force, car c’est ce qui explique, je crois, la surprenante impersonnalité et uniformité des pièces asiatiques, maintes fois relevées : c’est qu’elles ne figurent pas des individus, mais des particules de principes, dont elles sont les réceptacles, les véhicules, les quanta. Nan Shan mentionne à plusieurs reprises, dans ses écrits, « la bouddhéité dans ce qui est aussi petit qu’une graine de moutarde, aussi vaste que le mont Suméru ». L’éclosion des pierres, sur le goban, évoque ainsi celle de boutons de lotus, symbole de l’éveil spirituel, dont les racines « plongent [indiscernablement] dans la vase », mais dont la fleur, « traversant l’océan des passions, […] s’élève au-dessus des eaux ». Mais on peut aussi penser, en considérant le dépouillement des pierres, l’endurance dont leur enveloppe comme leur fixité témoignent, au bonsaï dont parle Yourcenar, « plié, élagué, affamé, pour faire peu à peu de lui cette merveille qui durera des siècles ».

Le bonsaï, dont le nom chinois signifie littéralement « paysage en pot », est à cet égard l’archétype d’une essentialisation asiatique prisant la réduction des échelles, la miniaturisation des objets dont elle entend exprimer le Tao. Il est significatif, dans cette perspective, qu’à la différence des échecs, où la nature fonceuse et nerveuse du jeu invite certaines écoles de formation à démarrer par l’étude des finales, l’initiation au go, elle, procède au contraire par rétrécissement homothétique du plateau de jeu, ramené à 9×9 puis 13×13 intersections. Nan Shan parlait, à propos des bonsaïs, « d’un paradis dans une gourde » ; on pourrait parler plus largement, pour qualifier ce génie propre à l’Asie, d’un art « de l’essentialisation dans un atome ». Le go en relève, le karesansui en relève, et, comme le note superbement Yourcenar, dans un passage sur lequel je me propose de conclure, il en va de même du haïku : « Il n’est pas étonnant que ces jardins de contemplation soient devenus pour nous le parfait miroir de l’âme japonaise — comme le haïku, né vers la même époque, où tout l’univers tient dans une feuille qui tremble ou une grenouille qui plonge dans l’eau, nous semble aujourd’hui la suprême forme de la poésie nippone. »


[1] On peut, comme toujours, trouver des précurseurs de cette révolution – Philidor par exemple. Mais il n’en reste pas moins que le fait général demeure.

[2] Confer, à cet égard, le nom d’étoiles – hoshi – donné aux neufs points noirs épais du plateau de jeu – le goban.

Israël, des jours redoutables

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Peinture tirée d’une série réalisée par l’artiste israélienne Einat Arif-Galanti sur les manifestations massives qu’a connues le pays tout l’été © Einat Arif-Galanti

La détermination de Benjamin Netanyahu à éviter les poursuites judiciaires plonge Israël dans une crise constitutionnelle sans précédent. Après des mois de contestation, les institutions, piliers de la démocratie, s’opposent ouvertement au chef du gouvernement.


Le 16 août, Yedioth Aharonot, premier quotidien israélien, faisait cette annonce en une : « D’après des sources gouvernementales, en cas de crise constitutionnelle, l’armée, les services de sécurité et le Mossad obéiront à la Cour constitutionnelle. » Oui, vous avez bien lu ! Israël en est là… Dans les coulisses du pouvoir on se prépare à un Tchernobyl constitutionnel, c’est-à-dire à une rupture entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Peut-être aurez-vous remarqué que, dans la liste, une institution et pas la moindre, manque à l’appel : la police. Le lendemain, le chef de la police nationale – qui lui aussi avait noté cette absence – profitait d’une intervention planifiée pour déclarer que « la police, bien entendu, obéirait à la loi », s’attirant une réplique immédiate de son ministre de tutelle, Itamar Ben Gvir, qui rappelait que, « selon la loi, la police obéit à un gouvernement élu par le peuple ». Toute la crise israélienne est résumée par cette passe d’armes. Un exécutif qui croit que la démocratie se résume à l’obéissance à la majorité, face à un haut fonctionnaire fidèle aux contre-pouvoirs, attaché aux libertés. Ce qu’on appelle en français un républicain.

Les contre-pouvoirs en question

Depuis le début de l’année, Israël est gouverné par une majorité parlementaire dont le projet est de transformer sa démocratie libérale en dictature de la majorité sans garantie de libertés et sans contre-pouvoirs. En l’absence de Constitution, et dans le cadre d’un régime parlementaire pur où le législatif ne fonctionne pas comme pouvoir de contrôle de l’exécutif, l’unique contre-pouvoir institutionnel est la Cour constitutionnelle. L’autre pilier de la démocratie israélienne est l’intériorisation des valeurs démocratiques par de nombreux Israéliens, simples citoyens ou fonctionnaires, et leur attachement à leur pays. Pour reprendre une formule de la déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique, la démocratie israélienne tient car une masse critique de citoyens israéliens des élites du pays croit (encore) que les libertés son t« des vérités allant de soi ».

C’est donc aux deux socles de la société libérale, la Cour constitutionnelle et la société civile, que le gouvernement s’en prend. Pour quelle raison ? La réponse est aussi simple que désespérante : poursuivi pour plusieurs affaires d’abus de pouvoir, Benyamin Netanyahou veut empêcher la tenue de son procès. Son statut exceptionnel dans le paysage politique israélien et la base électoral forte et solide dont il jouit le placent au centre du jeu : sans lui rien n’est possible. Pour parvenir à ses fins, il a construit une alliance avec deux groupes qui, pour des raisons autrement plus profondes, ont eux aussi la Cour suprême dans leur ligne de mire.

Le premier groupe est celui des ultra-orthodoxes qui voudraient transformer Israël en une théocratie gouvernée par la loi religieuse juive. Le deuxième estcelui des colons fondamentalistes, religieux et nationalistes, qui prétendent annexer tous les territoires à l’ouest du Jourdain sans accorder de droits aux non-juifs qui y vivent. Quant à la base de Netanyahou, elle préfère la synagogue aux libertés.

Si la dimension des origines n’est pas étrangère aux fractures israéliennes, il serait trop simple de les réduire au clivage « ashkénazes/sépharades ». Les « pro-Bibi », plutôt sépharades, n’ont pas de problème avec les colons ou des ultra-orthodoxes ashkénazes. Ils sont plutôt fâchés avec les valeurs libérales, en particulier avec la séparation entre politique et religieux.

Coalition cauchemardesque

Face à cette coalition cauchemardesque, le camp de la démocratie libérale a dégainé une arme redoutable. Au-delà d’une mobilisation épique (manifs du samedi soir, marche vers Jérusalem, initiatives locales de harcèlement des représentants de la majorité) qui dure plus de huit mois, de nombreux Israéliens ont décidé de suspendre leur contribution à la sécurité nationale. Or, le camp démocratique israélien es tune « élite de service », surtout militaire. Officiers, pilotes, unités d’élite, renseignement, technologie : tout ce qui fait de l’armée israélienne un outil souple et efficace repose sur leur volonté de servir leur pays au-delà du devoir.

Pour le moment, il ne s’agit pas de désobéir. Les enfants répondent présents dès leur 18 ans et leurs parents font de même quand ils doivent accomplir leur service de réservistes. En revanche, les réservistes bénévoles ne veulent plus servir un régime qu’ils jugent non démocratique, donc illégitime. Or, les réservistes bénévoles sont pleinement intégrés dans de nombreuses unités, en particulier les escadrons de l’armée de l’air, où ils vont voler et s’entraîner toutes les semaines. Ils sont aussi convoqués, parfois par simple coup de fil, bien au-delà de l’âge légal. Ce sont les officiers et les pilotes les plus expérimentés, les instructeurs chevronnés, ceux qui garantissent le fonctionnement, en temps de paix et de guerre – ou pendant les opérations spéciales – des centres de contrôle opérationnel, permanences et autres chaînons essentiels du commandement. Sans eux, sans leur assentiment à donner bien plus que ce que la loi exige d’eux, l’armée perd de ses compétences.

Les prochaines semaines vont être dignes du nom que leur a donné la tradition juive : « Les jours redoutables »– terme qui désigne la saison pénitentielle qui précède Yom Kippour. Les digues institutionnelles se sont effondrées ; Israël est proche du« Ground Zero »du droit constitutionnel, c’est l’existence de la Cité qui est menacée.

Il existe cependant des raisons d’espérer. D’abord, le camp de la sécularisation est énorme, vigoureux et sain – contrairement aux gilets jaunes, ce camp a déjà fait émerger un leadership formidable et, depuis neuf mois, il a su éviter jalousies, ressentiments et récupérations. Ensuite, il est possible que Netanyahou soit allé trop loin. L’homme qui doit son pouvoir à son art consommé de la manipulation des clivages traditionnels de la politique israélienne (juifs/Arabes, religieux/laïcs, deux États/annexion, ashkénazes/sépharades) vient d’en créer un nouveau : pour ou contre la démocratie libérale. Désormais Israël se pose la question de son régime, une question qui efface toutes les autres, forge de nouveaux camps et de nouvelles alliances et ouvre la voie à de nouvelles majorités de gouvernement. La première république israélienne est à l’agonie, mais il existe des forces politiques capables de porter la deuxième sur ses fonts baptismaux.

Marion l’Européenne

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Marion Maréchal (Reconquête!) sur le plateau du journal télévisé de TF1, 6 septembre 2023. D.R.

Après avoir soutenu Eric Zemmour à l’élection présidentielle, Marion Maréchal se présentera pour la première fois devant le suffrage des Français depuis huit ans, en étant tête de liste pour « Reconquête » aux élections européennes. Elle fait ainsi son vrai retour en politique.


Elle dit ne pas se résoudre à voir ses deux filles grandir dans une France où, immigration massive oblige, les sujets de laïcité, d’abayas ou d’insécurité deviennent une préoccupation quotidienne. Quelques minutes avant son passage télévisé, au 20 heures de TF1, l’annonce commençait à circuler. Marion Maréchal a pu confirmer en direct l’information donnée par Eric Zemmour en début de soirée au Figaro : c’est bien elle qui conduira la liste aux prochaines Européennes pour « Reconquête ».

Une bonne droite

Alors que le scrutin n’aura lieu que le 9 juin 2024, nous commençons donc à en savoir plus sur la composition des listes – en tout cas nous avons les noms des têtes d’affiche de la droite nationale. Lundi 4 septembre, Jordan Bardella annonçait qu’il mènerait la liste du Rassemblement national, comme il y a cinq ans. Après les cinq minutes d’antenne accordées par Gilles Bouleau au mouvement « Reconquête », on sait désormais qu’il aura comme principale concurrente Marion Maréchal sur sa droite.

Depuis la fin de séquence électorale de 2022, les discussions bruissaient au sein du jeune mouvement et dans ses alentours, pour savoir qui conduirait la prochaine bataille. La rumeur a circulé d’une rivalité entre Eric Zemmour et Marion Maréchal pour cet enjeu. On a dit cette dernière, mère de deux filles en bas âge, pas totalement désireuse de se lancer à ce point dans la bataille électorale. Finalement, l’intervention sur TF1 clarifie les choses, et Marion Maréchal en a profité pour rappeler les fondamentaux : la ligne sera identitaire. La nièce de Marine Le Pen a précisé que la « grande » bataille allait être « civilisationnelle, historique et vitale » autour de « la défense de notre identité, notre culture, nos valeurs (…) aujourd’hui menacées par la submersion migratoire et par l’islamisation ». Elle a également évoqué le wokisme à deux reprises, ce qui n’est pas courant dans un journal de 20 heures. S’il n’a pas été question de nouveaux débauchages au sein du RN ou de LR, moins encore de fusion des listes avec l’un de ces partis, il a été question de rassemblement des droites. Marion Maréchal a d’ailleurs un point d’accord là-dessus avec… Nicolas Sarkozy, homme de cette rentrée littéraire, comme je l’ai déjà raconté dans ces colonnes.

A lire aussi, Ivan Rioufol: Comment éviter le grand basculement identitaire

Marion Maréchal compte sur la bonne forme des droites, un peu partout en Europe, pour faire « basculer la majorité de l’Union Européenne, tenue par le centre et par la gauche, vers une majorité de la vraie droite », et « donner des réponses européennes au défi collectif » que pose cette submersion migratoire au continent tout entier. Sur TF1, il n’a pas été question en revanche de souverainisme, il n’a guère été question d’indépendance nationale. Est-on loin de la ligne d’un Nicolas Dupont-Aignan ? Ce dernier déclarait en juin que, « si on n’arrive pas à résoudre les problèmes de sécurité, d’immigration, de chômage, de pouvoir d’achat, d’écologie, c’est parce que la France a perdu toute indépendance et toute liberté d’action », et qu’il envisageait d’accueillir sur sa liste Michel Onfray.

Rumeurs

L’annonce de Marion Maréchal pourrait être interprétée par certains comme une passation de pouvoir au sein du mouvement « Reconquête ». Dans un article à paraître aujourd’hui dans l’Express, Eric Zemmour est présenté comme peu passionné par les affaires d’appareil, et, si l’on donne du crédit aux témoignages (anonymes) recueillis par la journaliste Marylou Magal, le parti était carrément en train de se décomposer autour des querelles de personnes, querelles dans lesquelles les uns reprochent aux autres de travailler encore moins qu’eux-mêmes… La défaite de 2022 a forcément laissé des marques, et l’idée que le chef du mouvement s’efface au profit d’autres figures a bien pu être murmurée çà et là sur quelques lèvres. Le parti ne manque pas de talents, avec à sa tête le triumvirat Guillaume Peltier-Marion Maréchal-Nicolas Bay. Mais, devant la question insistante de Gilles Boulleau, Marion Maréchal a tenu à rassurer : « Je souhaite qu’Eric Zemmour soit le candidat en 2027 (…), il a réussi après quelques mois d’existence à réunir près de deux millions d’électeurs et à devenir le quatrième parti de France : peu de personnes dans l’histoire politique récente peuvent se targuer d’un tel succès ». Sans vouloir être désagréable avec la petite-fille de Jean-Marie Le Pen, nous lui rappelons quand même la performance d’un certain… Emmanuel Macron, qui lui, a carrément remporté l’élection en 2017 !

A lire aussi, Jean Messiha: Les deux mamelles empoisonnées d’un pays en tension

Dans un sondage IFOP paru dans le Journal du dimanche du 3 septembre, « Reconquête » est annoncé entre 6,5 et 7%, selon les hypothèses, loin derrière les 25% que pourrait obtenir le Rassemblement National. Avec les 8% obtenus en 2019, la liste Les Républicains menée par François-Xavier Bellamy avait pu envoyer huit députés à Strasbourg.

Né sur le pari d’une explosion du Rassemblement national au lendemain de l’échec de celui-ci aux régionales de 2021, le chemin sera difficile pour « Reconquête », qui va devoir jouer des coudes dans le match des droites, alors que son principal concurrent est en train de gagner la bataille de la respectabilité au sein du Palais Bourbon. Marion Maréchal devra être particulièrement convaincante sur les estrades et dans les meetings pour renverser la tendance et motiver les abstentionnistes, la vraie clé de cette élection : en 2019, seuls 50% des électeurs français s’étaient déplacés. Le scrutin n’a qu’un seul tour.

Le «catastrophisme éclairé» de Claire, Camille et Aymeric

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De gauche à droite, Claire Nouvian, Camille Etienne et le député LFI Aymeric Caron © Jean-Marc HAEDRICH / SYSPEO/SIPA / XAVIER VILA / SIPA

L’écologiste Claire Nouvian nous prévient: la catastrophe est là pour des dizaines de milliers d’années. Alors, pas question de faire dans le rassurisme! Selon d’autres militants, le vrai courage aujourd’hui consiste à avoir peur. Vraiment, les discussions écolos cassent toujours l’ambiance!


« C’est le châtiment ! Faites pénitence ! La fin des temps est venue ! Tout le monde va périr ! Et les survivants mourront de faim et de froid ! » Chacun aura reconnu les prédictions apocalyptiques de Philippulus le Prophète, ancien collaborateur de l’astronome Hippolyte Calys devenu fou dans L’Étoile mystérieuse, neuvième album des aventures de Tintin. Ce qui n’était qu’un personnage de fiction ridicule est devenu une réalité : nous pensions avoir atteint le sommet avec Greta Thunberg mais une activiste écologiste française est en train de lui voler la vedette. Autant le dire tout net : la vertigineuse Claire Nouvian plane très au-dessus de la pourtant déjà stratosphérique Suédoise.

Claire Nouvian réapparait dans nos radars

Petit retour en arrière. Le 6 mai 2019, sur CNews, dans l’émission de Pascal Praud, les invités subirent une hausse de la température ambiante et un tremblement de pupitres qui ne devaient rien au « dérèglement climatique ». Atterrés, ils découvrirent Claire Nouvian, candidate aux élections européennes sur la liste de Place publique. Très agitée, cette écologiste prophétisait péremptoirement la fin du monde pour dans pas tard. Devant l’énervement de Pascal Praud et l’incrédulité interrogative d’Élisabeth Lévy, la cartomancienne climatique s’emporta et traita cette dernière de « rétrograde », de « dingue » et de « tarée » avant que de lui intimer l’ordre d’aller se « cultiver scientifiquement ». Après un échange brouillon de noms d’oiseaux entre les participants, Mme Nouvian quitta cette « émission réactionnaire et climatosceptique » en se promettant bien de ne plus jamais y remettre les pieds.

La vie peut être impitoyable. Dans la foulée de son passage sur CNews, Claire Nouvian fut extrêmement déçue de voir Place publique, le mouvement qu’elle avait co-fondé avec Raphaël Glucksmann, tomber entre les mains « d’une poignée d’intrigants formés à l’école du vice des partis politiques », surtout du PS (1). Elle disparut alors des radars médiatiques et politiques – d’aucuns conjecturèrent une retraite monastique propice à la régénération physique et intellectuelle, au repos mais aussi à la réflexion ; d’autres imaginèrent une prise en charge médicale et des traitements de cheval à assommer un bœuf. Quoi qu’il en fût, ses proches comptaient sur un rétablissement complet : une posture corporelle et conceptuelle plus structurée, un regard moins furibard, un ton plus aimable, plus posé et correspondant plus justement à son désir d’exposer scientifiquement certains arguments – bref, globalement, ils espéraient que Claire Nouvian ne passe plus pour une prophétesse de malheur frénétique mais pour une spécialiste des phénomènes climatiques rigoureuse, rationnelle et audible. Malheureusement, la foi collapsologique chevillée au corps, notre pythie écolo est réapparue soudainement dans la matinale de France Inter ce lundi 28 août, et les spécialistes (je ne dirai pas de quoi) sont formels : le traitement a échoué. Certains pensent même que c’est pire qu’avant.

En face d’un Pascal Bruckner pourtant tout acquis à la cause écologique mais effrayé par le verbiage millénariste de certains écolos, l’incandescente Claire Nouvian revendique, comme le philosophe Jean-Pierre Dupuy auquel elle fait référence, un « catastrophisme éclairé ». Ça, pour être éclairé… on pourrait presque parler d’illumination. Sur les ondes radiophoniques, les foudroyants et sombres présages de notre prophétesse prennent des allures mystiques et déchirent l’espace, nos oreilles et le papier peint du studio. « On est dans le mur. […] On a 1,2 °C de réchauffement global. LÀ ! AUJOURD’HUI ! Si demain on arrête les émissions de CO2 par miracle, le réchauffement restera quand même pendant au moins 1000 ans ! […] Non seulement la catastrophe est là, mais ATTENTION !, mettons aussi dans notre petite tête qu’elle est là pour déjà des dizaines de milliers d’années ! » En même temps que « la planète » se réchauffe, un froid polaire s’abat sur le studio. Et ce n’est qu’un début. « Il faut croire à la catastrophe », assène Claire Nouvian, plus menaçante que jamais. « Les gens comme vous n’ont pas assez peur, dit-elle à Pascal Bruckner. En fait, moi j’aimerais que vous ayez beaucoup plus peur. » Si l’écologiste peine à démontrer rationnellement la réalité du « dérèglement du système Terre », elle a en revanche sous le coude une étude norvégienne tout ce qu’il y a de plus scientifique démontrant que… « les gens n’ont pas assez peur ». Mme Nouvian s’échauffe et monte dans les tours  : « En fait, ceux qui sont rassuristes sont tous de droite, ceux qui parlent d’écologie punitive sont tous de droite ou d’extrême droite. » Elle, elle n’est pas “rassuriste” du tout – au bord de la convulsion, la vaticinatrice prévient les journalistes : « C’est enclenché (la catastrophe), vous comprenez ça ? Tout le monde comprend ça. […] Mais ça va empirer, vous comprenez ça ? » Il nous semble entendre, au loin, le son du gong de Philippulus le Prophète…

Le courage d’avoir peur

L’écologisme et ses ramifications sectaires (antispécisme, véganisme, etc.) ont permis l’émergence d’évangélistes médiatiques qui auraient fait mourir de rire nos parents et nos grands-parents mais qui sont aujourd’hui écoutés avec le plus grand sérieux sur la radio publique. Les prédicatrices de cette Nouvelle Église Verdoyante se prénomment Claire (Nouvian), Sandrine (Rousseau) ou Camille (Étienne). Sur France Inter où elle a désormais son estrade attitrée, cette dernière a récemment revendiqué, dans ce charabia infect qui caractérise les sermons écolos, le « courage d’avoir peur » mais aussi « de faire peur » même si « la peur paralyse parce qu’on a peur de faire peur ». Évidemment, la nouvelle coqueluche des médias coche toutes les cases de la bien-pensance : seules comptent les peurs inhérentes à la « catastrophe » écologique, les autres peurs sont « factices », ce sont des « peurs qui empêchent », surtout « ces peurs de l’Autre. Cette xénophobie qui nous divise, pour mieux régner », écrit-elle dans son dernier livre (2). Dans un entretien donné à Télérama, elle affirme encore que «nos sociétés modernes et patriarcales (sic) ont évacué la peur et la vulnérabilité » alors qu’il est nécessaire de « flipper » si on veut réagir. Mais avoir les chocottes ne suffit pas, dit Sœur Camille : il faut aussi impérativement « avoir honte ». C’est un sentiment que partagent nombre de prédicateurs écologistes. Frère Aymeric, l’ange gardien des mamans moustiques et de tous « les animaux non humains », a écrit des pages bouleversantes sur sa propre honte, celle « d’appartenir à cette colonie d’exterminateurs », celle « du privilège que le hasard (lui) a accordé en (le) faisant profiter du costume de tortionnaire en chef », mais aussi « la honte de ces draps, honte de ce toit, honte de ces habits » ; enfin, dans ce style godiche qui rend si parfaitement justice à la pensée foutraco-caronienne, « dès qu’(il) ramène cette vérité à (sa) conscience, la honte d’être en bonne santé, de ne pas avoir mal […] de ne pas appartenir à ces incommensurables cohortes de condamnés au pire pour n’avoir pas eu la chance de naître au sein de l’espèce dominante » (3). Sur France Inter, Sœur Camille avoue donc elle aussi avoir honte, et même, ô sublime abnégation !, « avoir honte pour les autres, pour ceux qui n’ont pas honte ».

En plus de cette machine à endoctriner qu’est devenue l’école, des gourous médiatiques encouragent une jeunesse déboussolée et « éco-anxieuse » à s’engager dans l’écologisme, cette idéologie empreinte de sournoise religiosité et dont les principales vertus théologales semblent être la peur et la honte. La jeune génération est exhortée à chanter les louanges d’un monde à venir idyllique, radieux parce que débarrassé des énergies fossiles, du nucléaire, du confort, des voitures individuelles, des avions, et même des enfants, ces agents polluants qui, de toute manière, met en garde Claire Nouvian, finiront dans « une fournaise qui va devenir invivable ». Notre prophétesse traque les boomers et autres gaspilleurs des « ressources de la planète » en opposant à ces derniers une fausse science dissimulant une véritable machinerie politique et totalitaire. Malheureusement, notre pays, comme de nombreux autres, a succombé à cette religion qu’est devenue l’écologie politique. L’urgence est de dénoncer cette dernière et de dire ce qu’elle est réellement. Tout individu libre et sain d’esprit a le devoir de combattre cette folie qui ruine notre économie, nos paysages, et les cerveaux des plus jeunes de nos compatriotes.


(1) Entretien donné à L’Obs le 20 octobre 2019.

(2) Camille Étienne, Pour un soulèvement écologique, Éditions du Seuil.

(3) Aymeric Caron, Vivant, Éditions Flammarion.

Comment éviter le grand basculement identitaire

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L'ancien Premier ministre français Lionel Jospin, 1er septembre 2023 Image: Capture YouTube / France inter.

Les bouleversements démographiques qui attendent la France sont encore devant nous.


Le temps presse : à force d’aveuglements idéologiques et de mensonges officiels, le basculement civilisationnel approche. Or le plus rageant est d’entendre, chez les plus honnêtes du Camp du Bien, l’aveu tardif de leurs erreurs de jugement, tant sur l’immigration que sur l’importation subséquente d’un islam totalitaire et suprémaciste. Lionel Jospin, haute figure du socialisme français, est de ces honnêtes hommes. Peut-être a-t-il été aussi décillé par son épouse, Sylviane Agacinski, philosophe en prise avec le monde réel, donc en rupture avec le conformisme intellectuel.

A lire aussi, Barbara Lefebvre: Creil 1989-2019: du déni à la soumission

Jospin favorable à l’interdiction de l’abaya

Sur France Inter l’autre jour, l’ancien Premier ministre a en tout cas déclaré, s’opposant à l’offensive islamiste à l’école publique à travers le port de l’abaya : « Sur ces questions, j’ai personnellement évolué ». En 1989, confronté aux premières apparitions du voile, celui qui était ministre de l’Education nationale s’en était remis lâchement aux chefs d’établissement. Il explique aujourd’hui : « Il n’y avait pas eu le 11-Septembre, l’Etat islamique, un développement de l’islamisme massif ». Déjà, en 2002, Jospin avait également reconnu  avoir « péché par naïveté » en pensant : « Si on fait reculer le chômage on fera reculer l’insécurité ; or cela n’a pas d’effet direct sur l’insécurité ».  Il n’empêche : il n’était pas sorcier, dès 1989 (je peux en témoigner), de déceler les dangers contenus dans l’importation d’un islamisme guerrier et dans la constitution d’une contre-civilisation revancharde. Mais l’aveu de Jospin reste malheureusement l’exception.

Comme le rappelle Pierre Albertini (Le Figaro, 31 août), face à la perpétuation de l’immigration de masse (majoritairement musulmane) « un calcul mathématique simple confirme la baisse inexorable des Français de souche et la hausse corrélative des immigrés qui se retrouveront peu ou prou à égalité en 2070. »[1]

A lire aussi, du même auteur: Macron veut « faire nation », mais en faisant semblant

Tous ne font pas leur mea culpa

Or cette perspective d’une substitution identitaire et d’une rupture anthropologique persiste, pour les tenants d’un « progressisme » sans affect et insensible à « l’homme réel », soit à être niée soit à être applaudie. Rien n’est plus convenu, chez les penseurs atteints de rhinocérite, que de récuser la perspective d’un grand remplacement, perçu comme une théorie complotiste par les perroquets médiatiques. Un rapport de l’Institut Montaigne, signé de Bruno Tertrais, s’enchante du fait que « la France s’apprête à connaître un déclin de sa population que seule l’immigration pourrait combler à court et moyen termes » (lire la critique qu’en fait ce mercredi Pierre Vermeren dans Le Figaro). Dans Libération du 29 août, Nicolas Cadène, ancien membre de l’Observatoire de la laïcité, organisme qui s’était fait remarquer par sa complaisance face à l’islam, fustige « le bon sens », associé au « camp réactionnaire (qui) rêve d’un passé qui devrait lui faire honte » et du « retour d’un roman national rance ». La haine de la France française s’est enracinée dans l’ « intelligentsia » mondialiste. Elle ne fera pas son mea culpa. Reste à lui tourner le dos.


[1] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/pierre-albertini-la-demographie-francaise-a-l-horizon-2070-vers-une-double-rupture-anthropologique-20230830

À la jeune fille portant abaya

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Image d'illustration © YASSINE MAHJOUB/SIPA

Notre contributeur a croisé une jeune demoiselle, ayant adopté la mode « pudique »


Je vous ai croisée ce matin dans une rue de notre ville. Vous alliez au lycée, manifestement. Nous avons échangé un vague bonjour. Il n’y avait en effet aucune raison de ne pas nous saluer, là, nous qui marchions sur le même étroit trottoir d’une même ville d’un même pays. Vous portiez voile et abaya, et, me semble-t-il, vous arboriez comme une esquisse de maquillage autour de vos yeux et peut-être bien sur vos lèvres. Je m’en suis amusé. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser : « Voilà une jeune personne adepte, à sa manière, du « en même temps ». L’abaya comme volonté d’occulter toute féminité, le rehaut de cosmétique pour, au contraire, la revendiquer, la souligner. Le vêtement par fidélité à « d’où l’on vient », la famille, la communauté, ses rites, ses codes, ses impératifs, ses rigueurs. La touche de coquetterie pour, au lycée, être fille parmi les autres filles et surtout ne pas se trouver exclue des modes de relation, de séduction mais aussi de rivalités qui y ont cours. Vous me paraissiez donc comme entre deux mondes, entre deux façons de vivre et de concevoir l’existence même.

A lire aussi, Laurence Simon: Et une fois les abayas remisées au placard, Monsieur Attal?

Je me disais, est-ce si simple, à l’adolescence, l’âge des incertitudes multiples, des doutes, des questionnements infinis, de gérer en plus cette ambivalence ? De devoir se faufiler dans ce dédale de contradictions irréductibles, de s’accommoder de normes d’existence drastiquement incompatibles. Votre abaya, votre voile m’autorisaient à penser que vous cautionniez, par exemple, la pratique de la polygamie, que vous entériniez la règle selon laquelle l’homme serait supérieur en droits et en autorité à la femme, que vous considériez l’homosexualité comme une espèce de monstruosité, un délit, voire un crime, etc, etc, tout cela alors même que, là, sur l’étroit trottoir où nous croisions, vous vous rendiez dans ce qui devrait être le haut lieu d’enseignement et de partage de la civilisation à la française. Cette civilisation où au prix de mille et cent combats, mille et cent conquêtes, la voie vers l’égalité entre homme et femme a été ouverte, où la femme mariée n’est pas une épouse parmi d’autres, voire une sorte d’élément de cheptel, où l’homosexualité ne peut plus être poursuivie de quelque manière que ce soit, où surtout a été affirmé une fois pour toutes le droit imprescriptible de croire, penser, ce que l’on veut. Ce droit absolu à l’intimité inviolable de la conscience. Or, c’est bien en mettant en regard ces réalités-là que se constate dans toute sa rigueur l’incompatibilité radicale de nos deux modes d’être citoyens de France. Nier cette incompatibilité radicale est pure folie. Folie, hélas, fort répandue, on le sait…

A lire ensuite, Jean-Paul Brighelli: Abaya: culturel ou cultuel, on l’a dans le luc!

Je fais un rêve: que dans cet établissement de la République où vous vous rendez, on sache vous enseigner avec suffisamment de force les richesses, les beautés et les grandeurs de cette civilisation, la nôtre, afin que, à terme, vous puissiez y adhérer pleinement de cœur, d’âme et d’esprit. Vous ayant croisée, je me suis dit aussi que ce n’était certainement pas en continuant de s’engluer dans la France dévitalisée, dénaturée que nous vendent depuis des décennies les cuistres à costards ajustés et souliers pointus façon Mac Kinsey que nous aurons la moindre chance d’y parvenir. En attendant des jours meilleurs, Mademoiselle à la abaya, peut-être nous croiserons-nous de nouveau sur cet étroit trottoir, et sans doute échangerons-nous un petit bonjour. Ce sera déjà cela…

Une épopée francaise: Quand la France était la France

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À Rome vis comme les Romains…

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© Pascal Fayolle/SIPA

Comment espérer pouvoir mettre la limite comme il le faudrait à l’expansion du communautarisme islamiste, à l’envahissement de l’espace public par ses emblèmes, si ce sont des « fils déguisés en père » qui mènent le bal et nous gouvernent ? Analyse.


La France n’est pas les USA. Et si elle est traditionnellement une terre d’accueil, elle n’est pas une terre d’Islam. Aussi, comme disait il y a peu Pierre Manent, qui sans être un mollasson est loin d’être un va-t-en-guerre, il conviendrait « de réduire la part musulmane de la France, de l’Europe ». C’est donc bien, ainsi que l’engage dans cet article roboratif Jean-Paul Brighelli, au-delà de cette seule sphère de l’école que nous avons à défendre notre environnement culturel, esthétique – notre paysage symbolique –, contre l’offensive islamiste…

Ceci posé, me tenant éloigné de ceux qui dans le vieux fil impérial, romano-chrétien, aussi rénové soit-il sous les couleurs de la Démocratie et de la Nouvelle anthropologie, ne cessent d’usiner la fausse monnaie d’un Occident qui prétend, sinon digérer, surplomber la culture de ceux qui ne sont pas nous, je dis que nous ne réussirons à élaborer comme il le faudrait une politique de grande exigence et de grande fermeté (comme par exemple Driss Ghali l’évoque) face au sécessionnisme culturel islamiste, si dans le même temps nous ne mesurons la puissance irradiante de cet autre fondamentalisme auquel, embarqués dans une régression juridique qui se déploie sous les termes du « progressisme » et de la « lutte contre toutes les discriminations », nous avons cédé.

Aussi je veux bien que Brighelli, dont j’apprécie la vigueur et le style, s’en prenne comme il le fait à ceux qui « s’asseyent sur l’aliénation de donzelles prêtes à servir de boucliers à des fondamentalistes », mais moi, que voulez-vous, je pense en parallèle tout aussitôt à ce cas dont j’ai fait un véritable cas d’école : celui de toute cette « communauté éducative » d’un Lycée du pays basque qui, suivant les consignes ministérielles, presse locale à l’appui (toute une page du quotidien Sud-Ouest), a baissé culotte face à la revendication de deux pimprenelles qui exigeaient de tous de se faire appeler par le prénom masculin qu’elles se sont donné. Face au rouleau compresseur du juridisme lgbtiste, tout l’alentour, prié d’obtempérer à l’injonction des deux adolescentes, a fléchi, les entraînant ainsi, comme leur discours en résonnait pour l’une, dans le potentiel passage à l’acte à venir d’une « transition »… Et cela sans autre idée de la contre-réification identitaire qu’instaure la nouvelle normativité trans-homosexualiste, ni autre écart par rapport à la toute-puissance et à l’économie proprement « meurtrière » du fantasme agi sous couvert de cette idéologie du sujet auto-fondé dans son genre…

A lire aussi, Jeremy Stubbs: École: éducation à la sexualité ou au genre?

Mais de cela – de la façon dont d’avoir fait de « l’inversion psychique » une norme [inversion inhérente à la bisexualité psychique, restée sous-jacente au vieux familialisme, ainsi que le trait provocateur, mais en vérité si profond de Blanche Gardin l’a relevé : « La manif pour tous, tous des pédés » ], nous avons ouvert la voie des nouvelles ségrégations « wokistes » – qui veut savoir quelque chose ?

Je note là que tout cela ne date pas d’aujourd’hui. C’est ainsi que dès la fin des années 50, dans le contrecoup  de la catastrophe nazie, la problématique œdipienne commençant à être remisée au magasin des antiquités freudiennes, le psychanalyste Lacan, fin interprète de l’hystérie et des masques de l’infantilisme, vit advenir cette mythologie préœdipienne des plus confuses qui, plusieurs décennies plus tard, allait prendre force de loi sous le néologisme d’homoparentalité.

Qui accepte de reconnaître combien, le miroir défaillant, le principe du père mis sous cloche, deux fondamentalismes s’entretiennent l’un l’autre ?

Comment espérer pouvoir mettre la limite comme il le faudrait à l’expansion du communautarisme islamiste, à l’envahissement de l’espace public par ses emblèmes  (emblèmes indiquant au peuple de souche et autres assimilés la sécession engagée), si ce sont, comme ceux-là le reçoivent sans nul doute, des  » fils déguisés en père » (la formule, visant les fils œdipiens, est de mon cher Michaux, dans son texte Rature) qui mènent le bal et nous gouvernent?

Et qui peut croire, alors que la fonction paternelle (tierce et de limite) de l’État est, comme telle, à la dérive, on va réussir à mettre au pli de notre référence souveraine, nationale, ceux qui se trouvent aussi bien entretenus par notre propre désintégration des repères existentiels universels que par des mères et des pères eux-mêmes régressivement sur-enlacés à la Oumma, dans la haine de l’autre Mère et du Père que peuvent venir représenter pour eux la France et ses institutions ?

Assa Traoré refuse de changer de disque

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Assa Traoré, Paris, 5 septembre 2023 D.R.

La fondatrice du comité « Vérité et justice », Assa Traoré, tenait un rassemblement hier soir à Paris pour protester contre le non lieu qui vient d’être prononcé dans l’affaire de la mort de son frère Adama, survenue il y a déjà sept ans suite à un malaise cardiaque dans une gendarmerie. Malgré des signes d’essoufflement, les militants qui l’entourent, persuadés que le jeune homme a été victime du racisme des forces de l’ordre, entendent visiblement continuer le combat judiciaire. Causeur est allé écouter leurs rengaines.


Si l’on peut évidemment toujours comprendre la douleur d’une sœur, après la perte d’un frère mort trop jeune, la presse française a en réalité déjà beaucoup pleuré sur le triste sort d’Adama Traoré. Et, après le non-lieu prononcé vendredi dernier par la justice, l’avocat des gendarmes, Me Rodolphe Bosselut, a bien rappelé le calvaire de ses clients dans cette affaire. Depuis sept ans, une bonne partie des médias, les partis de gauche et Assa Traoré leur ont, sans preuves, imputé la mort du jeune homme. « C’est un dossier complètement fou, parce que sur une base inexistante, on a construit un dossier qu’on voulait être la référence du racisme prétendu systémique des forces de sécurité intérieure ! » Pourtant, la partie adverse fait appel.

Gare au coup de chaleur

La chaleur est étouffante sur la place de la République, mardi 5 septembre, en fin d’après-midi. Les militants se sont donné rendez-vous pour 18 heures. Arrivé en avance, on peut apercevoir des drapeaux rouge et vert du NPA qui attendent d’être sortis des sacs… Les militants discutent ou se cherchent quand, à 18h04, on aperçoit au loin une coiffure afro : c’est Assa Traoré qui fait son apparition. Lunettes de soleil sur le nez, chaussures Nike aux pieds et sac banane noire de la même marque autour de la taille, l’égérie de Louboutin, de Time Magazine ou de M le magazine du Monde est entourée de ses habituels grognards: le petit frère d’Adama, Youssouf, le militant Almany Kanouté, et un des piliers de son comité « Justice pour Adama », Youcef Brakni. C’est ce dernier qui donne l’impression de mener la danse, et qui pointe du doigt la statue de Marianne lorsqu’ils débarquent sur la place. Aussitôt, le petit groupe se déplace pour se placer en hauteur, au pied du monument. Assa Traoré est debout et elle attend pendant 15 bonnes minutes en regardant par terre ou au loin. Cherche-t-elle l’inspiration pour son discours ? un nouveau souffle ? Comme il faut cependant garder l’attention des personnes déjà présentes, elle adresse par moments clins d’œil ou larges sourires à ceux qu’elle reconnaît, et chuchote aux voisins qui l’entourent… Pas plus de 300 personnes, journalistes compris, ont fait le déplacement. Sans grande surprise, on peut apercevoir dans l’assistance le militant franco-algérien Taha Bouhafs, ou la conseillère de Paris écolo et LGBT Alice Coffin. Selon Valeurs actuelles, Eric Piolle était discrètement présent – nous ne l’avons pas vu.

A relire: [Rediffusion] La vérité sur l’affaire Adama Traoré

A 18h22, Youcef Brakni, remercie « Révolution permanente », l’organisation politique trotskiste, qui a prêté son mégaphone. Des militants du NPA et de la Fédération des jeunes révolutionnaires sont là, et on aperçoit aussi une affiche en soutien aux Soulèvements de la terre. Mais les députés Nupes manquent à l’appel. Pas d’Éric Coquerel, pas de Louis Boyard, pas de Sandrine Rousseau cette fois ! « On n’est pas d’accord avec le tribunal ! On n’est pas d’accord ! », se met à crier un homme torse-nu, juste à côté d’Assa Traoré avant le discours. L’homme semble avoir échappé à la vigilance des gardes du corps, qui l’éloignent aussitôt. Héo, c’est pas toi la vedette, coco ! Une mystérieuse femme en casquette blanche vient ensuite embrasser Assa Traoré. Elle arbore un t-shirt « Justice pour Nahel ». Après s’être offert un peu d’air frais avec un éventail, Assa Traoré prend enfin la parole.

Et ça continue encore et encore…

« Aujourd’hui on prend la parole pour parler de ce non-lieu. Mais on la prend aussi pour dire qu’on ne peut pas laisser notre pays la France à la chute, entre les mains de personnes devant décider qui va vivre et qui va mourir », démarre-t-elle. « Ce combat touche tous les autres. Et ils viendront s’attaquer à tous les autres combats. Pour que personne ne puisse avoir une justice ! » s’inquiète-t-elle. Parle-t-elle alors des autres morts survenues lors d’interventions de la police ? Ou parle-t-elle de toutes les autres causes qui tiennent à cœur des militants d’extrême gauche ? Puis, la sœur d’Adama – qui vient donc de confirmer qu’elle est une militante intersectionnelle – rappelle sa version très particulière des faits : « Adama Traoré, comme n’importe quelle personne, voulait juste faire un tour de vélo ! » Interprétation étonnante : il semblait pourtant avoir été établi qu’il fuyait un contrôle de police. « La seule chose qu’ils n’ont pas programmée, c’est qu’on va se battre et on n’est pas prêt de nous arrêter. On ne s’arrêtera pas en septembre 2023. On va continuer le combat jusqu’au bout ! » Les personnes autour de la statue, galvanisées, applaudissent.

A lire aussi, Céline Pina: 15 arguments à opposer aux Tartuffes qui défendent le port de l’abaya à l’école

« On a fait subir un placage ventral à mon frère, parce qu’il était noir, et grand. Notre couleur de peau est devenue un crime ! » Le combat continue, en effet, mais le comité Adama nous ressert un refrain qui n’a pas du tout convaincu les tribunaux : l’accusation en racisme n’a jamais pu être étayée. « La justice fait ce qu’elle veut, on a mis à nu le système français. Tous les éléments sont là pour aller en procès », veut croire Assa Traoré.

En plein Covid, ils étaient des milliers de gauchistes et de jeunes banlieusards, à s’agiter à la porte de Clichy et jusque sur le boulevard périphérique, lors de la manifestation interdite de juin 2020. On se souvient qu’alors Christopher Castaner, ministre de l’Intérieur d’Emmanuel Macron, estimait que pour Floyd et Traoré, l’émotion dépassait les règles juridiques – et ce malgré le fameux et honteux « J’accuse » de 2019, pour lequel Assa Traoré a été poursuivie en diffamation, où étaient amalgamés dans une sorte de complot médecins, procureurs et juges d’instruction… La manifestation d’hier soir n’était pas interdite, mais elle a plutôt fait un flop.

Dézoomez!

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D.R.

Zoom, l’entreprise dont le monde entier a appris le nom pendant le confinement, demande à ses salariés de revenir travailler au bureau


Début août, la plateforme de visioconférence Zoom, dont la croissance a explosé au début de la pandémie avec la généralisation du télétravail, a annoncé qu’elle rappelait ses employés au bureau.

Fin d’une période dorée

Une décision paradoxale pour l’entreprise dont le logiciel a rendu le travail à distance si commode pour des millions de personnes. Seulement voilà, le virtuel ne remplace pas l’humain, même chez Zoom, dont le comité d’entreprise a affirmé « qu’une approche hybride encadrée » permettrait d’assurer un meilleur fonctionnement pour l’entreprise. Désormais, seuls les employés vivant à 80km de leur bureau pourront travailler à distance à plein temps : les autres devront se rendre au bureau au moins deux fois par semaine.

A lire aussi: Alerte rouge sur l’économie européenne

La période dorée de 2020-2022 est désormais loin derrière nous et Zoom l’a bien senti. Alors qu’en octobre 2020, son action en bourse était montée à 500 dollars, elle n’est plus qu’à 66 dollars aujourd’hui. D’où la baisse des effectifs. En février 2023, l’entreprise a annoncé le licenciement de 15% de ses 8 000 employés et la réduction des salaires pour ses employés les mieux rémunérés.

Mauvais pli

Après deux années de travail à distance dans beaucoup d’entreprises, les effets négatifs de cette pratique ont été bien démontrés : baisse d’efficacité, difficultés à suivre et à coordonner le travail, moindre sociabilité… Mais les habitudes prises depuis trois ans ne disparaîtront pas, à en croire le PDG de Zoom, Eric Yuan. Lors d’un conference call avec des investisseurs au mois de mai, il affirmait que « laisser les employés travailler où bon leur semble est devenu une mode. Il est difficile de les forcer à revenir au bureau. » En France, bien que le télétravail ne représente que 0,6 jour par semaine, contre 1,5 jour aux États-Unis ou outre-Manche, nombre d’employeurs souhaitent désormais le réduire encore. On nous disait qu’après le Covid, tout serait différent. Pas tant que ça, finalement.