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Alfred Courmes, outrageusement académique

« Ange du mauvais goût » selon André Breton, peintre blasphématoire pour les uns, scandaleusement érotique pour les autres, Alfred Courmes a laissé une œuvre exubérante mêlant fable grecque, iconographie chrétienne et satire sociale. Ce grand oublié du XXe siècle est exposé à Charleville-Mézières.


Sise sur l’ancienne barrière de Pantin, limite de Paris au temps du mur des Fermiers généraux, l’actuelle place du Colonel-Fabien a longtemps été nommée place du Combat. De 1778 à 1945 s’y sont livrés combats de chiens, de cochons, de sangliers et même de taureaux ! Et c’est sur ce site chargé d’histoire qu’en 1971 a été érigé le siège du PCF, édifice moderniste signé Oscar Niemeyer. Désormais rebaptisé Espace Niemeyer, le lieu a accueilli, au printemps dernier, une exposition consacrée à un artiste largement méconnu :« Alfred Courmes, peintre d’histoires ». On peut la voir ces temps-ci à Charleville-Mézières.

Insolent, féroce, facétieux

Courmes (1898-1993) était à sa place, place du Combat : cet artiste insolent, féroce, facétieux, iconoclaste, érudit, a eu sa carte du Parti pendant dix ans –de 1936 à 1946 ! Effet de mode ? Picasso, Léger, Arroyo, Gilles Aillaud en étaient, eux aussi. Sans compter les surréalistes. L’artiste a relativisé rétrospectivement la portée de ce compagnonnage de circonstance. Courmes savait-il sa chance de vivre à l’ombre de Paris, non sous la terreur stalinienne ? Dès 1934, ce natif de Bormes-les-Mimosas, d’abord établi au Lavandou avant de s’installer à Ostende, a pris souche au bord du canal Saint-Martin, toile de fond de nombre de ses tableaux.

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Nourrie de tradition académique dont elle subvertit les codes avec délectation, son œuvre, canaille et polissonne, parodique et cruelle, épanche dans une verve blasphématoire un érotisme farceur dont nos actuelles vestales de la bienséance woke ne manqueront pas de dénoncer l’offense faite à la Femme, aux Minorités et j’en passe. En 1949, Courmes signe une huile intitulée La Belle, son triton et son loup : sur une plage, une sirène en jupons, gantée et masquée, triture des coquillages, observée de loin par deux messieurs en redingote, tandis qu’approche en froufroutant un dragon-nautonier court vêtu d’un débardeur marin.

La marchande de fruits, 1927 © D.R

Ange du mauvais goût

Elle vous l’allumera, toile millésimée 1972, s’agrémente de ce sous-titre leste : « Vous aussi mettez-lui dans les mains votre gros cigare ». Courmes, en 2023, serait mis en examen ! Œdipe, tableau kitschissime présenté au Salon de 1959, montre l’accouplement de la sphinge de Thèbes. Moins rapin que Clovis Trouille, auquel on le compare parfois, Courmes est aussi virtuose que Salvador Dalí. Celui que le sectaire André Breton qualifiait d’« ange du mauvais goût » s’était constitué une mythologie hybride associant, selon des montages intempestifs, des collages burlesques et des juxtapositions exubérantes, fable grecque, iconographie chrétienne, peinture d’histoire, veine paysagiste et naturalisme social. Topos de cette imagerie sacrilège, la figure de saint Sébastien, dont Courmes fait un marin coiffé de son bâchi, moins nu que déculotté, martyr consentant aux flèches qui le lardent, pourvu d’une verge dessinée dans son détail anatomique, frisure pubienne incluse. Le peintre a maintes fois revisité cette figure : de son Saint Sébastien de 1934, acquis par le Centre Pompidou dans les années 1980, jusqu’à son Saint Sébastien à l’écluse Saint-Martin (1974), vu de dos, membres entravés et fessier galbé, en passant par L’Ex-voto à saint Sébastien. Ce dernier se situe entre Mantegna et Chirico, où l’on voit le Romain supplicié flanqué d’une Vierge à l’enfant, laquelle, plantée sur un coton nuageux, pince la poire d’un klaxon pendant qu’au loin une paire d’argousins en képis contiennent la furie d’une plantureuse matrone. Peintre de la vie moderne pétri de culture classique, Courmes compile les références avec une malice faussement ingénue : de saint Roch à Icare, de Persée au Sphinx, des Amazones au Minotaure, d’Ulysse à Antigone… tout en les raccordant à l’âge de la technique, du progrès scientifique et de la publicité. Doux Jésus, quel scandale pastiche la peinture de Georges Rouault, affublant, au pied du Christ en croix, Marie-Madeleine d’une culotte immaculée de marque Scandale, mode 1960. Ailleurs, le bébé Cadum, le Bibendum Michelin, la fillette des chocolats Meunier investissent l’iconographie scabreuse de cet insoumis à qui Jack Lang a passé commande de son portrait officiel en 1991 ! Choisi en 1937 pour décorer la salle à manger de la légation française à Ottawa, Courmes signe, avec La France heureuse, la seule œuvre monumentale que lui ait jamais commandée la République – d’ailleurs badigeonnée jusqu’à sa tardive restauration, en 1984. Sous l’Occupation, Courmes conçoit le projet de quatre panneaux de deux mètres sur trois pour l’ornement de la faculté de pharmacie de Paris. Ses préparations à la gouache sur« la synthèse organique », « la chimie minérale », « la collecte d’organe » et « Pasteur et la vaccination » distillent cette dérision qui lui est propre. Mais la Libération le dispense de les réaliser en grand format. Huile marouflée sur bois, peinte en 1943-45, Le Sphinx acétylène en est une variation désopilante : « Œdipe nu, mais coiffé du pétase, interroge un Sphinx emplumé, brillamment éclairé par une ampoule où se forme de l’acétylène… » Ainsi l’œuvre est-elle commentée par feue Simonne Valette, dans un des textes du catalogue qui accompagne l’exposition.

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C’est le moment de célébrer cet ouvrage magnifiquement illustré, nourri de prestigieuses contributions (Christian Derouet, Bernard Blistène, Thierry Courmes, Pierre Rosenberg…). Il est porté par l’éditeur Dominique Carré et Carole Marquet-Morelle, directrice des musées de Charleville-Mézières et co-commissaire de cette fantastique exposition qui, après Paris, fait escale dans la ville rimbaldienne. Il faut courir la voir.


À voir

« Alfred Courmes, peintre d’histoires », musée de l’Ardenne et Maison des ailleurs (musée Arthur-Rimbaud), Charleville-Mézières, du 7 octobre 2023 au 7 janvier 2024.

Alfred Courmes, peintre d’histoires (dir. Dominique Carré et Carole Marquet-Morelle), Musée de l’Ardenne.

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Beau pays pour mourir

Les dérives redoutées de l’euthanasie se confirment au Canada. L’accès à l’AMM s’y obtient en quelques jours, quand il faut parfois des mois pour obtenir une consultation médicale classique.


Pour se faire une idée des dérives possibles de l’euthanasie, il faut regarder le Canada où elle a été légalisée en 2016. Une loi promulguée en 2021 a abrogé une condition qui limitait l’accès à l’euthanasie aux seules personnes souffrant d’une maladie en phase terminale dont la mort était jugée « raisonnablement prévisible ». Les dangers d’un possible dévoiement du système soulevés par Causeur en janvier 2023 semblent confirmés aujourd’hui par les chiffres officiels. En 2022, 4,1 % de tous les décès recensés au Canada étaient des cas d’euthanasie, dont le nombre représente un bond de 31 % par rapport à 2021. Surtout, 463 personnes euthanasiées n’étaient pas dans des situations de mort « raisonnablement proche », soit deux fois plus qu’en 2021.

Maintenant, c’est la proposition d’étendre l’« aide médicale à mourir » (AMM) aux malades mentaux, aux adolescents et aux toxicomanes qui fait débat. « L’AMM, dans le domaine de la santé mentale et de la toxicomanie, vise à l’eugénisme. Ce n’est pas la solution : il y a des gens qui luttent contre la toxicomanie et qui n’obtiennent pas le soutien et l’aide dont ils ont besoin », dénonce Zoë Dodd, engagée auprès des personnes souffrant d’addictions. Ed Fast, député du Parti conservateur du Canada, se demande : « Allons-nous évoluer vers une culture de la mort comme option préférentielle pour les personnes souffrant de maladies mentales ou allons-nous choisir la vie ? » L’accès à l’AMM peut se faire en quelques jours, quand il faut parfois des mois pour obtenir une consultation avec un spécialiste.

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Pour des personnes aux abois, le suicide assisté peut être vu comme un moyen de se sortir d’une mauvaise passe. Ce fut le cas d’Amir Farsoud, fin 2022 : ce Canadien de 54 ans, gravement handicapé, craignait de se retrouver à la rue suite à la mise en vente de son logement social. Il avait fait une demande d’euthanasie. Après avoir reçu 60 000 dollars via une collecte, il a pu s’acheter une maison et est revenu sur sa décision. Pierre Dac avait pourtant prévenu en son temps : « La mort n’est en définitive que la conséquence d’un manque de savoir-vivre. »

La loi du chiffre

On peut faire dire tout et n’importe quoi aux statistiques. Ce manque de fiabilité s’explique par la manipulation, l’incompétence ou la négligence de leurs auteurs et de ceux qui les interprètent. Dans un essai irrévérencieux et argumenté, Sami Biasoni prouve qu’on peut leur faire dire la vérité.


Sondages d’intentions de vote, courbe du Covid, taux d’endettement public… Les statistiques sont partout dans l’actualité. Mais sont-elles fiables ? Et, surtout, sont-elles convenablement employées par ceux qui les invoquent ? Docteur en philosophie des sciences de l’École normale supérieure et professeur chargé de cours à l’Essec, Sami Biasoni n’en est pas si sûr. Après avoir épluché des milliers de pages d’études et rapports en tous genres, refait les calculs, lu les notes de bas de page, il montre que, soit par malignité, soit par incompétence, soit par négligence, les médias et les politiques ne sont pas à la hauteur de la science statistique dont ils se réclament à longueur de temps. Et propose quelques pistes pour sortir de l’amateurisme ambiant.


Causeur. Commençons par une mise au point. Dans votre livre, vous critiquez ceux qui font profession d’interpréter les statistiques et qui sévissent dans les journaux, les ministères ou les partis. Cependant vous n’allez pas jusqu’à dire que les données elles-mêmes, sur lesquelles ils s’appuient, seraient truquées. En êtes-vous bien certain ?

Sami Biasoni. Il existe bien sûr, comme dans toute activité humaine, des cas de fraude statistique. Toutefois, il ne faut pas exagérer, nous ne sommes pas en Union soviétique. En France, les organismes de référence comme l’Insee et l’INED, mais aussi les grands instituts de sondage privés, sont des établissements respectables, où la majorité des chercheurs travaillent consciencieusement.

La collecte des données statistiques est donc irréprochable dans notre pays ?

Non, elle pèche notamment par manque de transparence. Pour les besoins de mon livre, j’ai étudié un certain nombre de statistiques ayant fait la une de l’actualité ces dernières années, et je me suis plusieurs fois retrouvé face à des raisonnements qui me semblaient incohérents. Pour confirmer ou infirmer mes réserves, il fallait donc que je puisse consulter les données brutes et les notices méthodologiques. Or ce type d’information est rarement public. Les citoyens devraient y avoir un droit d’accès total, telle est la condition de la confiance et de la reproductibilité des travaux.

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À quoi servent ces notices méthodologiques dont vous parlez ?

Sans notices précises et exhaustives, il y a un risque de méprise quant à la définition des phénomènes mesurés. Prenez par exemple le concept apparemment simple de « Français moyen ». Pour en fixer les caractéristiques, doit-on inclure les personnes mineures ? Les Français vivant à l’étranger ? Les immigrés non naturalisés mais présents sur notre territoire ? Il n’existe pas de consensus à ce sujet. Autre exemple que j’analyse dans le livre : à partir de données de référence publiées par l’INED, deux chercheurs ont affirmé, en 2019, que « Nicolas » et « Yanis » étaient les deux prénoms les plus fréquemment portés par les petits-fils d’immigrés maghrébins – information largement reprise par la presse progressiste, mais qui interroge tant elle semble contre-intuitive.

Or l’analyse des sources confirme bel et bien qu’il y a un loup. Non pas que les deux chercheurs aient eu la volonté de duper… Seulement ils avaient oublié d’attirer notre attention sur un détail essentiel : « Les petits-enfants d’immigrés du Maghreb se prénomment si souvent Nicolas et portent si rarement un prénom “arabo-musulman” […] tout simplement parce que ces petits-enfants d’immigrés incluent de nombreux petits-enfants de rapatriés – ainsi que des petits-enfants de juifs marocains et tunisiens et des petits-enfants d’Européens, majoritairement chrétiens, qui ont combattu pour les indépendances. » Autrement dit, l’affirmation n’est pas fausse, mais elle ne dit pas ce qu’elle devrait dire. Elle est parfaitement « statistiquement correcte ».

Il n’y a pas dans ce cas d’intention de duper, dites-vous. Admettons, quoique l’omission soit un peu grosse. En revanche, quand l’AFP publie une dépêche fallacieuse sur la supposée contribution globalement positive des étrangers à l’économie française, c’est un biais idéologique, n’est-ce pas ?

Tout part d’une récente étude chiffrée de l’OCDE, dans laquelle se trouve un passage sur les apports économiques de l’immigration. Un passage qui a été mis en exergue par l’AFP, puis abondamment repris par les médias progressistes – ceux de droite se gardant bien sûr d’en parler. Mais, quelques lignes plus loin, dans la même étude, il est écrit sans ambiguïté que les calculs ne tiennent pas compte de l’ensemble des dépenses publiques, notamment celles spécifiquement engagées dans les services publics (hôpitaux, écoles et forces de l’ordre) en raison de la présence d’étrangers sur le territoire. Ces calculs n’intègrent pas non plus le coût des enfants des personnes immigrées. Cependant, dès qu’elle adopte une vision holistique, l’OCDE reconnaît elle-même que l’immigration représente un coût économique ! Une information escamotée par l’AFP, qui est donc à l’origine d’une présentation erronée du document. Par négligence ? Par intérêt idéologique ? Nul ne saurait le dire.

Vous restez prudent, c’est entendu. Mais que dire des enquêtes de « victimation », qui ont récemment fait leur apparition dans les médias ? Si, par exemple, une femme entend un commentaire désagréable au sujet de son physique dans le métro, elle peut se déclarer victime en toute bonne foi, et ainsi rentrer, sans autre forme de procès, dans les statistiques nationales de violences sexuelles et sexistes. Cet outil statistique n’est-il pas vicié par définition ?

Je n’irai pas si vite en besogne. Les enquêtes de victimation relèvent, en sociologie, de travaux généralement sérieux et honnêtes, qui visent à comprendre les atteintes aux personnes à partir de leur vécu, en complément des informations issues de la police et de la justice. Cela dit, vous pointez du doigt un vrai problème avec l’exemple du métro : le terme de « victime » est infiniment extensible, car il est porteur de subjectivité. Sur certains campus américains, un simple regard peut être considéré comme une (micro-)agression. Je plaide pour que les définitions retenues dans les statistiques publiques soient celles qui sont fixées par la loi, ce système de normes, certes imparfait, présente néanmoins l’avantage de refléter les limites du répréhensible telles qu’elles ont été choisies par la société de façon démocratique. Dès lors, toutes les pseudo-études woke qui prétendent démontrer, chiffres à l’appui, que la France serait structurellement raciste ou sexiste, me semblent largement relever d’impostures scientifiques. Et ce n’est pas parce qu’elles se parent pompeusement de pourcentages et de graphiques qu’elles sont méthodologiquement rigoureuses.

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En vous lisant, on comprend en effet que le bon statisticien est celui qui sait choisir le type de données judicieuses pour appréhender une question.

C’est ce que l’on appelle le « choix de la variable pertinente ». Savoir sélectionner les bons indicateurs pour comprendre un phénomène relève d’un savoir-faire rare. Le fait que les résultats du baccalauréat soient meilleurs d’une année sur l’autre ne permet pas de conclure que le niveau monte ! Penser que le taux de succès à cet examen nous renseigne d’une quelconque manière sur le niveau réel des bacheliers relève de que l’on appelle le « paradoxe de la loi de Goodhart », paradoxe en vertu duquel « lorsqu’une mesure devient un objectif, elle cesse d’être une bonne mesure ». On pourrait même y voir une tentative de manipulation de la perception commune du réel si l’on est plus hardi dans l’analyse de la situation.

Mais alors, dans ce cas, faudrait-il, pour se prémunir de tels risques d’enfumage, limiter tout bonnement les statistiques dans le débat public ?

Non, surtout pas, car de même que la démocratie reste le pire des régimes à l’exception de tous les autres, la statistique est peut-être le pire des arguments à l’exception de tous les autres. Certes, les êtres humains n’ont pas les mêmes propriétés d’homogénéité – de symétrie pour parler en termes mathématiques – que les particules élémentaires, ce qui les rend difficilement réductibles à des paramètres chiffrés, pour autant les sciences humaines ont fait des progrès remarquables depuis qu’elles intègrent une dimension de quantification.

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Les sciences humaines sont pourtant restées un bastion d’esprits « littéraires »…

Vous avez raison. Et cela n’a pas manqué de soulever un débat dans le milieu académique. La plupart des chercheurs en sciences humaines ont reçu une formation de sociologue, de philosophe ou d’historien. De ce fait, leurs publications contiennent parfois des erreurs basiques de calcul ou de raisonnement statistique. Selon certaines méta-analyses, il pourrait y avoir plus de 50 % d’études quantitatives partiellement invalides du point de vue de leurs résultats ! D’où la nécessité de renforcer la formation en mathématiques dans les facultés de sciences humaines. L’embauche par les grandes revues de sciences humaines de statisticiens chargés de contrôler la validité technique des articles est également une mesure nécessaire. Je milite pour que les grands médias recrutent eux aussi des secrétaires de rédaction statistique, non seulement pour vérifier la justesse des chiffres publiés chaque jour dans leurs pages, mais aussi pour veiller à ce que ceux-ci puissent être bien compris par les lecteurs… ainsi que par les rédacteurs.

Sami Biasoni, Le Statistiquement Correct, Le Cerf, 2023.

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Le crépuscule des profs

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Le premier roman d’Éric Bonnargent sent le vécu…


Il se nomme Mittelmann, professeur de philosophie âgé de 60 ans, et prend sa retraite. Une jeune femme blonde raphaélique, assurément plus jeune que lui, semble partager sa vie. C’est ainsi que s’ouvre le premier roman d’Éric Bonnargent. Premier roman ? Pas tout à fait. Il y a huit ans, les Éditions du Sonneur publiaient Le Roman de Bolaño, co-écrit avec Gilles Marchand, qui attisa la curiosité. Premier roman solo, donc. Bonnargent est plus jeune que son personnage, il est né en 1970, mais il enseigne la philosophie. Indubitablement, son roman respire le vécu. Quand il raconte la rentrée de septembre, avec l’attente angoissée des profs avant la distribution des emplois du temps, on s’y croirait. Extrait : « Fébriles, ils faisaient la queue devant la porte du secrétariat. À mesure qu’ils avançaient, leurs bavardages se tarissaient. Ils s’efforçaient de sourire avec à peu près autant de dignité et de résignation qu’au seuil du cabinet d’un proctologue ». Leur feuille de route annuelle à la main, on assiste à la réaction hystérique des uns, accablée des autres. De nombreuses évocations de l’univers professoral sont également réussies : la salle des profs, avec la photocopieuse asthmatique, le confessionnal de la machine à café ; les interminables discussions sur les élèves illettrés et indifférents, les rêves au rabais à propos d’un voyage pédagogique dont on se moque de la destination, l’important étant de prendre l’air ; bref, on est immergés dans la désillusion générale. C’est écrit sans méchanceté, ni ressentiment. Les descriptions au scalpel suffisent. Le constat est édifiant. On comprend pourquoi les gouvernements peinent à recruter aujourd’hui. Le temps des « hussards noirs » de la République est révolu. L’Éducation nationale, avec ou sans le nouveau ministre, est un splendide repoussoir.

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Dernier béguin avant l’Ephad

Mittelmann fait partie de ces profs qui n’ont jamais quitté la cour de récréation. Leurs actions sont réglées par la sonnerie de l’établissement. C’est pavlovien et assurément déprimant. Mittelmann possède pourtant une échappatoire : l’écriture de romans. Il espère devenir un écrivain reconnu. Bonnargent évoque Philippe Sollers. Il cite même l’un de ses plus beaux textes, court et nerveux, Les Folies françaises. Mais les droits d’auteur du prof de philo ne lui permettent pas de faire l’école buissonnière. Alors il ira jusqu’à la retraite. Dans cette atmosphère uniformément grise, la nouvelle prof d’anglais, Carolyn, fait sensation. C’est une « bombe » disent les collègues habitués à côtoyer des modèles qui ressemblent davantage à une Annie Ernaux nobélisée. Mittelmann, dont la vie sentimentale est un échec, va être l’heureux élu. Leur idylle ne durera pas longtemps, mais au moins elle aura eu le mérite d’exister. Ça fera des souvenirs pour l’EPHAD.

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Cette radiographie du délitement contemporain, qui n’est pas sans rappeler celle des premiers romans de Houellebecq, s’achève sur une note d’optimisme. Enfin, en ce qui concerne le jeune retraité. La blonde trentenaire partage en effet sa vie. Elle se nomme Justine, elle est prof, et l’appelle « chaton ». L’espoir est donc raisonnablement permis. Même si Mittelmann est un incorrigible pessimiste. Extrait : « (…) jamais une jeune femme aussi belle ne pourrait se tenir éternellement à son bras. Elle le disait merveilleux amant, mais il ne tarderait plus à utiliser du viagra. »

La remarque de Michel Déon

L’un des moments forts de ce roman sensible, aussi mélancolique qu’un casino balnéaire à la basse saison, est l’arrivée de l’élève Johnny dans la classe de Mittelmann. C’est poignant. En le lisant, j’ai repensé à ce que Michel Déon m’avait dit, alors que j’étais sur le point de quitter pour toujours « la fabrique du crétin », pour reprendre le titre du best-seller du visionnaire Jean-Paul Brighelli. Dans son studio parisien, devant un verre de whiskey, l’auteur des Poneys sauvages m’avait déclaré : « Vous savez, on ne fait jamais cours que pour un élève. »

Éric Bonnargent, Les désarrois du professeur Mittelmann, Les Éditions du Sonneur.

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Plus personne ne fait l’Histoire!

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À la lecture du livre de Marc Menant, notre chroniqueur observe que même si l’époque actuelle est largement pourvue en crises et en violences internationales, et même si l’époque actuelle compte bien quelques orgueilleux, elle n’est pas forcément assez désespérante pour secréter, par une sorte de miracle, les sauveteurs qui viendront l’apaiser…


Marc Menant a publié chez Plon Ces destins qui ont fait l’Histoire. Avec les questions et relances de Christine Kelly, ce livre est la transcription des monologues enthousiastes et savants que le premier a offerts chaque soir sur CNews dans Face à l’info. On peut discuter le choix des personnalités qui, selon Marc Menant, « ont fait l’Histoire ». Certaines sont indiscutables comme Jeanne d’Arc, Léonard de Vinci ou Napoléon Bonaparte, d’autres, selon les goûts et les appétences de chacun, sont non pas surestimées – elles ont de la qualité et de la valeur – mais portées à un niveau de « fabricantes de l’Histoire » qui les flatte sans doute trop. Mais ce débat est inévitable qui n’altère en rien la problématique passionnante sur les destins « qui ont fait l’Histoire » et pourquoi, avec cette question actuelle : pourquoi plus personne ne fait-il l’Histoire ? Avant d’aborder le fond de cette interrogation, une fois reconnu le caractère passionnant de cet ouvrage qui propose une vulgarisation à la fois anecdotique et élaborée de quelques pans de notre Histoire, il faut bien concéder une seule réserve. Elle tient au manque de Marc Menant lui-même. Nous font défaut sa voix, son élan, cette alacrité toute emplie du désir de transmettre et de convaincre, cette oralité à la fois familière et soucieuse du vocabulaire et du langage, qui tiennent le téléspectateur en éveil, en curiosité permanente.

Rendez-vous avec l’Histoire

Faire l’Histoire, c’est penser et agir de telle manière que, sans vous, l’Histoire n’aurait pas été la même. En général pour le meilleur mais il faut accepter la malédiction du pire qui constitue, par exemple, Hitler comme un homme qui « a fait l’Histoire » mais pour l’entraîner dans un gouffre ignoble. Faire l’Histoire revient à ne pas se contenter d’un rôle de spectateur, d’observateur, d’acteur mais d’être animé par une énergie, une volonté de transformation et de métamorphose. Il y a sans doute, dans cette pulsion créative, une sorte d’orgueil nécessaire qui vous fait vous considérer comme supérieur au réel, en position de le dominer, de le dompter. Encore faut-il que l’Histoire donne rendez-vous à ces personnalités qui n’attendaient que son appel pour montrer de quoi elles étaient capables, comme elles étaient largement au-dessus du lot commun. Même si l’époque actuelle est largement pourvue en crises et en violences internationales, elle n’est pas forcément assez désespérante pour secréter, par une sorte de miracle, les sauveteurs qui viendront l’apaiser. On peut dire aussi, en ce sens, que si des « destins font l’Histoire », l’Histoire en a fait quelques-uns. Pour Charles de Gaulle, si très tôt il avait fait preuve d’un caractère roide et de qualités exceptionnelles, c’est l’Histoire orageuse et terrifiante qui lui a permis de poser sa marque sur une évolution de la France, de l’Europe et du monde qui, sans son action, aurait été très sensiblement infléchie. À un degré moindre, le président Volodymyr Zelensky a été projeté, à cause d’un dictateur russe sans scrupule, dans une Histoire qui l’a révélé à lui-même en même temps qu’à ses compatriotes admiratifs et aux autres nations. Son action, par la force des choses, a été purement défensive avec le recours à de nombreuses sollicitations diplomatiques et militaires. Il a subi cette Histoire, pour le meilleur, plus qu’il ne l’a construite. Quel sera son destin et celui de l’Ukraine alors qu’un autre cataclysme en date du 7 octobre, avec ses suites meurtrières, leur a fait une ombre tragique ?

La baisse du niveau a encore frappé !

Que plus personne, aujourd’hui, ne fasse « l’Histoire » ne tient pas seulement à une baisse intrinsèque des dirigeants qui sont au pouvoir, à l’absence, ici ou là, de chefs portant en eux une synthèse accomplie d’intelligence, de volontarisme, de courage, d’exemplarité et de culture même si cette pénurie est dramatique. Il y a aussi le fait que dans cet univers géopolitique, aussi limités et imparfaits qu’ils puissent être, aussi peu respectés que parfois ils soient, il y a des règles, des principes, des dialogues qui contraignent une personnalité forte à ne pas se libérer tout entière mais à tenir compte d’autrui et du multilatéralisme. Sauf à se prétendre délestée de tout esprit collectif, et cela fait advenir des Trump, des Erdogan ou des Poutine !

Il serait injuste de forcer le trait et de ne pas retenir que tel ou tel a pu, face à des crises ponctuelles, à des exacerbations momentanées, avoir un rôle décisif. Par exemple, Nicolas Sarkozy, à l’évidence, durant son unique mandat, a fait preuve en plusieurs circonstances d’une activité efficace qui, un temps, a donné l’impression de « faire l’Histoire » mais au-delà de ces effervescences couronnées de succès, on ne pouvait pas trouver chez lui, pas davantage que chez ses successeurs et les autres leaders dans le monde, la hauteur de vue, la profondeur, l’intuition du futur, le courage de la résistance quand il convient, caractérisant l’homme ou la femme faisant authentiquement l’Histoire.

On recherche désespérément, notamment face à l’insoluble et meurtrier conflit israélo-palestinien, la force d’un être suffisamment sage pour être capable de négocier sur le plan politique et, de l’autre côté, une même nature apte à faire passer la haine après les considérations pragmatiques et les intérêts. Avec le risque terrifiant, dans cette région du monde, que l’homme décidé à faire l’Histoire comme Rabin ou Sadate dans un autre registre soit assassiné. Cette mélancolie démocratique qui nous point en France ne vient pas certes de cette seule cause mais le fait que sur l’ensemble de l’échiquier politique, quel que soit le talent dévolu à certains, aucun ne nous offre la certitude qu’il saura faire « l’Histoire » participe grandement à cette désaffection majoritaire du jeu républicain. Il y a eu « ces destins qui ont fait l’Histoire ». Dans quelques années, pourra-t-on se retourner et écrire un nouveau « Ces destins qui ont fait l’Histoire » ? J’aimerais tellement que mon déclinisme ait tort et que la réponse soit affirmative.

Le Brexit n’a pas permis aux Britanniques de reprendre le contrôle sur l’immigration

Les partisans du « Brexit » promettaient de pouvoir mieux réguler l’immigration au Royaume Uni. Les partisans du « Remain » annonçaient la fuite des investisseurs de la City. Mais suite au référendum de juin 2016, rien de tout cela ne s’est finalement produit !


Le 3 mars 2016, Emmanuel Macron, alors ministre français de l’Economie, s’adressait au Financial Times avec deux avertissements au Royaume Uni concernant le Brexit. Il prévint, tout d’abord, que le Brexit pourrait faire échouer l’accord bilatéral du Touquet entre le Royaume Uni et la France, qui permettait à la Grande Bretagne d’effectuer des contrôles frontaliers sur le sol français et d’empêcher les migrants indésirables d’entrer sur son territoire : « Le jour où cette relation sera rompue, les migrants ne seront plus à Calais », indiqua-t-il. Puis, il ajouta qu’en cas de Brexit, le Royaume Uni n’aurait plus un accès total au marché unique et que la France pourrait chercher à encourager les services financiers à quitter Londres : « Si je devais raisonner comme ceux qui déroulent des tapis rouges, je dirais que nous pourrions avoir quelques rapatriements de la City de Londres » conclut-il.

D’autres que M. Macron sont intervenus dans ce sens parmi les dirigeants mondiaux et cela a renforcé la stratégie « Project Fear » de la campagne pour rester dans l’UE, qui visait à convaincre le public de voter pour le « Remain » en lui faisant craindre les conséquences d’un autre vote. Parmi les pires affirmations, on trouva l’effondrement des prix de l’immobilier (jusqu’à 18 %) et le chômage de masse qui résulteraient d’un choix en faveur du Brexit.

Reprendre le contrôle sur l’immigration

Après le résultat du référendum en juin 2016 et les trois années d’agitation politique qui suivirent, la Grande Bretagne quitta finalement l’UE le 1 février 2020. Elle est donc en dehors du bloc depuis près de quatre ans, et il est peut-être temps de jeter un coup d’œil sur certaines des revendications faites lors du référendum et sur la réalité de la situation aujourd’hui.

Les partisans du Brexit déclaraient qu’il permettrait au public britannique de « reprendre le contrôle ». Cela signifiait retrouver la souveraineté parlementaire pour contrôler les lois, l’argent et les frontières de la Grande Bretagne. Ce n’est une surprise pour personne que l’immigration a joué un rôle déterminant dans la volonté de nombreux citoyens de voter pour la sortie de l’UE. La circulation illimitée des citoyens de l’UE a entraîné une croissance démographique exponentielle et un changement culturel au Royaume Uni. La gestion de la crise des migrants en 2015 a alimenté les craintes selon lesquelles l’appartenance à l’UE rendait le gouvernement britannique impuissant à réduire l’immigration alors que les citoyens souhaitaient ardemment cette réduction. Depuis qu’il a quitté l’UE, le Royaume-Uni a introduit un système de points qui veut que toute personne qui vient travailler au Royaume Uni, et qui n’est pas un citoyen britannique ou irlandais, doit remplir un ensemble spécifique de conditions pour obtenir un visa de travail. Le public espérait que l’introduction de ce système entraînerait une baisse de l’immigration. Selon l’Office britannique des statistiques nationales, lorsque la Grande Bretagne a voté en faveur du Brexit, le solde migratoire était de 321 000 personnes. Ce chiffre a progressivement baissé jusqu’à la fin de l’année 2019, où il était de 184 000. Cependant, depuis que la Grande Bretagne est sortie des restrictions imposées par la Covid-19, le solde migratoire a augmenté de façon spectaculaire, atteignant 709 000 en décembre 2022 et, selon les estimations, il sera encore plus élevé en 2023.

Les conséquences politiques de cette situation se reflètent dans les sondages d’opinion, laquelle situation est exacerbée par le nombre d’immigrés clandestins qui traversent la Manche à bord de petites embarcations. Le fait d’être en dehors de l’Union européenne n’a donc pas facilité la capacité de la Grande-Bretagne à résoudre la question, malgré son plan pour le Rwanda qui semble s’enliser dans des litiges juridiques. Cependant, malgré les affirmations de M. Macron concernant l’accord du Touquet, les gouvernements britannique et français ont conclu un accord de 500 millions d’euros en mars pour mettre fin à l’immigration illégale transmanche.

Investisseurs: Londres résiste face à Paris

La situation économique due au Brexit est évidemment plus difficile à analyser dans le contexte de la pandémie de Covid-19, et de la guerre en Ukraine qui crée une crise énergétique. Ces événements totalement imprévus ont des effets économiques considérables pour l’ensemble de l’Europe.

Néanmoins, la fuite annoncée des services financiers et des investissements vers la City ne s’est pas matérialisée. Bien que la situation puisse changer et que la Grande-Bretagne ne doive pas se reposer sur ses lauriers, une étude publiée en juin par le cabinet de conseil EY a montré que Londres avait obtenu 46 projets d’investissement en 2022, contre 39 en 2021. Ce chiffre est à comparer aux 35 projets de Paris, en baisse par rapport aux 38 projets de la même période, et aux 22 projets de Madrid, en baisse par rapport aux 29 projets de la même période. La City of London Corporation a déclaré que ces chiffres signifient que la capitale « continue à être le leader européen en matière d’attraction d’investissements directs étrangers dans les services financiers. »

En outre, les données publiées par la Bibliothèque de la Chambre des communes, en mai 2023, suggèrent que, bien que la Grande-Bretagne soit désormais en dehors du marché unique européen, les échanges de biens et de services avec l’UE n’ont jamais été aussi élevés, les exportations britanniques vers l’UE ayant augmenté de 24 % entre 2021 et 2022 et les importations de 36 % au cours de la même période.

Les perspectives du secteur industriel ont également surpris les analystes et les commentateurs. L’association professionnelle Make UK a analysé les données de 2021, la dernière année pour laquelle des comparaisons mondiales sont disponibles, et son rapport « Manufacturing -The Facts » a révélé que le Royaume Uni est désormais le huitième plus grand fabricant au monde. Le rapport indique que la production britannique a atteint 272 milliards de dollars, contre 262 milliards pour la France.

Les critiques les plus sévères de l’économie britannique soulignent que l’inflation élevée est l’un des principaux indicateurs de ses difficultés économiques depuis le Brexit. Cependant, si l’on compare les données publiées sur Statista, le taux d’inflation de l’indice harmonisé des prix à la consommation du pays jusqu’en juin 2023 est similaire à celui des économies européennes de taille similaire. Le taux britannique s’élevait à 7,3 %, contre 6,8 % pour l’Allemagne et 5,3 % pour la France. En effet, même sur la base des projections de croissance du PIB publiées par l’OCDE, les projections pour le Royaume-Uni sont comparables à celles de l’Allemagne et de la France pour 2024 et 2025. En 2024, l’économie britannique devrait croître de 0,7%, contre 0,8% pour la France et 0,6% pour l’Allemagne, et en 2025, la croissance sera de 1,2% pour l’ensemble des pays.

Si ces chiffres ne montrent pas que la Grande-Bretagne devance ses voisins européens comme l’auraient souhaité certains partisans du Brexit, la catastrophe prédite par les opposants au Brexit ne s’est manifestement pas produite non plus.

Néanmoins, la Grande Bretagne doit encore relever des défis économiques majeurs. Le taux d’inflation des denrées alimentaires est l’un des pires d’Europe, avec 10,1 % selon Trading Economics, et les prix de l’électricité par kWh sont les deuxièmes plus chers d’Europe, juste derrière la République tchèque. L’avenir nous dira donc si la Grande Bretagne, en dehors de l’Union européenne, sera en mesure de traiter ces questions.

Bye crooner!

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Guy Marchand disparait. Quelle destinée…


L’Argentin de Belleville n’avait pas toujours de belles manières. Il était rude souvent, discourtois parfois pour un homme de la Pampa, vraie tête de lard du chobizenesse, mauvais garçon des dancings, le poing facile, le sang chaud, la rancune tenace, le verbe cassant et cette superbe désinvolture que l’on n’apprend pas au Théâtre Français mais dans les garnisons d’élite. Le régiment fut sa maison de la culture ; les fortifs, son garde-fou. Il pouvait vous décocher une droite sur un malentendu, c’était sa façon d’instaurer le dialogue, de poser les bases d’un débat équilibré. Sans filtre. Jamais apaisé. Chambreur et souverain. D’une sensibilité mal régulée. Altier et poulbot dans un même élan. Gouailleur et rêveur. Il balayait les emmerdes d’un rire nerveux, même si la pilule passait encore difficilement. Il avait connu la gloire et les phases de retranchement. La « Passionata » et les déveines commerciales. Le compagnonnage avec les stars (Ventura et Belmondo) puis les strapontins des dernières années quand la lumière commence à faiblir. À chaque fois, à chaque apparition, il vous cueillait, en souffre-douleur ou en vieillard réfractaire, dans une comédie ou une série télé ; sa voix était le réceptacle de notre jeunesse. Nous y plongions avec délice. Il y avait tout dans ce timbre effronté, le côté bateleur chargé de gaudriole et, en même temps, une nostalgie ébréchée, le lent délitement du temps qui passe, les honneurs d’un monde enseveli, les foucades de la rigolade. Guy Marchand était mordant avec les cons, charmeur avec les femmes racées, sublime dans les rôles d’abrutis sûrs d’eux, il avait installé une forme de tension dans le cinéma des années 1970/1980, un humour dirigé contre lui, un style grandiloquent, bas de plafond, méchamment victimaire, râblé et laissant, malgré tout, entrevoir une émotion cabossée, celle des perdants qui pleurent, à la nuit tombée. Comme Jean-Pierre Marielle, Guy Marchand a joué les boomers virilistes, les cadres sur-vitaminés, les gigolos en capilotade, les héros de la croissance sans les amener dans les fossés de la caricature. Seuls les professionnels de cette stature-là sont capables d’insuffler le bon dosage. Et il faut aimer les cons pour les interpréter avec génie, c’est la grande leçon de cette génération qui se fait, peu à peu, la malle. Sa disparition à 86 ans intervient après un long cortège de départs, les acteurs nés dans les années 1930 se comptent désormais sur les doigts d’une main. La filmographie de Guy Marchand n’est pas compréhensible pour les nouveaux inquisiteurs, trop prompts à liquider le passé, à fustiger nos bamboches et notre second degré, à vouloir sans cesse nous rééduquer. Nous n’acceptons désormais que l’art sous blister, dépollué d’amertume et de rage, imperméable au rire des copains et à l’esprit boucanier. Guy Marchand était le contraire d’un acteur docile. Ses réflexes d’ancien officier para l’ont admirablement conservé des génuflexions propres à ce métier. Il l’a payé au cours de sa carrière. Une liberté de ton dont nos médias sous camisole ont oublié le fracas et la puissance.

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Charme vénéneux

Cette tête brulée ne mâchait pas ses mots, évoquant ses problèmes récurrents de fric, ses amours tempétueuses ou la mort qui rôdait autour de lui. Il l’avait dans le viseur depuis déjà un certain temps. Il a dansé avec la faucheuse un ultime tango qui aura duré quelques années. Cet excellent cavalier, qui avait troqué la motocyclette pour le pur-sang, les culottes courtes pour les blousons en cuir pleine fleur, ne se faisait pas d’illusion sur l’issue fatale ; teigneux, il ne lui a pas facilité la tâche. Guy Marchand n’était pas manœuvrable. Quand il passait sa tête dans le poste, on pouvait s’attendre à du vitriol, le désenchantement âpre du titi parisien qui a vécu mille vies, vendu des milliers de disques et travaillé avec les réalisateurs de renom. Quelle destinée ! Lui qui détestait ce standard et aurait préféré que l’on se souvienne de ses nombreux albums de jazz mâtinés de rythmes latins, en musique, c’était un bohème puriste. Je me souviens avoir été traîné par mes parents au Bataclan, à l’un de ses concerts, il y a vingt-cinq ans, j’étais alors peu sensible à son attirail de crooner francilien, ce soir-là, j’avais été subjugué par le type, son charme vénéneux, sa répartie, sa morgue jubilatoire, sans modération.

J’ai follement aimé ce mec-là, en entremetteur dans l’Hôtel de la plage, dans le trench de Nestor Burma ou pour son arrivée guignolesque dans l’appartement de Catherine Alric (Tendre Poulet), je cite de mémoire, il lui demande si elle a quelque chose de « blanc, de frais et de pétillant à boire ». Qui n’a pas vu Paul Memphis en blazer blanc déboulant au volant d’une Jeep Cherokee dans les Sous-doués en vacances ne connaît rien au cinéma de divertissement !

Monsieur Nostalgie

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V.I.P.

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“Partir quand même”. Pourquoi partir. Elle n’a jamais été d’ici, de là. Mais d’ailleurs. Trop belle, trop classe, aérienne dans ses Repettos qui n’ont jamais touché terre. Bulle de talent, bulle de pudeur, bulle de champagne en apesanteur. Toute la mélancolie d’un long dimanche d’automne s’est dissoute dans ses mots. Et “dix sous” c’est pas cher pour une œuvre de 60 ans. Des textes ciselés à la fièvre d’une passion qui se consume, au poison lent de l’attente qui ronge, à l’ennui projeté sur les quatre murs de la solitude. Pour plomber, elle plombe. Mais c’est beau. Et à l’arrivée, ça fait du bien.


Dotée d’une photogénie à vous envoyer plier le capot sur un platane, dès ses 20 ans Françoise Hardy plie sous la mitraille de son compagnon, un photographe surdoué, Jean-Marie Périer. Surdoué, privilégié et chanceux. Sa muse imprime la pellicule sans la toucher, maquillée ou pas, posée ou pas, naturelle ou sophistiquée. Un pull col en V sur les épaules, sapée comme une calandre de Rolls par Paco Rabanne, pastellisée en aquarelle de chez Courrèges, peu importe, elle est à tomber. Un peu comme sa prose qui croise dans la profondeur des sentiments la simplicité et la haute-couture.

Miss Hardy est ma voisine en Corse. Enfant, j’accompagne mon père chez François le boucher. Ma boutique préférée, où mes yeux sortent de l’étui sur le persillé d’une entrecôte, le gras d’une côte. Là, mon père discute avec la voisine, perchée comme une Tour de Pise. Mon regard grimpe les étages d’un échafaudage instable pour bloquer sur la grâce de son visage. François le boucher, qui régulièrement délaissait la chambre froide, pour suivre, avec d’autres phénomènes du village, Dutronc sur un tournage ou en tournée. Il revenait régulièrement sur les jantes, et pour se refaire, faisait passer le faux-filet au prix de la langouste. Dutronc-Hardy, la cavale classieuse en commun, par la dérision ou la discrétion, au maquis comme à la scène. Ils traversent la vie sans vieillir, dans la douleur comme tout un chacun, mais sans vieillir. Et comme les chats ne font pas des rats, Thomas l’alliage Nord-Sud de la glace et du feu, perpétue le talent et l’élégance de la maison.

Françoise Hardy souffre. Que ces mots d’un fan souvent conquis jamais soumis, lui parviennent.


Pâle et létale

Balle en acier de chez Courrèges
Peau d’albâtre d’une feuille de solfège,
Filet de voix en bas de soie
En première classe ça va de soi

Lumière blême au bout du tunnel
Plus on avance, on ne voit qu’elle,
Tombée du ciel d’une aquarelle,
Pâle en pastel, Dieu qu’elle est belle

Des malheurs posés sur l’enclume
Sont des munitions pour sa plume,
L’humeur des foins, chronique d’un rhume,
Kleenex jeté sans amertume

Myope au volant d’une Cadillac,
La route sans un verre de contact,
Moral en sucre, le cœur en vrac,
De son best of sortir intact

De sa hauteur, de sa nacelle,
Elle vous pose une couronne d’épines,
Sa signature sur la rétine
Un vague à l’âme dans l’escarcelle

D’une misère elle fait un missel,
Pose sur la plaie son grain de sel
Tueuse à gage, au pic à glace,
Sa lame de rasoir fend l’espace

Son cœur est pris, est mis en plis,
Par un capitaine au long cours,
Pirate des ports, des fumeries,
Tête mise à prix à son retour

Dans le bourdon, chasser l’ennui,
Mélancolie des jours de pluie,
Nuances de gris des oiseaux de nuit,
Hôtesse du silence au paradis,
Sous l’abat-jour passe à crédit
Un laser de Françoise Hardy

COP28 et baisse du prix du baril: la très mauvaise semaine de l’Opep+

Comme d’habitude le grand Barnum de la COP, 28ème édition, se sera conclu par un suspense… insoutenable sur la rédaction d’un communiqué final forcément « historique ». Une déclaration d’intention qui de toute façon a fait, comme d’habitude également, de nombreux mécontents du côté des ONG omniprésentes comme des médias.


Pas moins de 88 000 participants se seront rendus en avion pour cela au cœur du Golfe Persique… Et il y en aura au moins autant dans un an en Azerbaïdjan. La COP de Dubaï aura tout de même vu se matérialiser les limites du puissant cartel élargi des pays producteurs de pétrole, l’Opep+. Il a dû en quelque sorte acter un suicide économique programmé avec la reconnaissance de la nécessité de la transition hors des énergies fossiles et a vu dans le même temps sa stratégie de contrôle du marché pétrolier par la raréfaction de l’offre échouer. Les prix du baril sont tombés à leur plus bas niveau depuis six mois et ont baissé de plus de 20% en trois mois !

Le cartel pétrolier élargi Opep+, qui regroupe les 13 pays de l’Opep historique (Organisation des pays exportateurs de pétrole) menés par l’Arabie Saoudite et leurs dix alliés menés par la Russie, vient de connaître une semaine difficile. Sous pression à la COP28, les pays du cartel ont dû finalement admettre que le monde allait devoir se passer des hydrocarbures. Et dans le même temps, leur tentative de contrôle du marché pétrolier par la raréfaction de l’offre, qui a réussi pendant quelques mois, a finalement échoué et les cours du baril sont tombés à leur plus bas niveau depuis six mois.

Suicide économique programmé et annoncé

Le communiqué final d’une COP n’a, contrairement à ce que veulent faire croire les très nombreux participants à ce Barnum devenu annuel et bon nombre de médias, qu’une portée limitée. Ce n’est qu’une déclaration d’intention qui, il est vrai, à défaut d’être contraignante a tout de même un impact symbolique. Et l’Opep+ a ainsi dû en quelque sorte accepter publiquement d’annoncer un suicide économique, à savoir la transition programmée vers la fin des hydrocarbures. C’est tout de même une réelle défaite pour une organisation dont la seule vocation est de défendre les intérêts et les recettes des pays producteurs de pétrole.

A lire aussi: Le Maire/Béchu: cette guerre dont les médias ne parlent jamais

Le texte final appelle ainsi à « transitionner hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques, d’une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l’action dans cette décennie cruciale, afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050 conformément aux préconisations scientifiques ». Le terme exact anglais employé est celui de « transitioning away ». Il n’est plus question de « sortie » du pétrole, du gaz et du charbon, pour ménager les susceptibilités, mais cela revient au même. À ce jour, seule la « réduction » de consommation du charbon avait été actée lors de la COP26 à Glasgow, mais le pétrole et le gaz n’étaient alors même pas mentionnés.

Des records cette année de consommation dans le monde de charbon et de pétrole

Le plus étonnant est que les uns et les autres, à commencer par la ministre française de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, aient été surpris et se soient même offusqués des réticences des pays de l’Opep+ à signer un texte qui annonce la fin du modèle économique qui a fait leur prospérité et leur puissance… Les pays de l’Opep, à commencer par l’Arabie Saoudite, dépendent presque exclusivement des recettes de leurs exportations de pétrole et de gaz pour alimenter leurs budgets. Ils ne sont pas prêts d’y renoncer… Et de toute façon, le reste du monde n’est pas prêt non plus à renoncer à leur en acheter.

Entre les engagements, les déclarations solennelles et la réalité, il y a une …

Lire la fin de l’article sur le site de la revue Transitions & Energies


Le nouveau numéro du magazine Transitions & Énergies est paru. L’indispensable capture du carbone

  • Une technologie « inévitable » selon le GIEC
  • Le seul moyen de décarboner l’industrie lourde
  • Pas de carburants synthétiques sans capture
  • L’Europe et la France dans le déni

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Des nus et des couteaux à l’école

L’école publique naufrage, on le savait. Pourtant, il ne fallait pas le dire. Bonne nouvelle : c’est désormais possible et sans risquer de passer pour un réac ou un mauvais coucheur ! Épisode grotesque du tableau ayant choqué des élèves islamisés dans les Yvelines, menaces au couteau ou aux ciseaux ailleurs: il est grand de temps de remettre de l’autorité dans les établissements scolaires. De l’ordre, de l’ordre, de l’ordre !


L’école publique naufrage, on le savait. Pourtant, il ne fallait pas le dire. Bonne nouvelle : c’est désormais possible et sans risquer de passer pour un réac ou un mauvais coucheur. Il n’y a pas si longtemps, c’est seulement sous le manteau qu’on évoquait le quotidien des enseignants. Il se murmurait que les pauvres hères étaient de moins en moins qualifiés pour le métier, mais, on n’avouait pas encore vraiment qu’ils officiaient dans la terreur, exposés aux insultes et aux menaces proférées par de jeunes tyranneaux mal élevés, décérébrés, déséquilibrés voire radicalisés. On se gardait bien d’affirmer clairement que, quand ce n’est pas la foire d’empoigne dans les classes surchargées, il y règne à tout le moins un brouhaha continu rendant tout apprentissage impossible. On ne révélait pas plus, qu’à l’école, la loi est faite par les élèves et leurs parents, que l’islamisme avance stratégiquement ses pions. On commençait tout juste à savoir que l’administration, pusillanime, a pour l’habitude d’abandonner en rase campagne ses professeurs maltraités et ses élèves harcelés.

Droit de retrait exercé à Issou

Parce que la menace terroriste est à son comble et que dans tout le pays, désaxés et islamistes chourinent allègrement, l’assassinat de Dominique Bernard a ravivé le tragique souvenir de la décapitation de Samuel Paty. On est alors plus enclin à dénoncer la faillite du vivre-ensemble à l’école et on se met à rapporter des évènements qui seraient auparavant, pour la plupart d’entre eux, passés sous les radars. Ainsi, à la fin de semaine dernière, au collège Jacques-Cartier d’Issou, dans les Yvelines, un professeur de français a « choqué », selon le vocable consacré, certains de ses élèves de sixième. L’enseignante a eu l’outrecuidance de présenter, dans le cadre d’une étude de texte, la toile « Diane et Actéon » du peintre maniériste italien Giuseppe Cesari. On y voit une Diane appétissante accompagnée de ses nymphes rebondies ; elles sont… nues. Selon l’académie de Versailles, quelques effarouchés ont détourné le regard d’un tableau « heurtant leurs convictions religieuses ». La suite s’est déroulée comme on pouvait s’y attendre : illico, des rumeurs ont commencé à circuler, attribuant au professeur des « propos racistes et islamophobes ». Les enseignants, solidaires de leur collègue, une fois n’est pas coutume, et soutenus par le chef d’établissement, ont exercé leur droit de retrait. Les accusations des jeunes fanatiques ont été démenties, des excuses présentées au professeur ; une procédure disciplinaire ouverte. Mais, le mal est fait : on connaît les circonstances de l’attentat sur Samuel Paty.

Alertes au fou à Rennes, Villeurbanne et Saint-Omer

Mercredi, c’est à Rennes, au collège des Hautes-Ourmes qu’une élève de cinquième âgée de douze ans et en possession d’un couteau de « belle taille » a menacé son professeur d’anglais. Elle lui a déclaré : « Je suis folle aujourd’hui, j’ai envie de tuer quelqu’un aujourd’hui, les élèves qui ne m’aiment pas et la personne en face de moi. Cela s’est passé à Arras et j’ai envie de faire pareil. » L’adolescente n’en était pas à son coup d’essai et avait déjà fait parler d’elle dans son ancien collège. S’y étant présentée avec un couteau dans son sac, elle avait menacé et injurié un professeur. La collégienne est atteinte – on aurait pu s’en douter – « de troubles du comportement ». Aussi, elle a été déclarée « dangereuse pour elle-même » et hospitalisée. Dans le même temps, on a appris que jeudi après-midi, entrées et sorties avaient été filtrées au lycée Descartes de Rennes : un individu suspect et armé « d’un gros couteau » avait été repéré alors qu’il baguenaudait aux abords de l’établissement. À Villeurbanne, une collégienne vient d’agresser un camarade avec des ciseaux, le traitant de « sale chrétien ».  À Saint-Omer, au collège de la Marinie, un adolescent a poursuivi deux élèves de sa classe en criant « Allah Akbar ».

Que propose-t-on de concret pour ramener la paix dans les établissements ? Au collège des Hautes-Ourmes, c’est une « cellule psychologique » qui a été mise en place. Elle « sera active durant plusieurs jours ».  Le recteur de l’académie de Rennes, lui, s’est fendu d’un communiqué pour faire savoir qu’il « condamnait fermement cette agression ». Au collège Jacques-Cartier, à Issou, on a estimé judicieusement que le problème venait « d’un manque d’effectif ». Aussi, on a prévu d’y affecter un conseiller principal d’éducation supplémentaire, promis le recrutement d’un assistant d’éducation (AED) et la création de trois postes d’accompagnement pour « les élèves en situation de handicap » (AESH).

Qu’en est-il d’une autorité à réhabiliter d’urgence et des sanctions immédiates à appliquer pour tout manquement à celle-ci ? Quand se résoudra-t-on à admettre que l’école n’a pas vocation à se substituer à l’hôpital psychiatrique ? Quand abandonnera-ton le dogme de l’inclusion ? Une chose est sûre, ça n’est pas demain la veille qu’on accompagnera les petits talibans et autres lanceurs de couteaux au Louvre pour qu’ils y voient L’Origine du monde. En attendant le « choc d’autorité » salvateur qu’on appelle de nos vœux et que Gabriel Attal semble soutenir, on se contentera d’affranchir les parents des jeunes tartuffes : la représentation des corps et de la nudité n’a pas toujours posé problème dans l’islam et c’est à un diplomate turc, Khalil Bey, qu’on doit la fameuse Origine du monde, une commande faite à Courbet.


Elisabeth Lévy – « Une professeur menacée pour un tableau : c’est révélateur de notre impuissance »

Alfred Courmes, outrageusement académique

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Le Marin au bar, Alfred Courmes, 1927 ©D.R

« Ange du mauvais goût » selon André Breton, peintre blasphématoire pour les uns, scandaleusement érotique pour les autres, Alfred Courmes a laissé une œuvre exubérante mêlant fable grecque, iconographie chrétienne et satire sociale. Ce grand oublié du XXe siècle est exposé à Charleville-Mézières.


Sise sur l’ancienne barrière de Pantin, limite de Paris au temps du mur des Fermiers généraux, l’actuelle place du Colonel-Fabien a longtemps été nommée place du Combat. De 1778 à 1945 s’y sont livrés combats de chiens, de cochons, de sangliers et même de taureaux ! Et c’est sur ce site chargé d’histoire qu’en 1971 a été érigé le siège du PCF, édifice moderniste signé Oscar Niemeyer. Désormais rebaptisé Espace Niemeyer, le lieu a accueilli, au printemps dernier, une exposition consacrée à un artiste largement méconnu :« Alfred Courmes, peintre d’histoires ». On peut la voir ces temps-ci à Charleville-Mézières.

Insolent, féroce, facétieux

Courmes (1898-1993) était à sa place, place du Combat : cet artiste insolent, féroce, facétieux, iconoclaste, érudit, a eu sa carte du Parti pendant dix ans –de 1936 à 1946 ! Effet de mode ? Picasso, Léger, Arroyo, Gilles Aillaud en étaient, eux aussi. Sans compter les surréalistes. L’artiste a relativisé rétrospectivement la portée de ce compagnonnage de circonstance. Courmes savait-il sa chance de vivre à l’ombre de Paris, non sous la terreur stalinienne ? Dès 1934, ce natif de Bormes-les-Mimosas, d’abord établi au Lavandou avant de s’installer à Ostende, a pris souche au bord du canal Saint-Martin, toile de fond de nombre de ses tableaux.

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Nourrie de tradition académique dont elle subvertit les codes avec délectation, son œuvre, canaille et polissonne, parodique et cruelle, épanche dans une verve blasphématoire un érotisme farceur dont nos actuelles vestales de la bienséance woke ne manqueront pas de dénoncer l’offense faite à la Femme, aux Minorités et j’en passe. En 1949, Courmes signe une huile intitulée La Belle, son triton et son loup : sur une plage, une sirène en jupons, gantée et masquée, triture des coquillages, observée de loin par deux messieurs en redingote, tandis qu’approche en froufroutant un dragon-nautonier court vêtu d’un débardeur marin.

La marchande de fruits, 1927 © D.R

Ange du mauvais goût

Elle vous l’allumera, toile millésimée 1972, s’agrémente de ce sous-titre leste : « Vous aussi mettez-lui dans les mains votre gros cigare ». Courmes, en 2023, serait mis en examen ! Œdipe, tableau kitschissime présenté au Salon de 1959, montre l’accouplement de la sphinge de Thèbes. Moins rapin que Clovis Trouille, auquel on le compare parfois, Courmes est aussi virtuose que Salvador Dalí. Celui que le sectaire André Breton qualifiait d’« ange du mauvais goût » s’était constitué une mythologie hybride associant, selon des montages intempestifs, des collages burlesques et des juxtapositions exubérantes, fable grecque, iconographie chrétienne, peinture d’histoire, veine paysagiste et naturalisme social. Topos de cette imagerie sacrilège, la figure de saint Sébastien, dont Courmes fait un marin coiffé de son bâchi, moins nu que déculotté, martyr consentant aux flèches qui le lardent, pourvu d’une verge dessinée dans son détail anatomique, frisure pubienne incluse. Le peintre a maintes fois revisité cette figure : de son Saint Sébastien de 1934, acquis par le Centre Pompidou dans les années 1980, jusqu’à son Saint Sébastien à l’écluse Saint-Martin (1974), vu de dos, membres entravés et fessier galbé, en passant par L’Ex-voto à saint Sébastien. Ce dernier se situe entre Mantegna et Chirico, où l’on voit le Romain supplicié flanqué d’une Vierge à l’enfant, laquelle, plantée sur un coton nuageux, pince la poire d’un klaxon pendant qu’au loin une paire d’argousins en képis contiennent la furie d’une plantureuse matrone. Peintre de la vie moderne pétri de culture classique, Courmes compile les références avec une malice faussement ingénue : de saint Roch à Icare, de Persée au Sphinx, des Amazones au Minotaure, d’Ulysse à Antigone… tout en les raccordant à l’âge de la technique, du progrès scientifique et de la publicité. Doux Jésus, quel scandale pastiche la peinture de Georges Rouault, affublant, au pied du Christ en croix, Marie-Madeleine d’une culotte immaculée de marque Scandale, mode 1960. Ailleurs, le bébé Cadum, le Bibendum Michelin, la fillette des chocolats Meunier investissent l’iconographie scabreuse de cet insoumis à qui Jack Lang a passé commande de son portrait officiel en 1991 ! Choisi en 1937 pour décorer la salle à manger de la légation française à Ottawa, Courmes signe, avec La France heureuse, la seule œuvre monumentale que lui ait jamais commandée la République – d’ailleurs badigeonnée jusqu’à sa tardive restauration, en 1984. Sous l’Occupation, Courmes conçoit le projet de quatre panneaux de deux mètres sur trois pour l’ornement de la faculté de pharmacie de Paris. Ses préparations à la gouache sur« la synthèse organique », « la chimie minérale », « la collecte d’organe » et « Pasteur et la vaccination » distillent cette dérision qui lui est propre. Mais la Libération le dispense de les réaliser en grand format. Huile marouflée sur bois, peinte en 1943-45, Le Sphinx acétylène en est une variation désopilante : « Œdipe nu, mais coiffé du pétase, interroge un Sphinx emplumé, brillamment éclairé par une ampoule où se forme de l’acétylène… » Ainsi l’œuvre est-elle commentée par feue Simonne Valette, dans un des textes du catalogue qui accompagne l’exposition.

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C’est le moment de célébrer cet ouvrage magnifiquement illustré, nourri de prestigieuses contributions (Christian Derouet, Bernard Blistène, Thierry Courmes, Pierre Rosenberg…). Il est porté par l’éditeur Dominique Carré et Carole Marquet-Morelle, directrice des musées de Charleville-Mézières et co-commissaire de cette fantastique exposition qui, après Paris, fait escale dans la ville rimbaldienne. Il faut courir la voir.


À voir

« Alfred Courmes, peintre d’histoires », musée de l’Ardenne et Maison des ailleurs (musée Arthur-Rimbaud), Charleville-Mézières, du 7 octobre 2023 au 7 janvier 2024.

Alfred Courmes, peintre d’histoires (dir. Dominique Carré et Carole Marquet-Morelle), Musée de l’Ardenne.

Alfred Courmes - Peintre d'histoires

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Beau pays pour mourir

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© D.R

Les dérives redoutées de l’euthanasie se confirment au Canada. L’accès à l’AMM s’y obtient en quelques jours, quand il faut parfois des mois pour obtenir une consultation médicale classique.


Pour se faire une idée des dérives possibles de l’euthanasie, il faut regarder le Canada où elle a été légalisée en 2016. Une loi promulguée en 2021 a abrogé une condition qui limitait l’accès à l’euthanasie aux seules personnes souffrant d’une maladie en phase terminale dont la mort était jugée « raisonnablement prévisible ». Les dangers d’un possible dévoiement du système soulevés par Causeur en janvier 2023 semblent confirmés aujourd’hui par les chiffres officiels. En 2022, 4,1 % de tous les décès recensés au Canada étaient des cas d’euthanasie, dont le nombre représente un bond de 31 % par rapport à 2021. Surtout, 463 personnes euthanasiées n’étaient pas dans des situations de mort « raisonnablement proche », soit deux fois plus qu’en 2021.

Maintenant, c’est la proposition d’étendre l’« aide médicale à mourir » (AMM) aux malades mentaux, aux adolescents et aux toxicomanes qui fait débat. « L’AMM, dans le domaine de la santé mentale et de la toxicomanie, vise à l’eugénisme. Ce n’est pas la solution : il y a des gens qui luttent contre la toxicomanie et qui n’obtiennent pas le soutien et l’aide dont ils ont besoin », dénonce Zoë Dodd, engagée auprès des personnes souffrant d’addictions. Ed Fast, député du Parti conservateur du Canada, se demande : « Allons-nous évoluer vers une culture de la mort comme option préférentielle pour les personnes souffrant de maladies mentales ou allons-nous choisir la vie ? » L’accès à l’AMM peut se faire en quelques jours, quand il faut parfois des mois pour obtenir une consultation avec un spécialiste.

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Pour des personnes aux abois, le suicide assisté peut être vu comme un moyen de se sortir d’une mauvaise passe. Ce fut le cas d’Amir Farsoud, fin 2022 : ce Canadien de 54 ans, gravement handicapé, craignait de se retrouver à la rue suite à la mise en vente de son logement social. Il avait fait une demande d’euthanasie. Après avoir reçu 60 000 dollars via une collecte, il a pu s’acheter une maison et est revenu sur sa décision. Pierre Dac avait pourtant prévenu en son temps : « La mort n’est en définitive que la conséquence d’un manque de savoir-vivre. »

La loi du chiffre

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Sami Biasoni © Hannah Assouline

On peut faire dire tout et n’importe quoi aux statistiques. Ce manque de fiabilité s’explique par la manipulation, l’incompétence ou la négligence de leurs auteurs et de ceux qui les interprètent. Dans un essai irrévérencieux et argumenté, Sami Biasoni prouve qu’on peut leur faire dire la vérité.


Sondages d’intentions de vote, courbe du Covid, taux d’endettement public… Les statistiques sont partout dans l’actualité. Mais sont-elles fiables ? Et, surtout, sont-elles convenablement employées par ceux qui les invoquent ? Docteur en philosophie des sciences de l’École normale supérieure et professeur chargé de cours à l’Essec, Sami Biasoni n’en est pas si sûr. Après avoir épluché des milliers de pages d’études et rapports en tous genres, refait les calculs, lu les notes de bas de page, il montre que, soit par malignité, soit par incompétence, soit par négligence, les médias et les politiques ne sont pas à la hauteur de la science statistique dont ils se réclament à longueur de temps. Et propose quelques pistes pour sortir de l’amateurisme ambiant.


Causeur. Commençons par une mise au point. Dans votre livre, vous critiquez ceux qui font profession d’interpréter les statistiques et qui sévissent dans les journaux, les ministères ou les partis. Cependant vous n’allez pas jusqu’à dire que les données elles-mêmes, sur lesquelles ils s’appuient, seraient truquées. En êtes-vous bien certain ?

Sami Biasoni. Il existe bien sûr, comme dans toute activité humaine, des cas de fraude statistique. Toutefois, il ne faut pas exagérer, nous ne sommes pas en Union soviétique. En France, les organismes de référence comme l’Insee et l’INED, mais aussi les grands instituts de sondage privés, sont des établissements respectables, où la majorité des chercheurs travaillent consciencieusement.

La collecte des données statistiques est donc irréprochable dans notre pays ?

Non, elle pèche notamment par manque de transparence. Pour les besoins de mon livre, j’ai étudié un certain nombre de statistiques ayant fait la une de l’actualité ces dernières années, et je me suis plusieurs fois retrouvé face à des raisonnements qui me semblaient incohérents. Pour confirmer ou infirmer mes réserves, il fallait donc que je puisse consulter les données brutes et les notices méthodologiques. Or ce type d’information est rarement public. Les citoyens devraient y avoir un droit d’accès total, telle est la condition de la confiance et de la reproductibilité des travaux.

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À quoi servent ces notices méthodologiques dont vous parlez ?

Sans notices précises et exhaustives, il y a un risque de méprise quant à la définition des phénomènes mesurés. Prenez par exemple le concept apparemment simple de « Français moyen ». Pour en fixer les caractéristiques, doit-on inclure les personnes mineures ? Les Français vivant à l’étranger ? Les immigrés non naturalisés mais présents sur notre territoire ? Il n’existe pas de consensus à ce sujet. Autre exemple que j’analyse dans le livre : à partir de données de référence publiées par l’INED, deux chercheurs ont affirmé, en 2019, que « Nicolas » et « Yanis » étaient les deux prénoms les plus fréquemment portés par les petits-fils d’immigrés maghrébins – information largement reprise par la presse progressiste, mais qui interroge tant elle semble contre-intuitive.

Or l’analyse des sources confirme bel et bien qu’il y a un loup. Non pas que les deux chercheurs aient eu la volonté de duper… Seulement ils avaient oublié d’attirer notre attention sur un détail essentiel : « Les petits-enfants d’immigrés du Maghreb se prénomment si souvent Nicolas et portent si rarement un prénom “arabo-musulman” […] tout simplement parce que ces petits-enfants d’immigrés incluent de nombreux petits-enfants de rapatriés – ainsi que des petits-enfants de juifs marocains et tunisiens et des petits-enfants d’Européens, majoritairement chrétiens, qui ont combattu pour les indépendances. » Autrement dit, l’affirmation n’est pas fausse, mais elle ne dit pas ce qu’elle devrait dire. Elle est parfaitement « statistiquement correcte ».

Il n’y a pas dans ce cas d’intention de duper, dites-vous. Admettons, quoique l’omission soit un peu grosse. En revanche, quand l’AFP publie une dépêche fallacieuse sur la supposée contribution globalement positive des étrangers à l’économie française, c’est un biais idéologique, n’est-ce pas ?

Tout part d’une récente étude chiffrée de l’OCDE, dans laquelle se trouve un passage sur les apports économiques de l’immigration. Un passage qui a été mis en exergue par l’AFP, puis abondamment repris par les médias progressistes – ceux de droite se gardant bien sûr d’en parler. Mais, quelques lignes plus loin, dans la même étude, il est écrit sans ambiguïté que les calculs ne tiennent pas compte de l’ensemble des dépenses publiques, notamment celles spécifiquement engagées dans les services publics (hôpitaux, écoles et forces de l’ordre) en raison de la présence d’étrangers sur le territoire. Ces calculs n’intègrent pas non plus le coût des enfants des personnes immigrées. Cependant, dès qu’elle adopte une vision holistique, l’OCDE reconnaît elle-même que l’immigration représente un coût économique ! Une information escamotée par l’AFP, qui est donc à l’origine d’une présentation erronée du document. Par négligence ? Par intérêt idéologique ? Nul ne saurait le dire.

Vous restez prudent, c’est entendu. Mais que dire des enquêtes de « victimation », qui ont récemment fait leur apparition dans les médias ? Si, par exemple, une femme entend un commentaire désagréable au sujet de son physique dans le métro, elle peut se déclarer victime en toute bonne foi, et ainsi rentrer, sans autre forme de procès, dans les statistiques nationales de violences sexuelles et sexistes. Cet outil statistique n’est-il pas vicié par définition ?

Je n’irai pas si vite en besogne. Les enquêtes de victimation relèvent, en sociologie, de travaux généralement sérieux et honnêtes, qui visent à comprendre les atteintes aux personnes à partir de leur vécu, en complément des informations issues de la police et de la justice. Cela dit, vous pointez du doigt un vrai problème avec l’exemple du métro : le terme de « victime » est infiniment extensible, car il est porteur de subjectivité. Sur certains campus américains, un simple regard peut être considéré comme une (micro-)agression. Je plaide pour que les définitions retenues dans les statistiques publiques soient celles qui sont fixées par la loi, ce système de normes, certes imparfait, présente néanmoins l’avantage de refléter les limites du répréhensible telles qu’elles ont été choisies par la société de façon démocratique. Dès lors, toutes les pseudo-études woke qui prétendent démontrer, chiffres à l’appui, que la France serait structurellement raciste ou sexiste, me semblent largement relever d’impostures scientifiques. Et ce n’est pas parce qu’elles se parent pompeusement de pourcentages et de graphiques qu’elles sont méthodologiquement rigoureuses.

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En vous lisant, on comprend en effet que le bon statisticien est celui qui sait choisir le type de données judicieuses pour appréhender une question.

C’est ce que l’on appelle le « choix de la variable pertinente ». Savoir sélectionner les bons indicateurs pour comprendre un phénomène relève d’un savoir-faire rare. Le fait que les résultats du baccalauréat soient meilleurs d’une année sur l’autre ne permet pas de conclure que le niveau monte ! Penser que le taux de succès à cet examen nous renseigne d’une quelconque manière sur le niveau réel des bacheliers relève de que l’on appelle le « paradoxe de la loi de Goodhart », paradoxe en vertu duquel « lorsqu’une mesure devient un objectif, elle cesse d’être une bonne mesure ». On pourrait même y voir une tentative de manipulation de la perception commune du réel si l’on est plus hardi dans l’analyse de la situation.

Mais alors, dans ce cas, faudrait-il, pour se prémunir de tels risques d’enfumage, limiter tout bonnement les statistiques dans le débat public ?

Non, surtout pas, car de même que la démocratie reste le pire des régimes à l’exception de tous les autres, la statistique est peut-être le pire des arguments à l’exception de tous les autres. Certes, les êtres humains n’ont pas les mêmes propriétés d’homogénéité – de symétrie pour parler en termes mathématiques – que les particules élémentaires, ce qui les rend difficilement réductibles à des paramètres chiffrés, pour autant les sciences humaines ont fait des progrès remarquables depuis qu’elles intègrent une dimension de quantification.

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Les sciences humaines sont pourtant restées un bastion d’esprits « littéraires »…

Vous avez raison. Et cela n’a pas manqué de soulever un débat dans le milieu académique. La plupart des chercheurs en sciences humaines ont reçu une formation de sociologue, de philosophe ou d’historien. De ce fait, leurs publications contiennent parfois des erreurs basiques de calcul ou de raisonnement statistique. Selon certaines méta-analyses, il pourrait y avoir plus de 50 % d’études quantitatives partiellement invalides du point de vue de leurs résultats ! D’où la nécessité de renforcer la formation en mathématiques dans les facultés de sciences humaines. L’embauche par les grandes revues de sciences humaines de statisticiens chargés de contrôler la validité technique des articles est également une mesure nécessaire. Je milite pour que les grands médias recrutent eux aussi des secrétaires de rédaction statistique, non seulement pour vérifier la justesse des chiffres publiés chaque jour dans leurs pages, mais aussi pour veiller à ce que ceux-ci puissent être bien compris par les lecteurs… ainsi que par les rédacteurs.

Sami Biasoni, Le Statistiquement Correct, Le Cerf, 2023.

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Le crépuscule des profs

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Le romancier Eric Bonnargent © Stéphane Pelletier

Le premier roman d’Éric Bonnargent sent le vécu…


Il se nomme Mittelmann, professeur de philosophie âgé de 60 ans, et prend sa retraite. Une jeune femme blonde raphaélique, assurément plus jeune que lui, semble partager sa vie. C’est ainsi que s’ouvre le premier roman d’Éric Bonnargent. Premier roman ? Pas tout à fait. Il y a huit ans, les Éditions du Sonneur publiaient Le Roman de Bolaño, co-écrit avec Gilles Marchand, qui attisa la curiosité. Premier roman solo, donc. Bonnargent est plus jeune que son personnage, il est né en 1970, mais il enseigne la philosophie. Indubitablement, son roman respire le vécu. Quand il raconte la rentrée de septembre, avec l’attente angoissée des profs avant la distribution des emplois du temps, on s’y croirait. Extrait : « Fébriles, ils faisaient la queue devant la porte du secrétariat. À mesure qu’ils avançaient, leurs bavardages se tarissaient. Ils s’efforçaient de sourire avec à peu près autant de dignité et de résignation qu’au seuil du cabinet d’un proctologue ». Leur feuille de route annuelle à la main, on assiste à la réaction hystérique des uns, accablée des autres. De nombreuses évocations de l’univers professoral sont également réussies : la salle des profs, avec la photocopieuse asthmatique, le confessionnal de la machine à café ; les interminables discussions sur les élèves illettrés et indifférents, les rêves au rabais à propos d’un voyage pédagogique dont on se moque de la destination, l’important étant de prendre l’air ; bref, on est immergés dans la désillusion générale. C’est écrit sans méchanceté, ni ressentiment. Les descriptions au scalpel suffisent. Le constat est édifiant. On comprend pourquoi les gouvernements peinent à recruter aujourd’hui. Le temps des « hussards noirs » de la République est révolu. L’Éducation nationale, avec ou sans le nouveau ministre, est un splendide repoussoir.

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Dernier béguin avant l’Ephad

Mittelmann fait partie de ces profs qui n’ont jamais quitté la cour de récréation. Leurs actions sont réglées par la sonnerie de l’établissement. C’est pavlovien et assurément déprimant. Mittelmann possède pourtant une échappatoire : l’écriture de romans. Il espère devenir un écrivain reconnu. Bonnargent évoque Philippe Sollers. Il cite même l’un de ses plus beaux textes, court et nerveux, Les Folies françaises. Mais les droits d’auteur du prof de philo ne lui permettent pas de faire l’école buissonnière. Alors il ira jusqu’à la retraite. Dans cette atmosphère uniformément grise, la nouvelle prof d’anglais, Carolyn, fait sensation. C’est une « bombe » disent les collègues habitués à côtoyer des modèles qui ressemblent davantage à une Annie Ernaux nobélisée. Mittelmann, dont la vie sentimentale est un échec, va être l’heureux élu. Leur idylle ne durera pas longtemps, mais au moins elle aura eu le mérite d’exister. Ça fera des souvenirs pour l’EPHAD.

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Cette radiographie du délitement contemporain, qui n’est pas sans rappeler celle des premiers romans de Houellebecq, s’achève sur une note d’optimisme. Enfin, en ce qui concerne le jeune retraité. La blonde trentenaire partage en effet sa vie. Elle se nomme Justine, elle est prof, et l’appelle « chaton ». L’espoir est donc raisonnablement permis. Même si Mittelmann est un incorrigible pessimiste. Extrait : « (…) jamais une jeune femme aussi belle ne pourrait se tenir éternellement à son bras. Elle le disait merveilleux amant, mais il ne tarderait plus à utiliser du viagra. »

La remarque de Michel Déon

L’un des moments forts de ce roman sensible, aussi mélancolique qu’un casino balnéaire à la basse saison, est l’arrivée de l’élève Johnny dans la classe de Mittelmann. C’est poignant. En le lisant, j’ai repensé à ce que Michel Déon m’avait dit, alors que j’étais sur le point de quitter pour toujours « la fabrique du crétin », pour reprendre le titre du best-seller du visionnaire Jean-Paul Brighelli. Dans son studio parisien, devant un verre de whiskey, l’auteur des Poneys sauvages m’avait déclaré : « Vous savez, on ne fait jamais cours que pour un élève. »

Éric Bonnargent, Les désarrois du professeur Mittelmann, Les Éditions du Sonneur.

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Plus personne ne fait l’Histoire!

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Marc Menant, Festival du livre de Paris, le 23/04/2022 © LAURENT BENHAMOUSIPA

À la lecture du livre de Marc Menant, notre chroniqueur observe que même si l’époque actuelle est largement pourvue en crises et en violences internationales, et même si l’époque actuelle compte bien quelques orgueilleux, elle n’est pas forcément assez désespérante pour secréter, par une sorte de miracle, les sauveteurs qui viendront l’apaiser…


Marc Menant a publié chez Plon Ces destins qui ont fait l’Histoire. Avec les questions et relances de Christine Kelly, ce livre est la transcription des monologues enthousiastes et savants que le premier a offerts chaque soir sur CNews dans Face à l’info. On peut discuter le choix des personnalités qui, selon Marc Menant, « ont fait l’Histoire ». Certaines sont indiscutables comme Jeanne d’Arc, Léonard de Vinci ou Napoléon Bonaparte, d’autres, selon les goûts et les appétences de chacun, sont non pas surestimées – elles ont de la qualité et de la valeur – mais portées à un niveau de « fabricantes de l’Histoire » qui les flatte sans doute trop. Mais ce débat est inévitable qui n’altère en rien la problématique passionnante sur les destins « qui ont fait l’Histoire » et pourquoi, avec cette question actuelle : pourquoi plus personne ne fait-il l’Histoire ? Avant d’aborder le fond de cette interrogation, une fois reconnu le caractère passionnant de cet ouvrage qui propose une vulgarisation à la fois anecdotique et élaborée de quelques pans de notre Histoire, il faut bien concéder une seule réserve. Elle tient au manque de Marc Menant lui-même. Nous font défaut sa voix, son élan, cette alacrité toute emplie du désir de transmettre et de convaincre, cette oralité à la fois familière et soucieuse du vocabulaire et du langage, qui tiennent le téléspectateur en éveil, en curiosité permanente.

Rendez-vous avec l’Histoire

Faire l’Histoire, c’est penser et agir de telle manière que, sans vous, l’Histoire n’aurait pas été la même. En général pour le meilleur mais il faut accepter la malédiction du pire qui constitue, par exemple, Hitler comme un homme qui « a fait l’Histoire » mais pour l’entraîner dans un gouffre ignoble. Faire l’Histoire revient à ne pas se contenter d’un rôle de spectateur, d’observateur, d’acteur mais d’être animé par une énergie, une volonté de transformation et de métamorphose. Il y a sans doute, dans cette pulsion créative, une sorte d’orgueil nécessaire qui vous fait vous considérer comme supérieur au réel, en position de le dominer, de le dompter. Encore faut-il que l’Histoire donne rendez-vous à ces personnalités qui n’attendaient que son appel pour montrer de quoi elles étaient capables, comme elles étaient largement au-dessus du lot commun. Même si l’époque actuelle est largement pourvue en crises et en violences internationales, elle n’est pas forcément assez désespérante pour secréter, par une sorte de miracle, les sauveteurs qui viendront l’apaiser. On peut dire aussi, en ce sens, que si des « destins font l’Histoire », l’Histoire en a fait quelques-uns. Pour Charles de Gaulle, si très tôt il avait fait preuve d’un caractère roide et de qualités exceptionnelles, c’est l’Histoire orageuse et terrifiante qui lui a permis de poser sa marque sur une évolution de la France, de l’Europe et du monde qui, sans son action, aurait été très sensiblement infléchie. À un degré moindre, le président Volodymyr Zelensky a été projeté, à cause d’un dictateur russe sans scrupule, dans une Histoire qui l’a révélé à lui-même en même temps qu’à ses compatriotes admiratifs et aux autres nations. Son action, par la force des choses, a été purement défensive avec le recours à de nombreuses sollicitations diplomatiques et militaires. Il a subi cette Histoire, pour le meilleur, plus qu’il ne l’a construite. Quel sera son destin et celui de l’Ukraine alors qu’un autre cataclysme en date du 7 octobre, avec ses suites meurtrières, leur a fait une ombre tragique ?

La baisse du niveau a encore frappé !

Que plus personne, aujourd’hui, ne fasse « l’Histoire » ne tient pas seulement à une baisse intrinsèque des dirigeants qui sont au pouvoir, à l’absence, ici ou là, de chefs portant en eux une synthèse accomplie d’intelligence, de volontarisme, de courage, d’exemplarité et de culture même si cette pénurie est dramatique. Il y a aussi le fait que dans cet univers géopolitique, aussi limités et imparfaits qu’ils puissent être, aussi peu respectés que parfois ils soient, il y a des règles, des principes, des dialogues qui contraignent une personnalité forte à ne pas se libérer tout entière mais à tenir compte d’autrui et du multilatéralisme. Sauf à se prétendre délestée de tout esprit collectif, et cela fait advenir des Trump, des Erdogan ou des Poutine !

Il serait injuste de forcer le trait et de ne pas retenir que tel ou tel a pu, face à des crises ponctuelles, à des exacerbations momentanées, avoir un rôle décisif. Par exemple, Nicolas Sarkozy, à l’évidence, durant son unique mandat, a fait preuve en plusieurs circonstances d’une activité efficace qui, un temps, a donné l’impression de « faire l’Histoire » mais au-delà de ces effervescences couronnées de succès, on ne pouvait pas trouver chez lui, pas davantage que chez ses successeurs et les autres leaders dans le monde, la hauteur de vue, la profondeur, l’intuition du futur, le courage de la résistance quand il convient, caractérisant l’homme ou la femme faisant authentiquement l’Histoire.

On recherche désespérément, notamment face à l’insoluble et meurtrier conflit israélo-palestinien, la force d’un être suffisamment sage pour être capable de négocier sur le plan politique et, de l’autre côté, une même nature apte à faire passer la haine après les considérations pragmatiques et les intérêts. Avec le risque terrifiant, dans cette région du monde, que l’homme décidé à faire l’Histoire comme Rabin ou Sadate dans un autre registre soit assassiné. Cette mélancolie démocratique qui nous point en France ne vient pas certes de cette seule cause mais le fait que sur l’ensemble de l’échiquier politique, quel que soit le talent dévolu à certains, aucun ne nous offre la certitude qu’il saura faire « l’Histoire » participe grandement à cette désaffection majoritaire du jeu républicain. Il y a eu « ces destins qui ont fait l’Histoire ». Dans quelques années, pourra-t-on se retourner et écrire un nouveau « Ces destins qui ont fait l’Histoire » ? J’aimerais tellement que mon déclinisme ait tort et que la réponse soit affirmative.

Le Brexit n’a pas permis aux Britanniques de reprendre le contrôle sur l’immigration

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Londres, 27 novembre 2023 © James Veysey/Shutterstock/SIPA

Les partisans du « Brexit » promettaient de pouvoir mieux réguler l’immigration au Royaume Uni. Les partisans du « Remain » annonçaient la fuite des investisseurs de la City. Mais suite au référendum de juin 2016, rien de tout cela ne s’est finalement produit !


Le 3 mars 2016, Emmanuel Macron, alors ministre français de l’Economie, s’adressait au Financial Times avec deux avertissements au Royaume Uni concernant le Brexit. Il prévint, tout d’abord, que le Brexit pourrait faire échouer l’accord bilatéral du Touquet entre le Royaume Uni et la France, qui permettait à la Grande Bretagne d’effectuer des contrôles frontaliers sur le sol français et d’empêcher les migrants indésirables d’entrer sur son territoire : « Le jour où cette relation sera rompue, les migrants ne seront plus à Calais », indiqua-t-il. Puis, il ajouta qu’en cas de Brexit, le Royaume Uni n’aurait plus un accès total au marché unique et que la France pourrait chercher à encourager les services financiers à quitter Londres : « Si je devais raisonner comme ceux qui déroulent des tapis rouges, je dirais que nous pourrions avoir quelques rapatriements de la City de Londres » conclut-il.

D’autres que M. Macron sont intervenus dans ce sens parmi les dirigeants mondiaux et cela a renforcé la stratégie « Project Fear » de la campagne pour rester dans l’UE, qui visait à convaincre le public de voter pour le « Remain » en lui faisant craindre les conséquences d’un autre vote. Parmi les pires affirmations, on trouva l’effondrement des prix de l’immobilier (jusqu’à 18 %) et le chômage de masse qui résulteraient d’un choix en faveur du Brexit.

Reprendre le contrôle sur l’immigration

Après le résultat du référendum en juin 2016 et les trois années d’agitation politique qui suivirent, la Grande Bretagne quitta finalement l’UE le 1 février 2020. Elle est donc en dehors du bloc depuis près de quatre ans, et il est peut-être temps de jeter un coup d’œil sur certaines des revendications faites lors du référendum et sur la réalité de la situation aujourd’hui.

Les partisans du Brexit déclaraient qu’il permettrait au public britannique de « reprendre le contrôle ». Cela signifiait retrouver la souveraineté parlementaire pour contrôler les lois, l’argent et les frontières de la Grande Bretagne. Ce n’est une surprise pour personne que l’immigration a joué un rôle déterminant dans la volonté de nombreux citoyens de voter pour la sortie de l’UE. La circulation illimitée des citoyens de l’UE a entraîné une croissance démographique exponentielle et un changement culturel au Royaume Uni. La gestion de la crise des migrants en 2015 a alimenté les craintes selon lesquelles l’appartenance à l’UE rendait le gouvernement britannique impuissant à réduire l’immigration alors que les citoyens souhaitaient ardemment cette réduction. Depuis qu’il a quitté l’UE, le Royaume-Uni a introduit un système de points qui veut que toute personne qui vient travailler au Royaume Uni, et qui n’est pas un citoyen britannique ou irlandais, doit remplir un ensemble spécifique de conditions pour obtenir un visa de travail. Le public espérait que l’introduction de ce système entraînerait une baisse de l’immigration. Selon l’Office britannique des statistiques nationales, lorsque la Grande Bretagne a voté en faveur du Brexit, le solde migratoire était de 321 000 personnes. Ce chiffre a progressivement baissé jusqu’à la fin de l’année 2019, où il était de 184 000. Cependant, depuis que la Grande Bretagne est sortie des restrictions imposées par la Covid-19, le solde migratoire a augmenté de façon spectaculaire, atteignant 709 000 en décembre 2022 et, selon les estimations, il sera encore plus élevé en 2023.

Les conséquences politiques de cette situation se reflètent dans les sondages d’opinion, laquelle situation est exacerbée par le nombre d’immigrés clandestins qui traversent la Manche à bord de petites embarcations. Le fait d’être en dehors de l’Union européenne n’a donc pas facilité la capacité de la Grande-Bretagne à résoudre la question, malgré son plan pour le Rwanda qui semble s’enliser dans des litiges juridiques. Cependant, malgré les affirmations de M. Macron concernant l’accord du Touquet, les gouvernements britannique et français ont conclu un accord de 500 millions d’euros en mars pour mettre fin à l’immigration illégale transmanche.

Investisseurs: Londres résiste face à Paris

La situation économique due au Brexit est évidemment plus difficile à analyser dans le contexte de la pandémie de Covid-19, et de la guerre en Ukraine qui crée une crise énergétique. Ces événements totalement imprévus ont des effets économiques considérables pour l’ensemble de l’Europe.

Néanmoins, la fuite annoncée des services financiers et des investissements vers la City ne s’est pas matérialisée. Bien que la situation puisse changer et que la Grande-Bretagne ne doive pas se reposer sur ses lauriers, une étude publiée en juin par le cabinet de conseil EY a montré que Londres avait obtenu 46 projets d’investissement en 2022, contre 39 en 2021. Ce chiffre est à comparer aux 35 projets de Paris, en baisse par rapport aux 38 projets de la même période, et aux 22 projets de Madrid, en baisse par rapport aux 29 projets de la même période. La City of London Corporation a déclaré que ces chiffres signifient que la capitale « continue à être le leader européen en matière d’attraction d’investissements directs étrangers dans les services financiers. »

En outre, les données publiées par la Bibliothèque de la Chambre des communes, en mai 2023, suggèrent que, bien que la Grande-Bretagne soit désormais en dehors du marché unique européen, les échanges de biens et de services avec l’UE n’ont jamais été aussi élevés, les exportations britanniques vers l’UE ayant augmenté de 24 % entre 2021 et 2022 et les importations de 36 % au cours de la même période.

Les perspectives du secteur industriel ont également surpris les analystes et les commentateurs. L’association professionnelle Make UK a analysé les données de 2021, la dernière année pour laquelle des comparaisons mondiales sont disponibles, et son rapport « Manufacturing -The Facts » a révélé que le Royaume Uni est désormais le huitième plus grand fabricant au monde. Le rapport indique que la production britannique a atteint 272 milliards de dollars, contre 262 milliards pour la France.

Les critiques les plus sévères de l’économie britannique soulignent que l’inflation élevée est l’un des principaux indicateurs de ses difficultés économiques depuis le Brexit. Cependant, si l’on compare les données publiées sur Statista, le taux d’inflation de l’indice harmonisé des prix à la consommation du pays jusqu’en juin 2023 est similaire à celui des économies européennes de taille similaire. Le taux britannique s’élevait à 7,3 %, contre 6,8 % pour l’Allemagne et 5,3 % pour la France. En effet, même sur la base des projections de croissance du PIB publiées par l’OCDE, les projections pour le Royaume-Uni sont comparables à celles de l’Allemagne et de la France pour 2024 et 2025. En 2024, l’économie britannique devrait croître de 0,7%, contre 0,8% pour la France et 0,6% pour l’Allemagne, et en 2025, la croissance sera de 1,2% pour l’ensemble des pays.

Si ces chiffres ne montrent pas que la Grande-Bretagne devance ses voisins européens comme l’auraient souhaité certains partisans du Brexit, la catastrophe prédite par les opposants au Brexit ne s’est manifestement pas produite non plus.

Néanmoins, la Grande Bretagne doit encore relever des défis économiques majeurs. Le taux d’inflation des denrées alimentaires est l’un des pires d’Europe, avec 10,1 % selon Trading Economics, et les prix de l’électricité par kWh sont les deuxièmes plus chers d’Europe, juste derrière la République tchèque. L’avenir nous dira donc si la Grande Bretagne, en dehors de l’Union européenne, sera en mesure de traiter ces questions.

Bye crooner!

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L'acteur et chanteur français Guy Marchand, 1998 © T.F.1-PREBOIS/T.F.1-COLLECTIONS/SIPA

Guy Marchand disparait. Quelle destinée…


L’Argentin de Belleville n’avait pas toujours de belles manières. Il était rude souvent, discourtois parfois pour un homme de la Pampa, vraie tête de lard du chobizenesse, mauvais garçon des dancings, le poing facile, le sang chaud, la rancune tenace, le verbe cassant et cette superbe désinvolture que l’on n’apprend pas au Théâtre Français mais dans les garnisons d’élite. Le régiment fut sa maison de la culture ; les fortifs, son garde-fou. Il pouvait vous décocher une droite sur un malentendu, c’était sa façon d’instaurer le dialogue, de poser les bases d’un débat équilibré. Sans filtre. Jamais apaisé. Chambreur et souverain. D’une sensibilité mal régulée. Altier et poulbot dans un même élan. Gouailleur et rêveur. Il balayait les emmerdes d’un rire nerveux, même si la pilule passait encore difficilement. Il avait connu la gloire et les phases de retranchement. La « Passionata » et les déveines commerciales. Le compagnonnage avec les stars (Ventura et Belmondo) puis les strapontins des dernières années quand la lumière commence à faiblir. À chaque fois, à chaque apparition, il vous cueillait, en souffre-douleur ou en vieillard réfractaire, dans une comédie ou une série télé ; sa voix était le réceptacle de notre jeunesse. Nous y plongions avec délice. Il y avait tout dans ce timbre effronté, le côté bateleur chargé de gaudriole et, en même temps, une nostalgie ébréchée, le lent délitement du temps qui passe, les honneurs d’un monde enseveli, les foucades de la rigolade. Guy Marchand était mordant avec les cons, charmeur avec les femmes racées, sublime dans les rôles d’abrutis sûrs d’eux, il avait installé une forme de tension dans le cinéma des années 1970/1980, un humour dirigé contre lui, un style grandiloquent, bas de plafond, méchamment victimaire, râblé et laissant, malgré tout, entrevoir une émotion cabossée, celle des perdants qui pleurent, à la nuit tombée. Comme Jean-Pierre Marielle, Guy Marchand a joué les boomers virilistes, les cadres sur-vitaminés, les gigolos en capilotade, les héros de la croissance sans les amener dans les fossés de la caricature. Seuls les professionnels de cette stature-là sont capables d’insuffler le bon dosage. Et il faut aimer les cons pour les interpréter avec génie, c’est la grande leçon de cette génération qui se fait, peu à peu, la malle. Sa disparition à 86 ans intervient après un long cortège de départs, les acteurs nés dans les années 1930 se comptent désormais sur les doigts d’une main. La filmographie de Guy Marchand n’est pas compréhensible pour les nouveaux inquisiteurs, trop prompts à liquider le passé, à fustiger nos bamboches et notre second degré, à vouloir sans cesse nous rééduquer. Nous n’acceptons désormais que l’art sous blister, dépollué d’amertume et de rage, imperméable au rire des copains et à l’esprit boucanier. Guy Marchand était le contraire d’un acteur docile. Ses réflexes d’ancien officier para l’ont admirablement conservé des génuflexions propres à ce métier. Il l’a payé au cours de sa carrière. Une liberté de ton dont nos médias sous camisole ont oublié le fracas et la puissance.

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Charme vénéneux

Cette tête brulée ne mâchait pas ses mots, évoquant ses problèmes récurrents de fric, ses amours tempétueuses ou la mort qui rôdait autour de lui. Il l’avait dans le viseur depuis déjà un certain temps. Il a dansé avec la faucheuse un ultime tango qui aura duré quelques années. Cet excellent cavalier, qui avait troqué la motocyclette pour le pur-sang, les culottes courtes pour les blousons en cuir pleine fleur, ne se faisait pas d’illusion sur l’issue fatale ; teigneux, il ne lui a pas facilité la tâche. Guy Marchand n’était pas manœuvrable. Quand il passait sa tête dans le poste, on pouvait s’attendre à du vitriol, le désenchantement âpre du titi parisien qui a vécu mille vies, vendu des milliers de disques et travaillé avec les réalisateurs de renom. Quelle destinée ! Lui qui détestait ce standard et aurait préféré que l’on se souvienne de ses nombreux albums de jazz mâtinés de rythmes latins, en musique, c’était un bohème puriste. Je me souviens avoir été traîné par mes parents au Bataclan, à l’un de ses concerts, il y a vingt-cinq ans, j’étais alors peu sensible à son attirail de crooner francilien, ce soir-là, j’avais été subjugué par le type, son charme vénéneux, sa répartie, sa morgue jubilatoire, sans modération.

J’ai follement aimé ce mec-là, en entremetteur dans l’Hôtel de la plage, dans le trench de Nestor Burma ou pour son arrivée guignolesque dans l’appartement de Catherine Alric (Tendre Poulet), je cite de mémoire, il lui demande si elle a quelque chose de « blanc, de frais et de pétillant à boire ». Qui n’a pas vu Paul Memphis en blazer blanc déboulant au volant d’une Jeep Cherokee dans les Sous-doués en vacances ne connaît rien au cinéma de divertissement !

Monsieur Nostalgie

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V.I.P.

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La star française Françoise Hardy, 1968 © FITITJIAN/SIPA

“Partir quand même”. Pourquoi partir. Elle n’a jamais été d’ici, de là. Mais d’ailleurs. Trop belle, trop classe, aérienne dans ses Repettos qui n’ont jamais touché terre. Bulle de talent, bulle de pudeur, bulle de champagne en apesanteur. Toute la mélancolie d’un long dimanche d’automne s’est dissoute dans ses mots. Et “dix sous” c’est pas cher pour une œuvre de 60 ans. Des textes ciselés à la fièvre d’une passion qui se consume, au poison lent de l’attente qui ronge, à l’ennui projeté sur les quatre murs de la solitude. Pour plomber, elle plombe. Mais c’est beau. Et à l’arrivée, ça fait du bien.


Dotée d’une photogénie à vous envoyer plier le capot sur un platane, dès ses 20 ans Françoise Hardy plie sous la mitraille de son compagnon, un photographe surdoué, Jean-Marie Périer. Surdoué, privilégié et chanceux. Sa muse imprime la pellicule sans la toucher, maquillée ou pas, posée ou pas, naturelle ou sophistiquée. Un pull col en V sur les épaules, sapée comme une calandre de Rolls par Paco Rabanne, pastellisée en aquarelle de chez Courrèges, peu importe, elle est à tomber. Un peu comme sa prose qui croise dans la profondeur des sentiments la simplicité et la haute-couture.

Miss Hardy est ma voisine en Corse. Enfant, j’accompagne mon père chez François le boucher. Ma boutique préférée, où mes yeux sortent de l’étui sur le persillé d’une entrecôte, le gras d’une côte. Là, mon père discute avec la voisine, perchée comme une Tour de Pise. Mon regard grimpe les étages d’un échafaudage instable pour bloquer sur la grâce de son visage. François le boucher, qui régulièrement délaissait la chambre froide, pour suivre, avec d’autres phénomènes du village, Dutronc sur un tournage ou en tournée. Il revenait régulièrement sur les jantes, et pour se refaire, faisait passer le faux-filet au prix de la langouste. Dutronc-Hardy, la cavale classieuse en commun, par la dérision ou la discrétion, au maquis comme à la scène. Ils traversent la vie sans vieillir, dans la douleur comme tout un chacun, mais sans vieillir. Et comme les chats ne font pas des rats, Thomas l’alliage Nord-Sud de la glace et du feu, perpétue le talent et l’élégance de la maison.

Françoise Hardy souffre. Que ces mots d’un fan souvent conquis jamais soumis, lui parviennent.


Pâle et létale

Balle en acier de chez Courrèges
Peau d’albâtre d’une feuille de solfège,
Filet de voix en bas de soie
En première classe ça va de soi

Lumière blême au bout du tunnel
Plus on avance, on ne voit qu’elle,
Tombée du ciel d’une aquarelle,
Pâle en pastel, Dieu qu’elle est belle

Des malheurs posés sur l’enclume
Sont des munitions pour sa plume,
L’humeur des foins, chronique d’un rhume,
Kleenex jeté sans amertume

Myope au volant d’une Cadillac,
La route sans un verre de contact,
Moral en sucre, le cœur en vrac,
De son best of sortir intact

De sa hauteur, de sa nacelle,
Elle vous pose une couronne d’épines,
Sa signature sur la rétine
Un vague à l’âme dans l’escarcelle

D’une misère elle fait un missel,
Pose sur la plaie son grain de sel
Tueuse à gage, au pic à glace,
Sa lame de rasoir fend l’espace

Son cœur est pris, est mis en plis,
Par un capitaine au long cours,
Pirate des ports, des fumeries,
Tête mise à prix à son retour

Dans le bourdon, chasser l’ennui,
Mélancolie des jours de pluie,
Nuances de gris des oiseaux de nuit,
Hôtesse du silence au paradis,
Sous l’abat-jour passe à crédit
Un laser de Françoise Hardy

COP28 et baisse du prix du baril: la très mauvaise semaine de l’Opep+

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Le secrétaire exécutif de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques Simon Stiell, et le sultan al-Jaber, Dubaï, 13 décembre 2023 © Kamran Jebreili/AP/SIPA

Comme d’habitude le grand Barnum de la COP, 28ème édition, se sera conclu par un suspense… insoutenable sur la rédaction d’un communiqué final forcément « historique ». Une déclaration d’intention qui de toute façon a fait, comme d’habitude également, de nombreux mécontents du côté des ONG omniprésentes comme des médias.


Pas moins de 88 000 participants se seront rendus en avion pour cela au cœur du Golfe Persique… Et il y en aura au moins autant dans un an en Azerbaïdjan. La COP de Dubaï aura tout de même vu se matérialiser les limites du puissant cartel élargi des pays producteurs de pétrole, l’Opep+. Il a dû en quelque sorte acter un suicide économique programmé avec la reconnaissance de la nécessité de la transition hors des énergies fossiles et a vu dans le même temps sa stratégie de contrôle du marché pétrolier par la raréfaction de l’offre échouer. Les prix du baril sont tombés à leur plus bas niveau depuis six mois et ont baissé de plus de 20% en trois mois !

Le cartel pétrolier élargi Opep+, qui regroupe les 13 pays de l’Opep historique (Organisation des pays exportateurs de pétrole) menés par l’Arabie Saoudite et leurs dix alliés menés par la Russie, vient de connaître une semaine difficile. Sous pression à la COP28, les pays du cartel ont dû finalement admettre que le monde allait devoir se passer des hydrocarbures. Et dans le même temps, leur tentative de contrôle du marché pétrolier par la raréfaction de l’offre, qui a réussi pendant quelques mois, a finalement échoué et les cours du baril sont tombés à leur plus bas niveau depuis six mois.

Suicide économique programmé et annoncé

Le communiqué final d’une COP n’a, contrairement à ce que veulent faire croire les très nombreux participants à ce Barnum devenu annuel et bon nombre de médias, qu’une portée limitée. Ce n’est qu’une déclaration d’intention qui, il est vrai, à défaut d’être contraignante a tout de même un impact symbolique. Et l’Opep+ a ainsi dû en quelque sorte accepter publiquement d’annoncer un suicide économique, à savoir la transition programmée vers la fin des hydrocarbures. C’est tout de même une réelle défaite pour une organisation dont la seule vocation est de défendre les intérêts et les recettes des pays producteurs de pétrole.

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Le texte final appelle ainsi à « transitionner hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques, d’une manière juste, ordonnée et équitable, en accélérant l’action dans cette décennie cruciale, afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050 conformément aux préconisations scientifiques ». Le terme exact anglais employé est celui de « transitioning away ». Il n’est plus question de « sortie » du pétrole, du gaz et du charbon, pour ménager les susceptibilités, mais cela revient au même. À ce jour, seule la « réduction » de consommation du charbon avait été actée lors de la COP26 à Glasgow, mais le pétrole et le gaz n’étaient alors même pas mentionnés.

Des records cette année de consommation dans le monde de charbon et de pétrole

Le plus étonnant est que les uns et les autres, à commencer par la ministre française de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, aient été surpris et se soient même offusqués des réticences des pays de l’Opep+ à signer un texte qui annonce la fin du modèle économique qui a fait leur prospérité et leur puissance… Les pays de l’Opep, à commencer par l’Arabie Saoudite, dépendent presque exclusivement des recettes de leurs exportations de pétrole et de gaz pour alimenter leurs budgets. Ils ne sont pas prêts d’y renoncer… Et de toute façon, le reste du monde n’est pas prêt non plus à renoncer à leur en acheter.

Entre les engagements, les déclarations solennelles et la réalité, il y a une …

Lire la fin de l’article sur le site de la revue Transitions & Energies


Le nouveau numéro du magazine Transitions & Énergies est paru. L’indispensable capture du carbone

  • Une technologie « inévitable » selon le GIEC
  • Le seul moyen de décarboner l’industrie lourde
  • Pas de carburants synthétiques sans capture
  • L’Europe et la France dans le déni

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Des nus et des couteaux à l’école

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L'œuvre de Giuseppe Cesari présenté le 7 décembre aux collégiens de Issou dans les Yvelines. Depuis, les enseignants ont exercé leur droit de retrait. DR.

L’école publique naufrage, on le savait. Pourtant, il ne fallait pas le dire. Bonne nouvelle : c’est désormais possible et sans risquer de passer pour un réac ou un mauvais coucheur ! Épisode grotesque du tableau ayant choqué des élèves islamisés dans les Yvelines, menaces au couteau ou aux ciseaux ailleurs: il est grand de temps de remettre de l’autorité dans les établissements scolaires. De l’ordre, de l’ordre, de l’ordre !


L’école publique naufrage, on le savait. Pourtant, il ne fallait pas le dire. Bonne nouvelle : c’est désormais possible et sans risquer de passer pour un réac ou un mauvais coucheur. Il n’y a pas si longtemps, c’est seulement sous le manteau qu’on évoquait le quotidien des enseignants. Il se murmurait que les pauvres hères étaient de moins en moins qualifiés pour le métier, mais, on n’avouait pas encore vraiment qu’ils officiaient dans la terreur, exposés aux insultes et aux menaces proférées par de jeunes tyranneaux mal élevés, décérébrés, déséquilibrés voire radicalisés. On se gardait bien d’affirmer clairement que, quand ce n’est pas la foire d’empoigne dans les classes surchargées, il y règne à tout le moins un brouhaha continu rendant tout apprentissage impossible. On ne révélait pas plus, qu’à l’école, la loi est faite par les élèves et leurs parents, que l’islamisme avance stratégiquement ses pions. On commençait tout juste à savoir que l’administration, pusillanime, a pour l’habitude d’abandonner en rase campagne ses professeurs maltraités et ses élèves harcelés.

Droit de retrait exercé à Issou

Parce que la menace terroriste est à son comble et que dans tout le pays, désaxés et islamistes chourinent allègrement, l’assassinat de Dominique Bernard a ravivé le tragique souvenir de la décapitation de Samuel Paty. On est alors plus enclin à dénoncer la faillite du vivre-ensemble à l’école et on se met à rapporter des évènements qui seraient auparavant, pour la plupart d’entre eux, passés sous les radars. Ainsi, à la fin de semaine dernière, au collège Jacques-Cartier d’Issou, dans les Yvelines, un professeur de français a « choqué », selon le vocable consacré, certains de ses élèves de sixième. L’enseignante a eu l’outrecuidance de présenter, dans le cadre d’une étude de texte, la toile « Diane et Actéon » du peintre maniériste italien Giuseppe Cesari. On y voit une Diane appétissante accompagnée de ses nymphes rebondies ; elles sont… nues. Selon l’académie de Versailles, quelques effarouchés ont détourné le regard d’un tableau « heurtant leurs convictions religieuses ». La suite s’est déroulée comme on pouvait s’y attendre : illico, des rumeurs ont commencé à circuler, attribuant au professeur des « propos racistes et islamophobes ». Les enseignants, solidaires de leur collègue, une fois n’est pas coutume, et soutenus par le chef d’établissement, ont exercé leur droit de retrait. Les accusations des jeunes fanatiques ont été démenties, des excuses présentées au professeur ; une procédure disciplinaire ouverte. Mais, le mal est fait : on connaît les circonstances de l’attentat sur Samuel Paty.

Alertes au fou à Rennes, Villeurbanne et Saint-Omer

Mercredi, c’est à Rennes, au collège des Hautes-Ourmes qu’une élève de cinquième âgée de douze ans et en possession d’un couteau de « belle taille » a menacé son professeur d’anglais. Elle lui a déclaré : « Je suis folle aujourd’hui, j’ai envie de tuer quelqu’un aujourd’hui, les élèves qui ne m’aiment pas et la personne en face de moi. Cela s’est passé à Arras et j’ai envie de faire pareil. » L’adolescente n’en était pas à son coup d’essai et avait déjà fait parler d’elle dans son ancien collège. S’y étant présentée avec un couteau dans son sac, elle avait menacé et injurié un professeur. La collégienne est atteinte – on aurait pu s’en douter – « de troubles du comportement ». Aussi, elle a été déclarée « dangereuse pour elle-même » et hospitalisée. Dans le même temps, on a appris que jeudi après-midi, entrées et sorties avaient été filtrées au lycée Descartes de Rennes : un individu suspect et armé « d’un gros couteau » avait été repéré alors qu’il baguenaudait aux abords de l’établissement. À Villeurbanne, une collégienne vient d’agresser un camarade avec des ciseaux, le traitant de « sale chrétien ».  À Saint-Omer, au collège de la Marinie, un adolescent a poursuivi deux élèves de sa classe en criant « Allah Akbar ».

Que propose-t-on de concret pour ramener la paix dans les établissements ? Au collège des Hautes-Ourmes, c’est une « cellule psychologique » qui a été mise en place. Elle « sera active durant plusieurs jours ».  Le recteur de l’académie de Rennes, lui, s’est fendu d’un communiqué pour faire savoir qu’il « condamnait fermement cette agression ». Au collège Jacques-Cartier, à Issou, on a estimé judicieusement que le problème venait « d’un manque d’effectif ». Aussi, on a prévu d’y affecter un conseiller principal d’éducation supplémentaire, promis le recrutement d’un assistant d’éducation (AED) et la création de trois postes d’accompagnement pour « les élèves en situation de handicap » (AESH).

Qu’en est-il d’une autorité à réhabiliter d’urgence et des sanctions immédiates à appliquer pour tout manquement à celle-ci ? Quand se résoudra-t-on à admettre que l’école n’a pas vocation à se substituer à l’hôpital psychiatrique ? Quand abandonnera-ton le dogme de l’inclusion ? Une chose est sûre, ça n’est pas demain la veille qu’on accompagnera les petits talibans et autres lanceurs de couteaux au Louvre pour qu’ils y voient L’Origine du monde. En attendant le « choc d’autorité » salvateur qu’on appelle de nos vœux et que Gabriel Attal semble soutenir, on se contentera d’affranchir les parents des jeunes tartuffes : la représentation des corps et de la nudité n’a pas toujours posé problème dans l’islam et c’est à un diplomate turc, Khalil Bey, qu’on doit la fameuse Origine du monde, une commande faite à Courbet.


Elisabeth Lévy – « Une professeur menacée pour un tableau : c’est révélateur de notre impuissance »