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Merci qui ?

Avec les procès médiatico-politiques intentés contre Jordan Bardella, Sylvain Tesson, le lycée Stanislas et même le chef du Parti communiste, nous sommes face à une litanie d’inepties. Tribune.


Un « Complément d’Enquête », troussé en dépit du bon sens par la fille publique de l’information qu’est devenue la chaîne de télévision France 2, hyper spécialisée désormais dans la négation décomplexée de l’esprit de méthode. Nul doute que de telles performances devraient lui valoir avant peu le statut enviable de porte-étendard de l’indigence déontologique exhaussée au rang de principe de base à enseigner dans les écoles de journalisme, selon un programme directement calqué sur celui de la célèbre STASI, police est-allemande des mœurs et de la pensée, de consternante mémoire.

Une meute d’auteurs-réalisateurs-poètes et pousse-mégots multifonctions, infatués à l’extrême, qui se voudraient maudits mais ne sont que ridicules, et qui, faute de mieux en matière d’œuvre, vomissent, dans une langue en voie de décomposition, une pétition saturée de jubilation hargneuse afin de lapider un bel et authentique écrivain, Sylvain Tesson. Un écrivain vrai, qui, c’est certain, marquera son temps, et que cette engeance ne se donnera même pas la peine de lire, si toutefois elle en venait à savoir lire un jour.

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Et puis voilà que nous tombe un procès dans la plus pure tradition stalinienne revue et corrigée par Médiapart, avec témoins de complaisance et vérités fabriquées contre l’institution scolaire catholique Stanislas, vouée aux bûchers de l’inquisition woke pour cause d’excellence. Et, circonstance très aggravante, également en raison d’une fidélité civilisationnelle assumée.

Et, toujours dans le registre du médiocre télévisé, un ministre des Finances qui, sans rire, refile la patate si chaude du cours foldingue de l’électricité à un parti d’opposition dont le cours lui aussi fort grimpant le met en panique. Enfin, cerise sur cet infâme pudding servi ces jours derniers, l’impayable chef(e) de la CGT s’associant à l’anathématisation et à l’expulsion du patron du Parti communiste français lors d’une manifestation  en peau de chagrin estampillée « droits de l’homme ». Alors là, pour un peu, on se tordrait de rire. La CGT bottant le cul du PC ! Comment est-ce possible ? Ainsi, il y aurait du mou  – du mou très mou – dans ce qu’on appelait autrefois, au temps des deux Kings Georges (le Séguy et le Marchais), « les courroies de transmission » du parti.

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Assistant, médusé, à ce florilège d’inepties, j’irais jusqu’à laisser entendre, paraphrasant un certain Guy Mollet, que nous avons en France, sans conteste possible, « la gauche la plus bête du monde ». Mais, retenu par un sens inné de la charité et de la bienveillance qui me vient d’on ne sait où, je m’en abstiendrai. Une petite remarque cependant : encore deux ou trois pitreries – pardon, deux ou trois conneries – du calibre de celles évoquées ci-dessus, et la barre des 80% d’opinions favorables devrait devenir une perspective des plus réalistes pour le RN et ses chefs. Merci qui ?

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Faste retour d’Egypte au Palais Garnier

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Giulio Cesare in Egitto, le chef-d’oeuvre opératique de Georg Friedrich Haendel, est de retour à Paris dans la mise en scène de Laurent Pelly de 2011 qui ne cache rien de la violence et de la luxure de cette oeuvre.


Deux meurtres sur scène, plusieurs tentatives de viol, et même (vue de dos, précisons !) une fellation homosexuelle en live : millésimée 2011, la mise en scène de Laurent Pelly reprise à présent sous les ors du Palais Garnier ne cèle rien, ni de la violence ni de la luxure qui s’ébattent dans Giulio Cesare in Egitto, sommet lyrique du grand Haendel, créé à Londres en 1724 pour la Royal Academy of Music, ville où le compositeur d’origine allemande s’était installé depuis quatorze ans et qu’il ne quittera plus jusqu’à sa mort en 1759.

Base d’adaptations antérieures, l’opéra n’en marie pas moins les registres, dans la tradition shakespearienne et comme l’exigeait alors l’esthétique vénitienne – on chante en italien, bien entendu, et dans des rôles travestis pour la plupart -, la veine comique s’infiltrant dans le tragique le plus sanguinaire. Pelly, non seulement joue avec brio de ces contrastes, mais un décor très imaginatif, signé Chantal Thomas, figure les réserves du musée du Caire, convoquant dans un allègre raccourci historique tout l’arsenal iconographique et statuaire qui a fait fantasmer l’Occident, trois siècles durant, sur l’Egypte antique.

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Ainsi, dans la scène d’ouverture, au lieu de la tête coupée d’un Pompée sanguinolant déposée sur un plateau au pied de César sous les yeux horrifiés de son épouse Cornélie, c’est une statue géante du général romain qu’on voit arriver en caisse de bois sur le plateau, apportée sur un diable par le personnel du musée, sous la surveillance des conservateurs. Le répertoire de la manie égyptologique infuse avec beaucoup d’esprit et d’élégance les trois actes de l’opéra, depuis les chromos d’Alexandre Cabanel jusqu’aux huiles orientalistes de Jean-Léon Gérôme, en passant par les tapis dans l’un lesquels on verra même se rouler la reine d’Egypte… Le pittoresque antique anime donc à loisir, d’un bout à l’autre, la dramaturgie féroce qui oppose l’incorruptible veuve romaine Cornélie et Sextus, son fils dévoué, à la reine égyptienne Cléopâtre, trahie par le jouisseur efféminé Ptolémée et le conjuré Achillas, et bientôt éprise d’un Jules César lui-même conquis par sa beauté…

L’Orchestre national de Paris, fait d’instruments modernes, n’est pas spécialement « baroqueux », quoique la baguette du chef britannique Harry Bicket (lequel dirigeait déjà Ariodante, du même Haendel, l’an passé) le fasse sonner dans l’esprit du Concert d’Astrée qui emplissait la fosse lors de la création de cette production comme à sa reprise deux ans plus tard.

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La mezzo-soprano Gaelle Arquez campe avec l’extraordinaire virtuosité qu’on lui connaît le rôle travesti de César (jadis chanté par un castrat comme l’on sait) pour lequel elle avait été d’ailleurs ovationnée en 2022 au Théâtre des Champs-Élysées, dans une mise en scène de Damiano Michieletto plus controversée.  En Cléopâtre, à peine vêtue d’une tunique blanche presque transparente, la fabuleuse soprano cubano-américaine Lisette Oropesa impose quant à elle une agilité, une précision souveraine dans les trilles acrobatiques de la partition. L’adolescent Sextus, sous les traits de l’excellente mezzo – soprano canadienne Emily D’Angelo (rôle-titre d’Ariodante en 2023, on s’en souvient), fait merveille par son allure androgyne, si parfaitement accordée au rôle. Le jeune contre-ténor français Rémi Bres, qu’on découvre à l’Opéra de Paris, se signale par son irrésistible talent comique et son timbre irréprochable dans l’emploi burlesque d’un Nirenus (le confident de Cléopâtre et de Ptolémée) pastichant dans sa gestuelle de profil l’esthétique particulière à l’Egypte ancienne… La plantureuse contralto allemande Wiebke Lehmkuhl (Cornélie), le baryton-basse vénézuélien Luca Pisaroni (Achillas) et le contre-ténor britannique Iestyn Davis (Ptolémée) complètent cette distribution impeccable. Elle magnifie la succession d’arias sublimes qui fait de ce chef-d’œuvre un must absolu de l’opéra seria.

Giulio Cesare. Opéra en trois actes de Georg Friedrich Haendel (1724). Direction Harry Bicket. Mise en scène Laurent Pelly.  Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris. Avec Emily D’Angelo, Adrien Mathonat, Wiebke Lehmkuhl, Marianne Cressaba, Lisette Oropesa, Iestyn Davies, Luca Pisaroni, Rémy Brès.

Palais Garnier, les 23, 25, 27, 30 janvier, 2, 8, 10, 12, 14, 16 février à 19h. Le 4 février à 14h30. Durée : 4h15.

Paradis perdu

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James Ivory a 94 ans. Bon moment pour tourner un film-testament. Mais cette fois, le cinéaste de l’amour interdit et de la nostalgie aristocratique –  cf. Chambre avec vue (1985), Maurice (1987), Retour à Howards End (1992), Les vestiges du jour (1993)…  – a choisi d’arpenter les sentes de la mémoire plutôt que d’investir à nouveau les paysages de la fiction.


Co-réalisé avec le monteur et documentariste britannique Giles Gardner, Un été afghan est un film en abyme : Ivory en est tout à la fois le narrateur, l’acteur et le mémorialiste. Fils de bonne famille (son père est propriétaire d’une prospère usine de bois qui fournit Hollywood pour ses décors), en 1960 le jeune homme épris de culture et de voyages part tourner son premier film, dans un Afghanistan arriéré, monarchie alors en pleine mutation : déserté par l’empire britannique, en guerre larvée avec le Pakistan voisin, mais pas encore passé sous emprise soviétique – les talibans n’ont pas encore accompli le dernier acte de la tragédie – le pays vit comme il y a mille ans : exotisme garanti.

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Dans sa vaste demeure où en 2022 s’accumulent les archives, le vieux cinéaste a remis la main sur ces anciennes bobines : film dans le film, ce documentaire jamais produit se voit exhumé à présent, commenté par lui en voix off, les Mémoires de Babu, empereur mongol du XVIème siècle s’offrant en contrepoint à l’image, tandis que le natif de l’Oregon, replongé dans ses années de jeunesse, cite les lettres qu’il écrivait à sa mère depuis Kaboul… Ivory, il y a soixante ans, a pu filmer les fameux bouddhas monumentaux de Bâmiyân rageusement dynamités par la barbarie islamiste. Rien que pour cette seule séquence, Un été afghan mérite amplement le détour. James Ivory y vante le climat idéalement tempéré de Kaboul : titre original, A Cooler Climate.

Un été afghan. Documentaire de James Ivory et Giles Gardner. France, 2022, noir et blanc & couleur. Durée : 1h12. En salles le 24 janvier 2024.

London Sixties, the place to be !

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Jean-Albert Beaudenon, musicien et journaliste spécialisé, nous invite à un voyage au cœur de la pop culture anglaise, au pays de Mary Quant, de Brian Jones, des Kinks, des Yardbirds et des Mods afin de respirer (à pleins poumons) le parfum enivrant du « Swinging London » des années 1964-1968.


Non, le centre du monde n’était pas la gare de Perpignan, contrairement aux prédictions hallucinées de Dalí. Ni de Cadaqués, non plus. Tout convergeait vers Londres. C’est de ce côté-ci du Channel qu’ont eu rendez-vous les personnalités les plus troubles et inspirantes des « Sixties ». Les jupes raccourcies, les groupes passablement énervés, la télévision prescriptrice de tendances, la jeunesse comme cible marchande enfin constituée, les excès en produits illicites et les révolutions sexuelles ont pris pied sur les îles britanniques, sous une pluie drue et un smog vaporeux, dans un environnement social rigoriste et des valeurs policées. La capitale anglaise a attiré à elle tout ce qui construira, par la suite, un imaginaire échevelé et un business solide.

Le feu n’est toujours pas éteint. L’incendie brûle encore sur les pickups et dans les boutiques, tous les créateurs soufflent sur les braises de ce magma fumant. La pop culture anglaise sur laquelle repose, soixante ans plus tard, un puissant marketing, une esthétique fondatrice et un son « barbare » sert de modèle culturel à toute la planète entière. Pour aller aux sources du mouvement, Jean-Albert Beaudenon se révèle être un guide érudit, curieux et surtout affranchi des sentiers mille fois battus. On ne compte plus le nombre d’ouvrages relatant les guerres intestines opposant Rolling Stones et Beatles, l’émergence des Who ou des Animals, l’héroïne comme funeste salut et la marijuana pour adoucir les heures de bureau. L’auteur, par une série de chroniques incarnées et riches en anecdotes, nous fournit un bréviaire sur cette période fantasmée. London Sixties qui paraît aux éditions Camion Blanc a pour nous autres lecteurs de 2024, esclaves du puritanisme woke et adeptes des génuflexions, l’odeur du souffre et d’une liberté désormais sous surveillance généralisée.

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London Sixties peut se lire comme un voyage au bout de la nuit (dans les clubs) ou un manuel de résistance à la standardisation des ondes. La force de Jean-Albert Beaudenon, c’est qu’il était sur place ! Il nous raconte l’Histoire en prise directe avec le réel. Il a posé ses valises à l’été 1965 pour apprendre la langue de Shakespeare et satisfaire sa curiosité musicale. Là-bas, il a découvert une nouvelle société bien avant le discours de Chaban-Delmas de 1969. Dès l’aérogare, il a senti le choc. « Pas très loin d’Oxford Circus, dans Oxford Street, se trouve un magasin de disques appelé HMV (His Master’s Voice en français, « la voix de son maître ») dont la taille est sidérante par rapport au petit disquaire de province où j’allais m’approvisionner. Son ampleur est tout simplement celle d’un supermarché comprenant trois étages, et il est équipé de cabines dans lesquelles on peut écouter tout ce que l’on désire » écrit-il, l’esprit encore tourneboulé. La bonne ville de Gien et son pont qui traverse la Loire d’où il est originaire n’offrent pas une telle profusion. Le divertissement est alors accordéonesque et folklorique dans nos campagnes. Tous les étudiants bachoteurs se rappellent que le Royaume-Uni nous était présenté dans les programmes de Sciences-Politiques comme « L’Homme malade de l’Europe » avant la grande schlague libérale et la purge financière.

London Calling !

Nous aurait-on menti ? Sous le ronron du Général et la catéchèse de Tante Yvonne, la France paraissait bien somnolente par rapport à cette succube Albion. Les Froggies devaient se contenter de SLC (« Salut les Copains ») et de tubes sommairement traduits de l’anglo-américain. Sur les écrans de cinéma, Le Corniaud triomphait avec la série des Gendarmes et des Fantômas. Jean Lanzi officiait à 20 Heures sur l’ORTF et Mireille ânonnait rosa la rose dans son petit conservatoire. Outre-Manche, l’ambiance était nettement plus survoltée et érotiquement électrique. Les noms Piccadilly Circus, Carnaby Street ou Soho alléchaient nos oreilles et ouvraient les vannes de l’émancipation. Les « Working Class » ne pédalaient pas sur d’agraires Vélosolex mais sur des Lambretta customisées, du côté de Brighton. Les Mods portaient alors des parkas militaires dites Fishtail M51 et des desert boots. Depuis Goldfinger, Sean Connery avait abandonné sa Sunbeam Alpine et sa Bentley (qui avait pourtant la préférence de Ian Fleming dans ses romans d’espionnage) pour une Aston Martin DB5. A dix-huit ans, Jane Birkin s’était mariée avec le compositeur John Barry dans une robe en crochet et elle roulait dans une Jaguar Type E blanche de circonstance. En 1966, l’Angleterre avait même remporté la Coupe du monde de football à domicile, à la 101ème minute contre l’Allemagne. Et le trophée Jules Rimet avait mystérieusement disparu, épisode rocambolesque qui trouva une issue heureuse grâce au flair du chien Pickles et de son propriétaire David Corbett.

Londres fut indubitablement l’épicentre de la pop culture. Le recueil de Beaudenon ravivera les souvenirs des « boomers » et instruira les plus jeunes générations sur cette parenthèse enchantée où des gamins de Londres, Liverpool, Newcastle et Manchester allaient créer un son nouveau si tentateur et ringardiser tous les autres genres musicaux. London Sixties se lit comme une galerie de portraits dessinés au fusain, d’un trait rapide et alerte, par un spécialiste qui a beaucoup étudié le sujet, interviewé certaines légendes et vécu dans sa chair les tremblements du rock. En outre, l’auteur est un musicien ce qui donne du poids et de l’écho à ses analyses. Il ne s’est jamais remis de ces fugaces apparitions d’une trentaine de minutes comme c’était la règle à l’époque où les futures stars du rock, largement inconnues du grand public, montaient sur une scène improvisée sans cordon de sécurité et attachées de presse chancelantes.

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Beaudenon a le sens de la punchline et sa ligne de basse est hypnotique. Il tente de définir la vérité d’un musicien par un angle à la fois technique et psychologique, nous plongeant ainsi dans « l’enfer » des concerts, des contrats, des relations internes forcément houleuses, des jalousies, des filles, des flips et de la dope. On entre ainsi dans l’intimité de chacun. « Les Kinks envoient un solo de guitare bien crade, une voix un peu traînante et le riff de « You Really Got Me » reconnaissable entre mille, malgré un petit air de déjà entendu », souligne-t-il. « Au dire des puristes, Keith (Moon) est incapable de tenir un tempo régulier, ce qui est vrai. En contrepartie c’est ce qui donne tant de dynamique aux morceaux du groupe, bien loin des enregistrements actuels ultra-aseptisés à cause d’une informatique omniprésente qui recale tout au millième de seconde », recadre-t-il avec bon sens. Il devient lyrique lorsqu’il s’enthousiasme pour le mal-aimé Terry Reid frappé par une série de déveines : « Parfait inconnu chez nous et guère plus dans son pays d’origine, la Grande-Bretagne » mais « une des voix les plus marquantes de ces cinquante dernières années aux côtés de Rod Stewart, Steve Marriott ou Joe Cocker ». La longue tournée de 1969 de Led Zeppelin nous est contée dans les backstages : « Quant à (Jimmy) Page, en plus de costumes extrêmement voyants, il soigne son apparence comme s’il allait à un défilé de mode, se mettant des bigoudis avant d’entrer en scène et brossant consciencieusement ses boucles pendant plus d’un quart d’heure », suscitant l’ironie de Peter Grant et Richard Cole.

My tailor is rich !

Beaudenon ne s’intéresse pas seulement à la musique, il élargit sa focale aux vêtements et à une certaine manière de vivre. Il réussit à capter l’esprit de cette nouvelle vague. Le phénomène des Mods est parfaitement relaté avec un souci de véracité. Il en profite au passage pour tacler les « minets » : « On a souvent fait le rapprochement avec la Bande du Drugstore, appelée également « blousons dorés ». Pourtant, aucun point commun ne semble ressortir du comparatif avec les Anglais, mis à part leur élégance. Ces jeunes des milieux aisés ne font preuve d’aucune imagination concernant les vêtements ; c’est pratiquement à leur uniforme qu’on les reconnaît, à savoir blazer croisé, pantalon à plis et mocassins ». Les Mods d’ascendance prolétarienne possédaient une fantaisie autrement plus remarquable dans la coupe de leurs costumes ou le choix des couleurs de leurs chemises. Déjà, une certaine excentricité coulait dans les veines de ces non-violents obnubilés par leur apparence.

Beaudenon consacre un chapitre entier à l’aventure folle de Mary Quant, celle qui allongea les jambes des femmes. A sa manière, elle initia le renouvellement permanent des modèles, méthode que les géants du prêt-porter ont aujourd’hui industrialisée. London Sixties fourmille de révélations, il nous emmène dans le secret des studios à la rencontre de formations d’élite. Puis, comment ne pas être atomisé par Anita Pallenberg, « muse » des Stones, âme damnée pour certains, caractère souverainement libre pour d’autres que Beaudenon approche à pas de loup. Alors, on monte le son et on ouvre son livre !

Jean-Albert Beaudenon, London Sixties. L’Essentiel de la pop culture anglaise, Éditions Camion Blanc, 2023, 376 pages.

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Tracteurs jaunes contre Tartuffes verts et bleus

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Les agriculteurs français ont suivi l’exemple de leurs collègues allemands en lançant un grand mouvement de révolte pour attirer l’attention générale sur leur sort. En réalité, ils manifestent leur colère depuis longtemps, mais les élites politico-médiatiques n’avaient pas daigné les écouter. Maintenant que les élections européennes s’approchent avec une victoire probable des partis dits « populistes », les institutions de l’UE et les gouvernements nationaux finiront peut-être par comprendre ce qui est en jeu.


J’ai bien aimé écouter Fabien Roussel à la radio hier matin. À tout le moins, je l’ai trouvé convaincant lors des dix premières minutes de son interview avec Sonia Mabrouk, car dès qu’on a commencé à évoquer la future loi sur l’immigration probablement détricotée par le Conseil Constitutionnel, je me suis rappelé pourquoi il était impossible que je vote pour un homme comme lui, sauf s’il se retrouvait face à Jean-Luc Mélenchon au deuxième tour des élections présidentielles.

Fabien Roussel se place résolument du côté des agriculteurs en colère et je trouve qu’il a bien raison. Il a rappelé à juste titre que c’était eux qui nous nourrissaient, et si je me souviens bien du contenu de la pyramide de Maslow, la nourriture, en tant qu’elle répond à un besoin physiologique, est tout en bas de la pyramide, elle en constitue une des bases. Si on peut réfléchir au dérèglement climatique, c’est parce qu’on a le ventre plein. Or, depuis plusieurs années, tout semble être fait pour que nos agriculteurs ne puissent plus assurer leur fonction nourricière, pour que leur labeur ne leur permette plus de vivre eux-mêmes.

Il faut s’entendre sur l’expression « les agriculteurs », qui ne recouvre pas tous les travailleurs de la terre. Il existe dans notre pays des céréaliers ou des viticulteurs riches, voire très riches, qui votent Macron et qui trouvent que le libre-échangisme, c’est formidable, car ils peuvent vendre leur production à un très bon prix partout sur la planète. Je n’ai rien contre eux (enfin, si, un peu, car étant amateur de vin, je ne me réjouis pas de ne bientôt plus pouvoir m’offrir une bouteille de bourgogne tant le prix des appellations de la Côte-d’Or s’est envolé au cours de la dernière décennie, exportation oblige), je me réjouis même de leur réussite qui est le plus souvent le signe de leur excellence ainsi reconnue, mais je refuse que ces exploitants agricoles soient pris comme mètre-étalon d’un monde beaucoup plus vaste dont le quotidien est bien différent. Toutes les activités du monde paysan ne peuvent pas être premium, toutes ne peuvent pas générer de confortables marges et toutes ne sont pas intrinsèquement faites pour être placées dans une situation de concurrence libre et non faussée. Or, les règles qui régissent le monde agricole sont pour la plupart décidées dans l’enceinte du temple du libre-échangisme le plus débridé : le Parlement européen, aiguillonné par la Commission européenne.

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Pour quiconque s’informe ailleurs que dans les médias mainstream, la colère du monde agricole européen gronde depuis des mois et n’est pas une surprise. Mais comme pour les Gilets jaunes il y a cinq ans, il faut que les choses deviennent sérieuses, qu’elles prennent une grande ampleur, qu’elles dégénèrent, voire qu’elles commencent à verser dans l’action musclée, pour que les élites politico-médiatiques daignent, à contrecœur, y accorder une minute d’attention vaguement méprisante. Quoi ? Les gueux ne sont pas contents ? On leur offre pourtant du soja brésilien ou du bœuf argentin à vil prix, de quoi se plaignent-ils donc ? Du prix du gazole agricole ? De la multiplication des normes en tous sens ? Des taxes et des contrôles que leurs concurrents ailleurs dans le monde n’ont pas à subir ? De la transition écologique qu’on leur impose brutalement sans ériger de barrières protectionnistes pour leur permettre de s’y adapter ? Quelle bande d’enfants gâtés, tout de même ! Tout cela, c’est comme pour les migrants, « Wir schaffen das », la Kaiserin Von der Leyen a remplacé Mutti Merkel, tout va bien se passer.

Et pourtant, c’est justement en Allemagne, pays où l’agriculture ressemble plus à une industrie qu’à autre chose, que la lutte contre les directives tant européennes que nationales édictées par la coalition écolo-socialo-bobo dirigée par Olav Scholz, est la plus intense et avancée. Les rassemblements massifs existent depuis des semaines chez nos voisins, et la montée sur Berlin des 8 et 15 janvier derniers était annoncée dès fin décembre, dans le silence assourdissant des médias. Nos voisins germaniques ne sont pas coutumiers des mouvements de grève et de protestation comme nous pouvons l’être en France ; lorsqu’ils vont dans la rue, c’est que l’heure est grave et que le dialogue social a échoué. Comme nos paysans, les Bauern allemands protestent contre la hausse de la taxation sur les carburants agricoles. Mais plus généralement, ils signifient à leurs gouvernants écolos et européistes qu’ils ont compris l’entourloupe de la transition énergétique choisie par leur pays et étendue au continent : les éoliennes et les panneaux solaires, c’est sympathique, mais ça coûte un pognon de dingue et ça marche plutôt mal, avec une électricité devenue hors de prix maintenant que le gaz russe n’est plus disponible. Il y a un an, ce sont les constructeurs automobiles allemands qui avaient fait une petite révolution contre l’Union européenne en ajoutant in extremis une clause dans la loi proscrivant les véhicules thermiques d’ici à 2035, leur permettant de continuer à fabriquer des moteurs à explosion fonctionnant avec des carburants synthétiques.

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Il est certainement trop tôt pour tirer les conséquences des mouvements de protestation de la part des agriculteurs en France comme chez nos voisins, mais on peut déjà noter que c’est un des rares cas où la colère ne connaisse pas de frontières et soit un sujet partagé dans plusieurs pays. Par leurs décisions suicidaires, la Commission et le Parlement européens sont peut-être en train de réaliser un vieux rêve et de faire naître une conscience européenne… contre eux. Les élections qui ont lieu dans cinq mois devraient nous en dire plus. En attendant, les gouvernements nationaux vont avoir beaucoup de mal à continuer à tenir leur double langage habituel, consistant à flatter leur électorat au sein de leurs frontières tout en votant des lois allant à l’encontre des intérêts de leur pays au Parlement européen. Souveraineté européenne et souveraineté nationale sont difficilement compatibles, il y a là un « en même temps » hypocrite que les électeurs pourraient finir par sanctionner. Et ce ne serait sûrement pas un mal pour l’Europe, qui gagnerait à quitter les postures hors-sol de ses dirigeants et de ses fonctionnaires pour se réenraciner dans les réalités de celles et ceux qui l’habitent et la font vivre.

Oser enseigner

Gabriel Attal (et on suppose qu’il en va de même pour celle qui lui a succédé au ministère de l’Education nationale) veut en finir avec le dogme égalitariste. Il défend la verticalité de la transmission, le contrôle continu et une évaluation fidèle aux compétences de l’élève. Ces mesures de bon sens vont se heurter à de fervents opposants : les professeurs ! Profs, élèves et parents : il est temps que chacun reste à sa place.


Je n’aime pas dire du bien des macronistes, mais là je suis un peu coincée. Les annonces faites par Gabriel Attal le 5 décembre pour tenter d’enrayer la baisse du niveau des élèves, une énième fois constatée par le classement PISA… et les profs, sont frappées au coin du bon sens. Deux remarques cependant : tout d’abord on se réveille bien tard (mais la suicidaire politique de l’autruche a peut-être enfin trouvé ses limites) et, par ailleurs, où habite Emmanuel Macron, capable de faire se succéder au même poste les antinomiques Pap Ndiaye et Gabriel Attal (suivi depuis par Amélie Oudéa-Castéra) ?

L’essentiel des mesures vise à « rehausser le niveau d’exigence » : parmi elles, redonner de la crédibilité aux examens, en supprimant les correctifs académiques de surnotation, tant au brevet qu’au baccalauréat, et en remettant les notes au cœur de l’évaluation du contrôle continu au collège, en lieu et place des fumeuses et démagogiques « compétences ». Attal écrit aux professeurs : « Ce sont désormais les notes que vous attribuez, et elles seules, qui détermineront l’obtention » des examens, « le brevet et le baccalauréat doivent dire la vérité sur les acquis des élèves et redevenir un étalon de mesure fiable de cette exigence ». En creux, on reconnaît qu’on ment aux élèves et qu’il s’agit de « renouer avec la fiabilité de l’évaluation » – traduit du jargon en langue ordinaire, cela donne : en finir avec le foutage de gueule que constitue, et pour les élèves, et pour les professeurs auxquels elle est imposée, la pratique systémique de la surnotation.

Il est surtout étonnant qu’on ait, depuis des décennies, remis en cause la souveraineté de la notation et ainsi singulièrement atteint la crédibilité et l’autorité intellectuelle des enseignants. Ne plus piétiner leur expertise est une bonne chose, mais ces préconisations d’évidence seront-elles suivies d’effet, quand on sait que la propension à l’autocensure et à la surnotation est devenue chez beaucoup une seconde nature : est-on encore capable de reconnaître une vraie bonne copie si on les juge toutes bonnes ?

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Une autre mesure importante consiste à redonner la main aux professeurs en ce qui concerne le redoublement. Là encore, on peut se demander dans quel esprit malade a germé l’idée de donner le dernier mot aux familles pour le passage en classe supérieure. Le redoublement, jugé peu efficace par des « spécialistes » – et sans doute trop coûteux… –, est devenu exceptionnel depuis de nombreuses années, conditionné à l’accord des parents ; l’avis des professeurs a été rendu accessoire et purement consultatif. Depuis quand le fait d’avoir pondu un gosse vaut-il expertise sur ses capacités scolaires ? Pensons à Molière, dont le Diafoirus voit dans toutes les faiblesses de son idiot de fils les signes de la plus haute intelligence. Les parents se méprennent bien souvent sur leur progéniture, qu’ils ne connaissent pas sous le même angle que les professeurs, et sont prompts à voir dans la créature qu’ils ont enfantée un petit être surdoué, encouragés en cela, on y revient, par le leurre de la surnotation généralisée. Si l’on remet les parents à leur place de parents, on n’y perdra pas…

Gabriel Attal veut donc sortir de la « doctrine de passage quasi systématique en classe supérieure » dans le cycle primaire, et « rendre le dernier mot aux professeurs » pour prescrire des dispositifs de remédiation et de redoublement. Redoubler n’est pas une sanction, et peut permettre à certains élèves, surtout dans les petites classes, d’avoir plus de temps pour acquérir les bases qui conditionnent tous les autres apprentissages. Il est cependant dommage que le ministre n’évoque pas l’orientation des collégiens et lycéens : il serait bon que les professeurs retrouvent également la main dans ce domaine, ce qui éviterait en fin d’année scolaire la remise en question de leurs préconisations dans d’officielles commissions d’appel et de plus discrets passages des familles dans le bureau du chef d’établissement. Quel désaveu du conseil de classe et des professeurs lorsque après moult pleurnicheries et promesses d’alcoolique (« je vais me mettre au travail, je le jure… »), on croise en septembre un élève au sourire triomphant dans la filière qu’on avait vigoureusement déconseillée au mois de juin ! Si on ne donne pas plus de poids à la parole du professeur, y compris dans l’orientation d’élèves qu’ils connaissent bien, ils seront condamnés à faire encore de la figuration en conseil de classe et ne retrouveront pas le crédit qu’on prétend leur redonner.

L’autre mesure annoncée vise à déconstruire (un peu) le collège unique (enfin !) et à mettre en œuvre des groupes de niveau en mathématiques et français : l’hétérogénéité des classes est telle qu’elle est devenue impossible à gérer et s’avère contre-productive, puisque les meilleurs élèves sont ralentis dans leur progression et tirés vers le bas, tandis que les plus faibles, se reposant sur l’activité déployée par les autres, ne tirent aucun profit de leur présence au sein de la même classe. On veut donc regrouper les élèves par niveau dans les matières fondamentales, en adaptant le rythme à des élèves plus homogènes dans des effectifs réduits. Pourquoi pas, si cela permet d’éviter de se retrouver face à une classe de seconde aux écarts spectaculaires, que l’effectif rend à peu près impossibles à réduire : y cohabitent quelques élèves qui sont à leur place avec d’autres dont l’apathie intellectuelle s’apparente à un état de mort cérébrale (je parle d’expérience !). Bien évidemment, à un tel niveau d’effondrement, je ne suis même pas sûre que la mesure annoncée soit efficace, mais il faut tenter la chose et revenir sur le dogme égalitariste du même cursus pour tous, principe sur lequel repose justement le collège unique.

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Autres éléments à retenir des annonces ministérielles : la volonté de normaliser et homogénéiser les enseignements par le recours dans le premier degré à des manuels labellisés (pourquoi pas quand on connaît les disparités entre les enseignants et les dérives souvent suscitées par la liberté pédagogique totale…). Et la promotion d’une « pédagogie explicite », méthode éprouvée par la pratique, et qui, espérons-le, mettra fin aux lubies de la construction du savoir par les élèves eux-mêmes, en réintroduisant la verticalité dans la transmission, inhérente à toute instruction digne de ce nom et qui n’aurait jamais dû être mise à mal.

Toutes ces mesures (valorisation des notes face aux « compétences », retour au redoublement imposé, instauration de groupes de niveau pour contrer les effets du collège unique, limitation de la liberté pédagogique…) font hurler les syndicats… de gauche (signe que Gabriel Attal n’était sans doute pas mauvais !) : tout cela stigmatiserait et pénaliserait les classes populaires, condamnées selon la CGT à subir « une école du tri social » ou de la « ségrégation », pour reprendre le terme nuancé employé par le SNES. Ces idiots n’ont toujours pas compris que transmettre de vrais savoirs et donner de vraies notes, supprimer le passage systématique d’élèves trop fragiles, limiter une hétérogénéité invalidante pour tous, c’est rendre service à tous les élèves, même et surtout les plus défavorisés. Si l’école n’exige rien de ces élèves-là, par laxisme et démagogie, par fausse bienveillance, elle les abandonne et les assigne à leur origine sociale. Le vrai mépris consiste à leur faire prendre les vessies des compétences pour les lanternes des savoirs. Tout ce qui vise à ne pas les tromper est bon à prendre, pour tenter d’en finir avec l’escroquerie scolaire qu’on impose aux classes populaires comme aux autres. De toute façon, il n’est même pas certain que l’argument des différences sociales soit très pertinent aujourd’hui, dans la mesure où la déshérence intellectuelle, verbale et culturelle se retrouve aussi chez les enfants de la bourgeoisie.

Si l’on s’inflige la prose desdits syndicats, rédigée comme il se doit chez les « progressistes » dans leur impayable et imbitable écriture inclusive, on y trouve sans surprise la célébration de tout ce qui a causé le désastre actuel. Écoutons-les et on saura ce qu’il ne faut pas faire si on veut redresser l’école. La vision du ministre est selon eux « passéiste et hors-sol » (Sud Éducation), reposant sur l’illusion du « c’était mieux avant ». La CGT évoque un « retour à l’école fantasmée des années 1960 », Sud brandit l’accroche « Attal prépare l’école d’avant-hier », et le SNES n’est pas en reste avec sa formule « arrière toute ». Drôle d’argument tout de même, qui consiste à forcément condamner le passé (fût-il plus convaincant que le sinistre présent en matière d’enseignement) et à promouvoir par principe, on peut même dire par réflexe, tout ce qui relève du changement (fût-il délétère et néfaste). L’école des années 1960, je l’ai connue comme élève, je ne l’ai pas fantasmée… et je sais ce que je lui dois. Pourquoi s’interdire de revenir à d’anciennes méthodes si elles ont fait la preuve de leur efficacité ? Comme l’écrivit le compositeur Verdi dans une lettre célèbre, « tournons-nous vers le passé, et ce sera un progrès ».

Cerise sur le gâteau, le syndicat Sud pense que Gabriel Attal ravit au passage l’extrême droite et les réactionnaires, autant dire dans son esprit les fachos qui peuplent le pays. Je ne me sache pas appartenir à l’extrême droite (qui reste à définir), et je crois pouvoir en toute indépendance d’esprit, avec les réserves qui s’imposent, me réjouir de tout ce qui se propose d’enrayer le déclin, de quelque bord qu’émanent les bonnes intentions. Je n’attends plus depuis longtemps qu’elles viennent de la gauche.

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Évidemment la prudence est de mise quant à l’application des mesures annoncées. La résistance peut d’abord venir des enseignants eux-mêmes, dont le tropisme politique encore pavlovien les amène à se méfier de tout ce qui ne vient pas de la gauche. On peut craindre aussi que la réduction de certains effectifs pour la mise en place des groupes de niveau ne s’accompagne pas de la création d’un nombre de postes suffisants, ni surtout de l’indispensable vérification de la qualité des enseignants recrutés. Quid de leur parcours et de leur maîtrise disciplinaire, si on ne remet pas en question les désastreux instituts de formation actuels ? Le ministre ne parle pas non plus de la nécessaire revalorisation des salaires, qui permettrait d’attirer dans le métier les meilleurs étudiants, et d’éviter ainsi que les nouveaux profs soient au même niveau de médiocrité que leurs élèves…

Enfin comment ne pas pointer également la contradiction entre d’un côté la volonté affichée de remettre le savoir et l’exigence au centre de l’école, et de l’autre le dénigrement des classes préparatoires, parangon de cette même exigence, dont plusieurs à travers la France sont menacées de fermeture à l’heure qu’il est ? Il ne faudrait pas que « le choc des savoirs » ne soit qu’une formule creuse de communicant et que, à l’école comme dans bien des domaines, le macronisme ne se rende encore et toujours coupable de tirer à hue et à dia.

Comprendre les mouvements de contestation paysans

Partie d’Allemagne, la révolte des agriculteurs s’étend à d’autres pays européens, notamment la France. Cette révolte est le signe d’un désamour grandissant entre le monde paysan et Bruxelles.


Même si on ne peut pas parler de mouvement coordonné à l’échelle européenne, chaque contestation conservant ses spécificités nationales souvent en lien avec des mesures gouvernementales épisodiques, il est indéniable que la politique européenne de ces dernières années constitue un facteur majeur des griefs paysans. En cause notamment, le fameux « Pacte Vert », grand plan de politique environnementale dont des pans entiers visent directement le secteur agricole, comme la diminution des cultures intensives au profit du bio, la réduction de l’usage des pesticides et autres produits phytosanitaires ou encore la conditionnalité accrue de certaines aides de la PAC à certains standards jugés vertueux par l’UE, pour laquelle l’objectif de neutralité carbone à horizon 2050 doit passer par une vaste série de mesures restrictives. Or les agriculteurs européens, qu’ils soient allemands, français ou d’autres pays, sont déjà écrasés par une charge réglementaire considérable et une batterie de normes parfois ubuesques.

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Ce qui est frappant ces dernières semaines c’est d’ailleurs l’ampleur des manifestations plutôt que leur existence même : quiconque y prête attention aura constaté que les agriculteurs manifestent régulièrement ces dernières années contre les divers paquets législatifs de l’UE découlant du Pacte Vert. On citera à titre illustratif les rassemblements de tracteurs à Bruxelles en juillet dernier pour protester contre le projet de « loi sur la restauration de la nature », avec en porte-étendard les syndicats européens COPA et COGECA (« cousins » européens de la FNSEA), accompagnés de députés de droite. Et les exemples sont légion. L’UE semble bel et bien avoir catalysé le mécontentement des paysans.

La démonstration de force des agriculteurs outre-Rhin

C’est pourtant une mesure nationale qui a bel et bien mis le feu aux poudres en Allemagne peu avant Noël. Qui plus est, une mesure surprise jugée opportuniste par certains car permettant au gouvernement d’alléger son budget d’un coup de crayon tout en se parant des habits de la vertu climatique : en l’occurrence, la suppression des aides publiques (sous forme d’exonération fiscale) au diesel agricole. Il n’en fallait pas plus pour provoquer un grand élan de contestation au sein des agriculteurs allemands, qui se sont mobilisés lors de manifestations massives dans plusieurs grandes villes du pays. Berlin, Munich ou encore Hambourg ont vu défiler depuis le début du mois de janvier de longues files de tracteurs, avec le soutien d’autres professions telles que les routiers et les artisans. L’image emblématique des agriculteurs conduisant leurs engins à travers les centres-villes est devenue pour beaucoup un symbole de la résistance paysanne, suscitant des débats passionnés dans les médias sur les difficultés rencontrées par le secteur ; et ce particulièrement dans un pays peu habitué à des mouvements de cette ampleur. Et qui au passage furent un désaveu pour le ministre du budget Christian Lindner, qui avait agité le spectre de possibles débordements provoqués par l’extrême-droite, après avoir d’abord considéré que les manifestations étaient « disproportionnées ». Les incidents ont été pourtant rares, mais la colère très palpable.

Pourtant la mesure gouvernementale, d’ailleurs partiellement annulée depuis (ou en tous cas rééchelonnée jusqu’à 2026) dans un rétropédalage de panique afin de calmer la révolte, n’est bien sûr pas la seule raison derrière ce ras-le-bol.

La pression européenne en faveur de pratiques agricoles plus « respectueuses de l’environnement » a d’abord fait peser sur les agriculteurs des coûts supplémentaires. Et ce pour une raison simple : tenter tant bien que mal de respecter une réglementation de plus en plus stricte nécessite des investissements dans des technologies et des infrastructures coûteuses, ce qui met à rude épreuve les ressources financières de nombreux petits et moyens agriculteurs. S’ajoute à cela la mauvaise dynamique des marchés mondiaux, auxquels le secteur agricole allemand est étroitement lié : en effet, les tensions géopolitiques à répétition et les fluctuations des cours, y compris et surtout en matière d’énergie, continuent d’avoir un impact significatif sur les revenus et la stabilité des agriculteurs allemands. Les manifestations reflètent dès lors une préoccupation plus large concernant la vulnérabilité du secteur agricole, qui était quasiment un non-sujet il y a quelques dizaines d’années à peine.

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A ces difficultés majeures s’ajoute une frustration grandissante des agriculteurs et un certain sentiment d’injustice face aux produits d’importation souvent produits dans des conditions déplorables bien loin des exigences européennes. « Au lieu d’encourager les importations européennes de produits alimentaires avec des accords [de libre-échange] déséquilibrés, l’UE devrait plutôt s’atteler à protéger le climat et l’environnement avec davantage de bon sens », pestait l’eurodéputée autrichienne Simone Schmiedtbauer, elle-même agricultrice, au Bauern Zeitung en juin 2023.

30% du budget de l’UE

D’un point de vue strictement budgétaire, la PAC reste très largement le premier poste de subventions pour l’UE (la France en est la première bénéficiaire avec 18% du montant total alloué). Mais les ravages de l’inflation et la course à l’échalote législative en matière environnementale ont relégué les agriculteurs européens au rang des oubliés, ce qui a contribué à un véritable sentiment de déclassement et d’incompréhension. Un agriculteur de 36 ans déplorait d’ailleurs auprès du journal Die Welt la semaine dernière le grand « besoin de plus d’expertise du côté des politiques » ; avant de résumer de façon laconique : « nous sommes noyés sous les injonctions et la bureaucratie »[1]. Des témoignages pourtant lus et entendus des dizaines de fois ces dernières années dans la presse générale et spécialisée, mais qui n’ont retenu l’attention, jusqu’à récemment, que d’une partie de l’échiquier politique.

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A l’approche des élections, Bruxelles met un coup de frein

Il semblerait que malgré la sacro-sainte transition écologique, l’UE ne reste pas insensible devant le risque d’embrasement de la contestation en une nouvelle forme de « Gilets jaunes ». Les sondages donnant les partis populistes en tête dans de nombreux États-membres, la Commission semble se raviser sur certaines mesures, du moins pour l’instant. Les agriculteurs ont bien l’intention de jouer les trouble-fête pour ce scrutin, avec un pouvoir de nuisance électorale qui, sans être massif, est loin d’être insignifiant. D’autant que les paysans jouissent dans la plupart des pays plutôt d’une bonne image, comme l’ont montré les signes de sympathie adressés par les populations proches des zones de blocage en Allemagne, en France ou encore en Roumanie. Ce qu’ont bien compris les candidats aux élections de juin, beaucoup plus volubiles sur le sujet depuis quelques semaines.


[1] https://www.welt.de/politik/deutschland/article249544604/Proteste-von-Landwirten-Wir-gehen-unter-in-Auflagen-und-Buerokratie.html

France et Italie, gagnantes de la mondialisation du luxe

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S’il y a un secteur où la France domine toujours le reste du monde, c’est celui du luxe. Mais elle a besoin de son alter ego, l’Italie, l’autre référence dans ce domaine. Les deux attirent à la fois stylistes, créateurs et consommateurs, et leur poids économique est tel que les sœurs latines valent deux tiers du marché global du luxe. Analyse d’un modèle d’intégration économique qui traverse les frontières.


Le secteur du luxe représente un parfait exemple d’osmose culturelle, artistique et économique entre la France et l’Italie. En plus de son importance économique, l’industrie du luxe incarne le « soft power » capable de fasciner, d’attirer, d’influencer un public en quête d’affirmation et de prestige. Si la France et l’Italie ont réussi à faire rêver le monde entier, c’est parce qu’elles ont été capables de promouvoir avec succès l’image de leurs pays en imposant leur conception de l’art de vivre comme un modèle universel.

Qu’est-ce qui lie inéluctablement ces deux grandes nations du luxe ? Pratiquement tout. Elles représentent les deux faces de la même médaille. Bien que chaque pays se développe à son propre rythme, leur interdépendance est si importante qu’aucun ne peut enregistrer séparément de telles performances, tant sur le plan de la création que sur le plan économique.

Si la France est moins présente que l’Italie au palmarès des 100 groupes de luxe mondial, elle représente un chiffre d’affaires plus important, notamment grâce à des champions tels que LVHM, Kering, Hermès et Chanel. Autre aspect fondamental : les groupes de luxe français ont une plus grande dimension et une rentabilité plus importante que les groupes italiens. De son côté, l’Italie représente le plus important producteur de luxe au monde, concentrant à elle seule presque 80% de toute la production. En outre, elle possède un plus grand nombre de marques authentiques avec un chiffre d’affaires supérieur d’un milliard d’euros. La concentration des métiers et des compétences a permis à la Botte de se positionner comme un gigantesque atelier de création et de fabrication.

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La France et l’Italie ont réussi à accaparer les deux tiers du marché mondial du luxe. En 2023, le secteur a atteint un chiffre d’affaires de 347 milliards de dollars, soit 42 de plus qu’en 2022. Selon les estimations, le luxe atteindra les 600 milliards de dollars d’ici 2030, notamment grâce à la forte demande en provenance de la Chine et de l’Asie. C’est bien cette croissance mondiale que les deux pays visent à exploiter.

Des stratégies complémentaires

Étant conscients du potentiel extraordinaire que l’Italie peut leur apporter, les géants du luxe français ont adopté une vision à long terme en appliquant une stratégie en plusieurs étapes. La première a consisté en l’acquisition des fleurons du luxe italien dans le but d’augmenter non seulement la valorisation de leur portefeuille de marques mais aussi une clientèle mondiale conséquente, et le chiffre d’affaires que ces entreprises génèrent. Le nombre de marques italiennes rachetées par LVMH et Kering est important : Bulgari, Fendi, Loro Piana, Acqua di Parma, Gucci, Bottega Veneta, Pomellato, Brioni.

La seconde étape, aussi fondamentale que la première, fut celle se doter, à travers de nombreux investissements et rachats, des usines de fabrication. Les métiers de l’art et de l’artisanat de luxe sont très demandés, très recherchés et presque impossibles à reproduire à court terme. Aussi, les marques françaises ont embauché des stylistes et des développeurs de talents. Cette approche a permis à ces groupes d’internaliser une production et une compétence unique qui a fortement contribué au développement de leurs marques.

A l’inverse de la France où l’industrie de luxe appartient essentiellement à cinq grands groupes, l’industrie italienne est constituée d’une myriade d’entreprises indépendantes de taille moyenne. Il n’existe d’ailleurs aucun conglomérat sur le modèle de LVMH ou Kering. Les points de force de l’industrie du luxe italienne dérivent de trois principaux facteurs. En premier lieu, le pays a un héritage historique sans précédent. L’Italie est le seul pays au monde qui compte des entreprises familiales historiques leaders dans la production des tissus, des vêtements, des sacs, des chaussures, des bijoux, de la maroquinerie, d’ameublement ou encore des voitures.

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Deuxième facteur, l’Italie possède un modèle industriel décentralisé basé sur des districts productifs et sur des chaînes d’approvisionnement spécialisés dans les métiers de l’excellence présentes au nord comme au sud du pays. Ce modèle donne aux entreprises la flexibilité nécessaire pour concevoir et produire en optimisant sur la variété des chaînes d’approvisionnement. Enfin, le troisième facteur repose tout simplement sur le « Made in Italy », synonyme d’excellence, de créativité et d’originalité. Dans un secteur où le désir et le prestige donnent un sens au concept du luxe, cette image de marque nationale est un coefficient multiplicateur de ventes et de marges. 

Dans l’avenir, le défi qui attend les « jumelles » du luxe mondial est de rester leaders du marché. Pour cela elles devront continuer à innover, générer des nouvelles idées, investir dans la production pour faire face à une demande globale de plus en plus importante et aussi former les nouveaux talents. Si le secteur agricole illustre bien les illusions perdues de la « mondialisation heureuse » vantée autrefois par ses nombreux thuriféraires, le luxe reste pour le moment un contre-exemple.

Michel Mourlet, thaumaturge

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Théoricien et historien du cinéma et du théâtre, grand défenseur de la langue française, dramaturge, romancier et chroniqueur, Michel Mourlet vient de publier à 88 ans un nouveau recueil d’articles. L’écrivain Christopher Gérard rend hommage à un auteur qui n’a cessé de pourfendre les littérateurs médiocres, les dévots de la culture officielle et les contempteurs de la nation.


Près d’un demi-siècle après la parution de L’Éléphant dans la porcelaine (1976), recueil d’articles, paraissait le cinquième volume du Temps du refus, sous le titre Péchés d’insoumission. S’y retrouve le même esprit de résistance spirituelle que dans Crépuscule de la modernité, La Guerre des idées et Instants critiques. Même lucidité, même limpidité dans l’analyse du funeste déclin, même ligne claire dans l’expression, même cohérence mentale – une lame de Tolède.

Michel Mourlet publie aujourd’hui, non pas la suite, mais un complément bienvenu, sous le titre : Trissotin, Tartuffe, Torquemada. La conjuration des trois T, les jalons d’un parcours rebelle depuis plus de six décennies, à rebours des modes et en opposition frontale à la culture officielle. Par une triste coïncidence, ce livre paraît au moment où quelques centaines de poétastres et de rimailleuses dénoncent en chœur, et dans un charabia à prétentions « inclusives », un écrivain voyageur, Sylvain Tesson, coupable d’incarner « une icône réactionnaire ». Éternelle cabale des médiocres qui illustre le mot connu de Bernanos : « Les ratés ne vous rateront pas ».

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Depuis le mitan des années 1950, Mourlet ferraille contre cette alliance des pédants, des faux-jetons et des fanatiques, précurseurs de l’actuelle pensée unique. Parmi les cibles de ce recueil de textes anciens ou récents, les dérives d’une certaine littérature, l’académisme de l’art contemporain, la dégradation continue de notre langue française.

L’ouvrage commence par un « Précis de dégoût politique », une démolition en règle du devoir d’ingérence et de toute illusion romantique : « L’erreur fatale de l’homo politicus moderne est d’auréoler d’une frange mythique de morale de purs rapports de force, de purs affrontements de fauves dans la jungle ». Son programme ? « Retrouver l’ordre naturel des choses, la simplicité de l’être », à savoir les hiérarchies, au fondement de toute société juste et durable.

Sa défense de la nation contre les délires fédéralistes, fourriers du mercantilisme le plus destructeur et de la paralysie la plus débilitante, le poussa naguère à s’engager aux côtés de Jean-Pierre Chevènement.

Les attaques sournoises contre le français exaspèrent Mourlet : « La langue nationale fait partie de nos biens les plus précieux. Le citoyen qui la dégrade est coupable de haute trahison ; le politicien ou le fonctionnaire de l’État qui tolère ou encourage cette dégradation est coupable de forfaiture ». Ses charges contre le franglais sont jubilatoires : il s’agit toujours pour lui de se dresser contre ceux qui, acceptant de perdre leur langue, perdent leur âme.

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Rédigé à vingt ans (!) et dans une totale solitude, son « Contre Roland Barthes », « idole aux neurones tordus », témoigne de sa lucidité comme de la fermeté de son style : « La syntaxe est un impératif des échanges humains, intemporel, non soumis aux aléas de l’Histoire ou à quelque contrainte née de la lutte des classes ». Ou cette conclusion, lumineuse : « L’écriture, opération thaumaturgique, se situe d’emblée hors du temporel ; et lorsqu’elle s’y plonge, elle le solidifie, l’immobilise, le sculpte. Avec son ciseau de sculpteur et les armes plus secrètes de sa musique, l’écrivain se bat contre la mort. Tout ce qui tend à situer la littérature à l’écart de ce drame se condamne à l’insignifiance. » Michel Mourlet ? Un pur classique.

Michel Mourlet, Trissotin, Tartuffe, Torquemada : la conjuration des trois « T« . Jalons d’un parcours rebelle 1956-2022, France Univers, 2023, 215 pages.

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Défendre la littérature !

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Pour l’avocat Pierre-Henri Bovis, la récente tribune signée par des « poètes » et des « écrivains » pour protester contre le parrainage de Sylvain Tesson du Printemps des poètes constitue une nouvelle manifestation de l’intolérance woke. Combattre la cancel culture, c’est défendre la littérature.


C’est par une nouvelle tribune, rédigée naturellement en écriture inclusive, que la cancel culture s’est manifestée le 19 janvier, dans Libération, en s’opposant vigoureusement à la nomination de l’écrivain Sylvain Tesson en tant que parrain du Printemps des poètes 2024.

Le mouvement wokiste ne cesse de se propager dans les milieux culturels, littéraires, musicaux, cinématographiques, et impose sa nouvelle vision du monde. Les nains de Blanche-Neige sont discriminants, le baiser de la belle au bois dormant est un appel au viol tandis que Peter Pan est à la frontière de la pédophilie. Le chanteur et compositeur Kanye West n’a pas résisté à ce déferlement qui abat un peu plus à chaque passage les digues de la liberté d’expression. Agatha Christie n’a pas su résister longtemps aux fourches caudines de cette nouvelle gauche qui s’érige en maître de la bien-pensance en proposant la réécriture d’œuvres littéraires. À se demander si Hannah Arendt ne serait pas bientôt la prochaine cible.

Ce mouvement, quasi orwellien, s’immisce également dans le milieu du droit. Le cas de Jonathan Daval est criant, tant le métier d’avocat a subi des coups de canifs d’une association néo-féministe dont la réflexion ne semblait pas le premier atout. Cette association considérait que la défense de Jonathan Daval faisait peser la responsabilité du crime sur la victime. Un avocat qui assure au mieux la défense de ce genre de criminels serait d’ailleurs complice de ces méfaits au point d’oublier la notion même de « défendre » et la vocation première d’un avocat, qui est un « vir bonus, dicendi peritus ».

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Désormais, l’écrivain Sylvain Tesson en fait les frais. Cet écrivain baroudeur, à la découverte du monde, à l’image d’Ernest Hemingway qui titubait au bar du Ritz, ou de Jack London aventurier invétéré, est une figure incontestable de la littérature française.

Mais sa nomination en tant que parrain du Printemps des poètes 2024 est vécue par certains comme un affront et un appel du pied à l’extrême droite. Ses écrits ne seraient pas jugés assez orientés à gauche politiquement. Le reproche principal, outre son penchant « traditionnaliste », est la rédaction de la préface d’un ouvrage écrit par un autre écrivain de renom, Jean Raspail qui, malgré ce que l’on pense, a manqué de peu de siéger à l’Académie française au fauteuil du philosophe Jean Guitton.

Pour ces quelques raisons, la gauche tente de faire taire Sylvain Tesson. Inutile de perdre son temps à polémiquer, débattre, échanger, discuter, il faut le censurer pour une quasi-atteinte aux bonnes mœurs. C’est à se demander si ce n’est pas bientôt le retour aux grands procès du XIXe au cours duquel le procureur impérial Pinard s’acharnait contre les Fleurs du Mal et Madame Bovary pour séduire Napoléon III.

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Si le procureur impérial n’est plus, la mentalité demeure intacte et se traduit de nos jours par des appels à signer des pétitions visant la censure. Or, dans ces cas précis, les pétitions reflètent cette facilité de mettre au ban un individu par ses signataires qui n’ont écrit aucune ligne ni pesé aucun mot. Apposer son nom permet, lâchement, de se donner une soi-disant bonne conscience. Pourtant, dans un tel cas de censure, la pétition affiche une détestation, une haine de l’autre, au point de vouloir l’interdire.

Loin de la philosophie de Voltaire selon laquelle chaque individu doit pouvoir s’exprimer, nonobstant la contradiction sévère que nous pouvons lui apporter, cette nouvelle génération wokiste souhaite arbitrairement censurer, interdire, cacher, effacer, dissimuler.

L’ensemble des signataires, pour la plupart inconnus, a permis une nouvelle fois de faire vivre cet appauvrissement sévère de l’esprit, cette négation de la diversité du génie humain. Il faut pourtant se féliciter des nombreux soutiens politiques apportés à Sylvain Tesson et, plus que de le soutenir, acheter et lire ses écrits permettra de lutter contre cette déferlante qui veut détricoter, jour après jour, notre patrimoine sacré.

Merci qui ?

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Dominique Sopo, Sophie Binet et Jacques Toubon à une manifestation ce dimanche 21 janvier 2024 contre la loi immigration. ©Chang Martin/SIPA

Avec les procès médiatico-politiques intentés contre Jordan Bardella, Sylvain Tesson, le lycée Stanislas et même le chef du Parti communiste, nous sommes face à une litanie d’inepties. Tribune.


Un « Complément d’Enquête », troussé en dépit du bon sens par la fille publique de l’information qu’est devenue la chaîne de télévision France 2, hyper spécialisée désormais dans la négation décomplexée de l’esprit de méthode. Nul doute que de telles performances devraient lui valoir avant peu le statut enviable de porte-étendard de l’indigence déontologique exhaussée au rang de principe de base à enseigner dans les écoles de journalisme, selon un programme directement calqué sur celui de la célèbre STASI, police est-allemande des mœurs et de la pensée, de consternante mémoire.

Une meute d’auteurs-réalisateurs-poètes et pousse-mégots multifonctions, infatués à l’extrême, qui se voudraient maudits mais ne sont que ridicules, et qui, faute de mieux en matière d’œuvre, vomissent, dans une langue en voie de décomposition, une pétition saturée de jubilation hargneuse afin de lapider un bel et authentique écrivain, Sylvain Tesson. Un écrivain vrai, qui, c’est certain, marquera son temps, et que cette engeance ne se donnera même pas la peine de lire, si toutefois elle en venait à savoir lire un jour.

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Et puis voilà que nous tombe un procès dans la plus pure tradition stalinienne revue et corrigée par Médiapart, avec témoins de complaisance et vérités fabriquées contre l’institution scolaire catholique Stanislas, vouée aux bûchers de l’inquisition woke pour cause d’excellence. Et, circonstance très aggravante, également en raison d’une fidélité civilisationnelle assumée.

Et, toujours dans le registre du médiocre télévisé, un ministre des Finances qui, sans rire, refile la patate si chaude du cours foldingue de l’électricité à un parti d’opposition dont le cours lui aussi fort grimpant le met en panique. Enfin, cerise sur cet infâme pudding servi ces jours derniers, l’impayable chef(e) de la CGT s’associant à l’anathématisation et à l’expulsion du patron du Parti communiste français lors d’une manifestation  en peau de chagrin estampillée « droits de l’homme ». Alors là, pour un peu, on se tordrait de rire. La CGT bottant le cul du PC ! Comment est-ce possible ? Ainsi, il y aurait du mou  – du mou très mou – dans ce qu’on appelait autrefois, au temps des deux Kings Georges (le Séguy et le Marchais), « les courroies de transmission » du parti.

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Assistant, médusé, à ce florilège d’inepties, j’irais jusqu’à laisser entendre, paraphrasant un certain Guy Mollet, que nous avons en France, sans conteste possible, « la gauche la plus bête du monde ». Mais, retenu par un sens inné de la charité et de la bienveillance qui me vient d’on ne sait où, je m’en abstiendrai. Une petite remarque cependant : encore deux ou trois pitreries – pardon, deux ou trois conneries – du calibre de celles évoquées ci-dessus, et la barre des 80% d’opinions favorables devrait devenir une perspective des plus réalistes pour le RN et ses chefs. Merci qui ?

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Faste retour d’Egypte au Palais Garnier

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Giulio Cesare 23-24 © Vincent Pontet-Opéra national Paris

Giulio Cesare in Egitto, le chef-d’oeuvre opératique de Georg Friedrich Haendel, est de retour à Paris dans la mise en scène de Laurent Pelly de 2011 qui ne cache rien de la violence et de la luxure de cette oeuvre.


Deux meurtres sur scène, plusieurs tentatives de viol, et même (vue de dos, précisons !) une fellation homosexuelle en live : millésimée 2011, la mise en scène de Laurent Pelly reprise à présent sous les ors du Palais Garnier ne cèle rien, ni de la violence ni de la luxure qui s’ébattent dans Giulio Cesare in Egitto, sommet lyrique du grand Haendel, créé à Londres en 1724 pour la Royal Academy of Music, ville où le compositeur d’origine allemande s’était installé depuis quatorze ans et qu’il ne quittera plus jusqu’à sa mort en 1759.

Base d’adaptations antérieures, l’opéra n’en marie pas moins les registres, dans la tradition shakespearienne et comme l’exigeait alors l’esthétique vénitienne – on chante en italien, bien entendu, et dans des rôles travestis pour la plupart -, la veine comique s’infiltrant dans le tragique le plus sanguinaire. Pelly, non seulement joue avec brio de ces contrastes, mais un décor très imaginatif, signé Chantal Thomas, figure les réserves du musée du Caire, convoquant dans un allègre raccourci historique tout l’arsenal iconographique et statuaire qui a fait fantasmer l’Occident, trois siècles durant, sur l’Egypte antique.

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Ainsi, dans la scène d’ouverture, au lieu de la tête coupée d’un Pompée sanguinolant déposée sur un plateau au pied de César sous les yeux horrifiés de son épouse Cornélie, c’est une statue géante du général romain qu’on voit arriver en caisse de bois sur le plateau, apportée sur un diable par le personnel du musée, sous la surveillance des conservateurs. Le répertoire de la manie égyptologique infuse avec beaucoup d’esprit et d’élégance les trois actes de l’opéra, depuis les chromos d’Alexandre Cabanel jusqu’aux huiles orientalistes de Jean-Léon Gérôme, en passant par les tapis dans l’un lesquels on verra même se rouler la reine d’Egypte… Le pittoresque antique anime donc à loisir, d’un bout à l’autre, la dramaturgie féroce qui oppose l’incorruptible veuve romaine Cornélie et Sextus, son fils dévoué, à la reine égyptienne Cléopâtre, trahie par le jouisseur efféminé Ptolémée et le conjuré Achillas, et bientôt éprise d’un Jules César lui-même conquis par sa beauté…

L’Orchestre national de Paris, fait d’instruments modernes, n’est pas spécialement « baroqueux », quoique la baguette du chef britannique Harry Bicket (lequel dirigeait déjà Ariodante, du même Haendel, l’an passé) le fasse sonner dans l’esprit du Concert d’Astrée qui emplissait la fosse lors de la création de cette production comme à sa reprise deux ans plus tard.

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La mezzo-soprano Gaelle Arquez campe avec l’extraordinaire virtuosité qu’on lui connaît le rôle travesti de César (jadis chanté par un castrat comme l’on sait) pour lequel elle avait été d’ailleurs ovationnée en 2022 au Théâtre des Champs-Élysées, dans une mise en scène de Damiano Michieletto plus controversée.  En Cléopâtre, à peine vêtue d’une tunique blanche presque transparente, la fabuleuse soprano cubano-américaine Lisette Oropesa impose quant à elle une agilité, une précision souveraine dans les trilles acrobatiques de la partition. L’adolescent Sextus, sous les traits de l’excellente mezzo – soprano canadienne Emily D’Angelo (rôle-titre d’Ariodante en 2023, on s’en souvient), fait merveille par son allure androgyne, si parfaitement accordée au rôle. Le jeune contre-ténor français Rémi Bres, qu’on découvre à l’Opéra de Paris, se signale par son irrésistible talent comique et son timbre irréprochable dans l’emploi burlesque d’un Nirenus (le confident de Cléopâtre et de Ptolémée) pastichant dans sa gestuelle de profil l’esthétique particulière à l’Egypte ancienne… La plantureuse contralto allemande Wiebke Lehmkuhl (Cornélie), le baryton-basse vénézuélien Luca Pisaroni (Achillas) et le contre-ténor britannique Iestyn Davis (Ptolémée) complètent cette distribution impeccable. Elle magnifie la succession d’arias sublimes qui fait de ce chef-d’œuvre un must absolu de l’opéra seria.

Giulio Cesare. Opéra en trois actes de Georg Friedrich Haendel (1724). Direction Harry Bicket. Mise en scène Laurent Pelly.  Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris. Avec Emily D’Angelo, Adrien Mathonat, Wiebke Lehmkuhl, Marianne Cressaba, Lisette Oropesa, Iestyn Davies, Luca Pisaroni, Rémy Brès.

Palais Garnier, les 23, 25, 27, 30 janvier, 2, 8, 10, 12, 14, 16 février à 19h. Le 4 février à 14h30. Durée : 4h15.

Paradis perdu

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© Carlotta

James Ivory a 94 ans. Bon moment pour tourner un film-testament. Mais cette fois, le cinéaste de l’amour interdit et de la nostalgie aristocratique –  cf. Chambre avec vue (1985), Maurice (1987), Retour à Howards End (1992), Les vestiges du jour (1993)…  – a choisi d’arpenter les sentes de la mémoire plutôt que d’investir à nouveau les paysages de la fiction.


Co-réalisé avec le monteur et documentariste britannique Giles Gardner, Un été afghan est un film en abyme : Ivory en est tout à la fois le narrateur, l’acteur et le mémorialiste. Fils de bonne famille (son père est propriétaire d’une prospère usine de bois qui fournit Hollywood pour ses décors), en 1960 le jeune homme épris de culture et de voyages part tourner son premier film, dans un Afghanistan arriéré, monarchie alors en pleine mutation : déserté par l’empire britannique, en guerre larvée avec le Pakistan voisin, mais pas encore passé sous emprise soviétique – les talibans n’ont pas encore accompli le dernier acte de la tragédie – le pays vit comme il y a mille ans : exotisme garanti.

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Dans sa vaste demeure où en 2022 s’accumulent les archives, le vieux cinéaste a remis la main sur ces anciennes bobines : film dans le film, ce documentaire jamais produit se voit exhumé à présent, commenté par lui en voix off, les Mémoires de Babu, empereur mongol du XVIème siècle s’offrant en contrepoint à l’image, tandis que le natif de l’Oregon, replongé dans ses années de jeunesse, cite les lettres qu’il écrivait à sa mère depuis Kaboul… Ivory, il y a soixante ans, a pu filmer les fameux bouddhas monumentaux de Bâmiyân rageusement dynamités par la barbarie islamiste. Rien que pour cette seule séquence, Un été afghan mérite amplement le détour. James Ivory y vante le climat idéalement tempéré de Kaboul : titre original, A Cooler Climate.

Un été afghan. Documentaire de James Ivory et Giles Gardner. France, 2022, noir et blanc & couleur. Durée : 1h12. En salles le 24 janvier 2024.

London Sixties, the place to be !

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Scooter Lambretta, 15/6/2010 Steve Meddle / Rex Feat/REX/SIPA

Jean-Albert Beaudenon, musicien et journaliste spécialisé, nous invite à un voyage au cœur de la pop culture anglaise, au pays de Mary Quant, de Brian Jones, des Kinks, des Yardbirds et des Mods afin de respirer (à pleins poumons) le parfum enivrant du « Swinging London » des années 1964-1968.


Non, le centre du monde n’était pas la gare de Perpignan, contrairement aux prédictions hallucinées de Dalí. Ni de Cadaqués, non plus. Tout convergeait vers Londres. C’est de ce côté-ci du Channel qu’ont eu rendez-vous les personnalités les plus troubles et inspirantes des « Sixties ». Les jupes raccourcies, les groupes passablement énervés, la télévision prescriptrice de tendances, la jeunesse comme cible marchande enfin constituée, les excès en produits illicites et les révolutions sexuelles ont pris pied sur les îles britanniques, sous une pluie drue et un smog vaporeux, dans un environnement social rigoriste et des valeurs policées. La capitale anglaise a attiré à elle tout ce qui construira, par la suite, un imaginaire échevelé et un business solide.

Le feu n’est toujours pas éteint. L’incendie brûle encore sur les pickups et dans les boutiques, tous les créateurs soufflent sur les braises de ce magma fumant. La pop culture anglaise sur laquelle repose, soixante ans plus tard, un puissant marketing, une esthétique fondatrice et un son « barbare » sert de modèle culturel à toute la planète entière. Pour aller aux sources du mouvement, Jean-Albert Beaudenon se révèle être un guide érudit, curieux et surtout affranchi des sentiers mille fois battus. On ne compte plus le nombre d’ouvrages relatant les guerres intestines opposant Rolling Stones et Beatles, l’émergence des Who ou des Animals, l’héroïne comme funeste salut et la marijuana pour adoucir les heures de bureau. L’auteur, par une série de chroniques incarnées et riches en anecdotes, nous fournit un bréviaire sur cette période fantasmée. London Sixties qui paraît aux éditions Camion Blanc a pour nous autres lecteurs de 2024, esclaves du puritanisme woke et adeptes des génuflexions, l’odeur du souffre et d’une liberté désormais sous surveillance généralisée.

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London Sixties peut se lire comme un voyage au bout de la nuit (dans les clubs) ou un manuel de résistance à la standardisation des ondes. La force de Jean-Albert Beaudenon, c’est qu’il était sur place ! Il nous raconte l’Histoire en prise directe avec le réel. Il a posé ses valises à l’été 1965 pour apprendre la langue de Shakespeare et satisfaire sa curiosité musicale. Là-bas, il a découvert une nouvelle société bien avant le discours de Chaban-Delmas de 1969. Dès l’aérogare, il a senti le choc. « Pas très loin d’Oxford Circus, dans Oxford Street, se trouve un magasin de disques appelé HMV (His Master’s Voice en français, « la voix de son maître ») dont la taille est sidérante par rapport au petit disquaire de province où j’allais m’approvisionner. Son ampleur est tout simplement celle d’un supermarché comprenant trois étages, et il est équipé de cabines dans lesquelles on peut écouter tout ce que l’on désire » écrit-il, l’esprit encore tourneboulé. La bonne ville de Gien et son pont qui traverse la Loire d’où il est originaire n’offrent pas une telle profusion. Le divertissement est alors accordéonesque et folklorique dans nos campagnes. Tous les étudiants bachoteurs se rappellent que le Royaume-Uni nous était présenté dans les programmes de Sciences-Politiques comme « L’Homme malade de l’Europe » avant la grande schlague libérale et la purge financière.

London Calling !

Nous aurait-on menti ? Sous le ronron du Général et la catéchèse de Tante Yvonne, la France paraissait bien somnolente par rapport à cette succube Albion. Les Froggies devaient se contenter de SLC (« Salut les Copains ») et de tubes sommairement traduits de l’anglo-américain. Sur les écrans de cinéma, Le Corniaud triomphait avec la série des Gendarmes et des Fantômas. Jean Lanzi officiait à 20 Heures sur l’ORTF et Mireille ânonnait rosa la rose dans son petit conservatoire. Outre-Manche, l’ambiance était nettement plus survoltée et érotiquement électrique. Les noms Piccadilly Circus, Carnaby Street ou Soho alléchaient nos oreilles et ouvraient les vannes de l’émancipation. Les « Working Class » ne pédalaient pas sur d’agraires Vélosolex mais sur des Lambretta customisées, du côté de Brighton. Les Mods portaient alors des parkas militaires dites Fishtail M51 et des desert boots. Depuis Goldfinger, Sean Connery avait abandonné sa Sunbeam Alpine et sa Bentley (qui avait pourtant la préférence de Ian Fleming dans ses romans d’espionnage) pour une Aston Martin DB5. A dix-huit ans, Jane Birkin s’était mariée avec le compositeur John Barry dans une robe en crochet et elle roulait dans une Jaguar Type E blanche de circonstance. En 1966, l’Angleterre avait même remporté la Coupe du monde de football à domicile, à la 101ème minute contre l’Allemagne. Et le trophée Jules Rimet avait mystérieusement disparu, épisode rocambolesque qui trouva une issue heureuse grâce au flair du chien Pickles et de son propriétaire David Corbett.

Londres fut indubitablement l’épicentre de la pop culture. Le recueil de Beaudenon ravivera les souvenirs des « boomers » et instruira les plus jeunes générations sur cette parenthèse enchantée où des gamins de Londres, Liverpool, Newcastle et Manchester allaient créer un son nouveau si tentateur et ringardiser tous les autres genres musicaux. London Sixties se lit comme une galerie de portraits dessinés au fusain, d’un trait rapide et alerte, par un spécialiste qui a beaucoup étudié le sujet, interviewé certaines légendes et vécu dans sa chair les tremblements du rock. En outre, l’auteur est un musicien ce qui donne du poids et de l’écho à ses analyses. Il ne s’est jamais remis de ces fugaces apparitions d’une trentaine de minutes comme c’était la règle à l’époque où les futures stars du rock, largement inconnues du grand public, montaient sur une scène improvisée sans cordon de sécurité et attachées de presse chancelantes.

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Beaudenon a le sens de la punchline et sa ligne de basse est hypnotique. Il tente de définir la vérité d’un musicien par un angle à la fois technique et psychologique, nous plongeant ainsi dans « l’enfer » des concerts, des contrats, des relations internes forcément houleuses, des jalousies, des filles, des flips et de la dope. On entre ainsi dans l’intimité de chacun. « Les Kinks envoient un solo de guitare bien crade, une voix un peu traînante et le riff de « You Really Got Me » reconnaissable entre mille, malgré un petit air de déjà entendu », souligne-t-il. « Au dire des puristes, Keith (Moon) est incapable de tenir un tempo régulier, ce qui est vrai. En contrepartie c’est ce qui donne tant de dynamique aux morceaux du groupe, bien loin des enregistrements actuels ultra-aseptisés à cause d’une informatique omniprésente qui recale tout au millième de seconde », recadre-t-il avec bon sens. Il devient lyrique lorsqu’il s’enthousiasme pour le mal-aimé Terry Reid frappé par une série de déveines : « Parfait inconnu chez nous et guère plus dans son pays d’origine, la Grande-Bretagne » mais « une des voix les plus marquantes de ces cinquante dernières années aux côtés de Rod Stewart, Steve Marriott ou Joe Cocker ». La longue tournée de 1969 de Led Zeppelin nous est contée dans les backstages : « Quant à (Jimmy) Page, en plus de costumes extrêmement voyants, il soigne son apparence comme s’il allait à un défilé de mode, se mettant des bigoudis avant d’entrer en scène et brossant consciencieusement ses boucles pendant plus d’un quart d’heure », suscitant l’ironie de Peter Grant et Richard Cole.

My tailor is rich !

Beaudenon ne s’intéresse pas seulement à la musique, il élargit sa focale aux vêtements et à une certaine manière de vivre. Il réussit à capter l’esprit de cette nouvelle vague. Le phénomène des Mods est parfaitement relaté avec un souci de véracité. Il en profite au passage pour tacler les « minets » : « On a souvent fait le rapprochement avec la Bande du Drugstore, appelée également « blousons dorés ». Pourtant, aucun point commun ne semble ressortir du comparatif avec les Anglais, mis à part leur élégance. Ces jeunes des milieux aisés ne font preuve d’aucune imagination concernant les vêtements ; c’est pratiquement à leur uniforme qu’on les reconnaît, à savoir blazer croisé, pantalon à plis et mocassins ». Les Mods d’ascendance prolétarienne possédaient une fantaisie autrement plus remarquable dans la coupe de leurs costumes ou le choix des couleurs de leurs chemises. Déjà, une certaine excentricité coulait dans les veines de ces non-violents obnubilés par leur apparence.

Beaudenon consacre un chapitre entier à l’aventure folle de Mary Quant, celle qui allongea les jambes des femmes. A sa manière, elle initia le renouvellement permanent des modèles, méthode que les géants du prêt-porter ont aujourd’hui industrialisée. London Sixties fourmille de révélations, il nous emmène dans le secret des studios à la rencontre de formations d’élite. Puis, comment ne pas être atomisé par Anita Pallenberg, « muse » des Stones, âme damnée pour certains, caractère souverainement libre pour d’autres que Beaudenon approche à pas de loup. Alors, on monte le son et on ouvre son livre !

Jean-Albert Beaudenon, London Sixties. L’Essentiel de la pop culture anglaise, Éditions Camion Blanc, 2023, 376 pages.

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Tracteurs jaunes contre Tartuffes verts et bleus

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Marc Fesneau, le ministre de l'Agricultre et de la Souveraineté alimentaire, lors des Questions au gouvernement à l'Assemblée nationale, le 23/1/2024 JEANNE ACCORSINI/SIPA

Les agriculteurs français ont suivi l’exemple de leurs collègues allemands en lançant un grand mouvement de révolte pour attirer l’attention générale sur leur sort. En réalité, ils manifestent leur colère depuis longtemps, mais les élites politico-médiatiques n’avaient pas daigné les écouter. Maintenant que les élections européennes s’approchent avec une victoire probable des partis dits « populistes », les institutions de l’UE et les gouvernements nationaux finiront peut-être par comprendre ce qui est en jeu.


J’ai bien aimé écouter Fabien Roussel à la radio hier matin. À tout le moins, je l’ai trouvé convaincant lors des dix premières minutes de son interview avec Sonia Mabrouk, car dès qu’on a commencé à évoquer la future loi sur l’immigration probablement détricotée par le Conseil Constitutionnel, je me suis rappelé pourquoi il était impossible que je vote pour un homme comme lui, sauf s’il se retrouvait face à Jean-Luc Mélenchon au deuxième tour des élections présidentielles.

Fabien Roussel se place résolument du côté des agriculteurs en colère et je trouve qu’il a bien raison. Il a rappelé à juste titre que c’était eux qui nous nourrissaient, et si je me souviens bien du contenu de la pyramide de Maslow, la nourriture, en tant qu’elle répond à un besoin physiologique, est tout en bas de la pyramide, elle en constitue une des bases. Si on peut réfléchir au dérèglement climatique, c’est parce qu’on a le ventre plein. Or, depuis plusieurs années, tout semble être fait pour que nos agriculteurs ne puissent plus assurer leur fonction nourricière, pour que leur labeur ne leur permette plus de vivre eux-mêmes.

Il faut s’entendre sur l’expression « les agriculteurs », qui ne recouvre pas tous les travailleurs de la terre. Il existe dans notre pays des céréaliers ou des viticulteurs riches, voire très riches, qui votent Macron et qui trouvent que le libre-échangisme, c’est formidable, car ils peuvent vendre leur production à un très bon prix partout sur la planète. Je n’ai rien contre eux (enfin, si, un peu, car étant amateur de vin, je ne me réjouis pas de ne bientôt plus pouvoir m’offrir une bouteille de bourgogne tant le prix des appellations de la Côte-d’Or s’est envolé au cours de la dernière décennie, exportation oblige), je me réjouis même de leur réussite qui est le plus souvent le signe de leur excellence ainsi reconnue, mais je refuse que ces exploitants agricoles soient pris comme mètre-étalon d’un monde beaucoup plus vaste dont le quotidien est bien différent. Toutes les activités du monde paysan ne peuvent pas être premium, toutes ne peuvent pas générer de confortables marges et toutes ne sont pas intrinsèquement faites pour être placées dans une situation de concurrence libre et non faussée. Or, les règles qui régissent le monde agricole sont pour la plupart décidées dans l’enceinte du temple du libre-échangisme le plus débridé : le Parlement européen, aiguillonné par la Commission européenne.

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Pour quiconque s’informe ailleurs que dans les médias mainstream, la colère du monde agricole européen gronde depuis des mois et n’est pas une surprise. Mais comme pour les Gilets jaunes il y a cinq ans, il faut que les choses deviennent sérieuses, qu’elles prennent une grande ampleur, qu’elles dégénèrent, voire qu’elles commencent à verser dans l’action musclée, pour que les élites politico-médiatiques daignent, à contrecœur, y accorder une minute d’attention vaguement méprisante. Quoi ? Les gueux ne sont pas contents ? On leur offre pourtant du soja brésilien ou du bœuf argentin à vil prix, de quoi se plaignent-ils donc ? Du prix du gazole agricole ? De la multiplication des normes en tous sens ? Des taxes et des contrôles que leurs concurrents ailleurs dans le monde n’ont pas à subir ? De la transition écologique qu’on leur impose brutalement sans ériger de barrières protectionnistes pour leur permettre de s’y adapter ? Quelle bande d’enfants gâtés, tout de même ! Tout cela, c’est comme pour les migrants, « Wir schaffen das », la Kaiserin Von der Leyen a remplacé Mutti Merkel, tout va bien se passer.

Et pourtant, c’est justement en Allemagne, pays où l’agriculture ressemble plus à une industrie qu’à autre chose, que la lutte contre les directives tant européennes que nationales édictées par la coalition écolo-socialo-bobo dirigée par Olav Scholz, est la plus intense et avancée. Les rassemblements massifs existent depuis des semaines chez nos voisins, et la montée sur Berlin des 8 et 15 janvier derniers était annoncée dès fin décembre, dans le silence assourdissant des médias. Nos voisins germaniques ne sont pas coutumiers des mouvements de grève et de protestation comme nous pouvons l’être en France ; lorsqu’ils vont dans la rue, c’est que l’heure est grave et que le dialogue social a échoué. Comme nos paysans, les Bauern allemands protestent contre la hausse de la taxation sur les carburants agricoles. Mais plus généralement, ils signifient à leurs gouvernants écolos et européistes qu’ils ont compris l’entourloupe de la transition énergétique choisie par leur pays et étendue au continent : les éoliennes et les panneaux solaires, c’est sympathique, mais ça coûte un pognon de dingue et ça marche plutôt mal, avec une électricité devenue hors de prix maintenant que le gaz russe n’est plus disponible. Il y a un an, ce sont les constructeurs automobiles allemands qui avaient fait une petite révolution contre l’Union européenne en ajoutant in extremis une clause dans la loi proscrivant les véhicules thermiques d’ici à 2035, leur permettant de continuer à fabriquer des moteurs à explosion fonctionnant avec des carburants synthétiques.

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Il est certainement trop tôt pour tirer les conséquences des mouvements de protestation de la part des agriculteurs en France comme chez nos voisins, mais on peut déjà noter que c’est un des rares cas où la colère ne connaisse pas de frontières et soit un sujet partagé dans plusieurs pays. Par leurs décisions suicidaires, la Commission et le Parlement européens sont peut-être en train de réaliser un vieux rêve et de faire naître une conscience européenne… contre eux. Les élections qui ont lieu dans cinq mois devraient nous en dire plus. En attendant, les gouvernements nationaux vont avoir beaucoup de mal à continuer à tenir leur double langage habituel, consistant à flatter leur électorat au sein de leurs frontières tout en votant des lois allant à l’encontre des intérêts de leur pays au Parlement européen. Souveraineté européenne et souveraineté nationale sont difficilement compatibles, il y a là un « en même temps » hypocrite que les électeurs pourraient finir par sanctionner. Et ce ne serait sûrement pas un mal pour l’Europe, qui gagnerait à quitter les postures hors-sol de ses dirigeants et de ses fonctionnaires pour se réenraciner dans les réalités de celles et ceux qui l’habitent et la font vivre.

Oser enseigner

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Gabriel Attal, ministre de l'Education nationale et de la Jeunesse, sest rendu à l ecole Berthelot, à Denain, le 15 décembre 2023. Olivier Coret/SIPA

Gabriel Attal (et on suppose qu’il en va de même pour celle qui lui a succédé au ministère de l’Education nationale) veut en finir avec le dogme égalitariste. Il défend la verticalité de la transmission, le contrôle continu et une évaluation fidèle aux compétences de l’élève. Ces mesures de bon sens vont se heurter à de fervents opposants : les professeurs ! Profs, élèves et parents : il est temps que chacun reste à sa place.


Je n’aime pas dire du bien des macronistes, mais là je suis un peu coincée. Les annonces faites par Gabriel Attal le 5 décembre pour tenter d’enrayer la baisse du niveau des élèves, une énième fois constatée par le classement PISA… et les profs, sont frappées au coin du bon sens. Deux remarques cependant : tout d’abord on se réveille bien tard (mais la suicidaire politique de l’autruche a peut-être enfin trouvé ses limites) et, par ailleurs, où habite Emmanuel Macron, capable de faire se succéder au même poste les antinomiques Pap Ndiaye et Gabriel Attal (suivi depuis par Amélie Oudéa-Castéra) ?

L’essentiel des mesures vise à « rehausser le niveau d’exigence » : parmi elles, redonner de la crédibilité aux examens, en supprimant les correctifs académiques de surnotation, tant au brevet qu’au baccalauréat, et en remettant les notes au cœur de l’évaluation du contrôle continu au collège, en lieu et place des fumeuses et démagogiques « compétences ». Attal écrit aux professeurs : « Ce sont désormais les notes que vous attribuez, et elles seules, qui détermineront l’obtention » des examens, « le brevet et le baccalauréat doivent dire la vérité sur les acquis des élèves et redevenir un étalon de mesure fiable de cette exigence ». En creux, on reconnaît qu’on ment aux élèves et qu’il s’agit de « renouer avec la fiabilité de l’évaluation » – traduit du jargon en langue ordinaire, cela donne : en finir avec le foutage de gueule que constitue, et pour les élèves, et pour les professeurs auxquels elle est imposée, la pratique systémique de la surnotation.

Il est surtout étonnant qu’on ait, depuis des décennies, remis en cause la souveraineté de la notation et ainsi singulièrement atteint la crédibilité et l’autorité intellectuelle des enseignants. Ne plus piétiner leur expertise est une bonne chose, mais ces préconisations d’évidence seront-elles suivies d’effet, quand on sait que la propension à l’autocensure et à la surnotation est devenue chez beaucoup une seconde nature : est-on encore capable de reconnaître une vraie bonne copie si on les juge toutes bonnes ?

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Une autre mesure importante consiste à redonner la main aux professeurs en ce qui concerne le redoublement. Là encore, on peut se demander dans quel esprit malade a germé l’idée de donner le dernier mot aux familles pour le passage en classe supérieure. Le redoublement, jugé peu efficace par des « spécialistes » – et sans doute trop coûteux… –, est devenu exceptionnel depuis de nombreuses années, conditionné à l’accord des parents ; l’avis des professeurs a été rendu accessoire et purement consultatif. Depuis quand le fait d’avoir pondu un gosse vaut-il expertise sur ses capacités scolaires ? Pensons à Molière, dont le Diafoirus voit dans toutes les faiblesses de son idiot de fils les signes de la plus haute intelligence. Les parents se méprennent bien souvent sur leur progéniture, qu’ils ne connaissent pas sous le même angle que les professeurs, et sont prompts à voir dans la créature qu’ils ont enfantée un petit être surdoué, encouragés en cela, on y revient, par le leurre de la surnotation généralisée. Si l’on remet les parents à leur place de parents, on n’y perdra pas…

Gabriel Attal veut donc sortir de la « doctrine de passage quasi systématique en classe supérieure » dans le cycle primaire, et « rendre le dernier mot aux professeurs » pour prescrire des dispositifs de remédiation et de redoublement. Redoubler n’est pas une sanction, et peut permettre à certains élèves, surtout dans les petites classes, d’avoir plus de temps pour acquérir les bases qui conditionnent tous les autres apprentissages. Il est cependant dommage que le ministre n’évoque pas l’orientation des collégiens et lycéens : il serait bon que les professeurs retrouvent également la main dans ce domaine, ce qui éviterait en fin d’année scolaire la remise en question de leurs préconisations dans d’officielles commissions d’appel et de plus discrets passages des familles dans le bureau du chef d’établissement. Quel désaveu du conseil de classe et des professeurs lorsque après moult pleurnicheries et promesses d’alcoolique (« je vais me mettre au travail, je le jure… »), on croise en septembre un élève au sourire triomphant dans la filière qu’on avait vigoureusement déconseillée au mois de juin ! Si on ne donne pas plus de poids à la parole du professeur, y compris dans l’orientation d’élèves qu’ils connaissent bien, ils seront condamnés à faire encore de la figuration en conseil de classe et ne retrouveront pas le crédit qu’on prétend leur redonner.

L’autre mesure annoncée vise à déconstruire (un peu) le collège unique (enfin !) et à mettre en œuvre des groupes de niveau en mathématiques et français : l’hétérogénéité des classes est telle qu’elle est devenue impossible à gérer et s’avère contre-productive, puisque les meilleurs élèves sont ralentis dans leur progression et tirés vers le bas, tandis que les plus faibles, se reposant sur l’activité déployée par les autres, ne tirent aucun profit de leur présence au sein de la même classe. On veut donc regrouper les élèves par niveau dans les matières fondamentales, en adaptant le rythme à des élèves plus homogènes dans des effectifs réduits. Pourquoi pas, si cela permet d’éviter de se retrouver face à une classe de seconde aux écarts spectaculaires, que l’effectif rend à peu près impossibles à réduire : y cohabitent quelques élèves qui sont à leur place avec d’autres dont l’apathie intellectuelle s’apparente à un état de mort cérébrale (je parle d’expérience !). Bien évidemment, à un tel niveau d’effondrement, je ne suis même pas sûre que la mesure annoncée soit efficace, mais il faut tenter la chose et revenir sur le dogme égalitariste du même cursus pour tous, principe sur lequel repose justement le collège unique.

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Autres éléments à retenir des annonces ministérielles : la volonté de normaliser et homogénéiser les enseignements par le recours dans le premier degré à des manuels labellisés (pourquoi pas quand on connaît les disparités entre les enseignants et les dérives souvent suscitées par la liberté pédagogique totale…). Et la promotion d’une « pédagogie explicite », méthode éprouvée par la pratique, et qui, espérons-le, mettra fin aux lubies de la construction du savoir par les élèves eux-mêmes, en réintroduisant la verticalité dans la transmission, inhérente à toute instruction digne de ce nom et qui n’aurait jamais dû être mise à mal.

Toutes ces mesures (valorisation des notes face aux « compétences », retour au redoublement imposé, instauration de groupes de niveau pour contrer les effets du collège unique, limitation de la liberté pédagogique…) font hurler les syndicats… de gauche (signe que Gabriel Attal n’était sans doute pas mauvais !) : tout cela stigmatiserait et pénaliserait les classes populaires, condamnées selon la CGT à subir « une école du tri social » ou de la « ségrégation », pour reprendre le terme nuancé employé par le SNES. Ces idiots n’ont toujours pas compris que transmettre de vrais savoirs et donner de vraies notes, supprimer le passage systématique d’élèves trop fragiles, limiter une hétérogénéité invalidante pour tous, c’est rendre service à tous les élèves, même et surtout les plus défavorisés. Si l’école n’exige rien de ces élèves-là, par laxisme et démagogie, par fausse bienveillance, elle les abandonne et les assigne à leur origine sociale. Le vrai mépris consiste à leur faire prendre les vessies des compétences pour les lanternes des savoirs. Tout ce qui vise à ne pas les tromper est bon à prendre, pour tenter d’en finir avec l’escroquerie scolaire qu’on impose aux classes populaires comme aux autres. De toute façon, il n’est même pas certain que l’argument des différences sociales soit très pertinent aujourd’hui, dans la mesure où la déshérence intellectuelle, verbale et culturelle se retrouve aussi chez les enfants de la bourgeoisie.

Si l’on s’inflige la prose desdits syndicats, rédigée comme il se doit chez les « progressistes » dans leur impayable et imbitable écriture inclusive, on y trouve sans surprise la célébration de tout ce qui a causé le désastre actuel. Écoutons-les et on saura ce qu’il ne faut pas faire si on veut redresser l’école. La vision du ministre est selon eux « passéiste et hors-sol » (Sud Éducation), reposant sur l’illusion du « c’était mieux avant ». La CGT évoque un « retour à l’école fantasmée des années 1960 », Sud brandit l’accroche « Attal prépare l’école d’avant-hier », et le SNES n’est pas en reste avec sa formule « arrière toute ». Drôle d’argument tout de même, qui consiste à forcément condamner le passé (fût-il plus convaincant que le sinistre présent en matière d’enseignement) et à promouvoir par principe, on peut même dire par réflexe, tout ce qui relève du changement (fût-il délétère et néfaste). L’école des années 1960, je l’ai connue comme élève, je ne l’ai pas fantasmée… et je sais ce que je lui dois. Pourquoi s’interdire de revenir à d’anciennes méthodes si elles ont fait la preuve de leur efficacité ? Comme l’écrivit le compositeur Verdi dans une lettre célèbre, « tournons-nous vers le passé, et ce sera un progrès ».

Cerise sur le gâteau, le syndicat Sud pense que Gabriel Attal ravit au passage l’extrême droite et les réactionnaires, autant dire dans son esprit les fachos qui peuplent le pays. Je ne me sache pas appartenir à l’extrême droite (qui reste à définir), et je crois pouvoir en toute indépendance d’esprit, avec les réserves qui s’imposent, me réjouir de tout ce qui se propose d’enrayer le déclin, de quelque bord qu’émanent les bonnes intentions. Je n’attends plus depuis longtemps qu’elles viennent de la gauche.

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Évidemment la prudence est de mise quant à l’application des mesures annoncées. La résistance peut d’abord venir des enseignants eux-mêmes, dont le tropisme politique encore pavlovien les amène à se méfier de tout ce qui ne vient pas de la gauche. On peut craindre aussi que la réduction de certains effectifs pour la mise en place des groupes de niveau ne s’accompagne pas de la création d’un nombre de postes suffisants, ni surtout de l’indispensable vérification de la qualité des enseignants recrutés. Quid de leur parcours et de leur maîtrise disciplinaire, si on ne remet pas en question les désastreux instituts de formation actuels ? Le ministre ne parle pas non plus de la nécessaire revalorisation des salaires, qui permettrait d’attirer dans le métier les meilleurs étudiants, et d’éviter ainsi que les nouveaux profs soient au même niveau de médiocrité que leurs élèves…

Enfin comment ne pas pointer également la contradiction entre d’un côté la volonté affichée de remettre le savoir et l’exigence au centre de l’école, et de l’autre le dénigrement des classes préparatoires, parangon de cette même exigence, dont plusieurs à travers la France sont menacées de fermeture à l’heure qu’il est ? Il ne faudrait pas que « le choc des savoirs » ne soit qu’une formule creuse de communicant et que, à l’école comme dans bien des domaines, le macronisme ne se rende encore et toujours coupable de tirer à hue et à dia.

Comprendre les mouvements de contestation paysans

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Rassemblement des agriculteurs sur le rond point de Fontaine Notre-Dame pres de Cambrai, le 24 Janvier 2024 FRANCOIS GREUEZ/SIPA

Partie d’Allemagne, la révolte des agriculteurs s’étend à d’autres pays européens, notamment la France. Cette révolte est le signe d’un désamour grandissant entre le monde paysan et Bruxelles.


Même si on ne peut pas parler de mouvement coordonné à l’échelle européenne, chaque contestation conservant ses spécificités nationales souvent en lien avec des mesures gouvernementales épisodiques, il est indéniable que la politique européenne de ces dernières années constitue un facteur majeur des griefs paysans. En cause notamment, le fameux « Pacte Vert », grand plan de politique environnementale dont des pans entiers visent directement le secteur agricole, comme la diminution des cultures intensives au profit du bio, la réduction de l’usage des pesticides et autres produits phytosanitaires ou encore la conditionnalité accrue de certaines aides de la PAC à certains standards jugés vertueux par l’UE, pour laquelle l’objectif de neutralité carbone à horizon 2050 doit passer par une vaste série de mesures restrictives. Or les agriculteurs européens, qu’ils soient allemands, français ou d’autres pays, sont déjà écrasés par une charge réglementaire considérable et une batterie de normes parfois ubuesques.

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Ce qui est frappant ces dernières semaines c’est d’ailleurs l’ampleur des manifestations plutôt que leur existence même : quiconque y prête attention aura constaté que les agriculteurs manifestent régulièrement ces dernières années contre les divers paquets législatifs de l’UE découlant du Pacte Vert. On citera à titre illustratif les rassemblements de tracteurs à Bruxelles en juillet dernier pour protester contre le projet de « loi sur la restauration de la nature », avec en porte-étendard les syndicats européens COPA et COGECA (« cousins » européens de la FNSEA), accompagnés de députés de droite. Et les exemples sont légion. L’UE semble bel et bien avoir catalysé le mécontentement des paysans.

La démonstration de force des agriculteurs outre-Rhin

C’est pourtant une mesure nationale qui a bel et bien mis le feu aux poudres en Allemagne peu avant Noël. Qui plus est, une mesure surprise jugée opportuniste par certains car permettant au gouvernement d’alléger son budget d’un coup de crayon tout en se parant des habits de la vertu climatique : en l’occurrence, la suppression des aides publiques (sous forme d’exonération fiscale) au diesel agricole. Il n’en fallait pas plus pour provoquer un grand élan de contestation au sein des agriculteurs allemands, qui se sont mobilisés lors de manifestations massives dans plusieurs grandes villes du pays. Berlin, Munich ou encore Hambourg ont vu défiler depuis le début du mois de janvier de longues files de tracteurs, avec le soutien d’autres professions telles que les routiers et les artisans. L’image emblématique des agriculteurs conduisant leurs engins à travers les centres-villes est devenue pour beaucoup un symbole de la résistance paysanne, suscitant des débats passionnés dans les médias sur les difficultés rencontrées par le secteur ; et ce particulièrement dans un pays peu habitué à des mouvements de cette ampleur. Et qui au passage furent un désaveu pour le ministre du budget Christian Lindner, qui avait agité le spectre de possibles débordements provoqués par l’extrême-droite, après avoir d’abord considéré que les manifestations étaient « disproportionnées ». Les incidents ont été pourtant rares, mais la colère très palpable.

Pourtant la mesure gouvernementale, d’ailleurs partiellement annulée depuis (ou en tous cas rééchelonnée jusqu’à 2026) dans un rétropédalage de panique afin de calmer la révolte, n’est bien sûr pas la seule raison derrière ce ras-le-bol.

La pression européenne en faveur de pratiques agricoles plus « respectueuses de l’environnement » a d’abord fait peser sur les agriculteurs des coûts supplémentaires. Et ce pour une raison simple : tenter tant bien que mal de respecter une réglementation de plus en plus stricte nécessite des investissements dans des technologies et des infrastructures coûteuses, ce qui met à rude épreuve les ressources financières de nombreux petits et moyens agriculteurs. S’ajoute à cela la mauvaise dynamique des marchés mondiaux, auxquels le secteur agricole allemand est étroitement lié : en effet, les tensions géopolitiques à répétition et les fluctuations des cours, y compris et surtout en matière d’énergie, continuent d’avoir un impact significatif sur les revenus et la stabilité des agriculteurs allemands. Les manifestations reflètent dès lors une préoccupation plus large concernant la vulnérabilité du secteur agricole, qui était quasiment un non-sujet il y a quelques dizaines d’années à peine.

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A ces difficultés majeures s’ajoute une frustration grandissante des agriculteurs et un certain sentiment d’injustice face aux produits d’importation souvent produits dans des conditions déplorables bien loin des exigences européennes. « Au lieu d’encourager les importations européennes de produits alimentaires avec des accords [de libre-échange] déséquilibrés, l’UE devrait plutôt s’atteler à protéger le climat et l’environnement avec davantage de bon sens », pestait l’eurodéputée autrichienne Simone Schmiedtbauer, elle-même agricultrice, au Bauern Zeitung en juin 2023.

30% du budget de l’UE

D’un point de vue strictement budgétaire, la PAC reste très largement le premier poste de subventions pour l’UE (la France en est la première bénéficiaire avec 18% du montant total alloué). Mais les ravages de l’inflation et la course à l’échalote législative en matière environnementale ont relégué les agriculteurs européens au rang des oubliés, ce qui a contribué à un véritable sentiment de déclassement et d’incompréhension. Un agriculteur de 36 ans déplorait d’ailleurs auprès du journal Die Welt la semaine dernière le grand « besoin de plus d’expertise du côté des politiques » ; avant de résumer de façon laconique : « nous sommes noyés sous les injonctions et la bureaucratie »[1]. Des témoignages pourtant lus et entendus des dizaines de fois ces dernières années dans la presse générale et spécialisée, mais qui n’ont retenu l’attention, jusqu’à récemment, que d’une partie de l’échiquier politique.

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A l’approche des élections, Bruxelles met un coup de frein

Il semblerait que malgré la sacro-sainte transition écologique, l’UE ne reste pas insensible devant le risque d’embrasement de la contestation en une nouvelle forme de « Gilets jaunes ». Les sondages donnant les partis populistes en tête dans de nombreux États-membres, la Commission semble se raviser sur certaines mesures, du moins pour l’instant. Les agriculteurs ont bien l’intention de jouer les trouble-fête pour ce scrutin, avec un pouvoir de nuisance électorale qui, sans être massif, est loin d’être insignifiant. D’autant que les paysans jouissent dans la plupart des pays plutôt d’une bonne image, comme l’ont montré les signes de sympathie adressés par les populations proches des zones de blocage en Allemagne, en France ou encore en Roumanie. Ce qu’ont bien compris les candidats aux élections de juin, beaucoup plus volubiles sur le sujet depuis quelques semaines.


[1] https://www.welt.de/politik/deutschland/article249544604/Proteste-von-Landwirten-Wir-gehen-unter-in-Auflagen-und-Buerokratie.html

France et Italie, gagnantes de la mondialisation du luxe

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Bernard Arnault, accompagnée de son épouse, arrive à l'Elysée pour un dîner officiel avec Emmanuel Macron et le président italien, Sergio Mattarella, le 5/7/2021 Lewis Joly/AP/SIPA

S’il y a un secteur où la France domine toujours le reste du monde, c’est celui du luxe. Mais elle a besoin de son alter ego, l’Italie, l’autre référence dans ce domaine. Les deux attirent à la fois stylistes, créateurs et consommateurs, et leur poids économique est tel que les sœurs latines valent deux tiers du marché global du luxe. Analyse d’un modèle d’intégration économique qui traverse les frontières.


Le secteur du luxe représente un parfait exemple d’osmose culturelle, artistique et économique entre la France et l’Italie. En plus de son importance économique, l’industrie du luxe incarne le « soft power » capable de fasciner, d’attirer, d’influencer un public en quête d’affirmation et de prestige. Si la France et l’Italie ont réussi à faire rêver le monde entier, c’est parce qu’elles ont été capables de promouvoir avec succès l’image de leurs pays en imposant leur conception de l’art de vivre comme un modèle universel.

Qu’est-ce qui lie inéluctablement ces deux grandes nations du luxe ? Pratiquement tout. Elles représentent les deux faces de la même médaille. Bien que chaque pays se développe à son propre rythme, leur interdépendance est si importante qu’aucun ne peut enregistrer séparément de telles performances, tant sur le plan de la création que sur le plan économique.

Si la France est moins présente que l’Italie au palmarès des 100 groupes de luxe mondial, elle représente un chiffre d’affaires plus important, notamment grâce à des champions tels que LVHM, Kering, Hermès et Chanel. Autre aspect fondamental : les groupes de luxe français ont une plus grande dimension et une rentabilité plus importante que les groupes italiens. De son côté, l’Italie représente le plus important producteur de luxe au monde, concentrant à elle seule presque 80% de toute la production. En outre, elle possède un plus grand nombre de marques authentiques avec un chiffre d’affaires supérieur d’un milliard d’euros. La concentration des métiers et des compétences a permis à la Botte de se positionner comme un gigantesque atelier de création et de fabrication.

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La France et l’Italie ont réussi à accaparer les deux tiers du marché mondial du luxe. En 2023, le secteur a atteint un chiffre d’affaires de 347 milliards de dollars, soit 42 de plus qu’en 2022. Selon les estimations, le luxe atteindra les 600 milliards de dollars d’ici 2030, notamment grâce à la forte demande en provenance de la Chine et de l’Asie. C’est bien cette croissance mondiale que les deux pays visent à exploiter.

Des stratégies complémentaires

Étant conscients du potentiel extraordinaire que l’Italie peut leur apporter, les géants du luxe français ont adopté une vision à long terme en appliquant une stratégie en plusieurs étapes. La première a consisté en l’acquisition des fleurons du luxe italien dans le but d’augmenter non seulement la valorisation de leur portefeuille de marques mais aussi une clientèle mondiale conséquente, et le chiffre d’affaires que ces entreprises génèrent. Le nombre de marques italiennes rachetées par LVMH et Kering est important : Bulgari, Fendi, Loro Piana, Acqua di Parma, Gucci, Bottega Veneta, Pomellato, Brioni.

La seconde étape, aussi fondamentale que la première, fut celle se doter, à travers de nombreux investissements et rachats, des usines de fabrication. Les métiers de l’art et de l’artisanat de luxe sont très demandés, très recherchés et presque impossibles à reproduire à court terme. Aussi, les marques françaises ont embauché des stylistes et des développeurs de talents. Cette approche a permis à ces groupes d’internaliser une production et une compétence unique qui a fortement contribué au développement de leurs marques.

A l’inverse de la France où l’industrie de luxe appartient essentiellement à cinq grands groupes, l’industrie italienne est constituée d’une myriade d’entreprises indépendantes de taille moyenne. Il n’existe d’ailleurs aucun conglomérat sur le modèle de LVMH ou Kering. Les points de force de l’industrie du luxe italienne dérivent de trois principaux facteurs. En premier lieu, le pays a un héritage historique sans précédent. L’Italie est le seul pays au monde qui compte des entreprises familiales historiques leaders dans la production des tissus, des vêtements, des sacs, des chaussures, des bijoux, de la maroquinerie, d’ameublement ou encore des voitures.

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Deuxième facteur, l’Italie possède un modèle industriel décentralisé basé sur des districts productifs et sur des chaînes d’approvisionnement spécialisés dans les métiers de l’excellence présentes au nord comme au sud du pays. Ce modèle donne aux entreprises la flexibilité nécessaire pour concevoir et produire en optimisant sur la variété des chaînes d’approvisionnement. Enfin, le troisième facteur repose tout simplement sur le « Made in Italy », synonyme d’excellence, de créativité et d’originalité. Dans un secteur où le désir et le prestige donnent un sens au concept du luxe, cette image de marque nationale est un coefficient multiplicateur de ventes et de marges. 

Dans l’avenir, le défi qui attend les « jumelles » du luxe mondial est de rester leaders du marché. Pour cela elles devront continuer à innover, générer des nouvelles idées, investir dans la production pour faire face à une demande globale de plus en plus importante et aussi former les nouveaux talents. Si le secteur agricole illustre bien les illusions perdues de la « mondialisation heureuse » vantée autrefois par ses nombreux thuriféraires, le luxe reste pour le moment un contre-exemple.

Michel Mourlet, thaumaturge

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Michel Mourlet en janvier 2016. Association F.U., CC BY-SA 4.0 , via Wikimedia Commons

Théoricien et historien du cinéma et du théâtre, grand défenseur de la langue française, dramaturge, romancier et chroniqueur, Michel Mourlet vient de publier à 88 ans un nouveau recueil d’articles. L’écrivain Christopher Gérard rend hommage à un auteur qui n’a cessé de pourfendre les littérateurs médiocres, les dévots de la culture officielle et les contempteurs de la nation.


Près d’un demi-siècle après la parution de L’Éléphant dans la porcelaine (1976), recueil d’articles, paraissait le cinquième volume du Temps du refus, sous le titre Péchés d’insoumission. S’y retrouve le même esprit de résistance spirituelle que dans Crépuscule de la modernité, La Guerre des idées et Instants critiques. Même lucidité, même limpidité dans l’analyse du funeste déclin, même ligne claire dans l’expression, même cohérence mentale – une lame de Tolède.

Michel Mourlet publie aujourd’hui, non pas la suite, mais un complément bienvenu, sous le titre : Trissotin, Tartuffe, Torquemada. La conjuration des trois T, les jalons d’un parcours rebelle depuis plus de six décennies, à rebours des modes et en opposition frontale à la culture officielle. Par une triste coïncidence, ce livre paraît au moment où quelques centaines de poétastres et de rimailleuses dénoncent en chœur, et dans un charabia à prétentions « inclusives », un écrivain voyageur, Sylvain Tesson, coupable d’incarner « une icône réactionnaire ». Éternelle cabale des médiocres qui illustre le mot connu de Bernanos : « Les ratés ne vous rateront pas ».

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Depuis le mitan des années 1950, Mourlet ferraille contre cette alliance des pédants, des faux-jetons et des fanatiques, précurseurs de l’actuelle pensée unique. Parmi les cibles de ce recueil de textes anciens ou récents, les dérives d’une certaine littérature, l’académisme de l’art contemporain, la dégradation continue de notre langue française.

L’ouvrage commence par un « Précis de dégoût politique », une démolition en règle du devoir d’ingérence et de toute illusion romantique : « L’erreur fatale de l’homo politicus moderne est d’auréoler d’une frange mythique de morale de purs rapports de force, de purs affrontements de fauves dans la jungle ». Son programme ? « Retrouver l’ordre naturel des choses, la simplicité de l’être », à savoir les hiérarchies, au fondement de toute société juste et durable.

Sa défense de la nation contre les délires fédéralistes, fourriers du mercantilisme le plus destructeur et de la paralysie la plus débilitante, le poussa naguère à s’engager aux côtés de Jean-Pierre Chevènement.

Les attaques sournoises contre le français exaspèrent Mourlet : « La langue nationale fait partie de nos biens les plus précieux. Le citoyen qui la dégrade est coupable de haute trahison ; le politicien ou le fonctionnaire de l’État qui tolère ou encourage cette dégradation est coupable de forfaiture ». Ses charges contre le franglais sont jubilatoires : il s’agit toujours pour lui de se dresser contre ceux qui, acceptant de perdre leur langue, perdent leur âme.

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Rédigé à vingt ans (!) et dans une totale solitude, son « Contre Roland Barthes », « idole aux neurones tordus », témoigne de sa lucidité comme de la fermeté de son style : « La syntaxe est un impératif des échanges humains, intemporel, non soumis aux aléas de l’Histoire ou à quelque contrainte née de la lutte des classes ». Ou cette conclusion, lumineuse : « L’écriture, opération thaumaturgique, se situe d’emblée hors du temporel ; et lorsqu’elle s’y plonge, elle le solidifie, l’immobilise, le sculpte. Avec son ciseau de sculpteur et les armes plus secrètes de sa musique, l’écrivain se bat contre la mort. Tout ce qui tend à situer la littérature à l’écart de ce drame se condamne à l’insignifiance. » Michel Mourlet ? Un pur classique.

Michel Mourlet, Trissotin, Tartuffe, Torquemada : la conjuration des trois « T« . Jalons d’un parcours rebelle 1956-2022, France Univers, 2023, 215 pages.

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Défendre la littérature !

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Sylvain Tesson à la première du film, Les Chemins noirs, au cinema UGC Normandie, Paris, le 13 mars 2023 Laurent VU/SIPA

Pour l’avocat Pierre-Henri Bovis, la récente tribune signée par des « poètes » et des « écrivains » pour protester contre le parrainage de Sylvain Tesson du Printemps des poètes constitue une nouvelle manifestation de l’intolérance woke. Combattre la cancel culture, c’est défendre la littérature.


C’est par une nouvelle tribune, rédigée naturellement en écriture inclusive, que la cancel culture s’est manifestée le 19 janvier, dans Libération, en s’opposant vigoureusement à la nomination de l’écrivain Sylvain Tesson en tant que parrain du Printemps des poètes 2024.

Le mouvement wokiste ne cesse de se propager dans les milieux culturels, littéraires, musicaux, cinématographiques, et impose sa nouvelle vision du monde. Les nains de Blanche-Neige sont discriminants, le baiser de la belle au bois dormant est un appel au viol tandis que Peter Pan est à la frontière de la pédophilie. Le chanteur et compositeur Kanye West n’a pas résisté à ce déferlement qui abat un peu plus à chaque passage les digues de la liberté d’expression. Agatha Christie n’a pas su résister longtemps aux fourches caudines de cette nouvelle gauche qui s’érige en maître de la bien-pensance en proposant la réécriture d’œuvres littéraires. À se demander si Hannah Arendt ne serait pas bientôt la prochaine cible.

Ce mouvement, quasi orwellien, s’immisce également dans le milieu du droit. Le cas de Jonathan Daval est criant, tant le métier d’avocat a subi des coups de canifs d’une association néo-féministe dont la réflexion ne semblait pas le premier atout. Cette association considérait que la défense de Jonathan Daval faisait peser la responsabilité du crime sur la victime. Un avocat qui assure au mieux la défense de ce genre de criminels serait d’ailleurs complice de ces méfaits au point d’oublier la notion même de « défendre » et la vocation première d’un avocat, qui est un « vir bonus, dicendi peritus ».

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Désormais, l’écrivain Sylvain Tesson en fait les frais. Cet écrivain baroudeur, à la découverte du monde, à l’image d’Ernest Hemingway qui titubait au bar du Ritz, ou de Jack London aventurier invétéré, est une figure incontestable de la littérature française.

Mais sa nomination en tant que parrain du Printemps des poètes 2024 est vécue par certains comme un affront et un appel du pied à l’extrême droite. Ses écrits ne seraient pas jugés assez orientés à gauche politiquement. Le reproche principal, outre son penchant « traditionnaliste », est la rédaction de la préface d’un ouvrage écrit par un autre écrivain de renom, Jean Raspail qui, malgré ce que l’on pense, a manqué de peu de siéger à l’Académie française au fauteuil du philosophe Jean Guitton.

Pour ces quelques raisons, la gauche tente de faire taire Sylvain Tesson. Inutile de perdre son temps à polémiquer, débattre, échanger, discuter, il faut le censurer pour une quasi-atteinte aux bonnes mœurs. C’est à se demander si ce n’est pas bientôt le retour aux grands procès du XIXe au cours duquel le procureur impérial Pinard s’acharnait contre les Fleurs du Mal et Madame Bovary pour séduire Napoléon III.

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Si le procureur impérial n’est plus, la mentalité demeure intacte et se traduit de nos jours par des appels à signer des pétitions visant la censure. Or, dans ces cas précis, les pétitions reflètent cette facilité de mettre au ban un individu par ses signataires qui n’ont écrit aucune ligne ni pesé aucun mot. Apposer son nom permet, lâchement, de se donner une soi-disant bonne conscience. Pourtant, dans un tel cas de censure, la pétition affiche une détestation, une haine de l’autre, au point de vouloir l’interdire.

Loin de la philosophie de Voltaire selon laquelle chaque individu doit pouvoir s’exprimer, nonobstant la contradiction sévère que nous pouvons lui apporter, cette nouvelle génération wokiste souhaite arbitrairement censurer, interdire, cacher, effacer, dissimuler.

L’ensemble des signataires, pour la plupart inconnus, a permis une nouvelle fois de faire vivre cet appauvrissement sévère de l’esprit, cette négation de la diversité du génie humain. Il faut pourtant se féliciter des nombreux soutiens politiques apportés à Sylvain Tesson et, plus que de le soutenir, acheter et lire ses écrits permettra de lutter contre cette déferlante qui veut détricoter, jour après jour, notre patrimoine sacré.