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Faste retour d’Egypte au Palais Garnier

Un chef-d'œuvre absolu de l’opéra seria au Palais Garnier


Faste retour d’Egypte au Palais Garnier
Giulio Cesare 23-24 © Vincent Pontet-Opéra national Paris

Giulio Cesare in Egitto, le chef-d’oeuvre opératique de Georg Friedrich Haendel, est de retour à Paris dans la mise en scène de Laurent Pelly de 2011 qui ne cache rien de la violence et de la luxure de cette oeuvre.


Deux meurtres sur scène, plusieurs tentatives de viol, et même (vue de dos, précisons !) une fellation homosexuelle en live : millésimée 2011, la mise en scène de Laurent Pelly reprise à présent sous les ors du Palais Garnier ne cèle rien, ni de la violence ni de la luxure qui s’ébattent dans Giulio Cesare in Egitto, sommet lyrique du grand Haendel, créé à Londres en 1724 pour la Royal Academy of Music, ville où le compositeur d’origine allemande s’était installé depuis quatorze ans et qu’il ne quittera plus jusqu’à sa mort en 1759.

Base d’adaptations antérieures, l’opéra n’en marie pas moins les registres, dans la tradition shakespearienne et comme l’exigeait alors l’esthétique vénitienne – on chante en italien, bien entendu, et dans des rôles travestis pour la plupart -, la veine comique s’infiltrant dans le tragique le plus sanguinaire. Pelly, non seulement joue avec brio de ces contrastes, mais un décor très imaginatif, signé Chantal Thomas, figure les réserves du musée du Caire, convoquant dans un allègre raccourci historique tout l’arsenal iconographique et statuaire qui a fait fantasmer l’Occident, trois siècles durant, sur l’Egypte antique.

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Ainsi, dans la scène d’ouverture, au lieu de la tête coupée d’un Pompée sanguinolant déposée sur un plateau au pied de César sous les yeux horrifiés de son épouse Cornélie, c’est une statue géante du général romain qu’on voit arriver en caisse de bois sur le plateau, apportée sur un diable par le personnel du musée, sous la surveillance des conservateurs. Le répertoire de la manie égyptologique infuse avec beaucoup d’esprit et d’élégance les trois actes de l’opéra, depuis les chromos d’Alexandre Cabanel jusqu’aux huiles orientalistes de Jean-Léon Gérôme, en passant par les tapis dans l’un lesquels on verra même se rouler la reine d’Egypte… Le pittoresque antique anime donc à loisir, d’un bout à l’autre, la dramaturgie féroce qui oppose l’incorruptible veuve romaine Cornélie et Sextus, son fils dévoué, à la reine égyptienne Cléopâtre, trahie par le jouisseur efféminé Ptolémée et le conjuré Achillas, et bientôt éprise d’un Jules César lui-même conquis par sa beauté…

L’Orchestre national de Paris, fait d’instruments modernes, n’est pas spécialement « baroqueux », quoique la baguette du chef britannique Harry Bicket (lequel dirigeait déjà Ariodante, du même Haendel, l’an passé) le fasse sonner dans l’esprit du Concert d’Astrée qui emplissait la fosse lors de la création de cette production comme à sa reprise deux ans plus tard.

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La mezzo-soprano Gaelle Arquez campe avec l’extraordinaire virtuosité qu’on lui connaît le rôle travesti de César (jadis chanté par un castrat comme l’on sait) pour lequel elle avait été d’ailleurs ovationnée en 2022 au Théâtre des Champs-Élysées, dans une mise en scène de Damiano Michieletto plus controversée.  En Cléopâtre, à peine vêtue d’une tunique blanche presque transparente, la fabuleuse soprano cubano-américaine Lisette Oropesa impose quant à elle une agilité, une précision souveraine dans les trilles acrobatiques de la partition. L’adolescent Sextus, sous les traits de l’excellente mezzo – soprano canadienne Emily D’Angelo (rôle-titre d’Ariodante en 2023, on s’en souvient), fait merveille par son allure androgyne, si parfaitement accordée au rôle. Le jeune contre-ténor français Rémi Bres, qu’on découvre à l’Opéra de Paris, se signale par son irrésistible talent comique et son timbre irréprochable dans l’emploi burlesque d’un Nirenus (le confident de Cléopâtre et de Ptolémée) pastichant dans sa gestuelle de profil l’esthétique particulière à l’Egypte ancienne… La plantureuse contralto allemande Wiebke Lehmkuhl (Cornélie), le baryton-basse vénézuélien Luca Pisaroni (Achillas) et le contre-ténor britannique Iestyn Davis (Ptolémée) complètent cette distribution impeccable. Elle magnifie la succession d’arias sublimes qui fait de ce chef-d’œuvre un must absolu de l’opéra seria.

Giulio Cesare. Opéra en trois actes de Georg Friedrich Haendel (1724). Direction Harry Bicket. Mise en scène Laurent Pelly.  Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris. Avec Emily D’Angelo, Adrien Mathonat, Wiebke Lehmkuhl, Marianne Cressaba, Lisette Oropesa, Iestyn Davies, Luca Pisaroni, Rémy Brès.

Palais Garnier, les 23, 25, 27, 30 janvier, 2, 8, 10, 12, 14, 16 février à 19h. Le 4 février à 14h30. Durée : 4h15.



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