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Les marottes de Monsieur Nostalgie

Les vœux de Thomas Morales, votre chroniqueur du dimanche


Les marottes de Monsieur Nostalgie
Aldo Maccione et Mireille Darc dans "Les Ringards', 1978 © SIPA

Commençons cette nouvelle année par labourer le passé en se souvenant de quelques figures oubliées… Jean Carmet, Félicien Marceau, Aldo Maccione, Nestor Burma, un moutonnier des Landes et tous les autres écartés des programmes officiels


En ce premier dimanche de 2024, je ne vous ferai pas l’injure de parler du présent, lamentable, obscène, désolant de petitesse, indigne pour des Hommes qui aiment la lecture et le cinéma, la farce et la dissidence, la vrille et l’immensité, les rigolards et les esthètes réunis. L’actualité culturelle qui se superpose à l’actualité judiciaire, dans un enchevêtrement malsain et concurrentiel, nous éloigne des œuvres, de leur suc et de leur écho, de cette onde que je tente, chaque fin de semaine, de retenir avec des mots.

Profession : chroniqueur dilettante

Ma mission de chroniqueur dilettante consiste à capter ces infrasons du monde d’avant, ces pulsations infimes qui nous rendaient moins cons et plus vivants, surtout moins amers. Alors dans cet océan de noirceur qui ne pense qu’à avilir et salir la mémoire, je reprends ma gaffe pour faire émerger quelques personnalités qui n’ont droit à aucun traitement médiatique, même pas à l’opprobre ; seulement l’indifférence les pointe du doigt, c’est la rançon des plus estimables d’entre nous. Je me retrouve donc dans la peau du sauveteur des mers qui n’a pas assez de bouées pour ramener tous mes artistes aimés sur la plage.

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Déjà, réparons quelques injustices de l’année 2023, la presse si prompte à panthéoniser, c’est-à-dire à choisir et à élire les plus serviles du biotope, a subi des ratés. Elle a la mémoire qui flanche, elle ne sait plus reconnaître le véritable talent, pourtant il explose à chaque ligne pour celui qui sait encore lire. Les gens de culture pratiquent aujourd’hui une lecture parcellaire et inquisitoriale, ils sont incapables d’être pénétrés par un texte, une rythmique, une forme de dépossession, une élévation, un soupçon d’incertitude ; ils sont prisonniers de leur mal-être, imperméables à la beauté et au dépassement de leur « moi ». Ils veulent le bûcher pour les déviants, ils crient à l’hallali des bibliothèques pour imposer une vision d’un monde univoque et volontiers culpabilisant. Le silence autour de plusieurs écrivains disparus est une insulte à l’intelligence et aussi une faute professionnelle.

Nous aurions pu, par exemple, célébrer les 110 ans de la naissance de Félicien Marceau (1913 – 2012), romancier d’une finesse inégalée et auteur de pièces magistrales du répertoire français. On ne biffa même pas son nom des possibles commémorations. Qui se souvenait de lui dans les cénacles décisionnaires ? Personne. François Périer, comédien de classe internationale, écrivait dans son autobiographie Profession : menteur parue en 1989 tout le bien qu’il pensait de cet immortel : « Félicien Marceau dont je venais de jouer La Preuve par quatre me fit l’amitié de me proposer Un jour j’ai rencontré la Vérité. Un rôle sur mesure. J’ai compris toute l’affection dont était capable cet homme froid d’apparence, peu disert, et qui portait de secrètes blessures. Il sut me montrer qu’il était un véritable ami ». L’année dernière, si Guy Marchand reçut des nécrologies méritées, on fit peu de cas de Nestor Burma. Nous aurions pu, collectivement, se rappeler que 120, rue de la Gare était sorti en 1943 et que, depuis 80 ans, le détective privé imaginé par Léo Malet (1909 – 1996) hante les arrondissements de Paris. L’anarchisme végétalien de son auteur heurte visiblement encore trop les bonnes consciences. Pourtant, à quelques mois des Jeux Olympiques, Nestor nous aiderait à éclaircir les nouveaux mystères de la capitale. Me revient ce projet de chanson en collaboration avec Louis Ferreiri datant de 1955 qui n’a pas pris une ride :

« Des Buttes-Chaumont à Grenelle,
Opéra, Passy, La Chapelle,
et d’la Foir’du Trôn’ à Denfert,
Monsieur Nestor se silhouette
la pipe au bec, toujours en quête,
d’une bizarrerie dans l’air. »

Jean Carmet, reviens !

Pour cette année 2024, je me permets de lancer quelques pistes de réflexion à nos thuriféraires des ministères. Sachez que nous commémorerons les 30 ans de la disparition de Jean Carmet, immense acteur et chantre du fromage de tête. Son humilité et son génie nous manquent cruellement. « Maintenant, il arrive qu’on m’appelle « Monsieur ». Quand quelqu’un appelle « Monsieur », je regarde toujours derrière moi pour savoir à qui on s’adresse » disait-il, dans son « semblant de journal » sorti en 2001.

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Je fais le vœu pieux que la Cinémathèque organise une rétrospective « Aldo Maccione » né en 1935, n’attendons pas qu’il soit trop tard. Je souhaiterais également que Gabriel Attal offre à tous les collégiens de France Vie et mort de Jean Chalosse moutonnier des Landes de Roger Boussinot (Grand Prix littéraire des lectrices de Elle en 1976), juste pour ces quelques phrases : « Il venait du fond des âges. Il portait avec lui, en lui, les divinités, les mystères, les signes, l’expérience, les vérités des civilisations pastorales, bien plus de fois millénaires que la religion des églises pour gens des bourgs et des villes ». Et si la télévision pouvait adapter « Pierrot des solitudes » de Pierre Kyria, roman de 1979 édité dans la collection « L’Instant romanesque », je serais le plus heureux des chroniqueurs. Aucun livre ne décrit mieux la province : « La province a ses manières, mais pas dans la rue. Tout le contraire de la capitale, en somme. Les passants ne vous jetaient pas un regard ; ils allaient à leurs affaires, l’usage leur commandait de ne réserver aux promeneurs qu’une parfaite indifférence. L’usage du temps bien employé exclut la fantaisie, c’est une évidence provinciale qui a valeur de loi ».

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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