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Stanislas: le beurre, l’argent du beurre et le cul de la crémière


Stanislas: le beurre, l’argent du beurre et le cul de la crémière
© Thomas SAMSON / AFP

Après 45 ans de travail dans l’enseignement public, on n’attendait pas de notre chroniqueur, à l’occasion de la polémique autour de Stanislas, qu’il tresse des couronnes à l’enseignement privé. Ni qu’il exalte un enseignement public dont il fut le premier à constater que c’était « la fabrique des crétins » — que les crétins soient les élèves, certains enseignants entichés de pédagogisme, ou des responsables ministériels (et au plus haut niveau) qui n’entravent que pouic à l’Ecole. En fait, son avis d’expert est balancé, et témoigne d’une pensée… complexe.


L’inscription à Stanislas, sous un prétexte parfaitement foireux, des rejetons de la ministresse a redéclenché une guerre scolaire que l’on pensait réglée depuis la loi Debré — dont je convie le lecteur à prendre connaissance, pour bien mesurer ce que l’on avait cru enfoui et qui cheminait souterrainement.

C’est confortable, au fond, de gérer une école privée sous contrat. On reçoit des fonds (importants : l’ensemble des salaires, plus diverses allocations municipales et régionales, ce n’est pas rien).

En échange de cette manne inouïe, l’enseignement privé sous contrat n’a que des charges légères : suivre les programmes, par exemple. Il n’est même pas obligé de prendre les postulants qui se présentent — il fait le tri, de façon à ne garder que les élèves méritants, c’est-à-dire bien nés. Les Anciens de Stanislas ou de l’Alsacienne (le pendant protestant des catholiques de « Stan ») se tutoient, se partagent les postes, et se reconnaissent comme les oligarques d’un système démocratique qui croyait en avoir fini avec l’aristocratie. Molière a écrit l’Ecole des femmes ; ici, c’est l’Ecole de L’Entre-soi.

Etonnez-vous qu’on leur impose sans problèmes une tenue décente, des chaussures en cuir, une attitude raisonnable, pas de smartphones dans l’enceinte de l’établissement et une assiduité visible ?

Ne croyez pas un instant que les enseignants soient meilleurs que ceux du privé. L’enseignement privé a ses propres concours, mais le nombre d’agrégés, par exemple, est sensiblement inférieur à celui des grands lycées publics. Ils font rarement grève (mais cela arrive), et comme la gestion de ces bahuts est proche, on les remplace, en cas d’absence prolongée — quitte à faire appel à des parents pour assurer la continuité…

Le rectorat de Paris — ça a fait suffisamment jaser — a imposé aux lycées publics, via Affelnet, un système qui oblige à avoir un certain quota d’élèves à IPS (Indice de Position Sociale) moins reluisant que les natifs du Ve arrondissement. Pas des cancres — juste des élèves méritants qui étaient jusque-là rejetés loin des havres de grâce que sont Louis-le-Grand ou H-IV.
Mais les bahuts privés ont gardé la haute main sur leurs recrutements. Tout juste s’ils ont accepté de déclarer les noms de ceux qu’ils prennent en Seconde, de façon à libérer autant de places ailleurs, en cas de candidatures multiples — ce qui n’est pas rare.

Donnez-moi le droit de recruter qui je veux, et j’aurai sans problème 100% de reçus avec mention au Bac. Pas bien sorcier. Ceux qui vantent l’excellence de Stanislas devraient réfléchir. Le vrai mérite, c’est de faire réussir ceux qui ne sont pas nés avec une cuiller en or dans la bouche.

Les programmes sont donc censés être les mêmes — et des Inspecteurs sont là pour s’en assurer. Le catéchisme par exemple ne peut être qu’une option — et un établissement catholique qui le rendrait obligatoire serait gravement en infraction avec la loi.
Je dis bien « catéchisme » — là où l’on apprend que la Vierge le fut avant, pendant et après, que Judas était roux, que les habitants de Sodome tentèrent de… sodomiser un ange passant chez Loth, et que Moïse flottait bébé sur le Nil, tout comme Romulus et Rémus quelques siècles auparavant.

La culture religieuse, c’est tout autre chose. Dans mon souci de distiller à des classes pleines de musulmans ignares le minimum requis de Culture générale, j’avais fabriqué de (très longs) PowerPoints où avec force tableaux de maîtres et commentaires écrits, j’expliquais l’Ancien et le Nouveau testament — et le Coran, pendant que j’y étais —, le martyrologe chrétien (ah, saint Denis ramassant sa tête, c’est quelque chose !) et quelques réflexions sur les territoires du Diable. Mes élèves se délectèrent des diverses versions de la nudité de Bethsabée ou de Suzanne, et de la prédilection forcément sainte du vieux roi David pour les jeunes vierges. Entre autres. Après tout, sans quelques connaissances précises des visions attribuées à saint Jean, qui comprendrait le film de Minelli tiré du roman de Blasco Ibañez, Les Quatre cavaliers de l’Apocalypse ?

Je n’ai bien évidemment rien contre le fait que des parents inscrivent leurs enfants dans des établissements professant telle ou telle conviction religieuse. Toutes les superstitions sont dans la nature. Et tant que ça ne contrarie pas les lois de la République…

D’où le fait qu’un lycée musulman faisant l’éloge de la charia se met naturellement hors la loi. Imaginez un établissement catholique qui à la lecture du présent article me condamnerait au bûcher…

L’ordre et la morale tiennent moins au ressassement des Dix commandements (dont la Déclaration des Droits de l’homme n’est au fond qu’une version laïque) qu’à l’étude des Lumières. C’est par la Culture (littéraire, artistique ou scientifique) que l’on s’intègre à la communauté nationale. Pas autrement.

Le hic, c’est que les lycées publics ne bénéficient pas des mêmes privilèges que le privé. Il faut accepter que le public embauche ses enseignants, avec beaucoup de flexibilité, gère ses budgets, édicte des règles de vie strictes, avec une possibilité d’exclure les élèves problématiques, au lieu de les inscrire à un stage poney. Il faut réécrire les programmes, de façon à ce que les enseignants sachent, à toute heure de cours, ce qu’ils doivent enseigner, sans avoir à le faire deviner (en vain) à des élèves censés construire leurs propres savoirs. Il faut que l’ordre et la discipline règnent dans le public comme dans le privé — et alors, alors seulement, le match privé / public n’aura plus de raison d’être, et les journaux pourront parler d’affaires graves, au lieu de vendre du papier en y étalant les classements toujours vains des établissements.




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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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