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Prière de ne pas y toucher

L’art a toujours porté la promesse de nous libérer du temps et de la mort. Devenu « contemporain », il s’est soumis au présent et à l’argent. Désacralisé par la modernité, l’art n’honore plus la vie. Ce qui signifie qu’il se meurt.


Ce que nous appelons « art » est cet objet inutile qui se laissait autrefois entrevoir dans les temples, puis dans les églises du MoyenÂge, à demi caché et relégué dans les hauteurs, déployé enfin dans les palais des puissants, et aujourd’hui ce fourbi sans destinataire et sans but qui s’étale dans les musées.

Soumission au temps

L’art « contemporain », par son étymologie, est l’art de son temps, né de son temps. Concubinage chaque fois renouvelé de la création avec la poussée des heures, il fait parfois apparaître des monstres, des êtres dont on supporte à peine la vue.

Curieusement, depuis que le mot « art » lui-même s’est imposé pour désigner la capacité de fabriquer des œuvres qui ne seraient plus d’ordre utilitaire, pratique ou consumériste, il ne prétend plus se délivrer du temps. « Contemporain », l’art est au contraire celui de la soumission au temps. Et, version militante, quasi guerrière, il y a l’art d’« avant-garde », pratiqué par des milices héroïques, devant des amateurs ébahis, pour explorer le champ militarisé du présent.

Le temps mène à la mort et l’art est supposé nous donner le pouvoir de dominer le temps. Ce qu’on appelle aujourd’hui – par habitude ou par paresse – « art » a toujours été l’exercice d’une activité permettant d’échapper à la maladie du temps et à notre condition d’être mortel. À l’origine, l’art fut une promesse, celle de la transfiguration : accéder à la beauté des dieux et des déesses antiques, côtoyer les Anges et les Dominations, puis les rois et les reines, les courtisans et les courtisanes, les capitaines d’industrie et les « créateurs » de l’esprit. Ainsi sommes-nous passés de l’époque antique à l’époque moderne. Aujourd’hui, parvenus au terme de la transcendance, qui représenter, admirer, honorer ou sublimer ?

Comment « canceller » une culture déjà défaite ?

Notre modernité est marquée par la grande confusion des combats. La cancel culture est l’un d’eux. Mais comment annuler, effacer, « canceller » une culture déjà défaite ? La cancel culture est un champ de mines posé sur un champ de ruines. Que reste-t-il, par exemple, de notre compréhension de l’iconographie médiévale, cet art d’une richesse, d’une beauté et d’une philosophie sacrale sans équivalent ? Savons-nous encore ce qu’est une Pietà ? L’oubli par l’ignorance rivalise avec les idéologies du moment. Nous voici ramenés à la boue, à la gadoue, aux soupes monochromes lancées sur des tableaux dans les musées, à la matière informe qui rappelle les giclées de peinture de l’art abstrait et les exubérances excrémentielles des créations des années 1960.

L’art contemporain se comprendrait comme le processus du renversement de la sainte trinité freudienne, la topique qui, dans le psychisme d’un individu, s’équilibre entre le Moi, le Ça et le Surmoi. Une dynamique entre exigences pulsionnelles et inconscientes du présent, et formation d’idéaux et d’exigences venus d’un passé lointain. Ce retournement fait apparaître la domination du Ça sur le Moi, et fait disparaître le Surmoi.

Notre culture est effacée depuis longtemps. Laïcisé, désacralisé, l’art relève aujourd’hui de la sensibilité et du goût, plus que du savoir et de la connaissance. Il suffit de montrer une paire de seins pour que l’on crie à l’obscénité, alors que les plus grandes œuvres de la peinture sont des œuvres érotiques. L’histoire de l’art, que l’on n’enseigne pas assez, et que j’ai apprise aux États-Unis lorsque j’étais étudiant grâce à une pléiade de savants formés à Vienne, est une discipline aussi riche que l’histoire des idées. L’iconographie raconte les images, le sens profond délivré par un ensemble de formes et de couleurs qui n’ont rien d’arbitraire et ne sont pas la manifestation d’une subjectivité devenue folle.

S’il s’agit de sa valeur, l’art n’a plus qu’une valeur monétaire. Une œuvre d’art, c’est désormais le prix qu’on lui assigne en salle des ventes. Un objet précieux, de l’argent qui dépasse toutes les valeurs, de cet or qu’on a si longtemps cependant comparé, dans son surgissement soudain, aux fèces.

Stade ultime donc : retour à l’excrément.

Gustave Flaubert, que je lis en ce moment, est sans doute celui qui, au cœur même du xixe siècle, a le mieux décrit ces processus dont il fut le contemporain : le personnage de Jacques Arnoux, le propriétaire de l’Art industriel, un marchand de tableaux, qui vend des boîtes de couleurs, des pinceaux, des chevalets et des faux en peinture, « un homme qui bat monnaie avec des turpitudes politiques ». Quant à Bouvard et Pécuchet, ils incarnent mieux que quiconque la fausse science, le mauvais goût, la rapacité et la prétention d’une classe bourgeoise naissante qui fut, en son temps, la parfaite préfiguration des partisans du wokisme aujourd’hui. 

J’ai toujours été convaincu du sérieux de l’art. Le musée a un rôle important : il est le lieu où l’on rassemble les icônes, étymologiquement les images, et qui, débarrassées de leur dimension sacrée, n’en gardent pas moins une puissance incroyable, un magnétisme qui ne faiblit pas. Mais l’art, comme la science dont il a longtemps été inséparable, est en train de crever. L’art crève à partir du moment où il n’est plus là pour honorer la vie ; la science crève de n’être vouée qu’à apaiser les souffrances finales. Honorer la vie, c’est honorer l’individu, son visage, honorer l’homme en tant que personne. Car l’homme n’est ni interchangeable ni renouvelable.

Rendons à la culture son pouvoir de rendre le monde habitable.


À lire
Jean Clair, Le Livre des amis, Gallimard, 2023.

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Qu’apporter, au Japon, lorsque vous êtes invité à un dîner?

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Notre chroniqueur s’étant proposé de partir au Japon pour envoyer à Causeur des reportages pris sur le vif, la Rédaction lui a donné le feu vert,­ d’autant qu’il annonçait en même temps qu’il le ferait à ses frais.
Et comme nous sommes pauvres…


Jean-Paul Brighelli en voyage au pays du soleil levant (1)


Sans doute vous rappelez-vous Brel :

« J’vous ai apporté des bonbons
Parce que les fleurs c’est périssable… »

Qu’apporter, au Japon, lorsque vous êtes invité à un dîner ? En France, il y a toujours la solution de la bouteille de Bordeaux made in Occitania (je ne plaisante pas, j’ai longtemps habité Nébian, dans l’Hérault, juste au-dessus d’une cave viticole où les vignerons apportaient le vrac, et où les camions-citerne immatriculés en 33 venaient faire le plein de médocs et de graves pour supermarchés bas de gamme). Si vous êtes vraiment distingué, vous faites envoyer à la maîtresse de maison une douzaine de roses qui devront arriver une heure avant vous.

Au Japon, vous apportez un fruit.

Comment ? Un fruit ? Vous êtes sûr ? Ça ne fait pas un peu chiche ?

Hmm…  Un melon, c’est 14000 yens — soit près de 90€. Une mangue vaut 16 200 yens, soit une petite centaine d’euros. Et la corbeille de fruits (oh, rien d’extraordinaire, melon, mangue, pomme, une orange…), c’est 31 320 yens, soit 190 €. Soit, reconverti en roses de chez nous, une soixantaine de roses ­— un beau bouquet, mazette…

Cela ne signifie pas que le Japon ne produit pas de mangues — surtout à Okinawa, où je me suis posé. Ni de melons, et autres fruits du jardin d’Eden. C’est une île tropicale bénie des dieux, où tout croule sous les orchidées (qui décorent l’aéroport de Naha, par exemple) et en hibiscus, qui bordent les trottoirs. Non : c’est seulement que les fruits que l’on vous vend sont tout simplement parfaits. Objets d’une sélection impitoyable. Le Japon ne tolère que la perfection.

Les amateurs de jolies voitures savent bien qu’entre une voiture japonaise et une voiture européenne, dans la même gamme, il n’y a pas photo en termes de ligne, de motorisation et de fiabilité. D’une vertu commune au pays du soleil levant, les industriels de là-bas ont fait un argument de vente. Sans se forcer, puisque la perfection est la norme.

(Parenthèse. Il n’y a pas si longtemps, nous osions offrir des fruits aux dames dont nous entreprenions la conquête. Pas forcément des pommes, dont la symbolique biblique est un peu lourde, mais par exemple des belles poires : c’est ce que fait Bel-Ami, dans le roman homonyme de Maupassant, pour séduire Mme Walter, l’épouse de son patron).

A lire aussi, du même auteur: Uniforme à l’école? Osons un référendum!

Il est très difficile, commercialement parlant, de rivaliser avec des perfectionnistes, et de les concurrencer. Le grand linguiste Edward T. Hall (Comprendre les Japonais, Seuil, 1991) raconte comment une firme de vaisselle fine, à Limoges, s’est vu refuser un premier envoi de 100 000 théières en porcelaine blanche parce qu’elles étaient imperceptiblement bancales, quand on les posait sur une table laquée — un défaut qui passe inaperçu en Europe, où l’on pose les théières sur un napperon qui égalise les micro-défauts. Et comment Renault n’était parvenu à vendre aucune voiture, n’ayant pas daigné mettre le volant à droite en inversant les commandes, dans un pays où l’on roule à gauche, ce qu’apparemment le constructeur français ignorait. Quand l’ignorance le dispute à la prétention…

D’où le goût des Japonais pour les uniformes (scolaires aujourd’hui, militaires autrefois), pour les jolis habits (il faut voir le regard de mépris qu’ils jettent sur les Américains vêtus de jeans troués) et pour les carnations et les dentitions parfaites.

(Seconde parenthèse. Il faudra que l’on m’explique pourquoi les Européens disent « les Jaunes ». Le teint standard des jolies Japonaises hésite entre la perle nacrée et l’ivoire pâle. Si vous ajoutez à cela qu’elles ont des cheveux noirs « comme l’ébène », dirait Perrault dans Blanche-Neige, vous obtenez un standard de beauté très élevé, auquel nous n’avons à opposer que Kim Kardashian et Aya Nakamura. C’est vrai aussi chez les hommes : pas un hasard si Alain Delon, au faîte de sa gloire, jouissait d’une réputation inégalée dans l’archipel, simplement parce qu’à l’époque du Guépard ou de Plein soleil, il était remarquablement beau).

La France a longtemps été une référence incontournable dans ce domaine. Nous avons produit, entre le XVIe et le début du XXe siècle, des chefs-d’œuvre dans tous les arts — à commencer par la mode. Mais c’est fini : quand on en est à admirer les bouses que produisent des « créateurs » imbus de leur personne sans réel motif, c’est qu’on a renoncé à se battre sur le seul terrain culturellement et commercialement viable, celui de la beauté. Nous n’exportons plus guère que de la haute cuisine au Japon, parce que l’art culinaire sait que la dégustation commence dès le premier regard sur l’assiette. Et j’espère que c’est toujours ce que l’on apprend, dans les lycées hôteliers, aux élèves en formation, derniers remparts de la présence française dans le monde.

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Quand Stefan Zweig nous éclaire sur l’actualité : le monde d’hier, c’est celui d’aujourd’hui.


Notre civilisation française, et plus largement européenne, est malmenée et vacille, tout comme ce fut le cas entre les deux guerres mondiales.  Certes, les menaces auxquelles elle est confrontée ne sont plus celles d’autrefois. 
Actuellement, nous sommes fragilisés par une immigration massive et surtout par l’islam politique que nombreux, parmi les nouveaux arrivants, tentent d’imposer. Les rares qui s’y opposent sont anathématisés, les autres majoritaires, laissent faire par couardise ou accompagnent le mouvement par opportunisme.  
On observe alors dans notre pays les mêmes comportements décadents, la même atmosphère de folie débridée que ceux qui préludèrent au deuxième conflit mondial. Il suffit pour s’en assurer de relire Le Monde d’Hier, dernier livre rédigé par Stefan Zweig avant qu’il ne mît fin à ses jours.

A lire aussi, Gabriel Robin: Shemseddine tué devant son collège: de la culture de la honte

La France confrontée à la violence ou à l’islamisme du quotidien

D’où qu’on se tourne, depuis quelques temps, en France, c’est la Bérézina : on larde ou on tabasse qui ne se plie pas à la charia. Samara à Montpellier (34) a été passée à tabac parce qu’elle se vêtait à l’européenne. Shemseddine, À Viry-Châtillon (91), a été battu à mort pour avoir dragué la sœur de deux garçons. À Bordeaux (33), c’est un Afghan enturbanné qui, surin au poing, a fondu sur deux Algériens qui avaient eu la témérité de consommer de l’alcool, le jour de la fête de l’Aïd-el-Fitr. Il a tué l’un d’entre eux. Philippe, à Grande-Synthe (59), vient d’être roué de coups par des mineurs, il en est mort. Samedi dernier, c’était Kaboul à Paris : on a y vu des Afghans manifester après l’incendie de la rue de Charonne et dévaster tout un quartier du onzième arrondissement. Dimanche, la joyeuse bande des Insoumis, Louis Boyard et Mathilde Panot en tête, accompagnés de Salah Hamouri (soupçonné d’être membre d’un mouvement reconnu comme terroriste : le Front populaire de libération de la Palestine) marchait contre le racisme et l’islamophobie. Des milliers de manifestants les accompagnaient scandant les habituels slogans obscènes comme : « Urgence, urgence, la police assassine ». Dans le même temps, on apprenait la démission de Claude Cohen, maire de Mions (69), une commune proche de Lyon, las d’essuyer des insultes antisémites et des menaces de mort parce que Juif. Bien sûr, on vous passe les « refus d’obtempérer » et les rafales de Kalachnikov autour de points de deal tenus par des gamins à peine sortis des couches. Forcément, on est tenu, dans un grand renversement carnavalesque, de considérer les agresseurs, tueurs, racistes et autres agitateurs comme les vraies victimes ou, à tout le moins, de leur trouver des excuses et des circonstances atténuantes.

A lire aussi, Ivan Rioufol: Le temps est venu de ne plus craindre d’être «réac»

Attal, dernière chance pour l’école ?

Dans cette ambiance crépusculaire, il s’agit bien de faire table rase du passé et quand Zweig parle de l’Autriche d’avant la Seconde Guerre mondiale, c’est bien de la France d’aujourd’hui qu’il nous parle : « Dans les écoles, on constituait, sur le modèle russe, des comités de classe qui surveillaient les professeurs, « le plan d’étude » était aboli, car les enfants ne devaient et ne voulaient apprendre que ce qu’il leur plaisait. » Voilà qui fait furieusement songer à nos propres écoles, en ce moment. Nos écoliers n’y font, eux aussi, que ce qu’ils veulent et seront toujours plus enclins à se lever pour Danette qu’à la vue d’un professeur, n’en déplaise à Gabriel Attal. Poursuivons notre édifiante lecture : « Partout on proscrivait l’élément intelligible, la mélodie en musique, la ressemblance dans un portrait, la clarté de la langue. Les articles « le, la, les » furent supprimés, la construction de la phrase mise cul par-dessus tête (…) » Tout ça n’est sans rappeler tous les délires artistiques actuels et la folie de l’écriture inclusive. On lit encore, toujours dans Le Monde d’Hier : « On se révoltait contre toutes formes valables pour le seul goût de la révolte, même contre le vœu de la nature, contre l’éternelle polarité des sexes (…), l’homosexualité et les mœurs lesbiennes furent la grande mode, non pas par un penchant inné, mais par esprit de protestation contre les formes traditionnelles (…) de l’amour. »  Aujourd’hui, pas mieux. C’est toujours sus au bon sens ! Ainsi, aussitôt paru, le livre Transmania, signé Dora Moutot et Marguerite Stern, enquête nourrie sur les dérives de l’idéologie transgenre, se voit censuré1. La Mairie de Paris, suivie par celle de Lyon (jamais en reste), exige de l’afficheur JCDecaux qu’il retire sa publicité pour l’ouvrage. SOS homophobie déclare sur X le 20 avril : « La transphobie tue » et annonce porter plainte contre les auteurs de Transmania. Zweig poursuit : « Dans tous les domaines s’ouvrait une école d’expérimentations des plus téméraires et l’on prétendait, d’un seul bond fougueux, dépasser ce qui avait été fait, enfanté et produit ; plus un homme était jeune, moins il avait appris, plus il était le bienvenu par le seul fait qu’il ne se rattachait à aucune tradition. »

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L’ivresse de Mélenchon

Et, puis, il y a ceux qui surfent sur le tragique des époques pour assouvir leurs ambitions personnelles ; et hier, là encore, c’est aujourd’hui : « (…) dans la politique le communisme et le fascisme étaient les seules extrêmes qu’on accueillît favorablement. » Voyez plutôt le vociférant Jean-Luc Mélenchon et ses non moins braillards affidés sans cesse éructant contre qui n’adhère pas à la fable de la diversité heureuse ; leur seul but : capter les voix des électeurs des « quartiers ». Qu’importe au Lider Minimo s’il contribue ainsi au développement d’un antisémitisme nouveau, version XXIe siècle, voire à l’application de la charia dans certaines zones du territoire ; il aura l’ivresse de gouverner. Que dire enfin de ceux, qui au pouvoir, sont prodigues de mots, mais avares d’actions susceptibles d’enrayer la faillite générale sur laquelle ils ont fermé les yeux par intérêt ou par lâcheté ? « Nous ne laisserons rien passer », clament-ils, en chœur, tous les jours, parce que tous les jours, se passe ce qui ne devrait pas se passer. Gabriel Attal, du reste, vient, à Nice, de s’exprimer sur les comportements « violents » de « certains jeunes », à l’école, et voici qu’il s’auto-congratule, qualifiant son allocution de « discours de vérité et d’autorité. » Il précise, ça va de soi, que stopper la violence des jeunes est « sa priorité. » On attend les actes.

Citons, pour conclure, Zweig, encore, toujours dans son ouvrage ultime : « rien ne donne une impression plus spectrale que de voir soudain revenir a vous, dans sa même forme et sa même apparence, ce qu’on croyait, depuis longtemps, mort et enterré. »

Le Monde d'hier: Souvenirs d'un Européen

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  1. https://www.causeur.fr/transmania-le-plus-gros-casse-conceptuel-du-moment-281069 ↩︎

Et l’art, c’est du poulet ?

Impossible d’entendre les noms de Polanski ou de Depardieu sans qu’y soit accolée l’étiquette de prédateur sexuel. Leur culpabilité supposée a effacé leur œuvre. Pour les militants de la bonne cause, la dimension artistique n’existe plus, car l’art « n’est pas le sujet » !


« J’ai l’honneur de défendre Roman Polanski, un des plus grands réalisateurs de l’histoire du cinéma… » C’est par ces mots que s’est ouverte la plaidoirie de maître Delphine Meillet le 5 mars dernier devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Ce jour-là, on juge Polanski pour diffamation. La plaignante, c’est Charlotte Lewis, qui accuse publiquement (depuis 2010) le réalisateur de viol. Aujourd’hui elle l’attaque pour diffamation en raison de propos tenus par le cinéaste dans Paris Match en 2019 au sujet de ce viol allégué. Lorsque le journaliste évoque les accusations de Lewis, Polanski répond : «Voyez-vous, la première qualité d’un bon menteur, c’est une excellente mémoire. On mentionne toujours Charlotte Lewis dans la liste de mes accusatrices sans jamais relever ces contradictions. » Et lorsqu’on l’interroge sur les raisons qui la pousseraient à mentir, il déclare : « Qu’est-ce que j’en sais ? Frustration ? Il faudrait interroger des psys, des scientifiques, des historiens, que sais-je. » Voilà l’objet de la supposée diffamation.

C’est pas le sujet !

Mais ce procès n’est pas ce dont je veux parler ici. « J’ai l’honneur de défendre Roman Polanski, un des plus grands réalisateurs de l’histoire du cinéma. » Comment Delphine Meillet a-t-elle osé prononcer ces mots ? Rappeler et affirmer aujourd’hui que Polanski est « l’un des plus grands réalisateurs de l’histoire du cinéma » relève de la résistance. « Et alors ? Quel est le rapport ? C’est pas le sujet ! » dit-on dans les chaumières néoféministes. Et c’est bien vrai ! L’art n’est pas le sujet. Ni là, ni ailleurs. L’art n’est plus le sujet. Nulle part. Jamais. L’art ne compte pas. De Polanski, désormais, n’importe plus que le scandale. C’est le monde en train d’advenir. Polanski est un pédophile, Depardieu un gros porc et un violeur. Point. Leur œuvre : à la trappe. Ce n’est pas le sujet ! Il faut nier la dimension artistique, l’ignorer. Elle ne doit plus exister. Il faut la remplacer. La remplacer par autre chose. La remplacer par ce qui les obsède : les violences sexistes et sexuelles. Il ne faut plus que leurs noms soient synonymes d’art mais de viol, de violence, d’horreur. Des collages féministes affichaient d’ailleurs dans les rues en lettres capitales « VIOLANSKI ». Et voilà, le tour est joué ! Introduire le viol jusque dans son nom. Ainsi, le viol sera toujours le sujet. L’art, lui, le sera de moins en moins.

Adèle Haenel – au hasard ! – accepterait-elle de participer à un débat purement centré sur l’œuvre de Polanski, où les accusations de viol ne seraient pas le sujet ? Je ne crois pas. Pourquoi ? Parce que pour elle, comme pour beaucoup de militants MeToo, l’art ne compte pas. L’artiste ne vaut rien. Imaginez-vous la scène ! Allez, on se projette.

Deux ou trois personnes, dans une émission TV consacrée au cinéma, parlent du Bal des vampires. Elles analysent le génie avec lequel la scène du bal est tournée et décryptent avec passion l’immense numéro d’acteur burlesque de Jack MacGowran et Polanski tentant de tuer le comte Van Krolock endormi dans son cercueil. Mais, soudain, Adèle Haenel – silencieuse jusque-là – s’exclame : « Vous plaisantez ?! On parle d’un homme accusé de viol là ! Vous avez écouté les témoignages des victimes ? »« Adèle, ce n’est pas le sujet… », lui rétorque le présentateur.« Ce n’est pas le sujet ? Polanski est un violeur et ce n’est pas le sujet ? Bien sûr que c’est le sujet ! C’est le seul sujet ! »hurle Haenel.

J’imagine tellement la scène. Je la vois. C’est toujours le sujet ! Évidemment. C’est le seul sujet qui compte. Mais sortons de mon imagination. Dans la réalité actuelle, aucun présentateur ne se permettra de dire à Madame Haenel ou à Madame Mouglalis que « ce n’est pas le sujet ». On ose dire que l’art n’est pas le sujet. Ça on ose ! À longueur de journée ! Ça, on le rabâche. On le martèle. Comme pour nous faire croire que là, en l’occurrence, ce n’est pas le sujet. Et que ce serait le sujet dans une autre discussion, centrée sur l’art. Mais cette autre discussion n’a jamais lieu. Et si elle avait lieu, on y parlerait tout de même de viol. On entend déjà le journaliste cinéma du jour : « Nous ne pouvons évidemment pas évoquer l’œuvre de Roman Polanski sans rappeler qu’il est accusé de ceci et de cela par tel nombre de femmes, etc., etc. »

Sauver l’art

Ces gens de chez MeToo prétendent souvent ne pas vouloir faire interdire les œuvres des artistes accusés de violences sexistes ou sexuelles. Eux ne regarderont plus les films de Polanski ou de Depardieu, mais ils assurent ne pas vouloir en priver les autres. Pour le moment, oui. Taqiya ! Stratégie de dissimulation ! Patience… ! De toute façon, ils savent bien que leurs méthodes d’intimidation créent déjà de la censure. Ils savent que ça marche. Qui va recevoir dans son cinéma ou dans son festival un artiste que l’on qualifie de violeurà longueur d’émissions ? On annule la projection d’un film dans tel festival, on annule des concerts de Depardieu dans telle ou telle ville. C’est comme ça que ça se passe. Ce n’est pas une censure totale, mais des sabotages ici et là qui, additionnés, font masse et en entraînent d’autres. Ces militants ont en tête qu’ils doivent marquer « viol » au fer rouge sur le front des accusés. Lorsqu’on tape Polanski sur internet, ce sont les mots« agression sexuelle »« viol »« violences sexuelles » qui tapissent les pages Google. Pour Richard Berry c’est « inceste ».  Pour Benoît Jacquot c’est « emprise » et « viol ». « Mais qui parle de supprimer leurs œuvres ? » m’a-t-on plusieurs fois demandé sur les plateaux TV. Ils ne le disent pas… mais évidemment qu’ils en crèvent d’envie. Pour l’instant, certains d’entre eux disent vouloir« contextualiser » les œuvres pour que l’on sache bien si les participants d’un film sont tout à fait blanc-bleu. Dans leur monde rêvé, il y aurait donc sur les jaquettes des DVD des films de Polanski un bandeau « Ce film a été réalisé par un violeur » avec, au dos, la liste des crimes dont on l’accuse, comme on trouve écrit sur une barquette de cuisses de poulet « Élevé en plein air et sans traitement antibiotiques ». Son film, c’est du poulet ? Pas plus ? Eh bien je crois que nous y sommes, oui. L’art, c’est du poulet. L’art, c’est une chose comme une autre. Il doit y avoir une traçabilité du produit. Il ne faut plus que dans un article de presse, dans une revue de cinéma ou sur une affiche de film le nom d’un accusé se trouve à plus de cinq centimètres du mot viol. D’ailleurs, dans notre tribune « N’effacez pas Gérard Depardieu », publiée en décembre dernier dans Le Figaro, quelles sont les phrases qui ont le plus gêné ? « Lorsqu’on attaque Gérard Depardieu, c’est l’art qu’on attaque »« Gérard Depardieu est probablement le plus grand des acteurs » e« par son génie d’acteur, Gérard Depardieu participe au rayonnement artistique de notre pays ». Voilà des phrases impardonnables méritant le fameux « C’est pas le sujet ! ». Elles étaient pourtant nécessaires. Quand on ne parle de Depardieu que comme d’un porc et d’un violeur (au mépris de la présomption d’innocence en ce qui concerne le viol), que 56 artistes signent un texte rappelant que cet homme est un artiste majeur, était à mon avis salutaire. C’était un devoir de le faire. Chacun sa mission, chacun son combat. Le mien est de sauver les œuvres. De sauver l’art. C’est ce pour quoi j’ai choisi de me battre. Je voue un culte au grand art et je sais combien il sauve, combien il est nécessaire. Ça aussi, on pourrait en parler ! De tout le bien que Polanski a fait par ses films. Des masses qu’il a fait rêver, des âmes qu’il a sauvées de leur triste quotidien, du rêve qu’il a offert, de tous ceux qu’il a fait réfléchir, à qui il a ouvert les yeux à travers son regard aiguisé sur les abysses de l’humain. Mais non, l’art ne compte pas. Il ne sert à rien. La beauté non plus. Je me demande quel rapport Adèle Haenel, Caroline De Haas, Marine Turchi et Edwy Plenel entretiennent avec Mozart, Schumann et Strauss. Mon instinct me dit qu’ils sont imperméables à la beauté.En tout cas, ce n’est pas leur sujet ! Sur France Inter, Guillaume Meurice a consacré une chronique à l’hommage de la Cinémathèque à Roman Polanski. Un des quidams à qui il tend le micro pour les ridiculiser lui dit : « En ce moment c’est un peu la mode de parler de harcèlement sexuel et tout ça quoi […] et la Cinémathèque n’invite pas un obsédé sexuel ou quoi que ce soit, elle invite un cinéaste qui est là pour parler de cinéma. Pas de son cul ou de sa bite. » Réponse de Meurice : « Mais parlons cinéma enfin ! Merde ! C’est vrai ça, ça m’énerve. C’est pareil, à chaque fois qu’on parle de Guy Georges dans une émission, on parle que de ses crimes ! Le mec fait une super polenta et on n’en parle absolument jamais. » L’excellente polenta d’un tueur en série n’est effectivement pas un sujet.En revanche, l’œuvre d’un grand réalisateur (même accusé de viol !) est un sujet. Un sujet majeur ! Je refuse de mettre Rosemary’s Baby et la polenta de Guy Georges dans la même gamelle ! Pardon ? Oui, je sais : c’est pas le sujet !

Minotaures: Voyage au coeur de la corrida

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Pauvre Bitos, pauvre Anouilh, sa pièce raccourcie car trop contre révolutionnaire?

Le jeu de massacre grinçant de Jean Anouilh, « Pauvre Bitos – le Dîner de têtes », est de retour au théâtre Hébertot.


On connait bien sûr le sens d’un dîner de famille, ou d’un dîner de cons. Dans certains cas, ces deux-là forment un pléonasme ! Celui d’un dîner de têtes est nettement moins connu. Passée de mode, l’expression a été remplacée par la formule plus festive de la « soirée à thème » ou de la « soirée déguisée », ce qui signifie la même chose sauf que concernant le dîner de têtes, seule la tête est grimée. Thierry Harcout la remet au goût du jour en mettant en scène Pauvre Bitos au Théâtre Hébertot, une des pièces les plus grinçantes de Jean Anouilh, où le rire n’est jamais léger et insouciant mais grave et plombant.

Qu’on lui coupe la tête !

Le récit se déroule après la Deuxième Guerre mondiale, au moment où la Libération du pays fait place à l’épuration des traitres. Un groupe d’amis, appartenant tous à la bonne société d’une petite ville de province, convie André Bitos, un ancien camarade de classe devenu un magistrat un peu raide suscitant exaspération et jalousie. Quoi de plus propice pour régler ses comptes avec l’intéressé, que de jouer un des acteurs de la Terreur révolutionnaire ? Derrière leurs masques de Saint-Just, Danton, Desmoulins, Mirabeau ou Tallien, les convives ravivent quelques rancœurs passées et s’adonnent à leurs envies pressantes de vengeance contre celui qui est la tête de Turc du diner : Bitos. Mais ce dernier n’a malheureusement pas pris comme tête d’époque celle de la victime expiatoire, Louis XVI, mais celle de Maximilien de Robespierre dit l’Incorruptible. Dire que des députés Insoumis comme Antoine Lémaument revendiquent sans vergogne l’héritage de ce dernier qu’ils considèrent républicain, alors qu’il n’est qu’un meurtrier !

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Le spectateur est donc transporté à une époque où garder sa tête pouvait relever de l’exception au regard de la cadence infernale avec laquelle le rasoir national fonctionnait. Les répliques fusent, les formules respirent un cynisme jubilatoire, on rit – mais on rit jaune – devant le télescopage de ces deux époques sombres de notre histoire où la dénonciation de son voisin devient un sport national.

L’Incorruptible voulait une République vertueuse, il a instauré une République tueuse

Pour mieux souligner le rapprochement entre l’épuration et la Terreur – ce qui fit tant scandale à l’époque – Anouilh joue sur le mélange entre fiction et réalité. Au fil de sa pièce, les masques deviennent les têtes et le magistrat Bitos se transforme en l’avocat d’Arras. L’auteur insiste sur leur similitude qui dépasse leur fonction sociale pour embrasser celle de leur caractère. Bitos comme Robespierre est aussi raide qu’une pique, aussi tranchant qu’une lame. Mais surtout, il partage avec l’Incorruptible le fantasme d’une vertu virginale et un dégoût immodéré pour le peuple qu’il se targue de défendre alors qu’il ne fait que le mépriser. « Je n’aime personne, même pas le peuple, il pue… » assène-t-il. Autre sortie haineuse : « Je vous ferai passer le goût de vivre et d’être des hommes, je vous ferai propre, moi ! ». Anouilh rend cette évocation de la propreté récurrente dans la bouche de Bitos, alias Robespierre. Et ce n’est pas anodin. Il faut très certainement y voir la référence à la guillotine qui fut jugée à l’époque comme une invention humaniste. C’est que la grande Veuve tuait mécaniquement, anonymement, rapidement – en « un clin d’œil » comme on disait à l’époque – et surtout, proprement. Le bourreau n’avait plus qu’à actionner le couperet. Exit la hache, l’épuisement physique d’un homme, sa souffrance morale. Plus de marre de sang, place nette. « Je vous ferai propre moi ! », dans ce cri fiévreux, résonne tout le projet révolutionnaire de créer un homme nouveau qui jaillirait de la cuisse de la Terreur révolutionnaire. Pour les agités du hachoir, c’est par et grâce à la guillotine que le peuple peut et doit se régénérer pour former une république vertueuse. Dans son Rapport sur les principes de morale politique, Robespierre légitimait la Terreur comme n’étant pas « autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible (…) une émanation de la vertu ».

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Dès la publication de la pièce en 1956, Anouilh rouvre donc, avec un temps d’avance, le livre noir de la Révolution française, dévoilant l’idéologie meurtrière de la Terreur et le fanatisme de ses acteurs, comme le feront, quelques années plus tard, François Furet, Mona Ozouf, Stéphane Courtois ou encore Patrice Gueniffey.

Un spectacle ramené à 1h20

Si on ne peut que saluer la mise en scène enlevée et le jeu des acteurs qui font résonner toute l’actualité de la pièce d’Anouilh, il est difficile de ne pas regretter les coupures du metteur en scène. Certaines scènes manquent cruellement. Notamment celle où Robespierre et Saint-Just, rédigent la loi du 22 Prairial (10 juin 1794). Avec cette loi, les « suspects » à interroger deviennent des « ennemis du peuple » à exterminer et l’arbitraire est poussé jusqu’à son paroxysme – puisqu’elle supprime l’audition des témoins, abrège les plaidoiries et réduit les procès à des comparutions devant les juges du tribunal révolutionnaire où la seule alternative est la vie ou la guillotine.

Cette loi inaugure la Grande Terreur robespierriste pendant laquelle les « guillotinades » fonctionnent à plein régime à tel point qu’on pouvait entendre dire « Y a-t-il guillotine aujourd’hui ? – Oui, lui répliqua un franc patriote, car il y a toujours trahison. »[1] Est-ce par crainte de faire trop long, ou par peur de trop appuyer la critique contre-révolutionnaire de Jean Anouilh que Thierry Harcourt a fait tomber le couperet sur ces scènes ? Quoi qu’il en soit, le spectateur repart de la salle plus en frissonnant qu’en riant.

Avec Maxime d’Aboville, Adel Djemai, Francis Lombrail, Adrien Melin, Etienne Ménard, Adina Cartianu, Clara Huet et Sybille Montagne. Mise en scène Thierry Harcourt.  78 bis boulevard des Batignolles 75017 Paris.


[1] Dictionnaire critique de la Révolution française (1992), François Furet, Mona Ozouf.

Glucksmann, le candidat des gnangnans de la mondialisation?

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Le champion du Parti Socialiste aux élections européennes a trouvé son public. Il coche toutes les cases des bonnes causes et de la bien-pensance.


Il est professeur d’université, rebelle subventionné, soixante-huitard embourgeoisé ; il a des diplômes, vit dans un beau quartier du centre-ville, mange bio et roule en trottinette électrique. Ses dieux s’appellent Victor Hugo, Albert Camus et Simone de Beauvoir ; comme eux, il est pacifiste, européiste, féministe, humaniste et progressiste. Il ne recule devant aucun des lieux communs de la bien-pensance : sans le moindre souci des contradictions, ce promoteur des États-Unis d’Europe, favorable à l’accueil inconditionnel des migrants chez les autres, laïcard à géométrie variable, hostile à l’assimilation et désarmé devant l’escalade islamiste, est à la fois écologiste et mondialiste, chantre du commerce international, — mais contre le protectionnisme national, et décroissant —, anti-identitaire mais multiculturaliste, opposé à la guerre — mais partisan acharné de l’Ukraine.

Les frontières, c’est la guerre !

Il écoute France Inter, apprécie la neutralité du service public, exècre les « chaînes d’opinion ». Il est volontiers inclusif et bienveillant (avec ses amis) ; enfant des Lumières, amoureux de Voltaire, il croit « toujours » la parole des femmes, approuve les lois de censure, applaudit des deux mains aux jugements de la dix-septième (quand ils condamnent ses opposants), et aux sanctions de l’Arcom.

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Il philosophe par slogans et raccourcis : — la montée des nationalismes est un danger pour nos démocraties (mais le nationalisme ukrainien ?…) ; — guerre rime avec frontière ; — ni compromissions, ni clientélisme avec l’autoritarisme et le communautarisme ! La France, il en est convaincu, avant le progrès, était raciste et misogyne. Guère fin connaisseur de l’histoire de son pays, qu’il divise en deux grandes périodes, l’obscur moyen âge tyrannique et les lumières de la modernité, il se définit comme fils de la Révolution, défenseur de la gauche républicaine, militant des droits de l’Homme et citoyen du monde.

Quand c’est mou, il y a un loup !

Il est un peu socialiste, un peu libéral, atlantiste et universaliste, politiquement de centre-gauche : en deux mots, social et démocrate (pour la droite : mol et gauchiste, pour la gauche : mol et droitard). Mais s’il estime la République, il se défie en revanche de la démocratie : le peuple se trompe, est-ce qu’il n’a pas porté Hitler au pouvoir dans les années trente ? — et avec gravité, il pèse l’importance de l’État de droit. Contre les populismes de tous bords, il jure encore par l’arc républicain ; d’ailleurs, il a voté Macron au second tour de l’élection présidentielle, deux fois, avec un inavouable contentement. Il croit comme les stoïciens à la vertu de la modération, et que la modération, c’est lui qui l’incarne. Pris en tenaille d’un côté par les conservateurs, de l’autre par les progressistes exaltés de la gauche woke, il s’attaque aux premiers principalement, et devant ses amis dénonce avec courage l’extrême-droite, les catholiques et les climato-sceptiques.

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Plutôt rationaliste qu’empiriste, il ne réfléchit que par concepts abstraits, cherche théoriquement la Vérité dans la politique, et défiant toutes les lois de la logique, mais avec la souveraine conscience du Bien, découvre bientôt la nécessité de plus de normes européennes, de plus de dépenses publiques, et de plus d’immigration. Pense-t-on différemment ? nous sommes dans l’erreur, sinon des criminels. Parce qu’il fuit les contradicteurs, il s’imagine d’accord avec la France majoritaire. Les sondages le laissent pantois ! — alors, il s’étonne auprès de ses amis, sidéré, puis soupire sur la République en danger.

100% pur jus

Socialiste arriéré des dernières décennies, il regrette Hollande, Jospin, Mitterrand. Il n’a pas pardonné au président Macron la loi immigration, Sainte-Soline et Depardieu ; mais jamais il ne tombera dans les filets de l’extrême-gauche, car il soutient l’Ukraine inconditionnellement, lui, et condamne le Hamas avec fermeté. Grand promoteur de l’égalité, héroïque pourfendeur du patriarcat, confit dans le consensualisme avec son jus, il est de toutes les causes progressistes, lutte impitoyablement contre l’oppression des minorités, n’a pas peur de l’écriture inclusive, ni de critiquer l’Académie française. Rebelle dans la peau, quoique vautré dans l’air du temps, cherchant à s’insurger désespérément, il soutient les Ouïghours sur Instagram, et puis s’endort avec le sentiment du devoir accompli, après avoir dîné d’un plat livré par un cycliste Deliveroo sans papiers…

Contre le risque totalitaire et les idéologies mortifères, face à la menace Poutine, il ira voter aux élections européennes pour le seul candidat qui pense bien, il ira voter pour Raphaël Glucksmann.

Boycott de marques «associées» à Israël: la grande confusion

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Désormais, même des entreprises non-israéliennes sont visées par les appels au boycott des militants pro-Palestine, sur la base de critères… des plus opaques. En réalité, si les dénonciations et les actions de groupuscules toxiques comme le BDS visent avant tout les grandes marques, c’est pour faire le maximum de bruit possible.


Le conflit entre Israël et le Hamas entraine de nombreux appels au boycott. Ils ciblent telle ou telle marque parce qu’israélienne ou suspectée de soutenir les actions de l’armée israélienne à Gaza ou dans les territoires occupés. Problème : les critères présidant à la mise au ban de ces marques apparaissent flous, et les liens de ces marques avec Tsahal ou leur soutien à la colonisation dans certains cas purement fictifs. La critique de Benyamin Netanyahou et de son État-major, qui se sont lancés dans une riposte contestée après le raid meurtrier du 7 octobre, peut évidemment apparaitre légitime. Ce qui l’est moins, c’est le fait de rendre les entreprises et les fournisseurs israéliens responsables des actions du gouvernement israélien. La « culpabilité par association » est un principe de justice nord-coréenne, qui n’a pas sa place dans une société civilisée.

Carrefour dans l’œil du cyclone 

Mais, le comble de l’absurde est atteint lorsque, non contents de s’en prendre à des entreprises, les partisans du boycott ciblent des entreprises non-israéliennes. Depuis le 7 octobre, le mouvement BDS, pour « Boycott, Désinvestissement et Sanctions », coalition mondiale d’associations et d’ONG pro-Palestine, a ainsi accentué sa campagne d’appels au boycott d’enseignes au motif qu’elles se rendraient coupables de « complicité avérée dans l’apartheid israélien ».  Comment le BDS s’y prend-il pour attester d’une telle « complicité », selon quelle méthodologie ? S’il suffit de posséder des liens économiques avec une société israélienne pour se rendre « complice », toutes les entreprises de la planète, inscrites dans une économie de marché globalisée, où les flux de marchandises, de capitaux et d’informations ne connaissent plus de frontières, ne sont-elles pas, de près ou de loin, « complices » ? 

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Conscient de l’opacité des critères avancés pour boycotter telle marque plutôt qu’une autre, le BDS a choisi de concentrer ses attaques sur un nombre restreint de marques, pour tenter de clarifier son action et de ne pas disperser ses efforts. Quitte, selon une étude publiée par L’Observatoire stratégique de l’Information (OSI), à déployer « une approche agressive à l’égard des marques, qui n’hésite pas à distordre les faits de manière opportuniste et à adopter une rhétorique radicale afin de faire avancer son agenda militant »[1]. 

L’exemple de Carrefour est à ce titre édifiant. L’enseigne de grande distribution fait partie des marques les plus ciblées par la campagne de BDS en France. Que lui reproche-t-on ? D’avoir, au lendemain du 7 octobre, fait don de victuailles aux soldats israéliens. Et d’être implantée en territoires palestiniens occupés. Concernant la distribution de vivres, il s’agissait en fait de l’acte isolé d’un salarié d’un franchisé de l’enseigne, qui n’a en rien été validé par la direction du groupe. Idem, à en croire la liste officielle de l’ONU des 112 entreprises qui auraient « directement et indirectement, permis, facilité et profité de la construction et de la croissance des colonies »[2], pour la présence en Palestine occupée : il ne s’agit pas de Carrefour, mais d’une filiale de l’un de ses franchisés.

Les grands groupes ne font pas de politique, mais des affaires

Cette dilution, maillon après maillon, de la responsabilité réelle du groupe dans le sort réservé aux Palestiniens ne semble pas déranger BDS. Non content de cibler des marques plutôt que des États, le mouvement pro-Palestinien n’hésite pas à cibler ces marques sur des critères nébuleux, sur des présomptions de responsabilité très minces. En l’occurrence, sur le fait qu’elles auraient signé un partenariat de franchise avec un groupe israélien possédant lui-même une filiale en territoires occupés. C’est un peu l’histoire de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours…

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Fait insolite, Carrefour, présent dans un certain nombre de pays musulmans voisins, a été critiqué par des politiciens israéliens[3] pour ne pas avoir de magasins en Cisjordanie occupée, et est régulièrement critiqué en France pour mettre trop de produits hallal dans ses rayons durant le mois de Ramadan. Des exemples qui montrent que, loin de se mêler de considérations géopolitiques et d’afficher des préférences, les grands groupes obéissent d’abord et avant tout à une logique économique, commerciale, et se retrouvent parfois pris malgré eux entre deux feux. 

Carrefour n’est pas la seule marque injustement visée. D’autres grandes marques sans liens particuliers avec Israël, comme Pepsi, Barclays, McDonald’s, Starbucks et Zara, ont été confrontées à des mouvements de protestation et à des boycotts de la part de militants les accusant de « profiter du génocide du peuple palestinien », sans que cette accusation soit étayée. Autant d’attaques qui posent la question des critères de sélection des cibles du BDS.

Ces boucs-émissaires ne sont-ils désignés qu’en raison de leur taille, susceptible d’apporter une publicité à la cause défendue par ces militants ?  Et au mépris de leur implication réelle dans ce qui leur est reproché ? Tout l’indique. 


[1] https://observatoire-strategique-information.fr/2024/03/13/boycottisrael-ce-que-la-campagne-bds-revele-des-nouvelles-formes-de-lobbying-en-ligne-2/

[2] https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/lonu-liste-112-societes-liees-aux-colonies-israeliennes-1171362

[3] https://atlantico.fr/article/decryptage/carrefour-bds-et-israel-decryptage-d-une-tentative-de-boycott-gabriel-robin

De l’entrisme islamiste à l’école de la République

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Malgré la bonne volonté du Premier ministre Gabriel Attal, qui entend dire les choses, l’entrisme islamiste ne remporte des succès à l’école française que parce que le terreau y est fertile – les  personnels étant de plus en plus nombreux à ne pas être dérangés par la présence de la religion au sein des établissements scolaires, constate notre contributeur, directeur d’école.


Notre Premier ministre Gabriel Attal, qui fut le seul ministre de l’Éducation nationale que j’aurais bien aimé voir plus longtemps dans cette fonction, brosse enfin le portrait de la réalité de notre école – en filigrane, bien entendu, on voit toutes les dérives de notre société. La jeunesse présente les inconvénients de ses privilèges : elle exagère tout, et la fougue des jeunes années nous offre un effet loupe sur nos maux.

Aussi, notre école concentre tous les maux de notre société, à commencer par la violence des relations, l’individualisme et l’indifférence aux autres alimentant le sentiment de la légitimité de toutes les actions des uns ou des revendications des autres. La proclamation des « droits » (« j’ai le droit ») devance désormais systématiquement l’intérêt commun dans la réflexion, si elle existe, des jeunes voire de leurs parents.

Quand l’entrisme fait de la surenchère

L’entrisme islamiste est d’autant plus fréquent maintenant qu’il semble être concurrentiel, certains y trouvent sûrement les raisons de briller aux yeux des autres, tout au moins de montrer qu’ils sont de bons musulmans, davantage que ceux qui respectent les règles de l’école sans les contester. Alors, nous assistons et nous subissons de plus en plus les demandes des uns et des autres, ici une dispense de sortie scolaire, là une nécessité de repas sans viande. Comme cela n’est pas le cas dans la commune où j’exerce, il n’y a pas d’autre possibilité que le repas de substitution au porc quand il est au menu, et je suis tenu de répondre que la viande ou le poisson sont servis à l’exception des jours où le menu est végétarien.

De plus en plus fréquemment les élèves souhaitent jeûner pendant le ramadan et cela de plus en plus tôt, vers 8-9 ans. Bien sûr, il en va de la responsabilité de leurs parents, et cela ne concerne pas l’école à plusieurs exceptions près : quand l’élève est supposé manger à la cantine et quand il se met en danger et/ou dans l’incapacité de suivre les apprentissages. Une nouvelle fois, le directeur que je suis se trouve bien seul pour rappeler les règles aux élèves, puis à leurs parents. Une nouvelle fois, l’institution, par une communication peu claire, jette le trouble sur le terrain et place les représentants de l’État que nous sommes dans des situations assez délicates. Quelques élèves venaient le mois dernier à la cantine et refusaient de manger, me certifiant que leurs parents étaient d’accord pour qu’ils respectent le jeûne. Obligé de leur expliquer toute l’incohérence de venir dans le lieu où la seule activité prévue est justement de manger, je téléphonais ensuite pour informer leurs parents de la situation, en les invitant soit, s’ils n’étaient pas informés de l’intention de leur enfant, à leur dire de prendre le repas de la cantine comme d’habitude, soit de leur permettre pour les jours suivants de rentrer chez eux le midi…

Savoir et croire

L’école est le lieu du savoir et non du croire… Si la laïcité protège toutes les croyances, il serait bon de la définir sans détour à l’école et au collège. Car je vois souvent des collègues, y compris du second degré, la définissant comme la liberté sans plus de précisions, l’égalité fille / garçon, et ainsi de suite ; alors qu’en premier lieu, il s’agit de la liberté de croire ou de ne pas croire, et de changer éventuellement de croyance. Je poursuis toujours en rappelant qu’à l’Éducation nationale nous nous intéressons au savoir, laissant le croire à la sphère privée, principalement familiale pour nos élèves.

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Si les collègues ont de plus en plus de difficultés avec la laïcité, c’est d’une part qu’ils ne partagent pas toujours le sens de la neutralité qu’elle exige des enseignements, et d’autre part qu’ils sont fréquemment identifiés par tous comme adeptes de telle ou telle religion, le plus souvent l’islam bien sûr. Justement en raison du ramadan et de la pratique facilement identifiable par tous de ceux qui le font. Pourquoi donc rester neutre en tant qu’enseignant quand tous les élèves, leur famille et les collègues savent clairement ses croyances et la volonté de les respecter y compris au sein de l’école ? Ces questions étaient suspendues dans les salles des maîtres, il y a encore quelques années ; elles flottaient également au-dessus des relations entre les collègues et les familles ; elles sont clairement obsolètes aujourd’hui. Les collègues qui affichent leur idéologie (politique ou autre) et leur pratique religieuse ne sont ni discrets ni inquiétés d’aucune façon que ce soit.

Lâcheté et autocensure

Alors, Monsieur le Premier ministre, l’entrisme islamiste est le fait de jeunes et de parents revendicateurs bien sûr, mais il porte ses fruits car le terreau de l’école est propice et malheureusement bien fertile sur ce point. Ainsi, en plus de demander aux autres de respecter les règles de la laïcité, je serai d’avis d’exiger des agents de l’État le total engagement que nous avons tous pris en signant notre entrée à l’Éducation nationale : rester neutre idéologiquement et n’afficher aucun signe religieux pendant notre temps de service, pendant que nous exerçons en notre qualité de fonctionnaire. Cela est valable pour tous, et j’ai dû batailler longuement pour qu’une collègue cesse de mettre en évidence la croix qu’elle avait en pendentif et qui se voyait très précisément les mois où le climat est plus propice aux tenues légères.

Nantes, 31 août 2023 © LOIC VENANCE / AFP

Là, en exigeant réellement de tous les agents de l’État une vraie représentation de la République laïque, nous pourrons ensuite affirmer nos valeurs et demander le respect plein et entier des enseignements, des règles et des autres. Depuis longtemps déjà, je sais la situation nous échapper collectivement car nous sommes de moins en moins nombreux à défendre sans détour et sans langue de bois notre laïcité et notre liberté d’expression, visant ainsi à développer l’esprit d’analyse et l’esprit critique de nos élèves. Certains s’y refusent désormais par peur et s’autocensurent, certains par lâcheté et volonté de rester tranquillement à l’abri des remous, d’autres s’y refusent par conviction car ils verraient d’un bon œil le religieux entrer encore plus à l’école. Combien de jeunes enseignants ne seraient pas dérangés par les tenues religieuses, notamment le voile, portées par leurs élèves ? Chaque année, un peu plus. Chaque année je me sens davantage seul, dernier rempart de la République devant la grille de l’école…

Cela ne pourra pas durer. Cela ne durera pas. Le constat étant maintenant établi très clairement, les mots ayant été prononcés précisément par notre Premier ministre, il est désormais urgent d’agir réellement avec de vraies mesures et de concrétiser toutes ces paroles tant attendues depuis si longtemps. Notre laïcité que nous pensions éternelle n’est en réalité qu’un colosse aux pieds d’argile, de plus en plus fragile. Elle ne nous protègera que si nous exigeons de tous son respect sans adjectif ni additif, sans aucun compromis !

Le temps est venu de ne plus craindre d’être «réac»

Bonne nouvelle : ici et là, des Français se rebiffent. Ils deviennent réactionnaires…


Un effet de masse est prévisible. Il suffit de constater l’affolement des censeurs, gardiens de la pensée immobile, pour s’en persuader. Partout, l’exaspération populaire se libère des interdits idéologiques qui empêchent de décrire les réalités et d’avancer dans les réformes. Certes, « réactionnaire » est un mot empli d’une poussière passéiste. Pour cette raison, il est récusé par les partis de droite, qui veulent pourtant rompre avec les « Trente calamiteuses ». C’est à peine si ces mouvements osent se définir conservateurs, et encore moins nostalgiques.

Réactionnaires de progrès !

Le terme mériterait pourtant d’être brandi, au sens où l’entendait Marc Fumaroli : « Une aptitude à résister au conformisme du temps ». Régis Debray, autre esprit indocile, s’amuse à se décrire lui-même comme « réactionnaire de progrès ». En 2012, à l’invitation de mon ami aujourd’hui disparu, Roland Jaccard, directeur de collection aux Presses universitaires de France (PUF), je publiais De l’urgence d’être réactionnaire : une invite à « prêter son concours à une réaction politique » (suivant en cela la définition du terme dans le Larousse Universel, 1923) face aux désastres annoncés par les effondrements de l’Etat-nation et de l’Etat-providence. Depuis, je persiste : le temps est venu de ne plus craindre d’être « réac », puisqu’il s’agit pour les révoltés de renverser les fausses valeurs progressistes. Ces éveillés-ci sont plus révolutionnaires que les « wokes », qui portent le refus du dialogue, cette caractéristique des systèmes totalitaires.

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Une opinion publique excédée

La censure publicitaire parisienne sur Transmania, le livre de Dora Moutot et Marguerite Stern, illustre la panique des dresseurs d’opinion, confrontés à la libération de l’esprit critique. Parce que les deux féministes soutiennent qu’une femme est une réalité biologique et non un « ressenti », et que l’idéologie transgenre est physiquement dangereuse, elles ont été accusées de « transphobie », de « complotisme » et de « haine de l’autre »1. La ville, sous la pression d’élus socialistes, a obtenu le retrait des publicités de leur essai sur les panneaux Decaux, en offrant à Transmania un probable succès d’édition. Mais les insoumissions de Moutot et Stern au politiquement correct ne sont pas des exceptions. Les féministes de Némésis ne craignent pas de dénoncer les violences sexistes de la charia et de réclamer « l’expulsion des violeurs étrangers ». La maire (divers droite) de Romans-sur-Isère, Marie-Hélène Thoraval n’écoute pas davantage les sermons de la gauche quand l’élue revendique « dire tout haut ce que les gens disent tout bas » et dénonce les « quartiers communautaires » qui ont remplacé les « quartiers populaires ». Entendre le maire de Grande-Synthe accuser la « fachosphère » après le meurtre de Philippe Coopman par deux jeunes sauvages2 fait partie de ces réflexes qui irritent une opinion excédée par les lâchetés des donneurs de leçons. La montée en puissance de Jordan Bardella (RN) dans les sondages puise dans ce désir de rompre avec un monde construit cul par-dessus tête. La réaction est, pour cela, le meilleur des moteurs.

De l'urgence d'être réactionnaire

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Transmania: Enquête sur les dérives de l'idéologie transgenre

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  1. Lire ici l’analyse de Jeremy Stubbs, publiée samedi : https://www.causeur.fr/transmania-le-plus-gros-casse-conceptuel-du-moment-281069 ↩︎
  2. https://www.bfmtv.com/police-justice/grande-synthe-la-mort-de-philippe-coopman-a-ete-causee-par-plusieurs-coups-portes-a-sa-tete-indique-la-procureure-de-la-republique-de-dunkerque_VN-202404190680.html ↩︎

L’Europe se défend à Kiev

Si la guerre en Ukraine est la première étape de la reconstruction du glacis soviétique voulue par Vladimir Poutine, les pays baltes, la Pologne, la Moldavie, la Roumanie et d’autres encore seront tôt ou tard menacés. Il faut soutenir l’Ukraine aujourd’hui, pour ne pas mourir pour elle demain.


« Si la Russie gagnait cette guerre, la crédibilité de l’Europe serait réduite à zéro[…], la vie des Français changerait. » Cette déclaration Emmanuel Macron sur France 2 le 14 mars, a suscité – à juste titre – autant d’inquiétudes que de commentaires. Et comme souvent, la polémique s’enflamme sans que les termes du débat soient définis. Le domaine du flou concerne ici les deux parties de la déclaration présidentielle : la victoire (russe) et le changement (pour les Français). Il faut donc répondre à deux questions : Que serait une « victoire russe » ? En quoi serait-elle grave pour la France ?

Poutine veut faire de l’Ukraine une Biélorussie bis

Que serait une victoire du point de vue russe ? La réponse dépend évidemment des éléments qu’on choisit de prendre en compte. La thèse qu’on défendra ici est donc contestée par des analystes parfaitement respectables. Elle consiste à rappeler que Poutine a été clair sur ses objectifs. Dans un article publié en ligne le 12 juillet 2021 (« De l’unité historique des Russes et des Ukrainiens »), il remet en question l’existence même de l’Ukraine en tant que nation distincte. Il ne se focalise ni sur la question des alliances, ni sur les droits des russophones. Le plan de guerre, exécuté le 24 février 2022,visait bien à atteindre cet objectif : prendre le contrôle du centre politique et symbolique de Kiev pour changer le régime. Les demandes de « dénazification » et de « démilitarisation »confirment que l’objectif russe est la transformation de l’Ukraine en république soviétique du xxie siècle.

Le Kremlin ayant admis officieusement l’échec de la première phase de l’opération spéciale quand il a redéployé ses armées fin mars 2022, ses buts de guerre auraient pu évoluer. Ce n’est pas le cas. Aujourd’hui, alors que la Crimée et le Donbass sont occupés par la Russie, l’une à 100 %, l’autre à 95 %, l’Ukraine n’a plus les moyens de reprendre ces territoires, ni d’en contester le contrôle à la Russie. Pourtant, Poutine refuse de négocier. En déclarant : « J’ai obtenu ce que je voulais, négocions ! », il aurait pu asséner un coup diplomatique dévastateur à l’Occident. Européens et Américains poussant un énorme soupir de soulagement seraient tombés sur Zelenski pour le forcer à négocier…

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On peut donc penser que Poutine veut faire de l’Ukraine une Biélorussie bis et qu’Emmanuel Macron veut l’en empêcher. Cela ne signifie pas que le président français veuille à tout prix restaurer l’Ukraine dans ses frontières de 1991. Macron n’a pas dit qu’il fallait que l’Ukraine gagne, mais que la Russie ne devait pas gagner, établissant une distinction entre les intérêts de l’Ukraine et ceux de la France. En revanche, à Kiev – mais aussi à Varsovie, Vilnius, Riga et Tallin – la formule est différente : défaite russe = victoire ukrainienne = frontières de 1991. La France n’est pas sur cette ligne, les États-Unis et l’Allemagne non plus.

Il faut ensuite comprendre pourquoi Emmanuel Macron affirme que, si la Russie gagne, « la crédibilité de l’Europe sera anéantie et la vie des Français changera ». Rappelons d’abord que notre défense nationale est fondée sur deux piliers : nos armées et notre dissuasion nucléaire d’une part, nos alliances, principalement l’OTAN, d’autre part. Nous avons choisi de lier notre destin à celui de la Lituanie, de la Bulgarie, du Canada et des États-Unis (entre autres) pour ne plus jamais vivre 1870, 1914 et 1940. C’est une police d’assurance-vie ultime de même niveau que la dissuasion. Et ça coûte : on ne peut pas ignorer les intérêts des Polonais, des Américains, des Roumains et des Grecs tout en comptant sur leur solidarité quand, une fois par siècle, nous nous battons pour notre survie. Après la chute de l’URSS, en l’absence d’ennemi à l’horizon, nous n’avons pas démantelé notre armement nucléaire ni quitté l’OTAN. Sans doute parce que dans la vie d’une nation, juin 1940 c’était hier. En tant que membre de l’OTAN et de l’UE, la France doit empêcher une victoire russe, sous peine de perdre collectivement en crédibilité, donc en capacité de dissuasion, vis-à-vis de la Russie.

Il en coutera plus aux Français si l’Ukraine tombe

Tout porte donc à croire que Poutine ment quand il réclame seulement la Crimée et le Donbass, et qu’il cherche en réalité à reconstruire le glacis mis en place par Staline (réhabilité par Poutine) et perdu par Gorbatchev (responsable selon le même de la plus grande tragédie du xxe siècle). Reconstituer le glacis,cela consiste à récupérer d’une manière ou d’une autre, tôt ou tard, les pays baltes, la Pologne, la Moldavie, la Roumanie, voire plus. Certes, l’armée russe n’est pas en état, aujourd’hui, d’affronter l’OTAN. Toutefois, les forces ukrainiennes sont en ce moment dans une situation critique, ce qui explique sans doute que Macron ait choisi de monter au créneau. Cela dit, personne ne pense que des chars russes essaieront de faire régner l’ordre à Varsovie et ailleurs, provoquant une riposte de l’OTAN. On peut plutôt s’attendre à des actions infra-conventionnelles comme des cyberattaques et l’agitation des minorités russophones. Reste que Macron a raison : si l’Ukraine est soumise, son cas fera école.

La France a déjà intégré le nouvel état de la menace russe : si l’enveloppe budgétaire globale de la défense pour 2014-2019 s’est élevée à près de 200 milliards d’euros, celle de 2024-2030 est fixée à 413 milliards. Nous payons déjà plus à cause des Russes, et nous payerons encore plus si l’Ukraine tombe.

Bien entendu, comme un évier bouché la veille de Noël, cette menace se précise au moment où les États-Unis dessinent un mouvement de repli. Depuis 1958, presque tous les présidents français ont affirmé qu’il ne fallait pas avoir une confiance aveugle dans l’allié américain, car un jour, il ne voudrait ou ne pourrait plus nous aider (on appelle ça l’Europe de la défense ou l’OTAN reformée). Et même si Donald Trump affirme que ses menaces ne visent qu’à réveiller les Européens pour qu’ils prennent leur part du fardeau, ce jour finira par arriver.

En 1980, face à l’URSS, 350 000 soldats américains étaient déployés en Europe. Si la France et l’Europe doivent un jour se passer du parapluie américain, ou plutôt quand elles le devront, il faudra non seulement remplacer ces soldats, mais aussi investir des centaines de milliards en équipement, autrement dit passer en économie de guerre. Ce qui changerait assurément la vie de Français nostalgiques du quoi qu’il en coûte.

Prière de ne pas y toucher

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Jean Clair © Hannah Assouline

L’art a toujours porté la promesse de nous libérer du temps et de la mort. Devenu « contemporain », il s’est soumis au présent et à l’argent. Désacralisé par la modernité, l’art n’honore plus la vie. Ce qui signifie qu’il se meurt.


Ce que nous appelons « art » est cet objet inutile qui se laissait autrefois entrevoir dans les temples, puis dans les églises du MoyenÂge, à demi caché et relégué dans les hauteurs, déployé enfin dans les palais des puissants, et aujourd’hui ce fourbi sans destinataire et sans but qui s’étale dans les musées.

Soumission au temps

L’art « contemporain », par son étymologie, est l’art de son temps, né de son temps. Concubinage chaque fois renouvelé de la création avec la poussée des heures, il fait parfois apparaître des monstres, des êtres dont on supporte à peine la vue.

Curieusement, depuis que le mot « art » lui-même s’est imposé pour désigner la capacité de fabriquer des œuvres qui ne seraient plus d’ordre utilitaire, pratique ou consumériste, il ne prétend plus se délivrer du temps. « Contemporain », l’art est au contraire celui de la soumission au temps. Et, version militante, quasi guerrière, il y a l’art d’« avant-garde », pratiqué par des milices héroïques, devant des amateurs ébahis, pour explorer le champ militarisé du présent.

Le temps mène à la mort et l’art est supposé nous donner le pouvoir de dominer le temps. Ce qu’on appelle aujourd’hui – par habitude ou par paresse – « art » a toujours été l’exercice d’une activité permettant d’échapper à la maladie du temps et à notre condition d’être mortel. À l’origine, l’art fut une promesse, celle de la transfiguration : accéder à la beauté des dieux et des déesses antiques, côtoyer les Anges et les Dominations, puis les rois et les reines, les courtisans et les courtisanes, les capitaines d’industrie et les « créateurs » de l’esprit. Ainsi sommes-nous passés de l’époque antique à l’époque moderne. Aujourd’hui, parvenus au terme de la transcendance, qui représenter, admirer, honorer ou sublimer ?

Comment « canceller » une culture déjà défaite ?

Notre modernité est marquée par la grande confusion des combats. La cancel culture est l’un d’eux. Mais comment annuler, effacer, « canceller » une culture déjà défaite ? La cancel culture est un champ de mines posé sur un champ de ruines. Que reste-t-il, par exemple, de notre compréhension de l’iconographie médiévale, cet art d’une richesse, d’une beauté et d’une philosophie sacrale sans équivalent ? Savons-nous encore ce qu’est une Pietà ? L’oubli par l’ignorance rivalise avec les idéologies du moment. Nous voici ramenés à la boue, à la gadoue, aux soupes monochromes lancées sur des tableaux dans les musées, à la matière informe qui rappelle les giclées de peinture de l’art abstrait et les exubérances excrémentielles des créations des années 1960.

L’art contemporain se comprendrait comme le processus du renversement de la sainte trinité freudienne, la topique qui, dans le psychisme d’un individu, s’équilibre entre le Moi, le Ça et le Surmoi. Une dynamique entre exigences pulsionnelles et inconscientes du présent, et formation d’idéaux et d’exigences venus d’un passé lointain. Ce retournement fait apparaître la domination du Ça sur le Moi, et fait disparaître le Surmoi.

Notre culture est effacée depuis longtemps. Laïcisé, désacralisé, l’art relève aujourd’hui de la sensibilité et du goût, plus que du savoir et de la connaissance. Il suffit de montrer une paire de seins pour que l’on crie à l’obscénité, alors que les plus grandes œuvres de la peinture sont des œuvres érotiques. L’histoire de l’art, que l’on n’enseigne pas assez, et que j’ai apprise aux États-Unis lorsque j’étais étudiant grâce à une pléiade de savants formés à Vienne, est une discipline aussi riche que l’histoire des idées. L’iconographie raconte les images, le sens profond délivré par un ensemble de formes et de couleurs qui n’ont rien d’arbitraire et ne sont pas la manifestation d’une subjectivité devenue folle.

S’il s’agit de sa valeur, l’art n’a plus qu’une valeur monétaire. Une œuvre d’art, c’est désormais le prix qu’on lui assigne en salle des ventes. Un objet précieux, de l’argent qui dépasse toutes les valeurs, de cet or qu’on a si longtemps cependant comparé, dans son surgissement soudain, aux fèces.

Stade ultime donc : retour à l’excrément.

Gustave Flaubert, que je lis en ce moment, est sans doute celui qui, au cœur même du xixe siècle, a le mieux décrit ces processus dont il fut le contemporain : le personnage de Jacques Arnoux, le propriétaire de l’Art industriel, un marchand de tableaux, qui vend des boîtes de couleurs, des pinceaux, des chevalets et des faux en peinture, « un homme qui bat monnaie avec des turpitudes politiques ». Quant à Bouvard et Pécuchet, ils incarnent mieux que quiconque la fausse science, le mauvais goût, la rapacité et la prétention d’une classe bourgeoise naissante qui fut, en son temps, la parfaite préfiguration des partisans du wokisme aujourd’hui. 

J’ai toujours été convaincu du sérieux de l’art. Le musée a un rôle important : il est le lieu où l’on rassemble les icônes, étymologiquement les images, et qui, débarrassées de leur dimension sacrée, n’en gardent pas moins une puissance incroyable, un magnétisme qui ne faiblit pas. Mais l’art, comme la science dont il a longtemps été inséparable, est en train de crever. L’art crève à partir du moment où il n’est plus là pour honorer la vie ; la science crève de n’être vouée qu’à apaiser les souffrances finales. Honorer la vie, c’est honorer l’individu, son visage, honorer l’homme en tant que personne. Car l’homme n’est ni interchangeable ni renouvelable.

Rendons à la culture son pouvoir de rendre le monde habitable.


À lire
Jean Clair, Le Livre des amis, Gallimard, 2023.

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Qu’apporter, au Japon, lorsque vous êtes invité à un dîner?

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Kyoto. DR.

Notre chroniqueur s’étant proposé de partir au Japon pour envoyer à Causeur des reportages pris sur le vif, la Rédaction lui a donné le feu vert,­ d’autant qu’il annonçait en même temps qu’il le ferait à ses frais.
Et comme nous sommes pauvres…


Jean-Paul Brighelli en voyage au pays du soleil levant (1)


Sans doute vous rappelez-vous Brel :

« J’vous ai apporté des bonbons
Parce que les fleurs c’est périssable… »

Qu’apporter, au Japon, lorsque vous êtes invité à un dîner ? En France, il y a toujours la solution de la bouteille de Bordeaux made in Occitania (je ne plaisante pas, j’ai longtemps habité Nébian, dans l’Hérault, juste au-dessus d’une cave viticole où les vignerons apportaient le vrac, et où les camions-citerne immatriculés en 33 venaient faire le plein de médocs et de graves pour supermarchés bas de gamme). Si vous êtes vraiment distingué, vous faites envoyer à la maîtresse de maison une douzaine de roses qui devront arriver une heure avant vous.

Au Japon, vous apportez un fruit.

Comment ? Un fruit ? Vous êtes sûr ? Ça ne fait pas un peu chiche ?

Hmm…  Un melon, c’est 14000 yens — soit près de 90€. Une mangue vaut 16 200 yens, soit une petite centaine d’euros. Et la corbeille de fruits (oh, rien d’extraordinaire, melon, mangue, pomme, une orange…), c’est 31 320 yens, soit 190 €. Soit, reconverti en roses de chez nous, une soixantaine de roses ­— un beau bouquet, mazette…

Cela ne signifie pas que le Japon ne produit pas de mangues — surtout à Okinawa, où je me suis posé. Ni de melons, et autres fruits du jardin d’Eden. C’est une île tropicale bénie des dieux, où tout croule sous les orchidées (qui décorent l’aéroport de Naha, par exemple) et en hibiscus, qui bordent les trottoirs. Non : c’est seulement que les fruits que l’on vous vend sont tout simplement parfaits. Objets d’une sélection impitoyable. Le Japon ne tolère que la perfection.

Les amateurs de jolies voitures savent bien qu’entre une voiture japonaise et une voiture européenne, dans la même gamme, il n’y a pas photo en termes de ligne, de motorisation et de fiabilité. D’une vertu commune au pays du soleil levant, les industriels de là-bas ont fait un argument de vente. Sans se forcer, puisque la perfection est la norme.

(Parenthèse. Il n’y a pas si longtemps, nous osions offrir des fruits aux dames dont nous entreprenions la conquête. Pas forcément des pommes, dont la symbolique biblique est un peu lourde, mais par exemple des belles poires : c’est ce que fait Bel-Ami, dans le roman homonyme de Maupassant, pour séduire Mme Walter, l’épouse de son patron).

A lire aussi, du même auteur: Uniforme à l’école? Osons un référendum!

Il est très difficile, commercialement parlant, de rivaliser avec des perfectionnistes, et de les concurrencer. Le grand linguiste Edward T. Hall (Comprendre les Japonais, Seuil, 1991) raconte comment une firme de vaisselle fine, à Limoges, s’est vu refuser un premier envoi de 100 000 théières en porcelaine blanche parce qu’elles étaient imperceptiblement bancales, quand on les posait sur une table laquée — un défaut qui passe inaperçu en Europe, où l’on pose les théières sur un napperon qui égalise les micro-défauts. Et comment Renault n’était parvenu à vendre aucune voiture, n’ayant pas daigné mettre le volant à droite en inversant les commandes, dans un pays où l’on roule à gauche, ce qu’apparemment le constructeur français ignorait. Quand l’ignorance le dispute à la prétention…

D’où le goût des Japonais pour les uniformes (scolaires aujourd’hui, militaires autrefois), pour les jolis habits (il faut voir le regard de mépris qu’ils jettent sur les Américains vêtus de jeans troués) et pour les carnations et les dentitions parfaites.

(Seconde parenthèse. Il faudra que l’on m’explique pourquoi les Européens disent « les Jaunes ». Le teint standard des jolies Japonaises hésite entre la perle nacrée et l’ivoire pâle. Si vous ajoutez à cela qu’elles ont des cheveux noirs « comme l’ébène », dirait Perrault dans Blanche-Neige, vous obtenez un standard de beauté très élevé, auquel nous n’avons à opposer que Kim Kardashian et Aya Nakamura. C’est vrai aussi chez les hommes : pas un hasard si Alain Delon, au faîte de sa gloire, jouissait d’une réputation inégalée dans l’archipel, simplement parce qu’à l’époque du Guépard ou de Plein soleil, il était remarquablement beau).

La France a longtemps été une référence incontournable dans ce domaine. Nous avons produit, entre le XVIe et le début du XXe siècle, des chefs-d’œuvre dans tous les arts — à commencer par la mode. Mais c’est fini : quand on en est à admirer les bouses que produisent des « créateurs » imbus de leur personne sans réel motif, c’est qu’on a renoncé à se battre sur le seul terrain culturellement et commercialement viable, celui de la beauté. Nous n’exportons plus guère que de la haute cuisine au Japon, parce que l’art culinaire sait que la dégustation commence dès le premier regard sur l’assiette. Et j’espère que c’est toujours ce que l’on apprend, dans les lycées hôteliers, aux élèves en formation, derniers remparts de la présence française dans le monde.

Bel-Ami

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Kaboul-sur-Seine

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Les députés LFI Louis Boyard et Mathilde Panot discutent avec le chanteur controversé Médine, Paris, 21 avril 2024. Image: réseaux sociaux.

Quand Stefan Zweig nous éclaire sur l’actualité : le monde d’hier, c’est celui d’aujourd’hui.


Notre civilisation française, et plus largement européenne, est malmenée et vacille, tout comme ce fut le cas entre les deux guerres mondiales.  Certes, les menaces auxquelles elle est confrontée ne sont plus celles d’autrefois. 
Actuellement, nous sommes fragilisés par une immigration massive et surtout par l’islam politique que nombreux, parmi les nouveaux arrivants, tentent d’imposer. Les rares qui s’y opposent sont anathématisés, les autres majoritaires, laissent faire par couardise ou accompagnent le mouvement par opportunisme.  
On observe alors dans notre pays les mêmes comportements décadents, la même atmosphère de folie débridée que ceux qui préludèrent au deuxième conflit mondial. Il suffit pour s’en assurer de relire Le Monde d’Hier, dernier livre rédigé par Stefan Zweig avant qu’il ne mît fin à ses jours.

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La France confrontée à la violence ou à l’islamisme du quotidien

D’où qu’on se tourne, depuis quelques temps, en France, c’est la Bérézina : on larde ou on tabasse qui ne se plie pas à la charia. Samara à Montpellier (34) a été passée à tabac parce qu’elle se vêtait à l’européenne. Shemseddine, À Viry-Châtillon (91), a été battu à mort pour avoir dragué la sœur de deux garçons. À Bordeaux (33), c’est un Afghan enturbanné qui, surin au poing, a fondu sur deux Algériens qui avaient eu la témérité de consommer de l’alcool, le jour de la fête de l’Aïd-el-Fitr. Il a tué l’un d’entre eux. Philippe, à Grande-Synthe (59), vient d’être roué de coups par des mineurs, il en est mort. Samedi dernier, c’était Kaboul à Paris : on a y vu des Afghans manifester après l’incendie de la rue de Charonne et dévaster tout un quartier du onzième arrondissement. Dimanche, la joyeuse bande des Insoumis, Louis Boyard et Mathilde Panot en tête, accompagnés de Salah Hamouri (soupçonné d’être membre d’un mouvement reconnu comme terroriste : le Front populaire de libération de la Palestine) marchait contre le racisme et l’islamophobie. Des milliers de manifestants les accompagnaient scandant les habituels slogans obscènes comme : « Urgence, urgence, la police assassine ». Dans le même temps, on apprenait la démission de Claude Cohen, maire de Mions (69), une commune proche de Lyon, las d’essuyer des insultes antisémites et des menaces de mort parce que Juif. Bien sûr, on vous passe les « refus d’obtempérer » et les rafales de Kalachnikov autour de points de deal tenus par des gamins à peine sortis des couches. Forcément, on est tenu, dans un grand renversement carnavalesque, de considérer les agresseurs, tueurs, racistes et autres agitateurs comme les vraies victimes ou, à tout le moins, de leur trouver des excuses et des circonstances atténuantes.

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Attal, dernière chance pour l’école ?

Dans cette ambiance crépusculaire, il s’agit bien de faire table rase du passé et quand Zweig parle de l’Autriche d’avant la Seconde Guerre mondiale, c’est bien de la France d’aujourd’hui qu’il nous parle : « Dans les écoles, on constituait, sur le modèle russe, des comités de classe qui surveillaient les professeurs, « le plan d’étude » était aboli, car les enfants ne devaient et ne voulaient apprendre que ce qu’il leur plaisait. » Voilà qui fait furieusement songer à nos propres écoles, en ce moment. Nos écoliers n’y font, eux aussi, que ce qu’ils veulent et seront toujours plus enclins à se lever pour Danette qu’à la vue d’un professeur, n’en déplaise à Gabriel Attal. Poursuivons notre édifiante lecture : « Partout on proscrivait l’élément intelligible, la mélodie en musique, la ressemblance dans un portrait, la clarté de la langue. Les articles « le, la, les » furent supprimés, la construction de la phrase mise cul par-dessus tête (…) » Tout ça n’est sans rappeler tous les délires artistiques actuels et la folie de l’écriture inclusive. On lit encore, toujours dans Le Monde d’Hier : « On se révoltait contre toutes formes valables pour le seul goût de la révolte, même contre le vœu de la nature, contre l’éternelle polarité des sexes (…), l’homosexualité et les mœurs lesbiennes furent la grande mode, non pas par un penchant inné, mais par esprit de protestation contre les formes traditionnelles (…) de l’amour. »  Aujourd’hui, pas mieux. C’est toujours sus au bon sens ! Ainsi, aussitôt paru, le livre Transmania, signé Dora Moutot et Marguerite Stern, enquête nourrie sur les dérives de l’idéologie transgenre, se voit censuré1. La Mairie de Paris, suivie par celle de Lyon (jamais en reste), exige de l’afficheur JCDecaux qu’il retire sa publicité pour l’ouvrage. SOS homophobie déclare sur X le 20 avril : « La transphobie tue » et annonce porter plainte contre les auteurs de Transmania. Zweig poursuit : « Dans tous les domaines s’ouvrait une école d’expérimentations des plus téméraires et l’on prétendait, d’un seul bond fougueux, dépasser ce qui avait été fait, enfanté et produit ; plus un homme était jeune, moins il avait appris, plus il était le bienvenu par le seul fait qu’il ne se rattachait à aucune tradition. »

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L’ivresse de Mélenchon

Et, puis, il y a ceux qui surfent sur le tragique des époques pour assouvir leurs ambitions personnelles ; et hier, là encore, c’est aujourd’hui : « (…) dans la politique le communisme et le fascisme étaient les seules extrêmes qu’on accueillît favorablement. » Voyez plutôt le vociférant Jean-Luc Mélenchon et ses non moins braillards affidés sans cesse éructant contre qui n’adhère pas à la fable de la diversité heureuse ; leur seul but : capter les voix des électeurs des « quartiers ». Qu’importe au Lider Minimo s’il contribue ainsi au développement d’un antisémitisme nouveau, version XXIe siècle, voire à l’application de la charia dans certaines zones du territoire ; il aura l’ivresse de gouverner. Que dire enfin de ceux, qui au pouvoir, sont prodigues de mots, mais avares d’actions susceptibles d’enrayer la faillite générale sur laquelle ils ont fermé les yeux par intérêt ou par lâcheté ? « Nous ne laisserons rien passer », clament-ils, en chœur, tous les jours, parce que tous les jours, se passe ce qui ne devrait pas se passer. Gabriel Attal, du reste, vient, à Nice, de s’exprimer sur les comportements « violents » de « certains jeunes », à l’école, et voici qu’il s’auto-congratule, qualifiant son allocution de « discours de vérité et d’autorité. » Il précise, ça va de soi, que stopper la violence des jeunes est « sa priorité. » On attend les actes.

Citons, pour conclure, Zweig, encore, toujours dans son ouvrage ultime : « rien ne donne une impression plus spectrale que de voir soudain revenir a vous, dans sa même forme et sa même apparence, ce qu’on croyait, depuis longtemps, mort et enterré. »

Le Monde d'hier: Souvenirs d'un Européen

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  1. https://www.causeur.fr/transmania-le-plus-gros-casse-conceptuel-du-moment-281069 ↩︎

Et l’art, c’est du poulet ?

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Sharon Tate dans "Le Bal des vampires" de Roman Polanski en 1967 © Mary Evans/AF Archive/SIPA

Impossible d’entendre les noms de Polanski ou de Depardieu sans qu’y soit accolée l’étiquette de prédateur sexuel. Leur culpabilité supposée a effacé leur œuvre. Pour les militants de la bonne cause, la dimension artistique n’existe plus, car l’art « n’est pas le sujet » !


« J’ai l’honneur de défendre Roman Polanski, un des plus grands réalisateurs de l’histoire du cinéma… » C’est par ces mots que s’est ouverte la plaidoirie de maître Delphine Meillet le 5 mars dernier devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Ce jour-là, on juge Polanski pour diffamation. La plaignante, c’est Charlotte Lewis, qui accuse publiquement (depuis 2010) le réalisateur de viol. Aujourd’hui elle l’attaque pour diffamation en raison de propos tenus par le cinéaste dans Paris Match en 2019 au sujet de ce viol allégué. Lorsque le journaliste évoque les accusations de Lewis, Polanski répond : «Voyez-vous, la première qualité d’un bon menteur, c’est une excellente mémoire. On mentionne toujours Charlotte Lewis dans la liste de mes accusatrices sans jamais relever ces contradictions. » Et lorsqu’on l’interroge sur les raisons qui la pousseraient à mentir, il déclare : « Qu’est-ce que j’en sais ? Frustration ? Il faudrait interroger des psys, des scientifiques, des historiens, que sais-je. » Voilà l’objet de la supposée diffamation.

C’est pas le sujet !

Mais ce procès n’est pas ce dont je veux parler ici. « J’ai l’honneur de défendre Roman Polanski, un des plus grands réalisateurs de l’histoire du cinéma. » Comment Delphine Meillet a-t-elle osé prononcer ces mots ? Rappeler et affirmer aujourd’hui que Polanski est « l’un des plus grands réalisateurs de l’histoire du cinéma » relève de la résistance. « Et alors ? Quel est le rapport ? C’est pas le sujet ! » dit-on dans les chaumières néoféministes. Et c’est bien vrai ! L’art n’est pas le sujet. Ni là, ni ailleurs. L’art n’est plus le sujet. Nulle part. Jamais. L’art ne compte pas. De Polanski, désormais, n’importe plus que le scandale. C’est le monde en train d’advenir. Polanski est un pédophile, Depardieu un gros porc et un violeur. Point. Leur œuvre : à la trappe. Ce n’est pas le sujet ! Il faut nier la dimension artistique, l’ignorer. Elle ne doit plus exister. Il faut la remplacer. La remplacer par autre chose. La remplacer par ce qui les obsède : les violences sexistes et sexuelles. Il ne faut plus que leurs noms soient synonymes d’art mais de viol, de violence, d’horreur. Des collages féministes affichaient d’ailleurs dans les rues en lettres capitales « VIOLANSKI ». Et voilà, le tour est joué ! Introduire le viol jusque dans son nom. Ainsi, le viol sera toujours le sujet. L’art, lui, le sera de moins en moins.

Adèle Haenel – au hasard ! – accepterait-elle de participer à un débat purement centré sur l’œuvre de Polanski, où les accusations de viol ne seraient pas le sujet ? Je ne crois pas. Pourquoi ? Parce que pour elle, comme pour beaucoup de militants MeToo, l’art ne compte pas. L’artiste ne vaut rien. Imaginez-vous la scène ! Allez, on se projette.

Deux ou trois personnes, dans une émission TV consacrée au cinéma, parlent du Bal des vampires. Elles analysent le génie avec lequel la scène du bal est tournée et décryptent avec passion l’immense numéro d’acteur burlesque de Jack MacGowran et Polanski tentant de tuer le comte Van Krolock endormi dans son cercueil. Mais, soudain, Adèle Haenel – silencieuse jusque-là – s’exclame : « Vous plaisantez ?! On parle d’un homme accusé de viol là ! Vous avez écouté les témoignages des victimes ? »« Adèle, ce n’est pas le sujet… », lui rétorque le présentateur.« Ce n’est pas le sujet ? Polanski est un violeur et ce n’est pas le sujet ? Bien sûr que c’est le sujet ! C’est le seul sujet ! »hurle Haenel.

J’imagine tellement la scène. Je la vois. C’est toujours le sujet ! Évidemment. C’est le seul sujet qui compte. Mais sortons de mon imagination. Dans la réalité actuelle, aucun présentateur ne se permettra de dire à Madame Haenel ou à Madame Mouglalis que « ce n’est pas le sujet ». On ose dire que l’art n’est pas le sujet. Ça on ose ! À longueur de journée ! Ça, on le rabâche. On le martèle. Comme pour nous faire croire que là, en l’occurrence, ce n’est pas le sujet. Et que ce serait le sujet dans une autre discussion, centrée sur l’art. Mais cette autre discussion n’a jamais lieu. Et si elle avait lieu, on y parlerait tout de même de viol. On entend déjà le journaliste cinéma du jour : « Nous ne pouvons évidemment pas évoquer l’œuvre de Roman Polanski sans rappeler qu’il est accusé de ceci et de cela par tel nombre de femmes, etc., etc. »

Sauver l’art

Ces gens de chez MeToo prétendent souvent ne pas vouloir faire interdire les œuvres des artistes accusés de violences sexistes ou sexuelles. Eux ne regarderont plus les films de Polanski ou de Depardieu, mais ils assurent ne pas vouloir en priver les autres. Pour le moment, oui. Taqiya ! Stratégie de dissimulation ! Patience… ! De toute façon, ils savent bien que leurs méthodes d’intimidation créent déjà de la censure. Ils savent que ça marche. Qui va recevoir dans son cinéma ou dans son festival un artiste que l’on qualifie de violeurà longueur d’émissions ? On annule la projection d’un film dans tel festival, on annule des concerts de Depardieu dans telle ou telle ville. C’est comme ça que ça se passe. Ce n’est pas une censure totale, mais des sabotages ici et là qui, additionnés, font masse et en entraînent d’autres. Ces militants ont en tête qu’ils doivent marquer « viol » au fer rouge sur le front des accusés. Lorsqu’on tape Polanski sur internet, ce sont les mots« agression sexuelle »« viol »« violences sexuelles » qui tapissent les pages Google. Pour Richard Berry c’est « inceste ».  Pour Benoît Jacquot c’est « emprise » et « viol ». « Mais qui parle de supprimer leurs œuvres ? » m’a-t-on plusieurs fois demandé sur les plateaux TV. Ils ne le disent pas… mais évidemment qu’ils en crèvent d’envie. Pour l’instant, certains d’entre eux disent vouloir« contextualiser » les œuvres pour que l’on sache bien si les participants d’un film sont tout à fait blanc-bleu. Dans leur monde rêvé, il y aurait donc sur les jaquettes des DVD des films de Polanski un bandeau « Ce film a été réalisé par un violeur » avec, au dos, la liste des crimes dont on l’accuse, comme on trouve écrit sur une barquette de cuisses de poulet « Élevé en plein air et sans traitement antibiotiques ». Son film, c’est du poulet ? Pas plus ? Eh bien je crois que nous y sommes, oui. L’art, c’est du poulet. L’art, c’est une chose comme une autre. Il doit y avoir une traçabilité du produit. Il ne faut plus que dans un article de presse, dans une revue de cinéma ou sur une affiche de film le nom d’un accusé se trouve à plus de cinq centimètres du mot viol. D’ailleurs, dans notre tribune « N’effacez pas Gérard Depardieu », publiée en décembre dernier dans Le Figaro, quelles sont les phrases qui ont le plus gêné ? « Lorsqu’on attaque Gérard Depardieu, c’est l’art qu’on attaque »« Gérard Depardieu est probablement le plus grand des acteurs » e« par son génie d’acteur, Gérard Depardieu participe au rayonnement artistique de notre pays ». Voilà des phrases impardonnables méritant le fameux « C’est pas le sujet ! ». Elles étaient pourtant nécessaires. Quand on ne parle de Depardieu que comme d’un porc et d’un violeur (au mépris de la présomption d’innocence en ce qui concerne le viol), que 56 artistes signent un texte rappelant que cet homme est un artiste majeur, était à mon avis salutaire. C’était un devoir de le faire. Chacun sa mission, chacun son combat. Le mien est de sauver les œuvres. De sauver l’art. C’est ce pour quoi j’ai choisi de me battre. Je voue un culte au grand art et je sais combien il sauve, combien il est nécessaire. Ça aussi, on pourrait en parler ! De tout le bien que Polanski a fait par ses films. Des masses qu’il a fait rêver, des âmes qu’il a sauvées de leur triste quotidien, du rêve qu’il a offert, de tous ceux qu’il a fait réfléchir, à qui il a ouvert les yeux à travers son regard aiguisé sur les abysses de l’humain. Mais non, l’art ne compte pas. Il ne sert à rien. La beauté non plus. Je me demande quel rapport Adèle Haenel, Caroline De Haas, Marine Turchi et Edwy Plenel entretiennent avec Mozart, Schumann et Strauss. Mon instinct me dit qu’ils sont imperméables à la beauté.En tout cas, ce n’est pas leur sujet ! Sur France Inter, Guillaume Meurice a consacré une chronique à l’hommage de la Cinémathèque à Roman Polanski. Un des quidams à qui il tend le micro pour les ridiculiser lui dit : « En ce moment c’est un peu la mode de parler de harcèlement sexuel et tout ça quoi […] et la Cinémathèque n’invite pas un obsédé sexuel ou quoi que ce soit, elle invite un cinéaste qui est là pour parler de cinéma. Pas de son cul ou de sa bite. » Réponse de Meurice : « Mais parlons cinéma enfin ! Merde ! C’est vrai ça, ça m’énerve. C’est pareil, à chaque fois qu’on parle de Guy Georges dans une émission, on parle que de ses crimes ! Le mec fait une super polenta et on n’en parle absolument jamais. » L’excellente polenta d’un tueur en série n’est effectivement pas un sujet.En revanche, l’œuvre d’un grand réalisateur (même accusé de viol !) est un sujet. Un sujet majeur ! Je refuse de mettre Rosemary’s Baby et la polenta de Guy Georges dans la même gamelle ! Pardon ? Oui, je sais : c’est pas le sujet !

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Pauvre Bitos, pauvre Anouilh, sa pièce raccourcie car trop contre révolutionnaire?

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DR.

Le jeu de massacre grinçant de Jean Anouilh, « Pauvre Bitos – le Dîner de têtes », est de retour au théâtre Hébertot.


On connait bien sûr le sens d’un dîner de famille, ou d’un dîner de cons. Dans certains cas, ces deux-là forment un pléonasme ! Celui d’un dîner de têtes est nettement moins connu. Passée de mode, l’expression a été remplacée par la formule plus festive de la « soirée à thème » ou de la « soirée déguisée », ce qui signifie la même chose sauf que concernant le dîner de têtes, seule la tête est grimée. Thierry Harcout la remet au goût du jour en mettant en scène Pauvre Bitos au Théâtre Hébertot, une des pièces les plus grinçantes de Jean Anouilh, où le rire n’est jamais léger et insouciant mais grave et plombant.

Qu’on lui coupe la tête !

Le récit se déroule après la Deuxième Guerre mondiale, au moment où la Libération du pays fait place à l’épuration des traitres. Un groupe d’amis, appartenant tous à la bonne société d’une petite ville de province, convie André Bitos, un ancien camarade de classe devenu un magistrat un peu raide suscitant exaspération et jalousie. Quoi de plus propice pour régler ses comptes avec l’intéressé, que de jouer un des acteurs de la Terreur révolutionnaire ? Derrière leurs masques de Saint-Just, Danton, Desmoulins, Mirabeau ou Tallien, les convives ravivent quelques rancœurs passées et s’adonnent à leurs envies pressantes de vengeance contre celui qui est la tête de Turc du diner : Bitos. Mais ce dernier n’a malheureusement pas pris comme tête d’époque celle de la victime expiatoire, Louis XVI, mais celle de Maximilien de Robespierre dit l’Incorruptible. Dire que des députés Insoumis comme Antoine Lémaument revendiquent sans vergogne l’héritage de ce dernier qu’ils considèrent républicain, alors qu’il n’est qu’un meurtrier !

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Le spectateur est donc transporté à une époque où garder sa tête pouvait relever de l’exception au regard de la cadence infernale avec laquelle le rasoir national fonctionnait. Les répliques fusent, les formules respirent un cynisme jubilatoire, on rit – mais on rit jaune – devant le télescopage de ces deux époques sombres de notre histoire où la dénonciation de son voisin devient un sport national.

L’Incorruptible voulait une République vertueuse, il a instauré une République tueuse

Pour mieux souligner le rapprochement entre l’épuration et la Terreur – ce qui fit tant scandale à l’époque – Anouilh joue sur le mélange entre fiction et réalité. Au fil de sa pièce, les masques deviennent les têtes et le magistrat Bitos se transforme en l’avocat d’Arras. L’auteur insiste sur leur similitude qui dépasse leur fonction sociale pour embrasser celle de leur caractère. Bitos comme Robespierre est aussi raide qu’une pique, aussi tranchant qu’une lame. Mais surtout, il partage avec l’Incorruptible le fantasme d’une vertu virginale et un dégoût immodéré pour le peuple qu’il se targue de défendre alors qu’il ne fait que le mépriser. « Je n’aime personne, même pas le peuple, il pue… » assène-t-il. Autre sortie haineuse : « Je vous ferai passer le goût de vivre et d’être des hommes, je vous ferai propre, moi ! ». Anouilh rend cette évocation de la propreté récurrente dans la bouche de Bitos, alias Robespierre. Et ce n’est pas anodin. Il faut très certainement y voir la référence à la guillotine qui fut jugée à l’époque comme une invention humaniste. C’est que la grande Veuve tuait mécaniquement, anonymement, rapidement – en « un clin d’œil » comme on disait à l’époque – et surtout, proprement. Le bourreau n’avait plus qu’à actionner le couperet. Exit la hache, l’épuisement physique d’un homme, sa souffrance morale. Plus de marre de sang, place nette. « Je vous ferai propre moi ! », dans ce cri fiévreux, résonne tout le projet révolutionnaire de créer un homme nouveau qui jaillirait de la cuisse de la Terreur révolutionnaire. Pour les agités du hachoir, c’est par et grâce à la guillotine que le peuple peut et doit se régénérer pour former une république vertueuse. Dans son Rapport sur les principes de morale politique, Robespierre légitimait la Terreur comme n’étant pas « autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible (…) une émanation de la vertu ».

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Dès la publication de la pièce en 1956, Anouilh rouvre donc, avec un temps d’avance, le livre noir de la Révolution française, dévoilant l’idéologie meurtrière de la Terreur et le fanatisme de ses acteurs, comme le feront, quelques années plus tard, François Furet, Mona Ozouf, Stéphane Courtois ou encore Patrice Gueniffey.

Un spectacle ramené à 1h20

Si on ne peut que saluer la mise en scène enlevée et le jeu des acteurs qui font résonner toute l’actualité de la pièce d’Anouilh, il est difficile de ne pas regretter les coupures du metteur en scène. Certaines scènes manquent cruellement. Notamment celle où Robespierre et Saint-Just, rédigent la loi du 22 Prairial (10 juin 1794). Avec cette loi, les « suspects » à interroger deviennent des « ennemis du peuple » à exterminer et l’arbitraire est poussé jusqu’à son paroxysme – puisqu’elle supprime l’audition des témoins, abrège les plaidoiries et réduit les procès à des comparutions devant les juges du tribunal révolutionnaire où la seule alternative est la vie ou la guillotine.

Cette loi inaugure la Grande Terreur robespierriste pendant laquelle les « guillotinades » fonctionnent à plein régime à tel point qu’on pouvait entendre dire « Y a-t-il guillotine aujourd’hui ? – Oui, lui répliqua un franc patriote, car il y a toujours trahison. »[1] Est-ce par crainte de faire trop long, ou par peur de trop appuyer la critique contre-révolutionnaire de Jean Anouilh que Thierry Harcourt a fait tomber le couperet sur ces scènes ? Quoi qu’il en soit, le spectateur repart de la salle plus en frissonnant qu’en riant.

Avec Maxime d’Aboville, Adel Djemai, Francis Lombrail, Adrien Melin, Etienne Ménard, Adina Cartianu, Clara Huet et Sybille Montagne. Mise en scène Thierry Harcourt.  78 bis boulevard des Batignolles 75017 Paris.


[1] Dictionnaire critique de la Révolution française (1992), François Furet, Mona Ozouf.

Glucksmann, le candidat des gnangnans de la mondialisation?

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Raphaël Glucksmann et Olivier Faure, Saint-Paul (974), 19 avril 2024 © Alain ROBERT/SIPA

Le champion du Parti Socialiste aux élections européennes a trouvé son public. Il coche toutes les cases des bonnes causes et de la bien-pensance.


Il est professeur d’université, rebelle subventionné, soixante-huitard embourgeoisé ; il a des diplômes, vit dans un beau quartier du centre-ville, mange bio et roule en trottinette électrique. Ses dieux s’appellent Victor Hugo, Albert Camus et Simone de Beauvoir ; comme eux, il est pacifiste, européiste, féministe, humaniste et progressiste. Il ne recule devant aucun des lieux communs de la bien-pensance : sans le moindre souci des contradictions, ce promoteur des États-Unis d’Europe, favorable à l’accueil inconditionnel des migrants chez les autres, laïcard à géométrie variable, hostile à l’assimilation et désarmé devant l’escalade islamiste, est à la fois écologiste et mondialiste, chantre du commerce international, — mais contre le protectionnisme national, et décroissant —, anti-identitaire mais multiculturaliste, opposé à la guerre — mais partisan acharné de l’Ukraine.

Les frontières, c’est la guerre !

Il écoute France Inter, apprécie la neutralité du service public, exècre les « chaînes d’opinion ». Il est volontiers inclusif et bienveillant (avec ses amis) ; enfant des Lumières, amoureux de Voltaire, il croit « toujours » la parole des femmes, approuve les lois de censure, applaudit des deux mains aux jugements de la dix-septième (quand ils condamnent ses opposants), et aux sanctions de l’Arcom.

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Il philosophe par slogans et raccourcis : — la montée des nationalismes est un danger pour nos démocraties (mais le nationalisme ukrainien ?…) ; — guerre rime avec frontière ; — ni compromissions, ni clientélisme avec l’autoritarisme et le communautarisme ! La France, il en est convaincu, avant le progrès, était raciste et misogyne. Guère fin connaisseur de l’histoire de son pays, qu’il divise en deux grandes périodes, l’obscur moyen âge tyrannique et les lumières de la modernité, il se définit comme fils de la Révolution, défenseur de la gauche républicaine, militant des droits de l’Homme et citoyen du monde.

Quand c’est mou, il y a un loup !

Il est un peu socialiste, un peu libéral, atlantiste et universaliste, politiquement de centre-gauche : en deux mots, social et démocrate (pour la droite : mol et gauchiste, pour la gauche : mol et droitard). Mais s’il estime la République, il se défie en revanche de la démocratie : le peuple se trompe, est-ce qu’il n’a pas porté Hitler au pouvoir dans les années trente ? — et avec gravité, il pèse l’importance de l’État de droit. Contre les populismes de tous bords, il jure encore par l’arc républicain ; d’ailleurs, il a voté Macron au second tour de l’élection présidentielle, deux fois, avec un inavouable contentement. Il croit comme les stoïciens à la vertu de la modération, et que la modération, c’est lui qui l’incarne. Pris en tenaille d’un côté par les conservateurs, de l’autre par les progressistes exaltés de la gauche woke, il s’attaque aux premiers principalement, et devant ses amis dénonce avec courage l’extrême-droite, les catholiques et les climato-sceptiques.

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Plutôt rationaliste qu’empiriste, il ne réfléchit que par concepts abstraits, cherche théoriquement la Vérité dans la politique, et défiant toutes les lois de la logique, mais avec la souveraine conscience du Bien, découvre bientôt la nécessité de plus de normes européennes, de plus de dépenses publiques, et de plus d’immigration. Pense-t-on différemment ? nous sommes dans l’erreur, sinon des criminels. Parce qu’il fuit les contradicteurs, il s’imagine d’accord avec la France majoritaire. Les sondages le laissent pantois ! — alors, il s’étonne auprès de ses amis, sidéré, puis soupire sur la République en danger.

100% pur jus

Socialiste arriéré des dernières décennies, il regrette Hollande, Jospin, Mitterrand. Il n’a pas pardonné au président Macron la loi immigration, Sainte-Soline et Depardieu ; mais jamais il ne tombera dans les filets de l’extrême-gauche, car il soutient l’Ukraine inconditionnellement, lui, et condamne le Hamas avec fermeté. Grand promoteur de l’égalité, héroïque pourfendeur du patriarcat, confit dans le consensualisme avec son jus, il est de toutes les causes progressistes, lutte impitoyablement contre l’oppression des minorités, n’a pas peur de l’écriture inclusive, ni de critiquer l’Académie française. Rebelle dans la peau, quoique vautré dans l’air du temps, cherchant à s’insurger désespérément, il soutient les Ouïghours sur Instagram, et puis s’endort avec le sentiment du devoir accompli, après avoir dîné d’un plat livré par un cycliste Deliveroo sans papiers…

Contre le risque totalitaire et les idéologies mortifères, face à la menace Poutine, il ira voter aux élections européennes pour le seul candidat qui pense bien, il ira voter pour Raphaël Glucksmann.

Boycott de marques «associées» à Israël: la grande confusion

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Militante appelant au boycott de Carrefour, Toulouse, 13 janvier 2024 © FRED SCHEIBER/SIPA

Désormais, même des entreprises non-israéliennes sont visées par les appels au boycott des militants pro-Palestine, sur la base de critères… des plus opaques. En réalité, si les dénonciations et les actions de groupuscules toxiques comme le BDS visent avant tout les grandes marques, c’est pour faire le maximum de bruit possible.


Le conflit entre Israël et le Hamas entraine de nombreux appels au boycott. Ils ciblent telle ou telle marque parce qu’israélienne ou suspectée de soutenir les actions de l’armée israélienne à Gaza ou dans les territoires occupés. Problème : les critères présidant à la mise au ban de ces marques apparaissent flous, et les liens de ces marques avec Tsahal ou leur soutien à la colonisation dans certains cas purement fictifs. La critique de Benyamin Netanyahou et de son État-major, qui se sont lancés dans une riposte contestée après le raid meurtrier du 7 octobre, peut évidemment apparaitre légitime. Ce qui l’est moins, c’est le fait de rendre les entreprises et les fournisseurs israéliens responsables des actions du gouvernement israélien. La « culpabilité par association » est un principe de justice nord-coréenne, qui n’a pas sa place dans une société civilisée.

Carrefour dans l’œil du cyclone 

Mais, le comble de l’absurde est atteint lorsque, non contents de s’en prendre à des entreprises, les partisans du boycott ciblent des entreprises non-israéliennes. Depuis le 7 octobre, le mouvement BDS, pour « Boycott, Désinvestissement et Sanctions », coalition mondiale d’associations et d’ONG pro-Palestine, a ainsi accentué sa campagne d’appels au boycott d’enseignes au motif qu’elles se rendraient coupables de « complicité avérée dans l’apartheid israélien ».  Comment le BDS s’y prend-il pour attester d’une telle « complicité », selon quelle méthodologie ? S’il suffit de posséder des liens économiques avec une société israélienne pour se rendre « complice », toutes les entreprises de la planète, inscrites dans une économie de marché globalisée, où les flux de marchandises, de capitaux et d’informations ne connaissent plus de frontières, ne sont-elles pas, de près ou de loin, « complices » ? 

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Conscient de l’opacité des critères avancés pour boycotter telle marque plutôt qu’une autre, le BDS a choisi de concentrer ses attaques sur un nombre restreint de marques, pour tenter de clarifier son action et de ne pas disperser ses efforts. Quitte, selon une étude publiée par L’Observatoire stratégique de l’Information (OSI), à déployer « une approche agressive à l’égard des marques, qui n’hésite pas à distordre les faits de manière opportuniste et à adopter une rhétorique radicale afin de faire avancer son agenda militant »[1]. 

L’exemple de Carrefour est à ce titre édifiant. L’enseigne de grande distribution fait partie des marques les plus ciblées par la campagne de BDS en France. Que lui reproche-t-on ? D’avoir, au lendemain du 7 octobre, fait don de victuailles aux soldats israéliens. Et d’être implantée en territoires palestiniens occupés. Concernant la distribution de vivres, il s’agissait en fait de l’acte isolé d’un salarié d’un franchisé de l’enseigne, qui n’a en rien été validé par la direction du groupe. Idem, à en croire la liste officielle de l’ONU des 112 entreprises qui auraient « directement et indirectement, permis, facilité et profité de la construction et de la croissance des colonies »[2], pour la présence en Palestine occupée : il ne s’agit pas de Carrefour, mais d’une filiale de l’un de ses franchisés.

Les grands groupes ne font pas de politique, mais des affaires

Cette dilution, maillon après maillon, de la responsabilité réelle du groupe dans le sort réservé aux Palestiniens ne semble pas déranger BDS. Non content de cibler des marques plutôt que des États, le mouvement pro-Palestinien n’hésite pas à cibler ces marques sur des critères nébuleux, sur des présomptions de responsabilité très minces. En l’occurrence, sur le fait qu’elles auraient signé un partenariat de franchise avec un groupe israélien possédant lui-même une filiale en territoires occupés. C’est un peu l’histoire de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours…

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Fait insolite, Carrefour, présent dans un certain nombre de pays musulmans voisins, a été critiqué par des politiciens israéliens[3] pour ne pas avoir de magasins en Cisjordanie occupée, et est régulièrement critiqué en France pour mettre trop de produits hallal dans ses rayons durant le mois de Ramadan. Des exemples qui montrent que, loin de se mêler de considérations géopolitiques et d’afficher des préférences, les grands groupes obéissent d’abord et avant tout à une logique économique, commerciale, et se retrouvent parfois pris malgré eux entre deux feux. 

Carrefour n’est pas la seule marque injustement visée. D’autres grandes marques sans liens particuliers avec Israël, comme Pepsi, Barclays, McDonald’s, Starbucks et Zara, ont été confrontées à des mouvements de protestation et à des boycotts de la part de militants les accusant de « profiter du génocide du peuple palestinien », sans que cette accusation soit étayée. Autant d’attaques qui posent la question des critères de sélection des cibles du BDS.

Ces boucs-émissaires ne sont-ils désignés qu’en raison de leur taille, susceptible d’apporter une publicité à la cause défendue par ces militants ?  Et au mépris de leur implication réelle dans ce qui leur est reproché ? Tout l’indique. 


[1] https://observatoire-strategique-information.fr/2024/03/13/boycottisrael-ce-que-la-campagne-bds-revele-des-nouvelles-formes-de-lobbying-en-ligne-2/

[2] https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/lonu-liste-112-societes-liees-aux-colonies-israeliennes-1171362

[3] https://atlantico.fr/article/decryptage/carrefour-bds-et-israel-decryptage-d-une-tentative-de-boycott-gabriel-robin

De l’entrisme islamiste à l’école de la République

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Cantine scolaire à Nice, Lycee "Les Eucalyptus", septembre 2023 © SYSPEO/SIPA

Malgré la bonne volonté du Premier ministre Gabriel Attal, qui entend dire les choses, l’entrisme islamiste ne remporte des succès à l’école française que parce que le terreau y est fertile – les  personnels étant de plus en plus nombreux à ne pas être dérangés par la présence de la religion au sein des établissements scolaires, constate notre contributeur, directeur d’école.


Notre Premier ministre Gabriel Attal, qui fut le seul ministre de l’Éducation nationale que j’aurais bien aimé voir plus longtemps dans cette fonction, brosse enfin le portrait de la réalité de notre école – en filigrane, bien entendu, on voit toutes les dérives de notre société. La jeunesse présente les inconvénients de ses privilèges : elle exagère tout, et la fougue des jeunes années nous offre un effet loupe sur nos maux.

Aussi, notre école concentre tous les maux de notre société, à commencer par la violence des relations, l’individualisme et l’indifférence aux autres alimentant le sentiment de la légitimité de toutes les actions des uns ou des revendications des autres. La proclamation des « droits » (« j’ai le droit ») devance désormais systématiquement l’intérêt commun dans la réflexion, si elle existe, des jeunes voire de leurs parents.

Quand l’entrisme fait de la surenchère

L’entrisme islamiste est d’autant plus fréquent maintenant qu’il semble être concurrentiel, certains y trouvent sûrement les raisons de briller aux yeux des autres, tout au moins de montrer qu’ils sont de bons musulmans, davantage que ceux qui respectent les règles de l’école sans les contester. Alors, nous assistons et nous subissons de plus en plus les demandes des uns et des autres, ici une dispense de sortie scolaire, là une nécessité de repas sans viande. Comme cela n’est pas le cas dans la commune où j’exerce, il n’y a pas d’autre possibilité que le repas de substitution au porc quand il est au menu, et je suis tenu de répondre que la viande ou le poisson sont servis à l’exception des jours où le menu est végétarien.

De plus en plus fréquemment les élèves souhaitent jeûner pendant le ramadan et cela de plus en plus tôt, vers 8-9 ans. Bien sûr, il en va de la responsabilité de leurs parents, et cela ne concerne pas l’école à plusieurs exceptions près : quand l’élève est supposé manger à la cantine et quand il se met en danger et/ou dans l’incapacité de suivre les apprentissages. Une nouvelle fois, le directeur que je suis se trouve bien seul pour rappeler les règles aux élèves, puis à leurs parents. Une nouvelle fois, l’institution, par une communication peu claire, jette le trouble sur le terrain et place les représentants de l’État que nous sommes dans des situations assez délicates. Quelques élèves venaient le mois dernier à la cantine et refusaient de manger, me certifiant que leurs parents étaient d’accord pour qu’ils respectent le jeûne. Obligé de leur expliquer toute l’incohérence de venir dans le lieu où la seule activité prévue est justement de manger, je téléphonais ensuite pour informer leurs parents de la situation, en les invitant soit, s’ils n’étaient pas informés de l’intention de leur enfant, à leur dire de prendre le repas de la cantine comme d’habitude, soit de leur permettre pour les jours suivants de rentrer chez eux le midi…

Savoir et croire

L’école est le lieu du savoir et non du croire… Si la laïcité protège toutes les croyances, il serait bon de la définir sans détour à l’école et au collège. Car je vois souvent des collègues, y compris du second degré, la définissant comme la liberté sans plus de précisions, l’égalité fille / garçon, et ainsi de suite ; alors qu’en premier lieu, il s’agit de la liberté de croire ou de ne pas croire, et de changer éventuellement de croyance. Je poursuis toujours en rappelant qu’à l’Éducation nationale nous nous intéressons au savoir, laissant le croire à la sphère privée, principalement familiale pour nos élèves.

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Si les collègues ont de plus en plus de difficultés avec la laïcité, c’est d’une part qu’ils ne partagent pas toujours le sens de la neutralité qu’elle exige des enseignements, et d’autre part qu’ils sont fréquemment identifiés par tous comme adeptes de telle ou telle religion, le plus souvent l’islam bien sûr. Justement en raison du ramadan et de la pratique facilement identifiable par tous de ceux qui le font. Pourquoi donc rester neutre en tant qu’enseignant quand tous les élèves, leur famille et les collègues savent clairement ses croyances et la volonté de les respecter y compris au sein de l’école ? Ces questions étaient suspendues dans les salles des maîtres, il y a encore quelques années ; elles flottaient également au-dessus des relations entre les collègues et les familles ; elles sont clairement obsolètes aujourd’hui. Les collègues qui affichent leur idéologie (politique ou autre) et leur pratique religieuse ne sont ni discrets ni inquiétés d’aucune façon que ce soit.

Lâcheté et autocensure

Alors, Monsieur le Premier ministre, l’entrisme islamiste est le fait de jeunes et de parents revendicateurs bien sûr, mais il porte ses fruits car le terreau de l’école est propice et malheureusement bien fertile sur ce point. Ainsi, en plus de demander aux autres de respecter les règles de la laïcité, je serai d’avis d’exiger des agents de l’État le total engagement que nous avons tous pris en signant notre entrée à l’Éducation nationale : rester neutre idéologiquement et n’afficher aucun signe religieux pendant notre temps de service, pendant que nous exerçons en notre qualité de fonctionnaire. Cela est valable pour tous, et j’ai dû batailler longuement pour qu’une collègue cesse de mettre en évidence la croix qu’elle avait en pendentif et qui se voyait très précisément les mois où le climat est plus propice aux tenues légères.

Nantes, 31 août 2023 © LOIC VENANCE / AFP

Là, en exigeant réellement de tous les agents de l’État une vraie représentation de la République laïque, nous pourrons ensuite affirmer nos valeurs et demander le respect plein et entier des enseignements, des règles et des autres. Depuis longtemps déjà, je sais la situation nous échapper collectivement car nous sommes de moins en moins nombreux à défendre sans détour et sans langue de bois notre laïcité et notre liberté d’expression, visant ainsi à développer l’esprit d’analyse et l’esprit critique de nos élèves. Certains s’y refusent désormais par peur et s’autocensurent, certains par lâcheté et volonté de rester tranquillement à l’abri des remous, d’autres s’y refusent par conviction car ils verraient d’un bon œil le religieux entrer encore plus à l’école. Combien de jeunes enseignants ne seraient pas dérangés par les tenues religieuses, notamment le voile, portées par leurs élèves ? Chaque année, un peu plus. Chaque année je me sens davantage seul, dernier rempart de la République devant la grille de l’école…

Cela ne pourra pas durer. Cela ne durera pas. Le constat étant maintenant établi très clairement, les mots ayant été prononcés précisément par notre Premier ministre, il est désormais urgent d’agir réellement avec de vraies mesures et de concrétiser toutes ces paroles tant attendues depuis si longtemps. Notre laïcité que nous pensions éternelle n’est en réalité qu’un colosse aux pieds d’argile, de plus en plus fragile. Elle ne nous protègera que si nous exigeons de tous son respect sans adjectif ni additif, sans aucun compromis !

Le temps est venu de ne plus craindre d’être «réac»

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Le journaliste Ivan Rioufol © Hannah Assouline

Bonne nouvelle : ici et là, des Français se rebiffent. Ils deviennent réactionnaires…


Un effet de masse est prévisible. Il suffit de constater l’affolement des censeurs, gardiens de la pensée immobile, pour s’en persuader. Partout, l’exaspération populaire se libère des interdits idéologiques qui empêchent de décrire les réalités et d’avancer dans les réformes. Certes, « réactionnaire » est un mot empli d’une poussière passéiste. Pour cette raison, il est récusé par les partis de droite, qui veulent pourtant rompre avec les « Trente calamiteuses ». C’est à peine si ces mouvements osent se définir conservateurs, et encore moins nostalgiques.

Réactionnaires de progrès !

Le terme mériterait pourtant d’être brandi, au sens où l’entendait Marc Fumaroli : « Une aptitude à résister au conformisme du temps ». Régis Debray, autre esprit indocile, s’amuse à se décrire lui-même comme « réactionnaire de progrès ». En 2012, à l’invitation de mon ami aujourd’hui disparu, Roland Jaccard, directeur de collection aux Presses universitaires de France (PUF), je publiais De l’urgence d’être réactionnaire : une invite à « prêter son concours à une réaction politique » (suivant en cela la définition du terme dans le Larousse Universel, 1923) face aux désastres annoncés par les effondrements de l’Etat-nation et de l’Etat-providence. Depuis, je persiste : le temps est venu de ne plus craindre d’être « réac », puisqu’il s’agit pour les révoltés de renverser les fausses valeurs progressistes. Ces éveillés-ci sont plus révolutionnaires que les « wokes », qui portent le refus du dialogue, cette caractéristique des systèmes totalitaires.

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Une opinion publique excédée

La censure publicitaire parisienne sur Transmania, le livre de Dora Moutot et Marguerite Stern, illustre la panique des dresseurs d’opinion, confrontés à la libération de l’esprit critique. Parce que les deux féministes soutiennent qu’une femme est une réalité biologique et non un « ressenti », et que l’idéologie transgenre est physiquement dangereuse, elles ont été accusées de « transphobie », de « complotisme » et de « haine de l’autre »1. La ville, sous la pression d’élus socialistes, a obtenu le retrait des publicités de leur essai sur les panneaux Decaux, en offrant à Transmania un probable succès d’édition. Mais les insoumissions de Moutot et Stern au politiquement correct ne sont pas des exceptions. Les féministes de Némésis ne craignent pas de dénoncer les violences sexistes de la charia et de réclamer « l’expulsion des violeurs étrangers ». La maire (divers droite) de Romans-sur-Isère, Marie-Hélène Thoraval n’écoute pas davantage les sermons de la gauche quand l’élue revendique « dire tout haut ce que les gens disent tout bas » et dénonce les « quartiers communautaires » qui ont remplacé les « quartiers populaires ». Entendre le maire de Grande-Synthe accuser la « fachosphère » après le meurtre de Philippe Coopman par deux jeunes sauvages2 fait partie de ces réflexes qui irritent une opinion excédée par les lâchetés des donneurs de leçons. La montée en puissance de Jordan Bardella (RN) dans les sondages puise dans ce désir de rompre avec un monde construit cul par-dessus tête. La réaction est, pour cela, le meilleur des moteurs.

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  1. Lire ici l’analyse de Jeremy Stubbs, publiée samedi : https://www.causeur.fr/transmania-le-plus-gros-casse-conceptuel-du-moment-281069 ↩︎
  2. https://www.bfmtv.com/police-justice/grande-synthe-la-mort-de-philippe-coopman-a-ete-causee-par-plusieurs-coups-portes-a-sa-tete-indique-la-procureure-de-la-republique-de-dunkerque_VN-202404190680.html ↩︎

L’Europe se défend à Kiev

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Moscou, 7 février 2022 : Vladimir Poutine reçoit Emmanuel Macron au Kremlin afin de trouver une issue pacifique à la crise autour de l'Ukraine, quelques semaines avant l’invasion du pays par la Russie © EyePress News/Shutterstock/Sipa

Si la guerre en Ukraine est la première étape de la reconstruction du glacis soviétique voulue par Vladimir Poutine, les pays baltes, la Pologne, la Moldavie, la Roumanie et d’autres encore seront tôt ou tard menacés. Il faut soutenir l’Ukraine aujourd’hui, pour ne pas mourir pour elle demain.


« Si la Russie gagnait cette guerre, la crédibilité de l’Europe serait réduite à zéro[…], la vie des Français changerait. » Cette déclaration Emmanuel Macron sur France 2 le 14 mars, a suscité – à juste titre – autant d’inquiétudes que de commentaires. Et comme souvent, la polémique s’enflamme sans que les termes du débat soient définis. Le domaine du flou concerne ici les deux parties de la déclaration présidentielle : la victoire (russe) et le changement (pour les Français). Il faut donc répondre à deux questions : Que serait une « victoire russe » ? En quoi serait-elle grave pour la France ?

Poutine veut faire de l’Ukraine une Biélorussie bis

Que serait une victoire du point de vue russe ? La réponse dépend évidemment des éléments qu’on choisit de prendre en compte. La thèse qu’on défendra ici est donc contestée par des analystes parfaitement respectables. Elle consiste à rappeler que Poutine a été clair sur ses objectifs. Dans un article publié en ligne le 12 juillet 2021 (« De l’unité historique des Russes et des Ukrainiens »), il remet en question l’existence même de l’Ukraine en tant que nation distincte. Il ne se focalise ni sur la question des alliances, ni sur les droits des russophones. Le plan de guerre, exécuté le 24 février 2022,visait bien à atteindre cet objectif : prendre le contrôle du centre politique et symbolique de Kiev pour changer le régime. Les demandes de « dénazification » et de « démilitarisation »confirment que l’objectif russe est la transformation de l’Ukraine en république soviétique du xxie siècle.

Le Kremlin ayant admis officieusement l’échec de la première phase de l’opération spéciale quand il a redéployé ses armées fin mars 2022, ses buts de guerre auraient pu évoluer. Ce n’est pas le cas. Aujourd’hui, alors que la Crimée et le Donbass sont occupés par la Russie, l’une à 100 %, l’autre à 95 %, l’Ukraine n’a plus les moyens de reprendre ces territoires, ni d’en contester le contrôle à la Russie. Pourtant, Poutine refuse de négocier. En déclarant : « J’ai obtenu ce que je voulais, négocions ! », il aurait pu asséner un coup diplomatique dévastateur à l’Occident. Européens et Américains poussant un énorme soupir de soulagement seraient tombés sur Zelenski pour le forcer à négocier…

A lire aussi, du même auteur: Famine organisée à Gaza: mensonge de guerre

On peut donc penser que Poutine veut faire de l’Ukraine une Biélorussie bis et qu’Emmanuel Macron veut l’en empêcher. Cela ne signifie pas que le président français veuille à tout prix restaurer l’Ukraine dans ses frontières de 1991. Macron n’a pas dit qu’il fallait que l’Ukraine gagne, mais que la Russie ne devait pas gagner, établissant une distinction entre les intérêts de l’Ukraine et ceux de la France. En revanche, à Kiev – mais aussi à Varsovie, Vilnius, Riga et Tallin – la formule est différente : défaite russe = victoire ukrainienne = frontières de 1991. La France n’est pas sur cette ligne, les États-Unis et l’Allemagne non plus.

Il faut ensuite comprendre pourquoi Emmanuel Macron affirme que, si la Russie gagne, « la crédibilité de l’Europe sera anéantie et la vie des Français changera ». Rappelons d’abord que notre défense nationale est fondée sur deux piliers : nos armées et notre dissuasion nucléaire d’une part, nos alliances, principalement l’OTAN, d’autre part. Nous avons choisi de lier notre destin à celui de la Lituanie, de la Bulgarie, du Canada et des États-Unis (entre autres) pour ne plus jamais vivre 1870, 1914 et 1940. C’est une police d’assurance-vie ultime de même niveau que la dissuasion. Et ça coûte : on ne peut pas ignorer les intérêts des Polonais, des Américains, des Roumains et des Grecs tout en comptant sur leur solidarité quand, une fois par siècle, nous nous battons pour notre survie. Après la chute de l’URSS, en l’absence d’ennemi à l’horizon, nous n’avons pas démantelé notre armement nucléaire ni quitté l’OTAN. Sans doute parce que dans la vie d’une nation, juin 1940 c’était hier. En tant que membre de l’OTAN et de l’UE, la France doit empêcher une victoire russe, sous peine de perdre collectivement en crédibilité, donc en capacité de dissuasion, vis-à-vis de la Russie.

Il en coutera plus aux Français si l’Ukraine tombe

Tout porte donc à croire que Poutine ment quand il réclame seulement la Crimée et le Donbass, et qu’il cherche en réalité à reconstruire le glacis mis en place par Staline (réhabilité par Poutine) et perdu par Gorbatchev (responsable selon le même de la plus grande tragédie du xxe siècle). Reconstituer le glacis,cela consiste à récupérer d’une manière ou d’une autre, tôt ou tard, les pays baltes, la Pologne, la Moldavie, la Roumanie, voire plus. Certes, l’armée russe n’est pas en état, aujourd’hui, d’affronter l’OTAN. Toutefois, les forces ukrainiennes sont en ce moment dans une situation critique, ce qui explique sans doute que Macron ait choisi de monter au créneau. Cela dit, personne ne pense que des chars russes essaieront de faire régner l’ordre à Varsovie et ailleurs, provoquant une riposte de l’OTAN. On peut plutôt s’attendre à des actions infra-conventionnelles comme des cyberattaques et l’agitation des minorités russophones. Reste que Macron a raison : si l’Ukraine est soumise, son cas fera école.

La France a déjà intégré le nouvel état de la menace russe : si l’enveloppe budgétaire globale de la défense pour 2014-2019 s’est élevée à près de 200 milliards d’euros, celle de 2024-2030 est fixée à 413 milliards. Nous payons déjà plus à cause des Russes, et nous payerons encore plus si l’Ukraine tombe.

Bien entendu, comme un évier bouché la veille de Noël, cette menace se précise au moment où les États-Unis dessinent un mouvement de repli. Depuis 1958, presque tous les présidents français ont affirmé qu’il ne fallait pas avoir une confiance aveugle dans l’allié américain, car un jour, il ne voudrait ou ne pourrait plus nous aider (on appelle ça l’Europe de la défense ou l’OTAN reformée). Et même si Donald Trump affirme que ses menaces ne visent qu’à réveiller les Européens pour qu’ils prennent leur part du fardeau, ce jour finira par arriver.

En 1980, face à l’URSS, 350 000 soldats américains étaient déployés en Europe. Si la France et l’Europe doivent un jour se passer du parapluie américain, ou plutôt quand elles le devront, il faudra non seulement remplacer ces soldats, mais aussi investir des centaines de milliards en équipement, autrement dit passer en économie de guerre. Ce qui changerait assurément la vie de Français nostalgiques du quoi qu’il en coûte.