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George Miller: la mythologie des vieux?

Notre collaboratrice, lasse de corriger des copies évoquant la « crétianisation des Romains » et les « constitadors » espagnols, a voulu s’intellectualiser les neurones devant les derniers monster trucks de George Miller. Alors, ce Furiosa : une saga Mad Max, de quoi se divertir ?


Mad Max : Fury road avait véhiculé son lot d’histoires… Des étincelles entre Charlize Theron — l’imperator Furiosa — et Tom Hardy — Max Rockatansky — auquel l’Australienne faisait une queue de poisson, aux récents démêlés entre George Miller et Christofer Sundberg (responsable de l’adaptation de l’univers en jeu-vidéo), l’univers post-apocalyptique de la Désolation a fait couler pas mal d’encre et le Furiosa : une saga Mad Max était attendu au tournant.

Alors simplifions : Furiosa n’est pas une révision de Fury Road. Oui, ça ne parle pas beaucoup. Mais il y a un scénario. Il y en a même plusieurs, parce que Miller, octogénaire à « la tête blanche et la queue verte », comme disait Bassompierre, n’a plus de temps à perdre pour les livrer prémâchés et simplifiés à un spectateur dont le carbu neuronique bulle.  Il y a du western — la vengeance d’une fillette. Il y a de l’épopée — les courses de char à la Ben Hur. Il y a même de la love story — la walkyrie Brunehilde a couché avec un homme… Damned !

Anya Taylor-Joy ne déçoit pas, Chris Hemsworth génial

Furiosa est plus composite qu’un moteur Tesla : c’est un petit bijou, ça brille de chrome et d’or désertique. Et si le slogan « one man, one bullet » de Fury Road est appliqué à la lettre, Furiosa s’en distingue par son sens. C’est sans doute un film qui fait boum boum, un objet kinétoscopique, comme dit justement Libé, mais c’est aussi un film qui pense.

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Alors rassurons tout le monde : oui, Anya Taylor-Joy, tête rasée et huile de moteur sur le front est tout aussi sexy que sa devancière. L’origine de la prothèse de Furiosa — question à 168 millions de dollars tout de même — est à la hauteur de l’attente. Mais si personne ne doutait du talent d’Anya Taylor-Joy, c’est la performance d’un autre acteur qu’il faut saluer : celle de Chris Hemsworth.

Furiosa, interprétée par Anya Taylor-Joy, et Praetorian Jack, campé par Tom Burke. © Warner Bros

Dans la série « les stars ont-elles de l’humour ? », le visage du Thor de Marvel est méconnaissable. Modèle parmi les bodybuildés hyper-testostéronés, sa performance dans le rôle de Dementus, grand méchant de cette histoire de 2h28 minutes légitime son étoile sur le Hollywood Boulevard du 23 mai. Et 2h28 avec un ours en peluche épinglé sur la quéquette — pas pratique pour régner sur l’univers de la motosphère —, il faut les assumer. Plus Dementus se durcit dans l’horreur, plus le doudou est malmené et c’est avec un bras de Barbie roussi que le pauvre nounours finit…

La mythologie de demain

Car Miller ne déconstruit pas seulement le mâle blond à la cape flamboyante ni le doudou de vos angelots. Il fusionne des signifiants mythiques, les connecte les uns aux autres, comme les cornes teutoniques sur des réservoirs d’Ironhorse, pour forger une mythologie 2.0. Celle du pétrole épuisé et de la terre désolée. Celle de demain.

Accepter la furie créatrice et vrombissante de l’octogénaire, enfourcher les bécanes augmentées de Dementus, ou plonger dans le vide avec les War Boys d’Immortan Joe, c’est abandonner les mots à la mode : le féminisme, l’écologisme… écrasés sous la surconsommation qui en est faite pour revenir à ce qui fait ciment : la culture commune, la forme plus que le fond. C’est un tableau de Waterhouse, Hylas et les Nymphes, qu’on reproduit en cachette à Pétroville, ce sont les cercles de l’enfer du Moulin à balles, c’est le géant nordique Ymir qu’on utilise comme terreau, ou encore un arbre des Désastres de la guerre que Goya n’aurait pas cru australiens. 

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Car Dementus, celui à qui l’on doit l’amputation de la ravissante Furiosa souffre de la maladie la plus universelle : l’ennui. Il est un roi sans divertissement, aurait dit Giono. « Je m’ennuie » dit-il quand la Désolation ne laisse plus place qu’à « l’horreur, l’horreur » — celle de Brando dans Apocalypse now. Sur le parcours du dément, il n’y a que la lassitude des aigles de sang des sagas nordiques, et seul le boudin de fillette rassasie.

Rien de nouveau sur le bitume de l’outback, et pour se divertir, il n’y a plus que l’Homme-Histoire, ce vieillard à la peau de parchemin qui récite la définition de « larme » : « sécrétion salée de joie ou de tristesse ». Miller égrène, pour notre plus grand bonheur et film après film, des gammes un peu plus amères dans un cinéma qui, à Cannes et ailleurs, sacrifie la beauté à l’idée et se vautre dans les problématiques sociales.

IA: la protection des droits d’auteurs est une priorité culturelle

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L’intelligence artificielle (IA) se déploie à un rythme accéléré, transformant nos sociétés, nos économies et notre quotidien. En France, cette technologie suscite des débats intenses, révélant des tensions entre différentes visions de son intégration.


Il règne une certaine schizophrénie au sein du gouvernement au sujet de l’avenir de l’IA en France. En effet, si Mme Rachida Dati, ministre de la Culture, préfère défendre les droits d’auteur, le ministre de l’Économie, M. Bruno Le Maire, préfère privilégier les opportunités économiques de l’IA. Cette dichotomie illustre les défis et les choix cruciaux que notre pays doit affronter pour naviguer dans cette nouvelle ère technologique.

L’IA peut créer, apprendre et évoluer en utilisant de vastes quantités de données, souvent protégées par des droits d’auteur. La ministre de la Culture insiste sur la nécessité de garantir que les œuvres des créateurs ne soient pas exploitées sans une rémunération appropriée. Cette préoccupation est partagée par de nombreux auteurs et traducteurs, qui craignent l’exploitation non compensée de leurs œuvres. Ils insistent sur la transparence dans l’utilisation des données pour entraîner ces IA, afin de protéger leurs droits et leur travail.

Doublés par l’IA, les doubleurs se révoltent et organisent une grande pétition.

Pour aborder ces enjeux, le ministère de la Culture a saisi le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), lui confiant deux missions : déterminer les informations que les fournisseurs d’IA doivent rendre publiques et garantir que les ayants droit puissent faire valoir leurs droits et recevoir une juste rémunération. Cette démarche vise à instaurer un cadre clair et équitable pour l’utilisation des œuvres protégées.

Sans droits d’auteurs, il n’y a plus de créateurs ; sans créateurs, il n’y a plus de création

Les auteurs et traducteurs ne sont pas les seuls à exprimer leurs préoccupations. Les éditeurs et ayants droit sont également réticents face à la situation actuelle. La commission de l’IA a noté les défis posés par leur refus de partager leurs contenus, ce qui pourrait affaiblir la qualité des résultats produits par les IA et limiter la présence de contenus français. L’Association des traducteurs littéraires de France (ATLF) voit dans l’IA une menace sérieuse pour leurs droits, soulignant le risque d’une exploitation injuste de leurs œuvres. En décembre 2023, le New York Times a poursuivi OpenAI pour avoir utilisé illégalement des millions d’articles du journal pour entraîner des systèmes d’IA. Plus tôt dans l’année, des artistes avaient poursuivi Midjourney, Stability AI et DeviantArt pour des motifs similaires. Aux États-Unis toujours, l’Authors Guild, un collectif d’auteurs, a signalé qu’OpenAI a carrément utilisé des bases de données illégales pour entraîner ses modèles d’IA, soulevant des questions cruciales sur la transparence et l’éthique dans l’utilisation des contenus protégés.

L’I.A : un levier pour l’innovation et la compétitivité ?

Bruno Le Maire privilégie les opportunités économiques que représente l’IA. Il considère cette technologie comme un levier puissant pour l’innovation et la compétitivité de la France. Cependant, cette focalisation sur les bénéfices économiques se fait souvent au détriment de la protection des droits d’auteur. Le ministre de l’Economie et des Finances insiste sur la nécessité de ne pas freiner le développement de l’IA, mais sa vision néglige les préoccupations légitimes des créateurs. En minimisant l’importance du respect des droits d’auteur, il met en péril les bases mêmes de la créativité et de la culture. Pour un amoureux de Marcel Proust cette approche purement comptable est d’autant plus étonnante.

L’Europe à la rescousse de la culture ?

L’Union Européenne a mis en place dès 2021 l’IA Act (ou Artificial Intelligence Act). Le 11 décembre 2023, l’UE a adopté une législation historique pour réguler cette technologie. Ce règlement vise à garantir que les droits fondamentaux, la démocratie, l’État de droit et la durabilité environnementale sont protégés contre les risques liés à l’IA, tout en encourageant l’innovation. La législation impose des obligations strictes aux entreprises d’IA, garantissant que la technologie respecte les droits existants et crée un cadre légal pour son développement.

La Fédération des Éditeurs Européens (FEP) a salué ce vote et les principes posés par le texte, en particulier les obligations de transparence quant aux données utilisées pour entraîner les IA. L’Union européenne promet ainsi que les œuvres protégées par le droit d’auteur ne seront pas utilisées illégalement et ouvre ainsi un marché de licences pour les éditeurs, ce qui devrait à terme permettre une rémunération des titulaires de droits.

L’IA : un choix de société

Le débat sur l’intégration de l’IA en France n’est pas seulement technique ou économique, il est fondamentalement sociétal. Nous devons décider quelle société nous voulons pour demain. Une société qui protège ses créateurs tout en exploitant les opportunités offertes par les nouvelles technologies. Cela nécessite un dialogue ouvert entre tous les acteurs concernés : créateurs, entreprises, régulateurs et public. Cela implique également une transparence totale de la part des entreprises d’IA sur les données qu’elles utilisent. L’IA offre des opportunités économiques considérables, pouvant renforcer la compétitivité de la France. Les régulations européennes montrent qu’il est possible de créer un cadre légal qui protège les droits tout en encourageant l’innovation.

La France peut montrer la voie en protégeant les droits d’auteur tout en soutenant l’innovation. C’est un choix de société crucial pour notre avenir culturel et économique.

Hélas, les querelles gouvernementales et l’incapacité d’Emmanuel Macron à trancher risquent de mettre en péril le droit d’auteur et de freiner l’innovation technologique et l’économie. Il est impératif de protéger nos créateurs tout en embrassant les possibilités offertes par l’IA. L’Union européenne a fait un premier pas vers la protection des droits d’auteur, mais c’est à la France de créer un pont entre la créativité, la défense des arts et le développement économique.

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Les électeurs appelés aux urnes en Afrique du Sud, étoile pâlissante du Sud global

Près de 28 millions d’électeurs sud-africains se rendent aujourd’hui aux urnes pour élire leurs représentants aux parlements nationaux et provinciaux. Cette septième élection générale démocratique pourrait marquer un tournant historique, avec la possibilité pour l’African National Congress (ANC) de ne pas atteindre la majorité absolue pour la première fois en trois décennies.


Le 29 mai, l’Afrique du Sud est appelée à renouveler son Parlement national et ses assemblées provinciales. Pour la première fois depuis la fin de l’apartheid (1994), l’ANC pourrait obtenir moins de 50 % des voix, selon certains sondages. Cette perspective marque un tournant après trente ans de domination politique pour un parti aujourd’hui confronté à de vives critiques. Un mouvement qui fait face à une opposition en rang serré et à de nombreuses divisions internes. L’ANC, autrefois symbole de la lutte contre la ségrégation raciale et pilier de la transition démocratique, doit également composer avec une population de plus en plus désillusionnée par sa gestion du pays.

80 meurtres par jour

L’arrivée de Cyril Ramaphosa à la présidence en 2018 avait suscité de grands espoirs de changement et de renouveau. Un mandat cependant marqué par des défis économiques et sociaux majeurs. La hausse de la criminalité (en moyenne 130 viols et 80 meurtres par jour au cours des trois derniers mois de 2023), un chômage qui reste un problème endémique, atteignant 32 % l’année dernière (plus de 60 % des jeunes âgés de 15 à 24 ans sont sans emploi), des inégalités économiques qui persistent, creusant un peu plus les barrières raciales loin d’avoir disparues depuis la chute du régime afrikaner, et des allégations de corruption, touchant même les plus hauts échelons de l’État, ont terni l’image de son administration, qui s’est aggravée durant la pandémie de Covid-19. 

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De plus, les fréquentes coupures d’électricité ont exaspéré la population, sapant la confiance en la capacité du gouvernement à fournir des services de base contraignant même Cyril Ramaphosa à déclarer « le pays en état de désastre nation ». Face à la pression croissante de ses électeurs, l’ANC a tenté de se défendre et n’a eu de cesse de vanter ses réussites depuis la fin de l’apartheid. Le parti affirme que les niveaux de pauvreté ont diminué, que davantage de Sud-Africains vivent dans des logements décents et que l’accès aux soins de santé s’est amélioré. Une perception qui est loin d’être ressentie au quotidien par les Sud-africains qu’il peine à convaincre. En promettant de créer des millions d’emplois supplémentaires au cours des cinq prochaines années, l’ANC s’est engagé également à stimuler les investissements, à soutenir le secteur privé et à intensifier la lutte contre la corruption, espérant pouvoir se maintenir avec une majorité stable.

Une possible coalition 

L’Alliance démocratique (DA), dirigée par l’afrikaner John Steenhuisen, se pose comme l’alternative au pouvoir en place. Accusant l’ANC d’avoir fait sombrer le pays dans le chaos, la DA propose une libéralisation de l’économie et une privatisation accrue. Le parti promet de créer deux millions de nouveaux emplois se plaçant face aux réalités économiques d’un pays où le Rand ne vaut quasiment plus rien face à l’euro ou le dollar, de mettre fin aux coupures d’électricité et de réduire de moitié le taux de crimes violents. Sa campagne, marquée par des messages alarmistes (son clip de campagne montre le drapeau de la nation arc-en-ciel se consumer doucement sous un fond sonore parlé très angoissant) et des propositions concrètes, cherche à convaincre les électeurs qu’un changement de direction est nécessaire. Les sondages indiquent d’ailleurs que la DA pourrait augmenter sa représentation parlementaire, ouvrant la voie à…

>> Lire la fin de l’article sur le site de la revue de géopolitique Conflits <<

Joyeux anniversaire, Alain Souchon

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Alain Souchon, chantre de l’homme moderne des années 1970, a fêté hier ses 80 ans. Ses flonflons à la française cabossés et tendres sont la bande-son de notre adolescence désappointée


Dans un autoradio famélique, aux baffles saturés, traversant une forêt berrichonne, « Ultra moderne solitude » empoisonne l’habitacle de notre Mini-Morris Minor. Ma mère conduit, silencieuse, ray-ban sur le nez. Sur le chemin de l’école, en cette fin des années 1980, baignant dans une adolescence brouillonne, aveuglé par les tics du moment, clips et autres images fluo, rêvassant au bikini de Sabrina, captivé par le décolleté de Samantha Fox, je maudis cette chanson française à textes qui psalmodie le crépuscule mitterrandien. Le progressisme du « Printemps de Bourges », réminiscence post-soixante-huitarde larmoyante et satisfaite d’elle-même, ne m’atteindra pas. J’étais pourtant présent ce soir de 1988 où Johnny Clegg et Jimmy Cliff ont enflammé les 18 000 spectateurs du Stadium. Je fais allégeance à Sade et à Tanita Tikaram mais pas à la nouvelle scène tricolore qui, avec ses réflexes d’anarchistes encartés, vieille déjà d’une dizaine d’années, nous refait le coup de la révolution permanente à chaque élection présidentielle. Ses bonnes manières civiques et expiatoires m’indiffèrent. Sa tontonmania a des relents d’école des fans. Je trouve tout ça suspect sans être capable d’expliquer pourquoi. Le pressentiment que la grande lessive avait commencé peut-être et que les faux-semblants seraient à la parade durant longtemps. Je préfère me vautrer dans un consumérisme yankee ostentatoire. Pour ma génération née sous Giscard à l’Elysée, la musique vient d’Amérique, au pire d’Angleterre comme Colt Seavers est inséparable de son pick-up GMC Sierra Grande. Et le cinéma d’alors a l’attraction des blockbusters. Eddie Murphy et Mel Gibson portent une veste Varsity aux couleurs des Detroit Lions et d’un « B » brodé en majuscule. Nous connaissions mieux, à cette époque, la Côte Ouest californienne, de Sacramento à San Diego que le canal du nivernais. Elsa et Glenn Medeiros pédalaient sur leur bicross à Venice Beach dans ce roman d’amitié préfabriqué. Felix Gray et Didier Barbelivien chantaient « A toutes les filles » dans une Jeep et un décor à la John Ford. Madonna avait même posé nue dans l’édition du Playboy US, deux ans avant que Pierrette Le Pen s’affiche en soubrette. Après la mort de son père, le général Hallier, Jean-Edern, poignant et grandiloquent, avait affirmé que « parler à la première personne, c’est déjà se révolter » au micro de Chancel dans l’émission Radioscopie. Le trublion n’était pas si éloigné de l’intention première du chanteur Souchon, parler à bas-bruit de ses tressaillements intérieurs, ne pas avoir peur de proclamer sa fragilité et d’accepter l’effritement du temps. Dans ma jeunesse, je trouvais cette posture impudique et improductive. Ce défaitisme romantique, autodénigrement et refus de grandir, me paraissait le luxe des classes bourgeoises. Depuis, j’ai changé. Il faut plusieurs décennies pour être enfin touché par le fado de Souchon, son lamento des eaux tristes, ce détachement souvent rieur qui nous fait accepter nos propres limites. En cela, le non-bachelier élevé dans un pensionnat suisse qui vit le jour au Maroc est proche des poèmes païens de Pessoa, de leur onde pernicieuse et aussi apaisante dans un monde en totale décrépitude. « Le mystère des choses, où est-il ? » écrivait le Lisboète. Le Casablancais dit le même chose dans « On avance » : « Tous ces morceaux de nous qui partent » Que tous les Hommes sont « bidon » et que nous avons toujours 10 ans, en 1988 comme en 2024. Il y aura toujours des jeunes filles qui marchent sur la Baie de Somme, des souvenirs à la pelle, des transats, un ciel voilé, le crépitement de notre cœur en fusion, une fin d’été pluvieuse, une lassitude qui nous emporte, des gros seins, des gros culs, une larme qui arrive et que l’on ne peut pas retenir. « Pourquoi ces rivières ? ». Les chansons de Souchon ont le parfum de la pâte de coing, une douceur astringente, délectable, naïve et essentielle. Quand j’écoute « Ultra moderne solitude », à bientôt cinquante ans, j’ai de nouveau quatorze ans, je ressens les nids-de-poule de cette départementale fatiguée, je prends un aller direct vers le miroir de mon passé, dans les élans et les ingratitudes des âges bêtes, peu d’artistes ont cette force de rétention et de révélation. Bon anniversaire !

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Nouvelle-Calédonie: une impossible réconciliation?

L’Etat d’urgence prend fin à Nouméa ce mardi à 20h00. La situation reste très tendue sur place, et les armes en circulation dans toute la Nouvelle-Calédonie dans les deux « camps » inquiètent les autorités.


Emmanuel Macron s’est finalement rendu en personne en Nouvelle-Calédonie. Une visite improvisée en forme de pari dans une île meurtrie par 10 jours d’Etat d’urgence, endeuillée par les décès et ravagée par des émeutes qui ont détruit l’essentiel de sa vie économique. Au milieu des magasins fermés et des routes barricadées, les habitants de l’île se font face. Ils sont armés, se sentant abandonnés et craignant les pénuries alimentaires qui pourraient encore aggraver une situation déjà insurrectionnelle. 

Place à la palabre

Ce mardi à 20 heures en France et 5 heures à Nouméa, l’Etat d’urgence prendra fin en Nouvelle-Calédonie. Après plusieurs jours de réflexion, Emmanuel Macron a finalement décidé de ne pas le reconduire. « Pour permettre les réunions des différentes composantes du FLNKS et les déplacements sur les barrages des élus ou responsables en mesure d’appeler à leur levée, le président a décidé pour le moment de ne pas reconduire l’état d’urgence. Celui-ci ne sera pas prorogé et prendra fin lundi à 20 heures », a ainsi communiqué l’Elysée. Une décision prise pour que les armes laissent place à la « palabre », ce moment de discussion et de délibération propre à la tradition des différents clans kanaks de l’archipel mélanésien.

Emmanuel Macron lors de la rencontre avec les natifs et les élus de Nouvelle-Calédonie, le 23 mai 2024 © LUDOVIC MARIN-POOL/SIPA

Lors de sa brève visite du jeudi 23 juin, Emmanuel Macron a fixé des conditions au rétablissement d’un dialogue fécond entre les différentes parties en présence en Nouvelle-Calédonie. Les citoyens français bénéficiant de la citoyenneté spécifique néocalédonienne selon les critères fixés par les accords de Nouméa, soit des Kanaks du peuple dit premier de l’île et des Caldoches, doivent lever les barrages. Un préalable évident et logique. En contrepartie, l’Etat a envoyé 480 gendarmes mobiles supplémentaires, soit sept unités complètes, en renfort des forces de sécurité intérieure déjà déployées. Une promesse du chef de l’Etat qui a, comme on s’y attendait, condamné « les barrages et les pillages » tout en jugeant que « les violences ne peuvent pas prétendre s’inscrire dans une action légitime » après les décès de deux gendarmes.

Le couvre-feu reste en vigueur

La levée de l’Etat d’urgence entrainera avec elle la fin des mesures exceptionnelles. Les lieux publics seront rouverts et la liberté de réunion restaurée. Il n’y aura plus d’assignations à domicile ni de perquisitions et d’arrestations préventives. Toutefois, de nombreuses mesures de sécurité seront maintenues le temps nécessaire. Ainsi du couvre-feu en vigueur de 18 heures à 6  heures sur toute l’île, de l’interdiction du port et du transport d’armes y compris dans le cadre d’activités de tir sportif, des rassemblements spontanés, mais aussi de la vente d’alcool dans un territoire ravagé par sa surconsommation notamment dans les rangs des jeunes émeutiers des CCAT.

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Des armes en circulation dans toute la Nouvelle-Calédonie

Si les Néo-Calédoniens de toutes origines se défendent d’avoir fait usage d’armes à feu lors des émeutes, la réalité est toute autre. En effet, les images diffusées sur les réseaux sociaux et les victimes recensées sur place prouvent pourtant le contraire. Tous les décès à déplorer au cours des violences l’ont été par armes à feu. Cela s’explique notamment par le nombre important d’armes en circulation en Nouvelle-Calédonie estimé à plus de 120 000 pour environ 270 000 habitants.

Dans un reportage diffusé au journal télévisé de 20h sur TF1 le 21 mai, des militants indépendantistes kanaks affirmaient ne vouloir « que se défendre », et être les  « victimes » des armes à feu. Dans ce reportage, on pouvait notamment voir des militants kanaks vandaliser la maison d’un « milicien », accusé d’avoir tué par balles deux Kanaks quelques jours plus tôt. Celui-ci a d’ailleurs été interpellé, mis en examen et placé en détention provisoire. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a précisé que les deux jeunes ont été tués à l’intérieur de la voiture du propriétaire de la maison qu’ils tentaient de voler, un homme qui « n’appartenait pas à des groupes d’autodéfense » selon Louis Le Franc, Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.

Une image largement diffusée sur les réseaux sociaux montrait également un homme mettant en joue avec son fusil de jeunes Mélanésiens, vraisemblablement en train de piller un supermarché. Aucun coup de feu n’a toutefois été tiré durant cette scène. Le 18 mai, un homme de 51 ans a tiré plusieurs coups de feu vers des manifestants présents sur un barrage ayant caillassé sa voiture quelques minutes plus tôt, afin de les faire fuir. Il a blessé deux manifestants qui ont ensuite répliqué et l’ont tué à l’arme à feu. Des scènes de guerre civile inédites en métropole qui témoignent de la tension extrême sur l’île, et qui montrent aussi que les deux “camps” sont armés.

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Plusieurs vidéos diffusées sur les réseaux sociaux et incidents de terrain ont ainsi montré que des armes ont également été exhibées et utilisées par des émeutiers dans un cadre qui ne relève pas de la légitime défense. À l’intérieur de la maison de l’homme présenté comme le responsable d’un double meurtre, les militants kanaks ont forcé un coffre-fort contenant plusieurs armes à feu, pour certaines de gros calibre. On peut voir sur une photo deux hommes poser avec des armes longues. Le reportage de TF1 précise que ces fusils récupérés ont ensuite « disparu dans la nature ». D’autres photos et vidéos postées sur les réseaux sociaux montrent des groupes de jeunes avec des fusils de guerre, armes qui pour certaines auraient été récupérées lors de pillages dans des maisons de particuliers. Sur l’une des photos, les auteurs menacent directement de tirer sur des Caldoches organisés en groupe d’auto-défense.


Durant la première semaine de violence, un décès et plusieurs blessés sont imputés aux émeutiers rien que chez les forces de l’ordre. Nicolas Molinari, gendarme mobile de 22 ans, a été tué dans son véhicule de service, « atteint par un projectile dans la tête, lors d’une action susceptible d’impliquer plusieurs tireurs ayant visé les gendarmes par une quinzaine de coups de feu » a détaillé le procureur de la République en Nouvelle-Calédonie, qui précise qu’une enquête pour assassinat avait été ouverte. Trois policiers de la BAC ont également été blessés par balle alors qu’ils intervenaient sur le cambriolage d’une armurerie. Les auteurs de ce cambriolage auraient « piégé » les fonctionnaires selon les mots du Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.

L’emploi de ces armes aussi bien par les Calédoniens que par les militants indépendantistes kanaks illustre la violence dans laquelle la Nouvelle-Calédonie est plongée depuis maintenant plus de deux semaines. A cela s’ajoutent les nombreux pillages et incendies volontaires de commerces et parfois de maisons, ainsi que les nombreux barrages qui jonchent les routes du Grand Nouméa. Dans un contexte aussi délétère, comment en vouloir aux personnes qui s’organisent pour protéger leurs biens matériels et parfois leurs vies ?

Ingérence et désinformation venues de l’étranger

Alors que les appels au calme et au dialogue se multiplient, ce climat de violence est attisé par des acteurs extérieurs à la Nouvelle-Calédonie et à la France. Le 16 mai, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin accuse l’Azerbaïdjan d’ingérence sur l’archipel et très vite une ONG proche du pouvoir, le Groupe d’Initiative de Bakou, a concentré toutes les accusations. Créé en juillet 2023 lors d’une conférence organisée par les autorités azerbaïdjanaises où étaient invités des indépendantistes de Martinique, Guyane, Polynésie ou encore de Nouvelle-Calédonie, ce groupe qui vise à dénoncer et combattre le « colonialisme français » est particulièrement impliqué aux côtés des indépendantistes. En plus de multiples rencontres avec les élus indépendantistes, leurs actions se traduisent par l’organisation de manifestations contre le dégel électoral et contre la « recolonisation » de la Nouvelle-Calédonie avec affiches, t-shirts, et pancartes sur lesquels sont affichés le drapeau de l’Azerbaïdjan, lui-même brandit par les indépendantistes.

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Sur les réseaux sociaux, le Groupe d’Initiative de Bakou relaie également de nombreux messages faisant écho « aux effets néfastes du colonialisme français », tout comme des allocutions de leaders du CCAT ou les communiqués du FLNKS. Mais l’ONG partage également des messages trompeurs susceptibles d’attiser le conflit. C’est notamment le cas avec une publication datant du 22 mai. Sur celle-ci, le Groupe d’Initiative de Bakou se dit « profondément attristé par la violence perpétrée par les forces de l’ordre françaises en Nouvelle-Calédonie contre le peuple de Kanaky », ajoutant que  « malheureusement, le nombre de morts, de blessés et de détenus augmente chaque jour suite à l’intervention des forces de sécurité françaises ». Alors que l’ONG n’a jamais mentionné la violence des émeutiers sur ses réseaux, elle pointe ici du doigt les forces de l’ordre sur place pour sécuriser la situation et tenter de ramener le calme. De plus, à la date de cette publication, le nombre de décès n’avait pas évolué depuis plusieurs jours et aucun d’entre eux n’était lié à une intervention des forces de l’ordre.

Ingérence de Bakou

Ce n’est pas la seule fois que le Groupe d’Initiative de Bakou relaie ce genre de fausses informations sur ses réseaux. Sur X/Twitter, le groupe a également reposté des publications de médias turcs – alliés de l’Azerbaïdjan – qui comptent plusieurs centaines de milliers d’abonnés. Celles-ci prétendent que la France « a envoyé des milliers de migrants illégaux » sur l’île, et qu’elle « tente de couvrir ses crimes commis contre le peuple de Nouvelle-Calédonie en accusant l’Azerbaïdjan ». Les publications évoquent également un bilan de « 10 morts et plus de 200 blessés » or le 16 mai, date à laquelle elles ont été postées, le bilan officiel faisait état de cinq morts dont deux gendarmes.

Ce type de publications trompeuses venues de l’étranger participe à attiser les tensions dans une situation de violences meurtrières. Des fausses informations continuent de circuler sur les différents réseaux sociaux, participant à polariser encore plus les membres des deux populations de l’île, Calédoniens et Kanaks.

L’Etat a encore l’initiative

L’Etat doit reprendre la main sur le dossier néocalédonien. Il a pour lui le droit, la Nouvelle-Calédonie jouissant d’une large autonomie, et la légitimité de l’action face à des groupes militants manipulés qui ont dépassé les bornes. Le déplacement des prisonniers émeutiers vers des prisons métropolitaines apparait comme une nécessité, tant pour désengorger la prison locale que pour casser les cellules insurrectionnelles. Cela ne sera toutefois pas suffisant. Il faut proposer un chemin de développement crédible prenant en compte les spécificités identitaires locales, faisant bonne place aux Kanaks comme aux Caldoches, sans négliger les nouvelles populations parfois natives de l’île et exclues de toutes les délibérations. Est-il normal qu’en France une personne née en 1998 en Nouvelle-Calédonie n’ait absolument aucun levier d’action dans la politique locale ? Non.

Si les aspirations à l’autodétermination d’une partie de la population autochtone ne risquent pas de disparaitre du jour au lendemain, ils ne sont pas seuls décisionnaires. Les Caldoches ne sont pas des colons et les Français de métropole ne sont pas des immigrés en France. Le dialogue est nécessaire mais il ne doit pas nous faire renoncer au droit. Il faudra aussi protéger les jeunes gens des deux bords, qui sont aujourd’hui travaillés par les deuils et les violences. Christian Karembeu a notamment évoqué les disparitions de deux de ses cousins. Un témoignage émouvant qui doit être entendu de même que ceux des Caldoches victimes de violence et qui ont parfois tout perdu.

Miss Dindes

L’inarrêtable ogre du wokisme n’a pas fait une exception avec les concours de beauté, institutions fondées par la civilisation « d’avant », vestiges d’une époque que les militants rêvent d’abolir…


La nouvelle Miss Buenos-Aires a 60 ans[1], celle du Népal pèse 80 kilogrammes[2], l’actuelle miss Portugal est née homme[3] et la jeune femme élue au début de l’année Miss Japon est… d’origine ukrainienne[4].
L’inarrêtable ogre du wokisme n’a pas fait une exception pour les concours de beauté, institutions fondées par la civilisation « d’avant ». Eurovision, cérémonie des Oscars ou concours de Miss: les idéologues de la bien-pensance moderne savent choisir les canaux de communication qui leur garantiront l’audience la plus large et probablement la plus importante – celle des classes populaires.

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Depuis des années et pratiquement partout dans le monde, les concours de Miss avaient leur fidèle public, grâce aux spectacles (souvent) de qualité d’un côté, et à une habile dose de ringardisme de l’autre, offrant pour un soir aux jeunes filles participantes un conte de fées. Mais, dans le monde d’avant, la notoriété des charmantes candidates au titre de reine de beauté pesait peu face aux femmes qui savaient se démarquer dans leurs vies professionnelles par la force de leurs personnalités, celles capables de se faire une place dans le monde de loups qu’était alors celui des hommes. Et on ne se souciait pas de leurs opinions politiques ou orientations sexuelles, bien sûr. 

Une tradition qui date de l’Antiquité

La passion des êtres humains pour les concours de beauté a toujours existé. Dans l’Antiquité déjà, Athéna, Aphrodite et Héra se battaient pour la couronne de la plus belle femme. C’est ainsi que Paris, le prince de Troie, a offert à Aphrodite une pomme d’or, connue jusqu’à nos jours comme la pomme de la discorde. La tradition a perduré pendant le Moyen Âge, quand les familles royales organisaient des fêtes pour savoir qui était la plus belle fille du royaume et trouver ainsi une épouse pour un prince-héritier. Cendrillon nous en a laissé, à sa façon, un magnifique témoignage.
Les règles et les critères de sélection changeaient d’une époque à l’autre, avec une constante qui demeurait intouchable : la gagnante devait incarner la beauté féminine telle qu’elle était perçue par l’imaginaire collectif et devenir une petite fiancée pour tout un peuple.

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En s’en prenant à cette tradition populaire qui célèbre la jeunesse et la féminité, le wokisme réaffirme sa volonté d’achever la civilisation d’Adam et Eve, les deux personnages à l’origine du récit judéo-chrétien tombés dans le piège de la séduction. L’idée est de ne lui laisser plus aucune influence spirituelle et culturelle, et de faire oublier des codes qui pendant deux mille ans faisaient avancer le monde.

La loi du plus fort ne peut devenir la norme

Le seul espoir qu’il nous reste dans cette tentative de démolition des symboles civilisationnels les plus anodins, c’est que l’idéologie wokiste n’est capable de proposer aucune alternative. Tout son potentiel se limite à la transgression et la dégradation du patrimoine et des témoignages de l’Histoire: on déboulonne des statues, on asperge avec de la peinture les œuvres d’art ou on travestit les traditions populaires. Cette idéologie s’empare exclusivement des créations déjà abouties pour les transformer en vitrines de sa doctrine, en imposant de force ses choix et contre l’avis de la majorité des gens. Celle qui n’a pas choisi le dernier gagnant de l’Eurovision, à en croire le vote du public et qui, selon les sondages, n’aura pas pensé à la très médiocre chanteuse Aya Nakamura pour la cérémonie de l’ouverture des Jeux olympiques à Paris au mois du juillet de cette année…[5]

La chanteuse Aya Nakamura au Salon Gustave Eiffel a Paris, le 14/02/2019 © LAURENT VU/SIPA Numéro de reportage: 00895088_000034.

Pour les puissants maîtres du progressisme 2.0, tout passe par la promotion à outrance du récit victimaire et accusateur, qui écrase tout sur son passage. Mais comme cela a été toujours le cas dans l’histoire, les forces de la destruction, même les plus virulentes, s’épuisent avec le temps. Avons-nous un autre choix que d’attendre et de constater les dégâts commis par le tsunami woke ? Nous continuons pour l’instant d’être les véritables dindons de cette farce jouée par les pouvoirs néo-progressistes qui nous obligent à applaudir des femmes sexagénaires ou des hommes biologiques élues Miss. Miss Dindes, pour être plus précis…


[1] À 60 ans, Alejandra Rodríguez remporte l’élection régionale de Miss Univers à Buenos Aires – Le Parisien

[2] Breaking Beauty Norms: The 80 kg Stunner Who Soared into the Top 20 at Miss Universe 2023 (youtube.com)

[3] https://www.ouest-france.fr/societe/lgbt/une-femme-transgenre-sacree-miss-portugal-pour-la-premiere-fois-2eae6a9c-647c-11ee-84ee-9e4a9c99baa2

[4] https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/12/une-miss-japon-d-origine-ukrainienne-ravive-les-debats-sur-l-identite-nippone_6216103_3210.html#:~:text=N%C3%A9e%20de%20parents%20ukrainiens%2C%20M,la%20nationalit%C3%A9%20japonaise%20en%202022

[5] https://www.odoxa.fr/sondage/aya-nakamura-aux-jo-une-mauvaise-idee-pour-63-des-francais/

Renaud Camus, pourfendeur du «grand dépenaillement» et défenseur de la diversité du monde

Dans son nouvel essai autoédité, La destruction des Européens d’Europe, Renaud Camus voit dans le jazz et le modèle de production fordiste le début de nos graves ennuis.


Il est un peu le Goldstein1 de notre époque. Un attentat islamophobe est commis en Nouvelle-Zélande, et tous les projecteurs se braquent sur le château de Plieux : Renaud Camus serait devenu pour quelques esprits hâtifs le Ben Laden de l’extrême droite mondiale. Il s’en défend pourtant : l’islam n’est au cœur que d’un vingtième de ses tweets. C’est également le cas dans son dernier livre, la Destruction des Européens d’Europe, sorti aux éditions dudit château.

Grand et Petit Remplacement, davocratie, in-nocence. Renaud Camus a développé tout un vocabulaire bien à lui. Heureusement, il y a un glossaire à la fin de son livre. Lu au pied de la lettre, un passage comme celui-ci : « la chancelière  Angela Merkel, figure emblématique par excellence de la ‘’seconde carrière d’Adolf Hitler’’ » pourrait faire tomber de sa chaise tout lecteur peu vigilant. L’ouvrage emprunte son titre au livre de Raul Hilberg, la Destruction des Juifs d’Europe. Il emprunte aussi des éléments de critique de la société de consommation qui pourraient le rapprocher de Jean Baudrillard et de Naomi Klein. Au terme d’une longue description du délitement particulier européen, il essaie de montrer comment nous en sommes arrivés à assister à la recomposition ethnique du Vieux Continent.

Dans Le Hussard Bleu, François Sanders se demande si la décadence française n’a pas commencé dès Philippe le Bel2. Renaud Camus la situe plutôt au début du XXème siècle. Pas tellement à cause de la saignée humaine de la Grande Guerre. L’Europe s’en est à peu près remise, y compris numériquement. Renaud Camus n’est pas un « paniqué de la démographie », « soyez féconds et multipliez-vous » n’est pas son crédo, il n’invite pas les Européens de souche à une résistance par les ventres, et même si l’on faisait abstraction des flots d’immigrés arrivés en Europe depuis un demi-siècle, les Blancs n’ont jamais été aussi nombreux qu’aujourd’hui sur leur continent. Faut-il en arriver au modèle extrême-oriental ? En Corée du Sud, on compte sept vieillards pour un enfant – ce qui n’empêche pas un certain nombre de réussites mais pose un certain nombre de problèmes.

Le fordisme et le jazz, les deux mamelles de la décomposition

Plus que le gaz moutarde et la grosse Bertha, deux grands malheurs, venus d’Amérique, se sont abattus sur l’Europe : le fordisme et le jazz. Renaud Camus voit dans l’adulation qu’ont eue les régimes soviétique et nazi pour le modèle de production fordiste la preuve de la nature totalitaire de ce dernier. On pourrait faire remarquer que même les dictateurs à moustache se posent des questions de productivité et recherchent ce qui est le plus efficace. L’interchangeabilité des ouvriers sur la ligne de production, illustrée par Charlie Chaplin dans les Temps modernes, préfigure le Grand Remplacement, puisque les grandes vagues migratoires ont été au début conçues pour remplir les usines et pour remplacer des Européens de souche, pas assez nombreux, ou trop chers. On pourrait objecter que les déferlements migratoires ont commencé bien avant la révolution des modes de production du début du XXème siècle, et que dès le XIXème siècle, des mouvements du Sud vers le Sud se mettaient en place : les coolies indiens sont ainsi venus remplacer les esclaves à Maurice ; même chose pour les Chinois aux Antilles.

Quant au jazz, mélange (selon l’auteur) de bruits métalliques évoquant les hauts-fourneaux et de cris de la savane, il constitue le plus parfait alliage d’ultra-modernité et de bestialité primaire – et serait, en cela, très « afro-américain ». Joséphine Baker se trémoussant avec des bananes autour de la taille amorçait le grand dépenaillement qui nous a conduit jusqu’au rock, au rap et même à Jul. C’est peut-être l’un des endroits où l’auteur fera le plus tiquer quelques lecteurs ; même le personnage raciste de Coluche en salopette se vantait d’avoir des disques de Sidney Bechet ! Dans son dernier livre (Pêcheur de perles, Gallimard), Alain Finkielkraut emprunte à Paul McCartney le sous-titre de son dernier chapitre ‘I believe in yesterday’. Tout ce qui est coincé chronologiquement entre Joséphine Baker et Jul n’est pas forcément à jeter dans la géhenne.

Lady Di, Loana, mêmes habitus

Avec le jazz et l’abandon de la musique (que les petits-bourgeois appellent la grande musique), le XXème siècle aurait permis un grand relâchement de la manière d’être, que Renaud Camus qualifie joliment : « la syntaxe d’être ». Parfois, l’ouvrage flirte avec le manuel de savoir-vivre : on y (ré)apprend à saluer les dames, en baissant son chapeau, etc. Le long processus de décontraction des mœurs est allé de pair avec le triomphe de la petite-bourgeoise, qui n’a plus grand-chose à voir avec les classes dominantes de jadis, anciennement cultivées : la petite-bourgeoisie, quasi-hégémonique désormais, c’est le Petit-Remplacement, sans lequel le Grand Remplacement n’aurait pas été possible. Tout s’est égalisé, hormis les conditions économiques et sociales, et, selon l’auteur, il n’y aurait plus de différence entre Lady Di et Loana (c’est méchant, c’est un peu vache, et on aimerait espérer que ce n’est pas tout à fait vrai).

Et le Grand Remplacement dans tout ça ? Un très beau passage illustre l’inquiétude de l’auteur, d’abord défenseur de la diversité du monde :
« Toute augmentation de la diversité au sein d’un peuple ou d’une nation réduit la diversité du monde, d’abord parce qu’elle fait disparaître ce peuple ou cette nation comme composantes du divers universel, d’autre part parce que toutes les diversités, étant formés d’un nombre limité des mêmes composantes, tendent à être les mêmes ».
C’est un peu la formule de la purée de marron évoquée par de Gaulle devant Alain Peyrefitte3, laquelle tend à ressembler, à chaque marron ajoutée, au gloubi-boulga cher à Casimir.

Autre passage mordant :
« L’Europe a fait entrer l’Afrique dans le monde moderne. Je suis bien placé pour juger que ce n’est pas nécessairement un très précieux présent. D’ailleurs, malgré quelques réussites partielles, l’Afrique semble avoir du mal à s’y maintenir. Et à peine une colonisation s’en retire-t-elle qu’elle semble en attirer d’autres, pas nécessairement plus aimables. Pendant ce temps, les structures et les bâtiments hérités de la précédente tombent en ruine, faute d’entretien. L’Afrique, c’était mieux du temps des blancs, disent aujourd’hui certains vieillards. L’Europe aussi indubitablement ».

Problèmes graves, solutions simples

Il serait possible de faire une analyse plus fine des Grands Remplacements à l’œuvre. L’arrivée de populations hindoues au Royaume-Uni ou vietnamiennes en France depuis un demi-siècle a eu des effets nettement moins catastrophiques que les contacts entre monde européen et monde musulman. Dans un passage, Renaud Camus écrit : « Les tyrans sont avides de peuples ingouvernables, c’est pourquoi les mahométans sont tant demandés de par le monde : ils rendent la tyrannie inévitable ».

Ce qui coince, c’est le hiatus entre des Occidentaux, habitués à un contrôle de soi permis par la civilisation de leurs mœurs enclenché il y a cinq siècles – au point que les États n’ont cessé d’augmenter leur permissivité – et des populations venues d’un monde répressif, perdues dans nos espaces quasi-anomiques. Va-t-il falloir demain des régimes à la Saddam Hussein pour rendre le vivre-ensemble à peu près supportable dans nos contrées ? Ce qui menace l’Europe, ce n’est pas tant le grand dépenaillement que la charia et la schlague musulmanes, la burka, les interdits alimentaires et sexuels.

Coincés entre le « plus jamais ça » et la honte de 1939-1945, les Européens d’Europe n’osent reprendre le contrôle de leur destin, contrairement à leurs cousins d’Australie, beaucoup plus jaloux de leur mode de vie – et donc de leurs frontières. A lire Renaud Camus et sa description de longs processus vieux d’un siècle, le risque est de basculer dans la désespérance. Sarah Knafo, dans son interview accordée à Causeur ce mois, estimait que face aux problèmes graves que traverse la France, il y a des solutions simples. Faisons simples, soyons Australiens !

380 pages.

La Destruction des Européens d'Europe

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  1. Un méchant que tout le monde déteste dans 1984 de George Orwell NDLR ↩︎
  2. Le Hussard bleu de Roger Nimier, Gallimard, 1950 ↩︎
  3. « Chaque peuple est différent des autres, incomparable, inaltérable, irréductible. Si vous voulez que des nations s’unissent, ne cherchez pas à les intégrer comme on intègre des marrons dans une purée de marrons » ↩︎

Françoise Degois: «La tradition de la presse française, c’est l’opinion»

Philippe Bilger s’entretient avec Françoise Degois, journaliste devenue conseillère politique auprès de Ségolène Royal.


J’ai soumis à la question une grande journaliste politique : Françoise Degois. D’une sensibilité socialiste jamais démentie, elle a eu un parcours médiatique très riche, notamment à France Inter et sur LCI et actuellement dans Le Média.

Elle participe le mardi et le jeudi à l’émission Les Vraies Voix sur Sud Radio où elle est aussi éditorialiste le mercredi et le jeudi matin.

Elle a été également conseiller spécial auprès de Ségolène Royal en 2007 et elle demeure très proche de celle-ci.

Engagée mais d’une extrême honnêteté intellectuelle, cultivée et brillante oralement, ne reculant devant aucune joute, elle est respectée par tous ceux qui débattent avec elle. Une professionnelle unique dans son genre.


Causeur vous propose de visionner cet entretien, enregistré dans le studio de Fréquence Protestante (100.7 FM Paris).

Sur la politique. « Pour moi, c’est un grand classique d’aller voter à droite pour barrer l’extrême droite. La gauche peut gueuler, peut renâcler, elle peut menacer, elle ne trahit jamais, en tout cas sous la Vᵉ République. Mais c’était une torture d’avoir voté Emmanuel Macron, beaucoup plus que pour Chirac ! »
« Je n’ai jamais hésité entre la gauche et la droite. Je n’ai jamais hésité à voter à droite quand la patrie était en danger. »
« Je vois la jeunesse socialiste, la jeunesse du Rassemblement national ou la jeunesse des insoumis, c’est assez impressionnant. Ils ont 16 ans, 17 ans, et sont déjà très structurés. Moi, je suis arrivé à la gauche par le cœur. »
« Rentrer dans un parti, c’est obéir au son du clairon. On finit toujours par y perdre sa liberté. C’est impossible pour moi. »
« Les femmes et les hommes ne font pas la politique de la même manière. »

« D’après mon expérience, je préférerais mille fois présider une région ou une grande ville que d’être ministre ou président de la République. »

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L’objectivité du journalisme. « L’objectivité n’a pas de sens dans le journalisme. La tradition de la presse française, c’est l’opinion. Je n’irai pas taper sur CNews, parce que c’est une radio et une télé d’opinion. La presse française est une presse d’opinion. »
« Lionel Jospin disait qu’un candidat de gauche dans une présidentielle a deux ennemis : la droite et la presse de gauche. C’est vrai. Contrairement à tout ce qu’on peut imaginer… »
« Il y a deux choses qui comptent pour un homme politique de gauche : comment on parle de lui sur France Inter, et ce qu’on écrit dans le Monde l’après-midi. Pour un politique de droite, ce sera le Figaro, Europe 1 ET le Monde ! Ce sont des rituels qui perdurent. »

Sur le conflit israélo-palestinien. « La gauche est un grand système avec beaucoup de mouvances. Il y a un retour du trotskisme des années 70, il revient, il soutient peu ou prou tout ce qui est une arme de combat contre les États-Unis. Ça ne veut pas dire qu’ils soutiennent le Hamas pour autant, mais que la cause palestinienne est une arme de combat contre Israël et donc les États-Unis. »

Autorité et autoritarisme

Au premier jour d’une importante visite d’État en Allemagne, le président Macron a fustigé une « fascination pour l’autoritarisme » en Europe (!). Le refrain des « heures sombres » lui semble apparemment toujours utile pour mobiliser ses électeurs, lesquels n’ont décidément pas les mêmes inquiétudes que la majorité des autres citoyens.


Emmanuel Macron en déplacement en Allemagne s’est fendu d’une phrase ahurissante selon laquelle il y aurait « une fascination pour l’autoritarisme en Europe ». La France en faisant partie, on voit bien, à la veille des élections, qui est visé par ce propos.

Les électeurs du RN, voilà les seuls « déséquilibrés » qui inquiètent l’exécutif !

Il faudrait demander aux derniers blessés en date – Lyon, ce week-end – s’ils ne souffriraient pas par hasard d’une « fascination pour l’autoritarisme » ? Et à tous ceux qui se prennent des coups de couteau, qui n’en meurent pas forcément mais dont on ne dit jamais les séquelles, s’ils ne souffriraient pas, eux aussi, de la même pathologie. Quant à tous ceux qui meurent quotidiennement, qui d’un règlement de compte lié au trafic de drogue, qui d’un pur hasard de s’être trouvé sur le chemin d’un « déséquilibré », qui d’un refus d’obtempérer, qui d’un ex-conjoint ne supportant pas la rupture, il aurait fallu, avant bien sûr, sonder leur âme à ce propos. Enfin, quant à ceux qui sont témoins chaque jour de cette criminalité grandissante et qui ont légitimement peur, il faudrait sans doute soigner leur fameuse « fascination » afin qu’elle ne les fasse pas mal voter.

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Car on aura compris qui est visé par cette phrase : les partis politiques qui en appellent à l’autorité régalienne et les citoyens qui voudraient donner leur voix à ceux qui les protégeraient ; la sécurité étant la base même de ce que doit assurer un État. Mais à écouter notre président, toute demande de cette chose élémentaire est renvoyée à un symptôme problématique qui devient sournoisement le problème n°1 ! Ainsi, ce ne sont pas seulement les partis politiques qui prônent l’autorité – qui jamais ne fut l’autoritarisme -, mais leurs électeurs qui sont désignés comme des névrosés qui auraient besoin d’une cure. Et parfaitement infantilisés dans la foulée, car réduits à des gens infantiles subjugués par le tyran.

Et jamais Gérald Darmanin ne propose sa démission ?

Il y a vraiment quelque chose de scandaleux à vouloir confondre autorité et autoritarisme pour mieux ne pas… exercer la première. Comme l’État s’avère impuissant à résoudre la question de l’insécurité, son représentant en chef déplace le sujet et fait porter aux citoyens une demande qui nuirait à la démocratie ! Mais ce qui nuit à la démocratie est précisément cette violence quotidienne et meurtrière dont on ne voit pas la fin. Par ailleurs, on peut se souvenir qu’au temps du Covid et de ses confinements, nombreux furent ceux qui estimèrent que l’État avait fait preuve d’autoritarisme et qu’il n’était pas justifié… Comme quoi, la fascination n’était pas exactement au rendez-vous.

La propagande commence toujours par un détournement de langage, par son dévoiement. Avec ces deux mots : « fascination » et « autoritarisme », Emmanuel Macron caricature les deux qui conviennent : « demande » et « autorité ». Caricaturer est ici une façon commode de détourner le sens des mots et la réalité qui lui correspond. Décidément, ces élections européennes n’en finissent pas de fausser le débat.

Voir Medellin et mourir?

Le marketing numérique, en 2024, parvient à promouvoir n’importe quelle métropole, même la plus moche. Témoin Medellin, deuxième ville de Colombie par la taille, après la capitale Bogota: allègrement « vendue » aux touristes, elle n’en reste pas moins un enfer urbain. Reportage.


Medellin est à La Vierge des tueurs ce que Mompos est à Cent ans de solitude, le chef-d’œuvre de Garcia Marquez: la ville comme personnage central. Paru en Colombie en 1994, La Virgen de los sicarios, court roman de Fernando Vallejo (1942-…), a bénéficié quelques années plus tard d’une éclatante adaptation à l’écran, par l’émérite cinéaste franco-suisse Barbet Schroeder (cf. Le Mystère von Bulow, Général Idi Amin Dada, etc.)

À Medellin, capitale colombienne de la drogue, le narrateur, un grammairien vieillissant et désabusé, s’éprend d’un éphèbe à la gâchette facile, Alexis. Lequel finit lui-même occis sous les balles de ces spadassins, adolescents en selle qui terrorisent la rue. Désespéré, l’amant chenu tente de consoler son deuil dans les bras de Wilmar, un garçon ressemblant trait pour trait au défunt Alexis. Mais ce sera pour reconnaître bientôt en Wilmar l’assassin de son bien-aimé : d’une écriture trempée dans le vitriol, l’allégorie grinçante, apocalyptique, vertigineuse de cette Babel de la guérilla, sous l’emprise du narcotrafic.

Escobar n’est plus

Le baron de la coke Pablo Escobar (1949-1993) a passé l’arme à gauche : en 2024, Medellin offre un visage pacifié – en apparence. Au creux de cette vallée de l’Aburra, la deuxième métropole du pays après Bogota dresse ses innombrables tours couleur brique, fichées comme autant de pics dans cette jungle urbaine encaissée au pied d’un cirque de montagnes, sur les pentes desquelles s’accroche ces comunas, l’équivalent des favelas brésiliennes, noyées dans la vapeur d’un ciel laiteux où courent de gros nuages moites.

L’« éternel printemps » dont se targue volontiers le chef-lieu de la région de Antioquia, cité tentaculaire de quatre millions d’habitants in extenso,  n’est qu’un bouillon de culture baignant dans la verte luxuriance tropicale, maelstrom mijotant dans sa cuvette attiédie. Y mugit un monstrueux trafic de voitures, de taxis carapaçonnés de jaune, de deux-roues slalomant dans un perpétuel embouteillage. Le rio grisâtre qui serpente dans Medellin a quasi disparu sous le béton. Tout comme le patrimoine « colonial » dont les vestiges, aussi rares que clairsemés, sont submergés par l’architecture sans qualité propre à notre temps.  


 La bouillonnante métropole s’enorgueillit certes de deux flambantes lignes de métro à ciel ouvert, lesquelles, sur les axes nord-sud et est-ouest, assurent la jonction avec les banlieues, tandis que les fameux téléphériques urbains, sous l’appellation de Metrocable, suspendent leurs nacelles jusque vers les barrios déshérités dont, la nuit, scintillent dans les hauteurs la myriade des petites ampoules. A l’enseigne du Street Art, – ce que le badigeon est à la peinture -, Medellin a réussi l’exploit de vous « vendre » les graffitis muraux de la Comuna 13, ancienne zone de non-droit mise en coupe réglée par les narcos, comme le signe de sa renaissance urbaine. Au pays du « réalisme magique », le Street Art se voit donc investi de je ne sais quelle vertu propitiatoire.  Moyennant quoi, le quartier, équipé d’escalators, arraisonné par la cupidité de guides autoproclamés, n’est qu’un alignement de boutiques de souvenirs et de gargotes en terrasses, soumises au diktat des décibels. Le lieu revêt le même caractère d’artifice mercantile que la butte Montmartre – en pire.

C’est au sud de la ville, dans le quartier d’El Poblado, que se concentre, sous haute sécurité policière, la frénésie diurne et surtout nocturne, dont la Calle 10 est l’épine dorsale, Provenza l’œil du cyclone, les Parque Lleras ou Poblado les souffreteuses clairières. Dans les hauts de Poblado, à distance de cette fièvre qui sature chaque fin de semaine l’espace public, se réfugient les nantis de cette ville trouée d’énormes poches de misère. C’est d’ailleurs dans ces parages cadenassés par des vigiles que les dividendes du mythe Escobar fructifient toujours dans les mains du frère et du neveu. Lesquels n’hésitent pas à rançonner au prix fort la visite guidée de ses anciennes villégiatures, maisons-musées dévouées au pèlerinage hagiographique, pâle contremodèle du très officiel Museo Casa de la Memoria. Qui, lui, reconstitue l’interminable scène de crime dont Medellin fait mine d’être sortie.


Femelle pour l’essentiel, la prostitution qui gangrène El Poblado est essentiellement contrôlée, en 2024, par les mêmes gangs qui supervisent le narcotrafic du pays, rappelons-le, toujours premier producteur mondial de cocaïne. Frederico Gutierrez, le maire conservateur qui, depuis janvier, a pris la succession de l’édile de gauche Daniel Quintero, paraît décidé à soumettre ce fief : la ville repartait dangereusement à vau l’eau.

Mini-Disneyland

En surchauffe, Medellin n’a certes pas gagné le concours de beauté. En plein centre, dans ce Parque Berrio où se traînent les junkies en manque, faune mêlée à celle des touristes qui se selfisent devant les bronzes callipyges de l’inévitable Botero, le Palacio de la Cultura, bâtiment construit par un architecte belge dans les années 1920 mais jamais achevé en totalité, dresse sa sinistre silhouette néo-gothique tronquée, noire et blanche comme un jeu de dames. Paradoxe de ces métropoles latino-américaines si jalouses de leur histoire, mais qui n’ont à proposer, pour seul patrimoine architectural digne de ce nom, que les opulents vestiges de l’éclectisme européen d’une part, et le précieux reliquat de l’antique puissance coloniale d’autre part.  

Au point que sur les hauteurs de la colline de Nutibara, au cœur même de la désolante vastitude urbaine sur quoi la vue plonge, la municipalité ne s’est pas privée de reconstituer un petit village traditionnel type. Ouvert depuis 1978, Pueblito Paisa, réplique en toc d’un bled colonial d’Antioquia imaginaire – avec sa fontaine, son église, son école et son salon de coiffure – attire en nombre les touristes locaux, manifestement ravis d’arpenter l’artifice idéalisé de ce mini-Disneyland de la ruralité perdue : pour faire un peu moins faux, n’y manqueraient que les bestiaux, l’odeur des foins et les campesinos en haillons.


Pourtant, à une heure de bus collectivo depuis le Terminal del Norte qu’on gagne en taxi pour une liasse de pesos, Santa Fe de Antioquia, l’ancienne capitale régionale détrônée par Medellin en 1826, n’a rien d’un artefact. Authentique bourgade de vingt-mille âmes, presque demeurée dans son jus, c’est, en réalité, un village hispanique : transplanté là, tel quel, avec sa place centrale carrée qu’orne une cathédrale XVIIIe, avec ses couvents, ses églises, ses maisons sans étage coiffées de tuiles romaines, aux murs chaulés de blanc que percent de ravissantes fenêtres à claustras en bois peint…

Faire-valoir national, certes, désormais envahi de boutiques-hôtels et de restaurants à la gastronomie fusion, et parcouru de norias de mototaxis pétaradant sur ses vieux pavés. Le gros village draine, en période de vacances, des foules de touristes – au reste majoritairement autochtones, car le marketing numérique, pièce maîtresse du dispositif colombien de communication « loisirs » à l’international, peine encore à faire prendre des vessies pour des lanternes. Mais au moins, la pierre ne ment pas, comme disait l’autre. Au rebours de la contrition masochiste de l’Occident à l’endroit de son propre génie s’impose donc ici le témoignage édifiant de ce que la Colombie doit au Vieux Continent : l’antique civilisation européenne, dernier paradis sur Terre, lance ses brandons jusqu’à Antioquia. Medellin la moche a de quoi être jalouse.


Vols quotidiens Air France/ Avianca, Paris – Medellin via Bogota.

Guide en français Lonely Planet Colombie (édition 2022)

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Se loger :

À Medellin: Binn Hôtel. www.binnhotel.com

À Santa Fe de Antioquia: Hôtel Mariscal Robledo. https://hotelmariscalrobledo.com

À lire:

La Vierge des tueurs, roman de Fernando Vallejo. Belfond, éd. Paris.

La Vierge des tueurs

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À voir :

La Virgen de los sicarios / La Vierge des tueurs. Film de Barbet Schroeder (1999), France/Espagne/Colombie, durée : 1h41. En DVD/Blu-ray chez Carlotta Films.

La Vierge des tueurs [Blu-ray]

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16 used & new available from 5,77 €

Sur Netflix, l’excellente série Narcos (2015), du cinéaste brésilien José Padilha.

George Miller: la mythologie des vieux?

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L'antagoniste Dementus, joué par Chris Hemsworth, entouré de ses sbires dans Furiosa : une saga Mad Max. © Warner Bros

Notre collaboratrice, lasse de corriger des copies évoquant la « crétianisation des Romains » et les « constitadors » espagnols, a voulu s’intellectualiser les neurones devant les derniers monster trucks de George Miller. Alors, ce Furiosa : une saga Mad Max, de quoi se divertir ?


Mad Max : Fury road avait véhiculé son lot d’histoires… Des étincelles entre Charlize Theron — l’imperator Furiosa — et Tom Hardy — Max Rockatansky — auquel l’Australienne faisait une queue de poisson, aux récents démêlés entre George Miller et Christofer Sundberg (responsable de l’adaptation de l’univers en jeu-vidéo), l’univers post-apocalyptique de la Désolation a fait couler pas mal d’encre et le Furiosa : une saga Mad Max était attendu au tournant.

Alors simplifions : Furiosa n’est pas une révision de Fury Road. Oui, ça ne parle pas beaucoup. Mais il y a un scénario. Il y en a même plusieurs, parce que Miller, octogénaire à « la tête blanche et la queue verte », comme disait Bassompierre, n’a plus de temps à perdre pour les livrer prémâchés et simplifiés à un spectateur dont le carbu neuronique bulle.  Il y a du western — la vengeance d’une fillette. Il y a de l’épopée — les courses de char à la Ben Hur. Il y a même de la love story — la walkyrie Brunehilde a couché avec un homme… Damned !

Anya Taylor-Joy ne déçoit pas, Chris Hemsworth génial

Furiosa est plus composite qu’un moteur Tesla : c’est un petit bijou, ça brille de chrome et d’or désertique. Et si le slogan « one man, one bullet » de Fury Road est appliqué à la lettre, Furiosa s’en distingue par son sens. C’est sans doute un film qui fait boum boum, un objet kinétoscopique, comme dit justement Libé, mais c’est aussi un film qui pense.

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Alors rassurons tout le monde : oui, Anya Taylor-Joy, tête rasée et huile de moteur sur le front est tout aussi sexy que sa devancière. L’origine de la prothèse de Furiosa — question à 168 millions de dollars tout de même — est à la hauteur de l’attente. Mais si personne ne doutait du talent d’Anya Taylor-Joy, c’est la performance d’un autre acteur qu’il faut saluer : celle de Chris Hemsworth.

Furiosa, interprétée par Anya Taylor-Joy, et Praetorian Jack, campé par Tom Burke. © Warner Bros

Dans la série « les stars ont-elles de l’humour ? », le visage du Thor de Marvel est méconnaissable. Modèle parmi les bodybuildés hyper-testostéronés, sa performance dans le rôle de Dementus, grand méchant de cette histoire de 2h28 minutes légitime son étoile sur le Hollywood Boulevard du 23 mai. Et 2h28 avec un ours en peluche épinglé sur la quéquette — pas pratique pour régner sur l’univers de la motosphère —, il faut les assumer. Plus Dementus se durcit dans l’horreur, plus le doudou est malmené et c’est avec un bras de Barbie roussi que le pauvre nounours finit…

La mythologie de demain

Car Miller ne déconstruit pas seulement le mâle blond à la cape flamboyante ni le doudou de vos angelots. Il fusionne des signifiants mythiques, les connecte les uns aux autres, comme les cornes teutoniques sur des réservoirs d’Ironhorse, pour forger une mythologie 2.0. Celle du pétrole épuisé et de la terre désolée. Celle de demain.

Accepter la furie créatrice et vrombissante de l’octogénaire, enfourcher les bécanes augmentées de Dementus, ou plonger dans le vide avec les War Boys d’Immortan Joe, c’est abandonner les mots à la mode : le féminisme, l’écologisme… écrasés sous la surconsommation qui en est faite pour revenir à ce qui fait ciment : la culture commune, la forme plus que le fond. C’est un tableau de Waterhouse, Hylas et les Nymphes, qu’on reproduit en cachette à Pétroville, ce sont les cercles de l’enfer du Moulin à balles, c’est le géant nordique Ymir qu’on utilise comme terreau, ou encore un arbre des Désastres de la guerre que Goya n’aurait pas cru australiens. 

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Car Dementus, celui à qui l’on doit l’amputation de la ravissante Furiosa souffre de la maladie la plus universelle : l’ennui. Il est un roi sans divertissement, aurait dit Giono. « Je m’ennuie » dit-il quand la Désolation ne laisse plus place qu’à « l’horreur, l’horreur » — celle de Brando dans Apocalypse now. Sur le parcours du dément, il n’y a que la lassitude des aigles de sang des sagas nordiques, et seul le boudin de fillette rassasie.

Rien de nouveau sur le bitume de l’outback, et pour se divertir, il n’y a plus que l’Homme-Histoire, ce vieillard à la peau de parchemin qui récite la définition de « larme » : « sécrétion salée de joie ou de tristesse ». Miller égrène, pour notre plus grand bonheur et film après film, des gammes un peu plus amères dans un cinéma qui, à Cannes et ailleurs, sacrifie la beauté à l’idée et se vautre dans les problématiques sociales.

IA: la protection des droits d’auteurs est une priorité culturelle

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Image d'illustration. Unsplash.

L’intelligence artificielle (IA) se déploie à un rythme accéléré, transformant nos sociétés, nos économies et notre quotidien. En France, cette technologie suscite des débats intenses, révélant des tensions entre différentes visions de son intégration.


Il règne une certaine schizophrénie au sein du gouvernement au sujet de l’avenir de l’IA en France. En effet, si Mme Rachida Dati, ministre de la Culture, préfère défendre les droits d’auteur, le ministre de l’Économie, M. Bruno Le Maire, préfère privilégier les opportunités économiques de l’IA. Cette dichotomie illustre les défis et les choix cruciaux que notre pays doit affronter pour naviguer dans cette nouvelle ère technologique.

L’IA peut créer, apprendre et évoluer en utilisant de vastes quantités de données, souvent protégées par des droits d’auteur. La ministre de la Culture insiste sur la nécessité de garantir que les œuvres des créateurs ne soient pas exploitées sans une rémunération appropriée. Cette préoccupation est partagée par de nombreux auteurs et traducteurs, qui craignent l’exploitation non compensée de leurs œuvres. Ils insistent sur la transparence dans l’utilisation des données pour entraîner ces IA, afin de protéger leurs droits et leur travail.

Doublés par l’IA, les doubleurs se révoltent et organisent une grande pétition.

Pour aborder ces enjeux, le ministère de la Culture a saisi le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), lui confiant deux missions : déterminer les informations que les fournisseurs d’IA doivent rendre publiques et garantir que les ayants droit puissent faire valoir leurs droits et recevoir une juste rémunération. Cette démarche vise à instaurer un cadre clair et équitable pour l’utilisation des œuvres protégées.

Sans droits d’auteurs, il n’y a plus de créateurs ; sans créateurs, il n’y a plus de création

Les auteurs et traducteurs ne sont pas les seuls à exprimer leurs préoccupations. Les éditeurs et ayants droit sont également réticents face à la situation actuelle. La commission de l’IA a noté les défis posés par leur refus de partager leurs contenus, ce qui pourrait affaiblir la qualité des résultats produits par les IA et limiter la présence de contenus français. L’Association des traducteurs littéraires de France (ATLF) voit dans l’IA une menace sérieuse pour leurs droits, soulignant le risque d’une exploitation injuste de leurs œuvres. En décembre 2023, le New York Times a poursuivi OpenAI pour avoir utilisé illégalement des millions d’articles du journal pour entraîner des systèmes d’IA. Plus tôt dans l’année, des artistes avaient poursuivi Midjourney, Stability AI et DeviantArt pour des motifs similaires. Aux États-Unis toujours, l’Authors Guild, un collectif d’auteurs, a signalé qu’OpenAI a carrément utilisé des bases de données illégales pour entraîner ses modèles d’IA, soulevant des questions cruciales sur la transparence et l’éthique dans l’utilisation des contenus protégés.

L’I.A : un levier pour l’innovation et la compétitivité ?

Bruno Le Maire privilégie les opportunités économiques que représente l’IA. Il considère cette technologie comme un levier puissant pour l’innovation et la compétitivité de la France. Cependant, cette focalisation sur les bénéfices économiques se fait souvent au détriment de la protection des droits d’auteur. Le ministre de l’Economie et des Finances insiste sur la nécessité de ne pas freiner le développement de l’IA, mais sa vision néglige les préoccupations légitimes des créateurs. En minimisant l’importance du respect des droits d’auteur, il met en péril les bases mêmes de la créativité et de la culture. Pour un amoureux de Marcel Proust cette approche purement comptable est d’autant plus étonnante.

L’Europe à la rescousse de la culture ?

L’Union Européenne a mis en place dès 2021 l’IA Act (ou Artificial Intelligence Act). Le 11 décembre 2023, l’UE a adopté une législation historique pour réguler cette technologie. Ce règlement vise à garantir que les droits fondamentaux, la démocratie, l’État de droit et la durabilité environnementale sont protégés contre les risques liés à l’IA, tout en encourageant l’innovation. La législation impose des obligations strictes aux entreprises d’IA, garantissant que la technologie respecte les droits existants et crée un cadre légal pour son développement.

La Fédération des Éditeurs Européens (FEP) a salué ce vote et les principes posés par le texte, en particulier les obligations de transparence quant aux données utilisées pour entraîner les IA. L’Union européenne promet ainsi que les œuvres protégées par le droit d’auteur ne seront pas utilisées illégalement et ouvre ainsi un marché de licences pour les éditeurs, ce qui devrait à terme permettre une rémunération des titulaires de droits.

L’IA : un choix de société

Le débat sur l’intégration de l’IA en France n’est pas seulement technique ou économique, il est fondamentalement sociétal. Nous devons décider quelle société nous voulons pour demain. Une société qui protège ses créateurs tout en exploitant les opportunités offertes par les nouvelles technologies. Cela nécessite un dialogue ouvert entre tous les acteurs concernés : créateurs, entreprises, régulateurs et public. Cela implique également une transparence totale de la part des entreprises d’IA sur les données qu’elles utilisent. L’IA offre des opportunités économiques considérables, pouvant renforcer la compétitivité de la France. Les régulations européennes montrent qu’il est possible de créer un cadre légal qui protège les droits tout en encourageant l’innovation.

La France peut montrer la voie en protégeant les droits d’auteur tout en soutenant l’innovation. C’est un choix de société crucial pour notre avenir culturel et économique.

Hélas, les querelles gouvernementales et l’incapacité d’Emmanuel Macron à trancher risquent de mettre en péril le droit d’auteur et de freiner l’innovation technologique et l’économie. Il est impératif de protéger nos créateurs tout en embrassant les possibilités offertes par l’IA. L’Union européenne a fait un premier pas vers la protection des droits d’auteur, mais c’est à la France de créer un pont entre la créativité, la défense des arts et le développement économique.

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Les électeurs appelés aux urnes en Afrique du Sud, étoile pâlissante du Sud global

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Des Sud-Africains votent à Soweto, le 29 mai 2024. © Jerome Delay/AP/SIPA

Près de 28 millions d’électeurs sud-africains se rendent aujourd’hui aux urnes pour élire leurs représentants aux parlements nationaux et provinciaux. Cette septième élection générale démocratique pourrait marquer un tournant historique, avec la possibilité pour l’African National Congress (ANC) de ne pas atteindre la majorité absolue pour la première fois en trois décennies.


Le 29 mai, l’Afrique du Sud est appelée à renouveler son Parlement national et ses assemblées provinciales. Pour la première fois depuis la fin de l’apartheid (1994), l’ANC pourrait obtenir moins de 50 % des voix, selon certains sondages. Cette perspective marque un tournant après trente ans de domination politique pour un parti aujourd’hui confronté à de vives critiques. Un mouvement qui fait face à une opposition en rang serré et à de nombreuses divisions internes. L’ANC, autrefois symbole de la lutte contre la ségrégation raciale et pilier de la transition démocratique, doit également composer avec une population de plus en plus désillusionnée par sa gestion du pays.

80 meurtres par jour

L’arrivée de Cyril Ramaphosa à la présidence en 2018 avait suscité de grands espoirs de changement et de renouveau. Un mandat cependant marqué par des défis économiques et sociaux majeurs. La hausse de la criminalité (en moyenne 130 viols et 80 meurtres par jour au cours des trois derniers mois de 2023), un chômage qui reste un problème endémique, atteignant 32 % l’année dernière (plus de 60 % des jeunes âgés de 15 à 24 ans sont sans emploi), des inégalités économiques qui persistent, creusant un peu plus les barrières raciales loin d’avoir disparues depuis la chute du régime afrikaner, et des allégations de corruption, touchant même les plus hauts échelons de l’État, ont terni l’image de son administration, qui s’est aggravée durant la pandémie de Covid-19. 

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De plus, les fréquentes coupures d’électricité ont exaspéré la population, sapant la confiance en la capacité du gouvernement à fournir des services de base contraignant même Cyril Ramaphosa à déclarer « le pays en état de désastre nation ». Face à la pression croissante de ses électeurs, l’ANC a tenté de se défendre et n’a eu de cesse de vanter ses réussites depuis la fin de l’apartheid. Le parti affirme que les niveaux de pauvreté ont diminué, que davantage de Sud-Africains vivent dans des logements décents et que l’accès aux soins de santé s’est amélioré. Une perception qui est loin d’être ressentie au quotidien par les Sud-africains qu’il peine à convaincre. En promettant de créer des millions d’emplois supplémentaires au cours des cinq prochaines années, l’ANC s’est engagé également à stimuler les investissements, à soutenir le secteur privé et à intensifier la lutte contre la corruption, espérant pouvoir se maintenir avec une majorité stable.

Une possible coalition 

L’Alliance démocratique (DA), dirigée par l’afrikaner John Steenhuisen, se pose comme l’alternative au pouvoir en place. Accusant l’ANC d’avoir fait sombrer le pays dans le chaos, la DA propose une libéralisation de l’économie et une privatisation accrue. Le parti promet de créer deux millions de nouveaux emplois se plaçant face aux réalités économiques d’un pays où le Rand ne vaut quasiment plus rien face à l’euro ou le dollar, de mettre fin aux coupures d’électricité et de réduire de moitié le taux de crimes violents. Sa campagne, marquée par des messages alarmistes (son clip de campagne montre le drapeau de la nation arc-en-ciel se consumer doucement sous un fond sonore parlé très angoissant) et des propositions concrètes, cherche à convaincre les électeurs qu’un changement de direction est nécessaire. Les sondages indiquent d’ailleurs que la DA pourrait augmenter sa représentation parlementaire, ouvrant la voie à…

>> Lire la fin de l’article sur le site de la revue de géopolitique Conflits <<

Joyeux anniversaire, Alain Souchon

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Alain Souchon, août 1983 © MAZEAU JEAN MARIE/SIPA

Alain Souchon, chantre de l’homme moderne des années 1970, a fêté hier ses 80 ans. Ses flonflons à la française cabossés et tendres sont la bande-son de notre adolescence désappointée


Dans un autoradio famélique, aux baffles saturés, traversant une forêt berrichonne, « Ultra moderne solitude » empoisonne l’habitacle de notre Mini-Morris Minor. Ma mère conduit, silencieuse, ray-ban sur le nez. Sur le chemin de l’école, en cette fin des années 1980, baignant dans une adolescence brouillonne, aveuglé par les tics du moment, clips et autres images fluo, rêvassant au bikini de Sabrina, captivé par le décolleté de Samantha Fox, je maudis cette chanson française à textes qui psalmodie le crépuscule mitterrandien. Le progressisme du « Printemps de Bourges », réminiscence post-soixante-huitarde larmoyante et satisfaite d’elle-même, ne m’atteindra pas. J’étais pourtant présent ce soir de 1988 où Johnny Clegg et Jimmy Cliff ont enflammé les 18 000 spectateurs du Stadium. Je fais allégeance à Sade et à Tanita Tikaram mais pas à la nouvelle scène tricolore qui, avec ses réflexes d’anarchistes encartés, vieille déjà d’une dizaine d’années, nous refait le coup de la révolution permanente à chaque élection présidentielle. Ses bonnes manières civiques et expiatoires m’indiffèrent. Sa tontonmania a des relents d’école des fans. Je trouve tout ça suspect sans être capable d’expliquer pourquoi. Le pressentiment que la grande lessive avait commencé peut-être et que les faux-semblants seraient à la parade durant longtemps. Je préfère me vautrer dans un consumérisme yankee ostentatoire. Pour ma génération née sous Giscard à l’Elysée, la musique vient d’Amérique, au pire d’Angleterre comme Colt Seavers est inséparable de son pick-up GMC Sierra Grande. Et le cinéma d’alors a l’attraction des blockbusters. Eddie Murphy et Mel Gibson portent une veste Varsity aux couleurs des Detroit Lions et d’un « B » brodé en majuscule. Nous connaissions mieux, à cette époque, la Côte Ouest californienne, de Sacramento à San Diego que le canal du nivernais. Elsa et Glenn Medeiros pédalaient sur leur bicross à Venice Beach dans ce roman d’amitié préfabriqué. Felix Gray et Didier Barbelivien chantaient « A toutes les filles » dans une Jeep et un décor à la John Ford. Madonna avait même posé nue dans l’édition du Playboy US, deux ans avant que Pierrette Le Pen s’affiche en soubrette. Après la mort de son père, le général Hallier, Jean-Edern, poignant et grandiloquent, avait affirmé que « parler à la première personne, c’est déjà se révolter » au micro de Chancel dans l’émission Radioscopie. Le trublion n’était pas si éloigné de l’intention première du chanteur Souchon, parler à bas-bruit de ses tressaillements intérieurs, ne pas avoir peur de proclamer sa fragilité et d’accepter l’effritement du temps. Dans ma jeunesse, je trouvais cette posture impudique et improductive. Ce défaitisme romantique, autodénigrement et refus de grandir, me paraissait le luxe des classes bourgeoises. Depuis, j’ai changé. Il faut plusieurs décennies pour être enfin touché par le fado de Souchon, son lamento des eaux tristes, ce détachement souvent rieur qui nous fait accepter nos propres limites. En cela, le non-bachelier élevé dans un pensionnat suisse qui vit le jour au Maroc est proche des poèmes païens de Pessoa, de leur onde pernicieuse et aussi apaisante dans un monde en totale décrépitude. « Le mystère des choses, où est-il ? » écrivait le Lisboète. Le Casablancais dit le même chose dans « On avance » : « Tous ces morceaux de nous qui partent » Que tous les Hommes sont « bidon » et que nous avons toujours 10 ans, en 1988 comme en 2024. Il y aura toujours des jeunes filles qui marchent sur la Baie de Somme, des souvenirs à la pelle, des transats, un ciel voilé, le crépitement de notre cœur en fusion, une fin d’été pluvieuse, une lassitude qui nous emporte, des gros seins, des gros culs, une larme qui arrive et que l’on ne peut pas retenir. « Pourquoi ces rivières ? ». Les chansons de Souchon ont le parfum de la pâte de coing, une douceur astringente, délectable, naïve et essentielle. Quand j’écoute « Ultra moderne solitude », à bientôt cinquante ans, j’ai de nouveau quatorze ans, je ressens les nids-de-poule de cette départementale fatiguée, je prends un aller direct vers le miroir de mon passé, dans les élans et les ingratitudes des âges bêtes, peu d’artistes ont cette force de rétention et de révélation. Bon anniversaire !

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Nouvelle-Calédonie: une impossible réconciliation?

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Un convoi alimentaire contourne un véhicule calciné à Nouméa, Nouvelle-Calédonie, 24 mai 2024 © NICOLAS JOB/SIPA

L’Etat d’urgence prend fin à Nouméa ce mardi à 20h00. La situation reste très tendue sur place, et les armes en circulation dans toute la Nouvelle-Calédonie dans les deux « camps » inquiètent les autorités.


Emmanuel Macron s’est finalement rendu en personne en Nouvelle-Calédonie. Une visite improvisée en forme de pari dans une île meurtrie par 10 jours d’Etat d’urgence, endeuillée par les décès et ravagée par des émeutes qui ont détruit l’essentiel de sa vie économique. Au milieu des magasins fermés et des routes barricadées, les habitants de l’île se font face. Ils sont armés, se sentant abandonnés et craignant les pénuries alimentaires qui pourraient encore aggraver une situation déjà insurrectionnelle. 

Place à la palabre

Ce mardi à 20 heures en France et 5 heures à Nouméa, l’Etat d’urgence prendra fin en Nouvelle-Calédonie. Après plusieurs jours de réflexion, Emmanuel Macron a finalement décidé de ne pas le reconduire. « Pour permettre les réunions des différentes composantes du FLNKS et les déplacements sur les barrages des élus ou responsables en mesure d’appeler à leur levée, le président a décidé pour le moment de ne pas reconduire l’état d’urgence. Celui-ci ne sera pas prorogé et prendra fin lundi à 20 heures », a ainsi communiqué l’Elysée. Une décision prise pour que les armes laissent place à la « palabre », ce moment de discussion et de délibération propre à la tradition des différents clans kanaks de l’archipel mélanésien.

Emmanuel Macron lors de la rencontre avec les natifs et les élus de Nouvelle-Calédonie, le 23 mai 2024 © LUDOVIC MARIN-POOL/SIPA

Lors de sa brève visite du jeudi 23 juin, Emmanuel Macron a fixé des conditions au rétablissement d’un dialogue fécond entre les différentes parties en présence en Nouvelle-Calédonie. Les citoyens français bénéficiant de la citoyenneté spécifique néocalédonienne selon les critères fixés par les accords de Nouméa, soit des Kanaks du peuple dit premier de l’île et des Caldoches, doivent lever les barrages. Un préalable évident et logique. En contrepartie, l’Etat a envoyé 480 gendarmes mobiles supplémentaires, soit sept unités complètes, en renfort des forces de sécurité intérieure déjà déployées. Une promesse du chef de l’Etat qui a, comme on s’y attendait, condamné « les barrages et les pillages » tout en jugeant que « les violences ne peuvent pas prétendre s’inscrire dans une action légitime » après les décès de deux gendarmes.

Le couvre-feu reste en vigueur

La levée de l’Etat d’urgence entrainera avec elle la fin des mesures exceptionnelles. Les lieux publics seront rouverts et la liberté de réunion restaurée. Il n’y aura plus d’assignations à domicile ni de perquisitions et d’arrestations préventives. Toutefois, de nombreuses mesures de sécurité seront maintenues le temps nécessaire. Ainsi du couvre-feu en vigueur de 18 heures à 6  heures sur toute l’île, de l’interdiction du port et du transport d’armes y compris dans le cadre d’activités de tir sportif, des rassemblements spontanés, mais aussi de la vente d’alcool dans un territoire ravagé par sa surconsommation notamment dans les rangs des jeunes émeutiers des CCAT.

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Des armes en circulation dans toute la Nouvelle-Calédonie

Si les Néo-Calédoniens de toutes origines se défendent d’avoir fait usage d’armes à feu lors des émeutes, la réalité est toute autre. En effet, les images diffusées sur les réseaux sociaux et les victimes recensées sur place prouvent pourtant le contraire. Tous les décès à déplorer au cours des violences l’ont été par armes à feu. Cela s’explique notamment par le nombre important d’armes en circulation en Nouvelle-Calédonie estimé à plus de 120 000 pour environ 270 000 habitants.

Dans un reportage diffusé au journal télévisé de 20h sur TF1 le 21 mai, des militants indépendantistes kanaks affirmaient ne vouloir « que se défendre », et être les  « victimes » des armes à feu. Dans ce reportage, on pouvait notamment voir des militants kanaks vandaliser la maison d’un « milicien », accusé d’avoir tué par balles deux Kanaks quelques jours plus tôt. Celui-ci a d’ailleurs été interpellé, mis en examen et placé en détention provisoire. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a précisé que les deux jeunes ont été tués à l’intérieur de la voiture du propriétaire de la maison qu’ils tentaient de voler, un homme qui « n’appartenait pas à des groupes d’autodéfense » selon Louis Le Franc, Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.

Une image largement diffusée sur les réseaux sociaux montrait également un homme mettant en joue avec son fusil de jeunes Mélanésiens, vraisemblablement en train de piller un supermarché. Aucun coup de feu n’a toutefois été tiré durant cette scène. Le 18 mai, un homme de 51 ans a tiré plusieurs coups de feu vers des manifestants présents sur un barrage ayant caillassé sa voiture quelques minutes plus tôt, afin de les faire fuir. Il a blessé deux manifestants qui ont ensuite répliqué et l’ont tué à l’arme à feu. Des scènes de guerre civile inédites en métropole qui témoignent de la tension extrême sur l’île, et qui montrent aussi que les deux “camps” sont armés.

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Plusieurs vidéos diffusées sur les réseaux sociaux et incidents de terrain ont ainsi montré que des armes ont également été exhibées et utilisées par des émeutiers dans un cadre qui ne relève pas de la légitime défense. À l’intérieur de la maison de l’homme présenté comme le responsable d’un double meurtre, les militants kanaks ont forcé un coffre-fort contenant plusieurs armes à feu, pour certaines de gros calibre. On peut voir sur une photo deux hommes poser avec des armes longues. Le reportage de TF1 précise que ces fusils récupérés ont ensuite « disparu dans la nature ». D’autres photos et vidéos postées sur les réseaux sociaux montrent des groupes de jeunes avec des fusils de guerre, armes qui pour certaines auraient été récupérées lors de pillages dans des maisons de particuliers. Sur l’une des photos, les auteurs menacent directement de tirer sur des Caldoches organisés en groupe d’auto-défense.


Durant la première semaine de violence, un décès et plusieurs blessés sont imputés aux émeutiers rien que chez les forces de l’ordre. Nicolas Molinari, gendarme mobile de 22 ans, a été tué dans son véhicule de service, « atteint par un projectile dans la tête, lors d’une action susceptible d’impliquer plusieurs tireurs ayant visé les gendarmes par une quinzaine de coups de feu » a détaillé le procureur de la République en Nouvelle-Calédonie, qui précise qu’une enquête pour assassinat avait été ouverte. Trois policiers de la BAC ont également été blessés par balle alors qu’ils intervenaient sur le cambriolage d’une armurerie. Les auteurs de ce cambriolage auraient « piégé » les fonctionnaires selon les mots du Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie.

L’emploi de ces armes aussi bien par les Calédoniens que par les militants indépendantistes kanaks illustre la violence dans laquelle la Nouvelle-Calédonie est plongée depuis maintenant plus de deux semaines. A cela s’ajoutent les nombreux pillages et incendies volontaires de commerces et parfois de maisons, ainsi que les nombreux barrages qui jonchent les routes du Grand Nouméa. Dans un contexte aussi délétère, comment en vouloir aux personnes qui s’organisent pour protéger leurs biens matériels et parfois leurs vies ?

Ingérence et désinformation venues de l’étranger

Alors que les appels au calme et au dialogue se multiplient, ce climat de violence est attisé par des acteurs extérieurs à la Nouvelle-Calédonie et à la France. Le 16 mai, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin accuse l’Azerbaïdjan d’ingérence sur l’archipel et très vite une ONG proche du pouvoir, le Groupe d’Initiative de Bakou, a concentré toutes les accusations. Créé en juillet 2023 lors d’une conférence organisée par les autorités azerbaïdjanaises où étaient invités des indépendantistes de Martinique, Guyane, Polynésie ou encore de Nouvelle-Calédonie, ce groupe qui vise à dénoncer et combattre le « colonialisme français » est particulièrement impliqué aux côtés des indépendantistes. En plus de multiples rencontres avec les élus indépendantistes, leurs actions se traduisent par l’organisation de manifestations contre le dégel électoral et contre la « recolonisation » de la Nouvelle-Calédonie avec affiches, t-shirts, et pancartes sur lesquels sont affichés le drapeau de l’Azerbaïdjan, lui-même brandit par les indépendantistes.

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Sur les réseaux sociaux, le Groupe d’Initiative de Bakou relaie également de nombreux messages faisant écho « aux effets néfastes du colonialisme français », tout comme des allocutions de leaders du CCAT ou les communiqués du FLNKS. Mais l’ONG partage également des messages trompeurs susceptibles d’attiser le conflit. C’est notamment le cas avec une publication datant du 22 mai. Sur celle-ci, le Groupe d’Initiative de Bakou se dit « profondément attristé par la violence perpétrée par les forces de l’ordre françaises en Nouvelle-Calédonie contre le peuple de Kanaky », ajoutant que  « malheureusement, le nombre de morts, de blessés et de détenus augmente chaque jour suite à l’intervention des forces de sécurité françaises ». Alors que l’ONG n’a jamais mentionné la violence des émeutiers sur ses réseaux, elle pointe ici du doigt les forces de l’ordre sur place pour sécuriser la situation et tenter de ramener le calme. De plus, à la date de cette publication, le nombre de décès n’avait pas évolué depuis plusieurs jours et aucun d’entre eux n’était lié à une intervention des forces de l’ordre.

Ingérence de Bakou

Ce n’est pas la seule fois que le Groupe d’Initiative de Bakou relaie ce genre de fausses informations sur ses réseaux. Sur X/Twitter, le groupe a également reposté des publications de médias turcs – alliés de l’Azerbaïdjan – qui comptent plusieurs centaines de milliers d’abonnés. Celles-ci prétendent que la France « a envoyé des milliers de migrants illégaux » sur l’île, et qu’elle « tente de couvrir ses crimes commis contre le peuple de Nouvelle-Calédonie en accusant l’Azerbaïdjan ». Les publications évoquent également un bilan de « 10 morts et plus de 200 blessés » or le 16 mai, date à laquelle elles ont été postées, le bilan officiel faisait état de cinq morts dont deux gendarmes.

Ce type de publications trompeuses venues de l’étranger participe à attiser les tensions dans une situation de violences meurtrières. Des fausses informations continuent de circuler sur les différents réseaux sociaux, participant à polariser encore plus les membres des deux populations de l’île, Calédoniens et Kanaks.

L’Etat a encore l’initiative

L’Etat doit reprendre la main sur le dossier néocalédonien. Il a pour lui le droit, la Nouvelle-Calédonie jouissant d’une large autonomie, et la légitimité de l’action face à des groupes militants manipulés qui ont dépassé les bornes. Le déplacement des prisonniers émeutiers vers des prisons métropolitaines apparait comme une nécessité, tant pour désengorger la prison locale que pour casser les cellules insurrectionnelles. Cela ne sera toutefois pas suffisant. Il faut proposer un chemin de développement crédible prenant en compte les spécificités identitaires locales, faisant bonne place aux Kanaks comme aux Caldoches, sans négliger les nouvelles populations parfois natives de l’île et exclues de toutes les délibérations. Est-il normal qu’en France une personne née en 1998 en Nouvelle-Calédonie n’ait absolument aucun levier d’action dans la politique locale ? Non.

Si les aspirations à l’autodétermination d’une partie de la population autochtone ne risquent pas de disparaitre du jour au lendemain, ils ne sont pas seuls décisionnaires. Les Caldoches ne sont pas des colons et les Français de métropole ne sont pas des immigrés en France. Le dialogue est nécessaire mais il ne doit pas nous faire renoncer au droit. Il faudra aussi protéger les jeunes gens des deux bords, qui sont aujourd’hui travaillés par les deuils et les violences. Christian Karembeu a notamment évoqué les disparitions de deux de ses cousins. Un témoignage émouvant qui doit être entendu de même que ceux des Caldoches victimes de violence et qui ont parfois tout perdu.

Miss Dindes

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Miss Népal, Jane Dipika Garrett au concours de Miss Univers, 16 novembre 2023, San Salvador © Moises Castillo/AP/SIPA

L’inarrêtable ogre du wokisme n’a pas fait une exception avec les concours de beauté, institutions fondées par la civilisation « d’avant », vestiges d’une époque que les militants rêvent d’abolir…


La nouvelle Miss Buenos-Aires a 60 ans[1], celle du Népal pèse 80 kilogrammes[2], l’actuelle miss Portugal est née homme[3] et la jeune femme élue au début de l’année Miss Japon est… d’origine ukrainienne[4].
L’inarrêtable ogre du wokisme n’a pas fait une exception pour les concours de beauté, institutions fondées par la civilisation « d’avant ». Eurovision, cérémonie des Oscars ou concours de Miss: les idéologues de la bien-pensance moderne savent choisir les canaux de communication qui leur garantiront l’audience la plus large et probablement la plus importante – celle des classes populaires.

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Depuis des années et pratiquement partout dans le monde, les concours de Miss avaient leur fidèle public, grâce aux spectacles (souvent) de qualité d’un côté, et à une habile dose de ringardisme de l’autre, offrant pour un soir aux jeunes filles participantes un conte de fées. Mais, dans le monde d’avant, la notoriété des charmantes candidates au titre de reine de beauté pesait peu face aux femmes qui savaient se démarquer dans leurs vies professionnelles par la force de leurs personnalités, celles capables de se faire une place dans le monde de loups qu’était alors celui des hommes. Et on ne se souciait pas de leurs opinions politiques ou orientations sexuelles, bien sûr. 

Une tradition qui date de l’Antiquité

La passion des êtres humains pour les concours de beauté a toujours existé. Dans l’Antiquité déjà, Athéna, Aphrodite et Héra se battaient pour la couronne de la plus belle femme. C’est ainsi que Paris, le prince de Troie, a offert à Aphrodite une pomme d’or, connue jusqu’à nos jours comme la pomme de la discorde. La tradition a perduré pendant le Moyen Âge, quand les familles royales organisaient des fêtes pour savoir qui était la plus belle fille du royaume et trouver ainsi une épouse pour un prince-héritier. Cendrillon nous en a laissé, à sa façon, un magnifique témoignage.
Les règles et les critères de sélection changeaient d’une époque à l’autre, avec une constante qui demeurait intouchable : la gagnante devait incarner la beauté féminine telle qu’elle était perçue par l’imaginaire collectif et devenir une petite fiancée pour tout un peuple.

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En s’en prenant à cette tradition populaire qui célèbre la jeunesse et la féminité, le wokisme réaffirme sa volonté d’achever la civilisation d’Adam et Eve, les deux personnages à l’origine du récit judéo-chrétien tombés dans le piège de la séduction. L’idée est de ne lui laisser plus aucune influence spirituelle et culturelle, et de faire oublier des codes qui pendant deux mille ans faisaient avancer le monde.

La loi du plus fort ne peut devenir la norme

Le seul espoir qu’il nous reste dans cette tentative de démolition des symboles civilisationnels les plus anodins, c’est que l’idéologie wokiste n’est capable de proposer aucune alternative. Tout son potentiel se limite à la transgression et la dégradation du patrimoine et des témoignages de l’Histoire: on déboulonne des statues, on asperge avec de la peinture les œuvres d’art ou on travestit les traditions populaires. Cette idéologie s’empare exclusivement des créations déjà abouties pour les transformer en vitrines de sa doctrine, en imposant de force ses choix et contre l’avis de la majorité des gens. Celle qui n’a pas choisi le dernier gagnant de l’Eurovision, à en croire le vote du public et qui, selon les sondages, n’aura pas pensé à la très médiocre chanteuse Aya Nakamura pour la cérémonie de l’ouverture des Jeux olympiques à Paris au mois du juillet de cette année…[5]

La chanteuse Aya Nakamura au Salon Gustave Eiffel a Paris, le 14/02/2019 © LAURENT VU/SIPA Numéro de reportage: 00895088_000034.

Pour les puissants maîtres du progressisme 2.0, tout passe par la promotion à outrance du récit victimaire et accusateur, qui écrase tout sur son passage. Mais comme cela a été toujours le cas dans l’histoire, les forces de la destruction, même les plus virulentes, s’épuisent avec le temps. Avons-nous un autre choix que d’attendre et de constater les dégâts commis par le tsunami woke ? Nous continuons pour l’instant d’être les véritables dindons de cette farce jouée par les pouvoirs néo-progressistes qui nous obligent à applaudir des femmes sexagénaires ou des hommes biologiques élues Miss. Miss Dindes, pour être plus précis…


[1] À 60 ans, Alejandra Rodríguez remporte l’élection régionale de Miss Univers à Buenos Aires – Le Parisien

[2] Breaking Beauty Norms: The 80 kg Stunner Who Soared into the Top 20 at Miss Universe 2023 (youtube.com)

[3] https://www.ouest-france.fr/societe/lgbt/une-femme-transgenre-sacree-miss-portugal-pour-la-premiere-fois-2eae6a9c-647c-11ee-84ee-9e4a9c99baa2

[4] https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/12/une-miss-japon-d-origine-ukrainienne-ravive-les-debats-sur-l-identite-nippone_6216103_3210.html#:~:text=N%C3%A9e%20de%20parents%20ukrainiens%2C%20M,la%20nationalit%C3%A9%20japonaise%20en%202022

[5] https://www.odoxa.fr/sondage/aya-nakamura-aux-jo-une-mauvaise-idee-pour-63-des-francais/

Renaud Camus, pourfendeur du «grand dépenaillement» et défenseur de la diversité du monde

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L'écrivain Renaud Camus. DR.

Dans son nouvel essai autoédité, La destruction des Européens d’Europe, Renaud Camus voit dans le jazz et le modèle de production fordiste le début de nos graves ennuis.


Il est un peu le Goldstein1 de notre époque. Un attentat islamophobe est commis en Nouvelle-Zélande, et tous les projecteurs se braquent sur le château de Plieux : Renaud Camus serait devenu pour quelques esprits hâtifs le Ben Laden de l’extrême droite mondiale. Il s’en défend pourtant : l’islam n’est au cœur que d’un vingtième de ses tweets. C’est également le cas dans son dernier livre, la Destruction des Européens d’Europe, sorti aux éditions dudit château.

Grand et Petit Remplacement, davocratie, in-nocence. Renaud Camus a développé tout un vocabulaire bien à lui. Heureusement, il y a un glossaire à la fin de son livre. Lu au pied de la lettre, un passage comme celui-ci : « la chancelière  Angela Merkel, figure emblématique par excellence de la ‘’seconde carrière d’Adolf Hitler’’ » pourrait faire tomber de sa chaise tout lecteur peu vigilant. L’ouvrage emprunte son titre au livre de Raul Hilberg, la Destruction des Juifs d’Europe. Il emprunte aussi des éléments de critique de la société de consommation qui pourraient le rapprocher de Jean Baudrillard et de Naomi Klein. Au terme d’une longue description du délitement particulier européen, il essaie de montrer comment nous en sommes arrivés à assister à la recomposition ethnique du Vieux Continent.

Dans Le Hussard Bleu, François Sanders se demande si la décadence française n’a pas commencé dès Philippe le Bel2. Renaud Camus la situe plutôt au début du XXème siècle. Pas tellement à cause de la saignée humaine de la Grande Guerre. L’Europe s’en est à peu près remise, y compris numériquement. Renaud Camus n’est pas un « paniqué de la démographie », « soyez féconds et multipliez-vous » n’est pas son crédo, il n’invite pas les Européens de souche à une résistance par les ventres, et même si l’on faisait abstraction des flots d’immigrés arrivés en Europe depuis un demi-siècle, les Blancs n’ont jamais été aussi nombreux qu’aujourd’hui sur leur continent. Faut-il en arriver au modèle extrême-oriental ? En Corée du Sud, on compte sept vieillards pour un enfant – ce qui n’empêche pas un certain nombre de réussites mais pose un certain nombre de problèmes.

Le fordisme et le jazz, les deux mamelles de la décomposition

Plus que le gaz moutarde et la grosse Bertha, deux grands malheurs, venus d’Amérique, se sont abattus sur l’Europe : le fordisme et le jazz. Renaud Camus voit dans l’adulation qu’ont eue les régimes soviétique et nazi pour le modèle de production fordiste la preuve de la nature totalitaire de ce dernier. On pourrait faire remarquer que même les dictateurs à moustache se posent des questions de productivité et recherchent ce qui est le plus efficace. L’interchangeabilité des ouvriers sur la ligne de production, illustrée par Charlie Chaplin dans les Temps modernes, préfigure le Grand Remplacement, puisque les grandes vagues migratoires ont été au début conçues pour remplir les usines et pour remplacer des Européens de souche, pas assez nombreux, ou trop chers. On pourrait objecter que les déferlements migratoires ont commencé bien avant la révolution des modes de production du début du XXème siècle, et que dès le XIXème siècle, des mouvements du Sud vers le Sud se mettaient en place : les coolies indiens sont ainsi venus remplacer les esclaves à Maurice ; même chose pour les Chinois aux Antilles.

Quant au jazz, mélange (selon l’auteur) de bruits métalliques évoquant les hauts-fourneaux et de cris de la savane, il constitue le plus parfait alliage d’ultra-modernité et de bestialité primaire – et serait, en cela, très « afro-américain ». Joséphine Baker se trémoussant avec des bananes autour de la taille amorçait le grand dépenaillement qui nous a conduit jusqu’au rock, au rap et même à Jul. C’est peut-être l’un des endroits où l’auteur fera le plus tiquer quelques lecteurs ; même le personnage raciste de Coluche en salopette se vantait d’avoir des disques de Sidney Bechet ! Dans son dernier livre (Pêcheur de perles, Gallimard), Alain Finkielkraut emprunte à Paul McCartney le sous-titre de son dernier chapitre ‘I believe in yesterday’. Tout ce qui est coincé chronologiquement entre Joséphine Baker et Jul n’est pas forcément à jeter dans la géhenne.

Lady Di, Loana, mêmes habitus

Avec le jazz et l’abandon de la musique (que les petits-bourgeois appellent la grande musique), le XXème siècle aurait permis un grand relâchement de la manière d’être, que Renaud Camus qualifie joliment : « la syntaxe d’être ». Parfois, l’ouvrage flirte avec le manuel de savoir-vivre : on y (ré)apprend à saluer les dames, en baissant son chapeau, etc. Le long processus de décontraction des mœurs est allé de pair avec le triomphe de la petite-bourgeoise, qui n’a plus grand-chose à voir avec les classes dominantes de jadis, anciennement cultivées : la petite-bourgeoisie, quasi-hégémonique désormais, c’est le Petit-Remplacement, sans lequel le Grand Remplacement n’aurait pas été possible. Tout s’est égalisé, hormis les conditions économiques et sociales, et, selon l’auteur, il n’y aurait plus de différence entre Lady Di et Loana (c’est méchant, c’est un peu vache, et on aimerait espérer que ce n’est pas tout à fait vrai).

Et le Grand Remplacement dans tout ça ? Un très beau passage illustre l’inquiétude de l’auteur, d’abord défenseur de la diversité du monde :
« Toute augmentation de la diversité au sein d’un peuple ou d’une nation réduit la diversité du monde, d’abord parce qu’elle fait disparaître ce peuple ou cette nation comme composantes du divers universel, d’autre part parce que toutes les diversités, étant formés d’un nombre limité des mêmes composantes, tendent à être les mêmes ».
C’est un peu la formule de la purée de marron évoquée par de Gaulle devant Alain Peyrefitte3, laquelle tend à ressembler, à chaque marron ajoutée, au gloubi-boulga cher à Casimir.

Autre passage mordant :
« L’Europe a fait entrer l’Afrique dans le monde moderne. Je suis bien placé pour juger que ce n’est pas nécessairement un très précieux présent. D’ailleurs, malgré quelques réussites partielles, l’Afrique semble avoir du mal à s’y maintenir. Et à peine une colonisation s’en retire-t-elle qu’elle semble en attirer d’autres, pas nécessairement plus aimables. Pendant ce temps, les structures et les bâtiments hérités de la précédente tombent en ruine, faute d’entretien. L’Afrique, c’était mieux du temps des blancs, disent aujourd’hui certains vieillards. L’Europe aussi indubitablement ».

Problèmes graves, solutions simples

Il serait possible de faire une analyse plus fine des Grands Remplacements à l’œuvre. L’arrivée de populations hindoues au Royaume-Uni ou vietnamiennes en France depuis un demi-siècle a eu des effets nettement moins catastrophiques que les contacts entre monde européen et monde musulman. Dans un passage, Renaud Camus écrit : « Les tyrans sont avides de peuples ingouvernables, c’est pourquoi les mahométans sont tant demandés de par le monde : ils rendent la tyrannie inévitable ».

Ce qui coince, c’est le hiatus entre des Occidentaux, habitués à un contrôle de soi permis par la civilisation de leurs mœurs enclenché il y a cinq siècles – au point que les États n’ont cessé d’augmenter leur permissivité – et des populations venues d’un monde répressif, perdues dans nos espaces quasi-anomiques. Va-t-il falloir demain des régimes à la Saddam Hussein pour rendre le vivre-ensemble à peu près supportable dans nos contrées ? Ce qui menace l’Europe, ce n’est pas tant le grand dépenaillement que la charia et la schlague musulmanes, la burka, les interdits alimentaires et sexuels.

Coincés entre le « plus jamais ça » et la honte de 1939-1945, les Européens d’Europe n’osent reprendre le contrôle de leur destin, contrairement à leurs cousins d’Australie, beaucoup plus jaloux de leur mode de vie – et donc de leurs frontières. A lire Renaud Camus et sa description de longs processus vieux d’un siècle, le risque est de basculer dans la désespérance. Sarah Knafo, dans son interview accordée à Causeur ce mois, estimait que face aux problèmes graves que traverse la France, il y a des solutions simples. Faisons simples, soyons Australiens !

380 pages.

La Destruction des Européens d'Europe

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  1. Un méchant que tout le monde déteste dans 1984 de George Orwell NDLR ↩︎
  2. Le Hussard bleu de Roger Nimier, Gallimard, 1950 ↩︎
  3. « Chaque peuple est différent des autres, incomparable, inaltérable, irréductible. Si vous voulez que des nations s’unissent, ne cherchez pas à les intégrer comme on intègre des marrons dans une purée de marrons » ↩︎

Françoise Degois: «La tradition de la presse française, c’est l’opinion»

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Françoise Degois dans les locaux de "Fréquence Protestante", le 5 mai 2024. D.R

Philippe Bilger s’entretient avec Françoise Degois, journaliste devenue conseillère politique auprès de Ségolène Royal.


J’ai soumis à la question une grande journaliste politique : Françoise Degois. D’une sensibilité socialiste jamais démentie, elle a eu un parcours médiatique très riche, notamment à France Inter et sur LCI et actuellement dans Le Média.

Elle participe le mardi et le jeudi à l’émission Les Vraies Voix sur Sud Radio où elle est aussi éditorialiste le mercredi et le jeudi matin.

Elle a été également conseiller spécial auprès de Ségolène Royal en 2007 et elle demeure très proche de celle-ci.

Engagée mais d’une extrême honnêteté intellectuelle, cultivée et brillante oralement, ne reculant devant aucune joute, elle est respectée par tous ceux qui débattent avec elle. Une professionnelle unique dans son genre.


Causeur vous propose de visionner cet entretien, enregistré dans le studio de Fréquence Protestante (100.7 FM Paris).

Sur la politique. « Pour moi, c’est un grand classique d’aller voter à droite pour barrer l’extrême droite. La gauche peut gueuler, peut renâcler, elle peut menacer, elle ne trahit jamais, en tout cas sous la Vᵉ République. Mais c’était une torture d’avoir voté Emmanuel Macron, beaucoup plus que pour Chirac ! »
« Je n’ai jamais hésité entre la gauche et la droite. Je n’ai jamais hésité à voter à droite quand la patrie était en danger. »
« Je vois la jeunesse socialiste, la jeunesse du Rassemblement national ou la jeunesse des insoumis, c’est assez impressionnant. Ils ont 16 ans, 17 ans, et sont déjà très structurés. Moi, je suis arrivé à la gauche par le cœur. »
« Rentrer dans un parti, c’est obéir au son du clairon. On finit toujours par y perdre sa liberté. C’est impossible pour moi. »
« Les femmes et les hommes ne font pas la politique de la même manière. »

« D’après mon expérience, je préférerais mille fois présider une région ou une grande ville que d’être ministre ou président de la République. »

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L’objectivité du journalisme. « L’objectivité n’a pas de sens dans le journalisme. La tradition de la presse française, c’est l’opinion. Je n’irai pas taper sur CNews, parce que c’est une radio et une télé d’opinion. La presse française est une presse d’opinion. »
« Lionel Jospin disait qu’un candidat de gauche dans une présidentielle a deux ennemis : la droite et la presse de gauche. C’est vrai. Contrairement à tout ce qu’on peut imaginer… »
« Il y a deux choses qui comptent pour un homme politique de gauche : comment on parle de lui sur France Inter, et ce qu’on écrit dans le Monde l’après-midi. Pour un politique de droite, ce sera le Figaro, Europe 1 ET le Monde ! Ce sont des rituels qui perdurent. »

Sur le conflit israélo-palestinien. « La gauche est un grand système avec beaucoup de mouvances. Il y a un retour du trotskisme des années 70, il revient, il soutient peu ou prou tout ce qui est une arme de combat contre les États-Unis. Ça ne veut pas dire qu’ils soutiennent le Hamas pour autant, mais que la cause palestinienne est une arme de combat contre Israël et donc les États-Unis. »

Autorité et autoritarisme

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Le président français reçu à Berlin par le président allemand Frank-Walter Steinmeier, 26 mai 2024 © Christophe Gateau/AP/SIPA

Au premier jour d’une importante visite d’État en Allemagne, le président Macron a fustigé une « fascination pour l’autoritarisme » en Europe (!). Le refrain des « heures sombres » lui semble apparemment toujours utile pour mobiliser ses électeurs, lesquels n’ont décidément pas les mêmes inquiétudes que la majorité des autres citoyens.


Emmanuel Macron en déplacement en Allemagne s’est fendu d’une phrase ahurissante selon laquelle il y aurait « une fascination pour l’autoritarisme en Europe ». La France en faisant partie, on voit bien, à la veille des élections, qui est visé par ce propos.

Les électeurs du RN, voilà les seuls « déséquilibrés » qui inquiètent l’exécutif !

Il faudrait demander aux derniers blessés en date – Lyon, ce week-end – s’ils ne souffriraient pas par hasard d’une « fascination pour l’autoritarisme » ? Et à tous ceux qui se prennent des coups de couteau, qui n’en meurent pas forcément mais dont on ne dit jamais les séquelles, s’ils ne souffriraient pas, eux aussi, de la même pathologie. Quant à tous ceux qui meurent quotidiennement, qui d’un règlement de compte lié au trafic de drogue, qui d’un pur hasard de s’être trouvé sur le chemin d’un « déséquilibré », qui d’un refus d’obtempérer, qui d’un ex-conjoint ne supportant pas la rupture, il aurait fallu, avant bien sûr, sonder leur âme à ce propos. Enfin, quant à ceux qui sont témoins chaque jour de cette criminalité grandissante et qui ont légitimement peur, il faudrait sans doute soigner leur fameuse « fascination » afin qu’elle ne les fasse pas mal voter.

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Car on aura compris qui est visé par cette phrase : les partis politiques qui en appellent à l’autorité régalienne et les citoyens qui voudraient donner leur voix à ceux qui les protégeraient ; la sécurité étant la base même de ce que doit assurer un État. Mais à écouter notre président, toute demande de cette chose élémentaire est renvoyée à un symptôme problématique qui devient sournoisement le problème n°1 ! Ainsi, ce ne sont pas seulement les partis politiques qui prônent l’autorité – qui jamais ne fut l’autoritarisme -, mais leurs électeurs qui sont désignés comme des névrosés qui auraient besoin d’une cure. Et parfaitement infantilisés dans la foulée, car réduits à des gens infantiles subjugués par le tyran.

Et jamais Gérald Darmanin ne propose sa démission ?

Il y a vraiment quelque chose de scandaleux à vouloir confondre autorité et autoritarisme pour mieux ne pas… exercer la première. Comme l’État s’avère impuissant à résoudre la question de l’insécurité, son représentant en chef déplace le sujet et fait porter aux citoyens une demande qui nuirait à la démocratie ! Mais ce qui nuit à la démocratie est précisément cette violence quotidienne et meurtrière dont on ne voit pas la fin. Par ailleurs, on peut se souvenir qu’au temps du Covid et de ses confinements, nombreux furent ceux qui estimèrent que l’État avait fait preuve d’autoritarisme et qu’il n’était pas justifié… Comme quoi, la fascination n’était pas exactement au rendez-vous.

La propagande commence toujours par un détournement de langage, par son dévoiement. Avec ces deux mots : « fascination » et « autoritarisme », Emmanuel Macron caricature les deux qui conviennent : « demande » et « autorité ». Caricaturer est ici une façon commode de détourner le sens des mots et la réalité qui lui correspond. Décidément, ces élections européennes n’en finissent pas de fausser le débat.

Voir Medellin et mourir?

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Medellín, deuxième ville la plus peuplée de Colombie derrière Bogota, veut attirer les touristes, 2024 © Julien San Frax

Le marketing numérique, en 2024, parvient à promouvoir n’importe quelle métropole, même la plus moche. Témoin Medellin, deuxième ville de Colombie par la taille, après la capitale Bogota: allègrement « vendue » aux touristes, elle n’en reste pas moins un enfer urbain. Reportage.


Medellin est à La Vierge des tueurs ce que Mompos est à Cent ans de solitude, le chef-d’œuvre de Garcia Marquez: la ville comme personnage central. Paru en Colombie en 1994, La Virgen de los sicarios, court roman de Fernando Vallejo (1942-…), a bénéficié quelques années plus tard d’une éclatante adaptation à l’écran, par l’émérite cinéaste franco-suisse Barbet Schroeder (cf. Le Mystère von Bulow, Général Idi Amin Dada, etc.)

À Medellin, capitale colombienne de la drogue, le narrateur, un grammairien vieillissant et désabusé, s’éprend d’un éphèbe à la gâchette facile, Alexis. Lequel finit lui-même occis sous les balles de ces spadassins, adolescents en selle qui terrorisent la rue. Désespéré, l’amant chenu tente de consoler son deuil dans les bras de Wilmar, un garçon ressemblant trait pour trait au défunt Alexis. Mais ce sera pour reconnaître bientôt en Wilmar l’assassin de son bien-aimé : d’une écriture trempée dans le vitriol, l’allégorie grinçante, apocalyptique, vertigineuse de cette Babel de la guérilla, sous l’emprise du narcotrafic.

Escobar n’est plus

Le baron de la coke Pablo Escobar (1949-1993) a passé l’arme à gauche : en 2024, Medellin offre un visage pacifié – en apparence. Au creux de cette vallée de l’Aburra, la deuxième métropole du pays après Bogota dresse ses innombrables tours couleur brique, fichées comme autant de pics dans cette jungle urbaine encaissée au pied d’un cirque de montagnes, sur les pentes desquelles s’accroche ces comunas, l’équivalent des favelas brésiliennes, noyées dans la vapeur d’un ciel laiteux où courent de gros nuages moites.

L’« éternel printemps » dont se targue volontiers le chef-lieu de la région de Antioquia, cité tentaculaire de quatre millions d’habitants in extenso,  n’est qu’un bouillon de culture baignant dans la verte luxuriance tropicale, maelstrom mijotant dans sa cuvette attiédie. Y mugit un monstrueux trafic de voitures, de taxis carapaçonnés de jaune, de deux-roues slalomant dans un perpétuel embouteillage. Le rio grisâtre qui serpente dans Medellin a quasi disparu sous le béton. Tout comme le patrimoine « colonial » dont les vestiges, aussi rares que clairsemés, sont submergés par l’architecture sans qualité propre à notre temps.  


 La bouillonnante métropole s’enorgueillit certes de deux flambantes lignes de métro à ciel ouvert, lesquelles, sur les axes nord-sud et est-ouest, assurent la jonction avec les banlieues, tandis que les fameux téléphériques urbains, sous l’appellation de Metrocable, suspendent leurs nacelles jusque vers les barrios déshérités dont, la nuit, scintillent dans les hauteurs la myriade des petites ampoules. A l’enseigne du Street Art, – ce que le badigeon est à la peinture -, Medellin a réussi l’exploit de vous « vendre » les graffitis muraux de la Comuna 13, ancienne zone de non-droit mise en coupe réglée par les narcos, comme le signe de sa renaissance urbaine. Au pays du « réalisme magique », le Street Art se voit donc investi de je ne sais quelle vertu propitiatoire.  Moyennant quoi, le quartier, équipé d’escalators, arraisonné par la cupidité de guides autoproclamés, n’est qu’un alignement de boutiques de souvenirs et de gargotes en terrasses, soumises au diktat des décibels. Le lieu revêt le même caractère d’artifice mercantile que la butte Montmartre – en pire.

C’est au sud de la ville, dans le quartier d’El Poblado, que se concentre, sous haute sécurité policière, la frénésie diurne et surtout nocturne, dont la Calle 10 est l’épine dorsale, Provenza l’œil du cyclone, les Parque Lleras ou Poblado les souffreteuses clairières. Dans les hauts de Poblado, à distance de cette fièvre qui sature chaque fin de semaine l’espace public, se réfugient les nantis de cette ville trouée d’énormes poches de misère. C’est d’ailleurs dans ces parages cadenassés par des vigiles que les dividendes du mythe Escobar fructifient toujours dans les mains du frère et du neveu. Lesquels n’hésitent pas à rançonner au prix fort la visite guidée de ses anciennes villégiatures, maisons-musées dévouées au pèlerinage hagiographique, pâle contremodèle du très officiel Museo Casa de la Memoria. Qui, lui, reconstitue l’interminable scène de crime dont Medellin fait mine d’être sortie.


Femelle pour l’essentiel, la prostitution qui gangrène El Poblado est essentiellement contrôlée, en 2024, par les mêmes gangs qui supervisent le narcotrafic du pays, rappelons-le, toujours premier producteur mondial de cocaïne. Frederico Gutierrez, le maire conservateur qui, depuis janvier, a pris la succession de l’édile de gauche Daniel Quintero, paraît décidé à soumettre ce fief : la ville repartait dangereusement à vau l’eau.

Mini-Disneyland

En surchauffe, Medellin n’a certes pas gagné le concours de beauté. En plein centre, dans ce Parque Berrio où se traînent les junkies en manque, faune mêlée à celle des touristes qui se selfisent devant les bronzes callipyges de l’inévitable Botero, le Palacio de la Cultura, bâtiment construit par un architecte belge dans les années 1920 mais jamais achevé en totalité, dresse sa sinistre silhouette néo-gothique tronquée, noire et blanche comme un jeu de dames. Paradoxe de ces métropoles latino-américaines si jalouses de leur histoire, mais qui n’ont à proposer, pour seul patrimoine architectural digne de ce nom, que les opulents vestiges de l’éclectisme européen d’une part, et le précieux reliquat de l’antique puissance coloniale d’autre part.  

Au point que sur les hauteurs de la colline de Nutibara, au cœur même de la désolante vastitude urbaine sur quoi la vue plonge, la municipalité ne s’est pas privée de reconstituer un petit village traditionnel type. Ouvert depuis 1978, Pueblito Paisa, réplique en toc d’un bled colonial d’Antioquia imaginaire – avec sa fontaine, son église, son école et son salon de coiffure – attire en nombre les touristes locaux, manifestement ravis d’arpenter l’artifice idéalisé de ce mini-Disneyland de la ruralité perdue : pour faire un peu moins faux, n’y manqueraient que les bestiaux, l’odeur des foins et les campesinos en haillons.


Pourtant, à une heure de bus collectivo depuis le Terminal del Norte qu’on gagne en taxi pour une liasse de pesos, Santa Fe de Antioquia, l’ancienne capitale régionale détrônée par Medellin en 1826, n’a rien d’un artefact. Authentique bourgade de vingt-mille âmes, presque demeurée dans son jus, c’est, en réalité, un village hispanique : transplanté là, tel quel, avec sa place centrale carrée qu’orne une cathédrale XVIIIe, avec ses couvents, ses églises, ses maisons sans étage coiffées de tuiles romaines, aux murs chaulés de blanc que percent de ravissantes fenêtres à claustras en bois peint…

Faire-valoir national, certes, désormais envahi de boutiques-hôtels et de restaurants à la gastronomie fusion, et parcouru de norias de mototaxis pétaradant sur ses vieux pavés. Le gros village draine, en période de vacances, des foules de touristes – au reste majoritairement autochtones, car le marketing numérique, pièce maîtresse du dispositif colombien de communication « loisirs » à l’international, peine encore à faire prendre des vessies pour des lanternes. Mais au moins, la pierre ne ment pas, comme disait l’autre. Au rebours de la contrition masochiste de l’Occident à l’endroit de son propre génie s’impose donc ici le témoignage édifiant de ce que la Colombie doit au Vieux Continent : l’antique civilisation européenne, dernier paradis sur Terre, lance ses brandons jusqu’à Antioquia. Medellin la moche a de quoi être jalouse.


Vols quotidiens Air France/ Avianca, Paris – Medellin via Bogota.

Guide en français Lonely Planet Colombie (édition 2022)

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Se loger :

À Medellin: Binn Hôtel. www.binnhotel.com

À Santa Fe de Antioquia: Hôtel Mariscal Robledo. https://hotelmariscalrobledo.com

À lire:

La Vierge des tueurs, roman de Fernando Vallejo. Belfond, éd. Paris.

La Vierge des tueurs

Price: 15,36 €

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À voir :

La Virgen de los sicarios / La Vierge des tueurs. Film de Barbet Schroeder (1999), France/Espagne/Colombie, durée : 1h41. En DVD/Blu-ray chez Carlotta Films.

La Vierge des tueurs [Blu-ray]

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Sur Netflix, l’excellente série Narcos (2015), du cinéaste brésilien José Padilha.