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La révérence de Joe Biden: une campagne historique s’annonce

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La campagne présidentielle américaine prend un nouveau tournant. Le président sortant, 81 ans, a annoncé hier qu’il se retirait finalement de la course. Pourvu qu’il s’en souvienne, en se réveillant ce matin… Kamala Harris est favorite pour le remplacer, mais face à Donald Trump la lutte ne sera pas aisée.


Joe Biden aura finalement renoncé à l’ultime bataille. À 82 ans bien sonnés, le natif de Scranton s’est senti trop âgé pour continuer. Diminué et fragilisé, celui qui fut sénateur du Delaware de 1973 à 2009 a fini par admettre qu’il n’avait plus les ressources intérieures suffisantes pour affronter un Donald Trump héroïsé après avoir survécu sous les yeux du monde à une tentative d’assassinat par un post-adolescent complexé comme en produisent à la chaîne les États-Unis d’Amérique.

Sleepy Joe était bien plus que ça

« Je pense qu’il est dans l’intérêt de mon parti et du pays que je me retire », a ainsi posté dans une missive solennelle le second président d’origine irlandaise de l’histoire de l’Amérique. Dans ce bref courrier explicatif adressé aux citoyens américains, Joe Biden dresse le bilan de son action, vantant notamment sa politique économique et infrastructurelle, ainsi que l’inflation reduction act qui fut un rude coup porté à l’Union européenne. Une politique extrêmement protectionniste et pas si éloignée de celle qu’avait en son temps menée Donald Trump. Nous ferions d’ailleurs peut-être bien de nous en inspirer partiellement, mais c’est une autre histoire. L’essentiel est au fond ailleurs, dans cet aveu formulé par Joe Biden qui admet sous la contrainte ne plus être un atout pour son camp et comprendre en creux qu’il ne peut plus l’emporter.

De cet animal politique dépeint ces derniers mois en marionnette, peu de choses sont sues en France. Le parcours politique long et brillant de Joe Biden cache pourtant une vie parsemée de drames terribles qui ont en leur temps durablement marqué l’opinion publique. Joe Biden a notamment perdu sa première épouse Neilia et sa fille Naomi en décembre 1972 lors de sa première campagne sénatoriale, dans un épouvantable accident de la route. Ses fils Beau et Hunter ont miraculeusement survécu, traumatisés à vie.

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En 2015, la mort a frappé de nouveau le clan Biden. Son fils Beau est décédé des suites d’un cancer du cerveau à l’âge précoce de 46 ans. Militaire et procureur général du Delaware, Beau avait toutes les qualités pour faire de lui le successeur naturel de son père. Le deuil a profondément affecté l’actuel 46ème président des États-Unis qui a dû par la suite subir les frasques de son cadet Hunter. Écorché vif, ce dernier s’est fait remarquer dans la colonne des faits divers et les rubriques mondaines pour sa consommation de drogues ainsi que son appétit sexuel.

Face à ces épreuves, Joe Biden a toujours su faire preuve de résilience. Politicien rusé et fin connaisseur des arcanes de Washington, Joe Biden était un expert de la politique étrangère dépeint en « modéré » au sein du camp démocrate. Alors qu’il était apparu plutôt fringant lors de l’élection présidentielle de 2020 où il affronta Donald Trump, la baisse de ses capacités cognitives est devenue bien trop flagrante au cours des derniers mois. Ayant toujours été qualifié de gaffeur, Joe Biden était aussi combatif. Dernièrement, ce trait de caractère semblait s’effacer, dévoilant un vieillard en grandes difficultés face à la presse ou ses adversaires. À telle enseigne que des personnalités de premier plan l’ont appelé à renoncer, à l’image notamment de George Clooney dont la prise de position a fait grand bruit.

Le duel annoncé entre deux hommes d’âge mûr et deux anciens présidents n’était pas au goût de tous les Américains qui semblaient contraints de voter pour faire barrage plus que par adhésion. Ils ne l’auront finalement pas. Reste la question qui fâche : qui pour prendre le relais ?

Kamala Harris en recours naturel : oui, mais…

Joe Biden a relancé une campagne américaine qui semblait acquise aux Républicains. Dans un tweet, il a explicitement soutenu la candidature de sa vice-présidente Kamala Harris. Impopulaire, cette femme métisse et plutôt jeune pour les standards locaux aura fort à faire pour obtenir le soutien du parti démocrate et plus généralement des électeurs démocrates. Elle n’est pas encore la candidate du parti qui se réunira lors d’une convention nationale dans un mois. Barack Obama a notamment exprimé ses réserves : « J’ai confiance dans le fait que les leaders de notre parti seront capables de trouver une solution pour qu’émerge une candidature exceptionnelle ». Voilà une première pierre lancée dans le jardin de Kamala Harris qui fait pourtant figure de candidate naturelle eu égard à sa fonction et au fait qu’elle soit légalement la seule à pouvoir utiliser les fonds collectés pour la campagne Biden.

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Une donnée qui a son importance puisque le parti démocrate se retrouve désormais au coude à coude dans des États qui lui étaient à l’origine acquis sur le papier, tels que le Nouveau-Mexique ou la Virginie en sus des fameux « swing states ». Éviter la catastrophe sera extrêmement coûteux alors que de nombreuses grandes fortunes financent la campagne de Donald Trump, soutenu désormais par le « monde de la tech » dont vient son colistier J.D. Vance. Des personnalités richissimes et influentes comme Elon Musk ou Peter Thiel font ouvertement campagne pour The Donald, dont l’aura a pris la couleur pourpre de l’Empereur survivant.

Les démocrates semblent pourtant décidés à livrer bataille. En plus d’Obama, des pontes comme Nancy Pelosi, Chuck Schumer ou Hakeem Jeffries n’ont pas déclaré leur soutien explicite à Kamala Harris. Joe Manchin, influent sénateur de Virginie-Occidentale, s’est déclaré prêt à entrer dans la bataille. On pourrait imaginer que Gavin Newsom, dont l’ancienne compagne est actuellement en couple avec Donald Trump Jr, pourrait aussi nourrir quelques envies. Pete Buttigieg, sorte de version homosexuelle de J.D. Vance, avec lequel il partage les mêmes origines et la même formation, serait aussi un candidat crédible. Bref, la guerre n’est pas finie. Mais Donald Trump doit être conscient d’une chose : son meilleur ennemi n’est plus dans la course. La virulence extrême de sa déclaration en est d’ailleurs la meilleure preuve. Qualifiant Biden de traître dans un post enragé sur son média social personnel, il a tout de même dévoilé son inquiétude. De fait, la campagne républicaine va devoir entièrement se réorganiser pour affronter un nouvel adversaire qui risque d’être plus jeune et de trancher. En janvier dernier, la républicaine Nikki Haley avait déclaré que « le premier parti qui retirera(it) son candidat octogénaire sera(it) celui qui gagnerait l’élection »

L’Occident décadent, et alors?

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Ross Douthat publie Bienvenue dans la décadence (Perrin) et dresse des perspectives pessimistes pour notre futur.


Dans son essai Bienvenue dans la décadence (Perrin), le journaliste Ross Douthat démontre que nous sommes entrés dans une période où notre créativité est durablement en berne, que les illusions des Trente Glorieuses sont derrière nous et que nous ne passerons pas nos étés sur la Lune ou sur Mars. Et qu’il faut nous en satisfaire. L’Occident est en panne.

Le progrès est mort

L’argument avait déjà été utilisé par l’anthropologue anarchiste David Graeber. Chez Frédéric Taddéi[1], il nous avait invités à comparer l’an 2015 dans Retour vers le futur et celui, plus prosaïque, que nous avons connu il y a quelques années. Point de voitures volantes, point de skates à lévitation, mais des formulaires à remplir à longueur de journées, de la paperasse numérique à ne plus savoir qu’en faire. Dans un souci d’équilibre du temps de parole, Ross Douthat cite également le journaliste conservateur Mark Steyn, qui ne dit pas tellement autre chose. A comparer les innovations survenues dans les foyers américains durant la première moitié du XXème siècle et celles apparues depuis 1950, notre époque fait pâle figure. Tout a été inventé avant 1950, il n’y a plus que des corrections esthétiques. Le progrès est mort en 1975. L’apparition d’Internet ne serait qu’un épiphénomène, qui, tout au plus, aurait permis de visionner des clips sur un appareil que l’on peut ranger dans sa poche. Dérisoire.

Peu importe si la décadence prend quatre siècles, comme elle en a mis quatre entre le règne de Néron et la chute finale de l’Empire romain d’Occident. La cause principale de cette stagnation occidentale (et extrême-orientale), d’après l’auteur, est le vieillissement des populations : triomphe des cheveux blancs, déclin de la prise de risque. L’auteur perd un peu de vue que Cervantes avait soixante-huit ans quand il a écrit la deuxième partie de Don Quichotte et de Gaulle plus de soixante-quinze quand il a scandé « Vive le Québec libre » à l’hôtel de ville de Montréal : les vieux schnocks sont parfois des punks.

Peu importe. Le tableau de la décélération proposé par le journaliste du New York Times est général. En économie, des start-ups, à la limite de l’arnaque, sont capables de mener des levées de fonds spectaculaires (Uber, par exemple) mais n’ont pas inventé grand-chose de révolutionnaire, et surtout, ne sont même pas rentables. Au cinéma, on observe l’exploitation ad nauseam de franchises déjà existantes il y a quarante ans… De quoi nous faire dire, avec la même morgue que celle de Mozart face à Salieri, dans Amadeus : « Le reste n’est que reprise, n’est-ce pas ? ». Du côté des sorties musicales, il est vrai aussi qu’il est impossible d’écouter un morceau des Strokes sans entendre des phrases entières de Sonic Youth, de Billy Idol, ou du groupe norvégien a-ha. En réalité, il est probable qu’en matière de rock comme dans d’autres domaines, il n’y ait plus grand-chose à inventer…

Wokes et réacs renvoyés dos-à-dos

Concernant l’ébullition politique en cours des deux côtés de l’Atlantique, l’auteur renvoie les wokes et les populistes réactionnaires dos-à-dos. Les premiers ne feraient que recycler des limonades radicales aussi vieilles que la guerre du Vietnam et seraient des cafteurs, des indics et des balances. Guy Debord écrivait déjà, en son temps « Je ne suis pas un journaliste de gauche : je ne dénonce jamais personne »… Les seconds sont de pauvres hères à côté de la plaque, menés par des propagandistes cyniques (« Joseph Goebbels avait la main lourde quand il s’agissait de faire fonctionner la machine à propagande, sauf qu’il croyait absolument en son Führer et en sa cause » ; presque le début d’un mérite). Le conflit entre les deux camps se résumerait selon Ross Douthat à une excitation provoquée par les réseaux sociaux, à une guerre virtuelle dans des sous-forums de Reddit sans traduction dans la vie réelle.

Politiquement, Ross Douthat est un oiseau étrange. Converti au catholicisme, il cite Chesterton et peut passer de Thomas Piketty à Michel Houellebecq : c’est une manière de rester centriste. Aux Européens et Américains qui se plaignent de l’immigration, il leur dit : « Si vous aviez fait un enfant de plus, vous auriez moins eu besoin d’immigration ». Hostile à l’avortement, il n’a pas l’air emballé pour autant par le « populisme trash » de Trump. L’auteur rappelle cinq ou six fois que celui-ci vient du monde de la télé-réalité, ce qui semble être une disqualification définitive selon lui. Certes, le camp conservateur mondial n’est pas composé que d’imbéciles et d’ « incapables », et le Japonais Shinzō Abe a su faire montre d’ « une certaine efficacité politique (…) dans un contexte décadent », mais le programme ambitieux de ce dernier n’a fait « la différence qu’à la marge ». Globalement, c’est le leitmotiv du livre : l’Occident est condamné à ne pouvoir mener que de petites corrections à la marge, et obtenues au terme de conflits effrénés.

Empire du Milieu et centrisme provocateur

N’allez pas chercher dans le reste du monde la solution à la neurasthénie occidentale. La Russie n’est jamais qu’une « forme plus nationaliste, plus conservatrice ou plus dégradée de celle des pays occidentaux ‘’normaux’’ » et n’offre pas un contre-modèle à la démocratie libérale. Le Sud global, apparemment en plein rattrapage économique et revanchard, risque de souffrir beaucoup plus que le Nord du réchauffement climatique, lequel, dans « un mouvement machiavélique de l’histoire », pourrait anéantir les vains progrès des pays pauvres. Quant à la Chine, elle s’apprête à entrer dans « son siècle » mais ses milliardaires ne rêvent que d’une chose : décamper aux Etats-Unis ! A-t-on déjà vu l’élite de la puissance montante rêver de s’installer chez la déclinante ? L’Empire du Milieu envisage lui-même avec inquiétude la fin prochaine de sa croissance, et si les commentateurs américains regardent avec enthousiasme le futur de la Chine, c’est qu’ils plaquent sur toute chose leur propre optimisme millénariste. La Chine, elle, est d’un tempérament pessimiste.

La démonstration de Ross Dhoutat est provocatrice et agaçante – tout en restant plutôt centriste. On pourrait la lire comme une exhortation au ressaisissement général. Pas tout à fait. L’auteur semble se satisfaire des siècles de stagnation à venir. La décadence durable pourrait être non pas une « chute ou fin décevante » mais « une issue heureuse voyant l’être humain enfin parvenir à un équilibre entre le malheur de la misère et les dangers de la croissance pour elle-même ». Au risque de trouver le temps long – surtout vers la fin.

336 pages. Perrin, avril 2024.

Bienvenue dans la décadence. Quand l'Occident est victime de son succès

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[1] https://www.dailymotion.com/video/x394y6n

Mythomanie artificielle

Si les robots apportent des réponses chaque jour plus crédibles, l’IA présente aussi des signes de démence. Il arrive en effet aux chatbots d’inventer des faits…


Les agents conversationnels (ou chatbots) animés par l’IA sont censés nous concurrencer en termes à la fois de créativité et de présentation d’informations. Le hic, c’est qu’ils confondent les deux.

Il arrive que, au lieu de trouver des faits, ils les inventent.

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En 2022, l’essai public de Galactica, le chatbot scientifique de Meta, tourne au fiasco, les utilisateurs signalant de nombreux cas de production d’informations imaginaires, comme un article sur l’histoire des ours dans l’espace. Début 2023, éclate un scandale à propos d’articles publiés par le média américain CNET. Rédigés par l’IA, ils contenaient des conseils financiers complètement erronés. En juin de la même année, deux avocats sont punis d’une amende pour avoir cité dans la jurisprudence d’une réclamation pour dommages corporels six affaires judiciaires qui n’ont jamais existé. ChatGPT les avait inventées. En février 2024, Air Canada est obligée de respecter une politique de remboursement imaginée par son chatbot de service client. Le même mois, Perplexity AI donne une mauvaise recommandation à une personne qui venait de subir une intervention chirurgicale à cœur ouvert. Heureusement, elle ne l’a pas suivie.

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L’Organisation mondiale de la Santé vient de lancer S.A.R.A.H, animé par ChatGPT, qui est censé donner des conseils de médecine. En avril, il fournit à un utilisateur une liste de noms et d’adresses de cliniques à San Francisco, dont aucune n’existe.

Cette tendance des chatbots à la fabulation s’appelle « hallucination » et elle est inhérente à leur mode de fonctionnement. Un des avocats leurrés par ChatGPT a prétexté qu’il croyait que c’était un moteur de recherche, mais les agents conversationnels ne répondent pas à une question de la même manière que Google. Utilisant ce qu’on appelle des « grands modèles de langage », ils sont entraînés sur de vastes quantités de textes pour produire des séquences de mots en calculant la probabilité de leur enchaînement. C’est même ce qui rend leurs inventions très plausibles. Ce défaut pourrait être mitigé, mais jamais complètement éliminé. Nous devons surtout comprendre que ces systèmes sont appelés à nous aider, non à nous remplacer.

Tour: et si le vrai gagnant n’était pas le vainqueur?

Le Slovène Tadej Pogacar a fait la démonstration de sa suprématie sur le Tour de France, dimanche, en remportant sa troisième Grande Boucle ainsi que le contre-la-montre final à Nice. Mais, il ne parvient pas à éloigner les soupçons de dopage qui pèsent sur lui.


Avec une déconcertante voire insolente facilité qui laisse perplexe, le flamboyant Tadej Pogacar a donc, sans surprise, remporté son troisième Tour, qui s’est caractérisé par une série de « premières fois » tout en restant fidèle à lui-même, devançant celui qui, précisément, l’avait dépouillé de la tunique jaune les deux éditions précédentes, le coureur à « la triste figure », l’humble et pudique Jonas Vingegaard.

Ainsi, au terme de cet intermède, le coureur slovène a rejoint les clubs très exclusifs des trois triples vainqueurs du Tour (Lemond, Bobet, Thys) et des sept ayant inscrit à leur palmarès le doublé Giro-Tour (Coppi, Anquetil, Merckx, Hinault, Roche, Indurain et Pantani). Il bat aussi le record, anecdotique, de Merckx du plus grand nombre de jours vêtu du maillot de leader (37), la même année, cumulés sur ces deux compétitions.

Il a imposé sa domination sur ce Tour en gagnant cinq des sept étapes de montagne au menu de cette 111ème édition dont les deux pyrénéennes et les deux alpestres majeures. Et pour consacrer celle-ci, il a remporté l’ultime et difficile contre la montre de 33 km entre Monaco et Nice avec plus d’une minute d’avance sur le second qui n’était autre que Vingegaard.

Il a également explosé, lors de la 15ème étape, le 14 juillet, le record de l’ascension au Plateau de Beille (Pyrénées) que détenait Pantani qui, de notoriété publique, ne roulait pas à l’eau claire, ce qui immanquablement ne pouvait que relancer le soupçon récurrent de dopage. D’après l’information d’un site anglais faisant référence à la matière, reprise par la presse française, le dopage auquel aurait recours Pogacar, et aussi dit-on Vingegaard, consisterait à inhaler du monoxyde de carbone, technique qui augmenterait le VO2max, à savoir la capacité à absorber de l’oxygène.

Présomption d’innocence

Dans le cyclisme, comme dans la société, la présomption d’innocence doit prévaloir. Tant qu’un coureur n’est pas déclaré positif, il est négatif. Mais ce principe n’interdit pas pour autant de soulever de légitimes questions. Car il y a eu le précédent Lance Amstrong, septuple vainqueur déchu qui avait déjoué tous les contrôles pourtant très stricts tout au long de sa carrière. Balancé par ses anciens équipiers pour des questions de fric, il avait fini par reconnaître qu’il se dopait à l’EPO[1]. Il convient de préciser que l’inhalation de monoxyde de carbone n’est pas inscrite dans la liste des produits proscrits.

Pour le moment, laissons donc de côté ce délicat sujet et posons la question iconoclaste qui s’impose. Le classement général de ce Tour ne serait-il pas en trompe-l’œil ? Et si finalement le vrai gagnant du Tour ne serait pas le vainqueur mais le vaincu ? A savoir Vingegaard.

Logiquement, d’un point de vue médical, il n’aurait pas dû prendre le départ à Florence. Ce qui ne l’a pas empêché de tenir la dragée haute à Pogacar.

Le 4 avril, sur le Tour du Pays Basque, dans la descente du col d’Olaeta, il chute lourdement dans un virage à plus de 80 km/h. Pneumothorax, contusions pulmonaires, fissure du sternum, fractures de la clavicule gauche et de plusieurs côtes : il s’est cru mourir, a-t-il confié, lui, habituellement si avare de paroles. En principe, sa saison s’arrêtait là. Douze jours d’hôpital en soin intensifs, dix semaines de rééducation, le remettaient sur pied. Faire l’impasse du Tour était impensable pour le sponsor, en l’occurrence Wisma, une société norvégienne d’informatique. Pour celle-ci, il était impératif qu’il défende son titre conquis l’année précédente pour la deuxième fois consécutive. Alors, sans qu’il ait disputé la moindre course en trois mois, on l’a aligné au départ, de plus avec une équipe amoindrie, surtout par l’absence de son ange gardien en montagne, l’Américain Sepp Kuss, et par un Wout van Aert à peine remis d’une grave chute (lui aussi !) sur le Tour de Flandres. Son équipe sera cependant une des seules trois équipes à terminer au complet à Nice, il faut le souligner, la preuve d’une solide cohésion de celle-ci.

En revanche, Pogacar était arrivé, lui, entouré d’une impressionnante force de frappe entièrement dévouée, qui s’était bien rodée sur le Giro, remporté par ce dernier avec la même aisance qu’il a gagné le Tour : l’équipe des Emirats Arabes Unis (UAE, son sigle en anglais), où l’argent ne fait pas problème. La plupart de ses équipiers pourraient être leaders dans d’autres équipes. Mais la carrière d’un cycliste étant courte et aléatoire, ils préfèrent un substantiel salaire à une hypothétique gloire. Elle perdra un coureur mais terminera première au classement par équipe.

Bien qu’amoindri physiquement, Vingegaard était cependant armé mentalement pour se lancer à l’assaut d’une citadelle considérée comme inexpugnable, comme il le fit dans la montée vers le plateau de Bielle avec dans sa roue Pogacar qui lui porta l’estocade à une encâblure du sommet. En fait, il a tenu ferme jusqu’à l’avant-pénultième étape, Embrun-Isola-2000, qui franchissait vendredi le point culminant de la Grande boucle, le col de la Bonette (2802 m, 22,9 km à 6,9%). Dans la dernière ascension, à 5 km de l’arrivée à Isola-2000, Pogacar a décoché une de ces attaques qui sont sa marque, digne d’un missile, laissant sur place ses deux suivants au général, Vingegaard, Evenepoel, 24 ans, dont c’est la première participation, maillot blanc du meilleur jeunes, ex-champion du monde sur route et contre la montre, vainqueur de la Vuelta 2022.

Vingegaard s’accroche à la roue de ce dernier et sauve à la souffrance sa place de second mais se retrouve à 5’03 du maillot jaune.  Si à la sortie des Pyrénées avec 3 mn de retard, c’était encore jouable, avec 5 mn de débours face à un Pogacar impérial, là la messe était dite.

Le lendemain dans l’avant-dernière courte mais piégeuse étape, Nice-Col de la Couillole, Evenepoel, 3ème au général à 2mn, veut lui chiper la seconde place, le harcèle à deux reprises. Alors, ayant retrouvé son coup de pédale d’avant, Vingegaard place un contre imparable et s’en va vers le sommet à 5km environ avec dans sa roue Pogacar qui ne prend aucun relai. On le comprend, la dispute pour la seconde place n’est pas son affaire. Mais, l’élégance, à l’instar autrefois d’un Indurain, aurait voulu qu’il le laissât franchir en premier la ligne d’arrivée. Que nenni ! Néanmoins Vingegaard a pris 53 secondes sur Evenepoel… devancera encore celui-ci dans le contre la montre, confortant sa place de second et prouvant que, malgré les séquelles de sa chute, il avait encore de la réserve et un caractère qui n’abdique pas.

Faux héros

La presse en général a eu les yeux de Chimène pour Pogacar, le prodige, le nouveau Mercks, le cannibale, tout sourire, rayonnant, chaleureux, mais, revers de la médaille, en réalité égoïste et suffisant, condescendant comme tous ceux qui se sentent supérieurs aux autres, à vrai dire une sorte de Macron du vélo. Non, le vrai héros, discret, modeste, de ce Tour a été indubitablement Vingegaard, le revenant de ce qui a failli être son au-delà. Sa performance sur ce Tour, privé d’une partie de ses moyens physiques mais pas mentaux, annonce un Tour 2025 cette fois à armes égales. Avec un larron à l’affût : Evenepoel. Il a dit à la presse belge qu’il va revenir mais pour la gagne…

Ce Tour des « premières fois » (premier départ d’Italie, première arrivée pas à Paris, première victoire d’étape d’un Africain noir, entre autres…) a ajouté une exceptionnelle « première fois ». En effet, pour la première fois de son histoire, hormis le blanc d’Evenepoel qui revient à la Belgique, les trois autres maillots distincts, le jaune, le vert et à pois, reviennent, eux, à trois petites nations cyclistes, Slovénie, Erythrée, et Equateur, qui il y a encore à peine dix ans n’étaient pas présentes sur le Tour, confirmant ainsi sa mondialisation. Les grandes puissances cyclistes d’antan (France, Belgique, Pays Bas, Italie, Espagne…) ont dû se contenter à faire de la figuration en limitant leurs ambitions à des victoires d’étapes. La Belgique en a décroché cinq, la France trois, et les autres sont rentrées bredouilles… Et Cavendish, le flibustier des lignes d’arrivée, a sauvé l’honneur sourcilleux de la Grande Bretagne en inscrivant à son palmarès le record de 35 victoires d’étapes, reléguant Merckx à la seconde place avec une de moins, un record qui n’est pas près d’être obsolète…

Enfin, le Tour demeure toujours, contre vents et marées, une grande fête populaire ainsi que l’atteste la foule enthousiaste qui se presse année après année sur son itinéraire et les audiences télé. Samedi, la veille du contre la montre finale, 4,34 millions téléspectateurs, pas tous que des fans de vélo, étaient devant leur écran, soit 41,8 % « de part de marché ». Peu de programmes peuvent se targuer d’une pareille audience. Comme quoi que le Tour est autre chose que du sport. Mais quoi ? Aux philosophes de nous apporter la réponse.


[1] Erythropoïétine médicament qui augmente les capacités physiques d’un individu de 10% en augmentant la quantité des globules rouges. Les stages en altitude sont en quelque sorte une forme d’EPO naturel. (Prochainement un article sport et dopage : un concubinage remontant à l’Antiquité qui perdurera)  

Boris Vallaud aurait dû donner l’exemple…


Tout est signe, tout fait sens. Quand le monde politique va à vau-l’eau, fond et forme compris, tout doit être pris au sérieux, l’insignifiant comme le grave.

La trahison des élites

De quelque côté qu’on se tourne, il n’est plus personne qui donne l’exemple. D’une certaine manière, on peut parler à l’Assemblée nationale de la trahison des élites. J’entends par là qu’une catégorie de députés, sur tous les bancs, était naturellement destinée par sa formation, sa culture, son passé, son expérience, les postes occupés et la dignité qu’on attend d’eux, à servir de guide aux novices, aux élus de fraîche date. Aussi quelle déception quand j’ai appris que le socialiste Boris Vallaud (il est vrai avec certains autres de son parti, de LFI, des Écologistes et même du groupe Ensemble, au comportement aussi critiquable que le sien), avait refusé de serrer la main, lors de l’élection à la présidence de l’Assemblée nationale, du député RN Flavien Termet qui, étant le benjamin de tous, avait un rôle précis à jouer.

A lire aussi, Aurélien Marq: Je ne vous serre pas la main, Monsieur!

Au regard du parcours qui est celui de Boris Vallaud, de sa capacité que je présumais, de savoir distinguer la politesse élémentaire de l’adhésion partisane, je n’imaginais pas un tel puéril manque de savoir-vivre politique et de respect des usages. Cette Assemblée, dans notre démocratie, doit être un lieu de débats et de confrontations, il est devenu celui des grossièretés honteuses. Je n’aurais jamais cru devoir prêter à Boris Vallaud cette justification sotte de Sandrine Rousseau osant affirmer que serrer la main d’un député RN, c’était déjà banaliser ce parti. Comme si les êtres humains qui le composaient étaient pestiférés et n’avaient pas été élus aussi légitimement que leurs adversaires.

Démocratie malade

Comment Boris Vallaud, secrétaire général adjoint à l’Élysée sous François Hollande, donc tellement inséré dans les structures et les formes de la République, dans ce qu’elle devait avoir de respectable pour être respectée, avait-il pu oublier, quelques années plus tard, ce que son élection à l’Assemblée nationale aurait dû rendre encore plus présent à son esprit et pour sa tenue ? Faut-il considérer que notre démocratie est si malade que son poison gangrène même un Boris Vallaud fier de n’avoir pas salué un tout jeune député à l’égard duquel, si nous étions dans une normalité parlementaire, l’expression d’une sympathie et d’encouragements, par une simple courtoisie déconnectée du partisan, aurait été humainement admissible ?

A lire aussi, du même auteur: Attal prend le large, le Nouveau Front populaire l’eau…

Je suis persuadé que, cette indélicatesse commise, Boris Vallaud, comme ses partenaires en indécence sans doute, s’en est désintéressé. Normal puisque ce jeune Flavien Permet était un adversaire politique…

Pourtant Boris Vallaud aurait dû agir autrement, donner l’exemple grâce à son influence dans son camp. Il aurait été suivi. Le refus de cette main tendue a été plus qu’une goutte d’eau dans le naufrage de l’Assemblée nationale ces derniers jours.

Quand le livre se fait désirable…

Notre chroniqueur ouvre ses boîtes à souvenirs durant tout l’été. Livre, film, pièce de théâtre, BD, disque, objet, il nous fait partager ses coups de cœur « dissidents ». Pour ce dimanche, il a choisi de nous parler, au-delà des auteurs, de collections disparues qui ont déclenché chez lui l’envie de lire grâce à leur couverture, leur maquette, leur papier, ou tout simplement le soin apporté à leur fabrication. De 1000 Soleils à L’instant romanesque, le livre savait se mettre sur son « 31 »


Lire, c’est d’abord voir et ensuite toucher. N’en déplaise aux écrivains qui s’imaginent irrésistibles à l’écrit, ils seraient étonnés d’apprendre, qu’avant de se délecter de leur prose, le lecteur a consenti à acheter leur roman ou leur essai pour des raisons extra-littéraires. On est, avant tout, attiré par une couverture, une illustration, une conception graphique particulière, un grammage, une texture, une qualité de peau en somme, rarement pour le résumé de la quatrième. Après, bien plus tard, des années même après cet élan primaire, on lira l’ouvrage tant désiré ou pas. Un livre doit avoir une bonne gueule, une bonne main, des couleurs qui correspondent à notre propre arc-en-ciel pour nous alpaguer dans la jungle touffue des librairies. Le contenu est presque anecdotique. Il n’est pas déshonorant d’acquérir des livres uniquement pour leur aspect visuel ou leur singularité esthétique. Les bibliophiles apprécient autant l’objet que le phrasé. Le collectionneur est un papivore, un animal qui boulotte du papier, sous toutes ses formes. Certaines collections ont marqué l’imaginaire des enfants, si j’ai été longtemps sensible à la fantasia des Folio Junior, je leur dois mes premiers émois, c’est à l’âge adulte que je me suis mis à recueillir compulsivement toute la dynastie des « 1000 soleils », collection imaginée par Gallimard Jeunesse afin de sensibiliser le jeune public aux chefs-d’œuvre. Tous ces grands classiques qui indiffèrent ou intimident sont au nombre de 156. « 1000 soleils » jouait à l’entremetteur en usant de vieilles ficelles : des couvertures colorées à vocation cinématographique et une certaine tension dramatique. L’illustration était la porte d’entrée de l’écrit. De Tolkien à Cyrano, de Croc-blanc à La gloire de mon père, de Melville à Gide, ils étaient tous là : Dhôtel, Bradbury, Kipling, Giono, Mac Orlan, Hugo, Roald Dahl et même Homère. Parmi les 156, j’ai mon préféré Le fauteuil hanté de Gaston Leroux paru en 1979, terrifiant avec cette tête de mort surmontée d’un bicorne en forme de coupole. À la fin de ce roman, le jeune lecteur avait droit à quelques informations sur le rôle de l’Académie, son fondateur Richelieu, quelques points du règlement et Alain Decaux racontait en deux pages son arrivée, insistant sur la courtoisie de la compagnie. « L’Académie ne recherche aucune hérédité, aucune ressemblance dans les successions de siège. Ainsi, je suis l’exemple type de cette volonté : je suis un autodidacte, je n’ai ni diplôme, ni agrégation, ni doctorat » écrivait-il.  Parfois, on est possédé par la géométrie des années 1970, les lignes stylisées à la Vasarely, le losange Renault de ces années-là m’a toujours plu pour sa simplicité et son éclat. Julliard a lancé la collection « Idée Fixe » dirigée par Jacques Chancel en inaugurant un format tout en longueur et une palette allant du vert fluo au mauve psychédélique. On y trouvait de solides francs-tireurs, des populistes et des précieux, Audiard, Sternberg, Forlani, Nucera, etc… L’objectif avancé était de donner « l’occasion à tous les écrivains d’énoncer sans détour le secret dont ils ont nourri jusqu’ici sournoisement leurs livres ». Le plus fascinant d’entre eux fut signé par André Hardellet, il s’intitule Donnez-moi le temps et est sorti en 1973. Hardellet nous révèle l’endroit où il a attrapé le virus de l’écriture dans « ces minutes d’enfance », du côté du jardin de Vincennes. Étudiant, j’étais fier d’exposer sur un rayonnage de ma bibliothèque, une vingtaine d’exemplaires de la collection « Le Promeneur » domiciliée chez Gallimard à partir de 1991 et dirigée par Patrick Mauriès. Depuis, au fil des années, j’ai acheté presque la totalité des 174 ouvrages, il m’en manque une quinzaine. Sans « Le Promeneur », je n’aurais pas eu accès aux écrivains italiens qui sont d’essentiels compagnons de route. Je n’aurais pas connu Soldati, Flaiano, Manganelli, Arbasino ou Consolo. Je me vois encore acheter Le père des orphelins en 1999, ne pouvant résister au dessin de Pierre Le-Tan et dépensant la somme élevée de 90 francs à l’époque pour ce livre d’une centaine de pages. Enfin, je demeure un inconditionnel de la collection « L’instant romanesque » portée par Brigitte Massot qui avait pour leitmotiv : « Ici, ils (les écrivains) prennent un savoureux plaisir à s’exprimer sur un sujet n’exigeant pas un long parcours ». Jean Freustié, René de Obaldia, Grainville ou Vitoux y donnèrent quelques textes. Je place deux d’entre eux au sommet de la pyramide littéraire, il s’agit de La nuit myope d’A.D.G et de Pierrot des solitudes de Pierre Kyria.


Sélection :

Le fauteuil hanté de Gaston Leroux – 1000 Soleils

Fauteuil Hante A

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Donnez-moi le temps de André Hardellet – idée fixe – Julliard

Le père des orphelins de Mario Soldati – Le Promeneur

Le père des orphelins

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La nuit myope d’A.D.G – L’instant romanesque – Balland

Pierrot des solitudes de Pierre Kyria – L’instant romanesque – Balland

Pierrot Des Solitudes

Price: 2,84 €

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Cette France qui craque…

Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. «J’aime qu’on me contredise!» pourrait être sa devise.


C’était il y a une dizaine d’années. J’étais allé soutenir les salariées d’une maison de retraite, mobilisées pour de meilleures conditions de travail et une revalorisation des salaires. En échangeant avec moi, l’une d’entre elles s’est soudainement arrêtée de raconter son quotidien. Plus la force. Sa dernière phrase, noyée dans des larmes, s’était achevée par un constat dont je conserve encore aujourd’hui le souvenir précis : « Je pousse un cri mais dans le vide, je n’intéresse personne. » Avant cela, elle m’avait dit : « La toilette des résidents c’est tête/cul en cinq minutes, on n’a même plus le temps d’un échange humain. À force d’être maltraitée, on en devient maltraitante. » On ne dira jamais assez combien le développement d’une société se juge à la situation faite aux plus vulnérables.

À l’heure où ces lignes sont écrites, au lendemain du premier tour des législatives, c’est en très grande partie ce cri qui s’est fait entendre. Il vient de loin, bien avant ces dix dernières années. Il a fait irruption dans notre vie politique et sociale, mais n’avait jamais disparu des âmes humaines ; des bides et des entrailles. Des vies sans répit. Des vies sans les petits bonheurs de l’existence et de l’insouciance d’autrefois. Un resto avec les enfants, un cinéma, quelques jours de vacances… Un lâcher-prise sans avoir la crainte de la prochaine facture de gaz et d’électricité, ou celle de la voiture qui ne démarre pas au petit matin. Et cette diablerie de Parcoursup qui a changé la joie de réussir son bac en angoisse de l’inscription.

Le déclassement et le mépris

Plus encore, ce cri n’est pas la seule traduction d’une vie matérielle de plus en plus rabougrie, mais l’expérience concrète d’un déclassement. Non pas d’un « sentiment », mais bel et bien d’un toboggan sans la possibilité de s’accrocher afin d’éviter la chute. Ne plus être considéré et même être méprisé pour ne pas vivre au bon endroit, pour ne pas avoir bien voté lors de la dernière élection, pour ne pas regarder le bon programme télé. En ce domaine, le macronisme a été le terminus d’un long processus d’un nouveau mépris de classe, avec une violence extrême pour la dignité humaine, quand une trop grande partie de la gauche a regardé ailleurs.

Je suis d’une gauche qui, avec Ariane Mnouchkine, a dit : « Quand les gens disaient ce qu’ils voyaient, on leur disait qu’ils se trompaient, qu’ils ne voyaient pas ce qu’ils voyaient. Ce n’était qu’un sentiment trompeur, leur disait-on. Puis, comme ils insistaient, on leur a dit qu’ils étaient des imbéciles, puis, comme ils insistaient de plus belle, on les a traités de salauds. »

A lire aussi : Emmanuel Macron et la roulette belge

Cette gauche ne doit pas se contenter de faire « barrage », car ce logiciel est définitivement en cale sèche. Un peuple a besoin d’un imaginaire à partager. Et c’est bien sur ce terrain, et sur nul autre, que nous devons échanger et nous confronter.

Vous pouvez compter sur moi. Je ne vous lâcherai pas !

Louis XVIII et les femmes

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Épisode 4 : La favorite…


Relire le premier épisode

Relire le 2e épisode

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Jaloux de son aîné, qu’il détestait, « le roi sans royaume ne faisait rien sans raison, ni sans calcul ». C’est sous ces traits cruels que l’historien Matthieu Mensch décrit le comte de Provence, futur monarque de la Restauration, au seuil de l’ouvrage qu’il consacre aux Femmes de Louis XVIII – c’en est le titre. À Louis XVI, le cadet de la dynastie Bourbon enviait aussi son Autrichienne, dont il pensait que lui-même l’aurait mérité davantage : « la haine de Monsieur envers son infortunée belle-sœur avait fini par devenir de notoriété publique », au point que sur le tard, il cherchera à se dédouaner. Instrumentant la mémoire de la reine martyre, il fera même construire, en 1826, une chapelle expiatoire : « Marie-Antoinette semble correspondre parfaitement à la vision cynique de Louis XVIII, pour qui les femmes n’étaient que des outils politiques ou de simples faire-valoir ». Quel garçon sympathique…

Les femmes de Louis XVIII

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Le chapitre suivant s’attache aux pas d’Anne Nompar de Caumont-La Force, comtesse de Balbi, qui fit carrière comme dame d’atour de l’épouse de Monsieur, et bientôt favorite du prince. Vraisemblablement sans coucher, mais assurant sa fortune tout de même. Elle forme une coterie d’obligés autour du généreux comte de Provence, qui lui offre un appartement au petit Luxembourg, puis un pavillon (aujourd’hui disparu) à Versailles. La comtesse de Balbi aidera à la fuite du ménage à Bruxelles, le 20 juin 1792, plus chanceux que le couple royal. « Reine de l’émigration ? » À Coblence où la famille mène une apparence de vie de cour dans un exil luxueux, elle réussit à se faire détester du cercle étroit des émigrés. Comme dame d’atour, la voilà contrainte de suivre la comtesse de Provence à Turin, où elle s’ennuie ferme ; elle démissionne, file à Bruxelles, y tombe enceinte : Monsieur la disgracie. Elle poursuit alors sa vie mondaine à Londres, mais lorsqu’en 1802 Bonaparte décrète l’amnistie des émigrés, elle s’empresse de rentrer au pays. Restée légitimiste, la Balbi intrigue si bien que l’Empereur lui signifie d’aller voir ailleurs – en province. À la Restauration, retour à Paris. Mais Louis XVIII la tient désormais à distance : « Ombre lointaine d’un passé presque oublié, elle n’est plus la puissante maîtresse d’un prince, mais si elle ne peut plus compter sur son charme, elle conserve toujours une langue bien acérée ». À la mort du roi, sans rancune, elle encadre ses bristols d’un liséré noir. Quand le dernier survivant de la fratrie Bourbon, Charles X, s’exile à son tour en 1830, le monarque déchu refuse de la pensionner, et Louis-Philippe, le cousin Orléans proclamé « Roi des Français » « refuse de prolonger cette dépense inutile ». La comtesse se replie dans son appartement versaillais ; elle y meurt à plus de 80 ans. « Jaloux en amitié mais ignorant jusqu’alors tout des peines du cœur, Louis découvrit avec la Balbi la douleur d’être bafoué et humilié aux yeux des autres, nouvelle expérience fondatrice dans sa conception du pouvoir royal, qu’il voulait intangible et immuable, non pas au-dessus, mais à l’abri des faiblesses humaines », conclut Matthieu Mensch.  

La semaine prochaine – Epidode 5 La nièce

« Le Grand Soulèvement », roman politique ou de science-fiction?

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Il y a quelques années, Romain Guérin a publié son roman Le journal d’Anne-France, lequel a été qualifié de chef-d’œuvre par Jean Raspail en personne. Voilà qui vous pose un décor…


Il revient aujourd’hui avec Le Grand soulèvement, que je viens de lire deux fois tant il m’a été difficile, à l’issue de la première lecture, de me dire qu’elle était terminée. J’en voulais encore, je voulais rester dans ce livre et m’offrir encore la compagnie de ses personnages attachants, me maintenir dans le rythme de leurs aventures et goûter encore au charme des décors, des dialogues et des idées géniales dont l’intrigue regorge jusqu’à l’explosion finale qui vous fiche des étoiles dans les yeux et vous ébouillante le sang dans les veines.

A lire aussi: Causeur : Panique sur la démographie. Extinction ou submersion, faites votre choix!

Si la littérature n’était qu’un objet de divertissement, si elle ne prêtait à rien d’autre qu’au seul plaisir de passer un excellent moment, ce roman remplirait amplement ces critères grâce à son intrigue ingénieuse, ses choix narratifs exigeants et brillamment maitrisés et grâce à tout ce qui fait du Grand soulèvement une œuvre originale, ambitieuse, généreuse et inspirante. Mais voilà, la littérature n’est pas que cela : elle est aussi ce qui nous donne à réfléchir et à méditer. Là encore, Le Grand soulèvement répond présent.

L’histoire commence au milieu des années 70, en France, quelque part dans un coin de la Bretagne d’où va partir à la hâte, en direction du Vatican, un jeune prêtre paniqué. La République vient de légaliser l’avortement et le jeune religieux plein de bonne volonté mais ne sachant comment absorber seul cette nouveauté qui menace la vie, répond à son premier mouvement qui est de s’en ouvrir directement au pape. Sur place, les surprises s’enchaînent et ce qu’il entend dire par le pape en qui il plaçait tant d’espoir le désole et ruine sa foi dans l’Église. Au lieu d’une solution à ses tourments, il trouve les premiers enchevêtrements d’un labyrinthe qui mettra sur sa route le sombre, énigmatique et effrayant Vidar, prince de Mortemine, ombre humaine qui paraît être tout à la fois un proche du pape et son pire ennemi. Que se passe-t-il dans les coulisses du Vatican et pourquoi tout ce qui fait irruption sur la route du jeune abbé Korrigan paraît obéir à un schéma organisé, préparé, sur lequel pourtant il n’a aucune prise ?

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Les événements s’enchaînent sans que l’on sache s’ils sont poussés uniquement par le hasard ou si une force supérieure en commande les étapes. Le lecteur est laissé dans cette ambiguïté permanente qui l’empêche de savoir s’il tient dans ses mains un livre politique ou un livre de pure science-fiction. L’auteur, au sommet de son art, joue continuellement à mêler les registres et s’assure ainsi de garder son lecteur dans une attente qui rend impossible l’interruption de sa lecture. Pour avoir lu les précédentes œuvres de Romain Guérin, je n’ai pas été étonné de le savoir capable d’une telle prouesse narrative, pour autant je dois reconnaître que sa dernière livraison place la barre très haut et que pour se maintenir au niveau auquel il a lui-même placé son œuvre, il va devoir se surpasser. Ce qu’il fera, à n’en pas douter.

Sur le charme proprement stylistique du roman : nous sommes plongés au cœur d’une intrigue dont les différentes facettes semblent à la fois se rejoindre continuellement tout en s’excluant dans le même temps ; les lecteurs de Barjavel apprécieront de se retrouver plongés dans ce type d’univers stimulant où les apports de chaque nouveau chapitre nous imposent de reconsidérer complètement les certitudes que l’on croyait pouvoir dégager au chapitre précédent. J’ai dit Barjavel ? Pour les raisons évoquées à l’instant je dis aussi : Arsène Lupin ! Le personnage principal, bientôt rejoint par un autre, devant des faits qui mettent leur curiosité au défi, se lancent dans une enquête aventureuse qui rappelle effectivement les méandres lupiniennes. Lancés sur les grands chemins, ils enchaînent les rencontres qui toutes prennent leur sens au moment du grand dévoilement final. Quant à la dimension religieuse et même mystique qui invite le mystère à la fête, comment ne pas y sentir l’encre du Jean Raspail de L’anneau du pêcheur ?


Le Grand Soulèvement

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«J’entends représenter pendant cinq ans les Français qui veulent s’opposer à Mme von der Leyen»

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Causeur. À peine entrée au Parlement européen, vous vous êtes opposée à la reconduite d’Ursula von der Leyen à la tête de la Commission européenne, pour cinq ans… Quelle position avez-vous défendue avant-hier ?

Sarah Knafo. J’ai évidemment voté contre la réélection de Madame von der Leyen. Avant le vote, j’ai pris la parole dans l’hémicycle pour tenter de convaincre les autres députés et pour dire à Mme von der Leyen, les yeux dans les yeux – car elle était à un mètre de moi –, ce que les Français pensent d’elle, en particulier les 1,3 million d’entre eux qui ont voté pour Reconquête le 9 juin.

En réalité, il ne s’agissait pas de l’élection d’une femme, mais d’un référendum. Un référendum pour ou contre la tyrannie bruxelloise, pour ou contre l’immigration qu’elle fait entrer en Europe, pour ou contre le déclassement de notre économie. Il faut savoir que pour la Présidence de la Commission, c’est le Conseil -c’est-à-dire les chefs des États membres- qui propose un candidat, ici von der Leyen, puis le Parlement a le pouvoir de le refuser ou de l’accepter. Mes collègues députés auraient pu utiliser ce pouvoir. Ils ne l’ont pas fait. Ils ont reconduit pour cinq ans une régnante extraordinairement impopulaire, et pas seulement en France ! Comme trop souvent à Bruxelles, les peuples ont été priés de se taire.

La bataille commence. J’entends représenter pendant cinq ans les Français qui veulent s’opposer à Mme von der Leyen. Je ne serai pas la seule. Nous sommes désormais très nombreux dans l’hémicycle à porter les idées patriotes.

Vous avez pris la vice-présidence du groupe « Europe des Nations souveraines » (ESN), décrit par la presse comme « d’extrême droite » au Parlement et dominé par les Allemands de l’AFD.

Je suis heureuse d’avoir été élue vice-présidente du nouveau groupe l’Europe des Nations Souveraines, par les députés des neuf nationalités qui le composent. Comme vous l’avez vu, notre arrivée en force au Parlement européen n’a pas vraiment plu aux journalistes, qui mettent les trois groupes souverainistes du Parlement européen (mon nouveau groupe Europe des Nations souveraines, Les Patriotes de MM. Orban et Bardella, et le groupe ECR de Madame Meloni) dans le même panier d’« extrême droite ». Ces étiquettes me paraissent désuètes. Je ne m’y suis jamais reconnue. Je suis d’une droite « normale », qui défend les aspirations normales de gens normaux.

J’espère surtout qu’à nous trois, avec ESN, Les Patriotes et ECR, nous serons assez nombreux pour travailler ensemble et peser, chaque fois que l’intérêt de nos peuples l’exigera. En tout cas, je ferai tout pour que la voix de Reconquête soit entendue dans cet hémicycle. J’y veillerai avec mon travail et avec ma liberté de vote. Je suis une femme indépendante, qui vient d’un pays indépendant, la France, et d’un parti qui tient à son indépendance, Reconquête !

Sur quels sujets comptez-vous vous investir au Parlement européen ?

J’ai choisi de travailler sur l’industrie, les nouvelles technologies, la recherche et l’énergie au sein de la commission ITRE. L’une des grandes leçons que je tire des dernières élections législatives, c’est que la France a un besoin urgent d’une droite crédible économiquement. Emmanuel Macron, malgré son bilan, continue de passer pour la figure rassurante et compétente aux yeux de beaucoup de nos compatriotes : c’est dire à quel point la concurrence fait pâle figure ! Il nous faut travailler d’arrache-pied et Bruxelles est un excellent terrain de bataille. C’est là-bas que trop de choses se décident (80% des textes adoptés en France viennent directement de la législation de l’Union européenne) et c’est l’enceinte qui permet le travail le plus poussé en termes de technicité des dossiers.

A lire aussi: Causeur #125: En première ligne dans la guerre des idées, Notre jeunesse

J’ai également choisi de travailler au sein de la commission Environnement. Nous avons trop longtemps laissé cette question à la gauche : il est temps de s’en saisir. Il n’y a pas de désertion possible pour la droite sur ces sujets. Dès la semaine prochaine, je serai à Bruxelles pour les premières réunions de ces deux commissions.

Sauvegarde de la civilisation française, lutte contre le « grand remplacement »… Comment peut-on agir sur des thèmes pareils au Parlement européen, thèmes qui sont les grands combats politiques de « Reconquête » et d’Éric Zemmour ?

En travaillant, en travaillant, et en bataillant ! Souvenez-vous des mandats européens de Philippe de Villiers, ou de Marie-France Garaud, lesquels ont réussi à faire entendre leur voix et mené la bataille politique au sens noble. Dans un autre genre, souvenez-vous du député européen Nigel Farage ! Au Parlement européen comme partout ailleurs, la règle numéro un est de dire toutes les vérités que vos adversaires veulent censurer.

M. Orban est très critiqué, notamment par Mme von der Leyen, pour sa visite en Russie, alors qu’il a la présidence tournante du Conseil européen. Et, par ailleurs, Mme von der Leyen demande un cessez-le-feu à Gaza. Soutenez-vous le Premier ministre hongrois dans son dialogue avec Moscou ?

Pas dans son dialogue avec Moscou, mais avec Kiev et Moscou. Viktor Orban est d’abord allé voir M. Zelensky, il y a dix jours. Si même M. Zelensky approuve sa démarche, qui sommes-nous et surtout qui est Madame von der Leyen pour dire qu’elle, elle la condamne ? Madame von der Leyen veut plus la paix que M. Zelensky, peut-être ? A-t-elle une meilleure idée ? Pense-t-on pouvoir sortir d’une autre manière de cette guerre qui n’en finit plus ?

Quant à Israël, bien sûr qu’il faut la paix. Mais peut-on exiger un cessez-le-feu à l’un quand l’on n’exige pas la libération des otages à l’autre ?

Quel est le programme de « Reconquête » pour cet été ? Dans quel état d’esprit se trouve Éric Zemmour ?

Eric Zemmour a lancé une consultation auprès de l’ensemble des adhérents de Reconquête. Nous avons déjà obtenu 12 000 réponses. Il compte les lire cet été. Dans ces périodes troubles, il faut être prêts à repartir de zéro, se réinventer, écouter toutes les critiques, tous les retours. Nous passons à la phase 2 de l’histoire de Reconquête. Nous en annoncerons le plan lors de notre université d’été, le 7 septembre à Orange.

Marion Maréchal a été exclue de Reconquête. Les ponts sont-ils définitivement rompus avec elle ?

Je ne souhaite plus en parler. Nous allons de l’avant.

Faites-vous partie de ces Français qui s’impatientent et se désolent de voir une France sans gouvernement ?

Le bon côté des choses ? Nous vivons une parenthèse miraculeuse où il n’y a plus de déluges de nouvelles lois, plus d’annonces ennuyeuses de Bruno Le Maire, plus d’invention de taxes et d’impôts supplémentaires, plus de bavardage idéologique. Cela dérange profondément les politiciens, qui sont obligés de gesticuler dans le vide : soudain, leur inutilité se voit à l’œil nu ! Ce qui est désolant, en revanche, c’est que notre pays décline et que le moment où nous stopperons enfin ce déclin s’est encore éloigné. Est-ce que je fais partie des Français qui s’impatientent de voir le bon gouvernement mettre enfin en œuvre les solutions simples que la situation exige ? Oh, ça oui ! Et cela viendra.

La révérence de Joe Biden: une campagne historique s’annonce

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Kamala Harris et Joe Biden, Raleigh, Caroline du Nord, 26 mars 2024 © Matt Kelley/AP/SIPA

La campagne présidentielle américaine prend un nouveau tournant. Le président sortant, 81 ans, a annoncé hier qu’il se retirait finalement de la course. Pourvu qu’il s’en souvienne, en se réveillant ce matin… Kamala Harris est favorite pour le remplacer, mais face à Donald Trump la lutte ne sera pas aisée.


Joe Biden aura finalement renoncé à l’ultime bataille. À 82 ans bien sonnés, le natif de Scranton s’est senti trop âgé pour continuer. Diminué et fragilisé, celui qui fut sénateur du Delaware de 1973 à 2009 a fini par admettre qu’il n’avait plus les ressources intérieures suffisantes pour affronter un Donald Trump héroïsé après avoir survécu sous les yeux du monde à une tentative d’assassinat par un post-adolescent complexé comme en produisent à la chaîne les États-Unis d’Amérique.

Sleepy Joe était bien plus que ça

« Je pense qu’il est dans l’intérêt de mon parti et du pays que je me retire », a ainsi posté dans une missive solennelle le second président d’origine irlandaise de l’histoire de l’Amérique. Dans ce bref courrier explicatif adressé aux citoyens américains, Joe Biden dresse le bilan de son action, vantant notamment sa politique économique et infrastructurelle, ainsi que l’inflation reduction act qui fut un rude coup porté à l’Union européenne. Une politique extrêmement protectionniste et pas si éloignée de celle qu’avait en son temps menée Donald Trump. Nous ferions d’ailleurs peut-être bien de nous en inspirer partiellement, mais c’est une autre histoire. L’essentiel est au fond ailleurs, dans cet aveu formulé par Joe Biden qui admet sous la contrainte ne plus être un atout pour son camp et comprendre en creux qu’il ne peut plus l’emporter.

De cet animal politique dépeint ces derniers mois en marionnette, peu de choses sont sues en France. Le parcours politique long et brillant de Joe Biden cache pourtant une vie parsemée de drames terribles qui ont en leur temps durablement marqué l’opinion publique. Joe Biden a notamment perdu sa première épouse Neilia et sa fille Naomi en décembre 1972 lors de sa première campagne sénatoriale, dans un épouvantable accident de la route. Ses fils Beau et Hunter ont miraculeusement survécu, traumatisés à vie.

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En 2015, la mort a frappé de nouveau le clan Biden. Son fils Beau est décédé des suites d’un cancer du cerveau à l’âge précoce de 46 ans. Militaire et procureur général du Delaware, Beau avait toutes les qualités pour faire de lui le successeur naturel de son père. Le deuil a profondément affecté l’actuel 46ème président des États-Unis qui a dû par la suite subir les frasques de son cadet Hunter. Écorché vif, ce dernier s’est fait remarquer dans la colonne des faits divers et les rubriques mondaines pour sa consommation de drogues ainsi que son appétit sexuel.

Face à ces épreuves, Joe Biden a toujours su faire preuve de résilience. Politicien rusé et fin connaisseur des arcanes de Washington, Joe Biden était un expert de la politique étrangère dépeint en « modéré » au sein du camp démocrate. Alors qu’il était apparu plutôt fringant lors de l’élection présidentielle de 2020 où il affronta Donald Trump, la baisse de ses capacités cognitives est devenue bien trop flagrante au cours des derniers mois. Ayant toujours été qualifié de gaffeur, Joe Biden était aussi combatif. Dernièrement, ce trait de caractère semblait s’effacer, dévoilant un vieillard en grandes difficultés face à la presse ou ses adversaires. À telle enseigne que des personnalités de premier plan l’ont appelé à renoncer, à l’image notamment de George Clooney dont la prise de position a fait grand bruit.

Le duel annoncé entre deux hommes d’âge mûr et deux anciens présidents n’était pas au goût de tous les Américains qui semblaient contraints de voter pour faire barrage plus que par adhésion. Ils ne l’auront finalement pas. Reste la question qui fâche : qui pour prendre le relais ?

Kamala Harris en recours naturel : oui, mais…

Joe Biden a relancé une campagne américaine qui semblait acquise aux Républicains. Dans un tweet, il a explicitement soutenu la candidature de sa vice-présidente Kamala Harris. Impopulaire, cette femme métisse et plutôt jeune pour les standards locaux aura fort à faire pour obtenir le soutien du parti démocrate et plus généralement des électeurs démocrates. Elle n’est pas encore la candidate du parti qui se réunira lors d’une convention nationale dans un mois. Barack Obama a notamment exprimé ses réserves : « J’ai confiance dans le fait que les leaders de notre parti seront capables de trouver une solution pour qu’émerge une candidature exceptionnelle ». Voilà une première pierre lancée dans le jardin de Kamala Harris qui fait pourtant figure de candidate naturelle eu égard à sa fonction et au fait qu’elle soit légalement la seule à pouvoir utiliser les fonds collectés pour la campagne Biden.

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Une donnée qui a son importance puisque le parti démocrate se retrouve désormais au coude à coude dans des États qui lui étaient à l’origine acquis sur le papier, tels que le Nouveau-Mexique ou la Virginie en sus des fameux « swing states ». Éviter la catastrophe sera extrêmement coûteux alors que de nombreuses grandes fortunes financent la campagne de Donald Trump, soutenu désormais par le « monde de la tech » dont vient son colistier J.D. Vance. Des personnalités richissimes et influentes comme Elon Musk ou Peter Thiel font ouvertement campagne pour The Donald, dont l’aura a pris la couleur pourpre de l’Empereur survivant.

Les démocrates semblent pourtant décidés à livrer bataille. En plus d’Obama, des pontes comme Nancy Pelosi, Chuck Schumer ou Hakeem Jeffries n’ont pas déclaré leur soutien explicite à Kamala Harris. Joe Manchin, influent sénateur de Virginie-Occidentale, s’est déclaré prêt à entrer dans la bataille. On pourrait imaginer que Gavin Newsom, dont l’ancienne compagne est actuellement en couple avec Donald Trump Jr, pourrait aussi nourrir quelques envies. Pete Buttigieg, sorte de version homosexuelle de J.D. Vance, avec lequel il partage les mêmes origines et la même formation, serait aussi un candidat crédible. Bref, la guerre n’est pas finie. Mais Donald Trump doit être conscient d’une chose : son meilleur ennemi n’est plus dans la course. La virulence extrême de sa déclaration en est d’ailleurs la meilleure preuve. Qualifiant Biden de traître dans un post enragé sur son média social personnel, il a tout de même dévoilé son inquiétude. De fait, la campagne républicaine va devoir entièrement se réorganiser pour affronter un nouvel adversaire qui risque d’être plus jeune et de trancher. En janvier dernier, la républicaine Nikki Haley avait déclaré que « le premier parti qui retirera(it) son candidat octogénaire sera(it) celui qui gagnerait l’élection »

L’Occident décadent, et alors?

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Le journaliste américain Ross Douthat photographié en 2008 à Washington © WENN/SIPA

Ross Douthat publie Bienvenue dans la décadence (Perrin) et dresse des perspectives pessimistes pour notre futur.


Dans son essai Bienvenue dans la décadence (Perrin), le journaliste Ross Douthat démontre que nous sommes entrés dans une période où notre créativité est durablement en berne, que les illusions des Trente Glorieuses sont derrière nous et que nous ne passerons pas nos étés sur la Lune ou sur Mars. Et qu’il faut nous en satisfaire. L’Occident est en panne.

Le progrès est mort

L’argument avait déjà été utilisé par l’anthropologue anarchiste David Graeber. Chez Frédéric Taddéi[1], il nous avait invités à comparer l’an 2015 dans Retour vers le futur et celui, plus prosaïque, que nous avons connu il y a quelques années. Point de voitures volantes, point de skates à lévitation, mais des formulaires à remplir à longueur de journées, de la paperasse numérique à ne plus savoir qu’en faire. Dans un souci d’équilibre du temps de parole, Ross Douthat cite également le journaliste conservateur Mark Steyn, qui ne dit pas tellement autre chose. A comparer les innovations survenues dans les foyers américains durant la première moitié du XXème siècle et celles apparues depuis 1950, notre époque fait pâle figure. Tout a été inventé avant 1950, il n’y a plus que des corrections esthétiques. Le progrès est mort en 1975. L’apparition d’Internet ne serait qu’un épiphénomène, qui, tout au plus, aurait permis de visionner des clips sur un appareil que l’on peut ranger dans sa poche. Dérisoire.

Peu importe si la décadence prend quatre siècles, comme elle en a mis quatre entre le règne de Néron et la chute finale de l’Empire romain d’Occident. La cause principale de cette stagnation occidentale (et extrême-orientale), d’après l’auteur, est le vieillissement des populations : triomphe des cheveux blancs, déclin de la prise de risque. L’auteur perd un peu de vue que Cervantes avait soixante-huit ans quand il a écrit la deuxième partie de Don Quichotte et de Gaulle plus de soixante-quinze quand il a scandé « Vive le Québec libre » à l’hôtel de ville de Montréal : les vieux schnocks sont parfois des punks.

Peu importe. Le tableau de la décélération proposé par le journaliste du New York Times est général. En économie, des start-ups, à la limite de l’arnaque, sont capables de mener des levées de fonds spectaculaires (Uber, par exemple) mais n’ont pas inventé grand-chose de révolutionnaire, et surtout, ne sont même pas rentables. Au cinéma, on observe l’exploitation ad nauseam de franchises déjà existantes il y a quarante ans… De quoi nous faire dire, avec la même morgue que celle de Mozart face à Salieri, dans Amadeus : « Le reste n’est que reprise, n’est-ce pas ? ». Du côté des sorties musicales, il est vrai aussi qu’il est impossible d’écouter un morceau des Strokes sans entendre des phrases entières de Sonic Youth, de Billy Idol, ou du groupe norvégien a-ha. En réalité, il est probable qu’en matière de rock comme dans d’autres domaines, il n’y ait plus grand-chose à inventer…

Wokes et réacs renvoyés dos-à-dos

Concernant l’ébullition politique en cours des deux côtés de l’Atlantique, l’auteur renvoie les wokes et les populistes réactionnaires dos-à-dos. Les premiers ne feraient que recycler des limonades radicales aussi vieilles que la guerre du Vietnam et seraient des cafteurs, des indics et des balances. Guy Debord écrivait déjà, en son temps « Je ne suis pas un journaliste de gauche : je ne dénonce jamais personne »… Les seconds sont de pauvres hères à côté de la plaque, menés par des propagandistes cyniques (« Joseph Goebbels avait la main lourde quand il s’agissait de faire fonctionner la machine à propagande, sauf qu’il croyait absolument en son Führer et en sa cause » ; presque le début d’un mérite). Le conflit entre les deux camps se résumerait selon Ross Douthat à une excitation provoquée par les réseaux sociaux, à une guerre virtuelle dans des sous-forums de Reddit sans traduction dans la vie réelle.

Politiquement, Ross Douthat est un oiseau étrange. Converti au catholicisme, il cite Chesterton et peut passer de Thomas Piketty à Michel Houellebecq : c’est une manière de rester centriste. Aux Européens et Américains qui se plaignent de l’immigration, il leur dit : « Si vous aviez fait un enfant de plus, vous auriez moins eu besoin d’immigration ». Hostile à l’avortement, il n’a pas l’air emballé pour autant par le « populisme trash » de Trump. L’auteur rappelle cinq ou six fois que celui-ci vient du monde de la télé-réalité, ce qui semble être une disqualification définitive selon lui. Certes, le camp conservateur mondial n’est pas composé que d’imbéciles et d’ « incapables », et le Japonais Shinzō Abe a su faire montre d’ « une certaine efficacité politique (…) dans un contexte décadent », mais le programme ambitieux de ce dernier n’a fait « la différence qu’à la marge ». Globalement, c’est le leitmotiv du livre : l’Occident est condamné à ne pouvoir mener que de petites corrections à la marge, et obtenues au terme de conflits effrénés.

Empire du Milieu et centrisme provocateur

N’allez pas chercher dans le reste du monde la solution à la neurasthénie occidentale. La Russie n’est jamais qu’une « forme plus nationaliste, plus conservatrice ou plus dégradée de celle des pays occidentaux ‘’normaux’’ » et n’offre pas un contre-modèle à la démocratie libérale. Le Sud global, apparemment en plein rattrapage économique et revanchard, risque de souffrir beaucoup plus que le Nord du réchauffement climatique, lequel, dans « un mouvement machiavélique de l’histoire », pourrait anéantir les vains progrès des pays pauvres. Quant à la Chine, elle s’apprête à entrer dans « son siècle » mais ses milliardaires ne rêvent que d’une chose : décamper aux Etats-Unis ! A-t-on déjà vu l’élite de la puissance montante rêver de s’installer chez la déclinante ? L’Empire du Milieu envisage lui-même avec inquiétude la fin prochaine de sa croissance, et si les commentateurs américains regardent avec enthousiasme le futur de la Chine, c’est qu’ils plaquent sur toute chose leur propre optimisme millénariste. La Chine, elle, est d’un tempérament pessimiste.

La démonstration de Ross Dhoutat est provocatrice et agaçante – tout en restant plutôt centriste. On pourrait la lire comme une exhortation au ressaisissement général. Pas tout à fait. L’auteur semble se satisfaire des siècles de stagnation à venir. La décadence durable pourrait être non pas une « chute ou fin décevante » mais « une issue heureuse voyant l’être humain enfin parvenir à un équilibre entre le malheur de la misère et les dangers de la croissance pour elle-même ». Au risque de trouver le temps long – surtout vers la fin.

336 pages. Perrin, avril 2024.

Bienvenue dans la décadence. Quand l'Occident est victime de son succès

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[1] https://www.dailymotion.com/video/x394y6n

Mythomanie artificielle

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D.R

Si les robots apportent des réponses chaque jour plus crédibles, l’IA présente aussi des signes de démence. Il arrive en effet aux chatbots d’inventer des faits…


Les agents conversationnels (ou chatbots) animés par l’IA sont censés nous concurrencer en termes à la fois de créativité et de présentation d’informations. Le hic, c’est qu’ils confondent les deux.

Il arrive que, au lieu de trouver des faits, ils les inventent.

A lire aussi: IA fais-moi peur

En 2022, l’essai public de Galactica, le chatbot scientifique de Meta, tourne au fiasco, les utilisateurs signalant de nombreux cas de production d’informations imaginaires, comme un article sur l’histoire des ours dans l’espace. Début 2023, éclate un scandale à propos d’articles publiés par le média américain CNET. Rédigés par l’IA, ils contenaient des conseils financiers complètement erronés. En juin de la même année, deux avocats sont punis d’une amende pour avoir cité dans la jurisprudence d’une réclamation pour dommages corporels six affaires judiciaires qui n’ont jamais existé. ChatGPT les avait inventées. En février 2024, Air Canada est obligée de respecter une politique de remboursement imaginée par son chatbot de service client. Le même mois, Perplexity AI donne une mauvaise recommandation à une personne qui venait de subir une intervention chirurgicale à cœur ouvert. Heureusement, elle ne l’a pas suivie.

A lire aussi : Initiation aux interdits?

L’Organisation mondiale de la Santé vient de lancer S.A.R.A.H, animé par ChatGPT, qui est censé donner des conseils de médecine. En avril, il fournit à un utilisateur une liste de noms et d’adresses de cliniques à San Francisco, dont aucune n’existe.

Cette tendance des chatbots à la fabulation s’appelle « hallucination » et elle est inhérente à leur mode de fonctionnement. Un des avocats leurrés par ChatGPT a prétexté qu’il croyait que c’était un moteur de recherche, mais les agents conversationnels ne répondent pas à une question de la même manière que Google. Utilisant ce qu’on appelle des « grands modèles de langage », ils sont entraînés sur de vastes quantités de textes pour produire des séquences de mots en calculant la probabilité de leur enchaînement. C’est même ce qui rend leurs inventions très plausibles. Ce défaut pourrait être mitigé, mais jamais complètement éliminé. Nous devons surtout comprendre que ces systèmes sont appelés à nous aider, non à nous remplacer.

Tour: et si le vrai gagnant n’était pas le vainqueur?

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Le Slovène Tadej Pogacar à Nice, 21 juillet 2024 © Shutterstock/SIPA

Le Slovène Tadej Pogacar a fait la démonstration de sa suprématie sur le Tour de France, dimanche, en remportant sa troisième Grande Boucle ainsi que le contre-la-montre final à Nice. Mais, il ne parvient pas à éloigner les soupçons de dopage qui pèsent sur lui.


Avec une déconcertante voire insolente facilité qui laisse perplexe, le flamboyant Tadej Pogacar a donc, sans surprise, remporté son troisième Tour, qui s’est caractérisé par une série de « premières fois » tout en restant fidèle à lui-même, devançant celui qui, précisément, l’avait dépouillé de la tunique jaune les deux éditions précédentes, le coureur à « la triste figure », l’humble et pudique Jonas Vingegaard.

Ainsi, au terme de cet intermède, le coureur slovène a rejoint les clubs très exclusifs des trois triples vainqueurs du Tour (Lemond, Bobet, Thys) et des sept ayant inscrit à leur palmarès le doublé Giro-Tour (Coppi, Anquetil, Merckx, Hinault, Roche, Indurain et Pantani). Il bat aussi le record, anecdotique, de Merckx du plus grand nombre de jours vêtu du maillot de leader (37), la même année, cumulés sur ces deux compétitions.

Il a imposé sa domination sur ce Tour en gagnant cinq des sept étapes de montagne au menu de cette 111ème édition dont les deux pyrénéennes et les deux alpestres majeures. Et pour consacrer celle-ci, il a remporté l’ultime et difficile contre la montre de 33 km entre Monaco et Nice avec plus d’une minute d’avance sur le second qui n’était autre que Vingegaard.

Il a également explosé, lors de la 15ème étape, le 14 juillet, le record de l’ascension au Plateau de Beille (Pyrénées) que détenait Pantani qui, de notoriété publique, ne roulait pas à l’eau claire, ce qui immanquablement ne pouvait que relancer le soupçon récurrent de dopage. D’après l’information d’un site anglais faisant référence à la matière, reprise par la presse française, le dopage auquel aurait recours Pogacar, et aussi dit-on Vingegaard, consisterait à inhaler du monoxyde de carbone, technique qui augmenterait le VO2max, à savoir la capacité à absorber de l’oxygène.

Présomption d’innocence

Dans le cyclisme, comme dans la société, la présomption d’innocence doit prévaloir. Tant qu’un coureur n’est pas déclaré positif, il est négatif. Mais ce principe n’interdit pas pour autant de soulever de légitimes questions. Car il y a eu le précédent Lance Amstrong, septuple vainqueur déchu qui avait déjoué tous les contrôles pourtant très stricts tout au long de sa carrière. Balancé par ses anciens équipiers pour des questions de fric, il avait fini par reconnaître qu’il se dopait à l’EPO[1]. Il convient de préciser que l’inhalation de monoxyde de carbone n’est pas inscrite dans la liste des produits proscrits.

Pour le moment, laissons donc de côté ce délicat sujet et posons la question iconoclaste qui s’impose. Le classement général de ce Tour ne serait-il pas en trompe-l’œil ? Et si finalement le vrai gagnant du Tour ne serait pas le vainqueur mais le vaincu ? A savoir Vingegaard.

Logiquement, d’un point de vue médical, il n’aurait pas dû prendre le départ à Florence. Ce qui ne l’a pas empêché de tenir la dragée haute à Pogacar.

Le 4 avril, sur le Tour du Pays Basque, dans la descente du col d’Olaeta, il chute lourdement dans un virage à plus de 80 km/h. Pneumothorax, contusions pulmonaires, fissure du sternum, fractures de la clavicule gauche et de plusieurs côtes : il s’est cru mourir, a-t-il confié, lui, habituellement si avare de paroles. En principe, sa saison s’arrêtait là. Douze jours d’hôpital en soin intensifs, dix semaines de rééducation, le remettaient sur pied. Faire l’impasse du Tour était impensable pour le sponsor, en l’occurrence Wisma, une société norvégienne d’informatique. Pour celle-ci, il était impératif qu’il défende son titre conquis l’année précédente pour la deuxième fois consécutive. Alors, sans qu’il ait disputé la moindre course en trois mois, on l’a aligné au départ, de plus avec une équipe amoindrie, surtout par l’absence de son ange gardien en montagne, l’Américain Sepp Kuss, et par un Wout van Aert à peine remis d’une grave chute (lui aussi !) sur le Tour de Flandres. Son équipe sera cependant une des seules trois équipes à terminer au complet à Nice, il faut le souligner, la preuve d’une solide cohésion de celle-ci.

En revanche, Pogacar était arrivé, lui, entouré d’une impressionnante force de frappe entièrement dévouée, qui s’était bien rodée sur le Giro, remporté par ce dernier avec la même aisance qu’il a gagné le Tour : l’équipe des Emirats Arabes Unis (UAE, son sigle en anglais), où l’argent ne fait pas problème. La plupart de ses équipiers pourraient être leaders dans d’autres équipes. Mais la carrière d’un cycliste étant courte et aléatoire, ils préfèrent un substantiel salaire à une hypothétique gloire. Elle perdra un coureur mais terminera première au classement par équipe.

Bien qu’amoindri physiquement, Vingegaard était cependant armé mentalement pour se lancer à l’assaut d’une citadelle considérée comme inexpugnable, comme il le fit dans la montée vers le plateau de Bielle avec dans sa roue Pogacar qui lui porta l’estocade à une encâblure du sommet. En fait, il a tenu ferme jusqu’à l’avant-pénultième étape, Embrun-Isola-2000, qui franchissait vendredi le point culminant de la Grande boucle, le col de la Bonette (2802 m, 22,9 km à 6,9%). Dans la dernière ascension, à 5 km de l’arrivée à Isola-2000, Pogacar a décoché une de ces attaques qui sont sa marque, digne d’un missile, laissant sur place ses deux suivants au général, Vingegaard, Evenepoel, 24 ans, dont c’est la première participation, maillot blanc du meilleur jeunes, ex-champion du monde sur route et contre la montre, vainqueur de la Vuelta 2022.

Vingegaard s’accroche à la roue de ce dernier et sauve à la souffrance sa place de second mais se retrouve à 5’03 du maillot jaune.  Si à la sortie des Pyrénées avec 3 mn de retard, c’était encore jouable, avec 5 mn de débours face à un Pogacar impérial, là la messe était dite.

Le lendemain dans l’avant-dernière courte mais piégeuse étape, Nice-Col de la Couillole, Evenepoel, 3ème au général à 2mn, veut lui chiper la seconde place, le harcèle à deux reprises. Alors, ayant retrouvé son coup de pédale d’avant, Vingegaard place un contre imparable et s’en va vers le sommet à 5km environ avec dans sa roue Pogacar qui ne prend aucun relai. On le comprend, la dispute pour la seconde place n’est pas son affaire. Mais, l’élégance, à l’instar autrefois d’un Indurain, aurait voulu qu’il le laissât franchir en premier la ligne d’arrivée. Que nenni ! Néanmoins Vingegaard a pris 53 secondes sur Evenepoel… devancera encore celui-ci dans le contre la montre, confortant sa place de second et prouvant que, malgré les séquelles de sa chute, il avait encore de la réserve et un caractère qui n’abdique pas.

Faux héros

La presse en général a eu les yeux de Chimène pour Pogacar, le prodige, le nouveau Mercks, le cannibale, tout sourire, rayonnant, chaleureux, mais, revers de la médaille, en réalité égoïste et suffisant, condescendant comme tous ceux qui se sentent supérieurs aux autres, à vrai dire une sorte de Macron du vélo. Non, le vrai héros, discret, modeste, de ce Tour a été indubitablement Vingegaard, le revenant de ce qui a failli être son au-delà. Sa performance sur ce Tour, privé d’une partie de ses moyens physiques mais pas mentaux, annonce un Tour 2025 cette fois à armes égales. Avec un larron à l’affût : Evenepoel. Il a dit à la presse belge qu’il va revenir mais pour la gagne…

Ce Tour des « premières fois » (premier départ d’Italie, première arrivée pas à Paris, première victoire d’étape d’un Africain noir, entre autres…) a ajouté une exceptionnelle « première fois ». En effet, pour la première fois de son histoire, hormis le blanc d’Evenepoel qui revient à la Belgique, les trois autres maillots distincts, le jaune, le vert et à pois, reviennent, eux, à trois petites nations cyclistes, Slovénie, Erythrée, et Equateur, qui il y a encore à peine dix ans n’étaient pas présentes sur le Tour, confirmant ainsi sa mondialisation. Les grandes puissances cyclistes d’antan (France, Belgique, Pays Bas, Italie, Espagne…) ont dû se contenter à faire de la figuration en limitant leurs ambitions à des victoires d’étapes. La Belgique en a décroché cinq, la France trois, et les autres sont rentrées bredouilles… Et Cavendish, le flibustier des lignes d’arrivée, a sauvé l’honneur sourcilleux de la Grande Bretagne en inscrivant à son palmarès le record de 35 victoires d’étapes, reléguant Merckx à la seconde place avec une de moins, un record qui n’est pas près d’être obsolète…

Enfin, le Tour demeure toujours, contre vents et marées, une grande fête populaire ainsi que l’atteste la foule enthousiaste qui se presse année après année sur son itinéraire et les audiences télé. Samedi, la veille du contre la montre finale, 4,34 millions téléspectateurs, pas tous que des fans de vélo, étaient devant leur écran, soit 41,8 % « de part de marché ». Peu de programmes peuvent se targuer d’une pareille audience. Comme quoi que le Tour est autre chose que du sport. Mais quoi ? Aux philosophes de nous apporter la réponse.


[1] Erythropoïétine médicament qui augmente les capacités physiques d’un individu de 10% en augmentant la quantité des globules rouges. Les stages en altitude sont en quelque sorte une forme d’EPO naturel. (Prochainement un article sport et dopage : un concubinage remontant à l’Antiquité qui perdurera)  

Boris Vallaud aurait dû donner l’exemple…

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Le député d'extrème gauche François Piquemal (à droite) entame une partie de pierre, feuille, ciseaux au lieu de serrer la main du RN Flavien Termet, 18 juillet 2024. DR.

Tout est signe, tout fait sens. Quand le monde politique va à vau-l’eau, fond et forme compris, tout doit être pris au sérieux, l’insignifiant comme le grave.

La trahison des élites

De quelque côté qu’on se tourne, il n’est plus personne qui donne l’exemple. D’une certaine manière, on peut parler à l’Assemblée nationale de la trahison des élites. J’entends par là qu’une catégorie de députés, sur tous les bancs, était naturellement destinée par sa formation, sa culture, son passé, son expérience, les postes occupés et la dignité qu’on attend d’eux, à servir de guide aux novices, aux élus de fraîche date. Aussi quelle déception quand j’ai appris que le socialiste Boris Vallaud (il est vrai avec certains autres de son parti, de LFI, des Écologistes et même du groupe Ensemble, au comportement aussi critiquable que le sien), avait refusé de serrer la main, lors de l’élection à la présidence de l’Assemblée nationale, du député RN Flavien Termet qui, étant le benjamin de tous, avait un rôle précis à jouer.

A lire aussi, Aurélien Marq: Je ne vous serre pas la main, Monsieur!

Au regard du parcours qui est celui de Boris Vallaud, de sa capacité que je présumais, de savoir distinguer la politesse élémentaire de l’adhésion partisane, je n’imaginais pas un tel puéril manque de savoir-vivre politique et de respect des usages. Cette Assemblée, dans notre démocratie, doit être un lieu de débats et de confrontations, il est devenu celui des grossièretés honteuses. Je n’aurais jamais cru devoir prêter à Boris Vallaud cette justification sotte de Sandrine Rousseau osant affirmer que serrer la main d’un député RN, c’était déjà banaliser ce parti. Comme si les êtres humains qui le composaient étaient pestiférés et n’avaient pas été élus aussi légitimement que leurs adversaires.

Démocratie malade

Comment Boris Vallaud, secrétaire général adjoint à l’Élysée sous François Hollande, donc tellement inséré dans les structures et les formes de la République, dans ce qu’elle devait avoir de respectable pour être respectée, avait-il pu oublier, quelques années plus tard, ce que son élection à l’Assemblée nationale aurait dû rendre encore plus présent à son esprit et pour sa tenue ? Faut-il considérer que notre démocratie est si malade que son poison gangrène même un Boris Vallaud fier de n’avoir pas salué un tout jeune député à l’égard duquel, si nous étions dans une normalité parlementaire, l’expression d’une sympathie et d’encouragements, par une simple courtoisie déconnectée du partisan, aurait été humainement admissible ?

A lire aussi, du même auteur: Attal prend le large, le Nouveau Front populaire l’eau…

Je suis persuadé que, cette indélicatesse commise, Boris Vallaud, comme ses partenaires en indécence sans doute, s’en est désintéressé. Normal puisque ce jeune Flavien Permet était un adversaire politique…

Pourtant Boris Vallaud aurait dû agir autrement, donner l’exemple grâce à son influence dans son camp. Il aurait été suivi. Le refus de cette main tendue a été plus qu’une goutte d’eau dans le naufrage de l’Assemblée nationale ces derniers jours.

Quand le livre se fait désirable…

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DR.

Notre chroniqueur ouvre ses boîtes à souvenirs durant tout l’été. Livre, film, pièce de théâtre, BD, disque, objet, il nous fait partager ses coups de cœur « dissidents ». Pour ce dimanche, il a choisi de nous parler, au-delà des auteurs, de collections disparues qui ont déclenché chez lui l’envie de lire grâce à leur couverture, leur maquette, leur papier, ou tout simplement le soin apporté à leur fabrication. De 1000 Soleils à L’instant romanesque, le livre savait se mettre sur son « 31 »


Lire, c’est d’abord voir et ensuite toucher. N’en déplaise aux écrivains qui s’imaginent irrésistibles à l’écrit, ils seraient étonnés d’apprendre, qu’avant de se délecter de leur prose, le lecteur a consenti à acheter leur roman ou leur essai pour des raisons extra-littéraires. On est, avant tout, attiré par une couverture, une illustration, une conception graphique particulière, un grammage, une texture, une qualité de peau en somme, rarement pour le résumé de la quatrième. Après, bien plus tard, des années même après cet élan primaire, on lira l’ouvrage tant désiré ou pas. Un livre doit avoir une bonne gueule, une bonne main, des couleurs qui correspondent à notre propre arc-en-ciel pour nous alpaguer dans la jungle touffue des librairies. Le contenu est presque anecdotique. Il n’est pas déshonorant d’acquérir des livres uniquement pour leur aspect visuel ou leur singularité esthétique. Les bibliophiles apprécient autant l’objet que le phrasé. Le collectionneur est un papivore, un animal qui boulotte du papier, sous toutes ses formes. Certaines collections ont marqué l’imaginaire des enfants, si j’ai été longtemps sensible à la fantasia des Folio Junior, je leur dois mes premiers émois, c’est à l’âge adulte que je me suis mis à recueillir compulsivement toute la dynastie des « 1000 soleils », collection imaginée par Gallimard Jeunesse afin de sensibiliser le jeune public aux chefs-d’œuvre. Tous ces grands classiques qui indiffèrent ou intimident sont au nombre de 156. « 1000 soleils » jouait à l’entremetteur en usant de vieilles ficelles : des couvertures colorées à vocation cinématographique et une certaine tension dramatique. L’illustration était la porte d’entrée de l’écrit. De Tolkien à Cyrano, de Croc-blanc à La gloire de mon père, de Melville à Gide, ils étaient tous là : Dhôtel, Bradbury, Kipling, Giono, Mac Orlan, Hugo, Roald Dahl et même Homère. Parmi les 156, j’ai mon préféré Le fauteuil hanté de Gaston Leroux paru en 1979, terrifiant avec cette tête de mort surmontée d’un bicorne en forme de coupole. À la fin de ce roman, le jeune lecteur avait droit à quelques informations sur le rôle de l’Académie, son fondateur Richelieu, quelques points du règlement et Alain Decaux racontait en deux pages son arrivée, insistant sur la courtoisie de la compagnie. « L’Académie ne recherche aucune hérédité, aucune ressemblance dans les successions de siège. Ainsi, je suis l’exemple type de cette volonté : je suis un autodidacte, je n’ai ni diplôme, ni agrégation, ni doctorat » écrivait-il.  Parfois, on est possédé par la géométrie des années 1970, les lignes stylisées à la Vasarely, le losange Renault de ces années-là m’a toujours plu pour sa simplicité et son éclat. Julliard a lancé la collection « Idée Fixe » dirigée par Jacques Chancel en inaugurant un format tout en longueur et une palette allant du vert fluo au mauve psychédélique. On y trouvait de solides francs-tireurs, des populistes et des précieux, Audiard, Sternberg, Forlani, Nucera, etc… L’objectif avancé était de donner « l’occasion à tous les écrivains d’énoncer sans détour le secret dont ils ont nourri jusqu’ici sournoisement leurs livres ». Le plus fascinant d’entre eux fut signé par André Hardellet, il s’intitule Donnez-moi le temps et est sorti en 1973. Hardellet nous révèle l’endroit où il a attrapé le virus de l’écriture dans « ces minutes d’enfance », du côté du jardin de Vincennes. Étudiant, j’étais fier d’exposer sur un rayonnage de ma bibliothèque, une vingtaine d’exemplaires de la collection « Le Promeneur » domiciliée chez Gallimard à partir de 1991 et dirigée par Patrick Mauriès. Depuis, au fil des années, j’ai acheté presque la totalité des 174 ouvrages, il m’en manque une quinzaine. Sans « Le Promeneur », je n’aurais pas eu accès aux écrivains italiens qui sont d’essentiels compagnons de route. Je n’aurais pas connu Soldati, Flaiano, Manganelli, Arbasino ou Consolo. Je me vois encore acheter Le père des orphelins en 1999, ne pouvant résister au dessin de Pierre Le-Tan et dépensant la somme élevée de 90 francs à l’époque pour ce livre d’une centaine de pages. Enfin, je demeure un inconditionnel de la collection « L’instant romanesque » portée par Brigitte Massot qui avait pour leitmotiv : « Ici, ils (les écrivains) prennent un savoureux plaisir à s’exprimer sur un sujet n’exigeant pas un long parcours ». Jean Freustié, René de Obaldia, Grainville ou Vitoux y donnèrent quelques textes. Je place deux d’entre eux au sommet de la pyramide littéraire, il s’agit de La nuit myope d’A.D.G et de Pierrot des solitudes de Pierre Kyria.


Sélection :

Le fauteuil hanté de Gaston Leroux – 1000 Soleils

Fauteuil Hante A

Price: ---

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Donnez-moi le temps de André Hardellet – idée fixe – Julliard

Donnez-moi le temps.

Price: 8,20 €

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Le père des orphelins de Mario Soldati – Le Promeneur

Le père des orphelins

Price: 2,25 €

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La nuit myope d’A.D.G – L’instant romanesque – Balland

La nuit myope

Price: 2,01 €

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Pierrot des solitudes de Pierre Kyria – L’instant romanesque – Balland

Pierrot Des Solitudes

Price: 2,84 €

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Cette France qui craque…

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Manifestation de sages-femmes, salariées du public et du privé, le 7 octobre 2021 à Paris © ISA HARSIN/SIPA

Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. «J’aime qu’on me contredise!» pourrait être sa devise.


C’était il y a une dizaine d’années. J’étais allé soutenir les salariées d’une maison de retraite, mobilisées pour de meilleures conditions de travail et une revalorisation des salaires. En échangeant avec moi, l’une d’entre elles s’est soudainement arrêtée de raconter son quotidien. Plus la force. Sa dernière phrase, noyée dans des larmes, s’était achevée par un constat dont je conserve encore aujourd’hui le souvenir précis : « Je pousse un cri mais dans le vide, je n’intéresse personne. » Avant cela, elle m’avait dit : « La toilette des résidents c’est tête/cul en cinq minutes, on n’a même plus le temps d’un échange humain. À force d’être maltraitée, on en devient maltraitante. » On ne dira jamais assez combien le développement d’une société se juge à la situation faite aux plus vulnérables.

À l’heure où ces lignes sont écrites, au lendemain du premier tour des législatives, c’est en très grande partie ce cri qui s’est fait entendre. Il vient de loin, bien avant ces dix dernières années. Il a fait irruption dans notre vie politique et sociale, mais n’avait jamais disparu des âmes humaines ; des bides et des entrailles. Des vies sans répit. Des vies sans les petits bonheurs de l’existence et de l’insouciance d’autrefois. Un resto avec les enfants, un cinéma, quelques jours de vacances… Un lâcher-prise sans avoir la crainte de la prochaine facture de gaz et d’électricité, ou celle de la voiture qui ne démarre pas au petit matin. Et cette diablerie de Parcoursup qui a changé la joie de réussir son bac en angoisse de l’inscription.

Le déclassement et le mépris

Plus encore, ce cri n’est pas la seule traduction d’une vie matérielle de plus en plus rabougrie, mais l’expérience concrète d’un déclassement. Non pas d’un « sentiment », mais bel et bien d’un toboggan sans la possibilité de s’accrocher afin d’éviter la chute. Ne plus être considéré et même être méprisé pour ne pas vivre au bon endroit, pour ne pas avoir bien voté lors de la dernière élection, pour ne pas regarder le bon programme télé. En ce domaine, le macronisme a été le terminus d’un long processus d’un nouveau mépris de classe, avec une violence extrême pour la dignité humaine, quand une trop grande partie de la gauche a regardé ailleurs.

Je suis d’une gauche qui, avec Ariane Mnouchkine, a dit : « Quand les gens disaient ce qu’ils voyaient, on leur disait qu’ils se trompaient, qu’ils ne voyaient pas ce qu’ils voyaient. Ce n’était qu’un sentiment trompeur, leur disait-on. Puis, comme ils insistaient, on leur a dit qu’ils étaient des imbéciles, puis, comme ils insistaient de plus belle, on les a traités de salauds. »

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Cette gauche ne doit pas se contenter de faire « barrage », car ce logiciel est définitivement en cale sèche. Un peuple a besoin d’un imaginaire à partager. Et c’est bien sur ce terrain, et sur nul autre, que nous devons échanger et nous confronter.

Vous pouvez compter sur moi. Je ne vous lâcherai pas !

Louis XVIII et les femmes

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Anne Nompar de Caumont, comtesse de Balbi, Nicolas Le François, 1788. DR.

Épisode 4 : La favorite…


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Jaloux de son aîné, qu’il détestait, « le roi sans royaume ne faisait rien sans raison, ni sans calcul ». C’est sous ces traits cruels que l’historien Matthieu Mensch décrit le comte de Provence, futur monarque de la Restauration, au seuil de l’ouvrage qu’il consacre aux Femmes de Louis XVIII – c’en est le titre. À Louis XVI, le cadet de la dynastie Bourbon enviait aussi son Autrichienne, dont il pensait que lui-même l’aurait mérité davantage : « la haine de Monsieur envers son infortunée belle-sœur avait fini par devenir de notoriété publique », au point que sur le tard, il cherchera à se dédouaner. Instrumentant la mémoire de la reine martyre, il fera même construire, en 1826, une chapelle expiatoire : « Marie-Antoinette semble correspondre parfaitement à la vision cynique de Louis XVIII, pour qui les femmes n’étaient que des outils politiques ou de simples faire-valoir ». Quel garçon sympathique…

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Le chapitre suivant s’attache aux pas d’Anne Nompar de Caumont-La Force, comtesse de Balbi, qui fit carrière comme dame d’atour de l’épouse de Monsieur, et bientôt favorite du prince. Vraisemblablement sans coucher, mais assurant sa fortune tout de même. Elle forme une coterie d’obligés autour du généreux comte de Provence, qui lui offre un appartement au petit Luxembourg, puis un pavillon (aujourd’hui disparu) à Versailles. La comtesse de Balbi aidera à la fuite du ménage à Bruxelles, le 20 juin 1792, plus chanceux que le couple royal. « Reine de l’émigration ? » À Coblence où la famille mène une apparence de vie de cour dans un exil luxueux, elle réussit à se faire détester du cercle étroit des émigrés. Comme dame d’atour, la voilà contrainte de suivre la comtesse de Provence à Turin, où elle s’ennuie ferme ; elle démissionne, file à Bruxelles, y tombe enceinte : Monsieur la disgracie. Elle poursuit alors sa vie mondaine à Londres, mais lorsqu’en 1802 Bonaparte décrète l’amnistie des émigrés, elle s’empresse de rentrer au pays. Restée légitimiste, la Balbi intrigue si bien que l’Empereur lui signifie d’aller voir ailleurs – en province. À la Restauration, retour à Paris. Mais Louis XVIII la tient désormais à distance : « Ombre lointaine d’un passé presque oublié, elle n’est plus la puissante maîtresse d’un prince, mais si elle ne peut plus compter sur son charme, elle conserve toujours une langue bien acérée ». À la mort du roi, sans rancune, elle encadre ses bristols d’un liséré noir. Quand le dernier survivant de la fratrie Bourbon, Charles X, s’exile à son tour en 1830, le monarque déchu refuse de la pensionner, et Louis-Philippe, le cousin Orléans proclamé « Roi des Français » « refuse de prolonger cette dépense inutile ». La comtesse se replie dans son appartement versaillais ; elle y meurt à plus de 80 ans. « Jaloux en amitié mais ignorant jusqu’alors tout des peines du cœur, Louis découvrit avec la Balbi la douleur d’être bafoué et humilié aux yeux des autres, nouvelle expérience fondatrice dans sa conception du pouvoir royal, qu’il voulait intangible et immuable, non pas au-dessus, mais à l’abri des faiblesses humaines », conclut Matthieu Mensch.  

La semaine prochaine – Epidode 5 La nièce

« Le Grand Soulèvement », roman politique ou de science-fiction?

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L'écrivain français Romain Guérin. © Capture d'écran YouTube/TVL

Il y a quelques années, Romain Guérin a publié son roman Le journal d’Anne-France, lequel a été qualifié de chef-d’œuvre par Jean Raspail en personne. Voilà qui vous pose un décor…


Il revient aujourd’hui avec Le Grand soulèvement, que je viens de lire deux fois tant il m’a été difficile, à l’issue de la première lecture, de me dire qu’elle était terminée. J’en voulais encore, je voulais rester dans ce livre et m’offrir encore la compagnie de ses personnages attachants, me maintenir dans le rythme de leurs aventures et goûter encore au charme des décors, des dialogues et des idées géniales dont l’intrigue regorge jusqu’à l’explosion finale qui vous fiche des étoiles dans les yeux et vous ébouillante le sang dans les veines.

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Si la littérature n’était qu’un objet de divertissement, si elle ne prêtait à rien d’autre qu’au seul plaisir de passer un excellent moment, ce roman remplirait amplement ces critères grâce à son intrigue ingénieuse, ses choix narratifs exigeants et brillamment maitrisés et grâce à tout ce qui fait du Grand soulèvement une œuvre originale, ambitieuse, généreuse et inspirante. Mais voilà, la littérature n’est pas que cela : elle est aussi ce qui nous donne à réfléchir et à méditer. Là encore, Le Grand soulèvement répond présent.

L’histoire commence au milieu des années 70, en France, quelque part dans un coin de la Bretagne d’où va partir à la hâte, en direction du Vatican, un jeune prêtre paniqué. La République vient de légaliser l’avortement et le jeune religieux plein de bonne volonté mais ne sachant comment absorber seul cette nouveauté qui menace la vie, répond à son premier mouvement qui est de s’en ouvrir directement au pape. Sur place, les surprises s’enchaînent et ce qu’il entend dire par le pape en qui il plaçait tant d’espoir le désole et ruine sa foi dans l’Église. Au lieu d’une solution à ses tourments, il trouve les premiers enchevêtrements d’un labyrinthe qui mettra sur sa route le sombre, énigmatique et effrayant Vidar, prince de Mortemine, ombre humaine qui paraît être tout à la fois un proche du pape et son pire ennemi. Que se passe-t-il dans les coulisses du Vatican et pourquoi tout ce qui fait irruption sur la route du jeune abbé Korrigan paraît obéir à un schéma organisé, préparé, sur lequel pourtant il n’a aucune prise ?

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Les événements s’enchaînent sans que l’on sache s’ils sont poussés uniquement par le hasard ou si une force supérieure en commande les étapes. Le lecteur est laissé dans cette ambiguïté permanente qui l’empêche de savoir s’il tient dans ses mains un livre politique ou un livre de pure science-fiction. L’auteur, au sommet de son art, joue continuellement à mêler les registres et s’assure ainsi de garder son lecteur dans une attente qui rend impossible l’interruption de sa lecture. Pour avoir lu les précédentes œuvres de Romain Guérin, je n’ai pas été étonné de le savoir capable d’une telle prouesse narrative, pour autant je dois reconnaître que sa dernière livraison place la barre très haut et que pour se maintenir au niveau auquel il a lui-même placé son œuvre, il va devoir se surpasser. Ce qu’il fera, à n’en pas douter.

Sur le charme proprement stylistique du roman : nous sommes plongés au cœur d’une intrigue dont les différentes facettes semblent à la fois se rejoindre continuellement tout en s’excluant dans le même temps ; les lecteurs de Barjavel apprécieront de se retrouver plongés dans ce type d’univers stimulant où les apports de chaque nouveau chapitre nous imposent de reconsidérer complètement les certitudes que l’on croyait pouvoir dégager au chapitre précédent. J’ai dit Barjavel ? Pour les raisons évoquées à l’instant je dis aussi : Arsène Lupin ! Le personnage principal, bientôt rejoint par un autre, devant des faits qui mettent leur curiosité au défi, se lancent dans une enquête aventureuse qui rappelle effectivement les méandres lupiniennes. Lancés sur les grands chemins, ils enchaînent les rencontres qui toutes prennent leur sens au moment du grand dévoilement final. Quant à la dimension religieuse et même mystique qui invite le mystère à la fête, comment ne pas y sentir l’encre du Jean Raspail de L’anneau du pêcheur ?


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«J’entends représenter pendant cinq ans les Français qui veulent s’opposer à Mme von der Leyen»

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Sarah Knafo (Reconquête) est députée européenne, elle copréside le groupe "Europe des nations souveraines" © Photo Hannah Assouline

Causeur. À peine entrée au Parlement européen, vous vous êtes opposée à la reconduite d’Ursula von der Leyen à la tête de la Commission européenne, pour cinq ans… Quelle position avez-vous défendue avant-hier ?

Sarah Knafo. J’ai évidemment voté contre la réélection de Madame von der Leyen. Avant le vote, j’ai pris la parole dans l’hémicycle pour tenter de convaincre les autres députés et pour dire à Mme von der Leyen, les yeux dans les yeux – car elle était à un mètre de moi –, ce que les Français pensent d’elle, en particulier les 1,3 million d’entre eux qui ont voté pour Reconquête le 9 juin.

En réalité, il ne s’agissait pas de l’élection d’une femme, mais d’un référendum. Un référendum pour ou contre la tyrannie bruxelloise, pour ou contre l’immigration qu’elle fait entrer en Europe, pour ou contre le déclassement de notre économie. Il faut savoir que pour la Présidence de la Commission, c’est le Conseil -c’est-à-dire les chefs des États membres- qui propose un candidat, ici von der Leyen, puis le Parlement a le pouvoir de le refuser ou de l’accepter. Mes collègues députés auraient pu utiliser ce pouvoir. Ils ne l’ont pas fait. Ils ont reconduit pour cinq ans une régnante extraordinairement impopulaire, et pas seulement en France ! Comme trop souvent à Bruxelles, les peuples ont été priés de se taire.

La bataille commence. J’entends représenter pendant cinq ans les Français qui veulent s’opposer à Mme von der Leyen. Je ne serai pas la seule. Nous sommes désormais très nombreux dans l’hémicycle à porter les idées patriotes.

Vous avez pris la vice-présidence du groupe « Europe des Nations souveraines » (ESN), décrit par la presse comme « d’extrême droite » au Parlement et dominé par les Allemands de l’AFD.

Je suis heureuse d’avoir été élue vice-présidente du nouveau groupe l’Europe des Nations Souveraines, par les députés des neuf nationalités qui le composent. Comme vous l’avez vu, notre arrivée en force au Parlement européen n’a pas vraiment plu aux journalistes, qui mettent les trois groupes souverainistes du Parlement européen (mon nouveau groupe Europe des Nations souveraines, Les Patriotes de MM. Orban et Bardella, et le groupe ECR de Madame Meloni) dans le même panier d’« extrême droite ». Ces étiquettes me paraissent désuètes. Je ne m’y suis jamais reconnue. Je suis d’une droite « normale », qui défend les aspirations normales de gens normaux.

J’espère surtout qu’à nous trois, avec ESN, Les Patriotes et ECR, nous serons assez nombreux pour travailler ensemble et peser, chaque fois que l’intérêt de nos peuples l’exigera. En tout cas, je ferai tout pour que la voix de Reconquête soit entendue dans cet hémicycle. J’y veillerai avec mon travail et avec ma liberté de vote. Je suis une femme indépendante, qui vient d’un pays indépendant, la France, et d’un parti qui tient à son indépendance, Reconquête !

Sur quels sujets comptez-vous vous investir au Parlement européen ?

J’ai choisi de travailler sur l’industrie, les nouvelles technologies, la recherche et l’énergie au sein de la commission ITRE. L’une des grandes leçons que je tire des dernières élections législatives, c’est que la France a un besoin urgent d’une droite crédible économiquement. Emmanuel Macron, malgré son bilan, continue de passer pour la figure rassurante et compétente aux yeux de beaucoup de nos compatriotes : c’est dire à quel point la concurrence fait pâle figure ! Il nous faut travailler d’arrache-pied et Bruxelles est un excellent terrain de bataille. C’est là-bas que trop de choses se décident (80% des textes adoptés en France viennent directement de la législation de l’Union européenne) et c’est l’enceinte qui permet le travail le plus poussé en termes de technicité des dossiers.

A lire aussi: Causeur #125: En première ligne dans la guerre des idées, Notre jeunesse

J’ai également choisi de travailler au sein de la commission Environnement. Nous avons trop longtemps laissé cette question à la gauche : il est temps de s’en saisir. Il n’y a pas de désertion possible pour la droite sur ces sujets. Dès la semaine prochaine, je serai à Bruxelles pour les premières réunions de ces deux commissions.

Sauvegarde de la civilisation française, lutte contre le « grand remplacement »… Comment peut-on agir sur des thèmes pareils au Parlement européen, thèmes qui sont les grands combats politiques de « Reconquête » et d’Éric Zemmour ?

En travaillant, en travaillant, et en bataillant ! Souvenez-vous des mandats européens de Philippe de Villiers, ou de Marie-France Garaud, lesquels ont réussi à faire entendre leur voix et mené la bataille politique au sens noble. Dans un autre genre, souvenez-vous du député européen Nigel Farage ! Au Parlement européen comme partout ailleurs, la règle numéro un est de dire toutes les vérités que vos adversaires veulent censurer.

M. Orban est très critiqué, notamment par Mme von der Leyen, pour sa visite en Russie, alors qu’il a la présidence tournante du Conseil européen. Et, par ailleurs, Mme von der Leyen demande un cessez-le-feu à Gaza. Soutenez-vous le Premier ministre hongrois dans son dialogue avec Moscou ?

Pas dans son dialogue avec Moscou, mais avec Kiev et Moscou. Viktor Orban est d’abord allé voir M. Zelensky, il y a dix jours. Si même M. Zelensky approuve sa démarche, qui sommes-nous et surtout qui est Madame von der Leyen pour dire qu’elle, elle la condamne ? Madame von der Leyen veut plus la paix que M. Zelensky, peut-être ? A-t-elle une meilleure idée ? Pense-t-on pouvoir sortir d’une autre manière de cette guerre qui n’en finit plus ?

Quant à Israël, bien sûr qu’il faut la paix. Mais peut-on exiger un cessez-le-feu à l’un quand l’on n’exige pas la libération des otages à l’autre ?

Quel est le programme de « Reconquête » pour cet été ? Dans quel état d’esprit se trouve Éric Zemmour ?

Eric Zemmour a lancé une consultation auprès de l’ensemble des adhérents de Reconquête. Nous avons déjà obtenu 12 000 réponses. Il compte les lire cet été. Dans ces périodes troubles, il faut être prêts à repartir de zéro, se réinventer, écouter toutes les critiques, tous les retours. Nous passons à la phase 2 de l’histoire de Reconquête. Nous en annoncerons le plan lors de notre université d’été, le 7 septembre à Orange.

Marion Maréchal a été exclue de Reconquête. Les ponts sont-ils définitivement rompus avec elle ?

Je ne souhaite plus en parler. Nous allons de l’avant.

Faites-vous partie de ces Français qui s’impatientent et se désolent de voir une France sans gouvernement ?

Le bon côté des choses ? Nous vivons une parenthèse miraculeuse où il n’y a plus de déluges de nouvelles lois, plus d’annonces ennuyeuses de Bruno Le Maire, plus d’invention de taxes et d’impôts supplémentaires, plus de bavardage idéologique. Cela dérange profondément les politiciens, qui sont obligés de gesticuler dans le vide : soudain, leur inutilité se voit à l’œil nu ! Ce qui est désolant, en revanche, c’est que notre pays décline et que le moment où nous stopperons enfin ce déclin s’est encore éloigné. Est-ce que je fais partie des Français qui s’impatientent de voir le bon gouvernement mettre enfin en œuvre les solutions simples que la situation exige ? Oh, ça oui ! Et cela viendra.