Notre chroniqueur ouvre ses boîtes à souvenirs durant tout l’été. Livre, film, pièce de théâtre, BD, disque, objet, il nous fait partager ses coups de cœur « dissidents ». Pour ce dimanche, il a choisi de nous parler, au-delà des auteurs, de collections disparues qui ont déclenché chez lui l’envie de lire grâce à leur couverture, leur maquette, leur papier, ou tout simplement le soin apporté à leur fabrication. De 1000 Soleils à L’instant romanesque, le livre savait se mettre sur son « 31 »
Lire, c’est d’abord voir et ensuite toucher. N’en déplaise aux écrivains qui s’imaginent irrésistibles à l’écrit, ils seraient étonnés d’apprendre, qu’avant de se délecter de leur prose, le lecteur a consenti à acheter leur roman ou leur essai pour des raisons extra-littéraires. On est, avant tout, attiré par une couverture, une illustration, une conception graphique particulière, un grammage, une texture, une qualité de peau en somme, rarement pour le résumé de la quatrième. Après, bien plus tard, des années même après cet élan primaire, on lira l’ouvrage tant désiré ou pas. Un livre doit avoir une bonne gueule, une bonne main, des couleurs qui correspondent à notre propre arc-en-ciel pour nous alpaguer dans la jungle touffue des librairies. Le contenu est presque anecdotique. Il n’est pas déshonorant d’acquérir des livres uniquement pour leur aspect visuel ou leur singularité esthétique. Les bibliophiles apprécient autant l’objet que le phrasé. Le collectionneur est un papivore, un animal qui boulotte du papier, sous toutes ses formes. Certaines collections ont marqué l’imaginaire des enfants, si j’ai été longtemps sensible à la fantasia des Folio Junior, je leur dois mes premiers émois, c’est à l’âge adulte que je me suis mis à recueillir compulsivement toute la dynastie des « 1000 soleils », collection imaginée par Gallimard Jeunesse afin de sensibiliser le jeune public aux chefs-d’œuvre. Tous ces grands classiques qui indiffèrent ou intimident sont au nombre de 156. « 1000 soleils » jouait à l’entremetteur en usant de vieilles ficelles : des couvertures colorées à vocation cinématographique et une certaine tension dramatique. L’illustration était la porte d’entrée de l’écrit. De Tolkien à Cyrano, de Croc-blanc à La gloire de mon père, de Melville à Gide, ils étaient tous là : Dhôtel, Bradbury, Kipling, Giono, Mac Orlan, Hugo, Roald Dahl et même Homère. Parmi les 156, j’ai mon préféré Le fauteuil hanté de Gaston Leroux paru en 1979, terrifiant avec cette tête de mort surmontée d’un bicorne en forme de coupole. À la fin de ce roman, le jeune lecteur avait droit à quelques informations sur le rôle de l’Académie, son fondateur Richelieu, quelques points du règlement et Alain Decaux racontait en deux pages son arrivée, insistant sur la courtoisie de la compagnie. « L’Académie ne recherche aucune hérédité, aucune ressemblance dans les successions de siège. Ainsi, je suis l’exemple type de cette volonté : je suis un autodidacte, je n’ai ni diplôme, ni agrégation, ni doctorat » écrivait-il. Parfois, on est possédé par la géométrie des années 1970, les lignes stylisées à la Vasarely, le losange Renault de ces années-là m’a toujours plu pour sa simplicité et son éclat. Julliard a lancé la collection « Idée Fixe » dirigée par Jacques Chancel en inaugurant un format tout en longueur et une palette allant du vert fluo au mauve psychédélique. On y trouvait de solides francs-tireurs, des populistes et des précieux, Audiard, Sternberg, Forlani, Nucera, etc… L’objectif avancé était de donner « l’occasion à tous les écrivains d’énoncer sans détour le secret dont ils ont nourri jusqu’ici sournoisement leurs livres ». Le plus fascinant d’entre eux fut signé par André Hardellet, il s’intitule Donnez-moi le temps et est sorti en 1973. Hardellet nous révèle l’endroit où il a attrapé le virus de l’écriture dans « ces minutes d’enfance », du côté du jardin de Vincennes. Étudiant, j’étais fier d’exposer sur un rayonnage de ma bibliothèque, une vingtaine d’exemplaires de la collection « Le Promeneur » domiciliée chez Gallimard à partir de 1991 et dirigée par Patrick Mauriès. Depuis, au fil des années, j’ai acheté presque la totalité des 174 ouvrages, il m’en manque une quinzaine. Sans « Le Promeneur », je n’aurais pas eu accès aux écrivains italiens qui sont d’essentiels compagnons de route. Je n’aurais pas connu Soldati, Flaiano, Manganelli, Arbasino ou Consolo. Je me vois encore acheter Le père des orphelins en 1999, ne pouvant résister au dessin de Pierre Le-Tan et dépensant la somme élevée de 90 francs à l’époque pour ce livre d’une centaine de pages. Enfin, je demeure un inconditionnel de la collection « L’instant romanesque » portée par Brigitte Massot qui avait pour leitmotiv : « Ici, ils (les écrivains) prennent un savoureux plaisir à s’exprimer sur un sujet n’exigeant pas un long parcours ». Jean Freustié, René de Obaldia, Grainville ou Vitoux y donnèrent quelques textes. Je place deux d’entre eux au sommet de la pyramide littéraire, il s’agit de La nuit myope d’A.D.G et de Pierrot des solitudes de Pierre Kyria.
Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. «J’aime qu’on me contredise!» pourrait être sa devise.
C’était il y a une dizaine d’années. J’étais allé soutenir les salariées d’une maison de retraite, mobilisées pour de meilleures conditions de travail et une revalorisation des salaires. En échangeant avec moi, l’une d’entre elles s’est soudainement arrêtée de raconter son quotidien. Plus la force. Sa dernière phrase, noyée dans des larmes, s’était achevée par un constat dont je conserve encore aujourd’hui le souvenir précis : « Je pousse un cri mais dans le vide, je n’intéresse personne. » Avant cela, elle m’avait dit : « La toilette des résidents c’est tête/cul en cinq minutes, on n’a même plus le temps d’un échange humain. À force d’être maltraitée, on en devient maltraitante. » On ne dira jamais assez combien le développement d’une société se juge à la situation faite aux plus vulnérables.
À l’heure où ces lignes sont écrites, au lendemain du premier tour des législatives, c’est en très grande partie ce cri qui s’est fait entendre. Il vient de loin, bien avant ces dix dernières années. Il a fait irruption dans notre vie politique et sociale, mais n’avait jamais disparu des âmes humaines ; des bides et des entrailles. Des vies sans répit. Des vies sans les petits bonheurs de l’existence et de l’insouciance d’autrefois. Un resto avec les enfants, un cinéma, quelques jours de vacances… Un lâcher-prise sans avoir la crainte de la prochaine facture de gaz et d’électricité, ou celle de la voiture qui ne démarre pas au petit matin. Et cette diablerie de Parcoursup qui a changé la joie de réussir son bac en angoisse de l’inscription.
Le déclassement et le mépris
Plus encore, ce cri n’est pas la seule traduction d’une vie matérielle de plus en plus rabougrie, mais l’expérience concrète d’un déclassement. Non pas d’un « sentiment », mais bel et bien d’un toboggan sans la possibilité de s’accrocher afin d’éviter la chute. Ne plus être considéré et même être méprisé pour ne pas vivre au bon endroit, pour ne pas avoir bien voté lors de la dernière élection, pour ne pas regarder le bon programme télé. En ce domaine, le macronisme a été le terminus d’un long processus d’un nouveau mépris de classe, avec une violence extrême pour la dignité humaine, quand une trop grande partie de la gauche a regardé ailleurs.
Je suis d’une gauche qui, avec Ariane Mnouchkine, a dit : « Quand les gens disaient ce qu’ils voyaient, on leur disait qu’ils se trompaient, qu’ils ne voyaient pas ce qu’ils voyaient. Ce n’était qu’un sentiment trompeur, leur disait-on. Puis, comme ils insistaient, on leur a dit qu’ils étaient des imbéciles, puis, comme ils insistaient de plus belle, on les a traités de salauds. »
Cette gauche ne doit pas se contenter de faire « barrage », car ce logiciel est définitivement en cale sèche. Un peuple a besoin d’un imaginaire à partager. Et c’est bien sur ce terrain, et sur nul autre, que nous devons échanger et nous confronter.
Vous pouvez compter sur moi. Je ne vous lâcherai pas !
Jaloux de son aîné, qu’il détestait, « le roi sans royaume ne faisait rien sans raison, ni sans calcul ». C’est sous ces traits cruels que l’historien Matthieu Mensch décrit le comte de Provence, futur monarque de la Restauration, au seuil de l’ouvrage qu’il consacre aux Femmes de Louis XVIII – c’en est le titre. À Louis XVI, le cadet de la dynastie Bourbon enviait aussi son Autrichienne, dont il pensait que lui-même l’aurait mérité davantage : « la haine de Monsieur envers son infortunée belle-sœur avait fini par devenir de notoriété publique », au point que sur le tard, il cherchera à se dédouaner. Instrumentant la mémoire de la reine martyre, il fera même construire, en 1826, une chapelle expiatoire : « Marie-Antoinette semble correspondre parfaitement à la vision cynique de Louis XVIII, pour qui les femmes n’étaient que des outils politiques ou de simples faire-valoir ». Quel garçon sympathique…
Le chapitre suivant s’attache aux pas d’Anne Nompar de Caumont-La Force, comtesse de Balbi, qui fit carrière comme dame d’atour de l’épouse de Monsieur, et bientôt favorite du prince. Vraisemblablement sans coucher, mais assurant sa fortune tout de même. Elle forme une coterie d’obligés autour du généreux comte de Provence, qui lui offre un appartement au petit Luxembourg, puis un pavillon (aujourd’hui disparu) à Versailles. La comtesse de Balbi aidera à la fuite du ménage à Bruxelles, le 20 juin 1792, plus chanceux que le couple royal. « Reine de l’émigration ? » À Coblence où la famille mène une apparence de vie de cour dans un exil luxueux, elle réussit à se faire détester du cercle étroit des émigrés. Comme dame d’atour, la voilà contrainte de suivre la comtesse de Provence à Turin, où elle s’ennuie ferme ; elle démissionne, file à Bruxelles, y tombe enceinte : Monsieur la disgracie. Elle poursuit alors sa vie mondaine à Londres, mais lorsqu’en 1802 Bonaparte décrète l’amnistie des émigrés, elle s’empresse de rentrer au pays. Restée légitimiste, la Balbi intrigue si bien que l’Empereur lui signifie d’aller voir ailleurs – en province. À la Restauration, retour à Paris. Mais Louis XVIII la tient désormais à distance : « Ombre lointaine d’un passé presque oublié, elle n’est plus la puissante maîtresse d’un prince, mais si elle ne peut plus compter sur son charme, elle conserve toujours une langue bien acérée ». À la mort du roi, sans rancune, elle encadre ses bristols d’un liséré noir. Quand le dernier survivant de la fratrie Bourbon, Charles X, s’exile à son tour en 1830, le monarque déchu refuse de la pensionner, et Louis-Philippe, le cousin Orléans proclamé « Roi des Français » « refuse de prolonger cette dépense inutile ». La comtesse se replie dans son appartement versaillais ; elle y meurt à plus de 80 ans. « Jaloux en amitié mais ignorant jusqu’alors tout des peines du cœur, Louis découvrit avec la Balbi la douleur d’être bafoué et humilié aux yeux des autres, nouvelle expérience fondatrice dans sa conception du pouvoir royal, qu’il voulait intangible et immuable, non pas au-dessus, mais à l’abri des faiblesses humaines », conclut Matthieu Mensch.
Il y a quelques années, Romain Guérin a publié son roman Le journal d’Anne-France, lequel a été qualifié de chef-d’œuvre par Jean Raspail en personne. Voilà qui vous pose un décor…
Il revient aujourd’hui avec Le Grand soulèvement, que je viens de lire deux fois tant il m’a été difficile, à l’issue de la première lecture, de me dire qu’elle était terminée. J’en voulais encore, je voulais rester dans ce livre et m’offrir encore la compagnie de ses personnages attachants, me maintenir dans le rythme de leurs aventures et goûter encore au charme des décors, des dialogues et des idées géniales dont l’intrigue regorge jusqu’à l’explosion finale qui vous fiche des étoiles dans les yeux et vous ébouillante le sang dans les veines.
Si la littérature n’était qu’un objet de divertissement, si elle ne prêtait à rien d’autre qu’au seul plaisir de passer un excellent moment, ce roman remplirait amplement ces critères grâce à son intrigue ingénieuse, ses choix narratifs exigeants et brillamment maitrisés et grâce à tout ce qui fait du Grand soulèvement une œuvre originale, ambitieuse, généreuse et inspirante. Mais voilà, la littérature n’est pas que cela : elle est aussi ce qui nous donne à réfléchir et à méditer. Là encore, Le Grand soulèvement répond présent.
L’histoire commence au milieu des années 70, en France, quelque part dans un coin de la Bretagne d’où va partir à la hâte, en direction du Vatican, un jeune prêtre paniqué. La République vient de légaliser l’avortement et le jeune religieux plein de bonne volonté mais ne sachant comment absorber seul cette nouveauté qui menace la vie, répond à son premier mouvement qui est de s’en ouvrir directement au pape. Sur place, les surprises s’enchaînent et ce qu’il entend dire par le pape en qui il plaçait tant d’espoir le désole et ruine sa foi dans l’Église. Au lieu d’une solution à ses tourments, il trouve les premiers enchevêtrements d’un labyrinthe qui mettra sur sa route le sombre, énigmatique et effrayant Vidar, prince de Mortemine, ombre humaine qui paraît être tout à la fois un proche du pape et son pire ennemi. Que se passe-t-il dans les coulisses du Vatican et pourquoi tout ce qui fait irruption sur la route du jeune abbé Korrigan paraît obéir à un schéma organisé, préparé, sur lequel pourtant il n’a aucune prise ?
Les événements s’enchaînent sans que l’on sache s’ils sont poussés uniquement par le hasard ou si une force supérieure en commande les étapes. Le lecteur est laissé dans cette ambiguïté permanente qui l’empêche de savoir s’il tient dans ses mains un livre politique ou un livre de pure science-fiction. L’auteur, au sommet de son art, joue continuellement à mêler les registres et s’assure ainsi de garder son lecteur dans une attente qui rend impossible l’interruption de sa lecture. Pour avoir lu les précédentes œuvres de Romain Guérin, je n’ai pas été étonné de le savoir capable d’une telle prouesse narrative, pour autant je dois reconnaître que sa dernière livraison place la barre très haut et que pour se maintenir au niveau auquel il a lui-même placé son œuvre, il va devoir se surpasser. Ce qu’il fera, à n’en pas douter.
Sur le charme proprement stylistique du roman : nous sommes plongés au cœur d’une intrigue dont les différentes facettes semblent à la fois se rejoindre continuellement tout en s’excluant dans le même temps ; les lecteurs de Barjavel apprécieront de se retrouver plongés dans ce type d’univers stimulant où les apports de chaque nouveau chapitre nous imposent de reconsidérer complètement les certitudes que l’on croyait pouvoir dégager au chapitre précédent. J’ai dit Barjavel ? Pour les raisons évoquées à l’instant je dis aussi : Arsène Lupin ! Le personnage principal, bientôt rejoint par un autre, devant des faits qui mettent leur curiosité au défi, se lancent dans une enquête aventureuse qui rappelle effectivement les méandres lupiniennes. Lancés sur les grands chemins, ils enchaînent les rencontres qui toutes prennent leur sens au moment du grand dévoilement final. Quant à la dimension religieuse et même mystique qui invite le mystère à la fête, comment ne pas y sentir l’encre du Jean Raspail de L’anneau du pêcheur ?
Causeur. À peine entrée au Parlement européen, vous vous êtes opposée à la reconduite d’Ursula von der Leyen à la tête de la Commission européenne, pour cinq ans… Quelle position avez-vous défendue avant-hier ?
Sarah Knafo. J’ai évidemment voté contre la réélection de Madame von der Leyen. Avant le vote, j’ai pris la parole dans l’hémicycle pour tenter de convaincre les autres députés et pour dire à Mme von der Leyen, les yeux dans les yeux – car elle était à un mètre de moi –, ce que les Français pensent d’elle, en particulier les 1,3 million d’entre eux qui ont voté pour Reconquête le 9 juin.
En réalité, il ne s’agissait pas de l’élection d’une femme, mais d’un référendum. Un référendum pour ou contre la tyrannie bruxelloise, pour ou contre l’immigration qu’elle fait entrer en Europe, pour ou contre le déclassement de notre économie. Il faut savoir que pour la Présidence de la Commission, c’est le Conseil -c’est-à-dire les chefs des États membres- qui propose un candidat, ici von der Leyen, puis le Parlement a le pouvoir de le refuser ou de l’accepter. Mes collègues députés auraient pu utiliser ce pouvoir. Ils ne l’ont pas fait. Ils ont reconduit pour cinq ans une régnante extraordinairement impopulaire, et pas seulement en France ! Comme trop souvent à Bruxelles, les peuples ont été priés de se taire.
À Ursula von der Leyen, je demande : que vous ont fait les Européens pour que vous les traitiez avec tant de mépris ? pic.twitter.com/8t3DBSZs8O
La bataille commence. J’entends représenter pendant cinq ans les Français qui veulent s’opposer à Mme von der Leyen. Je ne serai pas la seule. Nous sommes désormais très nombreux dans l’hémicycle à porter les idées patriotes.
Vous avez pris la vice-présidence du groupe « Europe des Nations souveraines » (ESN), décrit par la presse comme « d’extrême droite » au Parlement et dominé par les Allemands de l’AFD.
Je suis heureuse d’avoir été élue vice-présidente du nouveau groupe l’Europe des Nations Souveraines, par les députés des neuf nationalités qui le composent. Comme vous l’avez vu, notre arrivée en force au Parlement européen n’a pas vraiment plu aux journalistes, qui mettent les trois groupes souverainistes du Parlement européen (mon nouveau groupe Europe des Nations souveraines, Les Patriotes de MM. Orban et Bardella, et le groupe ECR de Madame Meloni) dans le même panier d’« extrême droite ». Ces étiquettes me paraissent désuètes. Je ne m’y suis jamais reconnue. Je suis d’une droite « normale », qui défend les aspirations normales de gens normaux.
J’espère surtout qu’à nous trois, avec ESN, Les Patriotes et ECR, nous serons assez nombreux pour travailler ensemble et peser, chaque fois que l’intérêt de nos peuples l’exigera. En tout cas, je ferai tout pour que la voix de Reconquête soit entendue dans cet hémicycle. J’y veillerai avec mon travail et avec ma liberté de vote. Je suis une femme indépendante, qui vient d’un pays indépendant, la France, et d’un parti qui tient à son indépendance, Reconquête !
Sur quels sujets comptez-vous vous investir au Parlement européen ?
J’ai choisi de travailler sur l’industrie, les nouvelles technologies, la recherche et l’énergie au sein de la commission ITRE. L’une des grandes leçons que je tire des dernières élections législatives, c’est que la France a un besoin urgent d’une droite crédible économiquement. Emmanuel Macron, malgré son bilan, continue de passer pour la figure rassurante et compétente aux yeux de beaucoup de nos compatriotes : c’est dire à quel point la concurrence fait pâle figure ! Il nous faut travailler d’arrache-pied et Bruxelles est un excellent terrain de bataille. C’est là-bas que trop de choses se décident (80% des textes adoptés en France viennent directement de la législation de l’Union européenne) et c’est l’enceinte qui permet le travail le plus poussé en termes de technicité des dossiers.
J’ai également choisi de travailler au sein de la commission Environnement. Nous avons trop longtemps laissé cette question à la gauche : il est temps de s’en saisir. Il n’y a pas de désertion possible pour la droite sur ces sujets. Dès la semaine prochaine, je serai à Bruxelles pour les premières réunions de ces deux commissions.
Sauvegarde de la civilisation française, lutte contre le « grand remplacement »… Comment peut-on agir sur des thèmes pareils au Parlement européen, thèmes qui sont les grands combats politiques de « Reconquête » et d’Éric Zemmour ?
En travaillant, en travaillant, et en bataillant ! Souvenez-vous des mandats européens de Philippe de Villiers, ou de Marie-France Garaud, lesquels ont réussi à faire entendre leur voix et mené la bataille politique au sens noble. Dans un autre genre, souvenez-vous du député européen Nigel Farage ! Au Parlement européen comme partout ailleurs, la règle numéro un est de dire toutes les vérités que vos adversaires veulent censurer.
M. Orban est très critiqué, notamment par Mme von der Leyen, pour sa visite en Russie, alors qu’il a la présidence tournante du Conseil européen. Et, par ailleurs, Mme von der Leyen demande un cessez-le-feu à Gaza. Soutenez-vous le Premier ministre hongrois dans son dialogue avec Moscou ?
Pas dans son dialogue avec Moscou, mais avec Kiev et Moscou. Viktor Orban est d’abord allé voir M. Zelensky, il y a dix jours. Si même M. Zelensky approuve sa démarche, qui sommes-nous et surtout qui est Madame von der Leyen pour dire qu’elle, elle la condamne ? Madame von der Leyen veut plus la paix que M. Zelensky, peut-être ? A-t-elle une meilleure idée ? Pense-t-on pouvoir sortir d’une autre manière de cette guerre qui n’en finit plus ?
Quant à Israël, bien sûr qu’il faut la paix. Mais peut-on exiger un cessez-le-feu à l’un quand l’on n’exige pas la libération des otages à l’autre ?
Quel est le programme de « Reconquête » pour cet été ? Dans quel état d’esprit se trouve Éric Zemmour ?
Eric Zemmour a lancé une consultation auprès de l’ensemble des adhérents de Reconquête. Nous avons déjà obtenu 12 000 réponses. Il compte les lire cet été. Dans ces périodes troubles, il faut être prêts à repartir de zéro, se réinventer, écouter toutes les critiques, tous les retours. Nous passons à la phase 2 de l’histoire de Reconquête. Nous en annoncerons le plan lors de notre université d’été, le 7 septembre à Orange.
Marion Maréchal a été exclue de Reconquête. Les ponts sont-ils définitivement rompus avec elle ?
Je ne souhaite plus en parler. Nous allons de l’avant.
Faites-vous partie de ces Français qui s’impatientent et se désolent de voir une France sans gouvernement ?
Le bon côté des choses ? Nous vivons une parenthèse miraculeuse où il n’y a plus de déluges de nouvelles lois, plus d’annonces ennuyeuses de Bruno Le Maire, plus d’invention de taxes et d’impôts supplémentaires, plus de bavardage idéologique. Cela dérange profondément les politiciens, qui sont obligés de gesticuler dans le vide : soudain, leur inutilité se voit à l’œil nu ! Ce qui est désolant, en revanche, c’est que notre pays décline et que le moment où nous stopperons enfin ce déclin s’est encore éloigné. Est-ce que je fais partie des Français qui s’impatientent de voir le bon gouvernement mettre enfin en œuvre les solutions simples que la situation exige ? Oh, ça oui ! Et cela viendra.
Sandrine Rousseau, après la réélection de justesse de Yaël Braun-Pivet comme présidente de l’Assemblée nationale, a eu raison de dénoncer « des tactiques qui ne sont pas dans l’esprit de la démocratie ». LFI envisage de contester cette victoire par des recours juridiques. En réalité, par cette critique ciblée et évidemment partisane, Sandrine Rousseau projette sans le vouloir une lumière crue sur la perversion nationale qui, au moins depuis la décision de dissolution, entraîne notre pays dans une dérive où la démocratie est partout absente. Et la sincérité politique nulle part.
Le deal passé entre les macronistes et Laurent Wauquiez pour attribuer à ce dernier la représentation auquel le RN avait légitimement droit au Bureau de notre Assemblée est une manœuvre honteuse.
Ce sont près de 11 millions d’électeurs qui se voient ainsi dépossédés au bénéfice…
J’éprouve, comme citoyen, cette bizarre impression que les dés sont délibérément pipés. Comme si l’essentiel de la vie politique, depuis quelque temps, n’était plus de faire gagner ses couleurs mais de faire perdre celles qu’on abhorre. Qu’elles soient, comme d’habitude, celles d’un Rassemblement national (RN) à la fois solitaire mais revigoré ou, plus conjoncturellement, de la France Insoumise victime de ce même discrédit qui prétend trier le bon grain et l’ivraie à partir pourtant d’une même légitimité parlementaire. Au deuxième tour des élections législatives, la macronie, le Nouveau Front populaire (NFP) et les Républicains ont, sans la moindre honte, renié leurs convictions profondes pour abattre le RN. À l’Assemblée nationale, on a cherché à renouveler le processus du Front républicain et il est probable que le RN continuera à être victime d’une absence d’intégrité républicaine. Lui-même a voté pour deux vice-présidents LFI à l’Assemblée nationale! Changement de pied ! Mais fiasco et injustice absolus : rien pour le RN, 11 millions d’électeurs jetés hors de l’espace républicain, une honte!
La macronie a pu, par des manœuvres, des tractations, sauver une fonction capitale: présider l’Assemblée nationale. Ils n’étaient plus nombreux à la désirer à nouveau à ce poste, mais Yaël Braun-Pivet a été confortée par le retrait à son bénéfice de Philippe Juvin et surtout par les instructions de soutien données par Laurent Wauquiez au groupe parlementaire de la Droite Républicaine (contre l’espérance de quelques postes après négociation avec Gabriel Attal récemment élu président du groupe parlementaire Ensemble). C’est ce qu’on appelle probablement de la haute cuisine parlementaire !
L’emploi du temps complexe de Gabriel Attal
Au sujet du démissionnaire Premier ministre qui continue à être chargé des affaires courantes – combien de temps ? -, des constitutionnalistes s’interrogent pour savoir s’il a le droit de cumuler cette double activité permanente et temporaire, en tout cas à la finalité partisane pour l’une et d’utilité publique pour l’autre.
Au sommet de cet océan de confusion et d’hypocrisie partout – l’honneur des missions politiques au service de tous bradé au nom de desseins sans foi ni loi -, il convient de placer le président de la République qui invoquant le gaullisme se situe aux antipodes de celui-ci. On n’est pas obligé d’être forcément d’accord avec Dominique de Villepin qui aurait souhaité la désignation immédiate d’un Premier ministre NFP. Il est certain en revanche que le devoir d’Emmanuel Macron était de tirer rapidement des conclusions du résultat des élections législatives en ne procédant pas de manière dilatoire à la sous-estimation du succès de ses adversaires et à la surestimation de celui de son camp. Alors que de toute évidence, s’il y avait un vaincu, c’était lui. D’autant plus que ses manœuvres suivaient des élections européennes désastreuses pour sa cause et un premier tour des élections législatives implacablement en faveur du RN.
Même si nous avons connu un regain civique – le citoyen français était frustré de n’avoir pas eu de véritables élections à se mettre sous la dent depuis quelque temps -, je suis persuadé que ce vaudeville, aussi grave et alarmiste qu’il cherche à se présenter, va à nouveau détourner beaucoup de Français de la politique au quotidien. Comme je les comprends ! Quand la démocratie est absente partout et que le simulacre domine, on n’a plus envie de participer.
La romancière Simonetta Greggio signe un livre d’un genre nouveau : la biographie épistolaire. Ou comment entrer dans la vie intime de Brigitte Bardot à travers les lettres d’une admiratrice.
L’icône du cinéma français prend la parole, ou presque. Dans Mes nuits sans Bardot, la romancière d’origine italienne Simonetta Greggio met en scène BB au soir de sa vie. Cette dernière s’apprête à fêter son anniversaire. Le 28 septembre prochain elle aura 90 ans. Depuis la Madrague où elle réside avec ses chiens, elle se repasse le film de sa vie. Non loin de là, une femme a loué une maison dans l’espoir de faire toute la lumière sur la star dont certains affirment qu’elle serait décédée. N’osant aller sonner à sa porte, elle décide de lui écrire. De longues lettres qu’elle dépose sous un caillou devant la célèbre maison. La comédienne les lit-elle ? On l’ignore, mais cela ne décourage pas la narratrice qui continue de lui adresser des missives revisitant les moments clés de son histoire. Entre les deux femmes, aucun lien apparent, si ce n’est l’admiration que la seconde porte à la première. Pourtant, l’alternance des lettres et des souvenirs évoqués par Brigitte Bardot finit par les rassembler en un troublant jeu de miroirs. Ce qui intéresse l’épistolière est moins la star que la femme. Celle en laquelle elle se reconnaît et qui, comme elle, a connu de nombreux déboires amoureux. «Comme vous l’avez fait à votre âge guerrier, j’ai chevauché les étés, embrassé à bouche qui veux-tu, aimé après avoir été trahie, trahi après avoir aimé.»
Aussi rêverait-elle que son idole lui confie les zones d’ombres de sa vie. Cette envie qu’elle a pu avoir, elle aussi, «de crever pour cesser d’en crever de ces histoires mal foutues, de ces amours déglinguées ». Finalement, l’actrice comme la narratrice se retrouvent seules, avec leurs chiens pour toute compagnie. L’originalité de ce récit à deux voix consiste à mettre en lumière une BB méconnue. « BB petite fille, comme une copine d’école, cheveux en queue de cheval, chaussettes tirées sur les genoux écorchés. BB jeune femme, un autre moi, flamboyant. BB vieille dame, qui éclaire mon chemin en regardant derrière elle désormais.» Bardot a 17 ans lorsqu’elle est « vendue comme de la viande fraîche au cinéma » et part seule se faire avorter en Suisse. Puis les amants se succèdent. Nombreux. Roger Vadim, bien sûr, qui lui signifie que sans lui elle n’est rien, Jacques Charrier qu’elle épouse et aussi Samy Frey et les autres… Bardot aime les hommes et se conduit avec eux comme ils le font avec les femmes : elle n’hésite pas à les tromper. «BB aime faire l’amour. Elle l’assume, elle le proclame : faire l’amour est aussi naturel que danser, nager, manger. » Mais l’auteur dessine aussi le portrait d’une femme «rebelle, désobéissante, redoutable, épouvantable, insupportable ». Une femme qui à 29 ans déjà commençait à s’intéresser à la cause animale, dont elle fera plus tard son cheval de bataille. Avec Mes nuits sans Bardot, Simonetta Greggio fait le choix du roman plutôt que de la biographie. En résulte un livre à l’image de son modèle : libre et envoûtant.
Simonetta Greggio, Mes nuits sans Bardot, Albin Michel, 2024.
Sous le châtaignier au feuillage familier, je relis Rimbaud le fils, de Pierre Michon. Le livre a paru en 1991. L’auteur est un « pays » comme on dit ici, en Limousin. Il est né le 28 mars 1945 au hameau des Cards dans la Creuse. Il a été élevé par sa mère, institutrice, après que son père eut déserté le foyer. Lycéen à Guéret, Chaminadour pour Marcel Jouhandeau, il étudia les lettres à l’université de Clermont-Ferrand.
Parmi ses récits, durs comme le silex, citons Vies minuscules (1984), Corps du roi (Prix décembre 2002), Les deux Beune (2023). Dans Rimbaud le fils, une question s’impose : « Qu’est-ce qui fait écrire les hommes ? » Les réponses peuvent être multiples. Pierre Michon : « Les autres hommes, leur mère, les étoiles, ou les vieilles choses énormes, Dieu, la langue ? » On pourrait, aujourd’hui, ajouter la perte des valeurs, la disparition de la langue, la mémoire des maquis, le silence de Lascaux ?
Michon développe son approche de l’écriture. Il dit qu’elle est nourrie « de croyance et de magie ». L’écrivain est un magicien qui croit aux puissances de la nature. Il dit encore qu’il ne se met pas à sa table tous les matins. Il attend le texte. L’écrivain n’est pas raisonnable. C’est pour cela, probablement, qu’il a choisi d’écrire sur Rimbaud, le jeune homme qui lâche tout à dix-sept ans, s’esbigne en Éthiopie, revient à Marseille pour subir l’ordalie de la scie sur la jambe. C’est amplement suffisant pour créer le mythe. Il faut cependant toute la précision de la phrase de Michon, tout l’ébranlement tellurique de son style, pour offrir une nouvelle analyse de la saison en enfer du poète de Charleville, hanté par ses visions qu’on ne pourra comprendre qu’au moment du Jugement. Rimbaud savait que la mort était à ses trousses – relire « Le Bateau ivre » – et que la course serait violente et brève.
Le livre de Pierre Michon est étonnant d’originalité et, osons le mot, de fraîcheur. Sur les rapports entre Arthur et sa mère ; entre Rimbaud et Verlaine, ce Verlaine qui aime « trébucher » ; entre le poète et ses contemporains. Rimbaud n’est pas de son temps ; il est d’un ailleurs qui n’existe pas encore ; il est cet éternel frondeur photographié par Carjat – la séance de photo est subtilement interprétée par Michon. Et puis, il y a ce passage qui résume (presque) Rimbaud et Michon : « (…) la poésie ne peut pas être tout à fait du côté du bien, vu que nos premiers parents quand ils étaient dans le Grand Jardin ne parlaient pas, communiquaient à la mode des fleurs par des abeilles, des messages ailés, et sentirent se délier leur langue seulement après que l’ange leur eut montré la porte (…) ».
Le crépuscule tombe sur le champ aux vaches ; c’est l’heure où le ciel rosit comme les joues de l’enfant qui, soudain, sait.
Ils sont jeunes, intellos, drôles et courageux. Cette nouvelle génération de journalistes n’hésite pas à monter au front pour défendre la liberté de pensée. Eugénie Bastié, Charlotte d’Ornellas Alexandre Devecchio, Gauthier Le Bret, Geoffroy Lejeune et Arthur de Watrigant représentent toutes les nuances de la droite culturelle. Et donnent un sacré coup de vieux à Plenel, Aphatie et autres curés francintériens. Récit d’un casse médiatique.
Leur héros c’est Cyrano, mais ils ont tous quelque chose de Rubempré. Ils sont le cauchemar du clergé médiatique, ou ils devraient l’être. Depuis quelques années, ces jeunes-turcs du journalisme font allègrement feu sur le quartier général, occupant des positions stratégiques autour de la citadelle assiégée. Ils n’ont pas encore pris le palais d’Hiver d’ailleurs, on espère qu’ils ne le prendront jamais complètement et ne seront donc pas tentés de remplacer une pesante hégémonie par une autre. En attendant, ils ont sacrément ébranlé le monopole des Plenel, Aphatie et autres curés francintériens. Lesquels, furieux, réclament à grands cris leur excommunication. On se rappelle la vague d’hystérie collective suscitée par l’arrivée de Geoffroy Lejeune au JDD à l’été 2023. Pétitions d’artistes, sportifs et abonnés au gaz, trémolos en tout genre, appels à la résistance : à 35 ans, le petit veinard a eu droit à sa quinzaine antifasciste pour lui tout seul.
35 ans Né à Avignon École supérieure de journalisme de Paris Directeur de la rédaction du Journal du dimanche Votre révélation politique : Cela remonte à mon adolescence à Avignon, où j’ai été confronté à l’insécurité au quotidien, avant que beaucoup d’autres Français la connaissent hélas à leur tour. Votre personnage historique préféré : Charette. Un sale gosse insubordonné, devenu un héros parce qu’il était révolté par l’injustice. Il a mené le combat jusqu’au bout et, suprême élégance, a choisi sa fin. Votre meilleur souvenir audiovisuel : Mon passage en 2015 sur France 2 pour présenter mon premier livre, Une élection ordinaire (Ring). Ce jour-là, Laurent Ruquier, Yann Moix et Léa Salamé m’ont posé de vraies questions et m’ont laissé la chance de me défendre à armes égales. Votre rêve d’interview : Gérard Depardieu. Votre conseil de lecture pour l’été : N’importe quel livre de Sylvain Tesson ou de Nicolas Mathieu. Votre héros dans la fiction : Cyrano de Bergerac. C’est tout l’esprit français résumé en une œuvre. Le dernier mot de la pièce : « panache ». Tiens, comme le nom de la plume blanche qui ornait le chapeau de Charrette ! Votre plan B si vous n’aviez pas été journaliste (ou quand vous ne le serez plus) : Comédien, chanteur ou président d’un club de foot ou de rugby. Votre leader de gauche préféré : Le pape François. La meilleure émission sur le service public audiovisuel selon vous : J’adorais « On n’est pas couché », de Laurent Ruquier sur France 2. On pouvait tout dire, face à des contradicteurs certes hostiles, mais honnêtes. C’est devenu si rare de nos jours sur cette chaîne…
Les six personnages qui figurent sur notre « une » ne sont pas une bande de copains, même s’il y a parmi eux des paires d’amis, plutôt des compagnons de route devenus frères d’armes dans les combats partagés – l’ardeur chevaleresque est leur marque de fabrique. Nous ne les avons pas choisis seulement par affection ou dilection, mais parce qu’ils forment une avant-garde. Et comme souvent, Debray est lumineux à ce sujet, ces précurseurs sont des héritiers. Connus du grand public pour leurs talents cathodiques et numériques, ces bosseurs sont d’abord des enfants de la presse. Ils lisent, ils écrivent, donc ils pensent. Et ils ont du pouvoir. Geoffroy Lejeune est aux manettes de son deuxième hebdomadaire, épaulé par la fidèle Charlotte d’Ornellas, Eugénie Bastié vient de gagner ses galons de rédac-chef au sein du premier quotidien français, Alexandre Devecchio y dirige les pages « Débats », devenues par leur pluralisme l’un des hauts lieux de la dispute française. Arthur de Watrigant a « fait sortir L’Incorrect de l’adolescence », à en croire son ami Mathieu Bock-Côté. Peut-être que l’un ou l’autre se lancera un jour en politique. Ou dans le showbiz. En tout cas, vous entendrez parler d’eux. Dans vingt ans, en regardant cette « une » de Causeur, on dira que nous avons eu du nez.
Ces influenceurs de luxe sont (avec quelques autres qui nous pardonneront) les plus brillants éléments d’une nouvelle génération de journalistes de combat qui a entendu le message du président Jésus, comme dit l’ami Basile de Koch – n’ayez pas peur ! Ils ne cachent pas leur drapeau : ils sont journalistes et ils sont de droite – alliage longtemps tenu pour un oxymore. « C’est l’une des grandes nouveautés de l’époque, analyse Bastié. Les gens de droite votaient mais ils avaient déserté le champ idéologique. Les enfants de bonne famille optaient pour le business. Avec la Manif pour tous, ils ont découvert le militantisme et le combat culturel. Aujourd’hui, ils se tournent massivement vers les métiers de la transmission, l’enseignement, le journalisme, la culture, qu’ils avaient abandonnés à la gauche. »
Leurs détracteurs – qui confondent naturellement leurs propres opinions avec la vérité – leur dénient la qualité de journaliste (comme si c’était un pompon qu’on s’arrache). Pour notre commando, le journalisme est à la fois un outil pour interpréter le monde et une arme pour le transformer. « Il n’y a pas de contradiction entre éditorial et factuel, au contraire, observe Charlotte d’Ornellas. Comme journaliste, je parle de réalités que les autres médias taisent ou travestissent. Et ces réalités nourrissent ma vision du monde. » Penser librement, indépendamment de ses propres croyances et convictions, c’est ce que nombre de journalistes-de-gauche, confits dans leur bonne conscience, ont été incapables de faire, entraînant une grande partie de la corporation dans la médiocrité. Pour Bastié, le journalisme se situe à un « point d’équilibre entre l’exercice d’un pouvoir intellectuel et la recherche de la vérité » : « Je refuse de m’enfermer dans un couloir idéologique. Et je ne pourrais pas militer : répéter des éléments de langage ou approuver le chef, très peu pour moi ! »
38 ans, née à Orléans Institut de philosophie comparée à Paris Rédactrice en chef du service société au Journal du dimanche
Votre révélation politique : Je n’ai pas vraiment eu de « révélation » en la matière. Plutôt une évidence, celle de défendre ce que je suis et ce que je pense ! La seule chose qui m’insupporte, c’est le procès d’intention, en dehors de toute réalité de ce qui est réellement dit ou pensé.
Votre personnage favori dans l’histoire de France :Sans surprise… Jeanne d’Arc.
Votre conseil de lecture pour l’été : Il y a des dizaines de livres que je recommanderais, je ne sais jamais répondre à cette question, c’est tellement personnel. En écoutant récemment Franz-Olivier Giesbert parler des Croquis de mémoire (La Table ronde) de Jean Cau, j’ai eu envie de le lire. Ce que je suis en train de faire… et vous pouvez y aller !
Votre plan B si vous n’aviez pas été journaliste (ou quand vous ne le serez plus) : Institutrice ! J’ai toujours voulu être institutrice, puis professeur, parce que j’ai toujours trouvé que ce métier était à la fois l’un des plus importants et des plus beaux. Je le pense toujours d’ailleurs, mais un conseiller d’orientation m’a recommandé le journalisme… Métier que j’ai rapidement aimé pratiquer. C’est une manière de servir aussi mon pays, comme il en existe des milliers d’autres.
La meilleure émission sur le service public audiovisuel selon vous : Les reportages d’Arte, sans hésitation !
Cette troupe baroque représente toutes les nuances de droite culturelle, allant de « réac » assumé à conservateur, avec une dose variable de catholicisme, de libéralisme et de populisme. Eugénie Bastié s’est un brin assagie avec les années : « Dans ma jeunesse, je vomissais les tièdes, je ne lisais que Bloy, Dostoïevski ou Bernanos. Ensuite, j’ai découvert Tocqueville, Montesquieu. On peut dire que, de réac, je suis devenue conservatrice. » Foin de ces chichis et distinctions oiseuses, sans surprise, tous sont attaqués par les mêmes adversaires avec le même mot – extrême droite. Ils sont la preuve qu’il a perdu son pouvoir radioactif, un tour en ville avec n’importe lequel, en particulier avec les deux filles de la troupe, permet de mesurer leur popularité. On dira que c’est l’effet CNews, puisque tous (comme ma pomme) officient sur la chaîne bolloréenne. Cependant, seul Gauthier Le Bret, le benjamin et le moins « idéologue », est un pur produit de la maison Canal – où, sur les plateaux de Praud et Hanouna il s’est révélé être une véritable bête de scène. Dans son collège catho, il aimait amuser la galerie et choquer le curé – à l’un d’eux qui, furieux contre le mariage pour tous, se demandait pourquoi ne pas épouser sa maison tant qu’on y est, le coquin a répondu : « Ce serait chouette, comme ça on aurait un rapport sexuel à chaque fois qu’on rentre chez soi. » Le lendemain de son bac, ce fils d’eurocrate embrasse sa copine (aujourd’hui son épouse), saute dans un Thalys et ciao Bruxelles ! Formé par le cours Florent et sa fréquentation assidue des théâtres et cinémas, le futur « petit scarabée » (surnom que lui a donné Praud) se frotte au journalisme comme stagiaire de Sonia Mabrouk tout en jouant avec Les Gavroches chapeautés, la compagnie qu’il a créée avec des copains de la Sorbonne. La pièce s’intitule, ça ne s’invente pas, Nous sommes ici pour changer le monde.
29 ans, né à Clamart Sorbonne, Centre de formation et de perfectionnement des journalistes, Cours Florent Journaliste politique à CNews
Votre révélation politique : La campagne de 2007 et l’élection de Nicolas Sarkozy.
Votre personnage favori dans l’histoire de France : Napoléon.
Votre rêve d’interview : Macron évidemment, mais Trump aussi.
Votre conseil de lecture pour l’été :Histoire intime de Ve République (Gallimard), la trilogie de Franz-Olivier Giesbert, et son dernier, le si bien nommé Tragédie française.
Votre héros dans la fiction : OSS 117 dans la version de Michel Hazanavicius. Notamment quand il dit :« Une dictature, comme vous y allez. Vous êtes bien gentille Dolorès, mais épargnez-moi vos analyses politiques. Savez-vous au moins ce qu’est une dictature Dolorès ? Une dictature c’est quand les gens sont communistes, déjà. Qu’ils ont froid, avec des chapeaux gris et des chaussures à fermeture éclair. C’est ça, une dictature, Dolorès. »
Votre plan B si vous n’aviez pas été journaliste (ou quand vous ne le serez plus) : Comédien.
Votre leader de gauche préféré : Je peux me repasser en boucle Georges Marchais avec Duhamel et Elkabbach, et les entretiens de François Mitterrand. L’intelligence, le verbe, c’était autre chose que la Nupes.
La meilleure émission sur le service public audiovisuel selon vous : Rien n’a jamais égalé « On n’est pas couché » de Laurent Ruquier sur France 2.
Les autres comptent déjà quelques faits d’armes et blessures de guerre quand ils arrivent (en ordre dispersé) à CNews. Ils ont lu Michéa, Guilluy et Houellebecq, se sont croisés dans les cercles souverainistes, catholiques ou identitaires où fermentaient les prémices de l’union des droites, sur les pavés de la Manif pour tous ou encore dans les pages de Valeurs actuelles ou Causeur. Nés entre 1984 et 1995, ils n’ont connu ni Mitterrand ni le communisme mais ferraillent volontiers contre l’héritage de l’un comme de l’autre. Leur génération devait être celle de la mondialisation heureuse et de la fin de l’Histoire ; ils ont été les contemporains de la montée de l’islamisme et des Territoires perdus, des émeutes de banlieue, de la désindustrialisation et de la prolétarisation afférente des classes moyennes. Sans oublier la tripartition socio-territoriale de la France entre les centres-villes, les banlieues et la France périphérique, qui s’est opérée pendant leur adolescence.
32 ans, née à Toulouse Institut d’études politiques de Paris Rédactrice en chef adjointe au Figaro
Votre révélation politique : La rencontre avec le sectarisme idéologique de la gauche lors de mes études à Sciences-Po.
Votre personnage favori dans l’histoire de France : La duchesse de Berry, jeune femme fantasque, princesse moderne et scandaleuse, furieusement ultra et contre-révolutionnaire.
Votre meilleur souvenir audiovisuel : Ma première télé à « Ce soir ou jamais », de Frédéric Taddeï sur France 2, avec Jacques Attali qui, à la fin hors antenne, m’a lancé que j’étais Zemmour, en pire. Ça m’a fait rire.
Votre rêve d’interview : La romancière J. K. Rowling.
Votre conseil de lecture pour l’été :Fortune de France (Le Livre de poche) de Robert Merle, une saga historique formidable où on suit une famille aristocratique protestante pendant les guerres de religion. Génial !
Votre héros dans la fiction : Cyrano de Bergerac.
Votre plan B si vous n’aviez pas été journaliste (ou quand vous ne le serez plus) : Présidente de la République.
Votre leader de gauche préféré : Henri IV.
La meilleure émission sur le service public audiovisuel selon vous : « Répliques » d’Alain Finkielkraut sur France Culture, évidemment !
Plusieurs ont vécu la même expérience fondatrice, celle de l’isolement, parfois de la dissimulation. « Sciences-Po, pour une étudiante venant d’un milieu catho de droite et provincial, c’était des portes fermées, raconte Bastié. La bourgeoisie catholique m’ennuyait. Pour les étudiants de gauche ou d’extrême gauche, j’étais une martienne. Quand j’ai commencé à écrire dans Causeur, beaucoup m’ont tourné le dos. Cependant, on pouvait encore dialoguer. Depuis, c’est devenu presque impossible. Quand on parle de sujets identitaires, c’est difficile de raccrocher ses idées au vestiaire et d’aller boire un coup. » Charlotte d’Ornellas, elle, a débarqué d’Orléans pour étudier la philo, avec l’intention de devenir institutrice et des rêves de Jeanne d’Arc plein la tête – chez elle on vénérait la Pucelle. « Être à contre-courant, ça m’a fait grandir. Et ça forge le caractère. » D’Ornellas est une pure, c’est pour ça que la France CNews l’adore. Elle aussi est prête à croiser le fer pour sauver la France. Plus âgé et plus anar, un chouia punk, Arthur de Watrigant est entré en politique en 2006, lors des grèves contre le CPE. « Je séchais les cours à la Catho pour aller débloquer la Sorbonne ! » Dix ans après, il s’engage avec Charles Millon dans la campagne de François Fillon. Tous ont cru que le Sarthois enrayerait la spirale du déclin avant d’assister, révoltés, à la curée de campagne qui (en plus de ses erreurs notables) a causé sa perte. Épris de grandeur, ils ne se résolvent pas à voir leur pays devenir un hall d’aéroport, une nation MacDo où on vient comme on est.
40 ans Né à Paris 14 e , vit à Paris 14 e et mourra à Paris 14 e Bac Directeur de la rédaction de L’Incorrect
Votre révélation politique : Le mouvement contre le CPE en 2006. Je séchais ma première année de fac d’histoire (que je n’ai jamais validée), mon université n’était pas bloquée, mais je manifestais contre les blocages à la Sorbonne. Première rencontre avec les gauchistes et leur amour de la démocratie dans les AG. Mais la révélation s’est confirmée avec les Manifs pour tous en 2013. La naissance de beaucoup de vocations, il me semble.
Votre personnage favori dans l’histoire de France : François Athanase Charette de La Contrie, le plus punk des Vendéens qui savait fêter les victoires. Notre ami Romaric Sangars m’a rapporté cette citation, probablement apocryphe, mais merveilleuse : « La joie était dans notre camp. »
Votre rêve d’interview : Fellini, mais comme il est mort ça sera avec son fils spirituel, l’immense Sorrentino.
Votre conseil de lecture pour l’été : Après une telle année, il nous faut rire. Donc Richard Millet et ses Nouveaux lieux communs (La Nouvelle Librairie), d’une cruauté jouissive ; et La fête est finie d’Olivier Maulin (Denoël), le roman le plus drôle de toute la galaxie. Et puis on ajoutera En arrivant au Paradis (Le Cerf) de Richard de Seze qui, enfin, donne envie d’y aller.
Votre héros dans la fiction : Cyrano, parce que c’est un Gascon et que la Gascogne est l’âme de la France.
Votre plan B si vous n’aviez pas été journaliste (ou quand vous ne le serez plus) : Bistrotier.
Votre leader de gauche préféré : Xavier Bertrand. Une telle persévérance dans la lutte contre le fascisme est admirable.
La meilleure émission sur le service public audiovisuel selon vous : Le Tournoi des six nations en février, et le Tour de France en juillet.
Une autre figure tutélaire a marqué leur jeunesse. Ils ne se connaissaient pas, mais ils ont tous vu la même vierge et elle s’appelait Éric Zemmour. C’est en le voyant exécuter ses adversaires sur le plateau de Laurent Ruquier qu’ils ont aimé l’odeur de la poudre. Le Bret se passait en boucle ses morceaux de bravoure. Aujourd’hui, il se rêve en Ruquier de droite. « La première fois que j’ai vu Zemmour à “On n’est pas couchés”, ça a été une véritable épiphanie, s’amuse Bastié. Quelqu’un pouvait dire tout haut à la télé des choses qu’on murmurait en rasant les murs. » C’est l’époque où des journalistes affolés découvrent que des « néo-réacs noyautent les médias ». Ces hérétiques (dont votre servante) sont moins d’une dizaine, mais c’est déjà trop. Zemmour est l’homme à abattre. Eux le lisent avec passion, se nourrissant de son amour et de son inquiétude pour la France. Lejeune publie une fiction racontant sa candidature présidentielle –à la fin, me semble-t-il, il gagne. Depuis, sur fond de zizanies politiques, les liens se sont distendus. Devenir adulte, c’est aussi se libérer de ses mentors. N’empêche, Zemmour leur a donné le courage de sortir du placard. Sans lui, ils n’en seraient pas là.
Reste à espérer que les petits cochons de la politique ne les mangeront pas. Ils ne s’en cachent pas, ils observent avec sympathie la possible arrivée aux manettes d’un pouvoir plus proche de leurs aspirations que tous ceux qu’ils ont connus. « Le RN n’est pas un parti conservateur, mais il a chez eux plus de conservateurs qu’ailleurs, admet Watrigant. Et dans ces périodes, tout le monde devient un peu binaire, y compris chez nous. Mais L’Incorrect ne sera pas le journal de Bardella ni de quiconque. Je n’ai pas l’esprit militant. » Après des années de marginalité politico-idéologique, il n’est pas si facile de résister à la tentation de la bonne conscience. Elle a fait son œuvre à gauche où on appelle « intellectuel » ou « journaliste » un épurateur déguisé en dame patronnesse. Le seul moyen d’empêcher que le conformisme de droite remplace le conformisme de gauche, c’est l’adversité, le débat à la loyale. Argument contre argument. Seulement, pour la bagarre, il faut être deux. Aujourd’hui Charlotte, Alexandre, Gauthier et les autres n’ont pas d’équivalent sur l’autre rive. Et, s’il me faut leur faire un reproche, c’est de ne pas défendre assez la liberté de leurs adversaires, la preuve par l’affaire Meurice.
37 ans Né à Enghien-les-Bains Master d’histoire, Centre de formation des journalistes Rédacteur en chef au Figaro
Votre révélation politique : Le référendum de 2005. La première fois que je votais. Le clivage autour de la question du souverainisme me semble toujours autant d’actualité.
Votre personnage historique préféré : Danton. Nous vivons une période révolutionnaire. Dans le sens où il y a une crise de régime et probablement un changement d’ère. Nous sommes en 1788-1789. Reste à savoir si nous pourrons éviter 1793. Et puis Danton au cinéma, c’est Depardieu !
Votre meilleur souvenir audiovisuel : Le grand entretien que j’ai tourné avec Alain Finkielkraut pour la nouvelle série d’émissions sur la vie des idées que je proposerai à la rentrée sur Canal + : « Itinéraire d’une pensée ».
Votre rêve d’interview : Clint Eastwood. Son cinéma est populaire, peut-être même trumpiste avant l’heure. J’aimerais en discuter avec lui.
Votre conseil de lecture pour l’été : Moi, Charlotte Simmons (Pocket) de Tom Wolfe. Récit d’un « désapprentissage » dans une université américaine il y a vingt ans. D’une certaine manière, il prophétisait le wokisme. Wolfe, c’est le Balzac américain. Comme l’auteur de La Comédie humaine, il décrit puissamment son époque avec le talent d’un sociologue, mais sans tomber dans le récit sociologique. Une vraie ampleur romanesque.
Votre héros dans la fiction : Indiana Jones.
Votre plan B si vous n’aviez pas été journaliste (ou quand vous ne le serez plus) : Réalisateur de films.
Votre leader de gauche préféré : Jean-Pierre Chevènement.
La meilleure émission sur le service public audiovisuel selon vous : J’adorais « Tout le monde en parle » de Thierry Ardisson sur France 2. On ne pourrait plus faire une émission comme ça maintenant.
En 1794, peu avant sa mort, Camille Desmoulins, le père du journalisme de gauche, écrivait dans Le Vieux Cordelier : « La liberté de la presse seule nous a menés, comme par la main, et a renversé une monarchie de quinze siècles, presque sans effusion de sang. » Qui, aujourd’hui, pour s’inspirer de lui dans le camp du progrès ? Pour remiser le mégaphone braillard, la banderole haineuse, le keffieh ambigu ? Qui, pour préférer les livres et la plume aux slogans antifa et aux chasses en meute ? La « génération réac » a produit des journalistes de haute tenue, on attend encore ceux de la « génération woke » (catégories établies par Devecchio dans Les Nouveaux Enfants du siècle). Au pays de Desmoulins, les âmes progressistes sont hélas devenues des moulins à prières. On attend qu’une alternative intellectuelle naisse du champ de ruines qu’est la gauche, dynamitée par les assauts répétés du réel. De sorte que nos jeunes amis puissent toujours, comme le recommandait Montaigne, « frotter leur cervelle contre celle d’austruy ».
Trump a initié un nouveau nationalisme américain. J.D. Vance, son colistier et candidat à la vice-présidence, auteur à succès et jeune sénateur de l’Ohio, a montré sa capacité à lui donner corps idéologiquement en garantissant ainsi un avenir au courant «America First».
Qui se souvient des deplorables ? Pendant la campagne de 2016, Hillary Clinton avait lâché ce qualificatif méprisant à l’endroit la base électorale de Trump. Il visait les Américains moyens bouffis de ressentiments, de colère et de préjugés. Le terme a été par la suite brandi comme un étendard par les militants du candidat républicain.
Ploucs ou beaufs en France ; Deplorable, Redneck ou White trash aux États-Unis
En 2016, J.D. Vance se faisait anthropologue chez les Hillbillies, ces petits blancs américains vivant dans les Appalaches. Son ouvrage Hillbilly Elegy (2017) associait des souvenirs d’enfance à des réflexions sociologiques et politiques générales. Le témoignage était poignant : celui d’un enfant élevé dans une famille gravement dysfonctionnelle avec un père absent, une mère consommatrice d’opioïdes (médicaments antidouleur à l’origine d’une grave catastrophe sanitaire aux États-Unis) qui évolue entre cures de désintoxication et amants. Il y a un peu d’Eminem dans le parcours de l’auteur, qui aurait tout aussi bien pu devenir rappeur blanc dans les bas-fonds de la Rust Belt… Il s’en est sorti par miracle : diplômé de l’école de droit de Yale, il a aussi connu une grande carrière dans les affaires.
L’auteur ne livrait pas seulement une autobiographie mais aussi une ethnographie. Ses Hillbillies, s’ils sont bien des Etats-uniens « de souche », ne s’identifient pas à l’élite souvent d’origine anglo-saxonne des côtes Est et Ouest mais aux « millions d’Américains de la white-working-class dont les racines sont irlandaises ou écossaises ». Ils se souviennent des années 1950-1960, comme d’une parenthèse enchantée alors que la croissance industrielle et le Welfare state leur offraient des opportunités d’ascension sociale. Depuis, l’industrie lourde est partie, les hauts fourneaux ne fument plus et il reste à cette Amérique le ressentiment et la recherche de paradis artificiels ; on sait que près de 60 000 Américains meurent tous les ans d’insuffisance respiratoire provoquée par la surconsommation d’opioïdes. L’ouvrage fut bestseller et a servi de clef d’explication à l’élite cultivée américaine qui se demandait comment les États ouvriers traditionnellement démocrates ont pu offrir à Trump sa victoire surprise en 2016.
J.D. Vance a 39 ans et la rapidité de son ascension impressionne. Délaissant la plume et sa carrière dans les affaires, il se fait élire en 2022 sénateur de l’Ohio. Il n’a pas deux ans d’expérience politique dans les pattes et figure aujourd’hui sur le ticket présidentiel avec de sérieuses chances de devenir vice-président des États-Unis. Seul Barack Obama, élu sénateur en 2004 et président des États-Unis en 2008 a connu une ascension aussi rapide. « Après l’attentat manqué et l’élan de sympathie que cela a généré, Trump avait toute latitude pour choisir son vice-président » assure Nicolas Conquer, porte-parole des Republicans overseas France, organisation qui regroupe les citoyens américains expatriés en France, et ancien candidat LR-RN dans la Manche pour les législatives. Galvanisé par son statut de ressuscité après l’attentat auquel il a survécu, Trump pouvait faire un choix du cœur.
Pourquoi ce choix ? Après tout, J.D. Vance n’a rejoint que récemment son écurie. S’il était soutenu en 2022 par l’ancien président pour les primaires républicaines de l’Ohio (notre photo ci-dessus), M. Vance se positionnait en 2016 comme « Never Trump », ces Républicains viscéralement hostiles au magnat de l’immobilier. Cette conversion est-elle seulement opportuniste ? « Il a eu des doutes. Il a su reconnaitre à Trump ses qualités de président. Pour le reste, les deux hommes sont très proches idéologiquement. Il est même sur une ligne moins modérée en matière de politique internationale », explique M. Conquer. J.D. Vance n’a jamais caché son hostilité aux livraisons d’armes à l’Ukraine, comme son souhait de voir l’Amérique retirer ses bases militaires de certaines parties du monde. Pour Nicolas Conquer, cette position est plus acceptable qu’il n’y parait aux États-Unis : « Aucun candidat à l’élection présidentielle, même parmi les démocrates ou les néo-conservateurs, ne se risquerait à faire campagne sur l’interventionnisme. Les Républicains se sont nettement convertis à l’isolationnisme et à la ligne America First. Ils veulent une Amérique forte capable de rayonner dans le monde sans être son gendarme ». J.D. Vance rappelle souvent combien la guerre en Irak a traumatisé l’Amérique profonde.
L’évolution du rôle des États-Unis dans le monde
J.D. Vance ne se contente pas de dénoncer la politique étrangère des prédécesseurs de Trump. Il élabore aussi de discours en discours un nationalisme américain en rupture avec l’universalisme traditionnel des élites politiques de son pays. Depuis Wilson et Roosevelt, jusqu’à Bush et Obama, les dirigeants américains avaient l’habitude de justifier leurs interventions militaires par la vocation missionnaire des Etats-Unis. L’Amérique ne se battrait pas seulement pour des territoires ou des intérêts, mais pour des idées. Elle défendrait sa conception de la liberté et offrirait au monde entier les droits garantis par sa Constitution. Dans cette perspective, l’Amérique n’admet pas de frontières : sa promesse vaut pour tous les hommes. « Oui l’Amérique est une idée. Elle a en effet porté de belles idées dès la fondation de notre pays » concédait M. Vance dans un discours devant un think thank conservateur ce mois-ci[1]. Mais selon lui, l’Amérique c’est aussi autre chose : « L’Amérique est une nation: c’est un groupe de personnes avec une histoire commune et un futur commun ». L’Amérique n’est pas seulement un projet proposé à tous les hommes sur terre mais aussi une nation avec un dedans et un dehors, des frontières, un point sur la carte possédant une culture, une langue et un folklore spécifique.
Trump ne disait pas autre chose avec son programme articulé autour de l’America First. Vance se distingue par sa clarté idéologique et sa capacité à incarner cette position dans le champ intellectuel. Dans son discours à la convention républicaine, il n’a pas loupé l’indispensable séquence émotion et a raconté son Amérique, évoquant sa grand-mère qui possédait 18 armes à domicile, saluant avec émotion les dix ans de sobriété de sa mère enfin revenue de sa dépendance médicamenteuse. Qu’est-ce qu’être Américain, pour M. Vance ? Il l’a dit peu après lors de la convention :« Dans leur ossature, les Américains savent que l’Amérique est leur maison (…) Ils ne se battront pas pour des abstractions mais ils se battront pour leur demeure ».
« On avait tous une interrogation. Comment ce mouvement MAGA, America first, allait-il évoluer après Donald Trump ? Or, des personnalités hors normes sont sorties du bois » se réjouit Nicolas Conquer. En propulsant J.D. Vance à la vice-présidence, un poste stratégique – à l’instar du président du Sénat en France, le vice-président américain est le successeur désigné en cas de décès du président ; et on le sait, la balle n’est pas passée loin ce samedi 13 juillet -, Donald Trump garantit en effet son héritage politique et assure l’avenir d’un nationalisme américain dont il aura été le premier promoteur. « On ne pourrait pas trouver de duo plus opposé et en même temps plus complémentaire. D’un côté on a quelque chose de tripal avec Trump ; de l’autre quelqu’un de plus cérébral et réfléchi », observe Nicolas Conquer. D’un côté l’intellectuel, de l’autre la bête de scène. Depuis 2015, l’ancien président a réussi à imposer ses thèmes par sa présence scénique, sa personnalité hors normes et son génie de la transgression. C’est sa force, mais aussi sa faiblesse : le trumpisme touche les masses mais est encore regardé et décrié par l’élite américaine comme une fièvre populiste sans cohérence intellectuelle. J.D. Vance saura-t-il donner corps à une vraie doctrine, et apporter la légitimité idéologique qui peut-être manquait à Donald Trump ?
Notre chroniqueur ouvre ses boîtes à souvenirs durant tout l’été. Livre, film, pièce de théâtre, BD, disque, objet, il nous fait partager ses coups de cœur « dissidents ». Pour ce dimanche, il a choisi de nous parler, au-delà des auteurs, de collections disparues qui ont déclenché chez lui l’envie de lire grâce à leur couverture, leur maquette, leur papier, ou tout simplement le soin apporté à leur fabrication. De 1000 Soleils à L’instant romanesque, le livre savait se mettre sur son « 31 »
Lire, c’est d’abord voir et ensuite toucher. N’en déplaise aux écrivains qui s’imaginent irrésistibles à l’écrit, ils seraient étonnés d’apprendre, qu’avant de se délecter de leur prose, le lecteur a consenti à acheter leur roman ou leur essai pour des raisons extra-littéraires. On est, avant tout, attiré par une couverture, une illustration, une conception graphique particulière, un grammage, une texture, une qualité de peau en somme, rarement pour le résumé de la quatrième. Après, bien plus tard, des années même après cet élan primaire, on lira l’ouvrage tant désiré ou pas. Un livre doit avoir une bonne gueule, une bonne main, des couleurs qui correspondent à notre propre arc-en-ciel pour nous alpaguer dans la jungle touffue des librairies. Le contenu est presque anecdotique. Il n’est pas déshonorant d’acquérir des livres uniquement pour leur aspect visuel ou leur singularité esthétique. Les bibliophiles apprécient autant l’objet que le phrasé. Le collectionneur est un papivore, un animal qui boulotte du papier, sous toutes ses formes. Certaines collections ont marqué l’imaginaire des enfants, si j’ai été longtemps sensible à la fantasia des Folio Junior, je leur dois mes premiers émois, c’est à l’âge adulte que je me suis mis à recueillir compulsivement toute la dynastie des « 1000 soleils », collection imaginée par Gallimard Jeunesse afin de sensibiliser le jeune public aux chefs-d’œuvre. Tous ces grands classiques qui indiffèrent ou intimident sont au nombre de 156. « 1000 soleils » jouait à l’entremetteur en usant de vieilles ficelles : des couvertures colorées à vocation cinématographique et une certaine tension dramatique. L’illustration était la porte d’entrée de l’écrit. De Tolkien à Cyrano, de Croc-blanc à La gloire de mon père, de Melville à Gide, ils étaient tous là : Dhôtel, Bradbury, Kipling, Giono, Mac Orlan, Hugo, Roald Dahl et même Homère. Parmi les 156, j’ai mon préféré Le fauteuil hanté de Gaston Leroux paru en 1979, terrifiant avec cette tête de mort surmontée d’un bicorne en forme de coupole. À la fin de ce roman, le jeune lecteur avait droit à quelques informations sur le rôle de l’Académie, son fondateur Richelieu, quelques points du règlement et Alain Decaux racontait en deux pages son arrivée, insistant sur la courtoisie de la compagnie. « L’Académie ne recherche aucune hérédité, aucune ressemblance dans les successions de siège. Ainsi, je suis l’exemple type de cette volonté : je suis un autodidacte, je n’ai ni diplôme, ni agrégation, ni doctorat » écrivait-il. Parfois, on est possédé par la géométrie des années 1970, les lignes stylisées à la Vasarely, le losange Renault de ces années-là m’a toujours plu pour sa simplicité et son éclat. Julliard a lancé la collection « Idée Fixe » dirigée par Jacques Chancel en inaugurant un format tout en longueur et une palette allant du vert fluo au mauve psychédélique. On y trouvait de solides francs-tireurs, des populistes et des précieux, Audiard, Sternberg, Forlani, Nucera, etc… L’objectif avancé était de donner « l’occasion à tous les écrivains d’énoncer sans détour le secret dont ils ont nourri jusqu’ici sournoisement leurs livres ». Le plus fascinant d’entre eux fut signé par André Hardellet, il s’intitule Donnez-moi le temps et est sorti en 1973. Hardellet nous révèle l’endroit où il a attrapé le virus de l’écriture dans « ces minutes d’enfance », du côté du jardin de Vincennes. Étudiant, j’étais fier d’exposer sur un rayonnage de ma bibliothèque, une vingtaine d’exemplaires de la collection « Le Promeneur » domiciliée chez Gallimard à partir de 1991 et dirigée par Patrick Mauriès. Depuis, au fil des années, j’ai acheté presque la totalité des 174 ouvrages, il m’en manque une quinzaine. Sans « Le Promeneur », je n’aurais pas eu accès aux écrivains italiens qui sont d’essentiels compagnons de route. Je n’aurais pas connu Soldati, Flaiano, Manganelli, Arbasino ou Consolo. Je me vois encore acheter Le père des orphelins en 1999, ne pouvant résister au dessin de Pierre Le-Tan et dépensant la somme élevée de 90 francs à l’époque pour ce livre d’une centaine de pages. Enfin, je demeure un inconditionnel de la collection « L’instant romanesque » portée par Brigitte Massot qui avait pour leitmotiv : « Ici, ils (les écrivains) prennent un savoureux plaisir à s’exprimer sur un sujet n’exigeant pas un long parcours ». Jean Freustié, René de Obaldia, Grainville ou Vitoux y donnèrent quelques textes. Je place deux d’entre eux au sommet de la pyramide littéraire, il s’agit de La nuit myope d’A.D.G et de Pierrot des solitudes de Pierre Kyria.
Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique, Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses idées. «J’aime qu’on me contredise!» pourrait être sa devise.
C’était il y a une dizaine d’années. J’étais allé soutenir les salariées d’une maison de retraite, mobilisées pour de meilleures conditions de travail et une revalorisation des salaires. En échangeant avec moi, l’une d’entre elles s’est soudainement arrêtée de raconter son quotidien. Plus la force. Sa dernière phrase, noyée dans des larmes, s’était achevée par un constat dont je conserve encore aujourd’hui le souvenir précis : « Je pousse un cri mais dans le vide, je n’intéresse personne. » Avant cela, elle m’avait dit : « La toilette des résidents c’est tête/cul en cinq minutes, on n’a même plus le temps d’un échange humain. À force d’être maltraitée, on en devient maltraitante. » On ne dira jamais assez combien le développement d’une société se juge à la situation faite aux plus vulnérables.
À l’heure où ces lignes sont écrites, au lendemain du premier tour des législatives, c’est en très grande partie ce cri qui s’est fait entendre. Il vient de loin, bien avant ces dix dernières années. Il a fait irruption dans notre vie politique et sociale, mais n’avait jamais disparu des âmes humaines ; des bides et des entrailles. Des vies sans répit. Des vies sans les petits bonheurs de l’existence et de l’insouciance d’autrefois. Un resto avec les enfants, un cinéma, quelques jours de vacances… Un lâcher-prise sans avoir la crainte de la prochaine facture de gaz et d’électricité, ou celle de la voiture qui ne démarre pas au petit matin. Et cette diablerie de Parcoursup qui a changé la joie de réussir son bac en angoisse de l’inscription.
Le déclassement et le mépris
Plus encore, ce cri n’est pas la seule traduction d’une vie matérielle de plus en plus rabougrie, mais l’expérience concrète d’un déclassement. Non pas d’un « sentiment », mais bel et bien d’un toboggan sans la possibilité de s’accrocher afin d’éviter la chute. Ne plus être considéré et même être méprisé pour ne pas vivre au bon endroit, pour ne pas avoir bien voté lors de la dernière élection, pour ne pas regarder le bon programme télé. En ce domaine, le macronisme a été le terminus d’un long processus d’un nouveau mépris de classe, avec une violence extrême pour la dignité humaine, quand une trop grande partie de la gauche a regardé ailleurs.
Je suis d’une gauche qui, avec Ariane Mnouchkine, a dit : « Quand les gens disaient ce qu’ils voyaient, on leur disait qu’ils se trompaient, qu’ils ne voyaient pas ce qu’ils voyaient. Ce n’était qu’un sentiment trompeur, leur disait-on. Puis, comme ils insistaient, on leur a dit qu’ils étaient des imbéciles, puis, comme ils insistaient de plus belle, on les a traités de salauds. »
Cette gauche ne doit pas se contenter de faire « barrage », car ce logiciel est définitivement en cale sèche. Un peuple a besoin d’un imaginaire à partager. Et c’est bien sur ce terrain, et sur nul autre, que nous devons échanger et nous confronter.
Vous pouvez compter sur moi. Je ne vous lâcherai pas !
Jaloux de son aîné, qu’il détestait, « le roi sans royaume ne faisait rien sans raison, ni sans calcul ». C’est sous ces traits cruels que l’historien Matthieu Mensch décrit le comte de Provence, futur monarque de la Restauration, au seuil de l’ouvrage qu’il consacre aux Femmes de Louis XVIII – c’en est le titre. À Louis XVI, le cadet de la dynastie Bourbon enviait aussi son Autrichienne, dont il pensait que lui-même l’aurait mérité davantage : « la haine de Monsieur envers son infortunée belle-sœur avait fini par devenir de notoriété publique », au point que sur le tard, il cherchera à se dédouaner. Instrumentant la mémoire de la reine martyre, il fera même construire, en 1826, une chapelle expiatoire : « Marie-Antoinette semble correspondre parfaitement à la vision cynique de Louis XVIII, pour qui les femmes n’étaient que des outils politiques ou de simples faire-valoir ». Quel garçon sympathique…
Le chapitre suivant s’attache aux pas d’Anne Nompar de Caumont-La Force, comtesse de Balbi, qui fit carrière comme dame d’atour de l’épouse de Monsieur, et bientôt favorite du prince. Vraisemblablement sans coucher, mais assurant sa fortune tout de même. Elle forme une coterie d’obligés autour du généreux comte de Provence, qui lui offre un appartement au petit Luxembourg, puis un pavillon (aujourd’hui disparu) à Versailles. La comtesse de Balbi aidera à la fuite du ménage à Bruxelles, le 20 juin 1792, plus chanceux que le couple royal. « Reine de l’émigration ? » À Coblence où la famille mène une apparence de vie de cour dans un exil luxueux, elle réussit à se faire détester du cercle étroit des émigrés. Comme dame d’atour, la voilà contrainte de suivre la comtesse de Provence à Turin, où elle s’ennuie ferme ; elle démissionne, file à Bruxelles, y tombe enceinte : Monsieur la disgracie. Elle poursuit alors sa vie mondaine à Londres, mais lorsqu’en 1802 Bonaparte décrète l’amnistie des émigrés, elle s’empresse de rentrer au pays. Restée légitimiste, la Balbi intrigue si bien que l’Empereur lui signifie d’aller voir ailleurs – en province. À la Restauration, retour à Paris. Mais Louis XVIII la tient désormais à distance : « Ombre lointaine d’un passé presque oublié, elle n’est plus la puissante maîtresse d’un prince, mais si elle ne peut plus compter sur son charme, elle conserve toujours une langue bien acérée ». À la mort du roi, sans rancune, elle encadre ses bristols d’un liséré noir. Quand le dernier survivant de la fratrie Bourbon, Charles X, s’exile à son tour en 1830, le monarque déchu refuse de la pensionner, et Louis-Philippe, le cousin Orléans proclamé « Roi des Français » « refuse de prolonger cette dépense inutile ». La comtesse se replie dans son appartement versaillais ; elle y meurt à plus de 80 ans. « Jaloux en amitié mais ignorant jusqu’alors tout des peines du cœur, Louis découvrit avec la Balbi la douleur d’être bafoué et humilié aux yeux des autres, nouvelle expérience fondatrice dans sa conception du pouvoir royal, qu’il voulait intangible et immuable, non pas au-dessus, mais à l’abri des faiblesses humaines », conclut Matthieu Mensch.
Il y a quelques années, Romain Guérin a publié son roman Le journal d’Anne-France, lequel a été qualifié de chef-d’œuvre par Jean Raspail en personne. Voilà qui vous pose un décor…
Il revient aujourd’hui avec Le Grand soulèvement, que je viens de lire deux fois tant il m’a été difficile, à l’issue de la première lecture, de me dire qu’elle était terminée. J’en voulais encore, je voulais rester dans ce livre et m’offrir encore la compagnie de ses personnages attachants, me maintenir dans le rythme de leurs aventures et goûter encore au charme des décors, des dialogues et des idées géniales dont l’intrigue regorge jusqu’à l’explosion finale qui vous fiche des étoiles dans les yeux et vous ébouillante le sang dans les veines.
Si la littérature n’était qu’un objet de divertissement, si elle ne prêtait à rien d’autre qu’au seul plaisir de passer un excellent moment, ce roman remplirait amplement ces critères grâce à son intrigue ingénieuse, ses choix narratifs exigeants et brillamment maitrisés et grâce à tout ce qui fait du Grand soulèvement une œuvre originale, ambitieuse, généreuse et inspirante. Mais voilà, la littérature n’est pas que cela : elle est aussi ce qui nous donne à réfléchir et à méditer. Là encore, Le Grand soulèvement répond présent.
L’histoire commence au milieu des années 70, en France, quelque part dans un coin de la Bretagne d’où va partir à la hâte, en direction du Vatican, un jeune prêtre paniqué. La République vient de légaliser l’avortement et le jeune religieux plein de bonne volonté mais ne sachant comment absorber seul cette nouveauté qui menace la vie, répond à son premier mouvement qui est de s’en ouvrir directement au pape. Sur place, les surprises s’enchaînent et ce qu’il entend dire par le pape en qui il plaçait tant d’espoir le désole et ruine sa foi dans l’Église. Au lieu d’une solution à ses tourments, il trouve les premiers enchevêtrements d’un labyrinthe qui mettra sur sa route le sombre, énigmatique et effrayant Vidar, prince de Mortemine, ombre humaine qui paraît être tout à la fois un proche du pape et son pire ennemi. Que se passe-t-il dans les coulisses du Vatican et pourquoi tout ce qui fait irruption sur la route du jeune abbé Korrigan paraît obéir à un schéma organisé, préparé, sur lequel pourtant il n’a aucune prise ?
Les événements s’enchaînent sans que l’on sache s’ils sont poussés uniquement par le hasard ou si une force supérieure en commande les étapes. Le lecteur est laissé dans cette ambiguïté permanente qui l’empêche de savoir s’il tient dans ses mains un livre politique ou un livre de pure science-fiction. L’auteur, au sommet de son art, joue continuellement à mêler les registres et s’assure ainsi de garder son lecteur dans une attente qui rend impossible l’interruption de sa lecture. Pour avoir lu les précédentes œuvres de Romain Guérin, je n’ai pas été étonné de le savoir capable d’une telle prouesse narrative, pour autant je dois reconnaître que sa dernière livraison place la barre très haut et que pour se maintenir au niveau auquel il a lui-même placé son œuvre, il va devoir se surpasser. Ce qu’il fera, à n’en pas douter.
Sur le charme proprement stylistique du roman : nous sommes plongés au cœur d’une intrigue dont les différentes facettes semblent à la fois se rejoindre continuellement tout en s’excluant dans le même temps ; les lecteurs de Barjavel apprécieront de se retrouver plongés dans ce type d’univers stimulant où les apports de chaque nouveau chapitre nous imposent de reconsidérer complètement les certitudes que l’on croyait pouvoir dégager au chapitre précédent. J’ai dit Barjavel ? Pour les raisons évoquées à l’instant je dis aussi : Arsène Lupin ! Le personnage principal, bientôt rejoint par un autre, devant des faits qui mettent leur curiosité au défi, se lancent dans une enquête aventureuse qui rappelle effectivement les méandres lupiniennes. Lancés sur les grands chemins, ils enchaînent les rencontres qui toutes prennent leur sens au moment du grand dévoilement final. Quant à la dimension religieuse et même mystique qui invite le mystère à la fête, comment ne pas y sentir l’encre du Jean Raspail de L’anneau du pêcheur ?
Causeur. À peine entrée au Parlement européen, vous vous êtes opposée à la reconduite d’Ursula von der Leyen à la tête de la Commission européenne, pour cinq ans… Quelle position avez-vous défendue avant-hier ?
Sarah Knafo. J’ai évidemment voté contre la réélection de Madame von der Leyen. Avant le vote, j’ai pris la parole dans l’hémicycle pour tenter de convaincre les autres députés et pour dire à Mme von der Leyen, les yeux dans les yeux – car elle était à un mètre de moi –, ce que les Français pensent d’elle, en particulier les 1,3 million d’entre eux qui ont voté pour Reconquête le 9 juin.
En réalité, il ne s’agissait pas de l’élection d’une femme, mais d’un référendum. Un référendum pour ou contre la tyrannie bruxelloise, pour ou contre l’immigration qu’elle fait entrer en Europe, pour ou contre le déclassement de notre économie. Il faut savoir que pour la Présidence de la Commission, c’est le Conseil -c’est-à-dire les chefs des États membres- qui propose un candidat, ici von der Leyen, puis le Parlement a le pouvoir de le refuser ou de l’accepter. Mes collègues députés auraient pu utiliser ce pouvoir. Ils ne l’ont pas fait. Ils ont reconduit pour cinq ans une régnante extraordinairement impopulaire, et pas seulement en France ! Comme trop souvent à Bruxelles, les peuples ont été priés de se taire.
À Ursula von der Leyen, je demande : que vous ont fait les Européens pour que vous les traitiez avec tant de mépris ? pic.twitter.com/8t3DBSZs8O
La bataille commence. J’entends représenter pendant cinq ans les Français qui veulent s’opposer à Mme von der Leyen. Je ne serai pas la seule. Nous sommes désormais très nombreux dans l’hémicycle à porter les idées patriotes.
Vous avez pris la vice-présidence du groupe « Europe des Nations souveraines » (ESN), décrit par la presse comme « d’extrême droite » au Parlement et dominé par les Allemands de l’AFD.
Je suis heureuse d’avoir été élue vice-présidente du nouveau groupe l’Europe des Nations Souveraines, par les députés des neuf nationalités qui le composent. Comme vous l’avez vu, notre arrivée en force au Parlement européen n’a pas vraiment plu aux journalistes, qui mettent les trois groupes souverainistes du Parlement européen (mon nouveau groupe Europe des Nations souveraines, Les Patriotes de MM. Orban et Bardella, et le groupe ECR de Madame Meloni) dans le même panier d’« extrême droite ». Ces étiquettes me paraissent désuètes. Je ne m’y suis jamais reconnue. Je suis d’une droite « normale », qui défend les aspirations normales de gens normaux.
J’espère surtout qu’à nous trois, avec ESN, Les Patriotes et ECR, nous serons assez nombreux pour travailler ensemble et peser, chaque fois que l’intérêt de nos peuples l’exigera. En tout cas, je ferai tout pour que la voix de Reconquête soit entendue dans cet hémicycle. J’y veillerai avec mon travail et avec ma liberté de vote. Je suis une femme indépendante, qui vient d’un pays indépendant, la France, et d’un parti qui tient à son indépendance, Reconquête !
Sur quels sujets comptez-vous vous investir au Parlement européen ?
J’ai choisi de travailler sur l’industrie, les nouvelles technologies, la recherche et l’énergie au sein de la commission ITRE. L’une des grandes leçons que je tire des dernières élections législatives, c’est que la France a un besoin urgent d’une droite crédible économiquement. Emmanuel Macron, malgré son bilan, continue de passer pour la figure rassurante et compétente aux yeux de beaucoup de nos compatriotes : c’est dire à quel point la concurrence fait pâle figure ! Il nous faut travailler d’arrache-pied et Bruxelles est un excellent terrain de bataille. C’est là-bas que trop de choses se décident (80% des textes adoptés en France viennent directement de la législation de l’Union européenne) et c’est l’enceinte qui permet le travail le plus poussé en termes de technicité des dossiers.
J’ai également choisi de travailler au sein de la commission Environnement. Nous avons trop longtemps laissé cette question à la gauche : il est temps de s’en saisir. Il n’y a pas de désertion possible pour la droite sur ces sujets. Dès la semaine prochaine, je serai à Bruxelles pour les premières réunions de ces deux commissions.
Sauvegarde de la civilisation française, lutte contre le « grand remplacement »… Comment peut-on agir sur des thèmes pareils au Parlement européen, thèmes qui sont les grands combats politiques de « Reconquête » et d’Éric Zemmour ?
En travaillant, en travaillant, et en bataillant ! Souvenez-vous des mandats européens de Philippe de Villiers, ou de Marie-France Garaud, lesquels ont réussi à faire entendre leur voix et mené la bataille politique au sens noble. Dans un autre genre, souvenez-vous du député européen Nigel Farage ! Au Parlement européen comme partout ailleurs, la règle numéro un est de dire toutes les vérités que vos adversaires veulent censurer.
M. Orban est très critiqué, notamment par Mme von der Leyen, pour sa visite en Russie, alors qu’il a la présidence tournante du Conseil européen. Et, par ailleurs, Mme von der Leyen demande un cessez-le-feu à Gaza. Soutenez-vous le Premier ministre hongrois dans son dialogue avec Moscou ?
Pas dans son dialogue avec Moscou, mais avec Kiev et Moscou. Viktor Orban est d’abord allé voir M. Zelensky, il y a dix jours. Si même M. Zelensky approuve sa démarche, qui sommes-nous et surtout qui est Madame von der Leyen pour dire qu’elle, elle la condamne ? Madame von der Leyen veut plus la paix que M. Zelensky, peut-être ? A-t-elle une meilleure idée ? Pense-t-on pouvoir sortir d’une autre manière de cette guerre qui n’en finit plus ?
Quant à Israël, bien sûr qu’il faut la paix. Mais peut-on exiger un cessez-le-feu à l’un quand l’on n’exige pas la libération des otages à l’autre ?
Quel est le programme de « Reconquête » pour cet été ? Dans quel état d’esprit se trouve Éric Zemmour ?
Eric Zemmour a lancé une consultation auprès de l’ensemble des adhérents de Reconquête. Nous avons déjà obtenu 12 000 réponses. Il compte les lire cet été. Dans ces périodes troubles, il faut être prêts à repartir de zéro, se réinventer, écouter toutes les critiques, tous les retours. Nous passons à la phase 2 de l’histoire de Reconquête. Nous en annoncerons le plan lors de notre université d’été, le 7 septembre à Orange.
Marion Maréchal a été exclue de Reconquête. Les ponts sont-ils définitivement rompus avec elle ?
Je ne souhaite plus en parler. Nous allons de l’avant.
Faites-vous partie de ces Français qui s’impatientent et se désolent de voir une France sans gouvernement ?
Le bon côté des choses ? Nous vivons une parenthèse miraculeuse où il n’y a plus de déluges de nouvelles lois, plus d’annonces ennuyeuses de Bruno Le Maire, plus d’invention de taxes et d’impôts supplémentaires, plus de bavardage idéologique. Cela dérange profondément les politiciens, qui sont obligés de gesticuler dans le vide : soudain, leur inutilité se voit à l’œil nu ! Ce qui est désolant, en revanche, c’est que notre pays décline et que le moment où nous stopperons enfin ce déclin s’est encore éloigné. Est-ce que je fais partie des Français qui s’impatientent de voir le bon gouvernement mettre enfin en œuvre les solutions simples que la situation exige ? Oh, ça oui ! Et cela viendra.
Sandrine Rousseau, après la réélection de justesse de Yaël Braun-Pivet comme présidente de l’Assemblée nationale, a eu raison de dénoncer « des tactiques qui ne sont pas dans l’esprit de la démocratie ». LFI envisage de contester cette victoire par des recours juridiques. En réalité, par cette critique ciblée et évidemment partisane, Sandrine Rousseau projette sans le vouloir une lumière crue sur la perversion nationale qui, au moins depuis la décision de dissolution, entraîne notre pays dans une dérive où la démocratie est partout absente. Et la sincérité politique nulle part.
Le deal passé entre les macronistes et Laurent Wauquiez pour attribuer à ce dernier la représentation auquel le RN avait légitimement droit au Bureau de notre Assemblée est une manœuvre honteuse.
Ce sont près de 11 millions d’électeurs qui se voient ainsi dépossédés au bénéfice…
J’éprouve, comme citoyen, cette bizarre impression que les dés sont délibérément pipés. Comme si l’essentiel de la vie politique, depuis quelque temps, n’était plus de faire gagner ses couleurs mais de faire perdre celles qu’on abhorre. Qu’elles soient, comme d’habitude, celles d’un Rassemblement national (RN) à la fois solitaire mais revigoré ou, plus conjoncturellement, de la France Insoumise victime de ce même discrédit qui prétend trier le bon grain et l’ivraie à partir pourtant d’une même légitimité parlementaire. Au deuxième tour des élections législatives, la macronie, le Nouveau Front populaire (NFP) et les Républicains ont, sans la moindre honte, renié leurs convictions profondes pour abattre le RN. À l’Assemblée nationale, on a cherché à renouveler le processus du Front républicain et il est probable que le RN continuera à être victime d’une absence d’intégrité républicaine. Lui-même a voté pour deux vice-présidents LFI à l’Assemblée nationale! Changement de pied ! Mais fiasco et injustice absolus : rien pour le RN, 11 millions d’électeurs jetés hors de l’espace républicain, une honte!
La macronie a pu, par des manœuvres, des tractations, sauver une fonction capitale: présider l’Assemblée nationale. Ils n’étaient plus nombreux à la désirer à nouveau à ce poste, mais Yaël Braun-Pivet a été confortée par le retrait à son bénéfice de Philippe Juvin et surtout par les instructions de soutien données par Laurent Wauquiez au groupe parlementaire de la Droite Républicaine (contre l’espérance de quelques postes après négociation avec Gabriel Attal récemment élu président du groupe parlementaire Ensemble). C’est ce qu’on appelle probablement de la haute cuisine parlementaire !
L’emploi du temps complexe de Gabriel Attal
Au sujet du démissionnaire Premier ministre qui continue à être chargé des affaires courantes – combien de temps ? -, des constitutionnalistes s’interrogent pour savoir s’il a le droit de cumuler cette double activité permanente et temporaire, en tout cas à la finalité partisane pour l’une et d’utilité publique pour l’autre.
Au sommet de cet océan de confusion et d’hypocrisie partout – l’honneur des missions politiques au service de tous bradé au nom de desseins sans foi ni loi -, il convient de placer le président de la République qui invoquant le gaullisme se situe aux antipodes de celui-ci. On n’est pas obligé d’être forcément d’accord avec Dominique de Villepin qui aurait souhaité la désignation immédiate d’un Premier ministre NFP. Il est certain en revanche que le devoir d’Emmanuel Macron était de tirer rapidement des conclusions du résultat des élections législatives en ne procédant pas de manière dilatoire à la sous-estimation du succès de ses adversaires et à la surestimation de celui de son camp. Alors que de toute évidence, s’il y avait un vaincu, c’était lui. D’autant plus que ses manœuvres suivaient des élections européennes désastreuses pour sa cause et un premier tour des élections législatives implacablement en faveur du RN.
Même si nous avons connu un regain civique – le citoyen français était frustré de n’avoir pas eu de véritables élections à se mettre sous la dent depuis quelque temps -, je suis persuadé que ce vaudeville, aussi grave et alarmiste qu’il cherche à se présenter, va à nouveau détourner beaucoup de Français de la politique au quotidien. Comme je les comprends ! Quand la démocratie est absente partout et que le simulacre domine, on n’a plus envie de participer.
La romancière Simonetta Greggio signe un livre d’un genre nouveau : la biographie épistolaire. Ou comment entrer dans la vie intime de Brigitte Bardot à travers les lettres d’une admiratrice.
L’icône du cinéma français prend la parole, ou presque. Dans Mes nuits sans Bardot, la romancière d’origine italienne Simonetta Greggio met en scène BB au soir de sa vie. Cette dernière s’apprête à fêter son anniversaire. Le 28 septembre prochain elle aura 90 ans. Depuis la Madrague où elle réside avec ses chiens, elle se repasse le film de sa vie. Non loin de là, une femme a loué une maison dans l’espoir de faire toute la lumière sur la star dont certains affirment qu’elle serait décédée. N’osant aller sonner à sa porte, elle décide de lui écrire. De longues lettres qu’elle dépose sous un caillou devant la célèbre maison. La comédienne les lit-elle ? On l’ignore, mais cela ne décourage pas la narratrice qui continue de lui adresser des missives revisitant les moments clés de son histoire. Entre les deux femmes, aucun lien apparent, si ce n’est l’admiration que la seconde porte à la première. Pourtant, l’alternance des lettres et des souvenirs évoqués par Brigitte Bardot finit par les rassembler en un troublant jeu de miroirs. Ce qui intéresse l’épistolière est moins la star que la femme. Celle en laquelle elle se reconnaît et qui, comme elle, a connu de nombreux déboires amoureux. «Comme vous l’avez fait à votre âge guerrier, j’ai chevauché les étés, embrassé à bouche qui veux-tu, aimé après avoir été trahie, trahi après avoir aimé.»
Aussi rêverait-elle que son idole lui confie les zones d’ombres de sa vie. Cette envie qu’elle a pu avoir, elle aussi, «de crever pour cesser d’en crever de ces histoires mal foutues, de ces amours déglinguées ». Finalement, l’actrice comme la narratrice se retrouvent seules, avec leurs chiens pour toute compagnie. L’originalité de ce récit à deux voix consiste à mettre en lumière une BB méconnue. « BB petite fille, comme une copine d’école, cheveux en queue de cheval, chaussettes tirées sur les genoux écorchés. BB jeune femme, un autre moi, flamboyant. BB vieille dame, qui éclaire mon chemin en regardant derrière elle désormais.» Bardot a 17 ans lorsqu’elle est « vendue comme de la viande fraîche au cinéma » et part seule se faire avorter en Suisse. Puis les amants se succèdent. Nombreux. Roger Vadim, bien sûr, qui lui signifie que sans lui elle n’est rien, Jacques Charrier qu’elle épouse et aussi Samy Frey et les autres… Bardot aime les hommes et se conduit avec eux comme ils le font avec les femmes : elle n’hésite pas à les tromper. «BB aime faire l’amour. Elle l’assume, elle le proclame : faire l’amour est aussi naturel que danser, nager, manger. » Mais l’auteur dessine aussi le portrait d’une femme «rebelle, désobéissante, redoutable, épouvantable, insupportable ». Une femme qui à 29 ans déjà commençait à s’intéresser à la cause animale, dont elle fera plus tard son cheval de bataille. Avec Mes nuits sans Bardot, Simonetta Greggio fait le choix du roman plutôt que de la biographie. En résulte un livre à l’image de son modèle : libre et envoûtant.
Simonetta Greggio, Mes nuits sans Bardot, Albin Michel, 2024.
Sous le châtaignier au feuillage familier, je relis Rimbaud le fils, de Pierre Michon. Le livre a paru en 1991. L’auteur est un « pays » comme on dit ici, en Limousin. Il est né le 28 mars 1945 au hameau des Cards dans la Creuse. Il a été élevé par sa mère, institutrice, après que son père eut déserté le foyer. Lycéen à Guéret, Chaminadour pour Marcel Jouhandeau, il étudia les lettres à l’université de Clermont-Ferrand.
Parmi ses récits, durs comme le silex, citons Vies minuscules (1984), Corps du roi (Prix décembre 2002), Les deux Beune (2023). Dans Rimbaud le fils, une question s’impose : « Qu’est-ce qui fait écrire les hommes ? » Les réponses peuvent être multiples. Pierre Michon : « Les autres hommes, leur mère, les étoiles, ou les vieilles choses énormes, Dieu, la langue ? » On pourrait, aujourd’hui, ajouter la perte des valeurs, la disparition de la langue, la mémoire des maquis, le silence de Lascaux ?
Michon développe son approche de l’écriture. Il dit qu’elle est nourrie « de croyance et de magie ». L’écrivain est un magicien qui croit aux puissances de la nature. Il dit encore qu’il ne se met pas à sa table tous les matins. Il attend le texte. L’écrivain n’est pas raisonnable. C’est pour cela, probablement, qu’il a choisi d’écrire sur Rimbaud, le jeune homme qui lâche tout à dix-sept ans, s’esbigne en Éthiopie, revient à Marseille pour subir l’ordalie de la scie sur la jambe. C’est amplement suffisant pour créer le mythe. Il faut cependant toute la précision de la phrase de Michon, tout l’ébranlement tellurique de son style, pour offrir une nouvelle analyse de la saison en enfer du poète de Charleville, hanté par ses visions qu’on ne pourra comprendre qu’au moment du Jugement. Rimbaud savait que la mort était à ses trousses – relire « Le Bateau ivre » – et que la course serait violente et brève.
Le livre de Pierre Michon est étonnant d’originalité et, osons le mot, de fraîcheur. Sur les rapports entre Arthur et sa mère ; entre Rimbaud et Verlaine, ce Verlaine qui aime « trébucher » ; entre le poète et ses contemporains. Rimbaud n’est pas de son temps ; il est d’un ailleurs qui n’existe pas encore ; il est cet éternel frondeur photographié par Carjat – la séance de photo est subtilement interprétée par Michon. Et puis, il y a ce passage qui résume (presque) Rimbaud et Michon : « (…) la poésie ne peut pas être tout à fait du côté du bien, vu que nos premiers parents quand ils étaient dans le Grand Jardin ne parlaient pas, communiquaient à la mode des fleurs par des abeilles, des messages ailés, et sentirent se délier leur langue seulement après que l’ange leur eut montré la porte (…) ».
Le crépuscule tombe sur le champ aux vaches ; c’est l’heure où le ciel rosit comme les joues de l’enfant qui, soudain, sait.
Ils sont jeunes, intellos, drôles et courageux. Cette nouvelle génération de journalistes n’hésite pas à monter au front pour défendre la liberté de pensée. Eugénie Bastié, Charlotte d’Ornellas Alexandre Devecchio, Gauthier Le Bret, Geoffroy Lejeune et Arthur de Watrigant représentent toutes les nuances de la droite culturelle. Et donnent un sacré coup de vieux à Plenel, Aphatie et autres curés francintériens. Récit d’un casse médiatique.
Leur héros c’est Cyrano, mais ils ont tous quelque chose de Rubempré. Ils sont le cauchemar du clergé médiatique, ou ils devraient l’être. Depuis quelques années, ces jeunes-turcs du journalisme font allègrement feu sur le quartier général, occupant des positions stratégiques autour de la citadelle assiégée. Ils n’ont pas encore pris le palais d’Hiver d’ailleurs, on espère qu’ils ne le prendront jamais complètement et ne seront donc pas tentés de remplacer une pesante hégémonie par une autre. En attendant, ils ont sacrément ébranlé le monopole des Plenel, Aphatie et autres curés francintériens. Lesquels, furieux, réclament à grands cris leur excommunication. On se rappelle la vague d’hystérie collective suscitée par l’arrivée de Geoffroy Lejeune au JDD à l’été 2023. Pétitions d’artistes, sportifs et abonnés au gaz, trémolos en tout genre, appels à la résistance : à 35 ans, le petit veinard a eu droit à sa quinzaine antifasciste pour lui tout seul.
35 ans Né à Avignon École supérieure de journalisme de Paris Directeur de la rédaction du Journal du dimanche Votre révélation politique : Cela remonte à mon adolescence à Avignon, où j’ai été confronté à l’insécurité au quotidien, avant que beaucoup d’autres Français la connaissent hélas à leur tour. Votre personnage historique préféré : Charette. Un sale gosse insubordonné, devenu un héros parce qu’il était révolté par l’injustice. Il a mené le combat jusqu’au bout et, suprême élégance, a choisi sa fin. Votre meilleur souvenir audiovisuel : Mon passage en 2015 sur France 2 pour présenter mon premier livre, Une élection ordinaire (Ring). Ce jour-là, Laurent Ruquier, Yann Moix et Léa Salamé m’ont posé de vraies questions et m’ont laissé la chance de me défendre à armes égales. Votre rêve d’interview : Gérard Depardieu. Votre conseil de lecture pour l’été : N’importe quel livre de Sylvain Tesson ou de Nicolas Mathieu. Votre héros dans la fiction : Cyrano de Bergerac. C’est tout l’esprit français résumé en une œuvre. Le dernier mot de la pièce : « panache ». Tiens, comme le nom de la plume blanche qui ornait le chapeau de Charrette ! Votre plan B si vous n’aviez pas été journaliste (ou quand vous ne le serez plus) : Comédien, chanteur ou président d’un club de foot ou de rugby. Votre leader de gauche préféré : Le pape François. La meilleure émission sur le service public audiovisuel selon vous : J’adorais « On n’est pas couché », de Laurent Ruquier sur France 2. On pouvait tout dire, face à des contradicteurs certes hostiles, mais honnêtes. C’est devenu si rare de nos jours sur cette chaîne…
Les six personnages qui figurent sur notre « une » ne sont pas une bande de copains, même s’il y a parmi eux des paires d’amis, plutôt des compagnons de route devenus frères d’armes dans les combats partagés – l’ardeur chevaleresque est leur marque de fabrique. Nous ne les avons pas choisis seulement par affection ou dilection, mais parce qu’ils forment une avant-garde. Et comme souvent, Debray est lumineux à ce sujet, ces précurseurs sont des héritiers. Connus du grand public pour leurs talents cathodiques et numériques, ces bosseurs sont d’abord des enfants de la presse. Ils lisent, ils écrivent, donc ils pensent. Et ils ont du pouvoir. Geoffroy Lejeune est aux manettes de son deuxième hebdomadaire, épaulé par la fidèle Charlotte d’Ornellas, Eugénie Bastié vient de gagner ses galons de rédac-chef au sein du premier quotidien français, Alexandre Devecchio y dirige les pages « Débats », devenues par leur pluralisme l’un des hauts lieux de la dispute française. Arthur de Watrigant a « fait sortir L’Incorrect de l’adolescence », à en croire son ami Mathieu Bock-Côté. Peut-être que l’un ou l’autre se lancera un jour en politique. Ou dans le showbiz. En tout cas, vous entendrez parler d’eux. Dans vingt ans, en regardant cette « une » de Causeur, on dira que nous avons eu du nez.
Ces influenceurs de luxe sont (avec quelques autres qui nous pardonneront) les plus brillants éléments d’une nouvelle génération de journalistes de combat qui a entendu le message du président Jésus, comme dit l’ami Basile de Koch – n’ayez pas peur ! Ils ne cachent pas leur drapeau : ils sont journalistes et ils sont de droite – alliage longtemps tenu pour un oxymore. « C’est l’une des grandes nouveautés de l’époque, analyse Bastié. Les gens de droite votaient mais ils avaient déserté le champ idéologique. Les enfants de bonne famille optaient pour le business. Avec la Manif pour tous, ils ont découvert le militantisme et le combat culturel. Aujourd’hui, ils se tournent massivement vers les métiers de la transmission, l’enseignement, le journalisme, la culture, qu’ils avaient abandonnés à la gauche. »
Leurs détracteurs – qui confondent naturellement leurs propres opinions avec la vérité – leur dénient la qualité de journaliste (comme si c’était un pompon qu’on s’arrache). Pour notre commando, le journalisme est à la fois un outil pour interpréter le monde et une arme pour le transformer. « Il n’y a pas de contradiction entre éditorial et factuel, au contraire, observe Charlotte d’Ornellas. Comme journaliste, je parle de réalités que les autres médias taisent ou travestissent. Et ces réalités nourrissent ma vision du monde. » Penser librement, indépendamment de ses propres croyances et convictions, c’est ce que nombre de journalistes-de-gauche, confits dans leur bonne conscience, ont été incapables de faire, entraînant une grande partie de la corporation dans la médiocrité. Pour Bastié, le journalisme se situe à un « point d’équilibre entre l’exercice d’un pouvoir intellectuel et la recherche de la vérité » : « Je refuse de m’enfermer dans un couloir idéologique. Et je ne pourrais pas militer : répéter des éléments de langage ou approuver le chef, très peu pour moi ! »
38 ans, née à Orléans Institut de philosophie comparée à Paris Rédactrice en chef du service société au Journal du dimanche
Votre révélation politique : Je n’ai pas vraiment eu de « révélation » en la matière. Plutôt une évidence, celle de défendre ce que je suis et ce que je pense ! La seule chose qui m’insupporte, c’est le procès d’intention, en dehors de toute réalité de ce qui est réellement dit ou pensé.
Votre personnage favori dans l’histoire de France :Sans surprise… Jeanne d’Arc.
Votre conseil de lecture pour l’été : Il y a des dizaines de livres que je recommanderais, je ne sais jamais répondre à cette question, c’est tellement personnel. En écoutant récemment Franz-Olivier Giesbert parler des Croquis de mémoire (La Table ronde) de Jean Cau, j’ai eu envie de le lire. Ce que je suis en train de faire… et vous pouvez y aller !
Votre plan B si vous n’aviez pas été journaliste (ou quand vous ne le serez plus) : Institutrice ! J’ai toujours voulu être institutrice, puis professeur, parce que j’ai toujours trouvé que ce métier était à la fois l’un des plus importants et des plus beaux. Je le pense toujours d’ailleurs, mais un conseiller d’orientation m’a recommandé le journalisme… Métier que j’ai rapidement aimé pratiquer. C’est une manière de servir aussi mon pays, comme il en existe des milliers d’autres.
La meilleure émission sur le service public audiovisuel selon vous : Les reportages d’Arte, sans hésitation !
Cette troupe baroque représente toutes les nuances de droite culturelle, allant de « réac » assumé à conservateur, avec une dose variable de catholicisme, de libéralisme et de populisme. Eugénie Bastié s’est un brin assagie avec les années : « Dans ma jeunesse, je vomissais les tièdes, je ne lisais que Bloy, Dostoïevski ou Bernanos. Ensuite, j’ai découvert Tocqueville, Montesquieu. On peut dire que, de réac, je suis devenue conservatrice. » Foin de ces chichis et distinctions oiseuses, sans surprise, tous sont attaqués par les mêmes adversaires avec le même mot – extrême droite. Ils sont la preuve qu’il a perdu son pouvoir radioactif, un tour en ville avec n’importe lequel, en particulier avec les deux filles de la troupe, permet de mesurer leur popularité. On dira que c’est l’effet CNews, puisque tous (comme ma pomme) officient sur la chaîne bolloréenne. Cependant, seul Gauthier Le Bret, le benjamin et le moins « idéologue », est un pur produit de la maison Canal – où, sur les plateaux de Praud et Hanouna il s’est révélé être une véritable bête de scène. Dans son collège catho, il aimait amuser la galerie et choquer le curé – à l’un d’eux qui, furieux contre le mariage pour tous, se demandait pourquoi ne pas épouser sa maison tant qu’on y est, le coquin a répondu : « Ce serait chouette, comme ça on aurait un rapport sexuel à chaque fois qu’on rentre chez soi. » Le lendemain de son bac, ce fils d’eurocrate embrasse sa copine (aujourd’hui son épouse), saute dans un Thalys et ciao Bruxelles ! Formé par le cours Florent et sa fréquentation assidue des théâtres et cinémas, le futur « petit scarabée » (surnom que lui a donné Praud) se frotte au journalisme comme stagiaire de Sonia Mabrouk tout en jouant avec Les Gavroches chapeautés, la compagnie qu’il a créée avec des copains de la Sorbonne. La pièce s’intitule, ça ne s’invente pas, Nous sommes ici pour changer le monde.
29 ans, né à Clamart Sorbonne, Centre de formation et de perfectionnement des journalistes, Cours Florent Journaliste politique à CNews
Votre révélation politique : La campagne de 2007 et l’élection de Nicolas Sarkozy.
Votre personnage favori dans l’histoire de France : Napoléon.
Votre rêve d’interview : Macron évidemment, mais Trump aussi.
Votre conseil de lecture pour l’été :Histoire intime de Ve République (Gallimard), la trilogie de Franz-Olivier Giesbert, et son dernier, le si bien nommé Tragédie française.
Votre héros dans la fiction : OSS 117 dans la version de Michel Hazanavicius. Notamment quand il dit :« Une dictature, comme vous y allez. Vous êtes bien gentille Dolorès, mais épargnez-moi vos analyses politiques. Savez-vous au moins ce qu’est une dictature Dolorès ? Une dictature c’est quand les gens sont communistes, déjà. Qu’ils ont froid, avec des chapeaux gris et des chaussures à fermeture éclair. C’est ça, une dictature, Dolorès. »
Votre plan B si vous n’aviez pas été journaliste (ou quand vous ne le serez plus) : Comédien.
Votre leader de gauche préféré : Je peux me repasser en boucle Georges Marchais avec Duhamel et Elkabbach, et les entretiens de François Mitterrand. L’intelligence, le verbe, c’était autre chose que la Nupes.
La meilleure émission sur le service public audiovisuel selon vous : Rien n’a jamais égalé « On n’est pas couché » de Laurent Ruquier sur France 2.
Les autres comptent déjà quelques faits d’armes et blessures de guerre quand ils arrivent (en ordre dispersé) à CNews. Ils ont lu Michéa, Guilluy et Houellebecq, se sont croisés dans les cercles souverainistes, catholiques ou identitaires où fermentaient les prémices de l’union des droites, sur les pavés de la Manif pour tous ou encore dans les pages de Valeurs actuelles ou Causeur. Nés entre 1984 et 1995, ils n’ont connu ni Mitterrand ni le communisme mais ferraillent volontiers contre l’héritage de l’un comme de l’autre. Leur génération devait être celle de la mondialisation heureuse et de la fin de l’Histoire ; ils ont été les contemporains de la montée de l’islamisme et des Territoires perdus, des émeutes de banlieue, de la désindustrialisation et de la prolétarisation afférente des classes moyennes. Sans oublier la tripartition socio-territoriale de la France entre les centres-villes, les banlieues et la France périphérique, qui s’est opérée pendant leur adolescence.
32 ans, née à Toulouse Institut d’études politiques de Paris Rédactrice en chef adjointe au Figaro
Votre révélation politique : La rencontre avec le sectarisme idéologique de la gauche lors de mes études à Sciences-Po.
Votre personnage favori dans l’histoire de France : La duchesse de Berry, jeune femme fantasque, princesse moderne et scandaleuse, furieusement ultra et contre-révolutionnaire.
Votre meilleur souvenir audiovisuel : Ma première télé à « Ce soir ou jamais », de Frédéric Taddeï sur France 2, avec Jacques Attali qui, à la fin hors antenne, m’a lancé que j’étais Zemmour, en pire. Ça m’a fait rire.
Votre rêve d’interview : La romancière J. K. Rowling.
Votre conseil de lecture pour l’été :Fortune de France (Le Livre de poche) de Robert Merle, une saga historique formidable où on suit une famille aristocratique protestante pendant les guerres de religion. Génial !
Votre héros dans la fiction : Cyrano de Bergerac.
Votre plan B si vous n’aviez pas été journaliste (ou quand vous ne le serez plus) : Présidente de la République.
Votre leader de gauche préféré : Henri IV.
La meilleure émission sur le service public audiovisuel selon vous : « Répliques » d’Alain Finkielkraut sur France Culture, évidemment !
Plusieurs ont vécu la même expérience fondatrice, celle de l’isolement, parfois de la dissimulation. « Sciences-Po, pour une étudiante venant d’un milieu catho de droite et provincial, c’était des portes fermées, raconte Bastié. La bourgeoisie catholique m’ennuyait. Pour les étudiants de gauche ou d’extrême gauche, j’étais une martienne. Quand j’ai commencé à écrire dans Causeur, beaucoup m’ont tourné le dos. Cependant, on pouvait encore dialoguer. Depuis, c’est devenu presque impossible. Quand on parle de sujets identitaires, c’est difficile de raccrocher ses idées au vestiaire et d’aller boire un coup. » Charlotte d’Ornellas, elle, a débarqué d’Orléans pour étudier la philo, avec l’intention de devenir institutrice et des rêves de Jeanne d’Arc plein la tête – chez elle on vénérait la Pucelle. « Être à contre-courant, ça m’a fait grandir. Et ça forge le caractère. » D’Ornellas est une pure, c’est pour ça que la France CNews l’adore. Elle aussi est prête à croiser le fer pour sauver la France. Plus âgé et plus anar, un chouia punk, Arthur de Watrigant est entré en politique en 2006, lors des grèves contre le CPE. « Je séchais les cours à la Catho pour aller débloquer la Sorbonne ! » Dix ans après, il s’engage avec Charles Millon dans la campagne de François Fillon. Tous ont cru que le Sarthois enrayerait la spirale du déclin avant d’assister, révoltés, à la curée de campagne qui (en plus de ses erreurs notables) a causé sa perte. Épris de grandeur, ils ne se résolvent pas à voir leur pays devenir un hall d’aéroport, une nation MacDo où on vient comme on est.
40 ans Né à Paris 14 e , vit à Paris 14 e et mourra à Paris 14 e Bac Directeur de la rédaction de L’Incorrect
Votre révélation politique : Le mouvement contre le CPE en 2006. Je séchais ma première année de fac d’histoire (que je n’ai jamais validée), mon université n’était pas bloquée, mais je manifestais contre les blocages à la Sorbonne. Première rencontre avec les gauchistes et leur amour de la démocratie dans les AG. Mais la révélation s’est confirmée avec les Manifs pour tous en 2013. La naissance de beaucoup de vocations, il me semble.
Votre personnage favori dans l’histoire de France : François Athanase Charette de La Contrie, le plus punk des Vendéens qui savait fêter les victoires. Notre ami Romaric Sangars m’a rapporté cette citation, probablement apocryphe, mais merveilleuse : « La joie était dans notre camp. »
Votre rêve d’interview : Fellini, mais comme il est mort ça sera avec son fils spirituel, l’immense Sorrentino.
Votre conseil de lecture pour l’été : Après une telle année, il nous faut rire. Donc Richard Millet et ses Nouveaux lieux communs (La Nouvelle Librairie), d’une cruauté jouissive ; et La fête est finie d’Olivier Maulin (Denoël), le roman le plus drôle de toute la galaxie. Et puis on ajoutera En arrivant au Paradis (Le Cerf) de Richard de Seze qui, enfin, donne envie d’y aller.
Votre héros dans la fiction : Cyrano, parce que c’est un Gascon et que la Gascogne est l’âme de la France.
Votre plan B si vous n’aviez pas été journaliste (ou quand vous ne le serez plus) : Bistrotier.
Votre leader de gauche préféré : Xavier Bertrand. Une telle persévérance dans la lutte contre le fascisme est admirable.
La meilleure émission sur le service public audiovisuel selon vous : Le Tournoi des six nations en février, et le Tour de France en juillet.
Une autre figure tutélaire a marqué leur jeunesse. Ils ne se connaissaient pas, mais ils ont tous vu la même vierge et elle s’appelait Éric Zemmour. C’est en le voyant exécuter ses adversaires sur le plateau de Laurent Ruquier qu’ils ont aimé l’odeur de la poudre. Le Bret se passait en boucle ses morceaux de bravoure. Aujourd’hui, il se rêve en Ruquier de droite. « La première fois que j’ai vu Zemmour à “On n’est pas couchés”, ça a été une véritable épiphanie, s’amuse Bastié. Quelqu’un pouvait dire tout haut à la télé des choses qu’on murmurait en rasant les murs. » C’est l’époque où des journalistes affolés découvrent que des « néo-réacs noyautent les médias ». Ces hérétiques (dont votre servante) sont moins d’une dizaine, mais c’est déjà trop. Zemmour est l’homme à abattre. Eux le lisent avec passion, se nourrissant de son amour et de son inquiétude pour la France. Lejeune publie une fiction racontant sa candidature présidentielle –à la fin, me semble-t-il, il gagne. Depuis, sur fond de zizanies politiques, les liens se sont distendus. Devenir adulte, c’est aussi se libérer de ses mentors. N’empêche, Zemmour leur a donné le courage de sortir du placard. Sans lui, ils n’en seraient pas là.
Reste à espérer que les petits cochons de la politique ne les mangeront pas. Ils ne s’en cachent pas, ils observent avec sympathie la possible arrivée aux manettes d’un pouvoir plus proche de leurs aspirations que tous ceux qu’ils ont connus. « Le RN n’est pas un parti conservateur, mais il a chez eux plus de conservateurs qu’ailleurs, admet Watrigant. Et dans ces périodes, tout le monde devient un peu binaire, y compris chez nous. Mais L’Incorrect ne sera pas le journal de Bardella ni de quiconque. Je n’ai pas l’esprit militant. » Après des années de marginalité politico-idéologique, il n’est pas si facile de résister à la tentation de la bonne conscience. Elle a fait son œuvre à gauche où on appelle « intellectuel » ou « journaliste » un épurateur déguisé en dame patronnesse. Le seul moyen d’empêcher que le conformisme de droite remplace le conformisme de gauche, c’est l’adversité, le débat à la loyale. Argument contre argument. Seulement, pour la bagarre, il faut être deux. Aujourd’hui Charlotte, Alexandre, Gauthier et les autres n’ont pas d’équivalent sur l’autre rive. Et, s’il me faut leur faire un reproche, c’est de ne pas défendre assez la liberté de leurs adversaires, la preuve par l’affaire Meurice.
37 ans Né à Enghien-les-Bains Master d’histoire, Centre de formation des journalistes Rédacteur en chef au Figaro
Votre révélation politique : Le référendum de 2005. La première fois que je votais. Le clivage autour de la question du souverainisme me semble toujours autant d’actualité.
Votre personnage historique préféré : Danton. Nous vivons une période révolutionnaire. Dans le sens où il y a une crise de régime et probablement un changement d’ère. Nous sommes en 1788-1789. Reste à savoir si nous pourrons éviter 1793. Et puis Danton au cinéma, c’est Depardieu !
Votre meilleur souvenir audiovisuel : Le grand entretien que j’ai tourné avec Alain Finkielkraut pour la nouvelle série d’émissions sur la vie des idées que je proposerai à la rentrée sur Canal + : « Itinéraire d’une pensée ».
Votre rêve d’interview : Clint Eastwood. Son cinéma est populaire, peut-être même trumpiste avant l’heure. J’aimerais en discuter avec lui.
Votre conseil de lecture pour l’été : Moi, Charlotte Simmons (Pocket) de Tom Wolfe. Récit d’un « désapprentissage » dans une université américaine il y a vingt ans. D’une certaine manière, il prophétisait le wokisme. Wolfe, c’est le Balzac américain. Comme l’auteur de La Comédie humaine, il décrit puissamment son époque avec le talent d’un sociologue, mais sans tomber dans le récit sociologique. Une vraie ampleur romanesque.
Votre héros dans la fiction : Indiana Jones.
Votre plan B si vous n’aviez pas été journaliste (ou quand vous ne le serez plus) : Réalisateur de films.
Votre leader de gauche préféré : Jean-Pierre Chevènement.
La meilleure émission sur le service public audiovisuel selon vous : J’adorais « Tout le monde en parle » de Thierry Ardisson sur France 2. On ne pourrait plus faire une émission comme ça maintenant.
En 1794, peu avant sa mort, Camille Desmoulins, le père du journalisme de gauche, écrivait dans Le Vieux Cordelier : « La liberté de la presse seule nous a menés, comme par la main, et a renversé une monarchie de quinze siècles, presque sans effusion de sang. » Qui, aujourd’hui, pour s’inspirer de lui dans le camp du progrès ? Pour remiser le mégaphone braillard, la banderole haineuse, le keffieh ambigu ? Qui, pour préférer les livres et la plume aux slogans antifa et aux chasses en meute ? La « génération réac » a produit des journalistes de haute tenue, on attend encore ceux de la « génération woke » (catégories établies par Devecchio dans Les Nouveaux Enfants du siècle). Au pays de Desmoulins, les âmes progressistes sont hélas devenues des moulins à prières. On attend qu’une alternative intellectuelle naisse du champ de ruines qu’est la gauche, dynamitée par les assauts répétés du réel. De sorte que nos jeunes amis puissent toujours, comme le recommandait Montaigne, « frotter leur cervelle contre celle d’austruy ».
Trump a initié un nouveau nationalisme américain. J.D. Vance, son colistier et candidat à la vice-présidence, auteur à succès et jeune sénateur de l’Ohio, a montré sa capacité à lui donner corps idéologiquement en garantissant ainsi un avenir au courant «America First».
Qui se souvient des deplorables ? Pendant la campagne de 2016, Hillary Clinton avait lâché ce qualificatif méprisant à l’endroit la base électorale de Trump. Il visait les Américains moyens bouffis de ressentiments, de colère et de préjugés. Le terme a été par la suite brandi comme un étendard par les militants du candidat républicain.
Ploucs ou beaufs en France ; Deplorable, Redneck ou White trash aux États-Unis
En 2016, J.D. Vance se faisait anthropologue chez les Hillbillies, ces petits blancs américains vivant dans les Appalaches. Son ouvrage Hillbilly Elegy (2017) associait des souvenirs d’enfance à des réflexions sociologiques et politiques générales. Le témoignage était poignant : celui d’un enfant élevé dans une famille gravement dysfonctionnelle avec un père absent, une mère consommatrice d’opioïdes (médicaments antidouleur à l’origine d’une grave catastrophe sanitaire aux États-Unis) qui évolue entre cures de désintoxication et amants. Il y a un peu d’Eminem dans le parcours de l’auteur, qui aurait tout aussi bien pu devenir rappeur blanc dans les bas-fonds de la Rust Belt… Il s’en est sorti par miracle : diplômé de l’école de droit de Yale, il a aussi connu une grande carrière dans les affaires.
L’auteur ne livrait pas seulement une autobiographie mais aussi une ethnographie. Ses Hillbillies, s’ils sont bien des Etats-uniens « de souche », ne s’identifient pas à l’élite souvent d’origine anglo-saxonne des côtes Est et Ouest mais aux « millions d’Américains de la white-working-class dont les racines sont irlandaises ou écossaises ». Ils se souviennent des années 1950-1960, comme d’une parenthèse enchantée alors que la croissance industrielle et le Welfare state leur offraient des opportunités d’ascension sociale. Depuis, l’industrie lourde est partie, les hauts fourneaux ne fument plus et il reste à cette Amérique le ressentiment et la recherche de paradis artificiels ; on sait que près de 60 000 Américains meurent tous les ans d’insuffisance respiratoire provoquée par la surconsommation d’opioïdes. L’ouvrage fut bestseller et a servi de clef d’explication à l’élite cultivée américaine qui se demandait comment les États ouvriers traditionnellement démocrates ont pu offrir à Trump sa victoire surprise en 2016.
J.D. Vance a 39 ans et la rapidité de son ascension impressionne. Délaissant la plume et sa carrière dans les affaires, il se fait élire en 2022 sénateur de l’Ohio. Il n’a pas deux ans d’expérience politique dans les pattes et figure aujourd’hui sur le ticket présidentiel avec de sérieuses chances de devenir vice-président des États-Unis. Seul Barack Obama, élu sénateur en 2004 et président des États-Unis en 2008 a connu une ascension aussi rapide. « Après l’attentat manqué et l’élan de sympathie que cela a généré, Trump avait toute latitude pour choisir son vice-président » assure Nicolas Conquer, porte-parole des Republicans overseas France, organisation qui regroupe les citoyens américains expatriés en France, et ancien candidat LR-RN dans la Manche pour les législatives. Galvanisé par son statut de ressuscité après l’attentat auquel il a survécu, Trump pouvait faire un choix du cœur.
Pourquoi ce choix ? Après tout, J.D. Vance n’a rejoint que récemment son écurie. S’il était soutenu en 2022 par l’ancien président pour les primaires républicaines de l’Ohio (notre photo ci-dessus), M. Vance se positionnait en 2016 comme « Never Trump », ces Républicains viscéralement hostiles au magnat de l’immobilier. Cette conversion est-elle seulement opportuniste ? « Il a eu des doutes. Il a su reconnaitre à Trump ses qualités de président. Pour le reste, les deux hommes sont très proches idéologiquement. Il est même sur une ligne moins modérée en matière de politique internationale », explique M. Conquer. J.D. Vance n’a jamais caché son hostilité aux livraisons d’armes à l’Ukraine, comme son souhait de voir l’Amérique retirer ses bases militaires de certaines parties du monde. Pour Nicolas Conquer, cette position est plus acceptable qu’il n’y parait aux États-Unis : « Aucun candidat à l’élection présidentielle, même parmi les démocrates ou les néo-conservateurs, ne se risquerait à faire campagne sur l’interventionnisme. Les Républicains se sont nettement convertis à l’isolationnisme et à la ligne America First. Ils veulent une Amérique forte capable de rayonner dans le monde sans être son gendarme ». J.D. Vance rappelle souvent combien la guerre en Irak a traumatisé l’Amérique profonde.
L’évolution du rôle des États-Unis dans le monde
J.D. Vance ne se contente pas de dénoncer la politique étrangère des prédécesseurs de Trump. Il élabore aussi de discours en discours un nationalisme américain en rupture avec l’universalisme traditionnel des élites politiques de son pays. Depuis Wilson et Roosevelt, jusqu’à Bush et Obama, les dirigeants américains avaient l’habitude de justifier leurs interventions militaires par la vocation missionnaire des Etats-Unis. L’Amérique ne se battrait pas seulement pour des territoires ou des intérêts, mais pour des idées. Elle défendrait sa conception de la liberté et offrirait au monde entier les droits garantis par sa Constitution. Dans cette perspective, l’Amérique n’admet pas de frontières : sa promesse vaut pour tous les hommes. « Oui l’Amérique est une idée. Elle a en effet porté de belles idées dès la fondation de notre pays » concédait M. Vance dans un discours devant un think thank conservateur ce mois-ci[1]. Mais selon lui, l’Amérique c’est aussi autre chose : « L’Amérique est une nation: c’est un groupe de personnes avec une histoire commune et un futur commun ». L’Amérique n’est pas seulement un projet proposé à tous les hommes sur terre mais aussi une nation avec un dedans et un dehors, des frontières, un point sur la carte possédant une culture, une langue et un folklore spécifique.
Trump ne disait pas autre chose avec son programme articulé autour de l’America First. Vance se distingue par sa clarté idéologique et sa capacité à incarner cette position dans le champ intellectuel. Dans son discours à la convention républicaine, il n’a pas loupé l’indispensable séquence émotion et a raconté son Amérique, évoquant sa grand-mère qui possédait 18 armes à domicile, saluant avec émotion les dix ans de sobriété de sa mère enfin revenue de sa dépendance médicamenteuse. Qu’est-ce qu’être Américain, pour M. Vance ? Il l’a dit peu après lors de la convention :« Dans leur ossature, les Américains savent que l’Amérique est leur maison (…) Ils ne se battront pas pour des abstractions mais ils se battront pour leur demeure ».
« On avait tous une interrogation. Comment ce mouvement MAGA, America first, allait-il évoluer après Donald Trump ? Or, des personnalités hors normes sont sorties du bois » se réjouit Nicolas Conquer. En propulsant J.D. Vance à la vice-présidence, un poste stratégique – à l’instar du président du Sénat en France, le vice-président américain est le successeur désigné en cas de décès du président ; et on le sait, la balle n’est pas passée loin ce samedi 13 juillet -, Donald Trump garantit en effet son héritage politique et assure l’avenir d’un nationalisme américain dont il aura été le premier promoteur. « On ne pourrait pas trouver de duo plus opposé et en même temps plus complémentaire. D’un côté on a quelque chose de tripal avec Trump ; de l’autre quelqu’un de plus cérébral et réfléchi », observe Nicolas Conquer. D’un côté l’intellectuel, de l’autre la bête de scène. Depuis 2015, l’ancien président a réussi à imposer ses thèmes par sa présence scénique, sa personnalité hors normes et son génie de la transgression. C’est sa force, mais aussi sa faiblesse : le trumpisme touche les masses mais est encore regardé et décrié par l’élite américaine comme une fièvre populiste sans cohérence intellectuelle. J.D. Vance saura-t-il donner corps à une vraie doctrine, et apporter la légitimité idéologique qui peut-être manquait à Donald Trump ?