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Secrets médicaux


Secrets médicaux

L’actuel ministre des Affaires étrangères est-il un danger pour la diplomatie française ? Oui, répond sans ambages Pierre Péan dans Le monde selon K. (Fayard). Pas seulement parce qu’il a plus souvent qu’à son tour fait passer ses intérêts personnels, professionnels ou familiaux avant les devoirs de sa charge. Mais aussi, et peut-être surtout, parce que le sens de notre politique étrangère est brouillé par son bellicisme en tenue de camouflage humanitaire.

Aucun doute, Péan met les pieds dans le plat : évoquer la face cachée de Kouchner, c’est s’en prendre à une vache sacrée, à la personnalité préférée des Français, c’est s’attaquer à un quasi-intouchable, à peine fragilisé aux yeux du peuple de gauche par son passage à l’ennemi avec armes et bagages en 2007. Jamais Le Monde, Libé ou L’Obs n’ont affublé Kouchner des oripeaux du traître de série B. Or, son parcours politique est exactement le même que celui de l’abominable Eric Besson, on peut se demander pourquoi.

Péan ne s’en cache guère : il veut démasquer l’homme qui a fait des droits de l’homme un fonds de commerce et de la morale un faire-valoir, en montrant qu’en de nombreuses occasions (Somalie, Kosovo, Rwanda, Darfour) il a mis sous le boisseau la raison d’être de Médecins du Monde. Il dessine le portrait d’un civil honteux, comme fasciné par l’armée, l’action militaire, la guerre (notamment au Kosovo) voulant ériger en doctrine intangible le droit d’ingérence, qu’il soit humanitaire ou autre.

Depuis les bonnes feuilles publiées dans Marianne, on se doutait bien qu’on allait parler beaucoup d’Afrique, terre nourricière de nos plus belles affaires politico-financières. Et de fait, c’est le continent de prédilection du héros de ce livre. Comme c’est le noyau dur de ce qui devient sous nos yeux « l’affaire Kouchner », nous examinerons les accusations de Péan dans le détail.

Dans un chapitre baptisé « L’Afrique, le fric », Péan explicite comment Bernard Kouchner a monté des partenariats pas toujours désintéressées avec certains pays d’Afrique, dans le domaine du conseil en santé publique. En 2002, il co-fonde le GIP Esther (Ensemble pour une solidarité thérapeutique hospitalière en réseau) censé être « un outil d’intervention de la France dans le cadre de sa politique d’aide au développement en matière de santé ». D’après l’auteur, c’est par le biais de Dominique Ambiel (voisin des Kouchner-Ockrent en Corse et intime de Jean-Pierre Raffarin) que Kouchner parvient à se faire nommer président d’Esther le 22 novembre 2003. Six semaines plus tard, le 8 janvier 2004, Bernard K crée BK consultants, une officine de conseil en santé publique. D’un côté le patron d’Esther peut distribuer des subventions, que le patron de la société de consultants pourra aider à dépenser de l’autre… Premier mélange des genres ; pas le dernier…

Le 1er juillet 2004, Péan relève la première trace d’une intervention de Kouchner en Afrique comme consultant privé : au Gabon pour la création d’une Sécurité sociale. Via un audit confié à Imeda, la société d’Eric Danon, un homme de sa garde rapprochée, laquelle est liée à la société d’études Africa Steps de Jacques Baudouin, un autre kouchnérien historique. Péan semble ne pas penser qu’il s’agit là de simples coïncidences et affirme que Kouchner est intervenu pour le compte d’Imeda au Gabon (budget : 2,6 millions d’euros) ainsi qu’au Congo.

En mars 2007, juste avant la présidentielle, le même Kouchner est présent avec le président d’Imeda pour la signature de deux contrats au Congo : une étude sur le système de santé au Congo et une étude sur la réhabilitation du CHU de Brazzaville. Contrats signés à l’ambassade de France, en présence de l’ambassadeur.

Le 18 mai 2007, qui vous savez est intronisé au Quai ; dans la foulée, Jacques Baudouin est nommé responsable de la presse au cabinet du ministre.

Trois mois plus tard, le 8 août 2007, ledit ministre fait nommer le patron d’Imeda, son ami Eric Danon, ambassadeur à Monaco. Et là, pour Péan, les choses deviennent vraiment graves : « Dans les jours qui précèdent son entrée en fonction, le nouvel ambassadeur, qui n’oublie pas qu’il est toujours patron d’Imeda, fait feu de tout bois pour faire honorer les factures impayées émises par la société. » Notamment, selon Péan, une facture de 817 000 euros.

Le 25 mai 2007, le ministre K profite de la première visite d’Omar Bongo à Paris pour lui rappeler ces factures impayées. Péan avance pour preuve un fax que Danon aurait passé au TPG du Gabon le 3 août 2007, expliquant « nous avons reçu le mois dernier de son Excellence le chef de l’Etat l’assurance que notre dernière facture serait rapidement honorée ». Le 11 mars 2008, le solde est versé à Imeda par le Gabon. Happy end, donc, n’eût été le vilain délateur Péan.

Cette hyperactivité n’est pas sans provoquer quelques dommages collatéraux. Pour Péan, l’éviction de Bockel du secrétariat d’Etat à la Coopération est directement liée aux relations entre Imeda et le président du Congo : Denis Sassou N’Guesso aurait réclamé une participation de la France au financement de la rénovation du CHU de Brazzaville. Bockel l’aurait envoyé balader, avant d’annoncer la fin de la « Françafrique ». Résultat, la Françafrique continue, mais l’impétueux Bockel est débarqué le 19 mars 2008.

En résumé, Péan considère qu’il y a manquement grave à la loi en raison du conflit d’intérêt entre Esther et ses sociétés « amies » pour lesquelles Kouchner a été à la fois consultant privé et bailleur de fonds publics.

Voilà donc les accusations que Bernard Kouchner aurait pu réfuter point par point cet après-midi, après avoir été interpellé par Jean Glavany. Il n’en a rien fait (hormis sur l’épisode Bockel), se contentant essentiellement d’affirmer qu’il avait payé ses impôts, et de proclamer que tout ce qu’il avait fait durant ces quarante dernières années, il l’avait fait au nom du bien et de la morale et que donc l’attaquer lui, c’était attaquer toutes les victimes qu’il avait passé sa vie à secourir.

Pour ceux qui n’auraient pas encore bien compris cette automédication de choc à base de moraline, clarifions-la : acheter le livre de Péan, c’est se rendre complice de crime contre l’Humanité, partout où Bernard K a sauvé l’humanité au Rwanda, en Somalie, au Darfour, en Bosnie.

Pour être encore plus clair, notre ministre a, dans sa conclusion, implicitement accusé Péan d’antisémitisme. Comme rien, mais absolument rien dans ce livre, ne vient étayer cette infamie, on en déduit que si Me Kiejman et son client recourent à de telles extrémités, c’est que l’heure est grave : il y a le feu dans la maison Kouchner.

Le monde selon K.

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Février 2009 · N°8

Article extrait du Magazine Causeur



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