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Le communisme dans le sang

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L’horreur, c’est qu’il n’y a pas d’après. Peut-être n’y en a-t-il jamais et nulle part. Mais s’il n’y a pas d’après-communisme c’est parce que tout conspire à faire croire que le communisme n’a jamais existé. À Sofia, le souvenir même du mausolée où reposait Dimitrov, le Staline bulgare, a disparu, sans doute recouvert de boutiques H&M et de parasols publicitaires. Rouja Lazarova a touché juste en faisant de ce non-lieu la tour de contrôle, le centre de commandement du mensonge. Et le mensonge continue à hanter les esprits, à ronger les âmes, même les esprits et les âmes de ceux qui n’ont pas connu son règne.

Rouja, beaucoup de journalistes l’ont croisée dans les Balkans, un petit bout de fille pimpante et grave qui faisait l’interprète pour les Français, aujourd’hui parisienne d’adoption, française par la langue. Le communisme coule dans ses veines comme il a coulé dans celles de ses personnages Gaby, Rada et Milena, trois femmes, trois générations broyées par la répétition, cette figure de la mort. L’homme de Gaby a disparu quand elle portait son enfant, happé par un régime qui a fait de l’arbitraire et de la peur ses principes de survie. Comme l’écrivain qui signe son quatrième roman en français, Milena, la petite-fille de Gaby, verra le Mur tomber, les anciens tortionnaires se reconvertir dans le business et les paillettes, les rêves d’émancipation se rabougrir en avidité de possession. À Paris, elle découvre avec rage et stupéfaction que ces mots qui ont été les murs de sa prison, certains de ses amis les brandissent comme des étendards de liberté. Elle dont les parents ont payé d’une existence grise leur refus de rallier le Parti qui distribuait prébendes et privilèges apprend qu’on peut avoir été communiste volontairement et même avec enthousiasme. Et puis, elle comprend. « Nous étions des enfants de la révolution mais nous avions perdu les idées révolutionnaires. »

La vérité de la nuit communiste, Rouja Lazarova la cherche autour du mausolée. Ainsi, aux commandes de la Terreur, il y avait un cadavre. Une momie vide, sans cerveau ni cœur, devant laquelle des écoliers aux pieds et aux cœurs glacés devaient singer le recueillement. Les années passent, on meurt de moins en moins dans les geôles du régime, l’ennui et la nausée succèdent à l’effroi. La momie est moins imposante, de plus en plus ridicule aux yeux des écoliers que l’on autorise, avec le temps, à garder leurs manteaux pour visiter le monument réfrigéré. En juillet 1990, alors que le granit se couvre de graffitis, la famille organise l’évacuation du corps. « La crémation s’était éternisée, écrit Lazarova. Imbibé de formol, Gueorgui Dimitrov ne voulait pas brûler. » Même les flammes de l’enfer ne peuvent détruire le passé. Mais peut-être les mots le peuvent-ils. C’est l’espoir de Rouja Lazarova. Mausolée est en quelque sorte l’inverse d’un requiem, des pelletées de phrases, de colère et d’énergie jetées sur le cadavre du communisme pour qu’il se taise à jamais et cesse de hanter les vivants.

Mausolée

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Ma copine Rouja Lazarova dédicacera son livre ce jeudi 12 février à 19 heures à la Librairie L’Arbre à Lettres, 33-35 boulevard du Temple, Paris 3e.

Alessandra Mussolini, bellissima !

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Le Sénat italien, dominé par la droite berlusconienne, vient de faire voter une loi incitant vivement les médecins à dénoncer leurs patients immigrés clandestins. Le corps médical dans son ensemble ainsi que l’Eglise catholique et la gauche s’opposent vigoureusement à cette mesure. Jusque-là, tout semble logique dans les positionnements respectifs. Plus étonnant, la belle Alessandra Mussolini, petite-fille de son grand-père et nièce de Sophia Loren, dirigeante du mouvement Azione Sociale et parlementaire classée à l’extrême droite (mais apparemment très à gauche du Français Eric Besson, récemment promu aux Affaires raciales), a appelé à la désobéissance civile et a déclaré : « De nombreux fils d’immigrés ne seront plus soignés parce que leurs mères auront peur d’être dénoncées. » A se demander si une fasciste italienne n’est pas plus fréquentable que certains ministres d’ouverture…

Trois Likoud pour le prix d’un !

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Au lendemain d’élections à suspense en Israël, chacun, calculette en main, s’est mis à échafauder les possibles coalitions. Reste qu’à se focaliser sur l’arithmétique électorale sous régime de proportionnelle intégrale, on passe à côté de l’essentiel qui est le bouleversement du paysage politique. Des urnes ont en effet émergé une droite constituée de trois Likoud : l’AOC, le Likoud-Canal historique de Netanyahu est flanquée à sa gauche du Likoud centriste de Tzipi Livni et à sa droite d’une variante poutiniste dirigée par Lieberman. La plupart des commentateurs se sont focalisés sur la percée du parti de Lieberman – qui semble occuper pour eux la même place que Le Pen dans le paysage français, celle d’une extrême droite infréquentable. En vérité, la droite israélienne est aujourd’hui plus forte, certes, mais elle est aussi plus diverse, plus pragmatique et surtout – et c’est la grande nouveauté – plus laïque. Et quoi qu’en pensent les amateurs d’indignation bon marché, c’est peut-être une excellente nouvelle.

Si, au milieu des années 1990, vous aviez été invité par le vieux Likoud à boire un verre pour le nouvel an, vous auriez sans doute croisé les trois vainqueurs d’hier soir. Bibi le chef, Lieberman (« Yvette »), son bras droit, directeur général et Tzipi (Livni) en « princesse[1. Dans le Likoud, les princes et princesses sont les enfants de résistants et des compagnons de route de la première heure de Menahem Begin.] » remarquée, grimpant l’échelle qui devait l’amener en 1999 à la Knesset comme député du Likoud. Ces trois-là recueillent aujourd’hui presque 60 % des suffrages. Ils incarnent aussi la mutation de la droite israélienne – une mutation qui ne se résume pas à une radicalisation.

Kadima, le Likoud canal centriste, a remporté un succès relatif. Arrivée en tête, Livni a passé avec brio son baptême du feu politique, surtout si l’on pense aux sondages des derniers jours de la campagne qui donnaient Netanyahu en première position. Le succès de la droite dure sinon extrême ne change rien au fait que le projet politique du centre est en position… centrale. Comme l’avait compris Haïm Ramon, père aujourd’hui presque oublié de la théorie du « big bang politique », les travaillistes n’ont plus de base électorale, sans doute parce que boboïsés comme leurs homologues français et européens, ils ont abandonné les couches populaires à leur sort et à la droite. L’Israël de Tel-Aviv a peut-être trouvé dans Kadima sa formule politique : compromis avec les Palestiniens sur la base des frontières de 1967 et libéralisme économique, le tout assaisonné d’un zeste de solidarité.

Quant à Liebermann qui a tout pour jouer le méchant de l’affaire, il renoue avec le nationalisme laïque. Il ne croit qu’à la force mais s’abstient d’invoquer le droit biblique. C’est un émule de Poutine plus que d’Ahmadinejad – et après tout, on a le droit de préférer le premier au second. Le succès de Liebermann marque une rupture dans l’évolution de la droite israélienne depuis la victoire du Likoud vers son aile national-religieuse. Begin et les parents d’Ehud Olmert et de Tzipi Livni étaient peut-être des genres de maurassiens, ils ont tenté de capter à leur profit la capacité de mobilisation des religieux. Leurs enfants n’ont pas grand-chose en commun avec les religieux qui ont monopolisé la droite nationale, l’emmenant dans la voie sans issue de la colonisation. Begin a toujours préféré reculer que de combattre ses frères ennemis sionistes, même quand il était en désaccord profond avec eux. La droite religieuse post-1977 a, elle, enfanté Igal Amir, assassin de Rabin.

Quand on connait la musique politique israélienne, on entend vaguement, derrière le discours odieux de Lieberman, les accents d’une droite politique et culturelle que l’on pensait disparue et qui croit, comme Theodore Herzl, que la place des rabbins est dans les synagogues plutôt qu’au Parlement et qui croit aussi que la paix civile vaut des territoires. Dans un entretien donné à Haaretz, il y a deux ans, Lieberman a revendiqué ouvertement cet héritage en rappelant la maxime de Begin : l’unité nationale a la priorité sur l’intégralité de la patrie. Autrement dit, s’il faut choisir entre la guerre civile ou le renoncement à la Cisjordanie, Lieberman optera quoi qu’il en ait pour la deuxième option. Il ne faut pas oublier non plus que sa base militante est formée d’immigrés russophones, plutôt méfiants vis-à-vis de la version rabbinique du judaïsme. Pour ses électeurs, bouffeurs de jambon et de rabbins, les questions d’état-civil (mariage et enterrement civils), du transport public le samedi et du service militaire pour les ultra-orthodoxes sont d’une importance majeure. Quant à Lieberman, il n’a jamais caché que pour lui, la question des frontières relève de la sécurité et de la géostratégie plutôt que de l’idéologie ou de la religion, ce qui fait de lui un compagnon de route difficilement fréquentable pour la droite religieuse et le noyau dur des colons.

Tout cela, diriez-vous, est une maigre consolation pour demain matin, et vous aurez raison. Mais pour après-demain, ce qui vient de se passer dans les urnes pourrait changer la donne. La perte d’influence des partis religieux continuera à désacraliser donc à politiser la question des frontières. Et si vous n’êtes toujours pas convaincus ne vous faites pas de souci : au train où vont les choses, les prochaines élections ne devraient pas tarder.

Un monde très diplomatique

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C’est à tort que j’avais prêté à l’estimable mensuel Le Monde diplomatique l’intention de se passer des services de Pierre Jourde après son coming out pro-israélien dans Causeur, puis dans Le Monde. Je fais donc humblement amende honorable et me réjouis donc de retrouver, très bientôt, la signature de ce grand critique littéraire dans les colonnes du Diplo.

Simone Weil, ou l’exigence

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On célèbre cette année le centenaire de Simone Weil, sans tapage excessif, il faut bien le dire. Enfin, discrètement : c’est pas non plus Jean-Paul Sartre ! Bref, Arte l’a quand même fait dimanche passé, et le plus honnêtement du monde.

Le documentaire de Françoise et Florence Mauro est un modèle du genre : il retrace fidèlement le parcours d’une philosophe éperdue d’absolu, depuis le syndicalisme révolutionnaire, auquel elle a longtemps cru jusqu’à la Révolution chrétienne dont elle a compris, mieux sans doute que tous ses contemporains, le caractère radicalement subversif.

Jamais cependant « Simone Weil, l’irrégulière », selon l’excellent titre de ce doc, n’acceptera de se plier à l’institution ecclésiale.

Heureusement que tout le monde n’est pas Simone Weil, sinon les églises seraient encore plus vides… Mais surtout heureusement qu’il y a des âmes comme celle de Simone Weil, sinon l’Eglise ne serait qu’une secte, c’est-à-dire une entreprise faussement transcendante.

« Elle vivait la distance désespérante entre « savoir » et « savoir de toute son âme » », disait d’elle son ami le philosophe catholique Gustave Thibon, éditeur de La Pesanteur et la Grâce (1947), sans doute son livre le plus important.

Cette exigence de vérité absolue, y compris vis-à-vis de soi-même, va donc conduire la jeune juive athée au cœur de la mystique chrétienne, tout en l’arrêtant « aux portes de l’Eglise ». Heureusement, Dieu seul sait qui fait véritablement partie de son Eglise mystique – et Dieu sait qu’elle doit être du nombre, Simone ! Sinon ce serait désespérément vide Là-haut – comme une boîte de nuit à 21h !

Ses « engagements dans le siècle », comme dit Télérama, ne sont donc sûrement pas l’essentiel de ce que l’on peut retenir d’elle, aujourd’hui et pour l’éternité.

L’élan social ? Magnifique. L’amitié avec Trotski ? Au mieux, un malentendu. L’engagement de cette pacifiste intransigeante dans la guerre d’Espagne ? Paradoxal… La collusion avec les staliniens et autres tueurs fous ? Pitoyable !

A cet égard, le témoignage le plus éclairant est sans doute celui de Jacques Julliard. D’ailleurs, les diverses interventions de Julliard au fil de ce documentaire révèlent chez lui une profondeur et donc une hauteur de vues que je ne soupçonnais pas[1. Même si j’aime bien sa nouvelle couleur de cheveux.].

Le parcours intellectuel et spirituel de Simone Weil, nous dit en substance Julliard, est incompréhensible à qui l’aborde en termes de psychologie, comme vous et moi. Pour comprendre des « êtres supérieurs » comme Simone Weil, dit Julliard, la psychologie est de moindre utilité. Tout simplement parce que, chez ces gens-là « les précautions à l’égard de soi-même, du monde, de son âme sont des choses complètement impossibles ».

C’est ainsi que, membre de la colonne Durruti, elle n’en dénoncera pas moins les atrocités commises par ses amis républicains – à commencer par Durruti lui-même…

Le documentaire retrace avec un talent rigoureux le parcours fulgurant de Simone Weil.

Elle naît à Paris en 1909, dans « une famille de la bonne bourgeoisie juive » dit son frère André, composée quand même de « provocateurs », précise sa nièce. (Ainsi sa grand-mère aurait-elle provoqué un scandale en jouant un soir L’Internationale dans le grand salon d’un palace…)

Fénelon, Henri-IV, Ecole Normale Supérieure : pour Simone, le plaisir d’apprendre est indispensable aux études : l’intelligence ne grandit que dans la joie.

Et l’intelligence telle qu’elle la conçoit est tout sauf un placard à tiroirs : passer même quatre heures devant un problème de géométrie sans le résoudre, dit-elle, ce n’est pas du temps perdu. Cela se retrouvera un jour ou l’autre – et pourquoi pas dans l’appréciation nouvelle d’un vers de Racine ? L’essentiel n’est pas tant dans la chose que dans l’attention qu’on lui porte.

1933 : Simone rencontre Boris Souvarine, alors responsable communiste, qui dira d’elle : « C’est le seul cerveau que le mouvement ouvrier ait eu depuis longtemps. »

En matière de cerveau révolutionnaire, sa préférence à elle va à celui de Léon Trotski. Elle lui reproche seulement d’être resté trop marxiste – et plus précisément trotskiste : le camarade Léon, tel un Besancenot normal, continue de croire que l’Union soviétique reste un «Etat ouvrier » même s’il est victime d’une « dérive bureaucratique ».

Or, dit-elle après Descartes, une horloge détraquée n’est plus du tout une horloge ; c’est un mécanisme qui obéit à ses propres lois, sans qu’on les connaisse !

Suite à une discussion particulièrement houleuse, Trotski mettra fin à l’entretien en s’exclamant : « Mais alors, pourquoi vous ne vous engagez pas dans l’Armée du Salut ? »

Décembre 34 : elle s’engage en effet, mais comme ouvrière chez Alstom, « pour comprendre ». Paradoxalement, elle est contre la réduction du temps de travail : « Personne ne voudrait être esclave deux heures par jour ! » Il ne s’agit pas de réduire le temps du travail, mais de lui rendre sa dignité.

Et puis un beau jour au Portugal, Simone assiste à une procession de femmes de pêcheurs. C’est une première révélation : « Soudain, j’ai eu la certitude que le christianisme est par excellence la religion des esclaves. » C’est Nietzsche qui serait content ! (Je vous l’avais bien dit, etc.)

Par bonheur, au cours d’un voyage en Italie, son parcours spirituel va connaître une étape décisive, dans une chapelle romane autrefois fréquentée par saint François d’Assise en personne : « Quelque chose de plus fort que moi m’a obligée, pour la première fois de ma vie, à me mettre à genoux. »

Dans Autobiographie spirituelle, la philosophe raconte une autre expérience déterminante dans son évolution. Pour lutter contre les violents accès de migraine auxquels elle était sujette, elle se contraignait à réciter en boucle un poème, « Love » de Georges Herbert (dont je n’ai, j’espère que ça ne se voit pas trop, jamais entendu parler – ni le poème, ni l’auteur !)

Et dit-elle « à mon insu, cette récitation avait la vertu d’une prière (…) C’est au cours d’une de ces récitations que le Christ lui-même est descendu et m’a prise[2. Je laisse à Gérard Scheer le soin de nous servir les blagues qui s’imposent sur cette formulation jaculatoire (Zut ! Je crois que je lui ai piqué son meilleur gag.)] ».

En septembre 40, on retrouve Simone Weil réfugiée à Marseille où, malgré son agrégation de philosophie, elle postule sans succès à un poste d’enseignante. Elle écrit alors au Commissaire à la Question Juive pour lui demander si, par hasard, tout ça aurait un rapport avec ses « origines israélites ». Et sa lettre s’ouvre sur cette apostrophe délicieusement insolente : « Monsieur, Je dois vous considérer, je suppose, comme étant en quelque sorte mon chef… »

C’est en juin 1941 que Simone fait la rencontre du père dominicain Joseph-Marie Perrin, avec lequel elle entretiendra un dialogue métaphysique passionné. Mais jamais elle ne franchira le seuil du baptême. Elle rêve en vérité d’une foi « pure », dégagée de toute récupération par une quelconque institution. Trace de son gauchisme juvénile. « La foi, c’est l’intelligence éclairée par l’amour », dit-elle magnifiquement. Mais, ajoute-t-elle, « l’intelligence a besoin d’une liberté complète, y compris celle de nier Dieu ; et par suite la religion a rapport à l’amour, pas à l’affirmation ou à la négation ».

A coup sûr, cette vision intello-mystique du christianisme aurait pu la faire proclamer hérésiarque ; enfin, en d’autres temps, parce que de nos jours, les seuls hérétiques qu’il nous reste, c’est les intégristes qui nient avoir des mitres…

Outre l’éloge de l’intelligence et de la « foi pure », l’œuvre de Simone Weil se caractérise par une méfiance extrême à l’égard de toute forme de pouvoir.

Comme le dit le père Perrin, « elle voit comme dénominateur commun à la pratique de l’Eglise romaine et à l’histoire du peuple juif un goût invétéré pour la puissance et pour le pouvoir. »

C’est ce prêtre qui présente Simone à Gustave Thibon, qui l’engage pour les vendanges (c’est bien de lui, ça !) Ils ne sont apparemment d’accord sur rien, mais ça n’empêche pas leur amitié de croître : « J’ai été en quelque sorte vaincu par le spectacle de cette âme », dira Thibon, énamouré.

C’est d’ailleurs cette admiration qui le fait pester contre le siècle : « Ce qui me paraît grave dans cette époque, c’est qu’on ait préféré le message d’un Teilhard de Chardin à celui de Simone Weil. Notre époque avait à choisir entre le symptôme de son mal et le remède. Elle a choisi le symptôme ! »

A Londres en 1942, Simone Weil ne se sent guère à l’aise. Les gaullistes, hôtes des Anglais, sont contraints de ce fait à certains compromis qui l’insupportent… En vérité, elle aurait préféré combattre jusqu’à la mort aux côtés des maquisards; mais son état de santé ne le lui permet pas.

L’année suivante, à l’âge de 39 ans, elle décide donc de ne plus lutter contre la maladie qui la consumait. Au mois d’août, transportée au sanatorium d’Ashford dans le Kent, elle s’exclame en entrant dans sa chambre : « Quelle belle vue pour mourir ! »

Les auteurs du doc ont choisi, à juste titre me semble-t-il, de le refermer sur une dernière réflexion de Julliard (qui décidément est un excellent vin de garde !)

Il termine son témoignage en faisant de Simone Weil un éloge superbe et vrai : « Elle fait partie de ces êtres exceptionnels qui témoignent pour leur espèce en tant que différents d’elle ».

Différents ? Heureusement car, selon Julien Benda cité par Julliard, « nous allons vers une société de plus en plus douce (…) Et en même temps, ça donnera des êtres de plus en plus couchés. »

« L’Histoire, écrit encore Julien Benda, sourira que Socrate et Jésus soient morts pour cette espèce ». « J’ai envie d’ajouter Simone Weil », ajoute Julliard.

Nous aussi.

La Pesanteur et la grâce

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Feu sur le sous-commandant Darcos !

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« Touche pas à mon école ! » La semaine dernière, une chaîne humaine d’une centaine de personnes, parents, enseignants et enfants a formé une chaîne symbolique autour de l’école du village où je demeure. Protestait-on contre une suppression de classe ou de poste d’enseignant ? Nullement. L’activité reproductrice des habitants de la commune et l’arrivée de nouvelles familles séduites par la qualité de vie sur son territoire garantit la pérennité et même l’extension de cette école élémentaire.

Il s’agissait donc de l’écho renvoyé par nos montagnes des lamentations des syndicats d’enseignants, relayées par celles des organisations de parents d’élèves, relatives à un supposé démantèlement du service public de l’éducation par l’actuel ministre, Xavier Darcos.

Lorsqu’un mouvement revendicatif atteint le département de la Haute-Savoie et reçoit le soutien d’une population généralement rétive à la contestation systématique de l’ordre établi, le gouvernement qui en est la cible a du souci à se faire.

Les mots d’ordre entendus lors de ces manifestations et les discussions avec les participants à ces actions témoignent d’une angoisse réelle des enseignants et des parents d’élèves. Deux thèmes sont particulièrement mis en avant : on soupçonne le ministère de vouloir retirer les professeurs des écoles (ci-devant instituteurs) des classes maternelles pour les remplacer par des personnels moins qualifiés, et on voit dans les évaluations, au mois de janvier des acquis des élèves de CM2 une volonté de faire un tri trop précoce entre les « bons » et les « mauvais ».

Dans le cas de l’école maternelle, l’inquiétude a été suscitée par une petite phrase pour le moins malheureuse de Xavier Darcos qui ironisait sur l’utilité d’utiliser des bac+5 à changer des couches et surveiller des siestes. Outre que ces tâches, dont l’humilité n’exclut pas la nécessité, sont assurées, la plupart du temps, par des assistantes désignées par le sigle Atsem (à vos souhaits !), elles ne concernent que les enfants de 2-3 ans dont 20 % seulement sont scolarisés avec de fortes disparités régionales. Dans aucun texte, dans aucun discours des actuels gouvernants ou parlementaires de la majorité, n’a été évoquée l’hypothèse d’un dessaisissement de l’éducation nationale de la gestion de la classe d’âge 3-6 ans. On assiste donc là à un face-à-face paranoïde entre une administration considérant le corps enseignant comme un boulet freinant les réformes nécessaires par égoïsme corporatiste, et une  » communauté éducative » soupçonnant le ministre des plus noirs desseins.

Il en va de même pour les évaluations : un projet destiné à éclaircir une réalité opaque est perçu comme une entreprise de stigmatisation des élèves et de leurs maîtres. En procédant à des évaluations normalisées à l’échelle nationale avant l’entrée en sixième, on essaie de répondre à une question : le niveau de l’enseignement est-il aussi uniforme dans notre pays que le proclament les principes éducatifs de la République ? Une partie des usagers de l’école publique, la plus aisée et la plus éduquée, semble s’être empiriquement fait une opinion sur le sujet en rusant allègrement avec la carte scolaire. Il n’est donc pas totalement stupide d’aller voir ce qu’il en est réellement pour, ensuite, étudier et mettre en œuvre les moyens d’améliorer les choses.

Enfin, le projet de « jardins d’éveil » pour accueillir les 2-3 ans, formulé dans des rapports parlementaires est violemment contesté par les syndicats enseignants qui voient là un premier pas vers la privatisation cette école maternelle que l’Europe entière nous envie.

Derrière cette accumulation de procès d’intentions, de malentendus réels ou feints, on perçoit le cœur du problème: la perte collective d’estime de soi du corps enseignant, qui met sa sensibilité à vif dès qu’il est interpellé, même de manière bienveillante, par le corps social. La déconfiture de la Camif n’est pas qu’un accident industriel banal, c’est aussi un symbole de la déstructuration d’une collectivité dont la cohésion sociale et idéologique était très forte et donnait à chacun de ses membres la fierté d’appartenir à un bataillon d’élite de la République.

La suppression annoncée des IUFM, héritiers, sinon de l’esprit du moins des bâtiments des anciennes écoles normales d’instituteurs, marque la fin de cette spécificité du métier d’enseignant, auquel on ne se donnait pas par hasard, mais par vocation. La « mastérisation » de la formation des instituteurs et la « revalo » afférente (en bon français le passage au niveau bac + 5, condition d’une augmentation salariale) aura, dans le contexte actuel, le même effet que la morphine sur la douleur des malades : elle l’effacera un temps sans en éradiquer les causes. Le mammouth, quand il est déprimé peut devenir dangereux…

Mgr Williamson n’a jamais existé

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Ça porte une mitre et ça se dit évêque. Le pire est que tout le monde y croit et confère à Richard Williamson un titre qu’aux yeux de l’Eglise catholique, sise Cità del Vaticano, il n’a pas. Il y a quelque temps, on y aurait regardé à deux fois. C’était l’époque bénie où personne n’aurait songé un instant à appeler David Hodo pour lui demander d’effectuer chez soi des travaux de bricolage : on se doutait bien que ce membre des Village People était meilleur chanteur qu’ouvrier en bâtiment. Ces temps-là sont finis : l’habit fait désormais le moine et il vous suffit d’investir dans l’achat d’une mitre, d’une crosse et d’un anneau épiscopal pour vous prétendre évêque et pour que chacun se mette à vous donner du monsignor comme s’il en pleuvait. Jacques Attali voulait libéraliser la licence de taxi, Richard Williamson roule quant à lui sans permis sur les routes épiscopales.

Aux yeux d’un catholique, c’est-à-dire d’un chrétien qui reconnaît l’autorité et le magistère romains, rien n’a jamais fait de Richard Williamson un évêque. Consacré par un excommunié sans approbation pontificale, il n’a jamais fait que de la figuration éhontée dans la succession des apôtres. Aujourd’hui, la levée de son excommunication ne fait pas de lui un prélat de la Sainte Eglise catholique, apostolique et romaine : elle lui permet simplement, comme tout bon et tout mauvais catholique, de recevoir à nouveau les sacrements qui lui étaient refusés jusque-là. Il pourra à nouveau s’asseoir à la table familiale, rompre le pain, comme ce cousin gaga, celui qu’on déteste et qu’on exècre, et dont les moindres paroles sont un crime contre l’esprit, mais que l’on se sent obligé d’inviter une fois l’an parce que c’est l’hiver, qu’il est seul et gna gna gni, gna gna gna. Charité chrétienne oblige. Chacun sa croix. Et les moutons de Jeanne d’Arc seront bien gardés. Amen.

En vérité, je vous le dis : rien ne s’oppose à ce que Richard Williamson revienne à l’Eglise, contrit, la tête basse et le visage éteint de tout enfant prodigue. Il dit des conneries, beaucoup plus qu’un évêque pourrait en bénir : ce n’est pas là l’essentiel, vu qu’en vingt siècles d’histoire qui ne furent pas de tout repos, l’Eglise a eu son content d’imbéciles autant que de prêtres qui peuplent aujourd’hui l’Enfer. Seulement, ce qui ne sera pas pardonné à M. Williamson c’est d’être un con glorieux. Le pape, qui n’est plus trop avare d’indulgences plénières depuis leur gratuité, peut tout : même pardonner la bêtise d’un homme. Mais là où s’arrête son pouvoir spirituel, c’est lorsque se présente à lui un homme dont la principale occupation n’est pas la justification par les œuvres ni par la grâce, mais la justification par la bêtise la plus crasse. À peine Williamson avait-il nié l’existence des chambres à gaz qu’on le retrouve en train de nier l’attentat du 11 septembre 2001. Il y a un peu de l’Aragon du Traité du style chez cet homme-là : « Je conchie le Vatican dans sa totalité. » Conchie, mon frère, conchie, mais ne nous fait plus ch…

Ce que ne veut pas Richard Williamson est assez clair : il ne tient pas à ce que la Fraternité Saint-Pie X réintègre l’Eglise romaine. Il pose des bombes médiatiques, multiplie les calembours douteux et personne ne sait jusqu’où il s’arrêtera. Hier il vous a dit que les chambres à gaz n’existaient pas, demain il montrera son cul au Journal de 20 heures. Il est prêt à tout, le katomikaze. Ce type est, en fait, la version enmîtrée d’Oliver Besancenot ou de Jean-Marie Le Pen : il refuse de travailler avec les partis de gouvernement, car il sait pertinemment que, pour lui, hors la logique groupusculaire point de salut. Des traditionnalistes ou des fidèles du rite latin, Richard Williamson n’en a cure. Ce qui lui importe, c’est faire son intéressant, toucher lui aussi sa part d’audimat et de buzz. Williamson joue les cloportes de la modernité médiatique. Bonjour, la Tradition.

Voilà pour le sieur Williamson, poids plume de la conscience, auquel ma foi et ma raison m’interdisent définitivement de donner le titre de Monseigneur. A Dieu ne plaise.

En face, catégorie poids lourd, Benoît XVI, qui n’est, contrairement aux apparences et aux diverses mises au point de la Secrétairerie, absolument pas gêné aux entournures. Le pape est-il révisionniste ? Bien entendu que non. Si jamais même il se trouvait, au sein de la Sainte Eglise catholique, apostolique et romaine, un seul cardinal, un seul évêque ou un seul prêtre qui ouvrait la bouche pour tenir des propos révisionnistes ce pape-là interviendrait. Et il interviendrait plus qu’un autre. Non seulement parce que l’encyclique Mit brennender Sorge a toujours cours, mais aussi parce qu’il est allemand et qu’on ne plaisante pas avec ce genre d’histoire quand votre dos est chargé malgré vous de tout le poids de la deutsche Vergangenheit. C’est d’ailleurs, sur ce sujet précis, un très mauvais procès que de prêter de l’antisémitisme au catholicisme qui a pleinement admis depuis Lacordaire que « le peuple juif a été l’historien, le jurisconsulte, le sage, le poète de l’humanité ». Procès d’autant plus nauséabond et déplacé que Joseph Ratzinger restera certainement dans l’histoire de l’Eglise comme l’un des théologiens qui ont affirmé le plus puissamment la source juive du christianisme.

Le problème de ce pape-là, c’est que les entournures il ne connaît pas. Il a reçu, comme les hommes de son âge, une éducation dont le point central était une aversion entretenue pour le respect humain. En français, le terme n’est plus employé du tout. J’avais moi-même, à l’âge de dix ou onze ans, été très brusqué lorsque la Supérieure de la congrégation de la Divine Providence à laquelle appartenait ma Schwester Tante prononça ces mots à l’enterrement de ma grand-tante : « Sœur Fabiola était une grande Kappelmeisterin et organiste. Mais elle avait surtout une absence totale de respect humain. » Nimbé dans l’encens et sortant de sa bière, son visage jauni par la mort témoignait au milieu de l’église de Saint-Jean-de-Bassel de tout le contraire. Non seulement je la tenais pour une excellente musicienne qui, jusqu’à la fin de sa vie me frappa désespérément sur les doigts pour me faire jouer une gamme sur le piano, mais en plus je la croyais sainte. Et voilà que j’apprenais que les chemins de la sainteté passaient par le déni du respect humain. Beaucoup plus tard, j’ai découvert l’usage effréné des grands dictionnaires et la traduction s’impose : le respect humain, c’est le souci que l’on a du jugement d’autrui.

Formé comme il a été, c’est-à-dire dans les mêmes années et le même environnement culturel que ma grand-tante, le pape Benoît XVI n’a non seulement aucun sens de la communication, mais, circonstances aggravantes, je crois même qu’il s’en contrefiche. Seule compte, pour lui, la relation qu’il a avec le Très-Haut. S’il réintègre la Fraternité Saint-Pie X jusqu’à ses brebis les plus galeuses et les moins fréquentables, c’est qu’il croit dur comme fer en un messianisme appelé « unité de l’Eglise ». Voilà ce qui arrive, quand l’Esprit – qui souffle où Il veut – appelle à la tête de l’Eglise un mystique si absorbé dans la vita contemplativa qu’il en oublie que notre temps vit à un rythme autre que le sien. Comme l’ont déjà noté Gil Mihaely et Paul Thibaud, voilà ce qui arrive quand un pape se met à croire qu’il n’a de comptes à rendre qu’à Dieu. Voilà ce qui arrive quand le pape est pape et seulement pape. Et Monsieur Williamson, triste sire, sombre sieur de la bulle communicationnelle, n’y pourra rien changer.

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On a marché dans Babouse

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Attentifs comme on les connaît et comme on les aime, les Causeurs auront remarqué l’irruption du dessinateur Babouse sur la Une de leur site préféré. Certains ont cru que la rubrique Estampes avait renvoyé vers Cuba le génial Raul Cazals : il n’en est rien ! Les deux olibrius se partagent dans la joie et la bonne humeur la rubrique. Mais Babouse, qu’on a de la joie à retrouver très régulièrement dans L’Humanité ou Charlie Hebdo, vient d’ouvrir son Carnet : il y publie, chaque jour, les dessins refusés par les rédactions. Et ça, franchement, sur Causeur, nous ne pouvions pas refuser ! Bienvenue donc à Babouse. Il est là. Bien là. Eloignez les enfants, mais faites le savoir.

Outre Babouse, les Carnets de Causeur hébergent Gérard Scheer, David Desgouilles, Tristan Brillat et Parlons Net.

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La Trahison

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Cher Monsieur Besson, votre modestie en souffrira peut-être, mais l’honnêteté me commande de vous le dire comme je le pense : j’aime bien ce que vous faites. Cela fait plus de vingt ans que je regarde votre carrière s’épanouir en multiples talents. Je lis chacun de vos romans, me précipite au cinéma dès que s’affiche un film que vous avez réalisé ou produit. Chaque semaine, j’attends avec impatience de lire les réjouissantes chroniques que vous publiez là où on vous le permet encore : L’Humanité, VSD, le Figaro, le Figaro magazine, Le Point, Voici et Marianne. Si l’actuel président français ne muselait pas la presse, ah, vous l’auriez enfin votre tribune hebdomadaire dans Tiercé magazine. Pour l’heure, vous résistez là où vous pouvez. Encore combien de temps ? Nul ne le sait.

Pour vous parler franchement, je n’ai pas trop goûté votre série Taxi. Mais Nikita et Le Grand Bleu, je me les repasserais en boucle si Willy n’avait pas besoin de temps à autre du lecteur dvd pour se mater le documentaire d’Al Gore, seul film susceptible de le calmer quand il songe avoir dépensé toutes ses économies pour une voiture électrique qui tombe en panne au douzième kilomètre.

Ce qui m’étonne le plus en vous, c’est que vous puissiez conjuguer un prolifique travail d’éditorialiste, l’écriture de films et de romans, à des responsabilités politiques chaque jour de plus en plus hautes. Votre ascension est si rapide qu’on imagine que vous n’en resterez pas là et qu’il faudra bien que l’Onu se résolve à reconnaître l’existence d’une république de l’Everest pour que votre ambition trouve des sommets à sa légitime mesure.

Un ami français m’a recommandé il y a quelques jours votre Trahison. J’ai adoré ! C’est si rare, de nos jours, d’avoir quelqu’un comme vous, qui maîtrise si parfaitement le romanesque qu’il nous fait plonger sans que nous ne nous en apercevions au cœur du sordide. Votre Trahison restera un chef d’œuvre et je vois le jour venir où tout cela sera étudié dès le plus jeune âge dans les écoles.

Alors, dès que j’ai entendu votre appel à la délation des passeurs d’immigrés clandestins, Willy m’a dit : « Ecris une lettre à Besson, ça lui fera plaisir. »

J’ai justement repéré il y a quelque temps le drôle de manège d’un de vos compatriotes, Guillaume Pépy. Sous une couverture somme toute assez officielle (l’homme est, paraît-il, président de la SNCF), il fait passer chaque jour, à hauteur de Kehl, des milliers d’Allemands en France. Cela arrangerait les affaires de la France et celles de Hartmut Mehdorn, président de la Deutsche Bahn, si vous pouviez mettre un terme aux agissements de ce malfaiteur.

Je tiens également à porter à votre connaissance l’activisme forcené d’une personne de couleur. Il s’agit d’un certain Jacques Séguéla (Paris). Cet individu dirigerait une filière de passeurs italiens. Quelqu’un m’a dit que les plus hautes sphères de la République française seraient touchées par cette affaire. Je sais pouvoir compter sur vous pour que le réseau soit démantelé et que les pauvres filles, victimes de cet être abject, soient reconduites chez elles sans plus attendre.

Vous renouvelant, Monsieur Besson, toute ma vénération, je vous prie de recevoir mes salutations les meilleures.

Une bonne Allemande

PS : N’écoutez pas Jacques Attali : arrêtez, il y a beaucoup trop de Taxi maintenant.

Photo de Une : Eric Besson aux assises du numérique, Luc Legay, Flickr.

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La papauté est humaine, l’erreur aussi

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Comme l’a dit un causeur célèbre, le Pape est pape ! Sans le contredire, je voudrais ajouter qu’il est aussi et en même temps à la fois prince et, ce qui n’est pas rien, vicarius christi, le vicaire de Jésus Christ ou son lieutenant ici-bas. Le champ de manœuvre papal s’étend entre la « princitude », la dimension politique et temporelle de la charge pontificale, et la « vicairitude », c’est-à-dire sa dimension religieuse. Benoît XVI semble plutôt porté vers la dimension théologico-religieuse de sa charge. Aussi raisonne-t-il à l’échelle des décennies voire des siècles. Quand on se situe dans la longue durée et dans une perspective purement théologique, les bêtises volontairement provocatrices d’un histrion latinisant en soutane nommé Richard Williamson sont effectivement – et contrairement aux événements dont il parle – un petit détail.

Les évêques de Rome ont mis du temps à s’habituer à la perte quasi-totale de leur « princitude » d’antan. Jusqu’au 20 septembre 1870, le pape a résidé au palais du Quirinal devenu résidence des rois d’Italie puis de la présidence de la République. Le palais du Vatican ne fut d’abord qu’une solution d’attente, un refuge devenu en 1929, suite aux accords de Latran, le centre du plus petit Etat du monde – 44 hectares et environ 800 habitants. À la tête d’une microscopique principauté dépourvue de la moindre division, comme le rappela Staline, le pape n’en est pas moins, qu’il le veuille ou non, un acteur politique, en particulier depuis que Jean-Paul II a donné à la fonction une dimension médiatique planétaire.

Mais à l’heure de l’hyper-démocratie, négliger les médias et l’opinion publique est une funeste erreur. Pape ou non, point d’action sans communication. Intellectuel, théologien et certainement fin connaisseur de la politique politicienne ecclésiastique – il n’est quand-même pas donné à tout le monde de devenir serviteur des serviteurs de Dieu – le Pape actuel se soucie très peu de la culture politique démocratique et encore moins de ses exigences cathodiques. À l’évidence, pour Benoît XVI et son entourage, la levée de l’anathème n’a rien à voir avec les opinions de celui qui en bénéficie : un prêtre confessant accordant l’absolution à un assassin condamné à mort n’apporte pas pour autant le soutien de l’Eglise ni au meurtre ni à la peine de mort.
Eviter le piège tendu par Williamson aurait été assez facile. Comme le rappelle Paul Thibaud, les 48 heures écoulées entre la diffusion des propos négationnistes de Richard Williamson le 22 janvier et l’annonce, programmée d’avance par le Vatican de la levée de l’excommunication de quatre évêques ordonnés par Mgr Lefebvre, auraient au moins dû permettre la suspension de la décision. D’ailleurs, puisque Williamson n’en est pas à sa première provocation, le problème aurait dû être traité en amont, si toutefois la curie avait la sensibilité et les compétences de n’importe quelle chancellerie occidentale.

On peut donc reprocher, au minimum, à Benoît XVI de planer sur les sommets de la théologie et d’oublier de se pencher sur les tristes affaires des hommes. Reste que si l’on oublie le faux-pas Williamson, il y a aussi quelque chose d’admirable dans ce pontificat qui se veut spirituel plus que temporel. Pie XII a été un homme d’Etat et un diplomate habile dans une période trouble. Marqué, comme tous les dirigeants européens des années 1920-1940, par la guerre de 1914-1918, Mgr Pacelli n’aura été qu’un Pape-prince. Et il a raté une occasion qui – heureusement – ne se présente qu’une fois tous les deux mille ans : face au Mal absolu, il aurait pu rééditer le sacrifice sublime de celui qu’il représentait sur terre. Au moment où il fallait sortir de l’Histoire il a choisi d’y rester avec le souci – légitime mais peu adapté à la dimension de l’enjeu – de défendre les intérêts séculiers de l’Eglise et de ses fidèles. C’est le mieux qu’on puisse attendre d’un homme d’Etat mais en-dessous de la main s’agissant d’un Pape confronté à Hitler. Benoît XVI est, certes, un diplomate maladroit, il commet des erreurs que Pie XII aurait probablement évitées avec habileté. Reste qu’il sait peut-être mieux que celui-ci de qui il est le mandataire sur terre.

Le communisme dans le sang

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L’horreur, c’est qu’il n’y a pas d’après. Peut-être n’y en a-t-il jamais et nulle part. Mais s’il n’y a pas d’après-communisme c’est parce que tout conspire à faire croire que le communisme n’a jamais existé. À Sofia, le souvenir même du mausolée où reposait Dimitrov, le Staline bulgare, a disparu, sans doute recouvert de boutiques H&M et de parasols publicitaires. Rouja Lazarova a touché juste en faisant de ce non-lieu la tour de contrôle, le centre de commandement du mensonge. Et le mensonge continue à hanter les esprits, à ronger les âmes, même les esprits et les âmes de ceux qui n’ont pas connu son règne.

Rouja, beaucoup de journalistes l’ont croisée dans les Balkans, un petit bout de fille pimpante et grave qui faisait l’interprète pour les Français, aujourd’hui parisienne d’adoption, française par la langue. Le communisme coule dans ses veines comme il a coulé dans celles de ses personnages Gaby, Rada et Milena, trois femmes, trois générations broyées par la répétition, cette figure de la mort. L’homme de Gaby a disparu quand elle portait son enfant, happé par un régime qui a fait de l’arbitraire et de la peur ses principes de survie. Comme l’écrivain qui signe son quatrième roman en français, Milena, la petite-fille de Gaby, verra le Mur tomber, les anciens tortionnaires se reconvertir dans le business et les paillettes, les rêves d’émancipation se rabougrir en avidité de possession. À Paris, elle découvre avec rage et stupéfaction que ces mots qui ont été les murs de sa prison, certains de ses amis les brandissent comme des étendards de liberté. Elle dont les parents ont payé d’une existence grise leur refus de rallier le Parti qui distribuait prébendes et privilèges apprend qu’on peut avoir été communiste volontairement et même avec enthousiasme. Et puis, elle comprend. « Nous étions des enfants de la révolution mais nous avions perdu les idées révolutionnaires. »

La vérité de la nuit communiste, Rouja Lazarova la cherche autour du mausolée. Ainsi, aux commandes de la Terreur, il y avait un cadavre. Une momie vide, sans cerveau ni cœur, devant laquelle des écoliers aux pieds et aux cœurs glacés devaient singer le recueillement. Les années passent, on meurt de moins en moins dans les geôles du régime, l’ennui et la nausée succèdent à l’effroi. La momie est moins imposante, de plus en plus ridicule aux yeux des écoliers que l’on autorise, avec le temps, à garder leurs manteaux pour visiter le monument réfrigéré. En juillet 1990, alors que le granit se couvre de graffitis, la famille organise l’évacuation du corps. « La crémation s’était éternisée, écrit Lazarova. Imbibé de formol, Gueorgui Dimitrov ne voulait pas brûler. » Même les flammes de l’enfer ne peuvent détruire le passé. Mais peut-être les mots le peuvent-ils. C’est l’espoir de Rouja Lazarova. Mausolée est en quelque sorte l’inverse d’un requiem, des pelletées de phrases, de colère et d’énergie jetées sur le cadavre du communisme pour qu’il se taise à jamais et cesse de hanter les vivants.

Mausolée

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Ma copine Rouja Lazarova dédicacera son livre ce jeudi 12 février à 19 heures à la Librairie L’Arbre à Lettres, 33-35 boulevard du Temple, Paris 3e.

Alessandra Mussolini, bellissima !

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Le Sénat italien, dominé par la droite berlusconienne, vient de faire voter une loi incitant vivement les médecins à dénoncer leurs patients immigrés clandestins. Le corps médical dans son ensemble ainsi que l’Eglise catholique et la gauche s’opposent vigoureusement à cette mesure. Jusque-là, tout semble logique dans les positionnements respectifs. Plus étonnant, la belle Alessandra Mussolini, petite-fille de son grand-père et nièce de Sophia Loren, dirigeante du mouvement Azione Sociale et parlementaire classée à l’extrême droite (mais apparemment très à gauche du Français Eric Besson, récemment promu aux Affaires raciales), a appelé à la désobéissance civile et a déclaré : « De nombreux fils d’immigrés ne seront plus soignés parce que leurs mères auront peur d’être dénoncées. » A se demander si une fasciste italienne n’est pas plus fréquentable que certains ministres d’ouverture…

Trois Likoud pour le prix d’un !

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Au lendemain d’élections à suspense en Israël, chacun, calculette en main, s’est mis à échafauder les possibles coalitions. Reste qu’à se focaliser sur l’arithmétique électorale sous régime de proportionnelle intégrale, on passe à côté de l’essentiel qui est le bouleversement du paysage politique. Des urnes ont en effet émergé une droite constituée de trois Likoud : l’AOC, le Likoud-Canal historique de Netanyahu est flanquée à sa gauche du Likoud centriste de Tzipi Livni et à sa droite d’une variante poutiniste dirigée par Lieberman. La plupart des commentateurs se sont focalisés sur la percée du parti de Lieberman – qui semble occuper pour eux la même place que Le Pen dans le paysage français, celle d’une extrême droite infréquentable. En vérité, la droite israélienne est aujourd’hui plus forte, certes, mais elle est aussi plus diverse, plus pragmatique et surtout – et c’est la grande nouveauté – plus laïque. Et quoi qu’en pensent les amateurs d’indignation bon marché, c’est peut-être une excellente nouvelle.

Si, au milieu des années 1990, vous aviez été invité par le vieux Likoud à boire un verre pour le nouvel an, vous auriez sans doute croisé les trois vainqueurs d’hier soir. Bibi le chef, Lieberman (« Yvette »), son bras droit, directeur général et Tzipi (Livni) en « princesse[1. Dans le Likoud, les princes et princesses sont les enfants de résistants et des compagnons de route de la première heure de Menahem Begin.] » remarquée, grimpant l’échelle qui devait l’amener en 1999 à la Knesset comme député du Likoud. Ces trois-là recueillent aujourd’hui presque 60 % des suffrages. Ils incarnent aussi la mutation de la droite israélienne – une mutation qui ne se résume pas à une radicalisation.

Kadima, le Likoud canal centriste, a remporté un succès relatif. Arrivée en tête, Livni a passé avec brio son baptême du feu politique, surtout si l’on pense aux sondages des derniers jours de la campagne qui donnaient Netanyahu en première position. Le succès de la droite dure sinon extrême ne change rien au fait que le projet politique du centre est en position… centrale. Comme l’avait compris Haïm Ramon, père aujourd’hui presque oublié de la théorie du « big bang politique », les travaillistes n’ont plus de base électorale, sans doute parce que boboïsés comme leurs homologues français et européens, ils ont abandonné les couches populaires à leur sort et à la droite. L’Israël de Tel-Aviv a peut-être trouvé dans Kadima sa formule politique : compromis avec les Palestiniens sur la base des frontières de 1967 et libéralisme économique, le tout assaisonné d’un zeste de solidarité.

Quant à Liebermann qui a tout pour jouer le méchant de l’affaire, il renoue avec le nationalisme laïque. Il ne croit qu’à la force mais s’abstient d’invoquer le droit biblique. C’est un émule de Poutine plus que d’Ahmadinejad – et après tout, on a le droit de préférer le premier au second. Le succès de Liebermann marque une rupture dans l’évolution de la droite israélienne depuis la victoire du Likoud vers son aile national-religieuse. Begin et les parents d’Ehud Olmert et de Tzipi Livni étaient peut-être des genres de maurassiens, ils ont tenté de capter à leur profit la capacité de mobilisation des religieux. Leurs enfants n’ont pas grand-chose en commun avec les religieux qui ont monopolisé la droite nationale, l’emmenant dans la voie sans issue de la colonisation. Begin a toujours préféré reculer que de combattre ses frères ennemis sionistes, même quand il était en désaccord profond avec eux. La droite religieuse post-1977 a, elle, enfanté Igal Amir, assassin de Rabin.

Quand on connait la musique politique israélienne, on entend vaguement, derrière le discours odieux de Lieberman, les accents d’une droite politique et culturelle que l’on pensait disparue et qui croit, comme Theodore Herzl, que la place des rabbins est dans les synagogues plutôt qu’au Parlement et qui croit aussi que la paix civile vaut des territoires. Dans un entretien donné à Haaretz, il y a deux ans, Lieberman a revendiqué ouvertement cet héritage en rappelant la maxime de Begin : l’unité nationale a la priorité sur l’intégralité de la patrie. Autrement dit, s’il faut choisir entre la guerre civile ou le renoncement à la Cisjordanie, Lieberman optera quoi qu’il en ait pour la deuxième option. Il ne faut pas oublier non plus que sa base militante est formée d’immigrés russophones, plutôt méfiants vis-à-vis de la version rabbinique du judaïsme. Pour ses électeurs, bouffeurs de jambon et de rabbins, les questions d’état-civil (mariage et enterrement civils), du transport public le samedi et du service militaire pour les ultra-orthodoxes sont d’une importance majeure. Quant à Lieberman, il n’a jamais caché que pour lui, la question des frontières relève de la sécurité et de la géostratégie plutôt que de l’idéologie ou de la religion, ce qui fait de lui un compagnon de route difficilement fréquentable pour la droite religieuse et le noyau dur des colons.

Tout cela, diriez-vous, est une maigre consolation pour demain matin, et vous aurez raison. Mais pour après-demain, ce qui vient de se passer dans les urnes pourrait changer la donne. La perte d’influence des partis religieux continuera à désacraliser donc à politiser la question des frontières. Et si vous n’êtes toujours pas convaincus ne vous faites pas de souci : au train où vont les choses, les prochaines élections ne devraient pas tarder.

Un monde très diplomatique

9

C’est à tort que j’avais prêté à l’estimable mensuel Le Monde diplomatique l’intention de se passer des services de Pierre Jourde après son coming out pro-israélien dans Causeur, puis dans Le Monde. Je fais donc humblement amende honorable et me réjouis donc de retrouver, très bientôt, la signature de ce grand critique littéraire dans les colonnes du Diplo.

Simone Weil, ou l’exigence

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On célèbre cette année le centenaire de Simone Weil, sans tapage excessif, il faut bien le dire. Enfin, discrètement : c’est pas non plus Jean-Paul Sartre ! Bref, Arte l’a quand même fait dimanche passé, et le plus honnêtement du monde.

Le documentaire de Françoise et Florence Mauro est un modèle du genre : il retrace fidèlement le parcours d’une philosophe éperdue d’absolu, depuis le syndicalisme révolutionnaire, auquel elle a longtemps cru jusqu’à la Révolution chrétienne dont elle a compris, mieux sans doute que tous ses contemporains, le caractère radicalement subversif.

Jamais cependant « Simone Weil, l’irrégulière », selon l’excellent titre de ce doc, n’acceptera de se plier à l’institution ecclésiale.

Heureusement que tout le monde n’est pas Simone Weil, sinon les églises seraient encore plus vides… Mais surtout heureusement qu’il y a des âmes comme celle de Simone Weil, sinon l’Eglise ne serait qu’une secte, c’est-à-dire une entreprise faussement transcendante.

« Elle vivait la distance désespérante entre « savoir » et « savoir de toute son âme » », disait d’elle son ami le philosophe catholique Gustave Thibon, éditeur de La Pesanteur et la Grâce (1947), sans doute son livre le plus important.

Cette exigence de vérité absolue, y compris vis-à-vis de soi-même, va donc conduire la jeune juive athée au cœur de la mystique chrétienne, tout en l’arrêtant « aux portes de l’Eglise ». Heureusement, Dieu seul sait qui fait véritablement partie de son Eglise mystique – et Dieu sait qu’elle doit être du nombre, Simone ! Sinon ce serait désespérément vide Là-haut – comme une boîte de nuit à 21h !

Ses « engagements dans le siècle », comme dit Télérama, ne sont donc sûrement pas l’essentiel de ce que l’on peut retenir d’elle, aujourd’hui et pour l’éternité.

L’élan social ? Magnifique. L’amitié avec Trotski ? Au mieux, un malentendu. L’engagement de cette pacifiste intransigeante dans la guerre d’Espagne ? Paradoxal… La collusion avec les staliniens et autres tueurs fous ? Pitoyable !

A cet égard, le témoignage le plus éclairant est sans doute celui de Jacques Julliard. D’ailleurs, les diverses interventions de Julliard au fil de ce documentaire révèlent chez lui une profondeur et donc une hauteur de vues que je ne soupçonnais pas[1. Même si j’aime bien sa nouvelle couleur de cheveux.].

Le parcours intellectuel et spirituel de Simone Weil, nous dit en substance Julliard, est incompréhensible à qui l’aborde en termes de psychologie, comme vous et moi. Pour comprendre des « êtres supérieurs » comme Simone Weil, dit Julliard, la psychologie est de moindre utilité. Tout simplement parce que, chez ces gens-là « les précautions à l’égard de soi-même, du monde, de son âme sont des choses complètement impossibles ».

C’est ainsi que, membre de la colonne Durruti, elle n’en dénoncera pas moins les atrocités commises par ses amis républicains – à commencer par Durruti lui-même…

Le documentaire retrace avec un talent rigoureux le parcours fulgurant de Simone Weil.

Elle naît à Paris en 1909, dans « une famille de la bonne bourgeoisie juive » dit son frère André, composée quand même de « provocateurs », précise sa nièce. (Ainsi sa grand-mère aurait-elle provoqué un scandale en jouant un soir L’Internationale dans le grand salon d’un palace…)

Fénelon, Henri-IV, Ecole Normale Supérieure : pour Simone, le plaisir d’apprendre est indispensable aux études : l’intelligence ne grandit que dans la joie.

Et l’intelligence telle qu’elle la conçoit est tout sauf un placard à tiroirs : passer même quatre heures devant un problème de géométrie sans le résoudre, dit-elle, ce n’est pas du temps perdu. Cela se retrouvera un jour ou l’autre – et pourquoi pas dans l’appréciation nouvelle d’un vers de Racine ? L’essentiel n’est pas tant dans la chose que dans l’attention qu’on lui porte.

1933 : Simone rencontre Boris Souvarine, alors responsable communiste, qui dira d’elle : « C’est le seul cerveau que le mouvement ouvrier ait eu depuis longtemps. »

En matière de cerveau révolutionnaire, sa préférence à elle va à celui de Léon Trotski. Elle lui reproche seulement d’être resté trop marxiste – et plus précisément trotskiste : le camarade Léon, tel un Besancenot normal, continue de croire que l’Union soviétique reste un «Etat ouvrier » même s’il est victime d’une « dérive bureaucratique ».

Or, dit-elle après Descartes, une horloge détraquée n’est plus du tout une horloge ; c’est un mécanisme qui obéit à ses propres lois, sans qu’on les connaisse !

Suite à une discussion particulièrement houleuse, Trotski mettra fin à l’entretien en s’exclamant : « Mais alors, pourquoi vous ne vous engagez pas dans l’Armée du Salut ? »

Décembre 34 : elle s’engage en effet, mais comme ouvrière chez Alstom, « pour comprendre ». Paradoxalement, elle est contre la réduction du temps de travail : « Personne ne voudrait être esclave deux heures par jour ! » Il ne s’agit pas de réduire le temps du travail, mais de lui rendre sa dignité.

Et puis un beau jour au Portugal, Simone assiste à une procession de femmes de pêcheurs. C’est une première révélation : « Soudain, j’ai eu la certitude que le christianisme est par excellence la religion des esclaves. » C’est Nietzsche qui serait content ! (Je vous l’avais bien dit, etc.)

Par bonheur, au cours d’un voyage en Italie, son parcours spirituel va connaître une étape décisive, dans une chapelle romane autrefois fréquentée par saint François d’Assise en personne : « Quelque chose de plus fort que moi m’a obligée, pour la première fois de ma vie, à me mettre à genoux. »

Dans Autobiographie spirituelle, la philosophe raconte une autre expérience déterminante dans son évolution. Pour lutter contre les violents accès de migraine auxquels elle était sujette, elle se contraignait à réciter en boucle un poème, « Love » de Georges Herbert (dont je n’ai, j’espère que ça ne se voit pas trop, jamais entendu parler – ni le poème, ni l’auteur !)

Et dit-elle « à mon insu, cette récitation avait la vertu d’une prière (…) C’est au cours d’une de ces récitations que le Christ lui-même est descendu et m’a prise[2. Je laisse à Gérard Scheer le soin de nous servir les blagues qui s’imposent sur cette formulation jaculatoire (Zut ! Je crois que je lui ai piqué son meilleur gag.)] ».

En septembre 40, on retrouve Simone Weil réfugiée à Marseille où, malgré son agrégation de philosophie, elle postule sans succès à un poste d’enseignante. Elle écrit alors au Commissaire à la Question Juive pour lui demander si, par hasard, tout ça aurait un rapport avec ses « origines israélites ». Et sa lettre s’ouvre sur cette apostrophe délicieusement insolente : « Monsieur, Je dois vous considérer, je suppose, comme étant en quelque sorte mon chef… »

C’est en juin 1941 que Simone fait la rencontre du père dominicain Joseph-Marie Perrin, avec lequel elle entretiendra un dialogue métaphysique passionné. Mais jamais elle ne franchira le seuil du baptême. Elle rêve en vérité d’une foi « pure », dégagée de toute récupération par une quelconque institution. Trace de son gauchisme juvénile. « La foi, c’est l’intelligence éclairée par l’amour », dit-elle magnifiquement. Mais, ajoute-t-elle, « l’intelligence a besoin d’une liberté complète, y compris celle de nier Dieu ; et par suite la religion a rapport à l’amour, pas à l’affirmation ou à la négation ».

A coup sûr, cette vision intello-mystique du christianisme aurait pu la faire proclamer hérésiarque ; enfin, en d’autres temps, parce que de nos jours, les seuls hérétiques qu’il nous reste, c’est les intégristes qui nient avoir des mitres…

Outre l’éloge de l’intelligence et de la « foi pure », l’œuvre de Simone Weil se caractérise par une méfiance extrême à l’égard de toute forme de pouvoir.

Comme le dit le père Perrin, « elle voit comme dénominateur commun à la pratique de l’Eglise romaine et à l’histoire du peuple juif un goût invétéré pour la puissance et pour le pouvoir. »

C’est ce prêtre qui présente Simone à Gustave Thibon, qui l’engage pour les vendanges (c’est bien de lui, ça !) Ils ne sont apparemment d’accord sur rien, mais ça n’empêche pas leur amitié de croître : « J’ai été en quelque sorte vaincu par le spectacle de cette âme », dira Thibon, énamouré.

C’est d’ailleurs cette admiration qui le fait pester contre le siècle : « Ce qui me paraît grave dans cette époque, c’est qu’on ait préféré le message d’un Teilhard de Chardin à celui de Simone Weil. Notre époque avait à choisir entre le symptôme de son mal et le remède. Elle a choisi le symptôme ! »

A Londres en 1942, Simone Weil ne se sent guère à l’aise. Les gaullistes, hôtes des Anglais, sont contraints de ce fait à certains compromis qui l’insupportent… En vérité, elle aurait préféré combattre jusqu’à la mort aux côtés des maquisards; mais son état de santé ne le lui permet pas.

L’année suivante, à l’âge de 39 ans, elle décide donc de ne plus lutter contre la maladie qui la consumait. Au mois d’août, transportée au sanatorium d’Ashford dans le Kent, elle s’exclame en entrant dans sa chambre : « Quelle belle vue pour mourir ! »

Les auteurs du doc ont choisi, à juste titre me semble-t-il, de le refermer sur une dernière réflexion de Julliard (qui décidément est un excellent vin de garde !)

Il termine son témoignage en faisant de Simone Weil un éloge superbe et vrai : « Elle fait partie de ces êtres exceptionnels qui témoignent pour leur espèce en tant que différents d’elle ».

Différents ? Heureusement car, selon Julien Benda cité par Julliard, « nous allons vers une société de plus en plus douce (…) Et en même temps, ça donnera des êtres de plus en plus couchés. »

« L’Histoire, écrit encore Julien Benda, sourira que Socrate et Jésus soient morts pour cette espèce ». « J’ai envie d’ajouter Simone Weil », ajoute Julliard.

Nous aussi.

La Pesanteur et la grâce

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Feu sur le sous-commandant Darcos !

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« Touche pas à mon école ! » La semaine dernière, une chaîne humaine d’une centaine de personnes, parents, enseignants et enfants a formé une chaîne symbolique autour de l’école du village où je demeure. Protestait-on contre une suppression de classe ou de poste d’enseignant ? Nullement. L’activité reproductrice des habitants de la commune et l’arrivée de nouvelles familles séduites par la qualité de vie sur son territoire garantit la pérennité et même l’extension de cette école élémentaire.

Il s’agissait donc de l’écho renvoyé par nos montagnes des lamentations des syndicats d’enseignants, relayées par celles des organisations de parents d’élèves, relatives à un supposé démantèlement du service public de l’éducation par l’actuel ministre, Xavier Darcos.

Lorsqu’un mouvement revendicatif atteint le département de la Haute-Savoie et reçoit le soutien d’une population généralement rétive à la contestation systématique de l’ordre établi, le gouvernement qui en est la cible a du souci à se faire.

Les mots d’ordre entendus lors de ces manifestations et les discussions avec les participants à ces actions témoignent d’une angoisse réelle des enseignants et des parents d’élèves. Deux thèmes sont particulièrement mis en avant : on soupçonne le ministère de vouloir retirer les professeurs des écoles (ci-devant instituteurs) des classes maternelles pour les remplacer par des personnels moins qualifiés, et on voit dans les évaluations, au mois de janvier des acquis des élèves de CM2 une volonté de faire un tri trop précoce entre les « bons » et les « mauvais ».

Dans le cas de l’école maternelle, l’inquiétude a été suscitée par une petite phrase pour le moins malheureuse de Xavier Darcos qui ironisait sur l’utilité d’utiliser des bac+5 à changer des couches et surveiller des siestes. Outre que ces tâches, dont l’humilité n’exclut pas la nécessité, sont assurées, la plupart du temps, par des assistantes désignées par le sigle Atsem (à vos souhaits !), elles ne concernent que les enfants de 2-3 ans dont 20 % seulement sont scolarisés avec de fortes disparités régionales. Dans aucun texte, dans aucun discours des actuels gouvernants ou parlementaires de la majorité, n’a été évoquée l’hypothèse d’un dessaisissement de l’éducation nationale de la gestion de la classe d’âge 3-6 ans. On assiste donc là à un face-à-face paranoïde entre une administration considérant le corps enseignant comme un boulet freinant les réformes nécessaires par égoïsme corporatiste, et une  » communauté éducative » soupçonnant le ministre des plus noirs desseins.

Il en va de même pour les évaluations : un projet destiné à éclaircir une réalité opaque est perçu comme une entreprise de stigmatisation des élèves et de leurs maîtres. En procédant à des évaluations normalisées à l’échelle nationale avant l’entrée en sixième, on essaie de répondre à une question : le niveau de l’enseignement est-il aussi uniforme dans notre pays que le proclament les principes éducatifs de la République ? Une partie des usagers de l’école publique, la plus aisée et la plus éduquée, semble s’être empiriquement fait une opinion sur le sujet en rusant allègrement avec la carte scolaire. Il n’est donc pas totalement stupide d’aller voir ce qu’il en est réellement pour, ensuite, étudier et mettre en œuvre les moyens d’améliorer les choses.

Enfin, le projet de « jardins d’éveil » pour accueillir les 2-3 ans, formulé dans des rapports parlementaires est violemment contesté par les syndicats enseignants qui voient là un premier pas vers la privatisation cette école maternelle que l’Europe entière nous envie.

Derrière cette accumulation de procès d’intentions, de malentendus réels ou feints, on perçoit le cœur du problème: la perte collective d’estime de soi du corps enseignant, qui met sa sensibilité à vif dès qu’il est interpellé, même de manière bienveillante, par le corps social. La déconfiture de la Camif n’est pas qu’un accident industriel banal, c’est aussi un symbole de la déstructuration d’une collectivité dont la cohésion sociale et idéologique était très forte et donnait à chacun de ses membres la fierté d’appartenir à un bataillon d’élite de la République.

La suppression annoncée des IUFM, héritiers, sinon de l’esprit du moins des bâtiments des anciennes écoles normales d’instituteurs, marque la fin de cette spécificité du métier d’enseignant, auquel on ne se donnait pas par hasard, mais par vocation. La « mastérisation » de la formation des instituteurs et la « revalo » afférente (en bon français le passage au niveau bac + 5, condition d’une augmentation salariale) aura, dans le contexte actuel, le même effet que la morphine sur la douleur des malades : elle l’effacera un temps sans en éradiquer les causes. Le mammouth, quand il est déprimé peut devenir dangereux…

Mgr Williamson n’a jamais existé

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Ça porte une mitre et ça se dit évêque. Le pire est que tout le monde y croit et confère à Richard Williamson un titre qu’aux yeux de l’Eglise catholique, sise Cità del Vaticano, il n’a pas. Il y a quelque temps, on y aurait regardé à deux fois. C’était l’époque bénie où personne n’aurait songé un instant à appeler David Hodo pour lui demander d’effectuer chez soi des travaux de bricolage : on se doutait bien que ce membre des Village People était meilleur chanteur qu’ouvrier en bâtiment. Ces temps-là sont finis : l’habit fait désormais le moine et il vous suffit d’investir dans l’achat d’une mitre, d’une crosse et d’un anneau épiscopal pour vous prétendre évêque et pour que chacun se mette à vous donner du monsignor comme s’il en pleuvait. Jacques Attali voulait libéraliser la licence de taxi, Richard Williamson roule quant à lui sans permis sur les routes épiscopales.

Aux yeux d’un catholique, c’est-à-dire d’un chrétien qui reconnaît l’autorité et le magistère romains, rien n’a jamais fait de Richard Williamson un évêque. Consacré par un excommunié sans approbation pontificale, il n’a jamais fait que de la figuration éhontée dans la succession des apôtres. Aujourd’hui, la levée de son excommunication ne fait pas de lui un prélat de la Sainte Eglise catholique, apostolique et romaine : elle lui permet simplement, comme tout bon et tout mauvais catholique, de recevoir à nouveau les sacrements qui lui étaient refusés jusque-là. Il pourra à nouveau s’asseoir à la table familiale, rompre le pain, comme ce cousin gaga, celui qu’on déteste et qu’on exècre, et dont les moindres paroles sont un crime contre l’esprit, mais que l’on se sent obligé d’inviter une fois l’an parce que c’est l’hiver, qu’il est seul et gna gna gni, gna gna gna. Charité chrétienne oblige. Chacun sa croix. Et les moutons de Jeanne d’Arc seront bien gardés. Amen.

En vérité, je vous le dis : rien ne s’oppose à ce que Richard Williamson revienne à l’Eglise, contrit, la tête basse et le visage éteint de tout enfant prodigue. Il dit des conneries, beaucoup plus qu’un évêque pourrait en bénir : ce n’est pas là l’essentiel, vu qu’en vingt siècles d’histoire qui ne furent pas de tout repos, l’Eglise a eu son content d’imbéciles autant que de prêtres qui peuplent aujourd’hui l’Enfer. Seulement, ce qui ne sera pas pardonné à M. Williamson c’est d’être un con glorieux. Le pape, qui n’est plus trop avare d’indulgences plénières depuis leur gratuité, peut tout : même pardonner la bêtise d’un homme. Mais là où s’arrête son pouvoir spirituel, c’est lorsque se présente à lui un homme dont la principale occupation n’est pas la justification par les œuvres ni par la grâce, mais la justification par la bêtise la plus crasse. À peine Williamson avait-il nié l’existence des chambres à gaz qu’on le retrouve en train de nier l’attentat du 11 septembre 2001. Il y a un peu de l’Aragon du Traité du style chez cet homme-là : « Je conchie le Vatican dans sa totalité. » Conchie, mon frère, conchie, mais ne nous fait plus ch…

Ce que ne veut pas Richard Williamson est assez clair : il ne tient pas à ce que la Fraternité Saint-Pie X réintègre l’Eglise romaine. Il pose des bombes médiatiques, multiplie les calembours douteux et personne ne sait jusqu’où il s’arrêtera. Hier il vous a dit que les chambres à gaz n’existaient pas, demain il montrera son cul au Journal de 20 heures. Il est prêt à tout, le katomikaze. Ce type est, en fait, la version enmîtrée d’Oliver Besancenot ou de Jean-Marie Le Pen : il refuse de travailler avec les partis de gouvernement, car il sait pertinemment que, pour lui, hors la logique groupusculaire point de salut. Des traditionnalistes ou des fidèles du rite latin, Richard Williamson n’en a cure. Ce qui lui importe, c’est faire son intéressant, toucher lui aussi sa part d’audimat et de buzz. Williamson joue les cloportes de la modernité médiatique. Bonjour, la Tradition.

Voilà pour le sieur Williamson, poids plume de la conscience, auquel ma foi et ma raison m’interdisent définitivement de donner le titre de Monseigneur. A Dieu ne plaise.

En face, catégorie poids lourd, Benoît XVI, qui n’est, contrairement aux apparences et aux diverses mises au point de la Secrétairerie, absolument pas gêné aux entournures. Le pape est-il révisionniste ? Bien entendu que non. Si jamais même il se trouvait, au sein de la Sainte Eglise catholique, apostolique et romaine, un seul cardinal, un seul évêque ou un seul prêtre qui ouvrait la bouche pour tenir des propos révisionnistes ce pape-là interviendrait. Et il interviendrait plus qu’un autre. Non seulement parce que l’encyclique Mit brennender Sorge a toujours cours, mais aussi parce qu’il est allemand et qu’on ne plaisante pas avec ce genre d’histoire quand votre dos est chargé malgré vous de tout le poids de la deutsche Vergangenheit. C’est d’ailleurs, sur ce sujet précis, un très mauvais procès que de prêter de l’antisémitisme au catholicisme qui a pleinement admis depuis Lacordaire que « le peuple juif a été l’historien, le jurisconsulte, le sage, le poète de l’humanité ». Procès d’autant plus nauséabond et déplacé que Joseph Ratzinger restera certainement dans l’histoire de l’Eglise comme l’un des théologiens qui ont affirmé le plus puissamment la source juive du christianisme.

Le problème de ce pape-là, c’est que les entournures il ne connaît pas. Il a reçu, comme les hommes de son âge, une éducation dont le point central était une aversion entretenue pour le respect humain. En français, le terme n’est plus employé du tout. J’avais moi-même, à l’âge de dix ou onze ans, été très brusqué lorsque la Supérieure de la congrégation de la Divine Providence à laquelle appartenait ma Schwester Tante prononça ces mots à l’enterrement de ma grand-tante : « Sœur Fabiola était une grande Kappelmeisterin et organiste. Mais elle avait surtout une absence totale de respect humain. » Nimbé dans l’encens et sortant de sa bière, son visage jauni par la mort témoignait au milieu de l’église de Saint-Jean-de-Bassel de tout le contraire. Non seulement je la tenais pour une excellente musicienne qui, jusqu’à la fin de sa vie me frappa désespérément sur les doigts pour me faire jouer une gamme sur le piano, mais en plus je la croyais sainte. Et voilà que j’apprenais que les chemins de la sainteté passaient par le déni du respect humain. Beaucoup plus tard, j’ai découvert l’usage effréné des grands dictionnaires et la traduction s’impose : le respect humain, c’est le souci que l’on a du jugement d’autrui.

Formé comme il a été, c’est-à-dire dans les mêmes années et le même environnement culturel que ma grand-tante, le pape Benoît XVI n’a non seulement aucun sens de la communication, mais, circonstances aggravantes, je crois même qu’il s’en contrefiche. Seule compte, pour lui, la relation qu’il a avec le Très-Haut. S’il réintègre la Fraternité Saint-Pie X jusqu’à ses brebis les plus galeuses et les moins fréquentables, c’est qu’il croit dur comme fer en un messianisme appelé « unité de l’Eglise ». Voilà ce qui arrive, quand l’Esprit – qui souffle où Il veut – appelle à la tête de l’Eglise un mystique si absorbé dans la vita contemplativa qu’il en oublie que notre temps vit à un rythme autre que le sien. Comme l’ont déjà noté Gil Mihaely et Paul Thibaud, voilà ce qui arrive quand un pape se met à croire qu’il n’a de comptes à rendre qu’à Dieu. Voilà ce qui arrive quand le pape est pape et seulement pape. Et Monsieur Williamson, triste sire, sombre sieur de la bulle communicationnelle, n’y pourra rien changer.

Traité du Style

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On a marché dans Babouse

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Attentifs comme on les connaît et comme on les aime, les Causeurs auront remarqué l’irruption du dessinateur Babouse sur la Une de leur site préféré. Certains ont cru que la rubrique Estampes avait renvoyé vers Cuba le génial Raul Cazals : il n’en est rien ! Les deux olibrius se partagent dans la joie et la bonne humeur la rubrique. Mais Babouse, qu’on a de la joie à retrouver très régulièrement dans L’Humanité ou Charlie Hebdo, vient d’ouvrir son Carnet : il y publie, chaque jour, les dessins refusés par les rédactions. Et ça, franchement, sur Causeur, nous ne pouvions pas refuser ! Bienvenue donc à Babouse. Il est là. Bien là. Eloignez les enfants, mais faites le savoir.

Outre Babouse, les Carnets de Causeur hébergent Gérard Scheer, David Desgouilles, Tristan Brillat et Parlons Net.

Les 40 commandements du gay

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La Trahison

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Cher Monsieur Besson, votre modestie en souffrira peut-être, mais l’honnêteté me commande de vous le dire comme je le pense : j’aime bien ce que vous faites. Cela fait plus de vingt ans que je regarde votre carrière s’épanouir en multiples talents. Je lis chacun de vos romans, me précipite au cinéma dès que s’affiche un film que vous avez réalisé ou produit. Chaque semaine, j’attends avec impatience de lire les réjouissantes chroniques que vous publiez là où on vous le permet encore : L’Humanité, VSD, le Figaro, le Figaro magazine, Le Point, Voici et Marianne. Si l’actuel président français ne muselait pas la presse, ah, vous l’auriez enfin votre tribune hebdomadaire dans Tiercé magazine. Pour l’heure, vous résistez là où vous pouvez. Encore combien de temps ? Nul ne le sait.

Pour vous parler franchement, je n’ai pas trop goûté votre série Taxi. Mais Nikita et Le Grand Bleu, je me les repasserais en boucle si Willy n’avait pas besoin de temps à autre du lecteur dvd pour se mater le documentaire d’Al Gore, seul film susceptible de le calmer quand il songe avoir dépensé toutes ses économies pour une voiture électrique qui tombe en panne au douzième kilomètre.

Ce qui m’étonne le plus en vous, c’est que vous puissiez conjuguer un prolifique travail d’éditorialiste, l’écriture de films et de romans, à des responsabilités politiques chaque jour de plus en plus hautes. Votre ascension est si rapide qu’on imagine que vous n’en resterez pas là et qu’il faudra bien que l’Onu se résolve à reconnaître l’existence d’une république de l’Everest pour que votre ambition trouve des sommets à sa légitime mesure.

Un ami français m’a recommandé il y a quelques jours votre Trahison. J’ai adoré ! C’est si rare, de nos jours, d’avoir quelqu’un comme vous, qui maîtrise si parfaitement le romanesque qu’il nous fait plonger sans que nous ne nous en apercevions au cœur du sordide. Votre Trahison restera un chef d’œuvre et je vois le jour venir où tout cela sera étudié dès le plus jeune âge dans les écoles.

Alors, dès que j’ai entendu votre appel à la délation des passeurs d’immigrés clandestins, Willy m’a dit : « Ecris une lettre à Besson, ça lui fera plaisir. »

J’ai justement repéré il y a quelque temps le drôle de manège d’un de vos compatriotes, Guillaume Pépy. Sous une couverture somme toute assez officielle (l’homme est, paraît-il, président de la SNCF), il fait passer chaque jour, à hauteur de Kehl, des milliers d’Allemands en France. Cela arrangerait les affaires de la France et celles de Hartmut Mehdorn, président de la Deutsche Bahn, si vous pouviez mettre un terme aux agissements de ce malfaiteur.

Je tiens également à porter à votre connaissance l’activisme forcené d’une personne de couleur. Il s’agit d’un certain Jacques Séguéla (Paris). Cet individu dirigerait une filière de passeurs italiens. Quelqu’un m’a dit que les plus hautes sphères de la République française seraient touchées par cette affaire. Je sais pouvoir compter sur vous pour que le réseau soit démantelé et que les pauvres filles, victimes de cet être abject, soient reconduites chez elles sans plus attendre.

Vous renouvelant, Monsieur Besson, toute ma vénération, je vous prie de recevoir mes salutations les meilleures.

Une bonne Allemande

PS : N’écoutez pas Jacques Attali : arrêtez, il y a beaucoup trop de Taxi maintenant.

Photo de Une : Eric Besson aux assises du numérique, Luc Legay, Flickr.

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La papauté est humaine, l’erreur aussi

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Comme l’a dit un causeur célèbre, le Pape est pape ! Sans le contredire, je voudrais ajouter qu’il est aussi et en même temps à la fois prince et, ce qui n’est pas rien, vicarius christi, le vicaire de Jésus Christ ou son lieutenant ici-bas. Le champ de manœuvre papal s’étend entre la « princitude », la dimension politique et temporelle de la charge pontificale, et la « vicairitude », c’est-à-dire sa dimension religieuse. Benoît XVI semble plutôt porté vers la dimension théologico-religieuse de sa charge. Aussi raisonne-t-il à l’échelle des décennies voire des siècles. Quand on se situe dans la longue durée et dans une perspective purement théologique, les bêtises volontairement provocatrices d’un histrion latinisant en soutane nommé Richard Williamson sont effectivement – et contrairement aux événements dont il parle – un petit détail.

Les évêques de Rome ont mis du temps à s’habituer à la perte quasi-totale de leur « princitude » d’antan. Jusqu’au 20 septembre 1870, le pape a résidé au palais du Quirinal devenu résidence des rois d’Italie puis de la présidence de la République. Le palais du Vatican ne fut d’abord qu’une solution d’attente, un refuge devenu en 1929, suite aux accords de Latran, le centre du plus petit Etat du monde – 44 hectares et environ 800 habitants. À la tête d’une microscopique principauté dépourvue de la moindre division, comme le rappela Staline, le pape n’en est pas moins, qu’il le veuille ou non, un acteur politique, en particulier depuis que Jean-Paul II a donné à la fonction une dimension médiatique planétaire.

Mais à l’heure de l’hyper-démocratie, négliger les médias et l’opinion publique est une funeste erreur. Pape ou non, point d’action sans communication. Intellectuel, théologien et certainement fin connaisseur de la politique politicienne ecclésiastique – il n’est quand-même pas donné à tout le monde de devenir serviteur des serviteurs de Dieu – le Pape actuel se soucie très peu de la culture politique démocratique et encore moins de ses exigences cathodiques. À l’évidence, pour Benoît XVI et son entourage, la levée de l’anathème n’a rien à voir avec les opinions de celui qui en bénéficie : un prêtre confessant accordant l’absolution à un assassin condamné à mort n’apporte pas pour autant le soutien de l’Eglise ni au meurtre ni à la peine de mort.
Eviter le piège tendu par Williamson aurait été assez facile. Comme le rappelle Paul Thibaud, les 48 heures écoulées entre la diffusion des propos négationnistes de Richard Williamson le 22 janvier et l’annonce, programmée d’avance par le Vatican de la levée de l’excommunication de quatre évêques ordonnés par Mgr Lefebvre, auraient au moins dû permettre la suspension de la décision. D’ailleurs, puisque Williamson n’en est pas à sa première provocation, le problème aurait dû être traité en amont, si toutefois la curie avait la sensibilité et les compétences de n’importe quelle chancellerie occidentale.

On peut donc reprocher, au minimum, à Benoît XVI de planer sur les sommets de la théologie et d’oublier de se pencher sur les tristes affaires des hommes. Reste que si l’on oublie le faux-pas Williamson, il y a aussi quelque chose d’admirable dans ce pontificat qui se veut spirituel plus que temporel. Pie XII a été un homme d’Etat et un diplomate habile dans une période trouble. Marqué, comme tous les dirigeants européens des années 1920-1940, par la guerre de 1914-1918, Mgr Pacelli n’aura été qu’un Pape-prince. Et il a raté une occasion qui – heureusement – ne se présente qu’une fois tous les deux mille ans : face au Mal absolu, il aurait pu rééditer le sacrifice sublime de celui qu’il représentait sur terre. Au moment où il fallait sortir de l’Histoire il a choisi d’y rester avec le souci – légitime mais peu adapté à la dimension de l’enjeu – de défendre les intérêts séculiers de l’Eglise et de ses fidèles. C’est le mieux qu’on puisse attendre d’un homme d’Etat mais en-dessous de la main s’agissant d’un Pape confronté à Hitler. Benoît XVI est, certes, un diplomate maladroit, il commet des erreurs que Pie XII aurait probablement évitées avec habileté. Reste qu’il sait peut-être mieux que celui-ci de qui il est le mandataire sur terre.