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Un crime contre l’Humanité évité de justesse

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Nonobstant mon aversion pour le nord-ouest de la capitale, j’avais prévu, ce dimanche, de faire un saut à la mairie du XVIIe. Je comptais aller traîner mes guêtres à l’expo organisée par les associations “Vérité et Justice” et “Solidarité-Kosovo”. Une expo de dessins d’enfants issus de la diversité, comme on dit, puisque qu’il s’agit de petits Serbes du Kosovo.

Normalement, je ne suis pas très caritatif. Mais d’abord on m’avait gentiment demandé de venir et puis ensuite, en amateur éclairé de causes perdues, je suis avec intérêt et amusement les pérégrinations des desperados humanistes de “Solidarité-Kosovo”. En particulier, j’avais beaucoup aimé que, suite à la fermeture d’une salle de boxe dans la banlieue grenobloise, Arnaud Borella et ses camarades récupèrent tous le matos, ring compris, pour l’expédier à Triffouillitch-les-Oies, au fin fond des dernières enclaves serbes du Kosovo. Convoyer des punching-balls ou des culottes Everlast, ça vous a quand même plus d’allure que de refiler aux mioches du bout du monde des vieilles barboteuses Absorba mitées ou des cartables troués avec Maya l’abeille dessus.

Je m’apprêtai donc à aller gentiment à la Mairie du XVIIe, histoire de verser trois thunes et de m’extasier avec tous les autres visiteurs sur les dessins des marmots serbo-kosovars. Je suis prêt à rudoyer pas mal de tabous, mais tout de même pas celui qui veut que tous les enfants aient du talent.

Mais non, finalement, je n’irai pas à la Mairie du XVIIe, j’irai au cinéma, voir Le bon, la brute et le cinglé, si ça se joue encore, ou sinon j’irai rererevoir The Big Lebowski, qui repasse ce dimanche au Champo. Parce que figurez-vous que Mme Brigitte Kuster, maire UMP dudit arrondissement, a annulé ladite expo. Elle l’a annulé alors que les 50 dessins étaient déjà accrochés dans la salle des fêtes, que des milliers d’invitations étaient déjà parties dans toute la France et que trente-six ambassadeurs avaient été invités au vernissage, plusieurs d’entre eux ayant confirmé leur présence. Motif de cette interdiction de dernière minute ? Mme Brigitte Kuster semble avoir découvert la veille de l’inauguration que cette expo était « politique ». Le programme de l’expo, des débats et des comptes-rendus d’action humanitaires était pourtant arrêté – et négocié avec la mairie – depuis plusieurs semaines.

Oui, mais voilà : quelqu’un a semble-t-il signalé à Mme le Maire UMP que l’association “Vérité et Justice” avait édité, il a six ans, Ma vérité, un livre de Slobodan Milosevic. Et les enfants serbes furent donc privés d’expo, les bénévoles ont été priés de remballer sur-le-champ les dessins qui déshonoraient l’édifice public. Non mais !

J’en déduis d’abord que Mme Brigitte Kuster est une abrutie. J’en déduis aussi que si l’UMP n’exclut pas illico de ses rangs cette censeuse, elle prouvera, si besoin était, sa nature foncière de parti d’abrutis. J’en déduis enfin que le mec qui dans Causeur a apporté son soutien aux mêmes élus UMP du XVIIe, quand ils bataillaient il y a quelques mois contre Delanoë pour imposer une place Alexandre-Soljenitsyne dans leur arrondissement et qui a bêtement cru qu’ils le faisaient par amour de la liberté d’expression, en l’occurrence un certain Marc Cohen, est lui aussi un abruti de première.

Georges Labica, mourir en colère

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Le philosophe Georges Labica, né en 1930, est mort le jeudi 12 février. Ce spécialiste de la théorie marxiste, professeur émérite, enseigna longtemps à Nanterre. Disciple d’Henri Lefèbvre et d’Althusser, il quitta le PCF au début des années 1980. Il a, parmi de nombreux ouvrages, dirigé un monumental Dictionnaire critique du marxisme (PUF, 1981) Dans Démocratie et révolution (Le temps des cerises, 2002), Georges Labica écrivait notamment : « Le communisme, c’est le seul contrepoison, le seul antidote, le seul remède, la seule alternative à la société d’exploitation, au capitalisme qui jamais n’a le visage humain. Tous les damnés de la terre savent ça, qui sont de plus en plus nombreux et de plus en plus damnés. Seuls les salauds ne sont pas avec eux et c’est comme ça qu’on les reconnaît. » On n’est évidemment pas obligé d’être d’accord, mais il faut savoir que mourir en colère, pour le coup, c’est à ça qu’on reconnaît un communiste. Il n’y a pas, pour eux, de réconciliation possible avec ce monde-là.

Théorie de la violence

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Cadavres sans placard

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ecorches

L’exposition « Our Body » vient d’ouvrir ses portes à Paris (Espace 12 Madeleine jusqu’au 12 mai prochain). Les organisateurs la garantissent « éducative et artistique »… Présentant à la vue des spectateurs leur corps et leurs organes écorchés, les dix-sept cadavres d’origine chinoise sont, bien malgré eux, au cœur d’une vive polémique. Retrouvez les impubliables de Babouse sur son carnet.

Outing en tout genre

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Je ne sais plus très bien comment cette histoire a commencé. Personne ne le sait plus vraiment au demeurant. Tout s’est passé si vite quand Jean-Paul Huchon a convoqué la presse parisienne et ses arrière-bans pour faire le plus déroutant des coming out.

Son teint rose pâlissait sous la sueur quand il annonça tout de go : « Je suis antillais. Je suis le président d’une île. Et l’Ile de France, ça n’est pas rien : le coût de la vie y est plus cher que dans le Larzac. C’est la faute à la métropole. » Reprenant son souffle, il garda plusieurs secondes un silence qui lui convenait fort bien avant d’enchaîner : « Je suis non seulement antillais, mais je suis noir aussi. Complètement. » Mouvement imperceptible d’émotion, larmes aux yeux, souvenirs du commerce triangulaire de sinistre mémoire. La salle de presse de la Région Ile-de-France se vida avant que Jean-Paul Huchon pût montrer aux téméraires qui s’étaient avisés de rester quels étaient les attributs de sa néo-négritude.

Le lendemain, certains étaient encore bouche bée quand un fil de l’AFP tomba : Martine Aubry venait de confier au Courrier picard qu’elle s’appelait Raymond, qu’elle venait d’une tribu indienne et qu’elle avait été élevée à Lille par un couple qui avait décidé de lui donner le nom de Pocahontas. La réplique ne se fit pas attendre : Voici publia aussitôt un entretien exclusif avec Ségolène Royal disant qu’elle était de toute façon hyper participative. Et pas que là. A droite, Roselyne Bachelot déclarait au même moment : « Je suis une femme », mais personne ne prêta la moindre attention à ses élucubrations, qui furent, il faut le dire, vite occultées par la cérémonie de pacs entre Alain Juppé et Noël Mamère. Christian Vanneste pleura beaucoup : « Un si beau chauve, un si beau chauve avec un moustachu. »

A l’Elysée, Nicolas Sarkozy annonçait dans la foulée qu’Angela Merkel et Taro Aso quittaient le G8, permettant aux six membres restant de réaliser l’un des plus vieux rêves de l’humanité[1. Henri Guaino avait écrit le discours.] : reconstituer les Village People.

Jean-Luc Mélenchon eut beau avouer ses penchants pour les hommes à gros sourcils « du genre Emmanuelli », la presse préféra croire Olivier Besancenot lorsqu’il déclara reluquer les vieux et être à la colle depuis cinq ans avec Alain Krivine. Quant à Laurence Parisot, on le savait, mais elle sauta sur l’occasion pour rendre la chose publique : « Laguillier me fait chauffer le CAC40. »

Plus rien ne restait vraiment de la République. L’affaire culmina lorsque Jean-François Kahn annonça lui-même qu’il n’avait jamais été patron de presse, mais transformiste : depuis 1975, il jouait le sosie de Marie-George Buffet chez Michou.

Et puis vint l’ultime saillie, provocante et libératrice : Bertrand Delanoë avoua qu’il en pinçait pour Françoise de Panafieu, tandis que Roger Karoutchi disait de Rachida Dati : « Quelle belle femme. » Les deux furent heureusement conduits à l’hôpital Sainte-Anne dans la rue du même nom. Et comme Jean-Luc Romero traînait par là, ils y eurent une belle fin de vie. Rapide et digne. Bien entendu, Marc Cohen vint leur tenir la main, uniquement pour toucher les 49 euros prévus par la loi. Fois deux, ça ne se refuse pas. Mais le bougre les but si vite[2. En Havane Club 3 ans d’âge.] qu’on en oublia rapidement toute cette ténébreuse affaire.

Ça platine grave à l’UMP

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Me Isabelle Wekstein n’est pas contente. Mais alors pas du tout. Avocate du groupe américain MGMT, elle se plaint que l’UMP ait utilisé à plusieurs reprises l’un des titres fétiches de son client : Kids, en le faisant passer d’abord au Conseil national du 24 janvier, puis lors d’un déplacement de Xavier Bertrand dans le Maine-et-Loire, enfin dans deux vidéos diffusées par le parti présidentiel. Trop, c’est trop. Réparation est demandée. Situation cocasse : à l’UMP on fait la sourde oreille et on jure qu’on prêtera attention aux récriminations de Me Wekstein quand l’Assemblée aura voté le projet de loi réprimant le piratage des œuvre artistiques sur Internet. Ce vote devrait intervenir le 4 mars prochain. Jusque-là, pirate qui s’en dédit, on fait comme si de rien n’était. Un petit conseil au disc jockey du parti de Xavier Bertrand : il vaudra mieux à l’avenir utiliser des œuvres tombées dans le domaine public. Emile Waldteufel, La valse des patineurs : ça collerait pile poil.

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Georgia on my mind

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Décidément, la Géorgie a de la ressource. Après une guerre désastreuse avec la Russie cet été, Tbilissi a trouvé le moyen de prendre sa revanche. Pour le prochain concours de l’Eurovision qui aura lieu à Moscou, la république caucasienne a choisi une chanson au refrain équivoque, jouant sur le nom du Premier ministre présidentiel russe : « We don’t wanna Put In ». Le parolier Bibi Kvachadzé se défend de toute intention non artistique, mais nous avons quelques doutes, comme en ont d’ailleurs les organisateurs de ce concours bizarre dont les règles interdisent formellement tout contenu politique. Ce qui a été pris par la force sera repris par la fanfare.

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Tais-toi et cours

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Mercredi soir en direct au JT de France 2, un moraliste est né : Lilian Thuram. Interrogé sur la crise aux Antilles par David Pujadas, le jeune retraité nous en a mis plein la vue. Pour commencer, Thuram en a en remontré à Causeur, Arrêt sur Images et Acrimed réunis en matière de critique des médias. Ceux-ci, explique-t-il en substance, ont été fautivement muets pendant un mois et ne commencent à l’ouvrir que quand il y a de la castagne. D’un côté c’est vrai : même Libé et L’Huma, qui furent les premiers à en parler vraiment, ont attendu trois bonnes semaines avant de s’y coller. D’un autre côté, si Lilian Thuram, dont on imagine qu’il a des infos de première main sur son île natale, avait dès le début de la crise demandé à s’exprimer dans une tribune libre du Monde, en direct sur un JT de France3 ou un truc dans le genre, je vois mal le redac’ chef le plus crétin ou le plus sarkozyste lui claquer la porte au nez ! Et rien ne l’empêchait, le cas échéant d’aller pousser sa légitime gueulante dans Marianne, L’Huma ou Libé, où je suis certain qu’on l’aurait accueilli à bras ouverts. S’il l’avait fait, on aurait parlé bien plus tôt de ce qui se passe aux Antilles. Mais ça ne s’est pas passé comme ça. Dans les faits, Thuram a attendu que la crise dans les Dom s’impose, sans lui, comme un sujet bankable pour la ramener. Ce silence assourdissant que stigmatise Thuram, c’est aussi le silence de Thuram.

Quoique, à écouter la suite de son intervention, on se demande s’il n’aurait pas mieux fait de se taire. Avec Lilian, les grévistes ont trouvé un piètre défenseur. Quand il déclare que « les violences discréditent le mouvement », il marque contre son camp, les violences des émeutiers font partie du mouvement, ce sont pour l’essentiel des violences sociales, bien plus légitimes, in fine, que les pillages banlieusards de 2005 que Thuram s’était empressé de justifier. Si les Antillais s’étaient contentés de pétitionner contre la vie chère, on n’en aurait toujours pas entendu parler de leurs histoires ultramarines, et je ne suis pas certain que Thuram se serait démené pour en causer à la télé. « Je ne comprends rien à la politique sauf l’émeute », disait Flaubert. Thuram devrait relire plus souvent la correspondance de Flaubert.

Mais le pire est encore à venir. C’est quand notre champion du monde déclare sans rire : « Si j’étais en Guadeloupe, je ferais partie des manifestants. » Mais nom de dieu, qu’est-ce qui l’en empêche ? A ma connaissance, les liaisons aériennes n’ont pas été interrompues par la grève. Le seraient-elles qu’il aurait largement les moyens d’affréter un jet privé. Si j’étais, je ferais : ce conditionnel est obscène.

De qui te moques-tu Lilian? De moi, c’est pas bien grave. Des Guadeloupéens en colère, c’est déjà plus ennuyeux. Mais moi, je ne demande qu’à avoir tort : si ton élan solidaire est autre chose qu’un coup d’auto-promo, tais-toi et cours prendre le premier vol pour Pointe à Pitre. Une fois rendu, va au premier rang des manifs, les CRS y réfléchiront à deux fois avant de charger. Va sur les barrages, pour calmer les plus excités. Va dans la cambrousse pour porter l’eau aux mémés isolées. Va où tu veux, mais vas-y ! Sois gentil, Lilian : cesse de jouer les mouches du coach !

Jean Pitre

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pitre

Explorateur français du XVIIe siècle, Jean Pitre ne découvrit jamais rien, même si l’envie ne lui en manqua pas. Il fut, ce faisant, l’un des premiers touristes de l’histoire et les mémorialistes caribéens conservent son nom comme l’instigateur de l’une des plus graves émeutes que connurent jamais les Antilles. Installé au bar de la Plage (Grande-Terre) le 18 février 1689 sur les coups de l’apéritif, il ordonna que son ti punch fût préparé avec un citron jaune : « Ka fè cho ! Bay moin on ti punch. Avèk sitron zone, pas vot trik pou makoumé. » La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre et l’île s’enflamma immédiatement. Comme il refusait de reconnaître son erreur et qu’il n’y avait plus grand-chose à brûler, le taulier eut la bonne idée de verser une pointe de sucre de canne dans le verre empli de citron vert et de rhum : on appela aussi ce geste d’apaisement la pointe à Pitre. Y a pas plus traître.

Franck Vincent, Portrait de Jean Pitre pointant de son doigt une coupe vide de ti punch, huile sur bois, 1698. Conservée au musée national des Arts premiers et de la Compagnie créole.

Ramon Fernandez et autres figures crépusculaires

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Ramon Fernandez, « collabo » notoire, est mort dans la nuit du 2 au 3 août 1944. Une crise cardiaque mettait fin à son calvaire. Peu auparavant, il avait chuté de sa chaise, à la terrasse de Lipp, pour cause d’ivresse. Son fils, Dominique, avait alors quinze ans et admirait de Gaulle. Soixante années plus tard, Fernandez fils a l’âge d’être le père de Ramon. Écrivain de renom, esprit sensible et fin, il a remonté la piste des mémoires et des faits. Il n’a pas résolu l’énigme, mais il ose enfin parler longuement, savamment, tendrement mais sans rien dissimuler, de son « salaud » de père. Il s’est libéré d’un tabou et nous donne un livre fondamental, sur la condition humaine, par surcroît parisienne et française.

Le 1er décembre 1926, Ramon Fernandez, métis franco-mexicain, héritier du Sud, qui fabrique souvent des mâles mélancoliques et arrogants, épouse une jeune diplômée de l’École de Sèvres. Liliane Fernandez, née Chomette incarne le Nord, la rigueur, presque l’ascétisme. C’est un être de devoir, verrouillé. Deux enfants naissent, Irène et Dominique ! Le couple se sépare en 1936. Curieusement, c’est Ramon qui souffrira le plus. Il perd l’équilibre et ne se rétablira jamais. Tous ces détails sont fournis par le « journal » de Liliane, dans lequel a puisé Dominique pour conduire son enquête. Et c’est aussi l’une des forces de ce livre supérieurement construit, à la manière d’un grand projet abouti, que de confronter les péripéties de la vie quotidienne, souvent navrantes et cruelles, aux événements considérables. Un somptueux cadeau d’un fils à son père, une œuvre pour tous les orphelins de la littérature…

Avant de devenir une « ordure », Ramon fut un personnage honorable, c’est-à-dire de gauche et humaniste. Lauréat du prix Fémina en 1932, très en vue, recherché par les hommes intelligents, courtisé par les jolies femmes, il montrait une prestance de danseur de tango : cheveux plats gominés, regard de braise, corps puissant. Confident de Proust, il conversait avec Gide, interrompait Malraux, admirait Paulhan, fréquentait Mauriac et connaissait tout ce que le Paris des deux rives comptait de gens influents. Deux ou trois arrondissements parisiens formaient alors un nombril… grand comme le monde. Aujourd’hui, deux ou trois nombrils circonscrivent la rive gauche.

Essayiste, critique, Ramon Fernandez fut l’enfant chéri de la gauche chic jusqu’en décembre 1936, après qu’il eut paraphé un manifeste signé par Léon Daudet, Henri Béraud, Abel Bonnard, Drieu-la-Rochelle… Bref, il ruina sa bonne réputation. Et cela n’allait pas s’arranger. Il choisit le camp franquiste, seul capable à ses yeux d’épargner à l’Espagne « la désagrégation du pays sous l’influence anarchiste et communiste ». De son côté, Gide, désillusionné, venait de publier Retour d’URSS ; son aveu navré lui valut la riposte dont les staliniens détenaient le vocabulaire secret. Le parti communiste, le fascisme, la guerre d’Espagne et le goût des hommes forts : voilà les totems de cette génération perdante.

Issu du « Parti de la classe ouvrière », hostile à Maurice Thorez, voici que s’avance un costaud des Batignolles, une grosse carrure : Jacques Doriot ! Ramon, surdoué du genre littéraire, a trouvé son « homme » dans ce surdoué du genre tribunicien. Le beau Ramon éprouva des émotions fortes au spectacle de l’ambition, de la volonté, de la force. Quelque chose, enfin, desserrait l’étreinte de l’angoisse et de l’amertume. Les temps changeaient, il imagina peut-être qu’il pourrait changer avec eux. Le compte à rebours commençait. Il dura quatre ans ; quatre années d’occupation, de terreur, d’élégance et de mondanités, pendant lesquelles de brillants intellectuels consentirent à feindre de jouer un rôle dans ce prodigieux pays, la France, que l’Allemagne tenait au collet. Illusion tragique ! Paris, jolie môme incomprise, insolente comme Arletty, boudeuse comme Danielle Darrieux, voluptueuse comme Simone Simon, ne cherchait qu’à s’étourdir, à oublier.

Quelques figures inauguraient un jeu de rôle dont l’issue crépusculaire était prévue dans ses règles. Parmi elles, les deux Abel, Hermant et Bonnard. Abel B., sapé comme un mylord, ganté beurre frais, écrivait ses discours de ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse dans une langue parfumée. Ses mœurs autant que ses fréquentations lui valurent l’affectueux surnom de « gestapette »… Il fuira en Espagne. Abel H. ne manquait pas de dons. Hélas ! Malgré sa maîtrise parfaite de la grammaire, il confondit le vert de l’espoir avec le vert-de-gris.

Maurice Sachs, juif, converti au christianisme par opportunisme sincère, acoquiné aux pégriots, vécut d’expédients, de rapine et de mensonge. Styliste impeccable, compagnon idéal de la mondanité, homosexuel étincelant, infiltré des salons, trafiquant d’or, délateur au profit de la Gestapo, on perd sa trace dans une prison de Hambourg, en 1944. Commence sa légende : fut-il assassiné par ses co-détenus, enragés de ses infamies ? Eut-il la tempe percée par le Lüger d’un nazi, sur le bord d’une route ? Ou bien survécut-il ? Quelqu’un me l’a assuré, convaincu de l’avoir aperçu dans le hall d’un hôtel, en Suisse, au début de l’année 1946. Pauvre Maurice ! Mauvais garçon précieux, efféminé des crapuleries, cherchant l’infamie comme d’autres les diamants, extravagant symbole de Paris occupé, la ville des merveilles et des orpailleurs de caniveau. Déchiré entre la Grâce et l’ennui, affamé de chair, mystique, prince de l’écriture et des vilenies, ange noir exténué ; il ira au paradis pour avoir donné à ses contemporains une idée de la damnation. Paul Léautaud montera au ciel, lui aussi, pour avoir tant aimé les bêtes. Le vieux teigneux ignorait qu’il était en partie exaucé, lorsqu’il écrivait, le 7 mars 1945, dans son incomparable Journal : « Quelle pourra bien être la nouveauté de la prochaine guerre ? L’extermination du genre humain ? Hélas ! C’est une chimère. »

Le 24 mars 1944, Pierre Drieu-la-Rochelle, séducteur déclinant et variqueux, sujet au vertige mais frôlant les précipices, plaçait sa tête dans le four de sa cuisinière et, pour la seconde fois, ouvrait le gaz. Drôle d’époque. Fin des Temps. Drieu, tué par la politique avait vécu pour la littérature ; il lui confia son sort posthume.

Drieu, Fernandez, Sachs : notre époque, bourrelée de remords, surveillée par les moralisateurs, punie par les procureurs, observe avec dégoût leurs courses rapides sur la terre, affranchies de ses petits repères. Ils furent cependant à la mesure d’un temps déraisonnable. Doriot, déjà titulaire de la croix de guerre (1918), décoré de la croix de fer (1944), se voyait en gauleiter universel, en héritier naturel d’Adolph H. Sa griserie prit fin le 22 février 1945, sous la mitraille de deux avions mal identifiés.

« Nous n’avons pas su l’aimer », dira de Drieu son compagnon de débauche et d’esprit, son presque frère, Emmanuel Berl. Bien évidemment, Ramon et Pierre (qui ne s’appréciaient guère) jouèrent la comédie des apparences, mais au moins, ils ne lâchèrent pas la main du personnage inspiré par leur fantaisie, leur aveuglement, leur lâcheté, leur faiblesse. Ils payèrent un prix très élevé le droit de trouver place dans la comédie humaine. Ils ne se soucièrent pas outre mesure de paraître meilleurs qu’ils n’étaient. Gravement atteint de paradoxalite, maladie très commune en France, ils constatèrent avec une joie non dissimulée les progrès rapides de la maladie qui les menait de l’opprobre au tombeau. Mais enfin, ils opposèrent des valeurs strictement culturelles à la pression marchande qui s’exerçait sur le monde. Ils accomplirent leur destin, volontairement sourds aux crimes qui se commettaient hors de leur vue. Ce fut une sorte de « luxe » suprême et une malédiction. Après eux, viendrait légitimement l’ère du soupçon.

Ramon, Drieu, manquant de caractère, confièrent aux idéologies le soin de les distraire d’eux-mêmes, de les rassurer. Marguerite Duras a bien connu Fernandez. Pendant la guerre, elle vint habiter 5, rue Saint-Benoît (Paris, VIe), au-dessus de l’appartement où il vivait avec Betty, sa seconde épouse. Marguerite n’a jamais dissimulé l’affection, l’admiration que lui inspiraient Ramon. À Dominique, elle déclara : « Collaborateurs, les Fernandez. Et moi, deux ans après la guerre, membre du PCF. L’équivalence est absolue, définitive. C’est la même chose, la même pitié, le même appel au secours, la même débilité du jugement, la même superstition disons, qui consiste à croire à la solution politique du problème personnel. »

Que s’est-il passé ? Comment tout cela a-t-il commencé ? Se souvient-on encore de la case qu’occupaient les pions sur l’échiquier, avant le grand choc qui les jeta tous dans une mêlée confuse, où s’abolirent les lois qui réglaient leurs déplacements ? Ces dandies égarés, ces solitaires, ont versé dans l’esprit de système. C’est assez dire qu’ils cherchaient à se punir. Tous, fusillés, suicidés, exilés, bannis, nous abandonnèrent, avec, pour seul viatique et unique héritage, la difficulté d’être français.

Ramon

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La civilisation dans le texte

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C’est une sale habitude, je ne pense jamais à la mort. Ni à la mienne, ni à celle des autres. C’est comme ça. Collatéralement, ça implique que je ne serai donc jamais Racine, ni même Malraux ou Nicoletta. Tant pis, je préfère m’endormir et me réveiller en pensant aux petits oiseaux ou assimilés. Heureusement pour la mort et son taux de notoriété, d’autres s’en chargent pour moi. Ainsi j’apprends que nos parlementaires viennent de voter une loi « visant à créer une allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie ». Et qu’ils l’ont même fait à l’unanimité. Dommage que je ne sois pas député, j’aurais été le seul à voter contre.

Ce n’est pas que je sois hostile au principe d’une allocation de 49 € par jour pour tenir la main pendant trois semaines à un proche qui va mourir. Mais j’ai comme l’impression que quand on est confronté à ce genre de drame, c’est pas un chèque de l’Etat qui vous rendra le sourire, ni même, comme on dit maintenant, vous aidera à faire votre « travail de deuil » – une fois que vous aurez rempli les mille et un questionnaires actant que ce proche est vraiment proche et surtout vraiment mourant. J’en vois déjà qui vont me dire que j’ai pas de cœur et qu’il y a des pauvres pour qui 49 € par jour, ça change tout. Mouais. Franchement si l’Etat, la droite, la gauche en avaient quoi que ce soit à foutre du sort des pauvres, on s’en serait un peu aperçu, depuis le temps. C’est bien gentil de se soucier des papys qui vont crever sous 21 jours ouvrables, mais quand le minimum vieillesse est à 20 € par jour, on ferait aussi bien de s’occuper de ceux qui sont encore vivants.

Sans compter que cette loi à forte teneur en dignité se télescope étrangement avec l’intention affichée par le chef de l’Etat de réduire la durée du congé parental. Je résume : voyez encore moins vos gosses grandir, en échange de quoi vous pourrez voir vos parents mourir. Win-win, quoi. Tsss tsss, vous êtes vraiment sûrs que c’est moi qui me moque ?

Mais je m’égare. L’âge de la retraite, le minimum vieillesse, le montant minable des allocs, leur non-attribution au premier enfant, c’est des breloques vis-à-vis de l’octroi par la République d’un supplément d’âme à kikenveu. Toutes ces histoires de pognon, c’est pas du sociétal, c’est du social, donc du banal, du bancal, du brutal, du syndical. Et si on parlait plutôt des vrais problèmes de société, des ados alcoolisés, des animaux abandonnés et même, à la rigueur, des SDF surgelés ? Comment puis-je être assez odieux pour ne pas compatir, ou assez con pour ne pas comprendre ?

Mais en vrai, si ce texte de loi me dégoûte, c’est avant tout à cause de son intitulé. Dès que je vois les mots « fin de vie », je sors mon revolver. Même les euphémismes décès ou disparition ont été habilement contournés par le législateur. Car il faudra m’expliquer un jour ce qu’est une personne en fin de vie, sinon un mourant. Je sais que nos élus ont parfois un rapport distant avec le réel, mais ce n’est quand même pas un scoop : à la fin de la vie, il y a la mort. Ne pas la nommer, c’est encore plus crétin que de ne pas y penser.

Cerise sur le gâteau, à l’issue du vote de la loi, le ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, a déclaré, sous les applaudissements unanimes de rigueur : « C’est un texte de civilisation, qui veut resituer l’homme dans son parcours de dignité. » On est content pour elle, elle l’a, elle le tient enfin, son «texte de civilisation» à elle, avant d’être téléportée sous peu à l’agriculture ou aux Dom-Tom. Bien sûr, en vertu des normes en vigueur, la loi Bachelot, ça ne vaudra jamais la loi Gayssot ou la loi Badinter sur l’abolition de la peine de mort (mais peut-être devrait-on dire « peine de fin de vie »). N’empêche, même partagée en multipropriété avec Léonetti, c’est plus classe que la Loi Falloux, et je ne vous parle même pas de la loi Carrez… Et c’est vrai que le sujet se prêtait à un grand, un beau texte, de ceux qu’on évoque avec une larme au coin de l’œil quand on passe chez Ruquier, de ceux qui imposent le respect aux voyous du camp d’en face, de ceux qui font que les chansonniers des Guignols ou du Caveau de la République y réfléchissent à deux fois avant de vous traiter de Roselyne Cachalot. Un « texte de civilisation qui resitue l’homme dans son parcours de dignité », ça en jette sur un CV, surtout s’il n’y a pas le mot qui fâche dedans.

Joseph Staline, peu de gens le savent, était passionné par les questions de linguistique, au point d’y avoir consacré un très long article dans la Pravda, en plein déclenchement de la guerre de Corée. L’article en question est assez long et parfois ennuyeux, mais totalement dégagé du formalisme que certains auraient pu s’attendre à y trouver. Au contraire, l’auteur y bataille sec contre les tenants d’une «langue de classe», structurellement oppressante. Il avait, dit-on, coutume de résumer sa pensée avec la plaisante formule « le mot chien ne mord pas ». Eh bien, sur ce coup-là, Staline avait tort[1. Oui, oui, j’ai bien écrit « sur ce coup-là ». Staline ne s’est pas trompé sur tout. Sans parler du rôle prépondérant de l’URSS dans l’écrasement du nazisme, on pourra aussi évoquer, à l’attention des plus distraits, son soutien sans faille en 1948 à la création d’Israël…]. Pour les chiens, je ne sais pas, mais du côté des hommes, le mot mort mord encore.

Un crime contre l’Humanité évité de justesse

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Nonobstant mon aversion pour le nord-ouest de la capitale, j’avais prévu, ce dimanche, de faire un saut à la mairie du XVIIe. Je comptais aller traîner mes guêtres à l’expo organisée par les associations “Vérité et Justice” et “Solidarité-Kosovo”. Une expo de dessins d’enfants issus de la diversité, comme on dit, puisque qu’il s’agit de petits Serbes du Kosovo.

Normalement, je ne suis pas très caritatif. Mais d’abord on m’avait gentiment demandé de venir et puis ensuite, en amateur éclairé de causes perdues, je suis avec intérêt et amusement les pérégrinations des desperados humanistes de “Solidarité-Kosovo”. En particulier, j’avais beaucoup aimé que, suite à la fermeture d’une salle de boxe dans la banlieue grenobloise, Arnaud Borella et ses camarades récupèrent tous le matos, ring compris, pour l’expédier à Triffouillitch-les-Oies, au fin fond des dernières enclaves serbes du Kosovo. Convoyer des punching-balls ou des culottes Everlast, ça vous a quand même plus d’allure que de refiler aux mioches du bout du monde des vieilles barboteuses Absorba mitées ou des cartables troués avec Maya l’abeille dessus.

Je m’apprêtai donc à aller gentiment à la Mairie du XVIIe, histoire de verser trois thunes et de m’extasier avec tous les autres visiteurs sur les dessins des marmots serbo-kosovars. Je suis prêt à rudoyer pas mal de tabous, mais tout de même pas celui qui veut que tous les enfants aient du talent.

Mais non, finalement, je n’irai pas à la Mairie du XVIIe, j’irai au cinéma, voir Le bon, la brute et le cinglé, si ça se joue encore, ou sinon j’irai rererevoir The Big Lebowski, qui repasse ce dimanche au Champo. Parce que figurez-vous que Mme Brigitte Kuster, maire UMP dudit arrondissement, a annulé ladite expo. Elle l’a annulé alors que les 50 dessins étaient déjà accrochés dans la salle des fêtes, que des milliers d’invitations étaient déjà parties dans toute la France et que trente-six ambassadeurs avaient été invités au vernissage, plusieurs d’entre eux ayant confirmé leur présence. Motif de cette interdiction de dernière minute ? Mme Brigitte Kuster semble avoir découvert la veille de l’inauguration que cette expo était « politique ». Le programme de l’expo, des débats et des comptes-rendus d’action humanitaires était pourtant arrêté – et négocié avec la mairie – depuis plusieurs semaines.

Oui, mais voilà : quelqu’un a semble-t-il signalé à Mme le Maire UMP que l’association “Vérité et Justice” avait édité, il a six ans, Ma vérité, un livre de Slobodan Milosevic. Et les enfants serbes furent donc privés d’expo, les bénévoles ont été priés de remballer sur-le-champ les dessins qui déshonoraient l’édifice public. Non mais !

J’en déduis d’abord que Mme Brigitte Kuster est une abrutie. J’en déduis aussi que si l’UMP n’exclut pas illico de ses rangs cette censeuse, elle prouvera, si besoin était, sa nature foncière de parti d’abrutis. J’en déduis enfin que le mec qui dans Causeur a apporté son soutien aux mêmes élus UMP du XVIIe, quand ils bataillaient il y a quelques mois contre Delanoë pour imposer une place Alexandre-Soljenitsyne dans leur arrondissement et qui a bêtement cru qu’ils le faisaient par amour de la liberté d’expression, en l’occurrence un certain Marc Cohen, est lui aussi un abruti de première.

Georges Labica, mourir en colère

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Le philosophe Georges Labica, né en 1930, est mort le jeudi 12 février. Ce spécialiste de la théorie marxiste, professeur émérite, enseigna longtemps à Nanterre. Disciple d’Henri Lefèbvre et d’Althusser, il quitta le PCF au début des années 1980. Il a, parmi de nombreux ouvrages, dirigé un monumental Dictionnaire critique du marxisme (PUF, 1981) Dans Démocratie et révolution (Le temps des cerises, 2002), Georges Labica écrivait notamment : « Le communisme, c’est le seul contrepoison, le seul antidote, le seul remède, la seule alternative à la société d’exploitation, au capitalisme qui jamais n’a le visage humain. Tous les damnés de la terre savent ça, qui sont de plus en plus nombreux et de plus en plus damnés. Seuls les salauds ne sont pas avec eux et c’est comme ça qu’on les reconnaît. » On n’est évidemment pas obligé d’être d’accord, mais il faut savoir que mourir en colère, pour le coup, c’est à ça qu’on reconnaît un communiste. Il n’y a pas, pour eux, de réconciliation possible avec ce monde-là.

Théorie de la violence

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Cadavres sans placard

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ecorches

L’exposition « Our Body » vient d’ouvrir ses portes à Paris (Espace 12 Madeleine jusqu’au 12 mai prochain). Les organisateurs la garantissent « éducative et artistique »… Présentant à la vue des spectateurs leur corps et leurs organes écorchés, les dix-sept cadavres d’origine chinoise sont, bien malgré eux, au cœur d’une vive polémique. Retrouvez les impubliables de Babouse sur son carnet.

Outing en tout genre

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Je ne sais plus très bien comment cette histoire a commencé. Personne ne le sait plus vraiment au demeurant. Tout s’est passé si vite quand Jean-Paul Huchon a convoqué la presse parisienne et ses arrière-bans pour faire le plus déroutant des coming out.

Son teint rose pâlissait sous la sueur quand il annonça tout de go : « Je suis antillais. Je suis le président d’une île. Et l’Ile de France, ça n’est pas rien : le coût de la vie y est plus cher que dans le Larzac. C’est la faute à la métropole. » Reprenant son souffle, il garda plusieurs secondes un silence qui lui convenait fort bien avant d’enchaîner : « Je suis non seulement antillais, mais je suis noir aussi. Complètement. » Mouvement imperceptible d’émotion, larmes aux yeux, souvenirs du commerce triangulaire de sinistre mémoire. La salle de presse de la Région Ile-de-France se vida avant que Jean-Paul Huchon pût montrer aux téméraires qui s’étaient avisés de rester quels étaient les attributs de sa néo-négritude.

Le lendemain, certains étaient encore bouche bée quand un fil de l’AFP tomba : Martine Aubry venait de confier au Courrier picard qu’elle s’appelait Raymond, qu’elle venait d’une tribu indienne et qu’elle avait été élevée à Lille par un couple qui avait décidé de lui donner le nom de Pocahontas. La réplique ne se fit pas attendre : Voici publia aussitôt un entretien exclusif avec Ségolène Royal disant qu’elle était de toute façon hyper participative. Et pas que là. A droite, Roselyne Bachelot déclarait au même moment : « Je suis une femme », mais personne ne prêta la moindre attention à ses élucubrations, qui furent, il faut le dire, vite occultées par la cérémonie de pacs entre Alain Juppé et Noël Mamère. Christian Vanneste pleura beaucoup : « Un si beau chauve, un si beau chauve avec un moustachu. »

A l’Elysée, Nicolas Sarkozy annonçait dans la foulée qu’Angela Merkel et Taro Aso quittaient le G8, permettant aux six membres restant de réaliser l’un des plus vieux rêves de l’humanité[1. Henri Guaino avait écrit le discours.] : reconstituer les Village People.

Jean-Luc Mélenchon eut beau avouer ses penchants pour les hommes à gros sourcils « du genre Emmanuelli », la presse préféra croire Olivier Besancenot lorsqu’il déclara reluquer les vieux et être à la colle depuis cinq ans avec Alain Krivine. Quant à Laurence Parisot, on le savait, mais elle sauta sur l’occasion pour rendre la chose publique : « Laguillier me fait chauffer le CAC40. »

Plus rien ne restait vraiment de la République. L’affaire culmina lorsque Jean-François Kahn annonça lui-même qu’il n’avait jamais été patron de presse, mais transformiste : depuis 1975, il jouait le sosie de Marie-George Buffet chez Michou.

Et puis vint l’ultime saillie, provocante et libératrice : Bertrand Delanoë avoua qu’il en pinçait pour Françoise de Panafieu, tandis que Roger Karoutchi disait de Rachida Dati : « Quelle belle femme. » Les deux furent heureusement conduits à l’hôpital Sainte-Anne dans la rue du même nom. Et comme Jean-Luc Romero traînait par là, ils y eurent une belle fin de vie. Rapide et digne. Bien entendu, Marc Cohen vint leur tenir la main, uniquement pour toucher les 49 euros prévus par la loi. Fois deux, ça ne se refuse pas. Mais le bougre les but si vite[2. En Havane Club 3 ans d’âge.] qu’on en oublia rapidement toute cette ténébreuse affaire.

Ça platine grave à l’UMP

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Me Isabelle Wekstein n’est pas contente. Mais alors pas du tout. Avocate du groupe américain MGMT, elle se plaint que l’UMP ait utilisé à plusieurs reprises l’un des titres fétiches de son client : Kids, en le faisant passer d’abord au Conseil national du 24 janvier, puis lors d’un déplacement de Xavier Bertrand dans le Maine-et-Loire, enfin dans deux vidéos diffusées par le parti présidentiel. Trop, c’est trop. Réparation est demandée. Situation cocasse : à l’UMP on fait la sourde oreille et on jure qu’on prêtera attention aux récriminations de Me Wekstein quand l’Assemblée aura voté le projet de loi réprimant le piratage des œuvre artistiques sur Internet. Ce vote devrait intervenir le 4 mars prochain. Jusque-là, pirate qui s’en dédit, on fait comme si de rien n’était. Un petit conseil au disc jockey du parti de Xavier Bertrand : il vaudra mieux à l’avenir utiliser des œuvres tombées dans le domaine public. Emile Waldteufel, La valse des patineurs : ça collerait pile poil.

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Georgia on my mind

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Décidément, la Géorgie a de la ressource. Après une guerre désastreuse avec la Russie cet été, Tbilissi a trouvé le moyen de prendre sa revanche. Pour le prochain concours de l’Eurovision qui aura lieu à Moscou, la république caucasienne a choisi une chanson au refrain équivoque, jouant sur le nom du Premier ministre présidentiel russe : « We don’t wanna Put In ». Le parolier Bibi Kvachadzé se défend de toute intention non artistique, mais nous avons quelques doutes, comme en ont d’ailleurs les organisateurs de ce concours bizarre dont les règles interdisent formellement tout contenu politique. Ce qui a été pris par la force sera repris par la fanfare.

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Tais-toi et cours

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Mercredi soir en direct au JT de France 2, un moraliste est né : Lilian Thuram. Interrogé sur la crise aux Antilles par David Pujadas, le jeune retraité nous en a mis plein la vue. Pour commencer, Thuram en a en remontré à Causeur, Arrêt sur Images et Acrimed réunis en matière de critique des médias. Ceux-ci, explique-t-il en substance, ont été fautivement muets pendant un mois et ne commencent à l’ouvrir que quand il y a de la castagne. D’un côté c’est vrai : même Libé et L’Huma, qui furent les premiers à en parler vraiment, ont attendu trois bonnes semaines avant de s’y coller. D’un autre côté, si Lilian Thuram, dont on imagine qu’il a des infos de première main sur son île natale, avait dès le début de la crise demandé à s’exprimer dans une tribune libre du Monde, en direct sur un JT de France3 ou un truc dans le genre, je vois mal le redac’ chef le plus crétin ou le plus sarkozyste lui claquer la porte au nez ! Et rien ne l’empêchait, le cas échéant d’aller pousser sa légitime gueulante dans Marianne, L’Huma ou Libé, où je suis certain qu’on l’aurait accueilli à bras ouverts. S’il l’avait fait, on aurait parlé bien plus tôt de ce qui se passe aux Antilles. Mais ça ne s’est pas passé comme ça. Dans les faits, Thuram a attendu que la crise dans les Dom s’impose, sans lui, comme un sujet bankable pour la ramener. Ce silence assourdissant que stigmatise Thuram, c’est aussi le silence de Thuram.

Quoique, à écouter la suite de son intervention, on se demande s’il n’aurait pas mieux fait de se taire. Avec Lilian, les grévistes ont trouvé un piètre défenseur. Quand il déclare que « les violences discréditent le mouvement », il marque contre son camp, les violences des émeutiers font partie du mouvement, ce sont pour l’essentiel des violences sociales, bien plus légitimes, in fine, que les pillages banlieusards de 2005 que Thuram s’était empressé de justifier. Si les Antillais s’étaient contentés de pétitionner contre la vie chère, on n’en aurait toujours pas entendu parler de leurs histoires ultramarines, et je ne suis pas certain que Thuram se serait démené pour en causer à la télé. « Je ne comprends rien à la politique sauf l’émeute », disait Flaubert. Thuram devrait relire plus souvent la correspondance de Flaubert.

Mais le pire est encore à venir. C’est quand notre champion du monde déclare sans rire : « Si j’étais en Guadeloupe, je ferais partie des manifestants. » Mais nom de dieu, qu’est-ce qui l’en empêche ? A ma connaissance, les liaisons aériennes n’ont pas été interrompues par la grève. Le seraient-elles qu’il aurait largement les moyens d’affréter un jet privé. Si j’étais, je ferais : ce conditionnel est obscène.

De qui te moques-tu Lilian? De moi, c’est pas bien grave. Des Guadeloupéens en colère, c’est déjà plus ennuyeux. Mais moi, je ne demande qu’à avoir tort : si ton élan solidaire est autre chose qu’un coup d’auto-promo, tais-toi et cours prendre le premier vol pour Pointe à Pitre. Une fois rendu, va au premier rang des manifs, les CRS y réfléchiront à deux fois avant de charger. Va sur les barrages, pour calmer les plus excités. Va dans la cambrousse pour porter l’eau aux mémés isolées. Va où tu veux, mais vas-y ! Sois gentil, Lilian : cesse de jouer les mouches du coach !

Jean Pitre

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pitre

Explorateur français du XVIIe siècle, Jean Pitre ne découvrit jamais rien, même si l’envie ne lui en manqua pas. Il fut, ce faisant, l’un des premiers touristes de l’histoire et les mémorialistes caribéens conservent son nom comme l’instigateur de l’une des plus graves émeutes que connurent jamais les Antilles. Installé au bar de la Plage (Grande-Terre) le 18 février 1689 sur les coups de l’apéritif, il ordonna que son ti punch fût préparé avec un citron jaune : « Ka fè cho ! Bay moin on ti punch. Avèk sitron zone, pas vot trik pou makoumé. » La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre et l’île s’enflamma immédiatement. Comme il refusait de reconnaître son erreur et qu’il n’y avait plus grand-chose à brûler, le taulier eut la bonne idée de verser une pointe de sucre de canne dans le verre empli de citron vert et de rhum : on appela aussi ce geste d’apaisement la pointe à Pitre. Y a pas plus traître.

Franck Vincent, Portrait de Jean Pitre pointant de son doigt une coupe vide de ti punch, huile sur bois, 1698. Conservée au musée national des Arts premiers et de la Compagnie créole.

Ramon Fernandez et autres figures crépusculaires

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Ramon Fernandez, « collabo » notoire, est mort dans la nuit du 2 au 3 août 1944. Une crise cardiaque mettait fin à son calvaire. Peu auparavant, il avait chuté de sa chaise, à la terrasse de Lipp, pour cause d’ivresse. Son fils, Dominique, avait alors quinze ans et admirait de Gaulle. Soixante années plus tard, Fernandez fils a l’âge d’être le père de Ramon. Écrivain de renom, esprit sensible et fin, il a remonté la piste des mémoires et des faits. Il n’a pas résolu l’énigme, mais il ose enfin parler longuement, savamment, tendrement mais sans rien dissimuler, de son « salaud » de père. Il s’est libéré d’un tabou et nous donne un livre fondamental, sur la condition humaine, par surcroît parisienne et française.

Le 1er décembre 1926, Ramon Fernandez, métis franco-mexicain, héritier du Sud, qui fabrique souvent des mâles mélancoliques et arrogants, épouse une jeune diplômée de l’École de Sèvres. Liliane Fernandez, née Chomette incarne le Nord, la rigueur, presque l’ascétisme. C’est un être de devoir, verrouillé. Deux enfants naissent, Irène et Dominique ! Le couple se sépare en 1936. Curieusement, c’est Ramon qui souffrira le plus. Il perd l’équilibre et ne se rétablira jamais. Tous ces détails sont fournis par le « journal » de Liliane, dans lequel a puisé Dominique pour conduire son enquête. Et c’est aussi l’une des forces de ce livre supérieurement construit, à la manière d’un grand projet abouti, que de confronter les péripéties de la vie quotidienne, souvent navrantes et cruelles, aux événements considérables. Un somptueux cadeau d’un fils à son père, une œuvre pour tous les orphelins de la littérature…

Avant de devenir une « ordure », Ramon fut un personnage honorable, c’est-à-dire de gauche et humaniste. Lauréat du prix Fémina en 1932, très en vue, recherché par les hommes intelligents, courtisé par les jolies femmes, il montrait une prestance de danseur de tango : cheveux plats gominés, regard de braise, corps puissant. Confident de Proust, il conversait avec Gide, interrompait Malraux, admirait Paulhan, fréquentait Mauriac et connaissait tout ce que le Paris des deux rives comptait de gens influents. Deux ou trois arrondissements parisiens formaient alors un nombril… grand comme le monde. Aujourd’hui, deux ou trois nombrils circonscrivent la rive gauche.

Essayiste, critique, Ramon Fernandez fut l’enfant chéri de la gauche chic jusqu’en décembre 1936, après qu’il eut paraphé un manifeste signé par Léon Daudet, Henri Béraud, Abel Bonnard, Drieu-la-Rochelle… Bref, il ruina sa bonne réputation. Et cela n’allait pas s’arranger. Il choisit le camp franquiste, seul capable à ses yeux d’épargner à l’Espagne « la désagrégation du pays sous l’influence anarchiste et communiste ». De son côté, Gide, désillusionné, venait de publier Retour d’URSS ; son aveu navré lui valut la riposte dont les staliniens détenaient le vocabulaire secret. Le parti communiste, le fascisme, la guerre d’Espagne et le goût des hommes forts : voilà les totems de cette génération perdante.

Issu du « Parti de la classe ouvrière », hostile à Maurice Thorez, voici que s’avance un costaud des Batignolles, une grosse carrure : Jacques Doriot ! Ramon, surdoué du genre littéraire, a trouvé son « homme » dans ce surdoué du genre tribunicien. Le beau Ramon éprouva des émotions fortes au spectacle de l’ambition, de la volonté, de la force. Quelque chose, enfin, desserrait l’étreinte de l’angoisse et de l’amertume. Les temps changeaient, il imagina peut-être qu’il pourrait changer avec eux. Le compte à rebours commençait. Il dura quatre ans ; quatre années d’occupation, de terreur, d’élégance et de mondanités, pendant lesquelles de brillants intellectuels consentirent à feindre de jouer un rôle dans ce prodigieux pays, la France, que l’Allemagne tenait au collet. Illusion tragique ! Paris, jolie môme incomprise, insolente comme Arletty, boudeuse comme Danielle Darrieux, voluptueuse comme Simone Simon, ne cherchait qu’à s’étourdir, à oublier.

Quelques figures inauguraient un jeu de rôle dont l’issue crépusculaire était prévue dans ses règles. Parmi elles, les deux Abel, Hermant et Bonnard. Abel B., sapé comme un mylord, ganté beurre frais, écrivait ses discours de ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse dans une langue parfumée. Ses mœurs autant que ses fréquentations lui valurent l’affectueux surnom de « gestapette »… Il fuira en Espagne. Abel H. ne manquait pas de dons. Hélas ! Malgré sa maîtrise parfaite de la grammaire, il confondit le vert de l’espoir avec le vert-de-gris.

Maurice Sachs, juif, converti au christianisme par opportunisme sincère, acoquiné aux pégriots, vécut d’expédients, de rapine et de mensonge. Styliste impeccable, compagnon idéal de la mondanité, homosexuel étincelant, infiltré des salons, trafiquant d’or, délateur au profit de la Gestapo, on perd sa trace dans une prison de Hambourg, en 1944. Commence sa légende : fut-il assassiné par ses co-détenus, enragés de ses infamies ? Eut-il la tempe percée par le Lüger d’un nazi, sur le bord d’une route ? Ou bien survécut-il ? Quelqu’un me l’a assuré, convaincu de l’avoir aperçu dans le hall d’un hôtel, en Suisse, au début de l’année 1946. Pauvre Maurice ! Mauvais garçon précieux, efféminé des crapuleries, cherchant l’infamie comme d’autres les diamants, extravagant symbole de Paris occupé, la ville des merveilles et des orpailleurs de caniveau. Déchiré entre la Grâce et l’ennui, affamé de chair, mystique, prince de l’écriture et des vilenies, ange noir exténué ; il ira au paradis pour avoir donné à ses contemporains une idée de la damnation. Paul Léautaud montera au ciel, lui aussi, pour avoir tant aimé les bêtes. Le vieux teigneux ignorait qu’il était en partie exaucé, lorsqu’il écrivait, le 7 mars 1945, dans son incomparable Journal : « Quelle pourra bien être la nouveauté de la prochaine guerre ? L’extermination du genre humain ? Hélas ! C’est une chimère. »

Le 24 mars 1944, Pierre Drieu-la-Rochelle, séducteur déclinant et variqueux, sujet au vertige mais frôlant les précipices, plaçait sa tête dans le four de sa cuisinière et, pour la seconde fois, ouvrait le gaz. Drôle d’époque. Fin des Temps. Drieu, tué par la politique avait vécu pour la littérature ; il lui confia son sort posthume.

Drieu, Fernandez, Sachs : notre époque, bourrelée de remords, surveillée par les moralisateurs, punie par les procureurs, observe avec dégoût leurs courses rapides sur la terre, affranchies de ses petits repères. Ils furent cependant à la mesure d’un temps déraisonnable. Doriot, déjà titulaire de la croix de guerre (1918), décoré de la croix de fer (1944), se voyait en gauleiter universel, en héritier naturel d’Adolph H. Sa griserie prit fin le 22 février 1945, sous la mitraille de deux avions mal identifiés.

« Nous n’avons pas su l’aimer », dira de Drieu son compagnon de débauche et d’esprit, son presque frère, Emmanuel Berl. Bien évidemment, Ramon et Pierre (qui ne s’appréciaient guère) jouèrent la comédie des apparences, mais au moins, ils ne lâchèrent pas la main du personnage inspiré par leur fantaisie, leur aveuglement, leur lâcheté, leur faiblesse. Ils payèrent un prix très élevé le droit de trouver place dans la comédie humaine. Ils ne se soucièrent pas outre mesure de paraître meilleurs qu’ils n’étaient. Gravement atteint de paradoxalite, maladie très commune en France, ils constatèrent avec une joie non dissimulée les progrès rapides de la maladie qui les menait de l’opprobre au tombeau. Mais enfin, ils opposèrent des valeurs strictement culturelles à la pression marchande qui s’exerçait sur le monde. Ils accomplirent leur destin, volontairement sourds aux crimes qui se commettaient hors de leur vue. Ce fut une sorte de « luxe » suprême et une malédiction. Après eux, viendrait légitimement l’ère du soupçon.

Ramon, Drieu, manquant de caractère, confièrent aux idéologies le soin de les distraire d’eux-mêmes, de les rassurer. Marguerite Duras a bien connu Fernandez. Pendant la guerre, elle vint habiter 5, rue Saint-Benoît (Paris, VIe), au-dessus de l’appartement où il vivait avec Betty, sa seconde épouse. Marguerite n’a jamais dissimulé l’affection, l’admiration que lui inspiraient Ramon. À Dominique, elle déclara : « Collaborateurs, les Fernandez. Et moi, deux ans après la guerre, membre du PCF. L’équivalence est absolue, définitive. C’est la même chose, la même pitié, le même appel au secours, la même débilité du jugement, la même superstition disons, qui consiste à croire à la solution politique du problème personnel. »

Que s’est-il passé ? Comment tout cela a-t-il commencé ? Se souvient-on encore de la case qu’occupaient les pions sur l’échiquier, avant le grand choc qui les jeta tous dans une mêlée confuse, où s’abolirent les lois qui réglaient leurs déplacements ? Ces dandies égarés, ces solitaires, ont versé dans l’esprit de système. C’est assez dire qu’ils cherchaient à se punir. Tous, fusillés, suicidés, exilés, bannis, nous abandonnèrent, avec, pour seul viatique et unique héritage, la difficulté d’être français.

Ramon

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La civilisation dans le texte

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C’est une sale habitude, je ne pense jamais à la mort. Ni à la mienne, ni à celle des autres. C’est comme ça. Collatéralement, ça implique que je ne serai donc jamais Racine, ni même Malraux ou Nicoletta. Tant pis, je préfère m’endormir et me réveiller en pensant aux petits oiseaux ou assimilés. Heureusement pour la mort et son taux de notoriété, d’autres s’en chargent pour moi. Ainsi j’apprends que nos parlementaires viennent de voter une loi « visant à créer une allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie ». Et qu’ils l’ont même fait à l’unanimité. Dommage que je ne sois pas député, j’aurais été le seul à voter contre.

Ce n’est pas que je sois hostile au principe d’une allocation de 49 € par jour pour tenir la main pendant trois semaines à un proche qui va mourir. Mais j’ai comme l’impression que quand on est confronté à ce genre de drame, c’est pas un chèque de l’Etat qui vous rendra le sourire, ni même, comme on dit maintenant, vous aidera à faire votre « travail de deuil » – une fois que vous aurez rempli les mille et un questionnaires actant que ce proche est vraiment proche et surtout vraiment mourant. J’en vois déjà qui vont me dire que j’ai pas de cœur et qu’il y a des pauvres pour qui 49 € par jour, ça change tout. Mouais. Franchement si l’Etat, la droite, la gauche en avaient quoi que ce soit à foutre du sort des pauvres, on s’en serait un peu aperçu, depuis le temps. C’est bien gentil de se soucier des papys qui vont crever sous 21 jours ouvrables, mais quand le minimum vieillesse est à 20 € par jour, on ferait aussi bien de s’occuper de ceux qui sont encore vivants.

Sans compter que cette loi à forte teneur en dignité se télescope étrangement avec l’intention affichée par le chef de l’Etat de réduire la durée du congé parental. Je résume : voyez encore moins vos gosses grandir, en échange de quoi vous pourrez voir vos parents mourir. Win-win, quoi. Tsss tsss, vous êtes vraiment sûrs que c’est moi qui me moque ?

Mais je m’égare. L’âge de la retraite, le minimum vieillesse, le montant minable des allocs, leur non-attribution au premier enfant, c’est des breloques vis-à-vis de l’octroi par la République d’un supplément d’âme à kikenveu. Toutes ces histoires de pognon, c’est pas du sociétal, c’est du social, donc du banal, du bancal, du brutal, du syndical. Et si on parlait plutôt des vrais problèmes de société, des ados alcoolisés, des animaux abandonnés et même, à la rigueur, des SDF surgelés ? Comment puis-je être assez odieux pour ne pas compatir, ou assez con pour ne pas comprendre ?

Mais en vrai, si ce texte de loi me dégoûte, c’est avant tout à cause de son intitulé. Dès que je vois les mots « fin de vie », je sors mon revolver. Même les euphémismes décès ou disparition ont été habilement contournés par le législateur. Car il faudra m’expliquer un jour ce qu’est une personne en fin de vie, sinon un mourant. Je sais que nos élus ont parfois un rapport distant avec le réel, mais ce n’est quand même pas un scoop : à la fin de la vie, il y a la mort. Ne pas la nommer, c’est encore plus crétin que de ne pas y penser.

Cerise sur le gâteau, à l’issue du vote de la loi, le ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, a déclaré, sous les applaudissements unanimes de rigueur : « C’est un texte de civilisation, qui veut resituer l’homme dans son parcours de dignité. » On est content pour elle, elle l’a, elle le tient enfin, son «texte de civilisation» à elle, avant d’être téléportée sous peu à l’agriculture ou aux Dom-Tom. Bien sûr, en vertu des normes en vigueur, la loi Bachelot, ça ne vaudra jamais la loi Gayssot ou la loi Badinter sur l’abolition de la peine de mort (mais peut-être devrait-on dire « peine de fin de vie »). N’empêche, même partagée en multipropriété avec Léonetti, c’est plus classe que la Loi Falloux, et je ne vous parle même pas de la loi Carrez… Et c’est vrai que le sujet se prêtait à un grand, un beau texte, de ceux qu’on évoque avec une larme au coin de l’œil quand on passe chez Ruquier, de ceux qui imposent le respect aux voyous du camp d’en face, de ceux qui font que les chansonniers des Guignols ou du Caveau de la République y réfléchissent à deux fois avant de vous traiter de Roselyne Cachalot. Un « texte de civilisation qui resitue l’homme dans son parcours de dignité », ça en jette sur un CV, surtout s’il n’y a pas le mot qui fâche dedans.

Joseph Staline, peu de gens le savent, était passionné par les questions de linguistique, au point d’y avoir consacré un très long article dans la Pravda, en plein déclenchement de la guerre de Corée. L’article en question est assez long et parfois ennuyeux, mais totalement dégagé du formalisme que certains auraient pu s’attendre à y trouver. Au contraire, l’auteur y bataille sec contre les tenants d’une «langue de classe», structurellement oppressante. Il avait, dit-on, coutume de résumer sa pensée avec la plaisante formule « le mot chien ne mord pas ». Eh bien, sur ce coup-là, Staline avait tort[1. Oui, oui, j’ai bien écrit « sur ce coup-là ». Staline ne s’est pas trompé sur tout. Sans parler du rôle prépondérant de l’URSS dans l’écrasement du nazisme, on pourra aussi évoquer, à l’attention des plus distraits, son soutien sans faille en 1948 à la création d’Israël…]. Pour les chiens, je ne sais pas, mais du côté des hommes, le mot mort mord encore.