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Tais-toi et cours


Tais-toi et cours

Mercredi soir en direct au JT de France 2, un moraliste est né : Lilian Thuram. Interrogé sur la crise aux Antilles par David Pujadas, le jeune retraité nous en a mis plein la vue. Pour commencer, Thuram en a en remontré à Causeur, Arrêt sur Images et Acrimed réunis en matière de critique des médias. Ceux-ci, explique-t-il en substance, ont été fautivement muets pendant un mois et ne commencent à l’ouvrir que quand il y a de la castagne. D’un côté c’est vrai : même Libé et L’Huma, qui furent les premiers à en parler vraiment, ont attendu trois bonnes semaines avant de s’y coller. D’un autre côté, si Lilian Thuram, dont on imagine qu’il a des infos de première main sur son île natale, avait dès le début de la crise demandé à s’exprimer dans une tribune libre du Monde, en direct sur un JT de France3 ou un truc dans le genre, je vois mal le redac’ chef le plus crétin ou le plus sarkozyste lui claquer la porte au nez ! Et rien ne l’empêchait, le cas échéant d’aller pousser sa légitime gueulante dans Marianne, L’Huma ou Libé, où je suis certain qu’on l’aurait accueilli à bras ouverts. S’il l’avait fait, on aurait parlé bien plus tôt de ce qui se passe aux Antilles. Mais ça ne s’est pas passé comme ça. Dans les faits, Thuram a attendu que la crise dans les Dom s’impose, sans lui, comme un sujet bankable pour la ramener. Ce silence assourdissant que stigmatise Thuram, c’est aussi le silence de Thuram.

Quoique, à écouter la suite de son intervention, on se demande s’il n’aurait pas mieux fait de se taire. Avec Lilian, les grévistes ont trouvé un piètre défenseur. Quand il déclare que « les violences discréditent le mouvement », il marque contre son camp, les violences des émeutiers font partie du mouvement, ce sont pour l’essentiel des violences sociales, bien plus légitimes, in fine, que les pillages banlieusards de 2005 que Thuram s’était empressé de justifier. Si les Antillais s’étaient contentés de pétitionner contre la vie chère, on n’en aurait toujours pas entendu parler de leurs histoires ultramarines, et je ne suis pas certain que Thuram se serait démené pour en causer à la télé. « Je ne comprends rien à la politique sauf l’émeute », disait Flaubert. Thuram devrait relire plus souvent la correspondance de Flaubert.

Mais le pire est encore à venir. C’est quand notre champion du monde déclare sans rire : « Si j’étais en Guadeloupe, je ferais partie des manifestants. » Mais nom de dieu, qu’est-ce qui l’en empêche ? A ma connaissance, les liaisons aériennes n’ont pas été interrompues par la grève. Le seraient-elles qu’il aurait largement les moyens d’affréter un jet privé. Si j’étais, je ferais : ce conditionnel est obscène.

De qui te moques-tu Lilian? De moi, c’est pas bien grave. Des Guadeloupéens en colère, c’est déjà plus ennuyeux. Mais moi, je ne demande qu’à avoir tort : si ton élan solidaire est autre chose qu’un coup d’auto-promo, tais-toi et cours prendre le premier vol pour Pointe à Pitre. Une fois rendu, va au premier rang des manifs, les CRS y réfléchiront à deux fois avant de charger. Va sur les barrages, pour calmer les plus excités. Va dans la cambrousse pour porter l’eau aux mémés isolées. Va où tu veux, mais vas-y ! Sois gentil, Lilian : cesse de jouer les mouches du coach !



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De l’Autonomie ouvrière à Jalons, en passant par l’Idiot International, la Lettre Ecarlate et la Fondation du 2-Mars, Marc Cohen a traîné dans quelques-unes des conjurations les plus aimables de ces dernières années. On le voit souvent au Flore.

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