Le zombie est l’avenir de l’homme. Pas besoin d’être un amateur de films B ou Z pour s’en rendre compte : une simple promenade dans les grandes villes, spectaculaires-marchandes suffira, pour tout observateur un tant soit peu attentif. On voit ainsi des gens manger debout des sandwichs dans la rue, d’autres parler tout seul dans des oreillettes, d’autres encore recevoir directement du mp3 dans le cortex ou se regrouper en hordes imposantes dès qu’on les soumet à quelques stimuli simples : un nouveau modèle de console vient de sortir chez Virgin, un slamer dit que la haine et l’exclusion c’est mal sur une scène branchée, un génie du monde d’avant est muséifié dans une méga exposition, calibrée pour la petite bourgeoisie post-moderne qui ne supporte la beauté foudroyante de Monet qu’en troupeau morbide et qui va aux Nymphéas comme d’autres vont à l’abattoir. Oui, il faut s’y faire, le zombie est déjà parmi nous[1. Un film de Romero, le maître du genre, avait montré le lien zombie-consommation de masse dans Zombies crépuscules (1973) où un groupe de survivants se réfugiaient dans un supermarché assiégé.].
Autant le loup-garou, le fantôme, le vampire (surtout depuis la quasi-éradication du sida en Occident) ne sont plus des figures de la peur aussi efficaces, autant le zombie a gardé, si je puis dire, toute sa fraîcheur tant il préfigure le devenir-consommation de notre temps pour qui même l’amour, le bonheur, le sexe, l’idéal politique sont désormais des produits dont on évalue le rapport qualité-prix avec un homme dont le libre-arbitre se joue dans les allées des supermachés et les zones commerciales de la grégarité marchande imposée par les rythmes biopolitiques de la Production.
Déjà morts, on vous dit.
C’est pour cela que nous recommandons vivement la lecture de World War Z, même à ceux qui ne sont pas des habitués de la littérature de genre tant ce roman de Max Brooks (le fils de Mel et de l’actrice Anne Bancroft) est d’abord un chef-d’œuvre littéraire, profondément visionnaire, ironique et désespéré. L’argument est simple : la prochaine guerre mondiale, désolé Dantec, n’aura pas lieu contre les musulmans mais contre les zombies. Le premier cas, le patient zéro, va apparaître en Chine et l’épidémie, évidemment sous-estimée par les responsables politiques, va se muer en Grande Panique dans laquelle l’ensemble de la civilisation s’effondre à une vitesse effroyable.
Quelques pays, qu’une vieille paranoïa historique avait entraîné à penser l’apocalypse, tirent plutôt bien leur épingle du jeu en prenant très vite les mesures qui s’imposent, des mesures bien sûr profondément révoltantes au regard des droits de l’homme. En même temps quand votre grand-mère à peine décédée sur son lit d’hôpital se réveille et commence à vous boulotter le visage, on s’autorise à prendre quelques libertés avec l’habeas corpus. Pour la petite histoire, qui amusera sans doute les lecteurs de Causeur, les trois pays qui résistent le mieux sont Israël qui verrouille ses frontières une fois reçu le renfort des réfugiés Palestiniens (comme quoi, quand ça va vraiment mal on oublie tout et on recommence), Cuba dont l’insularité marxiste permet une résistance magnifiquement organisée et l’Afrique du Sud dont le gouvernement réactive un vieux plan datant de l’Apartheid et qui prévoyait comment sauver la communauté blanche dans un scénario catastrophe d’attaque généralisées des Noirs. C’est ce plan, le plan Redecker, qui sera d’ailleurs appliqué par les autres nations essayant tant bien que mal de se ressaisir. Il consiste à sécuriser une zone du pays protégée par des frontières naturelles (l’ouest des Rocheuses pour les Etats-Unis, l’Himalaya pour l’Inde) et à abandonner le reste de la population dans des communautés isolées plus ou moins sacrifiées pour « fixer » les zombies comme on dit en termes militaires. La realpolitik, il n’y a que ça de vrai.
Brooks se livre évidemment ici à une critique presque swiftienne de notre monde ivre de sa puissance technologique dont l’orgueil prométhéen va subir une féroce blessure narcissique. Quelques scènes d’anthologie montrent d’ailleurs comment des armées modernes se font totalement déborder par les morts-vivants et comment, finalement, la victoire sera obtenue grâce à une manière de De Gaulle américain qui réorganise les troupes avec un équipement low-tech pour en finir avec la question zombie.
Toute la force narrative, toute la redoutable crédibilité de World War Z vient de ce que le livre commence après cette guerre gagnée de justesse et prend la forme d’entretiens réalisés par un universitaire auprès des différents protagonistes de tous les continents et de toutes les conditions sociales, avec des héros et des lâches, des enfants cannibales et des collabos, les quislings[2. Du nom du Pétain norvégien.] qui adoptent le mode de vie zombie en espérant leur échapper.
Brooks est finalement un érudit et un moraliste : le zombie est sa métaphore élue pour réinterpréter l’ensemble de notre histoire contemporaine. Il serait de mauvais goût de dire que ce livre se dévore mais je vous souhaite néanmoins bon appétit.
World war Z: Une histoire orale de la guerre des Zombies
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Photo : Scott Beale / Laughing Squid.
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