Le chef de la police de Ciudad Juarez (Mexique) vient de démissionner. Dans cette ville à la frontière des USA où, chaque année, meurent assassinées dans des conditions atroces des dizaines de femmes qui travaillent dans les usines automobiles délocalisées et où règne un des plus puissants cartels de la drogue du pays, Roberto Orduna, considéré comme un dur, aura occupé ses fonctions seulement quelques mois. Les narcos avaient en effet récemment menacé de tuer un officier de police tous les deux jours jusqu’à la démission de Monsieur Orduna. Après la découverte du corps d’un policier municipal puis d’un gardien de prison portant sur eux un message explicite, le chef de la police a déclaré : « Nous ne pouvons nous permettre que des hommes chargés de défendre nos concitoyens meurent ainsi. C’est pourquoi je présente ma démission définitive. »
En France, il semblerait que le terroriste Julien C. soit toujours en prison.
Terrorisme à la Mexicaine
Saint Laurent, payons pour lui
Le Grand Palais, à Paris, a accueilli durant ces derniers jours ce que toute la presse a qualifié de « Vente du siècle » : la dispersion de l’extraordinaire collection d’œuvres d’art du couturier Yves Saint-Laurent, disparu le 1er juin 2008, et de son compagnon le businessman Pierre Bergé. La vente aux enchères, co-organisée par la maison Christie’s a suscité la ferveur des curieux (plus de 30.000 quidams se sont présentés à l’exposition gratuite des œuvres le week-end dernier…), et provoqué des sueurs froides chez les spécialistes du marché de l’art… les professionnels avaient estimé que le produit de la vente des 733 lots rapporterait entre 200 et 300 millions d’euros. L’estimation haute a été pulvérisée dès la seconde journée, et le produit total de la vente se monte à plus de 375 millions d’euros. Si l’impact de la crise économique s’est fait un peu sentir sur les acheteurs (Mais où sont donc passés les « nouveaux riches » Russes ou Ukrainiens qui achetaient des Picasso par lot de dix pour épater leurs amis chinois ?), le caractère exceptionnel de cette collection a mécaniquement produits des « records » sur lesquels les médias se sont longuement ébahis.
Mais ce que les médias n’ont pas vraiment perçu, c’est qu’en réalité le Grand Palais a accueilli, ces derniers jours, un phénomène religieux, accompagné de tous les totems et fétiches afférents. Un phénomène religieux à la gloire du marché de l’art, évidemment, mais aussi à celle de Pierre Bergé, mitterrandiste old school, homme d’affaires un brin opportuniste, mécène tonitruant et figure désintéressée du « Bien ».
Une religion nécessite un lieu de culte. Ce lieu est tout trouvé : le colossal Grand Palais, que le Journal du Dimanche est bien avisé de comparer à une cathédrale. L’édifice, érigé pour l’Exposition Universelle de 1900, a tous les aspects du temple. Le quotidien gratuit 20 Minutes ne s’y trompe pas, et titre l’un de ses articles : « Dans la nef d’une cathédrale élevée au culte du bon goût. » « Monument consacré par la République à la gloire de l’art français », peut-on lire au fronton de l’édifice. Les 6000 tonnes d’acier et de verre de la grande verrière, constituant l’exceptionnel « toit » de ce palais, et recouvrant ses nefs ainsi que son « vaisseau », laissent passer une lumière étrange. On cherche les vitraux. Il n’y en a pas. Mais la verrière rend la lumière si intelligente, et tellement signifiante. On joue ici la comédie de l’art. On le célèbre. On le prie. On n’y échappe pas.
Une religion a également besoin de processions. Ce n’est pas obligatoire. Mais c’est un élément décoratif intéressant. 30.000 visiteurs anonymes, et curieux, ont visité avec ferveur l’exposition gratuite des œuvres de la collection dans le Grand Palais. L’important était évidemment d’épater le public. Le mot n’est pas de moi, mais de Béatrice de Rochebouet, qui indique dans Le Figaro que si cette vente a « épaté » le public, elle a pourtant laissé plus sceptique certains caïmans cyniques du monde de l’art. On lisait au début de la semaine dans le quotidien de l’avionneur : « Il y a ceux qui estiment que ce battage médiatique ‘provoquant une overdose’ est disproportionné. ‘Cette mise en scène qui a des allures de cathédrale a été faite pour le seul plaisir de Pierre Bergé qui clame sur toutes les radios qu’il a toujours voulu assister aux obsèques de sa collection et tout contrôler de son vivant’, commente une collectionneuse connue pour ne s’être jamais laissé éblouir par les paillettes. Samedi soir, dans un grand dîner parisien donné par trois figures de la mode et du marché, en l’honneur des collectionneurs étrangers, les piques fusaient de table en table. L’expert en Art déco, Jean-Marcel Camard, soulignait que ‘les pièces n’étaient pas toutes extraordinaires une fois sorties de leur contexte et pour certaines pas dans le meilleur état’. » Mais malgré ces quelques réserves et doutes de spécialistes élitistes, la procession populaire a pu vivre sa vie. 30.000 personnes en rang. Sages comme des images. Des images allant admirer des tableaux. Vous-vous rendez compte ? Hein ? 30.000 personnes, le long du Grand Palais… presque pas de Guadeloupéens et pas un pavé jeté sur les gendarmes mobiles.
Une religion se construit évidemment autour d’un culte. Ici, au-delà du génie immortel du couturier Yves Saint-Laurent, nous assistons au culte du couple composé de l’artiste et du businessman, de la carpe et du lapin, de Saint-Laurent et de Pierre Bergé. Pour les besoins du culte, l’appartement parisien du tandem sulfureux – situé rue de Babylone – a été reconstitué avec minutie afin de montrer aux badauds et même aux acheteurs potentiels quel « dialogue » fascinant les œuvres d’art avaient entre elles, entre les mille murs de ce petit palais impérial de poche du 7e arrondissement. Culte. Vraiment culte. Voici l’intérieur de gays garantis sur facture. Ecce homo, comme dirait l’autre ! Venez, entrez ! C’est gratuit. Sauf pour acheter !
Le culte repose aussi sur le caractère « amoureux » de cette collection. C’est bien l’amour entre Saint-Laurent et Bergé qui a animé ces achats décisifs, et parfois même compulsifs. Le Journal du Dimanche nous gratifie de cette saillie : « Saint Laurent était un passionné, au point que Bergé dut lui rappeler un jour qu’on ne va pas chez Kugel (leur antiquaire) comme à Prisunic ! ». C’est pas sérieux Yves ! Retourne à tes étoffes ! De plus, le fruit de cette vente ira à une fondation destinée à promouvoir l’œuvre d’Yves Saint-Laurent, mais également à la recherche scientifique contre le sida. Quelle action humanitaire, quel tropisme progressiste, quelle velléité du « Bien » pourrait se priver de participer à la croisade contre le fameux syndrome d’immunodéficience assassin ?
Mais ce n’est pas tout. Encore faut-il un prêtre pour faire le show. A l’avant-scène, on a vu très brillant François de Ricqlès, 51 balais, héritier des pastilles du même nom, commissaire priseur star chez Christie’s depuis quelques années. Mais à l’arrière-plan c’est Pierre Bergé lui-même qui était à la manœuvre. Caché. Invisible. Mais distillant son sermon à qui voulait l’entendre. Il n’était pas là pour l’argent, mais pour liquider son histoire d’amour. Enfin, la disperser… ou quelque chose dans le genre. Comme éparpiller ou disséminer. Il croit disperser des cendres en dispersant une collection. Il s’égare. Mais il n’est avare d’aucune gesticulation pour nous assurer de son désintéressement. D’ailleurs il donne un Goya au musée du Louvre, c’est dire si le fric ne compte pas ! Qui, parmi vous, a déjà donné un Goya ? Hein ? Bande de salauds ! Notre wonder-mécène ne dilapide absolument pas le patrimoine qu’il a constitué avec son compagnon Saint-Laurent… Non, voyons ! Il ne renie pas là des décennies de passion… Il ne fait que « valoriser » à l’international, et en temps de crise, un investissement sûr. Ah fétides séquelles de l’esprit mitterrandien ! La vérité, moins noble, est que Même si certaines œuvres ont été données à des musées français et certaines autres préemptées par des établissements hexagonaux, la collection Yves Saint-Laurent a été en grande partie dispersée à l’étranger. Je sais bien que cela devrait enchanter mon « cosmopolitisme », mais quelque chose me dit quand même que j’aurais encore moins de chance de croiser ces chefs d’œuvres impérissables à plusieurs milliers de kilomètres de Paris, et parfois dans des collections privées, que rue de Babylone…
Finalement, cette vente aux enchères « du siècle » n’est qu’une… vente aux enchères. Point barre. Rien de plus. Et certainement pas un quelconque « acte de deuil » larmoyant de Pierre Bergé. D’ailleurs… est-il utile de rappeler que Pierre Bergé est un entrepreneur de ventes aux enchères ? Ah, on ne vous l’avait pas dit ? C’est bête ça… Mais la vente « du siècle » organisée par Christie’s (propriété de François Pinault) a été en réalité co-animée par la société de ventes aux enchères du compagnon de YSL, Pierre Bergé & associés. Etablissement sis rue Drouot et fondé par l’homme d’affaires au début des années 2000, suite à son échec dans le rachat de l’institution Drouot. Moi, ce que j’en dis.
Tam-tams dans les Dom-Tom
Quand Elisabeth Lévy ne sait pas, elle ne fait pas semblant de savoir. « Moi, les Antilles, je n’y connais rien », avoue-t-elle dans Causeur et je la lis à Pointe-à-Pitre, à la porte de la capitainerie du port où se tiennent les négociations entre le LKP (syndicats), les patrons et le préfet. J’attends, avec les autres reporters, les caméras et les radios qu’on nous annonce si c’est fumée blanche ou chou blanc, fin de la grève ou grand chambardement. Je serai peut- être obligé de m’interrompre en milieu de phrase, vous m’en excuserez Elisabeth. Puisqu’on a un peu de temps, je vais vous raconter deux ou trois choses que je sais d’ici.
La capitainerie donne sur une place noire de peuple, noire de Noirs. Ils sont là pour réconforter leurs délégués en musique. Tam-tams, chants, danses, battements de main ne cessent pas une seconde. Dans la salle de délibérations, les pourparleurs reçoivent le vacarme autant que moi. Le militantisme en liesse vous ravit les premières heures, au bout de quinze jours, vous brûlez d’envie de crever tous les tambours. J’imagine le préfet les nerfs en boule. Est-ce un supplice pour obliger les patrons à signer ? Faut voir.
Dans un mauvais jeu de mots, je vous ai décrit une place noire de Noirs, mais est-ce qu’ils sont vraiment noirs ? Tenez cette splendeur de fille, devant moi, à Nice on dirait qu’elle est bronzée. Mulâtresse, métis, quarteronne, il ne lui reste plus grand chose de la peau d’un de ces ancêtres africains. Ici, on la classe, elle s’identifie noire, négresse en somme. D’un Blanc doté d’une goutte de sang noir on dira qu’il est noir. D’un Noir aux ascendants 90 % blancs, on dira aussi qu’il est noir. Je vais vous dire pourquoi cet étrange partage, Elisabeth : les enfants d’une esclave engrossée par un maître blanc, sauf rarissimes exceptions, n’étaient pas affranchis pour aller grossir le nombre des asservis et maintenir la pureté de la race blanche. Aujourd’hui encore, nous conservons précieusement cette règle arrêtée par les marchands de chair humaine. On est comme eux ou quoi ? Il nous reste quelque chose d’eux ? Franchement ? Je le crois.
Je parlais tout à l’heure, sur la place, dans le boucan des bamboulas, avec Jean-Marie, un jeune instituteur. Un de ses grands pères, toujours vivant, est un fonctionnaire corse, ses parents sont métis, lui est assez foncé. Il en a plein les bottes de la race, des races, des racistes et des anti-racistes, Jean-Marie. « Je ne vais pas passer ma vie à m’interroger sur la couleur de ma peau, s’exaspérait-il. Je me fous de ma couleur et de la vôtre. L’esclavage ? Je l’ai étudié dans les livres comme vous, ça a été abject, abominable mais ce n’est pas ma vie. Il n’y a pas un seul souvenir de cette époque dans notre famille. C’est aussi lointain que Charlemagne. Et je vais gâcher mon existence à me définir sur ma pigmentation qui compte moins que votre gros nez ? » Jean-Marie voudrait entrer dans le post-racial. En élisant Obama, les Américains n’ont pas mis fin à la société de races – loin de là – mais ils ont exprimé le désir d’en ouvrir la voie.
Dans la foule, on distingue les tee-shirts bleus du service d’ordre marqués LKP Sécurité. Le LKP c’est un mouvement de libération nationale comme un autre, comme le FLN jadis en Algérie ou le Viet Minh d’Ho Chi Min. Rien de spécial, j’en ai rencontré mille dans ma vie. J’ai parlé des heures avec son chef, Elie Domota. C’est un nationaliste normal, il veut l’indépendance de son pays et puis c’est tout. Les 200 euros et les 200 autres revendications, c’est de l’habillage. Il est soutenu par tous les Guadeloupéens, comme tous les leaders nationalistes des pays colonisés sauf que je jurerais que l’indépendance, il n’en veut pas pour tout l’or du monde. Domota porte deux masques. Le premier c’est de se dire simple syndicaliste alors qu’il est un pur et simple leader indépendantiste. Le second masque c’est son indépendantisme. Il est plus français que vous et moi et il défendra bec et ongles sa véritable identité. Tous les Guadeloupéens, et Domota d’abord, tiennent à la France comme à la prunelle de leurs yeux mais ils voudraient bien devenir des Français à part entière, pas rester des Français entièrement à part, comme ils disent. Et pourquoi à part ? C’est bête comme chou, parce qu’ils sont noirs. La peau. Pas le nez, la peau. (Voilà près de six heures qu’ils négocient à l’étage. Nous, on leur envoie toujours nos coups de tambours).
Quel intérêt pour la France de s’incruster dans ses derniers lambeaux d’empire, « ces points imperceptibles dans le vaste océan » ? Pas le moindre. Si on y décelait un jour du pétrole croyez bien qu’ils nous videront dans le quart d’heure. Collons-leur l’indépendance de gré ou de force et qu’on n’en parle plus. La page des colonies est derrière nous, les dernières miettes ne nous occasionnent que des emmerdes. Bye bye la Guadeloupe, bon vent ! Oui, Elisabeth, on pourrait. Mais serait-ce bien futé ? Il y a quelque chose de grand, de très grand à faire ici et ce serait bien dommage de passer à côté.
La découverte de l’existence des races date de quelques siècles, d’hier. Souvenez-vous, nos grands parents exhibaient un Nègre en spectacle comme une incroyable curiosité. Les Africains pensaient que le Blanc débarquait d’une autre planète. Des gens si différents n’appartenaient sûrement pas à la même espèce. Etant ce que nous sommes, la pire des engeances, jouant de nos mousquetons, nous avons mis les Africains à l’amende dans trois siècles d’Auschwitz. Si les Africains avaient eu les armes, c’aurait été le contraire. Personne ne dira jamais ce que fut l’esclavage et la déportation en Amérique, c’est indicible. Dès lors, la peau noire fut associée au degré zéro de l’humanité. L’abolition a tout changé sauf la valeur de la peau. N’est-il pas venu le temps d’une deuxième abolition ? Les Antilles donnent à la France la chance, non de proclamer, mais d’œuvrer à une nouvelle déclaration des Droits de l’Homme. C’est en train de se faire en douceur. Pas mal de « métropolitaines » viennent ici pour trouver l’homme de leur vie, je les ai vus, ils sont très amoureux, merci, et leurs mouflets sont adorables. La nature a offert à la Guadeloupe le plus beau des cent départements français. Le post-racial, la prochaine étape le plus cruciale dans l’histoire de l’humanité, peut s’accomplir ici, pas encore aux Etats-Unis où il n’est encore qu’un espoir. Plus personne n’obéira au cri, à la politique du sang, ni les Blancs, ni les Arabes, ni les Juifs, ni les Noirs. Aux Antilles, la France peut se donner une mission qui la dépasse : réconcilier l’homme avec lui-même, pour le dire comme les cons. Mettre fin à la connerie humaine, pour le dire en vérité. Belle rupture, non Elisabeth ?
(Bon, on n’a pas que ça à faire, ils vont la finir cette négociation ? Ces tam-tams, j’en peux plus.)
Edwy Plenel ou le journalisme équitable
Le site Maximiles passe au vert : le site de programme de fidélité sur internet ouvre un nouveau rayon cadeaux où l’on peut échanger les points gagnés en achetant des petits objets inutiles sur les sites partenaires. On peut désormais échanger ses miles contre des « cadeaux respectueux de la nature et issus du commerce équitable ». Là, on découvre, comme un cheveu sur la soupe (nous n’avons pas dit un poil de moustache, et c’est à peine si nous l’avons pensé) : un abonnement à Mediapart, le site d’ »articles dits de référence » (sic) dirigé par Edwy Plenel, coincé au milieu d’un choix de carafes filtrantes, de dons à « Action carbone », un sac à dos grenouille, des noix de lavage, trois pots de confiture du Swaziland, etc. Mais après tout c’est vrai qu’Edwy consomme beaucoup moins d’arbres à Médiapart qu’au Monde…
Adieu ma banque
Pour des raisons familiales et personnelles, je suis très attaché à la Banque Populaire. Je fus même arrière-droit de son équipe corporative en Franche-Comté ; c’est dire si son destin me tient à cœur[1. Le foot est, chez moi, une chose sérieuse, à l’instar de la Politique et des plaisirs de la Table ]. Sa disparition dans un magma voulu par l’Etat dans une fusion avec la Caisse d’Epargne ne me laisse donc pas indifférent.
Qu’est donc, à l’origine, la Banque Populaire ? Une banque à vocation coopérative, très décentralisée. Créée par des artisans et des commerçants, elle a longtemps boudé la bourse puisque ses propriétaires en sont les clients qui le souhaitent (qu’on appelle les sociétaires). En 1981-82, les lois de nationalisation du gouvernement Mauroy ne concernèrent pas les Banques Populaires[2. On doit en effet les nommer au pluriel car ces banques régionales sont au départ indépendantes les unes des autres.]. Les banques mutualistes y échappèrent aussi : Mauroy était proche de Rocard et Delors et donc de la seconde gauche, davantage attachée au secteur coopératif et mutualiste qu’à la toute-puissance jacobine de l’Etat. On note au passage que l’actuel gouvernement fait exactement l’inverse en ne prenant pas de participations dans les banques capitalistes (au sens strict du terme) et souhaitant acquérir 20 % de ce qui devrait devenir le second groupe bancaire français.
Il faut dire que la Banque Populaire n’est plus guère fidèle à ses racines coopératives car elle a bien dû s’adapter au néolibéralisme mondialisé. Tout d’abord la proximité a commencé à s’éloigner (sic). La Banque Populaire de Franche-Comté, où j’avais fait virer mon premier salaire, est devenue Banque Populaire de Franche-Comté, du Mâconnais et de l’Ain. Jusque là, cela ne me gênait pas, le siège était encore chez nous. Chauvinisme, quand tu nous tiens ! Mais quand elle est devenue Banque Populaire de Bourgogne-Franche-Comté et que Dijon en devint ville-siège, j’ai vraiment commencé à faire la gueule[3. J’apprends ces derniers jours que Balladur propose d’en faire de même pour les régions administratives. Les temps sont durs…]. La proximité était devenue une fiction. La chasse aux coûts, aux économies d’échelle, passait avant toute préoccupation. Dans le même temps, la philosophie coopérative de la banque s’étiola encore davantage lorsqu’elle prit le contrôle de Natexis, banque d’affaire cotée en bourse et chargée d’en faire de plus belles qu’avec ses clients[4. des affaires !]. Natexis fusionna ensuite avec Ixis, son alter-ego de la Caisse d’Epargne pour donner naissance à Natixis, laquelle se distinguera plus tard comme la plus avide en produits pourris subprimisés. Quel gâchis ! Ainsi pour s’a-da-pter[5. Je décompose bien les syllabes du mot magique à l’instar des Diafoirus de la mondialisation néolibérale.] à la mondialisation, cette banque a renié son souci de proximité géographique et à son essence coopérative, lesquelles devaient coûter trop cher. Trop cher ? Jamais aussi cher que les pertes engendrées par les folles aventures des courtiers de Natixis ! Ainsi, au risque de passer pour un doux rêveur (au pire) ou un fieffé réactionnaire (au mieux), je continuerai d’affirmer la tête sur le billot que ma banque aurait mieux fait de ne pas chercher à s’a-dap-ter et qu’elle s’en porterait beaucoup mieux aujourd’hui.
Pour conclure sur le chapitre des mauvaises nouvelles, le JDD nous apprend que François Pérol[6. Pérol, ce n’était pas l’exécutant des basses oeuvres du méchant Gonzague dans Le Bossu ? ], actuel secrétaire général adjoint de l’Elysée, pourrait prendre la tête du nouveau groupe Ecureuil-Banque Populaire. Aujourd’hui, on lui conteste la légitimité de prendre la tête d’un groupe dont il a lui-même préparé la fusion, mais il y a encore plus grave : le journal Marianne nous avait instruit du rôle que ce dernier avait également joué dans le montage financier[7. En tant qu’associé-gérant de Rothschild et Cie, entreprise spécialiste du conseil en fusion-acquisition ] donnant naissance à Natixis. On devine aussi que Monsieur Economie de la galaxie Sarko ne devait pas être étranger au programme économique du candidat Sarkozy, lequel vantait le crédit hypothécaire et donc les subprimes[8. L’été dernier, la fiche programmatique en question figurait encore sur le site officiel de l’UMP.]. Décidément, le pompier pyromane, c’est à la mode.
L’alcoolisme est un humanisme
Shoichi Nakagawa est condamné à passer l’éternité dans un cercle de l’enfer que n’avait pas prévu Dante : celui des bêtisiers télévisés et autres zappings médiatiques. Chaque année, il y a de fortes chances pour que l’on revoie en boucle ce pauvre homme, complètement ivre, lors d’une conférence du G7 à Rome, en fin de semaine dernière. On y découvre en effet Shoichi Nakagawa, ministre des finances du Japon, répondre avec une extrême difficulté aux questions des journalistes. Il a l’élocution hésitante pour ne pas dire pâteuse, les paupières tombantes et menace à chaque instant de tomber dans le sommeil et de retrouver ce que Guy Debord appelait joliment dans Panégyrique « une paix magnifique et terrible, le vrai goût du passage du temps », apanage des seuls buveurs d’élite et autres princes de la cuite.
À peine rentré à Tokyo, Monsieur Shoichi Nakagawa a marmonné l’une de ces pitoyables et attendrissantes explications que tentent en désespoir de cause de donner tous les ivrognes pour faire diversion lorsqu’ils ont été pris sur le fait : on lui aurait prescrit des médicaments contre le rhume qui se seraient révélés beaucoup trop forts, et leurs effets auraient été encore accentués par le décalage horaire…
Evidemment, on peut difficilement imaginer pire comme excuse et Monsieur Shoichi Nakagawa a dû présenter sa démission. « Sacquez le buveur de saké ! », a clamé unanimement la presse nipponne. Il faut dire que le gouvernement auquel il appartient, celui du Premier ministre libéral Aso connaît une popularité qui ne dépasse plus la barre des 10% et le Japon une chute de son PIB de 12,7 % en rythme annualisé, ce qui représente la plus forte réduction depuis le premier choc pétrolier de 1974.
Et voilà que Monsieur Shoichi Nakagawa, grand argentier du Soleil Levant, au lieu de donner le visage serein du technocrate compétent, de l’animal à sang-froid, bafouille hébété devant le monde entier un taux d’intérêt directeur complètement fantaisiste pour la banque centrale du Japon alors que le gouverneur de cette même banque est assis à ses côtés, manifestement effondré.
Notre époque est décidément bien puritaine. La prohibition du tabac, n’en doutons pas, sera bientôt suivie par celle de l’alcool, achevant de désenchanter un monde en phase terminale. Ce n’est pas l’opprobre médiatique qui aurait dû tomber sur Monsieur Shoichi Nakagawa ni le cruel le pilori de You Tube auquel on l’a cloué : on aurait plutôt dû le remercier pour son honnêteté. Cet homme politique prouvait, par sa sortie alcolisée, qu’il est possible de tenir un langage de vérité avec son corps.
Que nous disait-il, en fait, que nous disait-il vraiment, Monsieur Shoichi Nakagawa, par ses borborygmes imprécis, son égarement complet – il demandera ainsi, les yeux clos, à un journaliste qui lui avait posé une question, où il se trouvait alors que celui-ci lui flanquait le micro sous le nez – et son élocution floue ? Eh bien, il nous disait tout simplement que tout était foutu, que l’économie spectaculaire marchande s’effondrait en beauté, que la crise allait tout balayer et qu’on aurait beau raconter toutes les salades que l’on voulait, sortir toutes les batteries de chiffres imaginables, faire se succéder les plans de relance, c’ était fini, râpé, mort.
Et que, quitte à avoir la gueule de bois, autant que ce soit en se faisant plaisir.
Il n’était pas simplement ivre, ce jour-là, Monsieur Shoichi Nakagawa, il était devenu prophète, oracle, pythie, prêtre du vieux Dionysos… Il avait l’ivresse sacrée, celle des Grecs anciens qui, lors des cérémonies rituelles pour le dieu deux fois né, buvaient le vin dans des cratères au fond desquels un œil était peint car le vrai buveur sait que ce qu’il trouve au fond du verre, c’est d’abord son propre regard, et donc la vérité sur lui-même.
Il est dommage, mais tellement compréhensible, que la politique postmoderne, celle qui donne l’impression que les hommes et les femmes politiques, quel que soit leur pays, sont interchangeables parce que fabriqués dans la même usine selon le même plan, avec les mêmes visages en plastique et le même débit ânonnant la même vulgate néo-libérale, ait chassé cette dimension révélatrice de l’alcool, autrefois véritable ordalie qui sacrait les grands destins.
Imagine-t-on ainsi, dans l’Iliade et l’Odyssée, les héros grecs et troyens prendre des décisions importantes sans procéder à des libations interminables ? Pire qu’une faute de goût, ce serait une faute politique. Quand Alcibiade arrive au Banquet, nous raconte Platon, et qu’il s’installe entre Agathon et Socrate, il est complètement saoul. Va-t-on le lui reprocher ? Va-t-on l’empêcher de mener sa si brillante carrière militaire et politique ? C’eût été bien dommage pour la grandeur d’Athènes.
Il faut bien comprendre que les hommes politiques se partagent en deux catégories très nettes et totalement irréconciliables, qui n’ont rien à voir avec la gauche et la droite, le libéralisme et le communisme, le fascisme et la démocratie : il y a les dipsomanes et les abstèmes. Les dipsomanes sont faits pour les temps extrêmes, l’alcool leur donne cette force et ce courage qui permettent de retourner l’Histoire. Ainsi, deux des principaux vainqueurs du nazisme, Churchill et Staline, que n’importe quel observateur du temps aurait donnés perdants, l’un lors de l’été 40 pendant le blitz et l’autre en juin 41 au moment de l’opération Barbarossa, ont tenu le choc en étant de leur propre aveu et de celui de leur entourage, constamment ivres pendant cette période. Et ce n’était pas pour fuir la réalité que Churchill se saoulait dans les souterrains du war cabinet pendant que le petit père des peuples vidait bouteille de vodka sur bouteille de vodka dans son bureau du Kremlin, mais au contraire pour l’affronter sans ces inhibitions qui paralysent et empêchent de prendre la décision qui semble un coup de folie et se révèle, en fait, un coup de génie. Ce que résumait parfaitement le psychiatre Simmel quand il indiquait que le surmoi était soluble dans l’alcool ou Guy Debord, encore lui, qui remarquait : « Certaines de mes raisons de boire sont d’ailleurs estimables. »
Le politique abstème, lui, a d’autres passions, et parfois bien vilaines. Des passions sèches de buveur d’eau. La vertu chez Robespierre, la pureté raciale chez Hitler, la mission civilisatrice de l’économie de marché chez Georges W.Bush. Tout cela conduit assez vite au massacre, on le voit bien. Bush, d’ailleurs, représente un cas particulier, celui de l’alcoolique repenti. Les repentis en font toujours trop : regardez les ex-terroristes italiens qui chargent leurs camarades, regardez l’ex-communiste Jacques Marseille devenu un khmer anti-étatique et enfin ce Bush junior, s’appuyant sur un Pentecôtisme où, comme par hasard, l’eau, ce liquide décidément si ambigu, joue un rôle essentiel dans le re-birth baptismal.
Non, vraiment, plaignons le sort fait à ce pauvre ministre nippon car il prouve que nous sommes bel et bien entrés dans ces temps anti-héroïques où l’on préfère les alcooliques anonymes aux ivrognes célèbres.
Siné « blanchi » grâce à la Licra
C’était prévu : le Tribunal de Lyon a intégralement donné raison à Siné, accusé d’antisémitisme et d’incitation à la haine raciale par la Licra. Et pas qu’un peu : dans un jugement de 70 pages, le tribunal défouraille tous azimuts : liberté d’expression, droit à la caricature, journal satirique, public éclairé, tout y passe. Bref, le message adressé à la Licra est clair : vous auriez pu vous abstenir de solliciter la Justice. À vrai, dire, c’était parfaitement clair à l’audience, sauf pour Me Jakubowicz, avocat et responsable de la Licra, dont on ne comprend toujours pas ce qu’il espérait d’un tel procès. Siné en sort habillé en victime, ce qui est un peu exagéré pour le bonhomme. Et tous ceux qui trouvent que les juifs leur pompent l’air avec l’antisémitisme, y compris quand il en passe sous leur nez (de l’antisémitisme, pas des juifs) auront trouvé de quoi nourrir leurs certitudes. Joli coup de la Licra. Avec de tels « amis », les juifs ont du souci à se faire. Les autres aussi.
Les Antilles vues de ma salle de bains
Malgré tout, j’aime vivre en Région parisienne. Bien sûr, la nature y est soumise et sans relief, ni belle ni sauvage. Je ne serai jamais ébloui dans ses modestes forêts comme aux sommets des volcans du Cantal. On n’y produit que du blé et des champignons fades. La pollution cache souvent les étoiles et on y a un peu trop de voisins. Mais l’atout majeur de ma région natale est qu’on n’y est pas accablé par le poids des imbéciles heureux qui sont nés quelque part.
Le charme des régions est indéniable, mais discutez avec les autochtones et vous verrez. Le discours est invariable. Ils sont nombreux à être fiers d’être sortis de ce trou paumé-ci plutôt que de coin perdu-là. Aux quatre coins de l’Hexagone (je sais), le provinciau, pour faire vivre la culture de son terroir, bombe le torse, danse en rond avec ses sabots sur de la musique qui couine avant d’aller vomir son chouchen, sa gueuze ou son riesling.
L’Alsacien, puisqu’on en parle, vous savez, celui qui a pris la sage habitude de se retrouver à la fin de chaque guerre dans le camp du vainqueur, vous affirmera que la saucisse de Strasbourg surclasse de loin celle de Morteau, de Montbéliard ou de Toulouse. Mais je vous laisse deviner la réponse si vous interrogez les habitants des autres saucisses…
Le problème s’aggrave quand certains poussent le chauvinisme régional jusqu’à demander à la République de se retirer et de les laisser croupir dans leur folklore et leur patois. Certes, le Breton en est revenu. Après une crise existentielle F.L.Boum, il semble surtout occupé aujourd’hui à combattre les ravages de l’alcoolisme et de l’eau au nitrate. Un peu comme le Ch’ti qui, lui, se débat entre alcoolisme, inceste et non reconnaissance aux Césars.
Mais de l’indépendantiste, quand y’en a plus, y’en a encore : le Basque, qui comme son demi-frère espingoin, feint de se croire encore sous Franco et pousse le désir d’autonomie jusqu’au gendarmicide. Ou le Corse, qui préfère le règlement de comptes mafieux mais ethniquement pur à l’état de droit continental et qui, en homme d’honneur sans doute, descend un préfet d’une balle dans le dos et prend le maquis.
Aussi, quand du fond de mon Bassin parisien surpeuplé et surpollué, j’observe le spectacle navrant des velléités micro-indépendantistes, je me sens définitivement jacobin. Si le sort des Chouans vous a émus, ne me laissez jamais devenir ministre de l’Intérieur car l’envie de ramener dans le giron républicain quelques ploucs récalcitrants à coups de trique me démange souvent. Je le confesse, dans ces moments d’énervement, j’endosserais volontiers l’uniforme blanc du feldmaréchal Trotsky pour faire goûter aux pécores séparatistes le knout de la centralisation.
Pourtant ce matin-là, quand un insurgé antillais (avec cet accent facilement imitable, il suffit d’essayer de parler français avec un boudin créole dans la bouche) est venu jusque dans ma salle de bains via ma radio parler de « situation coloniale » et dire : « Malheureusement, je suis français » et « la seule solution à nos problèmes c’est l’indépendance », j’ai été gagné par un sentiment étrange et nouveau pour moi : la tolérance.
Je lui ai répondu (oui, je réponds parfois à ma radio, et je me retiens souvent de lui mettre mon poing dans la gueule) : « Banco ! Vas-y Frankie, c’est bon l’indépendance! T’as qu’à demander aux Comoriens ! »
La tolérance, vous dis-je ! Et la curiosité aussi.
Combien de temps pour que le désir d’indépendance assouvi se change en demande de visas ?
Combien de temps pour que ces chers départements qui ressemblent, parait-il, à la Rhodésie d’hier se transforment en Zimbabwe d’aujourd’hui ?
Les Oscars ne sont pas murs
Même ceux qui n’ont pas de frontières ont des limites ! Ainsi la soirée des Oscar a finalement été une grande déception : nous n’avons pas eu droit aux remerciements de Laurent Cantet ni à la photo de sa joyeuse bande d’adolescents dont la-mère-de l’un-d’eux-est-sans-papier. On remarquera qu’une fois Entre les murs écarté l’Oscar du meilleur film étranger n’intéresse plus personne. Combien de ceux qui n’ont pas passé la nuit devant leur poste savent que c’est un film japonais, Departures, qui a raflé le petit bonhomme doré ? La plupart des rédactions, prises de court, ont fait appel à la dépêche de l’AP selon lequel le film de Yojiro Takita « raconte l’histoire d’un homme qui prépare les corps pour les enterrements ». En fait, il s’agit de les préparer à la crémation. Peu importe, ces gens-là sont tous pareils et leurs films aussi. Finalement, à défaut de triomphe hollywoodien pour Entre les murs, ce qui a gagné à Paris, c’est l’esprit intramuros.
Terrorisme à la Mexicaine
Le chef de la police de Ciudad Juarez (Mexique) vient de démissionner. Dans cette ville à la frontière des USA où, chaque année, meurent assassinées dans des conditions atroces des dizaines de femmes qui travaillent dans les usines automobiles délocalisées et où règne un des plus puissants cartels de la drogue du pays, Roberto Orduna, considéré comme un dur, aura occupé ses fonctions seulement quelques mois. Les narcos avaient en effet récemment menacé de tuer un officier de police tous les deux jours jusqu’à la démission de Monsieur Orduna. Après la découverte du corps d’un policier municipal puis d’un gardien de prison portant sur eux un message explicite, le chef de la police a déclaré : « Nous ne pouvons nous permettre que des hommes chargés de défendre nos concitoyens meurent ainsi. C’est pourquoi je présente ma démission définitive. »
En France, il semblerait que le terroriste Julien C. soit toujours en prison.
Saint Laurent, payons pour lui
Le Grand Palais, à Paris, a accueilli durant ces derniers jours ce que toute la presse a qualifié de « Vente du siècle » : la dispersion de l’extraordinaire collection d’œuvres d’art du couturier Yves Saint-Laurent, disparu le 1er juin 2008, et de son compagnon le businessman Pierre Bergé. La vente aux enchères, co-organisée par la maison Christie’s a suscité la ferveur des curieux (plus de 30.000 quidams se sont présentés à l’exposition gratuite des œuvres le week-end dernier…), et provoqué des sueurs froides chez les spécialistes du marché de l’art… les professionnels avaient estimé que le produit de la vente des 733 lots rapporterait entre 200 et 300 millions d’euros. L’estimation haute a été pulvérisée dès la seconde journée, et le produit total de la vente se monte à plus de 375 millions d’euros. Si l’impact de la crise économique s’est fait un peu sentir sur les acheteurs (Mais où sont donc passés les « nouveaux riches » Russes ou Ukrainiens qui achetaient des Picasso par lot de dix pour épater leurs amis chinois ?), le caractère exceptionnel de cette collection a mécaniquement produits des « records » sur lesquels les médias se sont longuement ébahis.
Mais ce que les médias n’ont pas vraiment perçu, c’est qu’en réalité le Grand Palais a accueilli, ces derniers jours, un phénomène religieux, accompagné de tous les totems et fétiches afférents. Un phénomène religieux à la gloire du marché de l’art, évidemment, mais aussi à celle de Pierre Bergé, mitterrandiste old school, homme d’affaires un brin opportuniste, mécène tonitruant et figure désintéressée du « Bien ».
Une religion nécessite un lieu de culte. Ce lieu est tout trouvé : le colossal Grand Palais, que le Journal du Dimanche est bien avisé de comparer à une cathédrale. L’édifice, érigé pour l’Exposition Universelle de 1900, a tous les aspects du temple. Le quotidien gratuit 20 Minutes ne s’y trompe pas, et titre l’un de ses articles : « Dans la nef d’une cathédrale élevée au culte du bon goût. » « Monument consacré par la République à la gloire de l’art français », peut-on lire au fronton de l’édifice. Les 6000 tonnes d’acier et de verre de la grande verrière, constituant l’exceptionnel « toit » de ce palais, et recouvrant ses nefs ainsi que son « vaisseau », laissent passer une lumière étrange. On cherche les vitraux. Il n’y en a pas. Mais la verrière rend la lumière si intelligente, et tellement signifiante. On joue ici la comédie de l’art. On le célèbre. On le prie. On n’y échappe pas.
Une religion a également besoin de processions. Ce n’est pas obligatoire. Mais c’est un élément décoratif intéressant. 30.000 visiteurs anonymes, et curieux, ont visité avec ferveur l’exposition gratuite des œuvres de la collection dans le Grand Palais. L’important était évidemment d’épater le public. Le mot n’est pas de moi, mais de Béatrice de Rochebouet, qui indique dans Le Figaro que si cette vente a « épaté » le public, elle a pourtant laissé plus sceptique certains caïmans cyniques du monde de l’art. On lisait au début de la semaine dans le quotidien de l’avionneur : « Il y a ceux qui estiment que ce battage médiatique ‘provoquant une overdose’ est disproportionné. ‘Cette mise en scène qui a des allures de cathédrale a été faite pour le seul plaisir de Pierre Bergé qui clame sur toutes les radios qu’il a toujours voulu assister aux obsèques de sa collection et tout contrôler de son vivant’, commente une collectionneuse connue pour ne s’être jamais laissé éblouir par les paillettes. Samedi soir, dans un grand dîner parisien donné par trois figures de la mode et du marché, en l’honneur des collectionneurs étrangers, les piques fusaient de table en table. L’expert en Art déco, Jean-Marcel Camard, soulignait que ‘les pièces n’étaient pas toutes extraordinaires une fois sorties de leur contexte et pour certaines pas dans le meilleur état’. » Mais malgré ces quelques réserves et doutes de spécialistes élitistes, la procession populaire a pu vivre sa vie. 30.000 personnes en rang. Sages comme des images. Des images allant admirer des tableaux. Vous-vous rendez compte ? Hein ? 30.000 personnes, le long du Grand Palais… presque pas de Guadeloupéens et pas un pavé jeté sur les gendarmes mobiles.
Une religion se construit évidemment autour d’un culte. Ici, au-delà du génie immortel du couturier Yves Saint-Laurent, nous assistons au culte du couple composé de l’artiste et du businessman, de la carpe et du lapin, de Saint-Laurent et de Pierre Bergé. Pour les besoins du culte, l’appartement parisien du tandem sulfureux – situé rue de Babylone – a été reconstitué avec minutie afin de montrer aux badauds et même aux acheteurs potentiels quel « dialogue » fascinant les œuvres d’art avaient entre elles, entre les mille murs de ce petit palais impérial de poche du 7e arrondissement. Culte. Vraiment culte. Voici l’intérieur de gays garantis sur facture. Ecce homo, comme dirait l’autre ! Venez, entrez ! C’est gratuit. Sauf pour acheter !
Le culte repose aussi sur le caractère « amoureux » de cette collection. C’est bien l’amour entre Saint-Laurent et Bergé qui a animé ces achats décisifs, et parfois même compulsifs. Le Journal du Dimanche nous gratifie de cette saillie : « Saint Laurent était un passionné, au point que Bergé dut lui rappeler un jour qu’on ne va pas chez Kugel (leur antiquaire) comme à Prisunic ! ». C’est pas sérieux Yves ! Retourne à tes étoffes ! De plus, le fruit de cette vente ira à une fondation destinée à promouvoir l’œuvre d’Yves Saint-Laurent, mais également à la recherche scientifique contre le sida. Quelle action humanitaire, quel tropisme progressiste, quelle velléité du « Bien » pourrait se priver de participer à la croisade contre le fameux syndrome d’immunodéficience assassin ?
Mais ce n’est pas tout. Encore faut-il un prêtre pour faire le show. A l’avant-scène, on a vu très brillant François de Ricqlès, 51 balais, héritier des pastilles du même nom, commissaire priseur star chez Christie’s depuis quelques années. Mais à l’arrière-plan c’est Pierre Bergé lui-même qui était à la manœuvre. Caché. Invisible. Mais distillant son sermon à qui voulait l’entendre. Il n’était pas là pour l’argent, mais pour liquider son histoire d’amour. Enfin, la disperser… ou quelque chose dans le genre. Comme éparpiller ou disséminer. Il croit disperser des cendres en dispersant une collection. Il s’égare. Mais il n’est avare d’aucune gesticulation pour nous assurer de son désintéressement. D’ailleurs il donne un Goya au musée du Louvre, c’est dire si le fric ne compte pas ! Qui, parmi vous, a déjà donné un Goya ? Hein ? Bande de salauds ! Notre wonder-mécène ne dilapide absolument pas le patrimoine qu’il a constitué avec son compagnon Saint-Laurent… Non, voyons ! Il ne renie pas là des décennies de passion… Il ne fait que « valoriser » à l’international, et en temps de crise, un investissement sûr. Ah fétides séquelles de l’esprit mitterrandien ! La vérité, moins noble, est que Même si certaines œuvres ont été données à des musées français et certaines autres préemptées par des établissements hexagonaux, la collection Yves Saint-Laurent a été en grande partie dispersée à l’étranger. Je sais bien que cela devrait enchanter mon « cosmopolitisme », mais quelque chose me dit quand même que j’aurais encore moins de chance de croiser ces chefs d’œuvres impérissables à plusieurs milliers de kilomètres de Paris, et parfois dans des collections privées, que rue de Babylone…
Finalement, cette vente aux enchères « du siècle » n’est qu’une… vente aux enchères. Point barre. Rien de plus. Et certainement pas un quelconque « acte de deuil » larmoyant de Pierre Bergé. D’ailleurs… est-il utile de rappeler que Pierre Bergé est un entrepreneur de ventes aux enchères ? Ah, on ne vous l’avait pas dit ? C’est bête ça… Mais la vente « du siècle » organisée par Christie’s (propriété de François Pinault) a été en réalité co-animée par la société de ventes aux enchères du compagnon de YSL, Pierre Bergé & associés. Etablissement sis rue Drouot et fondé par l’homme d’affaires au début des années 2000, suite à son échec dans le rachat de l’institution Drouot. Moi, ce que j’en dis.
Tam-tams dans les Dom-Tom
Quand Elisabeth Lévy ne sait pas, elle ne fait pas semblant de savoir. « Moi, les Antilles, je n’y connais rien », avoue-t-elle dans Causeur et je la lis à Pointe-à-Pitre, à la porte de la capitainerie du port où se tiennent les négociations entre le LKP (syndicats), les patrons et le préfet. J’attends, avec les autres reporters, les caméras et les radios qu’on nous annonce si c’est fumée blanche ou chou blanc, fin de la grève ou grand chambardement. Je serai peut- être obligé de m’interrompre en milieu de phrase, vous m’en excuserez Elisabeth. Puisqu’on a un peu de temps, je vais vous raconter deux ou trois choses que je sais d’ici.
La capitainerie donne sur une place noire de peuple, noire de Noirs. Ils sont là pour réconforter leurs délégués en musique. Tam-tams, chants, danses, battements de main ne cessent pas une seconde. Dans la salle de délibérations, les pourparleurs reçoivent le vacarme autant que moi. Le militantisme en liesse vous ravit les premières heures, au bout de quinze jours, vous brûlez d’envie de crever tous les tambours. J’imagine le préfet les nerfs en boule. Est-ce un supplice pour obliger les patrons à signer ? Faut voir.
Dans un mauvais jeu de mots, je vous ai décrit une place noire de Noirs, mais est-ce qu’ils sont vraiment noirs ? Tenez cette splendeur de fille, devant moi, à Nice on dirait qu’elle est bronzée. Mulâtresse, métis, quarteronne, il ne lui reste plus grand chose de la peau d’un de ces ancêtres africains. Ici, on la classe, elle s’identifie noire, négresse en somme. D’un Blanc doté d’une goutte de sang noir on dira qu’il est noir. D’un Noir aux ascendants 90 % blancs, on dira aussi qu’il est noir. Je vais vous dire pourquoi cet étrange partage, Elisabeth : les enfants d’une esclave engrossée par un maître blanc, sauf rarissimes exceptions, n’étaient pas affranchis pour aller grossir le nombre des asservis et maintenir la pureté de la race blanche. Aujourd’hui encore, nous conservons précieusement cette règle arrêtée par les marchands de chair humaine. On est comme eux ou quoi ? Il nous reste quelque chose d’eux ? Franchement ? Je le crois.
Je parlais tout à l’heure, sur la place, dans le boucan des bamboulas, avec Jean-Marie, un jeune instituteur. Un de ses grands pères, toujours vivant, est un fonctionnaire corse, ses parents sont métis, lui est assez foncé. Il en a plein les bottes de la race, des races, des racistes et des anti-racistes, Jean-Marie. « Je ne vais pas passer ma vie à m’interroger sur la couleur de ma peau, s’exaspérait-il. Je me fous de ma couleur et de la vôtre. L’esclavage ? Je l’ai étudié dans les livres comme vous, ça a été abject, abominable mais ce n’est pas ma vie. Il n’y a pas un seul souvenir de cette époque dans notre famille. C’est aussi lointain que Charlemagne. Et je vais gâcher mon existence à me définir sur ma pigmentation qui compte moins que votre gros nez ? » Jean-Marie voudrait entrer dans le post-racial. En élisant Obama, les Américains n’ont pas mis fin à la société de races – loin de là – mais ils ont exprimé le désir d’en ouvrir la voie.
Dans la foule, on distingue les tee-shirts bleus du service d’ordre marqués LKP Sécurité. Le LKP c’est un mouvement de libération nationale comme un autre, comme le FLN jadis en Algérie ou le Viet Minh d’Ho Chi Min. Rien de spécial, j’en ai rencontré mille dans ma vie. J’ai parlé des heures avec son chef, Elie Domota. C’est un nationaliste normal, il veut l’indépendance de son pays et puis c’est tout. Les 200 euros et les 200 autres revendications, c’est de l’habillage. Il est soutenu par tous les Guadeloupéens, comme tous les leaders nationalistes des pays colonisés sauf que je jurerais que l’indépendance, il n’en veut pas pour tout l’or du monde. Domota porte deux masques. Le premier c’est de se dire simple syndicaliste alors qu’il est un pur et simple leader indépendantiste. Le second masque c’est son indépendantisme. Il est plus français que vous et moi et il défendra bec et ongles sa véritable identité. Tous les Guadeloupéens, et Domota d’abord, tiennent à la France comme à la prunelle de leurs yeux mais ils voudraient bien devenir des Français à part entière, pas rester des Français entièrement à part, comme ils disent. Et pourquoi à part ? C’est bête comme chou, parce qu’ils sont noirs. La peau. Pas le nez, la peau. (Voilà près de six heures qu’ils négocient à l’étage. Nous, on leur envoie toujours nos coups de tambours).
Quel intérêt pour la France de s’incruster dans ses derniers lambeaux d’empire, « ces points imperceptibles dans le vaste océan » ? Pas le moindre. Si on y décelait un jour du pétrole croyez bien qu’ils nous videront dans le quart d’heure. Collons-leur l’indépendance de gré ou de force et qu’on n’en parle plus. La page des colonies est derrière nous, les dernières miettes ne nous occasionnent que des emmerdes. Bye bye la Guadeloupe, bon vent ! Oui, Elisabeth, on pourrait. Mais serait-ce bien futé ? Il y a quelque chose de grand, de très grand à faire ici et ce serait bien dommage de passer à côté.
La découverte de l’existence des races date de quelques siècles, d’hier. Souvenez-vous, nos grands parents exhibaient un Nègre en spectacle comme une incroyable curiosité. Les Africains pensaient que le Blanc débarquait d’une autre planète. Des gens si différents n’appartenaient sûrement pas à la même espèce. Etant ce que nous sommes, la pire des engeances, jouant de nos mousquetons, nous avons mis les Africains à l’amende dans trois siècles d’Auschwitz. Si les Africains avaient eu les armes, c’aurait été le contraire. Personne ne dira jamais ce que fut l’esclavage et la déportation en Amérique, c’est indicible. Dès lors, la peau noire fut associée au degré zéro de l’humanité. L’abolition a tout changé sauf la valeur de la peau. N’est-il pas venu le temps d’une deuxième abolition ? Les Antilles donnent à la France la chance, non de proclamer, mais d’œuvrer à une nouvelle déclaration des Droits de l’Homme. C’est en train de se faire en douceur. Pas mal de « métropolitaines » viennent ici pour trouver l’homme de leur vie, je les ai vus, ils sont très amoureux, merci, et leurs mouflets sont adorables. La nature a offert à la Guadeloupe le plus beau des cent départements français. Le post-racial, la prochaine étape le plus cruciale dans l’histoire de l’humanité, peut s’accomplir ici, pas encore aux Etats-Unis où il n’est encore qu’un espoir. Plus personne n’obéira au cri, à la politique du sang, ni les Blancs, ni les Arabes, ni les Juifs, ni les Noirs. Aux Antilles, la France peut se donner une mission qui la dépasse : réconcilier l’homme avec lui-même, pour le dire comme les cons. Mettre fin à la connerie humaine, pour le dire en vérité. Belle rupture, non Elisabeth ?
(Bon, on n’a pas que ça à faire, ils vont la finir cette négociation ? Ces tam-tams, j’en peux plus.)
Edwy Plenel ou le journalisme équitable
Le site Maximiles passe au vert : le site de programme de fidélité sur internet ouvre un nouveau rayon cadeaux où l’on peut échanger les points gagnés en achetant des petits objets inutiles sur les sites partenaires. On peut désormais échanger ses miles contre des « cadeaux respectueux de la nature et issus du commerce équitable ». Là, on découvre, comme un cheveu sur la soupe (nous n’avons pas dit un poil de moustache, et c’est à peine si nous l’avons pensé) : un abonnement à Mediapart, le site d’ »articles dits de référence » (sic) dirigé par Edwy Plenel, coincé au milieu d’un choix de carafes filtrantes, de dons à « Action carbone », un sac à dos grenouille, des noix de lavage, trois pots de confiture du Swaziland, etc. Mais après tout c’est vrai qu’Edwy consomme beaucoup moins d’arbres à Médiapart qu’au Monde…
Adieu ma banque
Pour des raisons familiales et personnelles, je suis très attaché à la Banque Populaire. Je fus même arrière-droit de son équipe corporative en Franche-Comté ; c’est dire si son destin me tient à cœur[1. Le foot est, chez moi, une chose sérieuse, à l’instar de la Politique et des plaisirs de la Table ]. Sa disparition dans un magma voulu par l’Etat dans une fusion avec la Caisse d’Epargne ne me laisse donc pas indifférent.
Qu’est donc, à l’origine, la Banque Populaire ? Une banque à vocation coopérative, très décentralisée. Créée par des artisans et des commerçants, elle a longtemps boudé la bourse puisque ses propriétaires en sont les clients qui le souhaitent (qu’on appelle les sociétaires). En 1981-82, les lois de nationalisation du gouvernement Mauroy ne concernèrent pas les Banques Populaires[2. On doit en effet les nommer au pluriel car ces banques régionales sont au départ indépendantes les unes des autres.]. Les banques mutualistes y échappèrent aussi : Mauroy était proche de Rocard et Delors et donc de la seconde gauche, davantage attachée au secteur coopératif et mutualiste qu’à la toute-puissance jacobine de l’Etat. On note au passage que l’actuel gouvernement fait exactement l’inverse en ne prenant pas de participations dans les banques capitalistes (au sens strict du terme) et souhaitant acquérir 20 % de ce qui devrait devenir le second groupe bancaire français.
Il faut dire que la Banque Populaire n’est plus guère fidèle à ses racines coopératives car elle a bien dû s’adapter au néolibéralisme mondialisé. Tout d’abord la proximité a commencé à s’éloigner (sic). La Banque Populaire de Franche-Comté, où j’avais fait virer mon premier salaire, est devenue Banque Populaire de Franche-Comté, du Mâconnais et de l’Ain. Jusque là, cela ne me gênait pas, le siège était encore chez nous. Chauvinisme, quand tu nous tiens ! Mais quand elle est devenue Banque Populaire de Bourgogne-Franche-Comté et que Dijon en devint ville-siège, j’ai vraiment commencé à faire la gueule[3. J’apprends ces derniers jours que Balladur propose d’en faire de même pour les régions administratives. Les temps sont durs…]. La proximité était devenue une fiction. La chasse aux coûts, aux économies d’échelle, passait avant toute préoccupation. Dans le même temps, la philosophie coopérative de la banque s’étiola encore davantage lorsqu’elle prit le contrôle de Natexis, banque d’affaire cotée en bourse et chargée d’en faire de plus belles qu’avec ses clients[4. des affaires !]. Natexis fusionna ensuite avec Ixis, son alter-ego de la Caisse d’Epargne pour donner naissance à Natixis, laquelle se distinguera plus tard comme la plus avide en produits pourris subprimisés. Quel gâchis ! Ainsi pour s’a-da-pter[5. Je décompose bien les syllabes du mot magique à l’instar des Diafoirus de la mondialisation néolibérale.] à la mondialisation, cette banque a renié son souci de proximité géographique et à son essence coopérative, lesquelles devaient coûter trop cher. Trop cher ? Jamais aussi cher que les pertes engendrées par les folles aventures des courtiers de Natixis ! Ainsi, au risque de passer pour un doux rêveur (au pire) ou un fieffé réactionnaire (au mieux), je continuerai d’affirmer la tête sur le billot que ma banque aurait mieux fait de ne pas chercher à s’a-dap-ter et qu’elle s’en porterait beaucoup mieux aujourd’hui.
Pour conclure sur le chapitre des mauvaises nouvelles, le JDD nous apprend que François Pérol[6. Pérol, ce n’était pas l’exécutant des basses oeuvres du méchant Gonzague dans Le Bossu ? ], actuel secrétaire général adjoint de l’Elysée, pourrait prendre la tête du nouveau groupe Ecureuil-Banque Populaire. Aujourd’hui, on lui conteste la légitimité de prendre la tête d’un groupe dont il a lui-même préparé la fusion, mais il y a encore plus grave : le journal Marianne nous avait instruit du rôle que ce dernier avait également joué dans le montage financier[7. En tant qu’associé-gérant de Rothschild et Cie, entreprise spécialiste du conseil en fusion-acquisition ] donnant naissance à Natixis. On devine aussi que Monsieur Economie de la galaxie Sarko ne devait pas être étranger au programme économique du candidat Sarkozy, lequel vantait le crédit hypothécaire et donc les subprimes[8. L’été dernier, la fiche programmatique en question figurait encore sur le site officiel de l’UMP.]. Décidément, le pompier pyromane, c’est à la mode.
L’alcoolisme est un humanisme
Shoichi Nakagawa est condamné à passer l’éternité dans un cercle de l’enfer que n’avait pas prévu Dante : celui des bêtisiers télévisés et autres zappings médiatiques. Chaque année, il y a de fortes chances pour que l’on revoie en boucle ce pauvre homme, complètement ivre, lors d’une conférence du G7 à Rome, en fin de semaine dernière. On y découvre en effet Shoichi Nakagawa, ministre des finances du Japon, répondre avec une extrême difficulté aux questions des journalistes. Il a l’élocution hésitante pour ne pas dire pâteuse, les paupières tombantes et menace à chaque instant de tomber dans le sommeil et de retrouver ce que Guy Debord appelait joliment dans Panégyrique « une paix magnifique et terrible, le vrai goût du passage du temps », apanage des seuls buveurs d’élite et autres princes de la cuite.
À peine rentré à Tokyo, Monsieur Shoichi Nakagawa a marmonné l’une de ces pitoyables et attendrissantes explications que tentent en désespoir de cause de donner tous les ivrognes pour faire diversion lorsqu’ils ont été pris sur le fait : on lui aurait prescrit des médicaments contre le rhume qui se seraient révélés beaucoup trop forts, et leurs effets auraient été encore accentués par le décalage horaire…
Evidemment, on peut difficilement imaginer pire comme excuse et Monsieur Shoichi Nakagawa a dû présenter sa démission. « Sacquez le buveur de saké ! », a clamé unanimement la presse nipponne. Il faut dire que le gouvernement auquel il appartient, celui du Premier ministre libéral Aso connaît une popularité qui ne dépasse plus la barre des 10% et le Japon une chute de son PIB de 12,7 % en rythme annualisé, ce qui représente la plus forte réduction depuis le premier choc pétrolier de 1974.
Et voilà que Monsieur Shoichi Nakagawa, grand argentier du Soleil Levant, au lieu de donner le visage serein du technocrate compétent, de l’animal à sang-froid, bafouille hébété devant le monde entier un taux d’intérêt directeur complètement fantaisiste pour la banque centrale du Japon alors que le gouverneur de cette même banque est assis à ses côtés, manifestement effondré.
Notre époque est décidément bien puritaine. La prohibition du tabac, n’en doutons pas, sera bientôt suivie par celle de l’alcool, achevant de désenchanter un monde en phase terminale. Ce n’est pas l’opprobre médiatique qui aurait dû tomber sur Monsieur Shoichi Nakagawa ni le cruel le pilori de You Tube auquel on l’a cloué : on aurait plutôt dû le remercier pour son honnêteté. Cet homme politique prouvait, par sa sortie alcolisée, qu’il est possible de tenir un langage de vérité avec son corps.
Que nous disait-il, en fait, que nous disait-il vraiment, Monsieur Shoichi Nakagawa, par ses borborygmes imprécis, son égarement complet – il demandera ainsi, les yeux clos, à un journaliste qui lui avait posé une question, où il se trouvait alors que celui-ci lui flanquait le micro sous le nez – et son élocution floue ? Eh bien, il nous disait tout simplement que tout était foutu, que l’économie spectaculaire marchande s’effondrait en beauté, que la crise allait tout balayer et qu’on aurait beau raconter toutes les salades que l’on voulait, sortir toutes les batteries de chiffres imaginables, faire se succéder les plans de relance, c’ était fini, râpé, mort.
Et que, quitte à avoir la gueule de bois, autant que ce soit en se faisant plaisir.
Il n’était pas simplement ivre, ce jour-là, Monsieur Shoichi Nakagawa, il était devenu prophète, oracle, pythie, prêtre du vieux Dionysos… Il avait l’ivresse sacrée, celle des Grecs anciens qui, lors des cérémonies rituelles pour le dieu deux fois né, buvaient le vin dans des cratères au fond desquels un œil était peint car le vrai buveur sait que ce qu’il trouve au fond du verre, c’est d’abord son propre regard, et donc la vérité sur lui-même.
Il est dommage, mais tellement compréhensible, que la politique postmoderne, celle qui donne l’impression que les hommes et les femmes politiques, quel que soit leur pays, sont interchangeables parce que fabriqués dans la même usine selon le même plan, avec les mêmes visages en plastique et le même débit ânonnant la même vulgate néo-libérale, ait chassé cette dimension révélatrice de l’alcool, autrefois véritable ordalie qui sacrait les grands destins.
Imagine-t-on ainsi, dans l’Iliade et l’Odyssée, les héros grecs et troyens prendre des décisions importantes sans procéder à des libations interminables ? Pire qu’une faute de goût, ce serait une faute politique. Quand Alcibiade arrive au Banquet, nous raconte Platon, et qu’il s’installe entre Agathon et Socrate, il est complètement saoul. Va-t-on le lui reprocher ? Va-t-on l’empêcher de mener sa si brillante carrière militaire et politique ? C’eût été bien dommage pour la grandeur d’Athènes.
Il faut bien comprendre que les hommes politiques se partagent en deux catégories très nettes et totalement irréconciliables, qui n’ont rien à voir avec la gauche et la droite, le libéralisme et le communisme, le fascisme et la démocratie : il y a les dipsomanes et les abstèmes. Les dipsomanes sont faits pour les temps extrêmes, l’alcool leur donne cette force et ce courage qui permettent de retourner l’Histoire. Ainsi, deux des principaux vainqueurs du nazisme, Churchill et Staline, que n’importe quel observateur du temps aurait donnés perdants, l’un lors de l’été 40 pendant le blitz et l’autre en juin 41 au moment de l’opération Barbarossa, ont tenu le choc en étant de leur propre aveu et de celui de leur entourage, constamment ivres pendant cette période. Et ce n’était pas pour fuir la réalité que Churchill se saoulait dans les souterrains du war cabinet pendant que le petit père des peuples vidait bouteille de vodka sur bouteille de vodka dans son bureau du Kremlin, mais au contraire pour l’affronter sans ces inhibitions qui paralysent et empêchent de prendre la décision qui semble un coup de folie et se révèle, en fait, un coup de génie. Ce que résumait parfaitement le psychiatre Simmel quand il indiquait que le surmoi était soluble dans l’alcool ou Guy Debord, encore lui, qui remarquait : « Certaines de mes raisons de boire sont d’ailleurs estimables. »
Le politique abstème, lui, a d’autres passions, et parfois bien vilaines. Des passions sèches de buveur d’eau. La vertu chez Robespierre, la pureté raciale chez Hitler, la mission civilisatrice de l’économie de marché chez Georges W.Bush. Tout cela conduit assez vite au massacre, on le voit bien. Bush, d’ailleurs, représente un cas particulier, celui de l’alcoolique repenti. Les repentis en font toujours trop : regardez les ex-terroristes italiens qui chargent leurs camarades, regardez l’ex-communiste Jacques Marseille devenu un khmer anti-étatique et enfin ce Bush junior, s’appuyant sur un Pentecôtisme où, comme par hasard, l’eau, ce liquide décidément si ambigu, joue un rôle essentiel dans le re-birth baptismal.
Non, vraiment, plaignons le sort fait à ce pauvre ministre nippon car il prouve que nous sommes bel et bien entrés dans ces temps anti-héroïques où l’on préfère les alcooliques anonymes aux ivrognes célèbres.
Siné « blanchi » grâce à la Licra
C’était prévu : le Tribunal de Lyon a intégralement donné raison à Siné, accusé d’antisémitisme et d’incitation à la haine raciale par la Licra. Et pas qu’un peu : dans un jugement de 70 pages, le tribunal défouraille tous azimuts : liberté d’expression, droit à la caricature, journal satirique, public éclairé, tout y passe. Bref, le message adressé à la Licra est clair : vous auriez pu vous abstenir de solliciter la Justice. À vrai, dire, c’était parfaitement clair à l’audience, sauf pour Me Jakubowicz, avocat et responsable de la Licra, dont on ne comprend toujours pas ce qu’il espérait d’un tel procès. Siné en sort habillé en victime, ce qui est un peu exagéré pour le bonhomme. Et tous ceux qui trouvent que les juifs leur pompent l’air avec l’antisémitisme, y compris quand il en passe sous leur nez (de l’antisémitisme, pas des juifs) auront trouvé de quoi nourrir leurs certitudes. Joli coup de la Licra. Avec de tels « amis », les juifs ont du souci à se faire. Les autres aussi.
Les Antilles vues de ma salle de bains
Malgré tout, j’aime vivre en Région parisienne. Bien sûr, la nature y est soumise et sans relief, ni belle ni sauvage. Je ne serai jamais ébloui dans ses modestes forêts comme aux sommets des volcans du Cantal. On n’y produit que du blé et des champignons fades. La pollution cache souvent les étoiles et on y a un peu trop de voisins. Mais l’atout majeur de ma région natale est qu’on n’y est pas accablé par le poids des imbéciles heureux qui sont nés quelque part.
Le charme des régions est indéniable, mais discutez avec les autochtones et vous verrez. Le discours est invariable. Ils sont nombreux à être fiers d’être sortis de ce trou paumé-ci plutôt que de coin perdu-là. Aux quatre coins de l’Hexagone (je sais), le provinciau, pour faire vivre la culture de son terroir, bombe le torse, danse en rond avec ses sabots sur de la musique qui couine avant d’aller vomir son chouchen, sa gueuze ou son riesling.
L’Alsacien, puisqu’on en parle, vous savez, celui qui a pris la sage habitude de se retrouver à la fin de chaque guerre dans le camp du vainqueur, vous affirmera que la saucisse de Strasbourg surclasse de loin celle de Morteau, de Montbéliard ou de Toulouse. Mais je vous laisse deviner la réponse si vous interrogez les habitants des autres saucisses…
Le problème s’aggrave quand certains poussent le chauvinisme régional jusqu’à demander à la République de se retirer et de les laisser croupir dans leur folklore et leur patois. Certes, le Breton en est revenu. Après une crise existentielle F.L.Boum, il semble surtout occupé aujourd’hui à combattre les ravages de l’alcoolisme et de l’eau au nitrate. Un peu comme le Ch’ti qui, lui, se débat entre alcoolisme, inceste et non reconnaissance aux Césars.
Mais de l’indépendantiste, quand y’en a plus, y’en a encore : le Basque, qui comme son demi-frère espingoin, feint de se croire encore sous Franco et pousse le désir d’autonomie jusqu’au gendarmicide. Ou le Corse, qui préfère le règlement de comptes mafieux mais ethniquement pur à l’état de droit continental et qui, en homme d’honneur sans doute, descend un préfet d’une balle dans le dos et prend le maquis.
Aussi, quand du fond de mon Bassin parisien surpeuplé et surpollué, j’observe le spectacle navrant des velléités micro-indépendantistes, je me sens définitivement jacobin. Si le sort des Chouans vous a émus, ne me laissez jamais devenir ministre de l’Intérieur car l’envie de ramener dans le giron républicain quelques ploucs récalcitrants à coups de trique me démange souvent. Je le confesse, dans ces moments d’énervement, j’endosserais volontiers l’uniforme blanc du feldmaréchal Trotsky pour faire goûter aux pécores séparatistes le knout de la centralisation.
Pourtant ce matin-là, quand un insurgé antillais (avec cet accent facilement imitable, il suffit d’essayer de parler français avec un boudin créole dans la bouche) est venu jusque dans ma salle de bains via ma radio parler de « situation coloniale » et dire : « Malheureusement, je suis français » et « la seule solution à nos problèmes c’est l’indépendance », j’ai été gagné par un sentiment étrange et nouveau pour moi : la tolérance.
Je lui ai répondu (oui, je réponds parfois à ma radio, et je me retiens souvent de lui mettre mon poing dans la gueule) : « Banco ! Vas-y Frankie, c’est bon l’indépendance! T’as qu’à demander aux Comoriens ! »
La tolérance, vous dis-je ! Et la curiosité aussi.
Combien de temps pour que le désir d’indépendance assouvi se change en demande de visas ?
Combien de temps pour que ces chers départements qui ressemblent, parait-il, à la Rhodésie d’hier se transforment en Zimbabwe d’aujourd’hui ?
Les Oscars ne sont pas murs
Même ceux qui n’ont pas de frontières ont des limites ! Ainsi la soirée des Oscar a finalement été une grande déception : nous n’avons pas eu droit aux remerciements de Laurent Cantet ni à la photo de sa joyeuse bande d’adolescents dont la-mère-de l’un-d’eux-est-sans-papier. On remarquera qu’une fois Entre les murs écarté l’Oscar du meilleur film étranger n’intéresse plus personne. Combien de ceux qui n’ont pas passé la nuit devant leur poste savent que c’est un film japonais, Departures, qui a raflé le petit bonhomme doré ? La plupart des rédactions, prises de court, ont fait appel à la dépêche de l’AP selon lequel le film de Yojiro Takita « raconte l’histoire d’un homme qui prépare les corps pour les enterrements ». En fait, il s’agit de les préparer à la crémation. Peu importe, ces gens-là sont tous pareils et leurs films aussi. Finalement, à défaut de triomphe hollywoodien pour Entre les murs, ce qui a gagné à Paris, c’est l’esprit intramuros.

