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Sortir de la crise. Maybe he can

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Premiers à avoir sombré dans la crise économique et à y précipiter le reste du monde, les Etats-Unis d’Obama sont aussi pionniers pour s’y coltiner. À part le nom, le plan de relance signé par le président américain le 17 février n’a pas grand-chose de commun avec ses équivalents européens ni avec les précédents plans américains. La nouvelle Administration prend à bras-le-corps l’ensemble des dimensions de la crise. Elle a la volonté, la crédibilité et elle met le paquet.

Des plans de relance, nous en voyons par wagons depuis septembre dernier. Avec des résultats pour le moins décevants. On me dira que c’est un peu tôt pour se prononcer. Le problème, c’est que même ceux qui ont concocté ces plans semblent sceptiques quant à l’efficacité de leurs mesurettes puisqu’ils ne cessent d’en annoncer de nouvelles.

Pour juger de l’efficacité d’un plan de relance, il faut se poser six questions : Prend-il en compte l’ensemble des difficultés ? S’attaque-t-il à tous les secteurs d’activité touchés ? Comment est-il financé (argent public/argent privé) ? Les moyens consacrés sont-ils à la hauteur ? Le caractère foncièrement mondial du problème est-il traité ? Enfin, qu’en est-il de la dimension politique du phénomène ? Ce dernier point est crucial : la mobilisation des nations derrière leurs gouvernements est une condition sine qua non pour une sortie de crise. Pour cela, il faut que les peuples aient confiance et qu’ils aient le sentiment que le fardeau sera équitablement partagé. Bref, la crise a beau être mondiale, la réponse dépend des Etats – donc des nations.

Les mesures engagées par l’administration Bush innovaient déjà par les moyens mobilisés et le fait qu’elles marquaient une rupture radicale avec l’idéologie dominante (et la politique) que le staff de W. incarnait jusque-là. Leur principal défaut était un énorme déficit en crédibilité, même si on peut difficilement reprocher à l’équipe Bush de s’être focalisée sur la dimension financière : il lui fallait jouer les pompiers de service. De plus leur responsabilité en aval dans la création de la situation catastrophique a ôté beaucoup d’efficacité à leurs actions. Et de toute façon, on avait affaire à des mesures prises par une Administration en fin de course.

Avec le nouveau plan piloté par le trio Obama, Geithner (au Trésor), Bernanke (à la tête de la Réserve fédérale), les Etats-Unis passent à la vitesse supérieure. Tout d’abord, par l’importance de moyens mobilisés, 787 milliards de dollars annoncés, mais en réalité deux, voire trois fois plus, si on comptabilise tout. L’Administration Obama lance la mère de toutes ses batailles : elle s’attaque en même temps à la crise financière et aux questions d’offre et de demande. À la fameuse « banque de mauvais crédit » qui rachètera (avec l’argent public) les prêts problématiques pour purger les bilans des banques, échoit l’assainissement du marché du crédit. La réponse à l’essoufflement de la demande consistera en aides massives aux consommateurs et aux PME. Quant à la crise immobilière, le séisme qui a déclenché le tsunami, elle sera contrecarrée par un ensemble de dispositifs d’aide aux propriétaires endettés. Plus généralement, une baisse des impôts soulagera un peu les autres débiteurs, surtout dans le domaine des cartes de crédit, un autre champ de mines à traiter d’urgence. Last but not least, on lancera une blitzkrieg sur le front de l’investissement avec comme objectif très ambitieux de jeter les bases (si possible avant les prochaines élections en 2012…) d’une croissance fondée sur l’éducation, la santé et les nouvelles formes d’énergie. Par cet ensemble des mesures budgétaires et monétaires coordonnées, la Fed et le Trésor se mettent ensemble en ordre de marche sous commandement commun.

Avec des dépôts de munitions bien garnis, les Etats-Unis lancent donc une offensive simultanée et coordonnée sur tous les fronts, sans attendre par exemple que l’assainissement nécessaire des bilans du système bancaire ou les investissements massifs portent leurs résultats en matière consommation et d’emploi. Il s’agit de ne pas gâcher l’élan crée par l’élection d’Obama.

Précisément, pour harnacher et pérenniser cette incroyable énergie politique, le nouveau président introduit une innovation majeure – la campagne électorale perpétuelle. Ainsi, représentants et sénateurs républicains et autres récalcitrants ont été soumis à une pression conjuguant lobbysme traditionnel et spots à la télé. Parallèlement, les réseaux de supporters et militants tissés et mobilisés pendant les primaires et la campagne présidentielle restent toujours sur le pied de guerre.

Seul bémol – et pas des moindre – Washington semble sous-estimer les risques liés à la dette publique. L’Etat, jadis providence et aujourd’hui providentiel peut effectivement plus qu’on ne le croyait il y a à peine un an, mais moins que beaucoup semblent le penser maintenant. Un scénario de chute brutale du dollar suite à un endettement public abyssal ne peut être totalement exclu. Mais il n’y a pas le choix.

Reste le talon d’Achille des armées engagées pour sauver l’économie mondiale : la coordination internationale. La stratégie d’Obama tient la route mais l’articulation avec les plans de guerre des autres pays, « le chainon manquant » de la gestion de cette fichue crise, reste à trouver. Ce week-end à Berlin, les membres européens du G20 en ont donné une preuve supplémentaire. Le commerce international et les écarts entre les excédents gigantesques de quelques pays et les déficits abyssaux de nombreux autres, pourtant au cœur du problème, n’ont pas été traités. On s’est satisfait d’un chapelet de vœux pieux, essentiellement des mesures contre les paradis fiscaux et les hedges funds et une réglementation accrue des acteurs des marchés. Tout cela n’est pas de bon augure pour le G 20 du 2 avril à Londres.

L’Europe en est encore à mobiliser ses troupes en ordre dispersé et avec des moyens relativement faibles même quand on cumule tous les efforts nationaux. Les divergences entre Français et Allemands qui n’ont pas du tout le même point de vue sur le système économique européen et mondial n’arrangent rien. Il ne s’agit nullement d’abdiquer toute marge de manœuvre nationale, mais il est difficile de nier qu’un certain nombre de décisions doivent être coordonnées, en particulier celles par lesquelles les Etats protègent leurs emplois – donc leurs peuples. Les premiers signes inquiétants sont déjà manifestés : les différentiels de taux d’intérêt entre les différents pays de la zone euro – la Grèce par exemple paye des intérêts supérieurs de 2,4 points à ceux de l’Allemagne. D’autre part, la menace de récession est encore plus importante de ce côté de l’Atlantique : autant de clignotants rouges vif qu’il ne faut plus ignorer. L’Europe aussi a besoin d’un New Deal.

2500 ans de solitude

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Grâce soit rendue à Arte d’avoir consacré, l’autre mercredi, une journée spéciale à l’Iran à l’occasion du trentième anniversaire de la révolution islamique. La chaîne a ainsi accompli un salutaire travail d’information sur ce pays toujours aussi méconnu, depuis qu’il est craint, en tant que successeur de l’Irak dans le rôle peu enviable d’ »axe du Mal ».

Hier, le danger principal pour la paix mondiale, c’était – n’oublions jamais – les « armes de destruction massive » du dictateur Saddam Hussein. Demain paraît-il, si l’on n’y prend garde, ce sera la bombe atomique aux mains de l’incontrôlable démagogue Ahmadinejad. Hier la moustache, demain la barbe !

En attendant, si j’ose dire, pour comprendre les relations chaotiques de l’Iran avec les puissances occidentales, il n’est pas inutile de se remémorer son histoire plurimillénaire et la culture du même métal. Ni de découvrir la société iranienne actuelle dans son étonnante complexité : conservatisme et modernité, « désir de réforme » et «tentation fondamentaliste», comme on dit dans la bonne presse.

Moment fort de cette journée, à 20 h 45 : le documentaire intitulé Iran, une puissance dévoilée, signé par l’excellent Jean-François Colosimo, écrivain, théologien et esprit libre. Autant lever d’emblée le suspense ! Ce film est à la hauteur du défi que s’est lancé l’auteur : raconter en quatre-vingt-dix minutes cent ans d’histoire iranienne, de la découverte du pétrole à la crise du nucléaire. Un siècle de convulsions politiques : coups d’Etat et contre-coups ; purges et assassinats ; occidentalisation à marche forcée et réaction nationale-religieuse. Remontant aux sources de la confrontation actuelle entre Iran et Occident, Colosimo ne saurait faire l’économie d’un certain didactisme ; mais après tout, le même soir, on pouvait préférer France-Argentine (TF1) ou Astérix aux Jeux Olympiques (Canal+).

Comme en exergue, le documentaire s’ouvre sur une phrase de l’ancien président Ali Akbar Rafsandjani : « La position géographique de l’Iran est un point sensible au carrefour du monde. » Délicate litote pour évoquer la non moins délicate situation d’un pays de longtemps coincé entre plusieurs mondes – et autant d’appétits… Ainsi la révolution khomeiniste, qu’on a prise un peu vite pour purement « ayatollesque », apparaît-elle aussi (surtout ?) comme un sursaut de fierté nationale face aux humiliations subies par le peuple iranien depuis le début du XXe siècle.

Je résume pour ceux qui auraient raté Arte (admirons l’allitération). En 1908, la découverte de pétrole dans le sous-sol iranien suscite – qui l’eût cru – un regain général d’intérêt pour ce pays. Mais c’est l’Occident (dignement représenté alors par l’Empire britannique) qui remporte le marché – non sans récompenser au passage l’Iran en le plaçant sous son aile tutélaire. Ce protectorat en pointillé durera jusqu’aux années 1950. Après quoi nos amis les Anglais, épuisés comme toute l’Europe par la deuxième guerre civile européenne (39-45), n’auront d’autre choix que de céder progressivement la place aux Américains.

Avec ceux-ci, et leur bras armé la CIA, plus question de pointillés. Dès 1953, chah en poche, ils déposent le leader nationaliste Mossadegh et s’emparent de la réalité du pouvoir. Ils expérimentent ainsi une « technique du coup d’Etat », comme disait l’autre, qui sera leur marque de fabrique durant toute la deuxième moitié du XXe siècle – sans compter le cadeau Bonux George W. Bush… Ça me rappelle la devinette posée par Michelle Bachelet, présidente du Chili, à des journalistes américains cois : « Pourquoi n’y a-t-il jamais eu de putsch aux Etats-Unis ? – Fastoche : parce qu’il n’y a pas d’ambassade américaine ! » Pas de contre-coup sans coup. Pas de « révolution khomeiniste » en 1979 sans parachutage du chah en 1953. (Action-réaction ! comme disait le pion Kad Merad dans Les Choristes.) Telle est l’utilité du documentaire de Colosimo : une remise en perspective qui n’est pas précisément la spécialité – ou le « format », comme dirait l’ami Pujadas – du 20 heures.

Et depuis trente ans, quelles raisons l’Iran a-t-il eues de renoncer au «nationalisme sourcilleux» dont on lui fait reproche ? En tout cas, pas la guerre particulièrement meurtrière que le pays a dû livrer contre l’Irak après l’attaque de Saddam Hussein, en septembre 1980. Certes nous l’avons pendu depuis, mais après usage ! En attendant, et durant ces huit années de conflit, le dictateur irakien aura bénéficié du soutien unanime et constant de l’Occident crétin.

Et voilà-t-il pas que, depuis l’«invasion libératrice» de l’Irak par les Etats Unis, l’Iran a été appelé à remplacer au pied levé son adversaire historique dans le rôle peu gratifiant de « Grand Satan » ? Que voulez-vous? Une bombe atomique, même future et putative, c’est quand même plus impressionnant que des «ADM» détruites avant même d’avoir existé. Bien sûr, on peut toujours reprocher à Colosimo de ne pas donner la parole aux oppositions iraniennes. Mais tel n’est pas l’objet, déjà vaste, de son film – qui lui impose une démarche comme qui dirait « gaullienne ». Le Général parlait d’Etat à Etat – et même de Russie éternelle devant un Politburo brejnevien qui n’en croyait pas son oreillette. Mutatis mutandis, le Colos adopte une attitude comparable : il nous parle de la nation iranienne ; pas de son régime actuel.

Et puis surtout, il convient de resituer ces quatre-vingt-dix minutes dans les quatorze heures de programmes consacrées à l’Iran ce jour-là : on y parle de tout, et tout le monde y a la parole ! Le plus impressionnant, à cet égard : les dix reportages de cinq minutes qui jalonnent cette « Journée spéciale », signés de la journaliste et cinéaste Manon Loizeau (prix Albert-Londres en 2006). Chacun s’y exprime en toute liberté – quitte à le faire, en cas de nécessité, sous couvert d’anonymat. (Comme quoi le voile, parfois, c’est bien utile !) On découvre ainsi une société complexe, traversée de courants divers et contradictoires. Ainsi parle un étudiant de Téhéran : « Nous avons réappris très jeunes, dès l’école des mollahs, à ne jamais dire à l’extérieur de la maison ce que nous pensons (…) Nous passons notre temps à jouer au chat et à la souris avec le régime, c’est la seule manière de sauver notre identité et notre peau ! »

Et puis, dans la programmation d’Arte, le documentaire de J.-F. Colosimo est encadré par un reportage et un film tout ce qu’il y a de plus critiques à l’égard du pouvoir en place à Téhéran. A 19 h, La télé des Iraniens. On y apprend qu’outre les télévisions nationales qui martèlent le message officiel, il existe en Iran des chaînes diffusées depuis l’étranger et captées par des paraboles cachées, où l’on peut voir et entendre tout ce que les autorités s’efforcent de censurer. A 23 h, Le Cercle, de Jafar Panaki, Lion d’or à Venise mais censuré en Iran : l’histoire de «six femmes proscrites dans un Téhéran aux allures de prison géante», comme dit le dossier de presse. Auparavant on avait pu voir aussi un portrait sans complaisance du président Ahmadinejad : une sorte de René Coty en plus drôle ! Les excès de langage de ce démagogue ne portent guère à conséquence, puisqu’il ne détient pas la réalité du pouvoir, réservée au «Guide suprême de la Révolution».

Au bout du compte, le grand mérite de cette Journée spéciale Iran est de balayer les idées simples et les clichés voilés (si l’on ose ce trait d’esprit), en dessinant par petites touches l’image de l’Iran réel. Un pays aux multiples facettes où se côtoient raffinement culturel et intégrisme religieux, interdits tous azimuts et société civile d’une incroyable vitalité – le tout dans le cadre politique d’une «République islamique», sorte d’oxymoron à pattes avec Parlement et turbans coordonnés. Et comme le montre admirablement Colosimo, cet Iran-là, paradoxal et schizophrène, est avant tout une vieille nation qui, 2500 ans après Cyrus le Grand, et malgré un siècle de vexations et de violences étrangères, cherche à persister dans l’être par tous les moyens, même légaux.

Ciao Walter !

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C’est finalement Dario Franceschini, avocat de cinquante ans issu de la démocratie chrétienne, qui a été élu samedi à la tête du Parti démocrate italien (centre gauche). Son prédécesseur, Walter Veltroni, avait démissionné dès le lendemain de la raclée mémorable infligée à son candidat par celui de Berlusconi lors des élections régionales en Sardaigne. Veltroni avait été l’un des principaux acteurs de la mutation du PCI en parti social-démocrate d’abord, puis démocrate tout court ensuite. Il devrait être inscrit au Guiness book of records dans la catégorie « autocritique » pour avoir déclaré, à propos de son passé communiste : « Il ne suffit pas de reconnaître que nous avons eu tort, encore faut-il admettre que nos adversaires de l’époque avaient raison ! » Les électeurs l’ont reçu cinq sur cinq.

Un crime contre l’Humanité évité de justesse

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Nonobstant mon aversion pour le nord-ouest de la capitale, j’avais prévu, ce dimanche, de faire un saut à la mairie du XVIIe. Je comptais aller traîner mes guêtres à l’expo organisée par les associations “Vérité et Justice” et “Solidarité-Kosovo”. Une expo de dessins d’enfants issus de la diversité, comme on dit, puisque qu’il s’agit de petits Serbes du Kosovo.

Normalement, je ne suis pas très caritatif. Mais d’abord on m’avait gentiment demandé de venir et puis ensuite, en amateur éclairé de causes perdues, je suis avec intérêt et amusement les pérégrinations des desperados humanistes de “Solidarité-Kosovo”. En particulier, j’avais beaucoup aimé que, suite à la fermeture d’une salle de boxe dans la banlieue grenobloise, Arnaud Borella et ses camarades récupèrent tous le matos, ring compris, pour l’expédier à Triffouillitch-les-Oies, au fin fond des dernières enclaves serbes du Kosovo. Convoyer des punching-balls ou des culottes Everlast, ça vous a quand même plus d’allure que de refiler aux mioches du bout du monde des vieilles barboteuses Absorba mitées ou des cartables troués avec Maya l’abeille dessus.

Je m’apprêtai donc à aller gentiment à la Mairie du XVIIe, histoire de verser trois thunes et de m’extasier avec tous les autres visiteurs sur les dessins des marmots serbo-kosovars. Je suis prêt à rudoyer pas mal de tabous, mais tout de même pas celui qui veut que tous les enfants aient du talent.

Mais non, finalement, je n’irai pas à la Mairie du XVIIe, j’irai au cinéma, voir Le bon, la brute et le cinglé, si ça se joue encore, ou sinon j’irai rererevoir The Big Lebowski, qui repasse ce dimanche au Champo. Parce que figurez-vous que Mme Brigitte Kuster, maire UMP dudit arrondissement, a annulé ladite expo. Elle l’a annulé alors que les 50 dessins étaient déjà accrochés dans la salle des fêtes, que des milliers d’invitations étaient déjà parties dans toute la France et que trente-six ambassadeurs avaient été invités au vernissage, plusieurs d’entre eux ayant confirmé leur présence. Motif de cette interdiction de dernière minute ? Mme Brigitte Kuster semble avoir découvert la veille de l’inauguration que cette expo était « politique ». Le programme de l’expo, des débats et des comptes-rendus d’action humanitaires était pourtant arrêté – et négocié avec la mairie – depuis plusieurs semaines.

Oui, mais voilà : quelqu’un a semble-t-il signalé à Mme le Maire UMP que l’association “Vérité et Justice” avait édité, il a six ans, Ma vérité, un livre de Slobodan Milosevic. Et les enfants serbes furent donc privés d’expo, les bénévoles ont été priés de remballer sur-le-champ les dessins qui déshonoraient l’édifice public. Non mais !

J’en déduis d’abord que Mme Brigitte Kuster est une abrutie. J’en déduis aussi que si l’UMP n’exclut pas illico de ses rangs cette censeuse, elle prouvera, si besoin était, sa nature foncière de parti d’abrutis. J’en déduis enfin que le mec qui dans Causeur a apporté son soutien aux mêmes élus UMP du XVIIe, quand ils bataillaient il y a quelques mois contre Delanoë pour imposer une place Alexandre-Soljenitsyne dans leur arrondissement et qui a bêtement cru qu’ils le faisaient par amour de la liberté d’expression, en l’occurrence un certain Marc Cohen, est lui aussi un abruti de première.

Georges Labica, mourir en colère

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Le philosophe Georges Labica, né en 1930, est mort le jeudi 12 février. Ce spécialiste de la théorie marxiste, professeur émérite, enseigna longtemps à Nanterre. Disciple d’Henri Lefèbvre et d’Althusser, il quitta le PCF au début des années 1980. Il a, parmi de nombreux ouvrages, dirigé un monumental Dictionnaire critique du marxisme (PUF, 1981) Dans Démocratie et révolution (Le temps des cerises, 2002), Georges Labica écrivait notamment : « Le communisme, c’est le seul contrepoison, le seul antidote, le seul remède, la seule alternative à la société d’exploitation, au capitalisme qui jamais n’a le visage humain. Tous les damnés de la terre savent ça, qui sont de plus en plus nombreux et de plus en plus damnés. Seuls les salauds ne sont pas avec eux et c’est comme ça qu’on les reconnaît. » On n’est évidemment pas obligé d’être d’accord, mais il faut savoir que mourir en colère, pour le coup, c’est à ça qu’on reconnaît un communiste. Il n’y a pas, pour eux, de réconciliation possible avec ce monde-là.

Cadavres sans placard

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ecorches

L’exposition « Our Body » vient d’ouvrir ses portes à Paris (Espace 12 Madeleine jusqu’au 12 mai prochain). Les organisateurs la garantissent « éducative et artistique »… Présentant à la vue des spectateurs leur corps et leurs organes écorchés, les dix-sept cadavres d’origine chinoise sont, bien malgré eux, au cœur d’une vive polémique. Retrouvez les impubliables de Babouse sur son carnet.

Outing en tout genre

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Je ne sais plus très bien comment cette histoire a commencé. Personne ne le sait plus vraiment au demeurant. Tout s’est passé si vite quand Jean-Paul Huchon a convoqué la presse parisienne et ses arrière-bans pour faire le plus déroutant des coming out.

Son teint rose pâlissait sous la sueur quand il annonça tout de go : « Je suis antillais. Je suis le président d’une île. Et l’Ile de France, ça n’est pas rien : le coût de la vie y est plus cher que dans le Larzac. C’est la faute à la métropole. » Reprenant son souffle, il garda plusieurs secondes un silence qui lui convenait fort bien avant d’enchaîner : « Je suis non seulement antillais, mais je suis noir aussi. Complètement. » Mouvement imperceptible d’émotion, larmes aux yeux, souvenirs du commerce triangulaire de sinistre mémoire. La salle de presse de la Région Ile-de-France se vida avant que Jean-Paul Huchon pût montrer aux téméraires qui s’étaient avisés de rester quels étaient les attributs de sa néo-négritude.

Le lendemain, certains étaient encore bouche bée quand un fil de l’AFP tomba : Martine Aubry venait de confier au Courrier picard qu’elle s’appelait Raymond, qu’elle venait d’une tribu indienne et qu’elle avait été élevée à Lille par un couple qui avait décidé de lui donner le nom de Pocahontas. La réplique ne se fit pas attendre : Voici publia aussitôt un entretien exclusif avec Ségolène Royal disant qu’elle était de toute façon hyper participative. Et pas que là. A droite, Roselyne Bachelot déclarait au même moment : « Je suis une femme », mais personne ne prêta la moindre attention à ses élucubrations, qui furent, il faut le dire, vite occultées par la cérémonie de pacs entre Alain Juppé et Noël Mamère. Christian Vanneste pleura beaucoup : « Un si beau chauve, un si beau chauve avec un moustachu. »

A l’Elysée, Nicolas Sarkozy annonçait dans la foulée qu’Angela Merkel et Taro Aso quittaient le G8, permettant aux six membres restant de réaliser l’un des plus vieux rêves de l’humanité[1. Henri Guaino avait écrit le discours.] : reconstituer les Village People.

Jean-Luc Mélenchon eut beau avouer ses penchants pour les hommes à gros sourcils « du genre Emmanuelli », la presse préféra croire Olivier Besancenot lorsqu’il déclara reluquer les vieux et être à la colle depuis cinq ans avec Alain Krivine. Quant à Laurence Parisot, on le savait, mais elle sauta sur l’occasion pour rendre la chose publique : « Laguillier me fait chauffer le CAC40. »

Plus rien ne restait vraiment de la République. L’affaire culmina lorsque Jean-François Kahn annonça lui-même qu’il n’avait jamais été patron de presse, mais transformiste : depuis 1975, il jouait le sosie de Marie-George Buffet chez Michou.

Et puis vint l’ultime saillie, provocante et libératrice : Bertrand Delanoë avoua qu’il en pinçait pour Françoise de Panafieu, tandis que Roger Karoutchi disait de Rachida Dati : « Quelle belle femme. » Les deux furent heureusement conduits à l’hôpital Sainte-Anne dans la rue du même nom. Et comme Jean-Luc Romero traînait par là, ils y eurent une belle fin de vie. Rapide et digne. Bien entendu, Marc Cohen vint leur tenir la main, uniquement pour toucher les 49 euros prévus par la loi. Fois deux, ça ne se refuse pas. Mais le bougre les but si vite[2. En Havane Club 3 ans d’âge.] qu’on en oublia rapidement toute cette ténébreuse affaire.

Ça platine grave à l’UMP

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Me Isabelle Wekstein n’est pas contente. Mais alors pas du tout. Avocate du groupe américain MGMT, elle se plaint que l’UMP ait utilisé à plusieurs reprises l’un des titres fétiches de son client : Kids, en le faisant passer d’abord au Conseil national du 24 janvier, puis lors d’un déplacement de Xavier Bertrand dans le Maine-et-Loire, enfin dans deux vidéos diffusées par le parti présidentiel. Trop, c’est trop. Réparation est demandée. Situation cocasse : à l’UMP on fait la sourde oreille et on jure qu’on prêtera attention aux récriminations de Me Wekstein quand l’Assemblée aura voté le projet de loi réprimant le piratage des œuvre artistiques sur Internet. Ce vote devrait intervenir le 4 mars prochain. Jusque-là, pirate qui s’en dédit, on fait comme si de rien n’était. Un petit conseil au disc jockey du parti de Xavier Bertrand : il vaudra mieux à l’avenir utiliser des œuvres tombées dans le domaine public. Emile Waldteufel, La valse des patineurs : ça collerait pile poil.

[mdeezer + 536485 Kids]

Georgia on my mind

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Décidément, la Géorgie a de la ressource. Après une guerre désastreuse avec la Russie cet été, Tbilissi a trouvé le moyen de prendre sa revanche. Pour le prochain concours de l’Eurovision qui aura lieu à Moscou, la république caucasienne a choisi une chanson au refrain équivoque, jouant sur le nom du Premier ministre présidentiel russe : « We don’t wanna Put In ». Le parolier Bibi Kvachadzé se défend de toute intention non artistique, mais nous avons quelques doutes, comme en ont d’ailleurs les organisateurs de ce concours bizarre dont les règles interdisent formellement tout contenu politique. Ce qui a été pris par la force sera repris par la fanfare.

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Tais-toi et cours

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Mercredi soir en direct au JT de France 2, un moraliste est né : Lilian Thuram. Interrogé sur la crise aux Antilles par David Pujadas, le jeune retraité nous en a mis plein la vue. Pour commencer, Thuram en a en remontré à Causeur, Arrêt sur Images et Acrimed réunis en matière de critique des médias. Ceux-ci, explique-t-il en substance, ont été fautivement muets pendant un mois et ne commencent à l’ouvrir que quand il y a de la castagne. D’un côté c’est vrai : même Libé et L’Huma, qui furent les premiers à en parler vraiment, ont attendu trois bonnes semaines avant de s’y coller. D’un autre côté, si Lilian Thuram, dont on imagine qu’il a des infos de première main sur son île natale, avait dès le début de la crise demandé à s’exprimer dans une tribune libre du Monde, en direct sur un JT de France3 ou un truc dans le genre, je vois mal le redac’ chef le plus crétin ou le plus sarkozyste lui claquer la porte au nez ! Et rien ne l’empêchait, le cas échéant d’aller pousser sa légitime gueulante dans Marianne, L’Huma ou Libé, où je suis certain qu’on l’aurait accueilli à bras ouverts. S’il l’avait fait, on aurait parlé bien plus tôt de ce qui se passe aux Antilles. Mais ça ne s’est pas passé comme ça. Dans les faits, Thuram a attendu que la crise dans les Dom s’impose, sans lui, comme un sujet bankable pour la ramener. Ce silence assourdissant que stigmatise Thuram, c’est aussi le silence de Thuram.

Quoique, à écouter la suite de son intervention, on se demande s’il n’aurait pas mieux fait de se taire. Avec Lilian, les grévistes ont trouvé un piètre défenseur. Quand il déclare que « les violences discréditent le mouvement », il marque contre son camp, les violences des émeutiers font partie du mouvement, ce sont pour l’essentiel des violences sociales, bien plus légitimes, in fine, que les pillages banlieusards de 2005 que Thuram s’était empressé de justifier. Si les Antillais s’étaient contentés de pétitionner contre la vie chère, on n’en aurait toujours pas entendu parler de leurs histoires ultramarines, et je ne suis pas certain que Thuram se serait démené pour en causer à la télé. « Je ne comprends rien à la politique sauf l’émeute », disait Flaubert. Thuram devrait relire plus souvent la correspondance de Flaubert.

Mais le pire est encore à venir. C’est quand notre champion du monde déclare sans rire : « Si j’étais en Guadeloupe, je ferais partie des manifestants. » Mais nom de dieu, qu’est-ce qui l’en empêche ? A ma connaissance, les liaisons aériennes n’ont pas été interrompues par la grève. Le seraient-elles qu’il aurait largement les moyens d’affréter un jet privé. Si j’étais, je ferais : ce conditionnel est obscène.

De qui te moques-tu Lilian? De moi, c’est pas bien grave. Des Guadeloupéens en colère, c’est déjà plus ennuyeux. Mais moi, je ne demande qu’à avoir tort : si ton élan solidaire est autre chose qu’un coup d’auto-promo, tais-toi et cours prendre le premier vol pour Pointe à Pitre. Une fois rendu, va au premier rang des manifs, les CRS y réfléchiront à deux fois avant de charger. Va sur les barrages, pour calmer les plus excités. Va dans la cambrousse pour porter l’eau aux mémés isolées. Va où tu veux, mais vas-y ! Sois gentil, Lilian : cesse de jouer les mouches du coach !

Sortir de la crise. Maybe he can

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Premiers à avoir sombré dans la crise économique et à y précipiter le reste du monde, les Etats-Unis d’Obama sont aussi pionniers pour s’y coltiner. À part le nom, le plan de relance signé par le président américain le 17 février n’a pas grand-chose de commun avec ses équivalents européens ni avec les précédents plans américains. La nouvelle Administration prend à bras-le-corps l’ensemble des dimensions de la crise. Elle a la volonté, la crédibilité et elle met le paquet.

Des plans de relance, nous en voyons par wagons depuis septembre dernier. Avec des résultats pour le moins décevants. On me dira que c’est un peu tôt pour se prononcer. Le problème, c’est que même ceux qui ont concocté ces plans semblent sceptiques quant à l’efficacité de leurs mesurettes puisqu’ils ne cessent d’en annoncer de nouvelles.

Pour juger de l’efficacité d’un plan de relance, il faut se poser six questions : Prend-il en compte l’ensemble des difficultés ? S’attaque-t-il à tous les secteurs d’activité touchés ? Comment est-il financé (argent public/argent privé) ? Les moyens consacrés sont-ils à la hauteur ? Le caractère foncièrement mondial du problème est-il traité ? Enfin, qu’en est-il de la dimension politique du phénomène ? Ce dernier point est crucial : la mobilisation des nations derrière leurs gouvernements est une condition sine qua non pour une sortie de crise. Pour cela, il faut que les peuples aient confiance et qu’ils aient le sentiment que le fardeau sera équitablement partagé. Bref, la crise a beau être mondiale, la réponse dépend des Etats – donc des nations.

Les mesures engagées par l’administration Bush innovaient déjà par les moyens mobilisés et le fait qu’elles marquaient une rupture radicale avec l’idéologie dominante (et la politique) que le staff de W. incarnait jusque-là. Leur principal défaut était un énorme déficit en crédibilité, même si on peut difficilement reprocher à l’équipe Bush de s’être focalisée sur la dimension financière : il lui fallait jouer les pompiers de service. De plus leur responsabilité en aval dans la création de la situation catastrophique a ôté beaucoup d’efficacité à leurs actions. Et de toute façon, on avait affaire à des mesures prises par une Administration en fin de course.

Avec le nouveau plan piloté par le trio Obama, Geithner (au Trésor), Bernanke (à la tête de la Réserve fédérale), les Etats-Unis passent à la vitesse supérieure. Tout d’abord, par l’importance de moyens mobilisés, 787 milliards de dollars annoncés, mais en réalité deux, voire trois fois plus, si on comptabilise tout. L’Administration Obama lance la mère de toutes ses batailles : elle s’attaque en même temps à la crise financière et aux questions d’offre et de demande. À la fameuse « banque de mauvais crédit » qui rachètera (avec l’argent public) les prêts problématiques pour purger les bilans des banques, échoit l’assainissement du marché du crédit. La réponse à l’essoufflement de la demande consistera en aides massives aux consommateurs et aux PME. Quant à la crise immobilière, le séisme qui a déclenché le tsunami, elle sera contrecarrée par un ensemble de dispositifs d’aide aux propriétaires endettés. Plus généralement, une baisse des impôts soulagera un peu les autres débiteurs, surtout dans le domaine des cartes de crédit, un autre champ de mines à traiter d’urgence. Last but not least, on lancera une blitzkrieg sur le front de l’investissement avec comme objectif très ambitieux de jeter les bases (si possible avant les prochaines élections en 2012…) d’une croissance fondée sur l’éducation, la santé et les nouvelles formes d’énergie. Par cet ensemble des mesures budgétaires et monétaires coordonnées, la Fed et le Trésor se mettent ensemble en ordre de marche sous commandement commun.

Avec des dépôts de munitions bien garnis, les Etats-Unis lancent donc une offensive simultanée et coordonnée sur tous les fronts, sans attendre par exemple que l’assainissement nécessaire des bilans du système bancaire ou les investissements massifs portent leurs résultats en matière consommation et d’emploi. Il s’agit de ne pas gâcher l’élan crée par l’élection d’Obama.

Précisément, pour harnacher et pérenniser cette incroyable énergie politique, le nouveau président introduit une innovation majeure – la campagne électorale perpétuelle. Ainsi, représentants et sénateurs républicains et autres récalcitrants ont été soumis à une pression conjuguant lobbysme traditionnel et spots à la télé. Parallèlement, les réseaux de supporters et militants tissés et mobilisés pendant les primaires et la campagne présidentielle restent toujours sur le pied de guerre.

Seul bémol – et pas des moindre – Washington semble sous-estimer les risques liés à la dette publique. L’Etat, jadis providence et aujourd’hui providentiel peut effectivement plus qu’on ne le croyait il y a à peine un an, mais moins que beaucoup semblent le penser maintenant. Un scénario de chute brutale du dollar suite à un endettement public abyssal ne peut être totalement exclu. Mais il n’y a pas le choix.

Reste le talon d’Achille des armées engagées pour sauver l’économie mondiale : la coordination internationale. La stratégie d’Obama tient la route mais l’articulation avec les plans de guerre des autres pays, « le chainon manquant » de la gestion de cette fichue crise, reste à trouver. Ce week-end à Berlin, les membres européens du G20 en ont donné une preuve supplémentaire. Le commerce international et les écarts entre les excédents gigantesques de quelques pays et les déficits abyssaux de nombreux autres, pourtant au cœur du problème, n’ont pas été traités. On s’est satisfait d’un chapelet de vœux pieux, essentiellement des mesures contre les paradis fiscaux et les hedges funds et une réglementation accrue des acteurs des marchés. Tout cela n’est pas de bon augure pour le G 20 du 2 avril à Londres.

L’Europe en est encore à mobiliser ses troupes en ordre dispersé et avec des moyens relativement faibles même quand on cumule tous les efforts nationaux. Les divergences entre Français et Allemands qui n’ont pas du tout le même point de vue sur le système économique européen et mondial n’arrangent rien. Il ne s’agit nullement d’abdiquer toute marge de manœuvre nationale, mais il est difficile de nier qu’un certain nombre de décisions doivent être coordonnées, en particulier celles par lesquelles les Etats protègent leurs emplois – donc leurs peuples. Les premiers signes inquiétants sont déjà manifestés : les différentiels de taux d’intérêt entre les différents pays de la zone euro – la Grèce par exemple paye des intérêts supérieurs de 2,4 points à ceux de l’Allemagne. D’autre part, la menace de récession est encore plus importante de ce côté de l’Atlantique : autant de clignotants rouges vif qu’il ne faut plus ignorer. L’Europe aussi a besoin d’un New Deal.

2500 ans de solitude

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Grâce soit rendue à Arte d’avoir consacré, l’autre mercredi, une journée spéciale à l’Iran à l’occasion du trentième anniversaire de la révolution islamique. La chaîne a ainsi accompli un salutaire travail d’information sur ce pays toujours aussi méconnu, depuis qu’il est craint, en tant que successeur de l’Irak dans le rôle peu enviable d’ »axe du Mal ».

Hier, le danger principal pour la paix mondiale, c’était – n’oublions jamais – les « armes de destruction massive » du dictateur Saddam Hussein. Demain paraît-il, si l’on n’y prend garde, ce sera la bombe atomique aux mains de l’incontrôlable démagogue Ahmadinejad. Hier la moustache, demain la barbe !

En attendant, si j’ose dire, pour comprendre les relations chaotiques de l’Iran avec les puissances occidentales, il n’est pas inutile de se remémorer son histoire plurimillénaire et la culture du même métal. Ni de découvrir la société iranienne actuelle dans son étonnante complexité : conservatisme et modernité, « désir de réforme » et «tentation fondamentaliste», comme on dit dans la bonne presse.

Moment fort de cette journée, à 20 h 45 : le documentaire intitulé Iran, une puissance dévoilée, signé par l’excellent Jean-François Colosimo, écrivain, théologien et esprit libre. Autant lever d’emblée le suspense ! Ce film est à la hauteur du défi que s’est lancé l’auteur : raconter en quatre-vingt-dix minutes cent ans d’histoire iranienne, de la découverte du pétrole à la crise du nucléaire. Un siècle de convulsions politiques : coups d’Etat et contre-coups ; purges et assassinats ; occidentalisation à marche forcée et réaction nationale-religieuse. Remontant aux sources de la confrontation actuelle entre Iran et Occident, Colosimo ne saurait faire l’économie d’un certain didactisme ; mais après tout, le même soir, on pouvait préférer France-Argentine (TF1) ou Astérix aux Jeux Olympiques (Canal+).

Comme en exergue, le documentaire s’ouvre sur une phrase de l’ancien président Ali Akbar Rafsandjani : « La position géographique de l’Iran est un point sensible au carrefour du monde. » Délicate litote pour évoquer la non moins délicate situation d’un pays de longtemps coincé entre plusieurs mondes – et autant d’appétits… Ainsi la révolution khomeiniste, qu’on a prise un peu vite pour purement « ayatollesque », apparaît-elle aussi (surtout ?) comme un sursaut de fierté nationale face aux humiliations subies par le peuple iranien depuis le début du XXe siècle.

Je résume pour ceux qui auraient raté Arte (admirons l’allitération). En 1908, la découverte de pétrole dans le sous-sol iranien suscite – qui l’eût cru – un regain général d’intérêt pour ce pays. Mais c’est l’Occident (dignement représenté alors par l’Empire britannique) qui remporte le marché – non sans récompenser au passage l’Iran en le plaçant sous son aile tutélaire. Ce protectorat en pointillé durera jusqu’aux années 1950. Après quoi nos amis les Anglais, épuisés comme toute l’Europe par la deuxième guerre civile européenne (39-45), n’auront d’autre choix que de céder progressivement la place aux Américains.

Avec ceux-ci, et leur bras armé la CIA, plus question de pointillés. Dès 1953, chah en poche, ils déposent le leader nationaliste Mossadegh et s’emparent de la réalité du pouvoir. Ils expérimentent ainsi une « technique du coup d’Etat », comme disait l’autre, qui sera leur marque de fabrique durant toute la deuxième moitié du XXe siècle – sans compter le cadeau Bonux George W. Bush… Ça me rappelle la devinette posée par Michelle Bachelet, présidente du Chili, à des journalistes américains cois : « Pourquoi n’y a-t-il jamais eu de putsch aux Etats-Unis ? – Fastoche : parce qu’il n’y a pas d’ambassade américaine ! » Pas de contre-coup sans coup. Pas de « révolution khomeiniste » en 1979 sans parachutage du chah en 1953. (Action-réaction ! comme disait le pion Kad Merad dans Les Choristes.) Telle est l’utilité du documentaire de Colosimo : une remise en perspective qui n’est pas précisément la spécialité – ou le « format », comme dirait l’ami Pujadas – du 20 heures.

Et depuis trente ans, quelles raisons l’Iran a-t-il eues de renoncer au «nationalisme sourcilleux» dont on lui fait reproche ? En tout cas, pas la guerre particulièrement meurtrière que le pays a dû livrer contre l’Irak après l’attaque de Saddam Hussein, en septembre 1980. Certes nous l’avons pendu depuis, mais après usage ! En attendant, et durant ces huit années de conflit, le dictateur irakien aura bénéficié du soutien unanime et constant de l’Occident crétin.

Et voilà-t-il pas que, depuis l’«invasion libératrice» de l’Irak par les Etats Unis, l’Iran a été appelé à remplacer au pied levé son adversaire historique dans le rôle peu gratifiant de « Grand Satan » ? Que voulez-vous? Une bombe atomique, même future et putative, c’est quand même plus impressionnant que des «ADM» détruites avant même d’avoir existé. Bien sûr, on peut toujours reprocher à Colosimo de ne pas donner la parole aux oppositions iraniennes. Mais tel n’est pas l’objet, déjà vaste, de son film – qui lui impose une démarche comme qui dirait « gaullienne ». Le Général parlait d’Etat à Etat – et même de Russie éternelle devant un Politburo brejnevien qui n’en croyait pas son oreillette. Mutatis mutandis, le Colos adopte une attitude comparable : il nous parle de la nation iranienne ; pas de son régime actuel.

Et puis surtout, il convient de resituer ces quatre-vingt-dix minutes dans les quatorze heures de programmes consacrées à l’Iran ce jour-là : on y parle de tout, et tout le monde y a la parole ! Le plus impressionnant, à cet égard : les dix reportages de cinq minutes qui jalonnent cette « Journée spéciale », signés de la journaliste et cinéaste Manon Loizeau (prix Albert-Londres en 2006). Chacun s’y exprime en toute liberté – quitte à le faire, en cas de nécessité, sous couvert d’anonymat. (Comme quoi le voile, parfois, c’est bien utile !) On découvre ainsi une société complexe, traversée de courants divers et contradictoires. Ainsi parle un étudiant de Téhéran : « Nous avons réappris très jeunes, dès l’école des mollahs, à ne jamais dire à l’extérieur de la maison ce que nous pensons (…) Nous passons notre temps à jouer au chat et à la souris avec le régime, c’est la seule manière de sauver notre identité et notre peau ! »

Et puis, dans la programmation d’Arte, le documentaire de J.-F. Colosimo est encadré par un reportage et un film tout ce qu’il y a de plus critiques à l’égard du pouvoir en place à Téhéran. A 19 h, La télé des Iraniens. On y apprend qu’outre les télévisions nationales qui martèlent le message officiel, il existe en Iran des chaînes diffusées depuis l’étranger et captées par des paraboles cachées, où l’on peut voir et entendre tout ce que les autorités s’efforcent de censurer. A 23 h, Le Cercle, de Jafar Panaki, Lion d’or à Venise mais censuré en Iran : l’histoire de «six femmes proscrites dans un Téhéran aux allures de prison géante», comme dit le dossier de presse. Auparavant on avait pu voir aussi un portrait sans complaisance du président Ahmadinejad : une sorte de René Coty en plus drôle ! Les excès de langage de ce démagogue ne portent guère à conséquence, puisqu’il ne détient pas la réalité du pouvoir, réservée au «Guide suprême de la Révolution».

Au bout du compte, le grand mérite de cette Journée spéciale Iran est de balayer les idées simples et les clichés voilés (si l’on ose ce trait d’esprit), en dessinant par petites touches l’image de l’Iran réel. Un pays aux multiples facettes où se côtoient raffinement culturel et intégrisme religieux, interdits tous azimuts et société civile d’une incroyable vitalité – le tout dans le cadre politique d’une «République islamique», sorte d’oxymoron à pattes avec Parlement et turbans coordonnés. Et comme le montre admirablement Colosimo, cet Iran-là, paradoxal et schizophrène, est avant tout une vieille nation qui, 2500 ans après Cyrus le Grand, et malgré un siècle de vexations et de violences étrangères, cherche à persister dans l’être par tous les moyens, même légaux.

Ciao Walter !

7

C’est finalement Dario Franceschini, avocat de cinquante ans issu de la démocratie chrétienne, qui a été élu samedi à la tête du Parti démocrate italien (centre gauche). Son prédécesseur, Walter Veltroni, avait démissionné dès le lendemain de la raclée mémorable infligée à son candidat par celui de Berlusconi lors des élections régionales en Sardaigne. Veltroni avait été l’un des principaux acteurs de la mutation du PCI en parti social-démocrate d’abord, puis démocrate tout court ensuite. Il devrait être inscrit au Guiness book of records dans la catégorie « autocritique » pour avoir déclaré, à propos de son passé communiste : « Il ne suffit pas de reconnaître que nous avons eu tort, encore faut-il admettre que nos adversaires de l’époque avaient raison ! » Les électeurs l’ont reçu cinq sur cinq.

Un crime contre l’Humanité évité de justesse

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Nonobstant mon aversion pour le nord-ouest de la capitale, j’avais prévu, ce dimanche, de faire un saut à la mairie du XVIIe. Je comptais aller traîner mes guêtres à l’expo organisée par les associations “Vérité et Justice” et “Solidarité-Kosovo”. Une expo de dessins d’enfants issus de la diversité, comme on dit, puisque qu’il s’agit de petits Serbes du Kosovo.

Normalement, je ne suis pas très caritatif. Mais d’abord on m’avait gentiment demandé de venir et puis ensuite, en amateur éclairé de causes perdues, je suis avec intérêt et amusement les pérégrinations des desperados humanistes de “Solidarité-Kosovo”. En particulier, j’avais beaucoup aimé que, suite à la fermeture d’une salle de boxe dans la banlieue grenobloise, Arnaud Borella et ses camarades récupèrent tous le matos, ring compris, pour l’expédier à Triffouillitch-les-Oies, au fin fond des dernières enclaves serbes du Kosovo. Convoyer des punching-balls ou des culottes Everlast, ça vous a quand même plus d’allure que de refiler aux mioches du bout du monde des vieilles barboteuses Absorba mitées ou des cartables troués avec Maya l’abeille dessus.

Je m’apprêtai donc à aller gentiment à la Mairie du XVIIe, histoire de verser trois thunes et de m’extasier avec tous les autres visiteurs sur les dessins des marmots serbo-kosovars. Je suis prêt à rudoyer pas mal de tabous, mais tout de même pas celui qui veut que tous les enfants aient du talent.

Mais non, finalement, je n’irai pas à la Mairie du XVIIe, j’irai au cinéma, voir Le bon, la brute et le cinglé, si ça se joue encore, ou sinon j’irai rererevoir The Big Lebowski, qui repasse ce dimanche au Champo. Parce que figurez-vous que Mme Brigitte Kuster, maire UMP dudit arrondissement, a annulé ladite expo. Elle l’a annulé alors que les 50 dessins étaient déjà accrochés dans la salle des fêtes, que des milliers d’invitations étaient déjà parties dans toute la France et que trente-six ambassadeurs avaient été invités au vernissage, plusieurs d’entre eux ayant confirmé leur présence. Motif de cette interdiction de dernière minute ? Mme Brigitte Kuster semble avoir découvert la veille de l’inauguration que cette expo était « politique ». Le programme de l’expo, des débats et des comptes-rendus d’action humanitaires était pourtant arrêté – et négocié avec la mairie – depuis plusieurs semaines.

Oui, mais voilà : quelqu’un a semble-t-il signalé à Mme le Maire UMP que l’association “Vérité et Justice” avait édité, il a six ans, Ma vérité, un livre de Slobodan Milosevic. Et les enfants serbes furent donc privés d’expo, les bénévoles ont été priés de remballer sur-le-champ les dessins qui déshonoraient l’édifice public. Non mais !

J’en déduis d’abord que Mme Brigitte Kuster est une abrutie. J’en déduis aussi que si l’UMP n’exclut pas illico de ses rangs cette censeuse, elle prouvera, si besoin était, sa nature foncière de parti d’abrutis. J’en déduis enfin que le mec qui dans Causeur a apporté son soutien aux mêmes élus UMP du XVIIe, quand ils bataillaient il y a quelques mois contre Delanoë pour imposer une place Alexandre-Soljenitsyne dans leur arrondissement et qui a bêtement cru qu’ils le faisaient par amour de la liberté d’expression, en l’occurrence un certain Marc Cohen, est lui aussi un abruti de première.

Georges Labica, mourir en colère

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Le philosophe Georges Labica, né en 1930, est mort le jeudi 12 février. Ce spécialiste de la théorie marxiste, professeur émérite, enseigna longtemps à Nanterre. Disciple d’Henri Lefèbvre et d’Althusser, il quitta le PCF au début des années 1980. Il a, parmi de nombreux ouvrages, dirigé un monumental Dictionnaire critique du marxisme (PUF, 1981) Dans Démocratie et révolution (Le temps des cerises, 2002), Georges Labica écrivait notamment : « Le communisme, c’est le seul contrepoison, le seul antidote, le seul remède, la seule alternative à la société d’exploitation, au capitalisme qui jamais n’a le visage humain. Tous les damnés de la terre savent ça, qui sont de plus en plus nombreux et de plus en plus damnés. Seuls les salauds ne sont pas avec eux et c’est comme ça qu’on les reconnaît. » On n’est évidemment pas obligé d’être d’accord, mais il faut savoir que mourir en colère, pour le coup, c’est à ça qu’on reconnaît un communiste. Il n’y a pas, pour eux, de réconciliation possible avec ce monde-là.

Théorie de la violence

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Cadavres sans placard

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ecorches

L’exposition « Our Body » vient d’ouvrir ses portes à Paris (Espace 12 Madeleine jusqu’au 12 mai prochain). Les organisateurs la garantissent « éducative et artistique »… Présentant à la vue des spectateurs leur corps et leurs organes écorchés, les dix-sept cadavres d’origine chinoise sont, bien malgré eux, au cœur d’une vive polémique. Retrouvez les impubliables de Babouse sur son carnet.

Outing en tout genre

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Je ne sais plus très bien comment cette histoire a commencé. Personne ne le sait plus vraiment au demeurant. Tout s’est passé si vite quand Jean-Paul Huchon a convoqué la presse parisienne et ses arrière-bans pour faire le plus déroutant des coming out.

Son teint rose pâlissait sous la sueur quand il annonça tout de go : « Je suis antillais. Je suis le président d’une île. Et l’Ile de France, ça n’est pas rien : le coût de la vie y est plus cher que dans le Larzac. C’est la faute à la métropole. » Reprenant son souffle, il garda plusieurs secondes un silence qui lui convenait fort bien avant d’enchaîner : « Je suis non seulement antillais, mais je suis noir aussi. Complètement. » Mouvement imperceptible d’émotion, larmes aux yeux, souvenirs du commerce triangulaire de sinistre mémoire. La salle de presse de la Région Ile-de-France se vida avant que Jean-Paul Huchon pût montrer aux téméraires qui s’étaient avisés de rester quels étaient les attributs de sa néo-négritude.

Le lendemain, certains étaient encore bouche bée quand un fil de l’AFP tomba : Martine Aubry venait de confier au Courrier picard qu’elle s’appelait Raymond, qu’elle venait d’une tribu indienne et qu’elle avait été élevée à Lille par un couple qui avait décidé de lui donner le nom de Pocahontas. La réplique ne se fit pas attendre : Voici publia aussitôt un entretien exclusif avec Ségolène Royal disant qu’elle était de toute façon hyper participative. Et pas que là. A droite, Roselyne Bachelot déclarait au même moment : « Je suis une femme », mais personne ne prêta la moindre attention à ses élucubrations, qui furent, il faut le dire, vite occultées par la cérémonie de pacs entre Alain Juppé et Noël Mamère. Christian Vanneste pleura beaucoup : « Un si beau chauve, un si beau chauve avec un moustachu. »

A l’Elysée, Nicolas Sarkozy annonçait dans la foulée qu’Angela Merkel et Taro Aso quittaient le G8, permettant aux six membres restant de réaliser l’un des plus vieux rêves de l’humanité[1. Henri Guaino avait écrit le discours.] : reconstituer les Village People.

Jean-Luc Mélenchon eut beau avouer ses penchants pour les hommes à gros sourcils « du genre Emmanuelli », la presse préféra croire Olivier Besancenot lorsqu’il déclara reluquer les vieux et être à la colle depuis cinq ans avec Alain Krivine. Quant à Laurence Parisot, on le savait, mais elle sauta sur l’occasion pour rendre la chose publique : « Laguillier me fait chauffer le CAC40. »

Plus rien ne restait vraiment de la République. L’affaire culmina lorsque Jean-François Kahn annonça lui-même qu’il n’avait jamais été patron de presse, mais transformiste : depuis 1975, il jouait le sosie de Marie-George Buffet chez Michou.

Et puis vint l’ultime saillie, provocante et libératrice : Bertrand Delanoë avoua qu’il en pinçait pour Françoise de Panafieu, tandis que Roger Karoutchi disait de Rachida Dati : « Quelle belle femme. » Les deux furent heureusement conduits à l’hôpital Sainte-Anne dans la rue du même nom. Et comme Jean-Luc Romero traînait par là, ils y eurent une belle fin de vie. Rapide et digne. Bien entendu, Marc Cohen vint leur tenir la main, uniquement pour toucher les 49 euros prévus par la loi. Fois deux, ça ne se refuse pas. Mais le bougre les but si vite[2. En Havane Club 3 ans d’âge.] qu’on en oublia rapidement toute cette ténébreuse affaire.

Ça platine grave à l’UMP

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Me Isabelle Wekstein n’est pas contente. Mais alors pas du tout. Avocate du groupe américain MGMT, elle se plaint que l’UMP ait utilisé à plusieurs reprises l’un des titres fétiches de son client : Kids, en le faisant passer d’abord au Conseil national du 24 janvier, puis lors d’un déplacement de Xavier Bertrand dans le Maine-et-Loire, enfin dans deux vidéos diffusées par le parti présidentiel. Trop, c’est trop. Réparation est demandée. Situation cocasse : à l’UMP on fait la sourde oreille et on jure qu’on prêtera attention aux récriminations de Me Wekstein quand l’Assemblée aura voté le projet de loi réprimant le piratage des œuvre artistiques sur Internet. Ce vote devrait intervenir le 4 mars prochain. Jusque-là, pirate qui s’en dédit, on fait comme si de rien n’était. Un petit conseil au disc jockey du parti de Xavier Bertrand : il vaudra mieux à l’avenir utiliser des œuvres tombées dans le domaine public. Emile Waldteufel, La valse des patineurs : ça collerait pile poil.

[mdeezer + 536485 Kids]

Georgia on my mind

6

Décidément, la Géorgie a de la ressource. Après une guerre désastreuse avec la Russie cet été, Tbilissi a trouvé le moyen de prendre sa revanche. Pour le prochain concours de l’Eurovision qui aura lieu à Moscou, la république caucasienne a choisi une chanson au refrain équivoque, jouant sur le nom du Premier ministre présidentiel russe : « We don’t wanna Put In ». Le parolier Bibi Kvachadzé se défend de toute intention non artistique, mais nous avons quelques doutes, comme en ont d’ailleurs les organisateurs de ce concours bizarre dont les règles interdisent formellement tout contenu politique. Ce qui a été pris par la force sera repris par la fanfare.

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Tais-toi et cours

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Mercredi soir en direct au JT de France 2, un moraliste est né : Lilian Thuram. Interrogé sur la crise aux Antilles par David Pujadas, le jeune retraité nous en a mis plein la vue. Pour commencer, Thuram en a en remontré à Causeur, Arrêt sur Images et Acrimed réunis en matière de critique des médias. Ceux-ci, explique-t-il en substance, ont été fautivement muets pendant un mois et ne commencent à l’ouvrir que quand il y a de la castagne. D’un côté c’est vrai : même Libé et L’Huma, qui furent les premiers à en parler vraiment, ont attendu trois bonnes semaines avant de s’y coller. D’un autre côté, si Lilian Thuram, dont on imagine qu’il a des infos de première main sur son île natale, avait dès le début de la crise demandé à s’exprimer dans une tribune libre du Monde, en direct sur un JT de France3 ou un truc dans le genre, je vois mal le redac’ chef le plus crétin ou le plus sarkozyste lui claquer la porte au nez ! Et rien ne l’empêchait, le cas échéant d’aller pousser sa légitime gueulante dans Marianne, L’Huma ou Libé, où je suis certain qu’on l’aurait accueilli à bras ouverts. S’il l’avait fait, on aurait parlé bien plus tôt de ce qui se passe aux Antilles. Mais ça ne s’est pas passé comme ça. Dans les faits, Thuram a attendu que la crise dans les Dom s’impose, sans lui, comme un sujet bankable pour la ramener. Ce silence assourdissant que stigmatise Thuram, c’est aussi le silence de Thuram.

Quoique, à écouter la suite de son intervention, on se demande s’il n’aurait pas mieux fait de se taire. Avec Lilian, les grévistes ont trouvé un piètre défenseur. Quand il déclare que « les violences discréditent le mouvement », il marque contre son camp, les violences des émeutiers font partie du mouvement, ce sont pour l’essentiel des violences sociales, bien plus légitimes, in fine, que les pillages banlieusards de 2005 que Thuram s’était empressé de justifier. Si les Antillais s’étaient contentés de pétitionner contre la vie chère, on n’en aurait toujours pas entendu parler de leurs histoires ultramarines, et je ne suis pas certain que Thuram se serait démené pour en causer à la télé. « Je ne comprends rien à la politique sauf l’émeute », disait Flaubert. Thuram devrait relire plus souvent la correspondance de Flaubert.

Mais le pire est encore à venir. C’est quand notre champion du monde déclare sans rire : « Si j’étais en Guadeloupe, je ferais partie des manifestants. » Mais nom de dieu, qu’est-ce qui l’en empêche ? A ma connaissance, les liaisons aériennes n’ont pas été interrompues par la grève. Le seraient-elles qu’il aurait largement les moyens d’affréter un jet privé. Si j’étais, je ferais : ce conditionnel est obscène.

De qui te moques-tu Lilian? De moi, c’est pas bien grave. Des Guadeloupéens en colère, c’est déjà plus ennuyeux. Mais moi, je ne demande qu’à avoir tort : si ton élan solidaire est autre chose qu’un coup d’auto-promo, tais-toi et cours prendre le premier vol pour Pointe à Pitre. Une fois rendu, va au premier rang des manifs, les CRS y réfléchiront à deux fois avant de charger. Va sur les barrages, pour calmer les plus excités. Va dans la cambrousse pour porter l’eau aux mémés isolées. Va où tu veux, mais vas-y ! Sois gentil, Lilian : cesse de jouer les mouches du coach !